COM (2015) 579 final  du 24/11/2015

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 02/12/2015


Agriculture et pêche

Texte E 10752

Proposition de règlement du Conseil établissant, pour 2016, les possibilités de pêche applicables en mer Noire pour certains stocks halieutiques

COM (2015) 579 final

Proposition de résolution européenne de M. Jean Bizet

(Réunion du 10 décembre 2015)

M. Jean Bizet, président. - Nous avons été sollicités par les professionnels de la pêche, inquiets de la diminution des stocks de bar, mais aussi des mesures que la Commission européenne entend prendre en la matière. En effet, la pêche est une politique commune et la conservation des ressources halieutiques, une compétence exclusive de l'Union. La Commission européenne a ainsi présenté, en novembre, une proposition de règlement du Conseil établissant, pour 2016, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques. Si la définition des objectifs et l'adoption de plans pluriannuels relèvent de la procédure législative ordinaire (codécision du Parlement européen et du Conseil), les quotas de pêche, les totaux admissibles de capture (TAC) et les tailles minima des prises dépendent de règlements du Conseil - c'est le cas du présent texte -, les mesures d'urgence comme la suspension des pêches étant adoptées par la Commission sous forme de règlements d'exécution.

Poisson emblématique des côtes françaises, le bar est apprécié des pêcheurs professionnels parce que c'est un poisson à haute valeur ajoutée, ainsi que des pêcheurs occasionnels - la pêche récréative est très importante. En 2005, l'Ifremer, qui estimait à 900 000 le nombre de pêcheurs du dimanche, indiquait que les volumes de prise des deux formes de pêche étaient comparables. La pêche au bar a beaucoup augmenté depuis le début des années 2000, les stocks se sont taris, et la France, dès 2012, a demandé à la Commission européenne d'intervenir.

Jusqu'à cette année, la pêche au bar était très peu réglementée : seule s'appliquait la réglementation sur la taille des prises. Or, le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) a confirmé l'an passé le déclin rapide du stock de bar, soulignant que la pêche prélevait quatre fois plus que le stock ne pouvait supporter pour se reproduire et que le stock reproducteur atteignait son point le plus bas jamais observé. Dès lors, quatre mesures ont été prises : en janvier, la Commission a fermé la pêche au bar pour trois mois ; en mars, le Conseil a limité la pêche récréative à trois bars par personne et par jour ; en juin, le Conseil a fixé des limites mensuelles de débarquement par type de pêche ; en juillet, la Commission a porté de 36 à 42 centimètres la taille minimum des prises.

La proposition de règlement durcit le dispositif en interdisant la pêche au bar dans certaines zones correspondant aux côtes ouest de l'Irlande et du Royaume-Uni ; en l'interdisant du 1er janvier au 30 juin 2016 dans les zones Nord, qui sont des zones de pêche des navires français ; en limitant la pêche résiduelle par chalut à 1 % du poids total des captures ; en fixant un plafond de capture à une tonne mensuelle par navire pendant la période autorisée ; en limitant les prises de la pêche récréative à un bar par jour et par pêcheur.

Nous ne saurions nier l'urgence de remédier à la diminution des stocks, l'espèce est menacée, c'est un risque pour la biodiversité et aussi pour l'activité des pêcheurs ; cependant, la Commission me paraît aller trop loin et manquer de discernement entre les différents types de pêche : une limitation drastique y compris pour la pêche à l'hameçon risque de tuer la petite pêche artisanale française, qui n'est pas à l'origine de la surpêche.

Premier sujet, la pêche résiduelle des chaluts, c'est-à-dire les bars pris involontairement parmi d'autres poissons : la Commission fixe un plafond de 1 %, les professionnels nous alertent sur le fait que ce plafond est trop bas ; je vous propose de demander 3 %.

Second sujet, la petite pêche artisanale, qui est la première victime de la surpêche ; en dix ans, les captures de la pêche française professionnelle ont augmenté de 80 %, cette hausse vient essentiellement de la pêche au chalut, qui a vu sa part progresser de 55 à 80 %, soit 2 500 tonnes par an. Dans le même temps, les pêches des fileyeurs et des différents métiers de l'hameçon sont restées pratiquement stables, à moins de 500 tonnes annuelles, dont 200 tonnes pour les ligneurs - une pêche bien plus élégante et sportive que celle au chalut.

Dans ces conditions, une interdiction de pêche pendant six mois est tout à fait disproportionnée par rapport à l'impact de cette petite pêche sur le stock et elle menace même la survie de ce secteur d'activité, alors que les chalutiers peuvent, eux, se reporter sur d'autres espèces. Il faut des aménagements, dans le sens même du règlement de base de la politique commune de la pêche qui appelle les États à « s'efforcer d'accorder un accès préférentiel aux pêcheurs qui pratiquent la pêche à petite échelle, artisanale ou côtière ».

Je vous propose donc d'appeler à proportionner la mesure d'interdiction à la responsabilité de chacun, en modulant la durée de fermeture selon les catégories de pêche et d'engins utilisés. L'interdiction pourrait ainsi être de six mois pour les chalutiers de fond et les senneurs, et de trois mois pour les métiers à l'hameçon, du 28 janvier au 30 avril, comme c'était le cas cette année.

Certains s'étonneront que notre commission examine un tel sujet, mais cela me paraît une marque du Sénat que de se pencher sur les sujets emblématiques de notre culture et les activités importantes pour nos territoires. Une telle contribution compte également pour les relations de notre Haute assemblée avec les professionnels, comme l'avait fait en son temps le groupe d'études sur la vigne et le vin en matière de réglementation des vins rosés.

M. Gérard César. - Avec succès !

M. Jean Bizet, président. - Une interdiction de pêche limitée à trois mois pour les fileyeurs et les ligneurs me paraît compatible avec la reproduction des bars, tout en donnant une chance à notre pêche artisanale de continuer à vivre grâce à ce poisson à haute valeur ajoutée.

M. Alain Vasselle. - L'assouplissement que vous demandez est-il bien adapté, alors que vous constatez la diminution de la population de bars ?

M. Jean Bizet. - Les ligneurs prélèvent 200 tonnes par an, c'est dix fois moins que les chaluts, je propose de maintenir les règles qui leur ont été appliquées cette année et qui ont été estimées de nature à renouveler les stocks.

M. Michel Billout. - Ce sujet est loin d'être anecdotique, puisqu'il mêle la reproduction d'une espèce et l'avenir de notre pêche artisanale. Les autorisations de pêche et les zonages sont annuels, ne pourrait-on pas demander des règles pluriannuelles, pour plus de visibilité ? On annonce, ensuite, qu'une série d'aides européennes à la pêche artisanale seraient arrêtées en 2017 : avec quelles conséquences et comment y faire face ?

Je suis gêné, enfin, par le relèvement des prises accessoires pour tout mode de pêche : n'est-ce pas un mauvais signe donné aux chalutiers alors qu'on vise d'abord à préserver le stock de bars ?

M. Jean Bizet, président. - Les prises résiduelles sont inévitables, il s'agit simplement de ne pas placer les pêcheurs dans l'illégalité parce qu'ils auront ramené quelques bars dans leur chalut.

M. Michel Billout. - Le tri est possible...

M. Jean Bizet, président. - Oui, mais le poisson est généralement trop abîmé, quand il arrive sur le pont, pour survivre si on le remet à la mer...

M. Michel Billout. - À ce compte-là, pourquoi pas 10 % ?

M. Jean Bizet, rapporteur. - Les professionnels nous demandaient d'aller à 5 %, le seuil de 3 % me paraît raisonnable : à eux de faire attention à ne pas jeter leur chalut dans des zones à risque. Le bar ne relevait et ne relève toujours pas des TAC, contrairement au voeu exprimé par la France, mais il est soumis à une réglementation européenne ad hoc qui est drastique mais ce qui nous importe ici, c'est de ne pas tuer la pêche artisanale, laquelle ne menace pas la ressource par ses prélèvements. Une interdiction de trois mois est équilibrée, puisqu'elle permet aux bars de se reproduire... et aux pêcheurs de vivre de leur pêche artisanale.

M. Michel Billout. - La demande d'élever le seuil à 3 % continue de me gêner.

M. Alain Vasselle. - Le voudriez-vous à 5 % ?

M. Michel Billout. - Non, je n'en fais pas un obstacle, mais je tenais à le signaler. Ne peut-on pas, ensuite, demander des règles pluriannuelles ?

M. Jean Bizet, rapporteur. - C'est ce que la France demandait initialement. La Commission européenne propose des mesures pour 2016, mais il est fort probable qu'elles soient reconduites. Il faut aussi habituer les professionnels, comme nous l'avons fait dans mon département avec les producteurs de coquilles Saint-Jacques : nous les avons associés aux campagnes d'ensemencement, la gestion de la ressource s'en est trouvée améliorée. Cela dit, j'accepterais très volontiers d'ajouter un alinéa à notre proposition, pour souhaiter que les règles, en fonction de leurs résultats, puissent être reconduites les années suivantes.

M. Philippe Bonnecarrère. - Nous parlons de 2 % de 2 000 tonnes sur deux trimestres...

À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne suivante, ainsi qu'un avis politique qui en reprend les termes et qui sera transmis à la Commission européenne.

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88 4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil établissant, pour 2016, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l'Union et, pour les navires de l'Union, dans certaines eaux n'appartenant pas à l'Union (COM (2015) 559 final),

Considérant que l'évolution du stock de bars dans certaines zones de pêche, notamment dans la zone dite « zone nord », appelle, d'urgence, des mesures visant à réguler cette pêche,

Considérant toutefois que la proposition de règlement de la Commission européenne établit des restrictions de pêche pour l'ensemble de la pêche au bar, sans prendre en compte les responsabilités des différents modes de pêche sur l'évolution du stock,

Considérant que la période d'interdiction de pêche de six mois est manifestement disproportionnée par rapport à l'impact de la pêche à l'hameçon sur l'état du stock,

Soulignant que le considérant 19 du règlement de base de la politique commune de la pêche (règlement 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil relatif à la politique commune de la pêche du 11 décembre 2013) rappelle que « les États membres devraient s'efforcer d'accorder un accès préférentiel aux pêcheurs qui pratiquent la pêche à petite échelle, artisanale ou côtière »,

Rappelant que l'article 17 dudit règlement dispose que lors de l'attribution des possibilités de pêche, « les États membres utilisent des critères transparents et objectifs, y compris les critères à caractère environnemental, social et économique »,

Souhaite que la période d'interdiction de pêche soit modulée selon les différents types de pêche ;

Estime que l'article 10 § 2 de la proposition de règlement devrait être réécrit en conséquence et que si la période d'interdiction de six mois, fixée du 1er janvier 2016 au 30 juin 2016, est fondée pour les navires déployant des chaluts et des sennes, cette période pourrait être ramenée à trois mois, du28 janvier 2016 au 30 avril 2016, pour les métiers à l'hameçon ;

Considère que, au même article, le pourcentage de prises accessoires autorisé pendant cette période d'interdiction pourrait être relevé de 1 à 3 % du poids total des captures des organismes marins détenus à bord ;

Souhaite que l'impact de ces mesures soit analysé après un an et que ces dispositions soient pérennisées si besoin ;

Invite le Gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans la négociation en cours.