Mercredi 21 juin 2006

- Présidence de M. Jean-Paul Emorine, président, puis de M. Gérard César, vice-président.-

Organisations syndicales - Audition de MM. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière (FO), et Didier Hotte, assistant confédéral

La commission a procédé à l'audition de MM. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière (FO), et Didier Hotte, assistant confédéral.

M. Jean-Paul Emorine, président, l'ayant invité à présenter les réflexions de son organisation syndicale sur les réponses pouvant être apportées en France aux défis de la mondialisation, M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière (FO), a d'abord souligné que, par principe et par tradition, Force ouvrière n'était pas opposée à l'internationalisation et que l'évolution sémantique conduisant à parler aujourd'hui de mondialisation, voire de globalisation, était révélatrice de la modification des relations internationales intervenues ces dernières décennies. Il a ensuite fait part de quatre constats.

Rappelant que FO avait été créée pour préserver la liberté syndicale et pour lutter contre le système communiste, il a souligné que l'effondrement de celui-ci avait créé de profonds déséquilibres au plan international donnant le sentiment qu'il n'existait plus d'alternative au modèle libéral de l'économie de marché. Estimant pour sa part qu'il ne s'agissait en réalité que d'une période intermédiaire entre deux situations plus ou moins stabilisées et équilibrées, il a considéré que des choix alternatifs étaient possibles et que le fonctionnement actuel de la mondialisation n'était pas inéluctable.

Puis M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a indiqué que, pour être moins médiatique que celle du mouvement dit altermondialiste, la créativité du syndicalisme au niveau international n'était pas moindre, et qu'elle était ancienne. Il a ainsi précisé que FO participait, depuis sa création, à la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), ce qui, outre les contacts avec les autres organisations syndicales nationales, lui permettait de travailler avec et au sein des organisations internationales telles que le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou encore l'Organisation internationale du travail (OIT). Il a souligné à cet égard que son prédécesseur, M. Marc Blondel, siégeait encore aujourd'hui au conseil d'administration du Bureau international du travail (BIT). Il a également relevé que FO était membre de la Confédération européenne des syndicats ainsi que du Conseil syndical consultatif placé auprès de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et qui, à ce titre, participait à la préparation des G8 et assistait à leurs réunions.

Faisant ensuite état des revendications exprimées par le syndicat au plan international, M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a insisté sur la « clause sociale » consistant à rendre obligatoire, dans le cadre d'un dispositif de contrôle et de sanctions, l'application des cinq normes fondamentales de l'OIT : la liberté d'association des salariés comme des employeurs, la liberté de négociation, la non-discrimination à l'emploi, l'interdiction du travail des enfants et celle du travail forcé. Souhaitant que l'Union européenne et la France aillent au-delà des discours et des bonnes intentions, il a indiqué que FO demandait que les conventions internationales édictant ces normes sociales, qui touchent aux libertés fondamentales, soient intégrées dans les critères de conditionnalité des organisations mondiales autres que l'OIT, telles que le FMI ou l'OMC.

Enfin, il a souligné que son organisation soutenait la pratique contractuelle au niveau tant national et européen qu'international. Se déclarant circonspect quant à la notion de « responsabilité sociale » des entreprises, il a préconisé la signature d'accords entre les firmes multinationales et les fédérations syndicales internationales afin de favoriser la diffusion des bonnes pratiques sociales, notamment dans les pays émergents s'ouvrant au libéralisme économique, par exemple en Chine, où les libertés d'association et de négociation sont encore inexistantes.

En conclusion, M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a relevé que son organisation n'était pas pusillanime face à la mondialisation, mais que son attitude dépendait essentiellement des conditions dans lesquelles elle s'exerçait. A cet égard, rappelant, en s'appuyant sur l'exemple de la situation internationale au début du XXe siècle, qu'il n'existait pas de corrélation obligatoire entre le développement des échanges commerciaux internationaux et la paix mondiale, il a souligné l'importance de l'édiction de règles et de normes multilatérales pour que ce lien existe et soit solide.

A l'issue de cet exposé, M. Gérard Bailly, après avoir jugé positif que les organisations syndicales s'estiment concernées par les problèmes internationaux, a demandé si des accords entre multinationales et fédérations syndicales internationales avaient déjà été formalisés, quel était le sentiment du secrétaire général face aux décisions de restructuration de sites encore apparemment rentables prises par des entreprises pour anticiper les difficultés et ne pas compromettre l'avenir, et quelle était sa position quant à la participation des salariés au capital de leur entreprise.

Tout en souscrivant aux constats et réflexions de l'intervenant sur la mondialisation, M. Jean Bizet a indiqué qu'il lui semblait qu'ils n'étaient pas exactement en accord avec les pratiques syndicales observées au plan national. Sans même parler de cogestion, il a estimé qu'un partenariat plus constructif entre les organisations syndicales et les décideurs économiques et politiques permettrait de mieux armer la France face à la mondialisation.

Evoquant sa participation à la délégation parlementaire française ayant assisté à la Conférence de l'OMC à Hong Kong en décembre dernier pour souligner combien l'accélération de la mondialisation pouvait être déstabilisante, M. Dominique Mortemousque a demandé comment rendre plus crédibles l'action politique et l'action syndicale visant à favoriser l'équilibre des relations entre les grands blocs (Etats-Unis, Union européenne, pays d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine).

En réponse, M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a indiqué que :

- si l'idée de « clause sociale » avançait lentement, mais régulièrement au plan international, quelques accords ayant été déjà signés entre la CISL et certaines multinationales dans les secteurs de la métallurgie et de l'alimentation notamment, il restait encore beaucoup de chemin à parcourir pour atteindre les ambitions souhaitées ;

- si l'anticipation des responsables d'entreprises n'était pas condamnable en elle-même, il convenait d'examiner dans quelles conditions sociales elle était mise en oeuvre. Or, à cet égard, les réflexions sur les perspectives en matière de métiers et de qualifications n'avaient été entreprises par l'ex-Commissariat général du Plan, à l'initiative d'ailleurs de FO, que depuis une demi-douzaine d'années seulement, et les instruments d'observation et d'anticipation à moyen terme étaient encore aujourd'hui trop peu nombreux ;

- l'un des effets pervers de la mondialisation actuelle était le recul du politique au profit de la stricte logique de marché, dictée par des considérations financières à court terme qui, comme le révélait désormais clairement le problème posé par le principe même des stock-options, bien plus que par leur niveau faramineux, sacrifiaient l'investissement à la recherche de la rentabilité immédiate du capital ;

- bien que pouvant être amenée à signer des accords d'intéressement et de participation, FO n'était pas favorable, par principe, à l'actionnariat des salariés dans leur propre entreprise, estimant qu'il convenait de donner la priorité aux salaires, qu'il ne fallait pas entretenir la confusion entre les deux types de revenus et que la participation posait un problème de schizophrénie au salarié-actionnaire dans le partage de la valeur ajoutée ; à ces observations, M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a ajouté qu'à titre personnel, il lui semblait dangereux de faire dépendre tous ses revenus d'une seule et même entreprise ;

- Force ouvrière regrettait la disparition du débat économique en France, l'économie étant présentée comme une science exacte structurée par des normes non discutables - telles que les ratios communautaires de 3 % de déficit public ou de 60 % d'endettement public - qui contraignaient les décideurs à chercher des marges de manoeuvre sur le terrain social ; au contraire, M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a considéré que l'économie était une science sociale qui, à ce titre, laissait la voie ouverte à des débats et à des choix justifiant la prise de décisions politiques ;

- son organisation syndicale ayant une conception exigeante de la négociation, gage de son indépendance, elle ne s'engageait que sur des compromis satisfaisants, c'est-à-dire des accords lui semblant apporter quelque chose de positif pour les salariés.

Enfin, prenant la création de la monnaie unique et de la Banque centrale européenne comme exemple de l'abandon d'outils économiques par les pouvoirs publics, qui se privent ainsi de facultés d'ajustement, M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, a repris à son compte la formule de M. Luc Ferry qualifiant de « dépossession démocratique » le processus observé depuis une vingtaine d'années et ressenti comme tel par les citoyens, avant que d'exprimer le voeu que le débat économique soit réhabilité pour ne pas laisser au seul champ social le fardeau des ajustements.

Ouvrant une seconde série de questions, M. Marcel Deneux s'est interrogé sur l'appréciation de FO quant à la participation des salariés dans les entreprises à statut coopératif.

M. Michel Teston, après avoir considéré que la société française se caractérisait aujourd'hui par le déchirement de son tissu social, sa mauvaise intégration des immigrés, la primauté de l'économique sur le politique, la grande faiblesse du syndicalisme et une défiance jusqu'alors inégalée des citoyens à l'égard des hommes et des femmes politiques, du syndicalisme et de la presse, a demandé comment agir sur le terrain économique et social pour rétablir les « fondamentaux positifs » et éviter un embrasement dont le 21 avril 2002, comme les récentes émeutes dans les banlieues, ont été, selon lui, les prémisses.

Observant que le terme de mondialisation était devenu le maître-mot et que toute personne qui doutait de ses bienfaits était jugée passéiste et « ringarde », M. François Fortassin s'est inquiété des risques courus par les entreprises de très nombreux secteurs qui, ayant exporté leurs technologies pour des gains de court terme, avaient créé à l'étranger les conditions d'une concurrence pouvant à long terme les conduire à leur perte.

Enfin, M. Gérard César, vice-président, a demandé quelle était la position de FO sur le projet de fusion entre les entreprises Gaz de France (GDF) et Suez.

Remplaçant M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, M. Didier Hotte, assistant confédéral, a apporté les réponses suivantes :

- tout en relevant que les sociétés coopératives ouvrières de production avaient un lien historique très fort avec le mouvement syndical, il a estimé que les rapports sociaux entre les salariés et la direction devaient y être assis sur les mêmes principes que dans les autres entreprises ;

- observant qu'au cours de l'histoire, la mondialisation s'était souvent entendue comme le développement du commerce par la force des armes, il a estimé que l'évolution récente, bien que plus satisfaisante à cet égard, était encore loin de convenir totalement ; il a en outre regretté que le multilatéralisme cède de plus en plus souvent le pas aux relations bilatérales, les Etats-Unis usant en particulier de cette voie pour favoriser la pénétration des grandes multinationales dans les pays émergents ;

- s'agissant de l'intégration des immigrés, qu'il a lui aussi souhaitée meilleure, il a présenté les programmes de formation à l'action syndicale menés par FO tant en France qu'à l'étranger, avant que de se demander si certains pays africains, où une sorte d'élite salariale est très correctement protégée, tandis que la majorité des salariés ne dispose pas des droits fondamentaux, ne servaient pas de « laboratoires » à des pratiques que d'aucuns souhaiteraient imposer dans les pays développés ;

- après avoir récusé la tentation de rendre obligatoire l'affiliation syndicale pour faire face à la faiblesse du syndicalisme français, estimant que l'action syndicale ne pouvait être que l'exercice d'une liberté, il a souligné que la force du syndicalisme ne s'appréciait pas seulement à l'aune des effectifs, mais aussi à celle de l'utilité et des pouvoirs de l'action syndicale ; il a ainsi fait observer que si les Unions britanniques regroupaient plusieurs millions d'adhérents, elles avaient, depuis l'époque où Mme Thatcher était Premier ministre, des capacités d'action extrêmement réduites, tandis que le syndicalisme italien était essentiellement lié au fait que le bénéfice de l'action sociale, et en particulier du système des retraites, passait par l'adhésion syndicale ; il a ajouté que si toute amélioration des moyens de fonctionnement et de présence des syndicats dans les entreprises et les quartiers était évidemment bonne à prendre pour renforcer leurs capacités d'intervention, le jugement sur l'efficacité d'un système devait surtout se faire au regard de ses résultats ; à ce titre, il a estimé que la situation des salariés français n'était pas moins favorable, globalement, que celle de leurs collègues de pays où le taux de syndicalisation était beaucoup plus élevé et, prenant l'exemple de la récente contestation du contrat de première embauche (CPE), il lui a semblé que les jeunes et les citoyens avaient accordé un réel crédit aux analyses syndicales ; en tout état de cause, il a considéré que, pour éviter la répétition des problèmes, notamment ceux subis l'an dernier dans les banlieues, il était nécessaire de reconnaître des droits aux citoyens et aux salariés, et que le syndicalisme ne pouvait pas tout prendre à sa charge, le politique ayant également sa part de responsabilité à assumer ;

- s'agissant de la logique de prédateurs économiques suivie par les grandes multinationales à la faveur de la mondialisation, il a estimé qu'il revenait aux Etats nationaux de lui opposer d'autres logiques plus respectueuses des droits et des intérêts des citoyens ; à cet égard, il a souligné que la compétitivité passait aussi par l'exportation des droits sociaux, et pas seulement des technologies ou des capitaux ;

- enfin, en ce qui concerne le projet de fusion GDF/Suez, il a regretté le délitement de la conception du service public et estimé que l'ouverture du marché communautaire de l'énergie avait été insuffisamment pensée au niveau européen au regard des conséquences qu'elle pouvait entraîner sur l'indépendance énergétique des Etats membres comme sur l'approvisionnement des populations et des entreprises à des coûts raisonnables ; il a également indiqué comprendre à la fois les personnels de GDF, attachés comme lui à la pérennité du service public et favorables à d'autres options, telles que la fusion EDF/GDF, et les salariés de Suez, inquiets du démantèlement probable de leur entreprise en cas d'achat par un groupe étranger, qu'il soit communautaire ou non, et donc favorables à la fusion GDF/Suez.

Reprenant la parole, M. Gérard Bailly a souhaité connaître la position de FO sur la TVA sociale comme moyen de répondre à l'aggravation des charges de protection sociale, de plus en plus renvoyées aux collectivités territoriales, notamment aux conseils généraux, en faisant participer les produits importés au nécessaire financement.

Par ailleurs, réagissant aux propos de l'intervenant sur la fusion GDF/Suez, M. René Beaumont a estimé qu'il était impossible de présumer que la libéralisation du marché de l'énergie allait entraîner une augmentation des prix, le secteur des télécommunications ayant au contraire démontré que la libéralisation conduisait à une baisse des tarifs pour les consommateurs. Il a en conséquence jugé nécessaire qu'une enquête parlementaire vienne examiner les raisons de cette situation particulière sur le marché énergétique. Puis il a relevé que si l'intersyndicale de Suez était unanime à soutenir le projet de fusion avec GDF, la mobilisation contre celle-ci, suscitée par certains syndicats au sein de l'entreprise publique, avait manifestement été peu suivie, puisque moins de 12 % de ses salariés s'étaient mis en grève hier.

Après avoir exprimé son opposition à la TVA sociale, qui serait selon lui un impôt non républicain puisque non progressif, M. Didier Hotte, assistant confédéral, a néanmoins convenu de la nécessité d'examiner le financement de nombreuses prestations sociales dont les collectivités territoriales se voient contraintes d'endosser la responsabilité sans bénéficier des transferts de ressources nécessaires dues par l'Etat en raison notamment de la LOLF. S'il a également récusé l'idée d'asseoir les cotisations sur la valeur ajoutée en raison des effets pervers d'un tel mécanisme sur l'investissement, il a en revanche indiqué que FO examinait, à partir d'études en cours, la proposition de faire varier l'assiette des cotisations patronales en fonction du rapport entre la masse salariale et la valeur ajoutée.

Quant à la fusion GDF/Suez, après avoir rappelé qu'il avait indiqué que tous les salariés de Suez y étaient effectivement favorables, il a souligné que FO y était opposée, contrairement à un autre syndicat, car elle estimait, d'une part, qu'aucune garantie sur les tarifs et sur la situation des personnels n'était apportée par le projet, et, d'autre part, que toutes les solutions n'avaient pas été totalement explorées, notamment celles des participations croisées, pour maintenir Suez hors de danger.

Commerce extérieur et international - Organisation mondiale du commerce - Examen du rapport d'information (OMC)

La commission a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Jean Bizet sur les négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

M. Jean Bizet, rapporteur, a rappelé que, le 8 février dernier, il avait présenté devant la commission un compte rendu des travaux de la sixième Conférence ministérielle de l'OMC, tenue à Hong Kong du 13 au 18 décembre 2005, et indiqué le programme 2006 des négociations du « Cycle de Doha » pour le développement, dans la perspective de la signature d'un accord au plus tard au début de 2007. Puis il s'est dit largement moins optimiste qu'il ne l'était voici quatre mois. Le consensus de Hong Kong, bien qu'obtenu à l'arraché et sans doute loin des ambitions initiales du « Cycle du Millénaire », avait non seulement le mérite d'exister, mais aussi celui de fixer un calendrier assez précis pour permettre aux négociateurs de conclure. Or, le semestre écoulé a été globalement improductif et le risque de l'échec est aujourd'hui bien présent. Faute d'avancées et d'entente sur les propositions chiffrées, la réunion qui devait se tenir à Genève à la fin du mois d'avril pour examiner les modalités de l'accord sur l'agriculture et sur les biens industriels a été annulée par M. Pascal Lamy, le directeur général de l'OMC. Et celle prévue au mois de juillet semble également sur de très mauvais rails, aucun des principaux Etats membres ne semblant décidé à faire les offres attendues de ses partenaires.

M. Jean Bizet, rapporteur, a relevé que, pour faciliter la recherche d'un accord, M. Pascal Lamy avait proposé de distinguer deux types de discussions. A titre principal, ce dernier demandait aux trois acteurs majeurs d'avancer ensemble sur les sujets dits « du triangle », chacun devant accepter de faire des concessions sur le sujet sur lequel il était en situation « défensive ». Pour l'Union européenne, il fallait faire un pas de plus sur l'accès au marché agricole, nonobstant la réforme de la PAC en 2003, l'offre conditionnelle du 25 octobre 2005 et le résultat de la Conférence de Hong Kong, qui a prévu la date de 2013 pour la fin des restitutions aux exportations. Les Etats-Unis, de leur côté, devaient accepter de réformer leurs soutiens internes agricoles ayant un fort effet distorsif sur les échanges commerciaux internationaux. Enfin, les pays émergents, et en particulier le Brésil et l'Inde, devaient accepter l'ouverture de leurs marchés aux produits industriels (le volet « Non Agricultural Market Access » dit NAMA). A titre secondaire, les autres sujets soumis à débat, connexes à ceux du « triangle » ou distincts de ceux-ci, étaient examinés dans des enceintes plus larges auxquelles participaient d'autres membres de l'OMC.

Or, les sujets du triangle ont buté sur un blocage, ni les Etats-Unis, ni le Brésil, ne semblant désireux d'avancer, le Président Bush ayant même changé son représentant il y a deux mois, une technicienne -dont l'adéquation au poste reste à démontrer- ayant remplacé un politique rompu aux négociations. Si bien que la réunion ministérielle de juillet, qui devait être consacrée à formaliser le pré-accord d'avril et à ouvrir le débat sur le thème des services, jugé essentiel par l'Union européenne, va devoir examiner l'ensemble des dossiers... si toutefois elle est convoquée !

M. Jean Bizet, rapporteur, a qualifié de dramatique cet enlisement qui signifie presque à coup sûr l'échec du « Cycle de Doha ». Il a rappelé qu'en effet, l'administration américaine ne disposait d'un pouvoir de négociation que jusqu'en juillet 2007, ce qui impliquait d'obtenir un accord au plus tard au tout début 2007, en raison des délais de ratification. Mais plus encore que l'échec du « Cycle du développement », il a dit redouter la remise en cause de l'OMC : dix ans après sa création, l'organisation, déjà confrontée à deux échecs (Seattle en 1999 et Cancún en 2003) se verrait incapable de conclure un cycle de négociations.

Aussi a-t-il jugé indispensable de réfléchir sur l'avenir de l'OMC, sur sa gouvernance et sur son fonctionnement, ce à quoi il a consacré la seconde partie de son rapport. C'est d'ailleurs, a-t-il rappelé, lorsque le cycle de négociations précédent (l'« Uruguay Round ») avançait laborieusement qu'a été prise la décision de créer l'OMC...

Une réforme institutionnelle de l'OMC pourrait-elle donc constituer un moyen détourné pour sortir de l'impasse ? A défaut d'accord sur la substance, peut-on favoriser le processus menant à un tel accord ?

Avant de répondre à ces questions, il s'est interrogé sur la nécessité même de conclure le cycle de négociations. Que risquerait-on, finalement, à voir péricliter le « Cycle de Doha » ? Sans évoquer le manque à gagner économique, largement débattu comme l'ont montré les sénateurs Daniel Soulage et Jean-Pierre Plancade dans un rapport de la délégation pour la planification paru en décembre dernier, il a affirmé que le danger majeur d'un échec de Doha était que les relations commerciales se bilatéralisent et se judiciarisent.

Présentant la bilatéralisation comme un premier écueil, il a relevé que les accords bilatéraux ou régionaux proliféraient depuis quelques années et qu'un échec des négociations multilatérales engagées à Doha amènerait plus encore les Etats à se rabattre sur cette alternative régionale. D'ores et déjà, le nombre d'accords préférentiels en application fin 2006 devrait avoisiner 300. Ceci accroît la confusion du système commercial mondial, de multiples taux préférentiels étant appliqués à de multiples partenaires commerciaux selon des calendriers différents, et l'origine des produits étant définie selon des règles diverses. Cette confusion augmente les coûts transactionnels des échanges dans le système commercial. En outre, la prolifération incontrôlée de tels accords tend à créer des intérêts établis qui peuvent compliquer la mise en oeuvre d'une véritable libéralisation multilatérale. Par ailleurs, ces accords régionaux comportent souvent des dispositions dépassant la simple question des tarifs douaniers et l'OMC, comme source de normes, est de plus en plus concurrencée par ces normes régionales.

Surtout, une consécration du régionalisme signerait l'arrêt de mort du principe de non-discrimination, socle de l'OMC. Ce principe repose sur la clause de la nation la plus favorisée, règle fondatrice du GATT. En offrant à chaque Etat partie le bénéfice des « concessions » commerciales obtenues par ses concurrents, la non-discrimination fonde l'intérêt des Etats à participer au système multilatéral. Or la discrimination, même positive, fait courir le risque d'une régression vers des relations commerciales dépourvues de règles communes et finalement gouvernées par la loi du plus fort.

M. Jean Bizet, rapporteur, a ensuite considéré que le deuxième danger, en cas d'échec à conclure le cycle de Doha, serait de réduire l'OMC à sa dimension judiciaire. Le mécanisme de règlement des différends représente, à, ses yeux, la principale avancée institutionnelle de l'OMC sur le GATT. Malgré le crédit qu'il a acquis, l'Organe de règlement des différends, a-t-il estimé, a vocation à rester simplement l'instrument de mise en application des normes de droit international que fixent les Etats membres au terme des négociations multilatérales. Il s'agit donc d'un prolongement judiciaire de l'activité quasi «législative » de l'OMC. Or, si les négociations de Doha devaient s'enliser, une alternative pourrait être, pour les Etats, de détourner la vocation première de l'ORD en recourant de manière croissante au contentieux pour faire avancer certains dossiers commerciaux.

Quel risque cela représente-t-il ? D'une part, selon le rapporteur, cela pourrait nourrir la tentation des grandes puissances de s'affranchir du système en dénonçant un « gouvernement des juges ». Le judiciaire l'emporterait sur le politique, non pas seulement dans l'interprétation des règles de l'échange, mais dans leur adaptation et, d'une certaine manière, dans leur définition, au risque de rendre ces règles illégitimes.

D'autre part, les pays développés pourraient paradoxalement tirer plus facilement parti d'une focalisation sur l'organe judiciaire. En effet, il est aisé pour eux de prendre les mesures compensatoires que le mémorandum d'accord autorise la partie gagnante à prendre, dans le cas où la partie perdante ne s'acquitte pas de ses obligations dans un délai raisonnable. Les pays en développement, eux, n'ont pas intérêt à mettre en oeuvre cette dissuasion tarifaire, en raison de ses effets sur le coût de la vie de leurs ressortissants. Là encore, a-t-il souligné, ce seraient les faibles qui subiraient la faillite du système.

Mais, tout en soulignant que les risques d'un échec des négociations étaient grands, M. Jean Bizet, rapporteur, s'est demandé comment conclure ces négociations au sein d'une organisation « médiévale », pour reprendre le qualificatif utilisé par M. Pascal Lamy. L'OMC se trouve en effet face à un dilemme qui n'est pas sans évoquer le dilemme européen entre élargissement et approfondissement.

Bien que les textes prévoient des mises aux votes, M. Jean Bizet, rapporteur, a fait observer que la pratique du consensus, suivie en vertu du GATT de 1947, n'avait jamais connu d'exception jusqu'à présent. Particulièrement difficile à maintenir à 150 membres, cette règle du consensus, en ce qu'elle reconnaît l'égalité souveraine de ses membres, fonde la légitimité de l'OMC. C'est pourquoi M. Jean Bizet, rapporteur, imagine mal revenir dessus : tout au plus peut-on proposer, selon lui, d'exiger d'un membre qui envisage de bloquer une mesure largement consensuelle qu'il justifie en quoi la question revêt pour lui un intérêt vital.

Au plan des matières dont elle traite, a-t-il relevé, l'OMC est aussi devenue quasi universelle. Du GATT à l'OMC, le forum de négociation douanière s'est mué en une organisation embrassant des champs nouveaux et larges de réglementation liés aux échanges et approchant le coeur des choix souverains. Combiné à une extension géographique, cet élargissement matériel du champ des négociations les rend encore plus difficiles et complique l'évaluation des compromis réciproques et mutuellement bénéfiques susceptibles d'être atteints. Sur ce point, l'agriculture apparaissant comme la pierre d'achoppement des négociations, M. Jean Bizet, rapporteur, a dit redouter, comme Mme Christine Lagarde, ministre chargée du commerce extérieur, qu'elle se trouve sacrifiée pour sauver le cycle de Doha, réduit à un « Yalta pour le commerce agricole ». Aussi a-t-il jugé utile de s'interroger sur l'opportunité qu'il y aurait à isoler ce sujet pour lui conserver un traitement spécifique et distinguer ses enjeux de ceux du reste de la négociation. Mais cette hypothèse lui semblant irréaliste, dans la mesure où elle remettrait en cause le mandat de Doha et la longue marche vers l'intégration de l'agriculture dans l'engagement unique à l'OMC, d'ailleurs promu par l'Union européenne, il l'a écartée aussi par crainte qu'un champ trop restreint des discussions ne les enferme dans une série de jeux à somme nulle.

Pour sortir de l'impasse avec une OMC à 150 membres et embrassant tant de sujets, il ne reste, selon M. Jean Bizet, rapporteur, qu'à renforcer l'efficacité de l'OMC de manière pragmatique. De ce point de vue, il a distingué deux niveaux de réformes : celles qui visent à améliorer la procédure de négociation et celles qui tendent à renforcer la légitimité de l'organisation, facteur clef de son efficacité.

Il a rappelé que le rapport Sutherland, fait à la demande du précédent directeur général de l'OMC, s'était déjà penché en 2005 sur les pistes envisageables pour améliorer les procédures internes à l'organisation afin d'atteindre des résultats de négociation optimaux. Il a jugé que certaines, modestes mais réalisables, pourraient être utilement exploitées sans délai :

- mieux organiser les enceintes de négociations, par une meilleure préparation des Conférences ministérielles, mais aussi, sans doute, par une officialisation des enceintes parallèles de négociation, dites « chambres vertes ». Cette institutionnalisation, sans porter atteinte au principe du consensus, reconnaîtrait que le processus de prise de décision à 150 devient intenable. Garantir la représentativité et la transparence de ces chambres vertes permettrait de les rendre plus légitimes et donc plus efficaces pour faciliter ensuite la décision par consensus ;

- renforcer les moyens du secrétariat de l'OMC et le rôle de son Directeur général. L'objectif est d'asseoir l'OMC en tant qu'institution, alors qu'elle est aujourd'hui dotée d'un budget trois fois moindre que celui du WWF et emploie treize fois moins de personnes que la Banque Mondiale. De plus, pour assurer le lien entre la vie de l'organisation à Genève et l'échelon politique, il pourrait être utile de créer, auprès du Directeur général, un organe consultatif restreint pour faire coïncider l'élan politique de la négociation et ses modalités techniques ;

- ne pas refuser d'envisager le plurilatéralisme, qui permet de conclure un accord avec les seuls volontaires. Certes, il s'agit d'une solution par défaut, présentant des risques de fragmentation du système, mais ceci permettrait sans doute de dissuader les membres les plus puissants de l'OMC de s'engager sur d'autres voies, notamment bilatérales ou régionales. Rien n'interdit d'imaginer une telle issue aux négociations, issue certes moins satisfaisante qu'un accord unique, mais toujours plus constructive qu'un échec : un engagement prévisible et exécutoire, même complexe, s'il est pris dans le cadre de l'OMC, est préférable à aucun engagement.

M. Jean Bizet, rapporteur, s'est ensuite penché sur le deuxième axe de pistes susceptibles d'accroître l'efficacité de l'OMC, à savoir renforcer sa légitimité, une organisation soutenue pouvant plus facilement atteindre un résultat. Dans cet esprit, il a identifié trois pistes : les pays en développement (PED), les acteurs non gouvernementaux et les autres organisations internationales.

Il a en effet considéré qu'il fallait plus miser sur l'assistance technique pour emporter l'adhésion des PED : faciliter la mise en oeuvre des précédents accords réduirait la hantise de ces pays à l'idée de souscrire de nouveaux engagements. Il ne suffit pas de faire part d'une volonté politique d'accorder un soutien : celui-ci devrait faire partie intégrante des nouveaux accords, avant même toute différenciation entre les PED en fonction de la réalité de leur situation économique.

Il a estimé qu'il conviendrait aussi de mieux associer les acteurs non gouvernementaux. Relevant que l'OMC avait déjà consenti de grands efforts en matière de transparence, il s'est interrogé sur la possibilité d'aller beaucoup plus loin sans nuire au déroulement des négociations. Mais il a imaginé de possibles améliorations, notamment dans le sens d'une participation parlementaire accrue : en effet, les parlements nationaux ont, a-t-il insisté, un rôle central à jouer pour conférer à l'OMC une plus grande légitimité, en favorisant une meilleure compréhension et un meilleur appui du public au système multilatéral. Eux seuls peuvent établir un lien entre les négociations gouvernementales et les personnes que les décisions prises à l'OMC affectent in fine. Il a d'ailleurs déclaré qu'il avait l'occasion de le dire dans un rapport à la Conférence de l'Union Interparlementaire, qui s'était tenue à Hong Kong en marge de celle de l'OMC.

S'agissant des ONG, M. Jean Bizet, rapporteur, a jugé que leur plus grande participation pourrait s'imaginer auprès de l'organe de règlement des différends (ORD) : le juge de l'ORD pourrait prendre en compte les contributions transmises par les ONG selon la procédure de l'amicus curiae. Les auditions des panels pourraient aussi s'ouvrir plus largement au public, sous réserve de ne pas porter atteinte au secret des affaires.

Enfin, dernière piste pour une légitimité accrue, il importe, selon M. Jean Bizet, rapporteur, d'encourager la cohérence de l'action de l'OMC avec celle des autres organisations internationales. L'une des voies susceptibles de renforcer la légitimité de l'OMC, et donc de promouvoir son efficacité, consiste en effet à confirmer sa spécialisation commerciale tout en insistant sur les synergies entre son action et celle des autres organisations internationales au service de la gouvernance mondiale. Il a estimé que la contrepartie de la spécialisation de l'OMC devait être trouvée dans l'organisation de coopérations entre institutions et, à terme, dans un rééquilibrage institutionnel afin d'assurer une « cohérence » mondiale. Notamment, aucune nécessité ne justifie, selon lui, que seule l'OMC ait intégré une fonction juridictionnelle, ce qui crée un déséquilibre qui concourt à délégitimer la gouvernance actuelle de la mondialisation.

La coopération pouvant toutefois ne pas suffire pour dépasser les inévitables conflits d'objectifs entre institutions, il a considéré que l'ORD semblait précisément détenir la clef d'une meilleure cohérence entre les institutions concourant à la gouvernance mondiale : soit obligation pourrait lui être faite, avant de prendre une décision motivée, de saisir pour avis toute autre institution internationale compétente -(l'OIT, par exemple), soit pourrait être ouvert à toute organisation du système onusien le droit de transmettre à l'ORD son point de vue sur un dossier la concernant, selon la procédure de l'amicus curiae.

Après avoir présenté ces pistes de réflexion, il a appelé à l'inventivité pour que l'OMC survive à ce passage difficile. Il a jugé que c'était une organisation précieuse, qui seule venait poser des règles dans la jungle de relations commerciales internationales et constituait même, à ses yeux, une forme d'assurance mondiale pour la paix et la stabilité.

M. Marcel Deneux a partagé le point de vue de M. Jean Bizet, considérant qu'un échec du cycle de Doha était chaque jour plus probable. Il a estimé que l'ambition avec laquelle avait été créée l'OMC il y a dix ans était sans doute excessive. Reconnaissant l'importance de la problématique agricole pour la France, mais aussi pour l'Europe, la politique agricole étant la seule commune, il a toutefois souligné que la France avait plus à gagner à l'OMC sur les services que sur l'agriculture, ce que les milieux agricoles peinaient naturellement à reconnaître. Il a convenu que l'OMC avait besoin de se repositionner, la majeure partie des questions soulevées à l'OMC ayant des effets collatéraux qu'il faudrait régler dans d'autres instances, telles que l'Organisation internationale du travail (OIT) ou la Banque mondiale. Il a imaginé une gouvernance mondiale reposant sur une instance politique associant mieux les parlements, qui ne pouvaient rester à l'écart des négociations intergouvernementales. Ce rééquilibrage, qui ne devait pas conduire à abandonner l'Organe de règlement des différends (ORD), réel progrès lui a paru dépasser les compétences de la commission des affaires économiques du Sénat et relever plus largement du ministère des affaires étrangères.

M. Claude Saunier a rendu hommage à M. Jean Bizet pour son travail, auquel il essayait, dans la mesure du possible, de s'associer au sein du groupe de travail OMC. Soulignant la pugnacité et l'attention constante du rapporteur sur ce sujet majeur, il a considéré qu'il était de la responsabilité des parlementaires de s'y impliquer davantage. Il a ensuite regretté de partager le diagnostic posé par M. Jean Bizet. Rappelant qu'il avait accompagné la délégation ministérielle à la Conférence de Doha, en novembre 2001, il a jugé que « l'Agenda pour le développement » finalisé à cette occasion orientait positivement la mondialisation, en prenant en compte les pays du Sud, la problématique spécifique du coton et la dimension humanitaire attachée aux brevets sur les médicaments. Tout en confirmant son engagement dans une association qui n'était pas connue pour son soutien inconditionnel à la mondialisation, il a considéré qu'il fallait donner sa chance à l'OMC dans l'espoir d'une conclusion des négociations lancées à Doha.

Toutefois, devant le risque d'un échec, il a estimé que les propositions avancées par le rapporteur ne paraissaient pas à la hauteur des enjeux, même s'il partageait le souci d'un suivi plus approfondi des négociations à l'OMC par le Parlement, souci qui l'avait conduit à déposer deux ans plus tôt une proposition de loi visant à créer une délégation parlementaire aux institutions internationales. Il a considéré que le sujet de la gouvernance mondiale méritait plus qu'un « bricolage » et devait s'envisager sous un angle plus large qu'exclusivement commercial. Déplorant que l'ONU « joue au pompier » lorsque le feu avait déjà pris, le plus souvent sur le fondement de divergences d'intérêts économiques, il a suggéré d'intégrer la problématique du commerce mondial dans une vision politique permettant de faire converger les différents systèmes. Notamment, M. Claude Saunier a annoncé qu'il allait, avec son collègue, M. Pierre Laffitte, présenter un rapport sur le climat, la crise énergétique et ses effets économiques et s'est interrogé sur la possibilité d'établir à l'OMC des règles de concurrence loyale quand la Chine, par exemple, s'exonère de toute participation à la lutte contre le réchauffement de la planète.

Il a conclu en indiquant que le groupe socialiste s'abstiendrait sur le rapport présenté par M. Jean Bizet.

M. François Fortassin a fait part de sa surprise en constatant l'étonnement général face aux dysfonctionnements de l'OMC. Comment une organisation reposant sur les principes de solidarité et de réglementation pourrait-elle fonctionner alors que de nombreux pays privilégient la concurrence, la déréglementation, voire la tricherie ou la contrefaçon ? Sans se faire d'illusion, il a toutefois loué les efforts déployés à travers l'OMC pour améliorer le système mondial et ne pas se contenter d'accords bilatéraux.

M. Jean Bizet s'est félicité du consensus des intervenants sur le constat qu'il avait présenté. Il a souhaité faire quatre remarques :

- d'abord, l'OMC lui paraît vivre au rythme de la politique intérieure américaine, aujourd'hui occupée par l'élection d'un prochain Congrès -« mid term review »- que le parti républicain pourrait remporter s'il était assuré du soutien de deux ou trois grands Etats agricoles, et par l'expiration, en juillet 2007, de la délégation, par le Congrès, de ses pouvoirs de négociation commerciale au président américain. Ces raisons laissent augurer d'un certain immobilisme des Etats-Unis dans les négociations pour les deux ans à venir, ce qu'avait d'ailleurs confirmé l'audition de Mme Elizabeth Berry, ministre conseiller chargée des Affaires agricoles à l'Ambassade des Etats-Unis en France, qui avait présenté les grands traits du projet de futur « Farm bill » maintenant un budget global quasiment identique au profit de l'agriculture mais différemment réparti, l'assurance-récolte se trouvant renforcée pour garantir le revenu des « farmers » américains ;

- si l'agriculture apparaît aujourd'hui comme la pierre d'achoppement des négociations à l'OMC, M. Jean Bizet, rapporteur, a considéré qu'un modus vivendi allait probablement émerger entre les Etats-Unis et l'Union européenne sur le sujet, les premiers allant sans doute réduire leurs « marketing loans » et leur aide alimentaire, la seconde devant supprimer en 2013 les restitutions à l'exportation et consacrant déjà un budget plus important à la cohésion qu'à l'agriculture. Il est donc temps de se focaliser sur les services, réservoir de croissance et d'emplois, même si les mentalités ne sont pas encore prêtes, comme l'a prouvé le débat sur la directive Bolkestein ;

- concernant la problématique environnementale, M. Jean Bizet a convenu avec M. Claude Saunier que les Etats-Unis tentaient d'y échapper, alors que l'Union européenne cherchait au contraire à s'ajuster au protocole de Kyoto. Il a toutefois fait observer que les Etats-Unis investissaient en recherche et développement dans ce domaine et consentiraient sûrement à des règles en la matière lorsqu'ils détiendraient les brevets afférents ;

- enfin, insistant sur l'importance du multilatéralisme pour éviter une réplique des événements du 11 septembre 2001, il a confirmé qu'à ses yeux, le pouvoir politique, notamment exécutif, devait reprendre la main sur ce dossier tout en laissant suffisamment d'espace à la démocratie participative. L'établissement de passerelles entre institutions internationales lui a paru de nature à renforcer l'action de l'OMC et de son excellent directeur général, M. Pascal Lamy, une relance de l'OMC constituant assurément la moins mauvaise des solutions.

M. Gérard César, président, rebondissant sur ces derniers propos, a suggéré d'inviter M. Pascal Lamy à la rentrée devant la commission des affaires économiques et d'organiser, avant ou après cette audition, une question orale avec débat en séance publique sur l'évolution de l'OMC.

M. Jean Bizet, rapporteur, a abondé en ce sens, soulignant notamment qu'une telle question orale irait dans le sens souhaité d'un plus grand investissement du Sénat sur ce dossier.

M. Marcel Deneux, relevant que les organisations internationales étaient datées et spécialisées sectoriellement, sans lien entre elles, a plaidé pour une approche plus globale. Regrettant la moindre fréquence, aujourd'hui, de réunions conjointes au Sénat entre la commission des affaires étrangères et celle des affaires économiques sur ce sujet, il s'est néanmoins félicité des grands progrès de l'action interparlementaire sur ce dossier.

M. Gérard César, président, a alors indiqué qu'il soumettrait au président Jean-Paul Emorine la question de savoir si la commission des affaires étrangères pourrait être associée à l'audition de M. Pascal Lamy.

A l'issue de ce débat, la commission a adopté le rapport d'information présenté par M. Jean Bizet, les groupes UMP, UC et RDSE se prononçant en faveur de cette adoption, le groupe socialiste s'abstenant.

Nomination d'un rapporteur

La commission a procédé à la nomination, à titre officieux, de M. Jackie Pierre comme rapporteur sur la proposition de loi 3172 (AN - XIIe leg.) relative à la fixation des rendements des vins à appellation d'origine contrôlée pour la campagne 2006-2007, sous réserve de l'adoption de cette proposition de loi par l'Assemblée nationale et de sa transmission.