COM (2014) 397 final  du 02/07/0204

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)


Le texte COM 397 est une proposition de directive visant à modifier la législation existante en matière de déchets. Cette proposition s'inscrit dans le paquet « économie circulaire », présenté le 2 juillet 2014 qui comprend trois projets de directives, complétés par une étude d'impact et une communication de la Commission européenne. L'objectif affiché par la Commission est de limiter les prélèvements sur les ressources naturelles - renouvelables ou non - et à relancer la hausse de la « productivité des matières premières » dans le cadre d'une « économie circulaire » pour réorienter la croissance et créer « plus de 2 millions d'emplois » à l'horizon 2030.

La Commission européenne propose de porter à 70 % au minimum le taux de réemploi et de recyclage des déchets municipaux à l'horizon 2030, de porter à 80 % le taux de recyclage des déchets d'emballage à cette même date, qui verrait également la fin de toute mise en décharge des matières plastiques recyclables, des métaux, du verre, du papier et du carton.

A ces objectifs contraignants, la Commission propose d'ajouter à titre indicatif une réduction de 30 % des décharges en mer d'ici 2020, une réduction de 30 % de déchets alimentaires à l'horizon 2025 et l'élimination de toute mise en décharge à l'horizon 2030.

Enfin, la Commission souhaite développer des marchés de matières premières secondaires, alimentés par des processus de recyclage « de haute qualité ».

Si l'objectif du projet de directive peut paraître légitime, les mesures proposées peuvent induire un coût important pour les communes. Il conviendra, à ce titre, d'évaluer précisément l'impact du dispositif proposé. Cette question ne relevant pas du principe de subsidiarité, l'examen au fond de ce texte devrait être privilégié.

Dans ces conditions, le groupe de travail n'a pas jugé utile de poursuivre l'examen de ce texte au regard de l'article 88-6 de la Constitution.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 29/09/2014
Examen : 04/11/2014 (commission des affaires européennes)

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 80 (2014-2015) : voir le dossier legislatif


Environnement

Proposition de directive relative aux déchets
(Paquet économie circulaire)

COM (2014) 397 final - Texte E 9706

Proposition de résolution européenne
de MM. Michel Delebarre et Claude Kern

(Réunion du 4 novembre 2014)

M. Jean Bizet, président. - L'ordre du jour appelle, en premier lieu, l'examen d'une proposition de résolution européenne sur une proposition de directive visant à modifier la législation européenne en matière de déchets.

Ce texte s'inscrit dans un paquet plus global relatif à ce que l'on appelle l'économie circulaire. Nous aurons l'occasion de revenir ultérieurement sur l'ensemble de ce dispositif. Mais il est important que notre commission se saisisse en priorité de la question des déchets. Le projet de la Commission européenne concerne, en effet, au premier chef les déchets municipaux. Il y a donc là un enjeu important pour nos communes, notamment sur le plan financier.

Je remercie nos collègues Michel Delebarre et Claude Kern d'avoir étudié ce texte. Nous allons entendre leur communication. Dans un second temps, nous procéderons à l'examen de la proposition de résolution.

M. Michel Delebarre. - La Commission a présenté le 2 juillet 2014 une proposition de directive visant à modifier la législation européenne existante en matière de déchets. Ce texte révise ainsi six directives adoptées entre 1991 et 2012 fixant des objectifs en matière de tri et de recyclage des déchets.

Le projet de la Commission européenne n'est pas sans incidence pour les collectivités territoriales. Il convient d'en évaluer les effets, notamment financiers.

Le paquet économie circulaire :

Abordons tout d'abord le contexte dans lequel cette proposition s'inscrit, à savoir le paquet dit « économie circulaire ». Celui-ci comprend quatre communications destinées à préciser le concept d'économie circulaire et ses conséquences en matière de croissance.

La première communication présente ainsi une approche globale de l'économie circulaire, fixant un objectif de « productivité des ressources ». Elle entend de la sorte limiter les prélèvements sur les ressources naturelles - renouvelables ou non - et réorienter ainsi la croissance économique. Les deux communications suivantes abordent les opportunités induites par un tel changement de modèle économique, tant pour les entreprises que pour l'emploi. La Commission européenne attend de cette mutation la création de 2 millions d'emplois à l'horizon 2030. La dernière communication vise, quant à elle, l'amélioration des performances environnementales des bâtiments.

Une des clés pour parvenir à la mise en place de cette économie circulaire tient à une meilleure gestion des déchets à l'échelle européenne. La Commission européenne vise à la fois à réduire la production de déchets, à transformer les déchets en une source importante et fiable de matières premières pour l'Union Européenne, à récupérer l'énergie à partir des matériaux non-recyclables et à éliminer, dans la mesure possible, la mise en décharge.

Ce volet « déchets » du paquet « économie circulaire » est censé permettre de réaliser une économie de 55 milliards d'euros pour les entreprises et de créer dans le même temps 526 000 emplois. Cet apport n'est pour autant pas démontré dans l'étude d'impact. En ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, une réduction des émissions comprise entre 146 et 244 millions de tonnes est escomptée. Là encore, aucune justification n'est apportée à cette estimation assez large.

La directive « paquet déchets » :

Venons en plus en détail au projet de directive.

L'essentiel des objectifs proposés par la Commission européenne ont trait aux déchets municipaux. Ceux-ci, définis par le projet de directive, correspondent à l'ensemble des déchets dont l'élimination doit, par obligation légale, être assurée par les communes ou leurs regroupements. Cinq catégories de déchet sont ainsi concernées :

- Les ordures ménagères, soit les déchets issus de l'activité domestique quotidienne des ménages ;

- Les encombrants issus de l'activité domestique occasionnelle des ménages ;

- Les déchets de jardin, les feuilles, les tontes de gazon, les balayures de rue ;

- Ceux issus de l'entretien des espaces verts publics et des rues ;

- Les déchets industriels collectés et traités avec les ordures ménagères (déchets assimilés) : déchets des artisans, des commerçants, des établissements divers, collectés et éliminés dans les mêmes conditions que les ordures ménagères.

Les déchets qui ne sont pas collectés par les municipalités, mais directement par les producteurs dans le cadre de régimes de responsabilité du producteur ou ceux provenant des zones rurales non desservies par un service régulier de ramassage des déchets sont considérés comme des déchets municipaux.

Sont exclus de cette catégorie les déchets des réseaux d'égouts et des stations d'épuration ainsi que les déchets de construction et de démolition. Les déchets liés à l'assainissement collectif (boues des stations d'épuration des eaux, curage des réseaux) sont considérés en France comme des déchets municipaux. Les déchets de services de collecte municipale, intégrés dans le dispositif français, ne sont pas non plus visés par la proposition de directive.

Les déchets municipaux représentent 253 millions de tonnes, soit 500 kilos par habitant et par an au sein de l'Union européenne. 62 % (soit 157 millions de tonnes ou 310 kilos par habitant et par an) ne sont pas réemployés ou recyclés.

Quels sont les objectifs affichés par le projet de directive ? Force est de constater qu'ils sont très ambitieux.

La Commission européenne propose de porter à 70 % au minimum le taux de réemploi et de recyclage des déchets municipaux à l'horizon 2030.

A la même date, le taux de recyclage des déchets d'emballage devra, quant à lui, atteindre 80 %. Une telle ambition fait écho à l'augmentation des taux de collecte et de recyclage des emballages au sein de l'Union européenne entre 1998 - alors que l'Union européenne n'était composée que de 15 États membres - et 2011.

Pour le plastique, l'objectif fixé est de 60 % alors que pour le papier ou le fer, il est de 90 %.

La mise en décharge des déchets recyclables (plastiques, métaux, verre, papier et carton, déchets biodégradables) serait, quant à elle, interdite à partir de 2025. L'élimination de toute mise en décharge des déchets autres que résiduels est envisagée à l'horizon 2030. Les déchets résiduels sont les déchets issus d'une opération de valorisation, y compris le recyclage, qui ne peuvent pas être valorisés davantage et doivent être dès lors éliminés.

A ces objectifs contraignants, la Commission propose d'ajouter à titre indicatif une réduction de 30 % des décharges en mer d'ici 2020 et une réduction de 30 % du gaspillage alimentaire à l'horizon 2025.

Quels sont les moyens proposés par la directive pour atteindre ces objectifs ?

Le paquet « déchets » propose en premier lieu un certain nombre de dispositions techniques passant notamment par une harmonisation des définitions et des méthodes de calcul des statistiques déchets ainsi qu'à une modification des obligations en matière de rapports.

La Commission européenne relève, par ailleurs, de grandes différences entre États membres en matière de gestion des déchets municipaux. De fait, pour parvenir à une mise en oeuvre améliorée du nouveau dispositif, elle entend développer un système d'alerte précoce destiné à détecter les insuffisances et y remédier avant les échéances fixées par le texte. La Commission européenne présente alors des recommandations, que les États concernés doivent intégrer dans un plan de mise en conformité. Un report de trois ans peut alors leur être accordé.

La proposition de la Commission européenne prévoit également la mise en place d'exigences minimales pour le fonctionnement des régimes de responsabilité élargie du producteur (REP). Vous le savez, la REP a vocation à transférer aux producteurs de déchets, qu'ils soient fabricants, importateurs, ou distributeurs, la responsabilité, seuls ou en groupe, de la filière de traitement et d'élimination des déchets qu'ils ont produits. Ils peuvent assumer leur responsabilité de manière individuelle, ou collective dans le cadre d'un éco-organisme. Cette solution est la plus suivie en France, où 20 filières REP ont été mises en place. Il s'agit d'une application du principe « Pollueur-Payeur ». Les fabricants sont incités à prendre en compte les considérations environnementales tout au long du cycle de vie d'un produit. La prise en charge du coût de gestion des déchets n'est, en général, pas totale. 20 à 40 % des coûts peuvent ainsi rester à la charge des collectivités.

Enfin, en vue de parvenir à un recyclage optimal, la Commission européenne propose que les États membres mettent en place une collecte séparée des biodéchets d'ici à 2025.

Un texte en partie satisfaisant :

Que penser de cette proposition de directive ?

Le texte proposé par la Commission européenne constitue une indéniable avancée en faveur de l'économie circulaire. Il répond, par ailleurs, à l'approche retenue dans le domaine des déchets par la France.

Trois éléments méritent notamment d'être soulignés.

En premier lieu, il convient de saluer la volonté d'harmoniser les méthodes de calcul des statistiques européennes sur les déchets. Celles-ci diffèrent en effet d'un État membre à l'autre. Quatre méthodes existent en ce qui concerne le taux de recyclage. Ainsi, le taux français varie entre 38 et 45 %, en fonction de la méthodologie employée.

La définition des déchets municipaux répond, quant à elle et à une réserve près, à celle inscrite dans la loi française. Ce faisant, la Commission européenne bouleverse sa grille de lecture habituelle qui consistait en une opposition entre déchets dangereux et déchets non dangereux. Les négociations au Conseil et au Parlement européen permettront peut-être d'intégrer les déchets issus de l'assainissement collectif et les déchets de services de collecte municipale. Il s'agit en tout cas d'une des demandes formulées au sein de la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons aujourd'hui.

La mise en place d'un socle commun en matière de responsabilité du producteur constitue une troisième avancée. Cet encadrement est assez ambitieux puisqu'il insiste sur le fait que les contributions financières des importateurs de produits ou des producteurs couvrent la totalité des coûts de gestion des déchets, y compris ceux liés à la collecte ou au traitement séparés. Les REP devront également participer au financement de la lutte contre les décharges sauvages. Reste que la rédaction retenue par la Commission européenne n'est pas exempte d'ambiguïté en laissant entendre que les REP ne pourraient être mises en place que sur les territoires où la collecte et la gestion des déchets sont rentables. Il convient donc que l'universalité des REP et leur caractère non-lucratif soit clairement réaffirmés au sein de la directive.

Il convient enfin de saluer la volonté de la Commission européenne d'afficher un objectif de lutte contre le gaspillage alimentaire. Cette volonté rejoint celle de notre pays, quand bien même l'ambition est moindre : diminution de 30 % à l'horizon 2030 au sein de l'Union européenne contre 50 % d'ici 2025 en France.

Cet avis a priori positif est toutefois assorti de quelques réserves que va développer notre collègue Claude Kern.

M. Claude Kern. - Je suis en effet un peu plus sceptique sur l'équilibre général du texte et sur ses conséquences, notamment financières, pour les collectivités territoriales.

La mise en place d'une économie circulaire est un objectif qui doit rencontrer le plus large consensus. Il ne s'agit pas ici de remettre en question cette ambition. Il n'en demeure pas moins que les solutions préconisées ne répondent qu'imparfaitement à ce principe et que les objectifs affichés semblent trop ambitieux au regard de la réalité industrielle observable au sein de l'Union européenne. Plusieurs questions sont dès lors posées.

Des objectifs trop ambitieux :

Tout d'abord, les objectifs sont-ils tenables pour l'ensemble des États membres ?

Les objectifs fixés en matière de recyclage et de mise en décharge peuvent paraître très ambitieux au regard des performances constatées au sein de l'Union européenne.

Si des pays comme l'Allemagne ou l'Autriche ont statistiquement éliminé la mise en décharge des déchets municipaux, il convient de s'attarder sur les méthodes de calcul pour atteindre cette performance. En Allemagne comme en Autriche, les déchets font en effet l'objet d'un prétraitement avant leur mise en décharge. Ce prétraitement les classe de facto dans la catégorie des déchets industriels. La mise en décharge concerne par conséquent non plus des déchets municipaux mais bien des déchets industriels. L'objectif zéro déchet municipal en décharge est donc facticement atteint. L'exemple allemand ne peut pas, en tout état de cause, servir de référence à la Commission européenne pour promouvoir son objectif d'interdiction de mise en décharge des déchets municipaux à l'horizon 2030. Cet objectif apparaît par conséquent techniquement impossible à atteindre.

À l'inverse, les États membres entrés en 2004 et 2007, principalement à l'Est du continent placent plus de 70 % de leurs déchets en décharge. Les objectifs de la proposition de la Commission européenne peuvent donc apparaître inadaptés pour ces États tant en raison des délais proposés que des coûts qu'ils induisent. Le texte a en effet plus de pertinence dans le cadre de l'Union européenne à 15 États membres que dans celle à 28.

Dans ces conditions, il convient que la Commission européenne puisse mettre en place des objectifs différenciés selon les États membres, adaptés à leur situation au moment de l'entrée en vigueur de la directive. Dans le même ordre d'idée et compte tenu de l'harmonisation des méthodes de calcul, la réévaluation des objectifs de la proposition de directive, cinq ans après son entrée en vigueur, devrait également s'imposer.

Un manque d'ambition industrielle :

Ma deuxième interrogation porte sur l'adéquation de la filière industrielle de tri et de recyclage européenne à ces objectifs. Le cas français est assez éloquent : les 250 centres de recyclage des matières plastiques se limitent au retraitement des flaconnages et ne peuvent prendre en charge les barquettes et les films plastiques. Il convient donc de les moderniser, comme l'a souligné récemment l'Ademe.

La question du financement doit à ce titre être posée. La Commission européenne reconnaît d'ailleurs dans son étude d'impact que les investissements européens via les Fonds structurels ou la Banque européenne d'investissement visent plutôt la création de décharges ou d'incinérateurs. Cette incohérence a d'ailleurs été relevée par la Cour des comptes européenne.

Les règlements adoptés pour l'utilisation des fonds structurels pour la période 2014-2020 intègrent désormais la promotion d'une telle filière. Sans pour autant qu'elle ne soit chiffrée. Il convient, en tout état de cause, de mettre en place des financements adaptés, qui ne passent pas uniquement par les fonds structurels.

Au-delà de ces considérations statistiques, l'absence de déchets résiduels dans les décharges en 2030 peut également apparaître chimérique au regard même de la composition des poubelles des ménages. En effet, un tiers de celles-ci n'est pas recyclable.

Or, si la proposition de la Commission européenne insiste sur la valorisation matière, elle ne s'attarde pas sur l'autre volet de la valorisation des déchets, la valorisation énergétique. Celle-ci est pourtant la plus à même de réutiliser les déchets non recyclables. Elle peut, en outre, permettre à l'Union européenne de renforcer son indépendance énergétique à l'égard des pays émergents. Il convient donc de mettre en avant, dans la proposition de directive, la valorisation énergétique des déchets, au travers, notamment, d'un soutien aux filières dont les rendements dépassent 60 % aujourd'hui, afin qu'ils atteignent 70 % d'ici 2030.

Les conséquences financières pour les collectivités territoriales :

Ma troisième question, qui est une véritable inquiétude, a trait aux conséquences financières pour les collectivités territoriales.

La proposition de directive prévoit que les États membres mettent en place une collecte séparée pour les biodéchets, qui représentent un tiers des déchets contenus dans une poubelle. Ce qui suppose des pratiques de porte à porte qui pourraient s'avérer extrêmement coûteuses pour les municipalités. La collecte séparée des biodéchets et leur valorisation représenteraient en France un coût d'environ 400 euros par tonne pour les collectivités territoriales.

En imposant cette pratique, la Commission européenne écarte l'utilisation du traitement mécano-biologique (TMB), dispositif industriel de pré-traitement des ordures ménagères brutes qui permet de séparer les déchets organiques du reste. Le TMB permet ainsi une filière de valorisation biologique par compostage ou méthanisation. Ce faisant, la Commission européenne ne prend pas en compte les réalités du terrain, tant en milieu urbain où une collecte séparée est délicate à mettre en oeuvre qu'en milieu rural où il existe déjà une filière de récupération des déchets végétaux. Elle mésestime également la réalité des déchets, à l'image du cas du carton de pizza. Qui nettoiera son carton des résidus organiques qu'il peut contenir ?

Ce parti-pris en faveur de la collecte séparée souligne l'insuffisante prise en compte des collectivités territoriales dans la proposition de directive et dans l'étude d'impact qui lui est jointe. À ce titre, il y a lieu de s'interroger sur l'absence de référence au « principe de proximité » dans la gestion des déchets. Celui-ci est pourtant mis en avant par l'article 16 de la directive cadre sur les déchets de 2008. Il permet aux États de tenir compte des conditions géographiques ou du besoin d'installations spécialisées pour certains types de déchets. Il est par ailleurs regrettable que la Commission annonce une évaluation de la gestion des biodéchets après l'entrée en vigueur de la directive. Le calcul coût / efficacité de la collecte séparée sera donc effectué a posteriori !

Une vision linéaire de l'économie circulaire :

Ma quatrième interrogation concerne l'appréciation même de l'économie circulaire effectuée par la Commission européenne. Il s'agit d'une vision linéaire en fait. Il est en effet regrettable que le recyclage ne soit envisagé qu'en fin de vie des produits, au moment de la mise en décharge.

Aucun objectif contraignant n'est ainsi imposé aux producteurs ou aux importateurs de biens. Il est pourtant indispensable de les inciter à concevoir ou à vendre des produits écoresponsables.

L'introduction d'un objectif d'incorporation de 50 % de matières recyclées dans les biens mis sur le marché pourrait constituer une mesure incitative intéressante. La mise en place d'une taxe commune frappant tous les produits non recyclables vendus sur le marché européen, qui aurait notamment le mérite de concerner les produits importés, doit également être envisagée, même si un tel projet reste ambitieux.

Il est, par ailleurs, regrettable que la proposition de directive ne couvre pas totalement la question des déchets économiques. Parmi les déchets des activités économiques, seuls ceux produits par le secteur du bâtiment et des travaux publics sont concernés. Dans ces conditions, plus de 50 % des déchets produits en Europe ne sont pas soumis à des objectifs de valorisation.

Les marges de manoeuvre des États membres :

Ma dernière réserve porte sur les marges de manoeuvres laissées aux États membres pour mettre en oeuvre la directive une fois qu'elle sera adoptée.

La proposition de directive met en place un mécanisme d'alerte précoce en cas de manquement d'un État. Il est indispensable qu'il demeure un simple système d'alerte et n'autorise pas la Commission européenne à obliger certains États membres à adopter des dispositions, fiscales notamment.

L'annexe jointe à la proposition de directive, qui détaille ce mécanisme, permet de demander aux États membres d'adopter des mesures d'incitation comme l'instauration ou la majoration des taxes d'incinération sur les déchets recyclables ou l'augmentation progressive des taxes sur la mise en décharge pour toutes les catégories de déchets. La suppression de subventions contraires aux objectifs poursuivis est également envisagée. Il convient de rappeler que la fiscalité demeure de la compétence des États membres et que les recommandations de cet ordre adressées par la Commission européenne dans le cadre du mécanisme d'alerte précoce ne sauraient être, en conséquence, que non contraignantes.

Le texte de la Commission européenne renvoie également à des actes délégués dans un grand nombre de domaines. Il en va ainsi de la mise à jour de la liste des déchets ou des propriétés qui rendent les déchets dangereux. Une telle évolution n'est pas sans susciter de réserves d'autant qu'elle peut porter sur des domaines où l'on constate une absence de convergence entre les États membres.

Compte tenu de ces réserves mais aussi des points positifs mis en avant par notre collègue Michel Delebarre, nous vous proposons d'adopter la proposition de résolution européenne qui vous a été transmise.

M. Jean Bizet, président. - Je remercie tout d'abord les rapporteurs pour leur présentation. Il s'agit d'un sujet important pour nos collectivités territoriales.

M. Simon Sutour. - Je remercie également nos deux collègues pour leur rapport étayé et construit qu'ils nous ont présenté. Nous partageons tous, je pense, les positions qui sont exprimées dans cette proposition de résolution.

C'est évident en ce qui concerne les objectifs. Mon collègue Richard Yung m'indiquait qu'en Allemagne les ménages disposaient de cinq poubelles. L'emballage d'un yaourt ne bénéficie pas ainsi du même traitement selon qu'il s'agisse de la languette ou du pot. Cette collecte séparée exacerbée m'apparaît être un objectif difficilement atteignable à court terme dans la plupart des États membres...

C'est également clair au sujet du coût induit pour nos collectivités territoriales, par ailleurs déjà bien affaiblies. Je partage la volonté des rapporteurs de trouver des solutions de financements européennes. Je crains qu'elles ne se limitent cependant aux fonds structurels existants et qu'aucune enveloppe spécifique ne soit dédiée à la poursuite des objectifs de cette proposition de directive.

Je salue donc cette proposition de résolution complète que nous allons sans doute adopter sans modification. Reste à savoir ce qu'elle va devenir au sein même du Sénat. Aux termes de la procédure d'examen définie par le Règlement du Sénat, elle va être transmise à la commission du développement durable. Nous avions obtenu par le passé de certaines commissions permanentes qu'elles n'amendent pas le dispositif que nous avions adopté. Je souhaite que cette tradition perdure ! Dans le cas contraire, on observe que les modifications proposées ne sont pas substantielles et équivalent plus à une perte de temps qu'autre chose...

En tout état de cause, je souhaite que le contenu de cette proposition de résolution européenne qui sera adressée au Gouvernement soit intégré au sein d'un avis politique. Celui-ci est, comme vous le savez, transmis directement à la Commission européenne. Il permet ainsi d'installer un dialogue direct avec la Commission.

M. Jean Bizet, président. - Je souscris à cette approche. L'avis politique nous permet en effet de créer les conditions d'un échange direct avec la Commission européenne. Espérons simplement que la nouvelle Commission Juncker soit plus rapide à nous répondre que la Commission Barroso...

Je vous ai fait distribuer une petite note qui récapitule la procédure d'adoption d'une proposition de résolution européenne. La commission du développement durable dispose d'un délai d'un mois pour examiner ce texte. À l'expiration de ce délai, le texte devient résolution du Sénat. Elle peut auparavant s'en saisir et l'amender. Un examen en séance publique peut par ailleurs être demandé.

Mais revenons au texte de cette résolution qui comprend trente-deux points. Deux doivent être particulièrement soulignés. Le premier, le point 27, insiste sur les conséquences financières supportées par les collectivités territoriales. Le second, le point 31, s'attarde sur le recours aux actes délégués. Cette problématique a été régulièrement soulevée par notre commission au cours de ces dernières années.

Les objectifs affichés par la proposition de directive nous renvoie à ceux atteints par des pays peut être plus vertueux que nous... Ils seront peut-être atteignables à moyen sinon long terme...

M. Michel Delebarre. - Mais nous ne sommes pas si mal positionnés en Europe ! Nous n'avons à rougir ni de nos performances ni des objectifs que nous nous sommes assignés. C'est ce qui rend d'ailleurs notre proposition de résolution encore plus crédible à l'égard de nos partenaires européens. Le vrai problème concerne plutôt les États membres qui ont adhéré à l'Union européenne au cours de la décennie précédente. C'est une douce illusion de croire qu'ils seront aux rendez-vous des objectifs affichés par la Commission européenne.

M. Jean Bizet, président. - Cela passe peut être par l'éducation...

M. Richard Yung. - Certainement !

M. Simon Sutour. - Ils demanderont des moyens financiers pour y parvenir...

M. Claude Kern. - L'éducation a aussi ses revers En Allemagne, le tri du verre est différencié devant le conteneur : verre blanc, verre brun et verre vert sont ainsi séparés... Reste que le contenu est lui versé dans la même benne, faute de solution industrielle adaptée... Lorsque j'interroge mes voisins allemands sur l'utilité d'un tel tri séparé et l'opportunité d'un retour à la situation antérieure où tous les verres étaient jetés ensemble, on m'indique que la population ne pourrait le comprendre, au nom justement de cette éducation en faveur du tri.

M. Richard Yung. - L'Allemagne dispose même de contrôleurs du tri...

M. Michel Mercier. - En Rhône-Alpes aussi...

M. Jean Bizet, président. - Il y a déjà beaucoup trop de contrôleurs en France, n'allons pas en créer de nouveaux ! Ce n'est pas, en tout cas, le trente-troisième point de cette proposition de résolution...

Je vous propose donc d'adopter cette proposition de résolution européenne en l'état et de la transformer parallèlement en avis politique.

*

À l'issue de ce débat, la commission a adopté à l'unanimité la proposition de résolution européenne suivante :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la directive 2008/98/CE, du 19 novembre 2008, relative aux déchets,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets, la directive 94/62/CE relative aux emballages et aux déchets d'emballages, la directive 1999/31/CE concernant la mise en décharge des déchets, la directive 2000/53/CE relative aux véhicules hors d'usage, la directive 2006/66/CE relative aux piles et accumulateurs ainsi qu'aux déchets de piles et d'accumulateurs et la directive 2012/19/UE relative aux déchets d'équipements électriques et électroniques (COM (2014) 397 final),

Approuvant l'objectif de mise en place à terme d'une véritable économie circulaire au sein de l'Union européenne, fondée notamment sur des produits mieux conçus pour répondre aux exigences du développement durable et une valorisation adaptée des déchets ;

Appuyant l'objectif de lutte contre le gaspillage alimentaire contenu dans la proposition de directive ;

Soulignant que le dispositif proposé peut avoir des répercussions sur le fonctionnement et le financement des collectivités territoriales ;

Saluant les avancées indéniables contenues dans la proposition de directive qu'il s'agisse de l'harmonisation des méthodes de calcul des statistiques relatives aux déchets ou de l'introduction dans le droit européen de la notion de déchets municipaux ;

Appuyant la mise en oeuvre d'un encadrement européen du principe de responsabilité élargie du producteur ;

Regrettant que les objectifs assignés à l'ensemble des États membres s'appuient sur des statistiques passées non harmonisées et non consolidées ;

Constatant que l'écart entre les performances des États membres en matière de collecte, de traitement et de recyclage des déchets est assez marqué ;

Observant que l'interdiction de toute mise en décharge des déchets autres que résiduels à l'horizon 2030 apparaît techniquement impossible ;

Relevant l'insuffisante prise en compte des collectivités territoriales dans la proposition de directive et dans l'étude d'impact qui lui est jointe, notamment en ce qui concerne l'augmentation des coûts liée à la mise en place d'une collecte séparée des biodéchets ;

Considérant que la valorisation énergétique des déchets n'est pas suffisamment mise en avant par la proposition de directive, alors qu'elle permettrait de mieux répondre aux objectifs ambitieux assignés à l'ensemble des États membres tout en renforçant l'indépendance énergétique de l'Union européenne ;

Constatant l'absence d'ambition industrielle de l'Union européenne en faveur du développement des filières de tri et de recyclage, indispensable pour atteindre les objectifs chiffrés ;

Relevant que la proposition de directive n'assigne aucun objectif en matière de tri et de recyclage des déchets économiques, alors que ceux-ci représentent plus de 50 % des déchets produits en Europe ;

Observant que la proposition de directive n'émet aucun objectif en faveur d'une conception écoresponsable des produits ;

Constatant que le mécanisme d'alerte précoce mise en place dans l'annexe VIII de la proposition de directive peut conduire la Commission européenne à obliger certains États membres à adopter des dispositions fiscales ;

Regrettant un recours important aux actes délégués, notamment pour mettre à jour la liste des déchets visés par la proposition de directive ;

Encourage la Commission européenne à mettre en place des objectifs différenciés selon les États membres, adaptés à leur situation au moment de l'entrée en vigueur de la directive ;

Souhaite la réévaluation des objectifs de la proposition de directive, cinq ans après l'entrée en vigueur de la directive et l'harmonisation des méthodes de calcul qu'elle contient ;

Invite à réviser la définition des déchets municipaux, proposée par la Commission européenne, pour y intégrer les déchets liés à l'assainissement collectif et les déchets de services de collecte municipale ;

Entend que soit rappelé le caractère universel du principe de responsabilité élargie du producteur, qui s'applique donc à tous les territoires, ainsi que sa dimension non-lucrative ;

Préconise l'affectation d'une partie de financements européens en faveur de la filière industrielle du tri et du recyclage ;

Appelle à la mise en place d'objectifs précis en matière de valorisation des déchets économiques ;

Insiste pour que soit laissé aux États membres le soin de déterminer les modalités de collecte des biodéchets ;

Demande que les conséquences financières de l'entrée en vigueur de la directive pour les collectivités territoriales, et en particulier les communes, soient précisément évaluées et prises en compte dans les négociations ;

Invite à une plus grande responsabilisation des acteurs économiques en vue de mieux concevoir des produits écoresponsables via l'introduction d'une taxe frappant tous les produits non recyclables vendus sur le marché européen et l'introduction d'un objectif d'incorporation de 50 % de matières recyclées dans les biens mis sur le marché ;

Souhaite la mise en avant, dans la proposition de directive, de la valorisation énergétique des déchets, au travers, notamment, d'un soutien aux filières dont les rendements dépassent 60 % aujourd'hui, afin qu'ils atteignent 70 % d'ici 2030 ;

Rappelle que la fiscalité demeure de la compétence des États membres et que les recommandations de cet ordre adressées par la Commission européenne dans le cadre du mécanisme d'alerte précoce ne sauraient être, en conséquence, que non contraignantes ;

Demande que soit limité le plus possible et dûment justifié le recours aux actes délégués ;

Invite le gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.