Mercredi 10 février 2010

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Situation au Yémen - Audition de M. Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po (chaire Moyen-Orient)

Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'audition de M. Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po (chaire Moyen-Orient), sur la situation au Yémen.

M. Jean-Pierre Filiu a indiqué que les liens entre Al-Qaïda et le Yémen étaient anciens. Outre le fait que la famille Ben Laden, de nationalité saoudienne, est originaire du Yémen du Sud, et que de nombreux Saoudiens d'origine yéménite forment la garde rapprochée d'Oussama Ben Laden, c'est à Aden qu'Al-Qaïda a commis son premier attentat, en décembre 1992, en visant un hôtel fréquenté par des soldats américains en route vers la Somalie. Al-Qaïda a frappé le destroyer américain Cole en rade d'Aden en octobre 2000, a visé l'ambassade des Etats-Unis à Sanaa en septembre 2008 et a revendiqué depuis le Yémen la tentative d'attentat contre le vol Amsterdam-Detroit du 25 décembre 2009.

M. Jean-Pierre Filiu est ensuite revenu sur les origines et les évolutions d'Al-Qaïda. Il a rappelé qu'Al-Qaïda avait été fondée par Oussama Ben Laden en août 1988 au Pakistan et qu'elle reposait sur une allégeance totale à son guide, dont la démarche est beaucoup plus politique que religieuse. A son retour d'Afghanistan, auréolé de son passé de vétéran de la lutte contre l'armée soviétique, Oussama Ben Laden, alors âgé de 32 ans, s'oppose une première fois à la monarchie saoudienne à propos du Yémen, qu'il souhaite expurger des communistes, alors qu'un processus d'unification est en cours.

La deuxième crise survient lors de l'invasion du Koweït par l'Irak, le recours à l'armée américaine par l'Arabie saoudite ayant été vécu par Oussama Ben Laden comme une humiliation ayant entraîné son exil au Soudan, avant son retour en Afghanistan.

L'organisation a développé une dialectique de la violence entre, d'une part, « l'ennemi proche » et musulman, qu'elle veut soumettre et purifier, et, d'autre part, « l'ennemi lointain » et occidental, qu'elle qualifie de « judéo-croisé». C'est « l'ennemi proche » qui est stratégique pour Al-Qaïda, mais elle se sait trop faible pour le défaire par elle-même, aussi s'efforce-t-elle d'attirer « l'ennemi lointain » sur le territoire de « l'ennemi proche ». Les attentats, comme ceux de Dar es Salam et de Nairobi (en août 1998), contre le destroyer américain Cole ou du 11 septembre 2001, visent non seulement à humilier l'Amérique, mais aussi à attirer les troupes étrangères dans les pays musulmans, et à nourrir une guerre des civilisations.

Les attentats du 11 septembre sont ainsi le moyen pour Al-Qaïda de provoquer une intervention américaine, qu'ils espèrent tragique, en Afghanistan et une crise dans les relations entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite. Or, sur ces deux points, l'organisation connaît un échec, avec l'effondrement du régime des taliban et la condamnation quasi unanime des attentats en Arabie saoudite.

L'intervention américaine en Irak offre une opportunité inespérée à Al-Qaïda pour s'implanter au Moyen-Orient, avec la création d'Al-Qaïda pour la péninsule arabique (AQPA), puis l'intégration du groupe du Jordanien Zarqaoui dans Al-Qaïda. Mais, en Arabie comme en Irak, l'organisation va essuyer un échec, du fait de la contre-offensive réussie des forces de sécurité en Arabie, d'une part, et du conflit de plus en plus ouvert entre elle et la guérilla irakienne, d'autre part.

Selon M. Jean-Pierre Filiu, l'organisation Al-Qaïda, qui rassemblerait entre mille et deux mille membres, se décline aujourd'hui comme suit :

- « Al Qaïda central », c'est-à-dire sa direction, qui est réfugiée dans les zones tribales pakistanaises, à la frontière avec l'Afghanistan, et qui entretiendrait de bien meilleures relations avec les taliban pakistanais qu'avec leurs homologues afghans ;

- l'axe moyen-oriental, qui comprend ce qu'il reste d'Al-Qaïda en Irak, très affaiblie depuis sa lutte avec la guérilla sunnite, et Al-Qaïda pour la péninsule arabique, qui s'est repliée d'Arabie Saoudite vers le Yémen à la suite de la répression très efficace des services de sécurité saoudiens. La fusion des branches saoudienne et yéménite d'Al-Qaïda, sous une direction mixte yéménite et saoudienne, a donné une nouvelle dimension à l'implantation de l'organisation au Yémen, qui compterait entre 200 et 500 membres ;

- la troisième branche, plus récente, d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) reste fortement marquée par ses origines algériennes puisqu'elle est issue du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Ayant échoué à s'implanter au Maroc ou en Tunisie, elle a noué des liens avec des bandes criminelles en Mauritanie et dans le reste du Sahara.

M. Jean-Pierre Filiu a souligné le paradoxe d'Al-Qaïda qui, tout en prônant un Jihad mondial, reste une organisation fortement marquée par les prégnances nationales. Elle s'apparente de plus en plus à une secte, avec son gourou charismatique (Ben Laden) et sa vulgate jihadiste diffusée sur Internet.

M. Jean-Pierre Filiu a souhaité, en conclusion, attirer l'attention des membres de la commission sur le danger que représentent les sites affiliés et alimentés par Al-Qaïda sur Internet : librement accessibles, ils peuvent servir à enrôler et à endoctriner des personnes fragiles et isolées qui, à l'image de l'auteur nigérian de l'attentat manqué de Detroit, ont une culture islamique trop limitée pour résister à un tel matraquage virtuel.

Au terme de cet exposé, un débat s'est ouvert au sein de la commission.

M. Josselin de Rohan, président, a souhaité disposer d'un éclairage sur la nature et les activités des « filiales franchisées » d'Al-Qaïda dans le monde, et particulièrement au Waziristân pakistanais.

En réponse, M. Jean-Pierre Filiu a apporté les précisions suivantes :

- Al-Qaïda possède trois branches extérieures : une, située au Yémen, dénommée Al-Qaïda pour la péninsule arabique, qui entretient des liens étroits avec l'organisation centrale ; une autre située en Irak, qui a perdu ses bases territoriales au profit des mouvements nationalistes ; et, enfin AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique) créée en janvier 2007 à partir du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), et pour compenser l'échec de l'organisation en Irak. AQMI a reçu d'« Al-Qaïda-central » le double mandat d'acquérir une dimension authentiquement maghrébine, d'une part, et de frapper l'Europe, avec pour cible prioritaire l'Espagne et la France, d'autre part. Mais AQMI est demeurée essentiellement algérienne, elle s'est révélée incapable d'intégrer les réseaux marocains et tunisiens en son sein, comme elle n'est pas parvenue à frapper le continent européen. Ce double échec est largement dû à l'effondrement d'Al-Qaïda en Irak, qui a à la fois cassé la dynamique maghrébine et sapé le potentiel de recrutement des réseaux jihadistes, jusqu'alors portés par la perspective du combat anti-américain.

- du fait de cet échec d'AQMI, l'ultime vecteur de recrutement d'Al-Qaïda en France reste Internet, qui permet à ses différents éléments d'obtenir une grande audience, en dépit de leur bas niveau culturel et religieux. Ce sont des individus isolés et désocialisés, qui intègrent Al-Qaïda au terme de trois étapes : prise de contact avec les animateurs des sites électroniques, « examen de passage » du candidat, orienté vers des forums à l'accès codé, puis, s'il en a les capacités, passage à l'action ;

- au total, AQMI n'a pas pu agir de façon durable en Europe et a raté son implantation en France. Elle s'est donc repliée sur sa branche saharienne, en Mauritanie, au Niger et au Mali, qui a frappé, ou tenté de frapper, des cibles occidentales, entre autres françaises. Ses activités s'insèrent dans les nombreux trafics qui traversent cette zone (armes, drogue, immigration illégale). Les menaces proférées sur le déroulement de la course Paris-Dakar ont été prises au sérieux, avec raison, par les organisateurs, les conduisant depuis 2008 à la déplacer en Amérique latine.

M. Didier Boulaud s'est interrogé sur la stratégie d'Al-Qaïda qui consisterait à attirer les Occidentaux dans des pièges territoriaux comme le Yémen. Il a souligné la divergence existant entre la priorité accordée par M. Jean-Pierre Filiu à la fermeture des sites internet islamistes et la volonté de certains services de renseignements de les maintenir pour les surveiller. Faisant référence à la publication récente de l'ouvrage de M. Jean-Pierre Filiu, dénommé « Les neuf vies d'Al-Qaïda », il a estimé qu'une dixième vie pourrait lui être accordée par une intervention occidentale en Iran. Puis il a évoqué un article récent de M. Claude Moisy, ancien directeur de l'AFP, analysant le terrorisme comme un affrontement essentiellement inter-musulman. Enfin, il a souhaité obtenir des précisions sur la notion d'« Oumma », qui évoque une nation islamiste sans frontière, en contradiction avec le combat mené par les taliban.

En réponse, M. Jean-Pierre Filiu a précisé que :

- le terme « Oumma » dérive du terme arabe signifiant « mère » (oumm) et il désigne la communauté nationale ou transnationale, s'appliquant dans l'Islam à la communauté des croyants. Le paradoxe de la mondialisation, qui ne s'observe pas que dans l'Islam, est que l'affirmation symbolique d'une solidarité universelle des croyants va de pair avec l'enracinement local des communautés concernées dans leur pays de résidence. Les Mexicains catholiques se sentent aujourd'hui de plus en plus catholiques et mexicains, de même que les Musulmans marocains se vivent toujours plus musulmans et marocains. Cette « Oumma virtuelle » ne remet pas en cause l'Etat moderne, bien au contraire, d'autant qu'il n'y a aucun équivalent en Islam d'une instance centralisée de type papal et à vocation planétaire ;

- Al-Qaïda est en guerre contre l'Islam, elle est une avant-garde auto-proclamée qui prétend « purifier » les Musulmans par la violence. Elle peut être analysée comme une secte, sous l'égide d'un gourou, qui professe une vulgate extrémiste. Celle-ci n'a rien à voir avec le Coran, d'autant que l'Islam est avant tout une religion collective et sociale, alors qu'Al-Qaïda établit un lien direct entre le fidèle et son créateur, sans passer par le biais des docteurs de la loi (oulémas) ou du clergé. Le vecteur de cette secte est Internet, qui permet aux divagations d'Oussama Ben Laden de contester des traditions enracinées dans quatorze siècles d'Islam. C'est pourquoi le message d'Al-Qaïda est dangereux et délétère, car il travestit l'essence même de l'Islam et il entraîne une crise de légitimité. Ainsi, l'Arabie saoudite a mené une contre-campagne sur Internet, dénonçant les contradictions entre les assertions d'Al-Qaïda et le contenu réel du Coran. Une lutte de cet ordre ne peut, cependant, être menée que par un pays musulman ; dans les pays occidentaux, il importe de détruire au plus vite les sites par lesquels Al-Qaïda recrute, et qui sont pour beaucoup localisés aux Etats-Unis d'Amérique. Cette fermeture permettrait de tarir cette voie de recrutement, de fragiliser leurs animateurs dont les connexions seraient plus visibles lors de la reconstruction de ces sites et elle ne priverait pas forcément les services de renseignements d'informations. Le sénateur américain Joseph Lieberman a ainsi incité les fournisseurs d'accès à Internet à fermer les sites jihadistes. La menace représentée par Internet peut être illustrée par l'exemple du kamikaze jordanien, utilisé en Afghanistan comme agent double par la CIA, avant de décapiter l'antenne de la CIA à Khost : il sévissait depuis des années sur Internet et sous le pseudonyme d'Abou Dujjana al-Khorassani, mais ses « officiers traitants » n'ont pas pris au sérieux les menaces qu'il ne cessait de proférer sur la toile.

Mme Catherine Tasca a souhaité obtenir des précisions sur la culture et la consommation du qat au Yémen.

En réponse, M. Jean-Pierre Filiu a précisé que :

- cette culture est indépendante d'Al-Qaïda, dont les membres ne sont pas des adeptes. Cette culture est une malédiction pour le Yémen dont la moitié de la population se trouve sous le seuil de pauvreté. Elle consacre néanmoins une part substantielle de ses faibles revenus à l'achat de cette plante, dont la consommation est aussi bien le fait des femmes que des hommes. Outre les effets délétères sur la population de sa consommation, le qat réclame beaucoup d'eau, et la prolifération de sa culture, très rémunératrice, fragilisera, à brève échéance, les ressources hydriques du Yémen. Cependant, une limitation de la consommation de qat ne pourra être effective que si elle vient d'instances religieuses, et se faire progressivement en limitant la consommation à quelques jours par semaine. Le sud-Yémen communiste avait réussi à limiter sa consommation au seul vendredi.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a ajouté que la consommation du qat était devenue encore plus dangereuse pour la santé depuis que des pesticides étaient largement utilisés pour accroître le rendement des cultures.

M. Christian Cambon s'est interrogé sur le lien qui pourrait exister entre Al-Qaïda et la persistance du conflit israélo-palestinien. Il s'est étonné du contraste manifeste entre la précision des renseignements obtenus par l'observation satellitaire et la difficulté rencontrée à localiser les dirigeants les plus symboliques d'Al-Qaïda, dont Oussama Ben Laden.

En réponse, M. Jean-Pierre Filiu a précisé que :

- l'organisation Al-Qaïda doit, pour maintenir sa crédibilité, constamment communiquer ; elle est, de plus, traversée d'intenses débats internes, ce qui procure aux analystes une documentation très fournie en langue arabe sur ces mouvements ;

- Oussama Ben Laden prend toutes les précautions, ne se déplaçant que de nuit, n'utilisant aucun appareil électrique permettant de le localiser, et se protégeant grâce à une garde composée de combattants saoudo-yéménites qui lui est totalement fidèle. De surcroît, il est probablement réfugié dans des zones montagneuses, impossibles à pénétrer par des éléments extérieurs sans être immédiatement repérés : c'est la revanche de l'archaïque sur la technique. Quelle que soit la fiabilité des drones, seule une trahison humaine permet d'obtenir les informations permettant des raids. Ce sera sans doute la clef de la capture ou de l'élimination d'Oussama Ben Laden ;

- le conflit israélo-palestinien doit être résolu pour lui-même, et non pas du fait d'Al-Qaïda. Oussama Ben Laden a beau invoquer fréquemment la cause palestinienne, son organisation n'a commis qu'un seul attentat anti-israélien en vingt-et-un ans et elle ne compte quasiment pas de Palestiniens issus des Territoires dans ses rangs. Al-Qaida a accusé le Hamas d'avoir « vendu la Palestine aux Juifs » en participant aux élections de janvier 2006 en Cisjordanie et à Gaza, qui se déroulaient dans le cadre des accords de paix israélo-palestiniens. La guerre de propagande n'a pas cessé de faire rage entre Al-Qaida et le Hamas qui, depuis sa prise de contrôle de la bande de Gaza en juin 2007, a brutalement réprimé toute forme d'infiltration dans ce territoire des partisans d'Oussama Ben Laden;

- la stratégie d'Al-Qaïda est avant tout opportuniste et utilise tous les éléments que l'évolution internationale lui fournit : elle jette ainsi de l'huile sur le feu de la tension entre l'Inde au Pakistan, notamment au Cachemire, et elle aurait tout à gagner de la répétition d'une provocation terroriste du type de celle de Bombay en novembre 2008. Une crise ouverte entre les deux pays permettrait de diminuer la pression ou même de lever le siège du Waziristân ;

- une intervention occidentale en Iran est publiquement appelée de ses voeux par Al-Qaïda, car elle conduirait à un affrontement entre « les hérétiques » (les chiites) et « les croisés » (l'Amérique et ses alliés), qui s'affaibliraient mutuellement, et à une déstabilisation de la région du Golfe, permettant ainsi à Al-Qaïda d'y reprendre pied. Cette organisation a sans doute facilité l'attentat commis contre les Gardiens de la Révolution au Baloutchistan iranien, alors que Téhéran a initialement accusé la CIA ou le MI6. Al-Qaïda utilise constamment la provocation et elle espère qu'une telle intervention occidentale la remettrait en selle.

M. Jean-Louis Carrère a estimé que les propos de M. Jean-Pierre Filiu devraient conduire les Occidentaux à se retirer progressivement d'Afghanistan, puisqu'Al-Qaïda n'y joue plus un rôle central, ainsi qu'à définir une position claire vis-à-vis de l'Iran.

En réponse, M. Jean-Pierre Filiu a précisé que :

- dès le lendemain des attentats du 11 septembre 2001, la France s'est jointe à la coalition internationale de lutte contre Al-Qaïda et l'opération américaine « Liberté immuable » se poursuit depuis lors dans le monde entier, sans se limiter à l'Afghanistan, avec surtout la frappe de drones contre Al-Qaïda et ses alliés au Pakistan. De plus, depuis 2003, la France participe à la FIAS (Force internationale d'assistance à la sécurité) de l'OTAN, dont le mandat consiste à stabiliser les autorités afghanes. Certes, sur le terrain, ces deux opérations sont parfois imbriquées, mais elles n'en restent pas moins distinctes.

M. Josselin de Rohan, président, a souhaité obtenir des indications sur la politique menée par le Pakistan, qui semble marquée par une forte ambiguïté envers les taliban afghans. Il s'est également interrogé sur la position de l'armée pakistanaise vis-à-vis d'Al-Qaïda et sur les liens de celle-ci avec la Shoura de Quetta ;

En réponse, M. Jean-Pierre Filiu a précisé que :

- en Afghanistan, une nouvelle génération de talibans a émergé ; ces nationalistes pachtounes reprochent à Oussama Ben Laden, malgré son allégeance proclamée envers le Mollah Omar, d'avoir causé la perte de l'émirat taliban en 2001. Cependant, même si la coopération entre Al-Qaïda et les talibans afghans s'est distendue, l'absence de réelle direction collective du mouvement l'amène à entretenir une logique insurrectionnelle, car un processus de négociation risquerait de faire éclater cette unité de façade ;

- en revanche, les taliban pakistanais ont éliminé physiquement les notables tribaux, les « barbes grises », et se sont structurés en 2007 dans une adhésion aux orientations d'Al-Qaïda : au nom de la lutte contre « l'ennemi lointain » et américain, c'est « l'ennemi proche », la République du Pakistan, ses fonctionnaires et sa population, qui sont frappés. Il existe un jeu ancien du gouvernement pakistanais, qui le conduit à ménager les taliban afghans pour éviter l'établissement d'un régime pro-indien à Kaboul. Il est difficile de déterminer ce qui caractérise les taliban « modérés », dont la définition est différente vu d'Islamabad et de Washington. Comme lors des négociations sur le retrait soviétique d'Afghanistan, le Pakistan reste, pour le meilleur et pour le pire, la clé des nombreux problèmes qui traversent cette région.

Audition de M. Hervé Morin, ministre de la défense

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Hervé Morin, ministre de la défense.

M. Josselin de Rohan, président, a souhaité que le ministre de la défense évoque les perspectives de la politique européenne de sécurité et de défense commune après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, ainsi que les positions françaises à l'approche de la révision du concept stratégique de l'OTAN. Il a également demandé au ministre de faire le point sur la situation en Afghanistan après la conférence de Londres, alors que la France a annoncé le renforcement de sa participation aux opérations de formation de l'armée nationale afghane.

S'agissant de l'Afghanistan, M. Hervé Morin, ministre de la défense, a estimé que les inflexions de la stratégie de l'OTAN en Afghanistan étaient désormais clairement perceptibles. Le général Stanley Mac Chrystal, commandant de la FIAS, est convaincu de la nécessité d'établir une relation de confiance avec la population, en montrant la capacité de l'OTAN à établir la sécurité tout en prenant en compte les besoins de la reconstruction et le respect de la culture et des traditions afghanes. L'année 2010 se situe à une période charnière. Au plan militaire, la montée en puissance de l'armée nationale afghane se poursuit, avec l'objectif, fixé par la conférence de Londres, d'une prise en charge progressive de la sécurité à partir de la fin de l'année. Au plan politique, le président Karzaï a pris des engagements en vue d'améliorer la gouvernance et de lutter contre la corruption et le trafic de drogue. Il a engagé des discussions avec certains éléments taliban afin d'amorcer un processus de réconciliation et des élections législatives sont prévues en septembre 2010.

Le ministre de la défense a précisé que la France avait renforcé de plus de 1 300 hommes ses effectifs militaires au sein de la FIAS depuis 2008. Elle va effectuer un nouvel effort pour participer, avec l'Allemagne, à la montée en puissance de l'école de blindés de Kaboul, et en mettant en place une OMLT (Operational Mentor and Liaison Team) chargée de la formation d'un bataillon de l'armée nationale afghane dans sa zone de responsabilité. Ces deux actions devraient représenter un effectif supplémentaire d'environ 80 hommes. Parallèlement, la France doublera son aide à la reconstruction, qui passera de 20 à 40 millions d'euros.

Le ministre a ajouté qu'il avait insisté, lors de son récent entretien avec son homologue américain, sur la nécessité de fixer un certain nombre d'objectifs intermédiaires permettant à l'opinion publique de mesurer les progrès réalisés et la mise en oeuvre de la stratégie définie pour l'Afghanistan.

M. Hervé Morin, ministre de la défense, a ensuite abordé les perspectives de la politique européenne de sécurité et de défense commune en soulignant l'hétérogénéité des ambitions et des efforts budgétaires en Europe. Il a ainsi observé que pour certains États européens, la clause d'aide et d'assistance mutuelles figurant dans le traité de Lisbonne constituait une simple déclaration de principe alors que, pour d'autres, elle devrait traduire un véritable engagement politique comparable à l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord. Pour la plupart des États européens, seule la clause de solidarité, qui s'applique en cas d'attaque terroriste ou de catastrophe naturelle, a véritablement valeur contraignante. Quant aux coopérations structurées permanentes, le traité de Lisbonne est resté relativement imprécis sur leurs objectifs et leurs critères de mise en oeuvre. Le risque existe qu'un pays comme le Royaume-Uni se joigne à de telles coopérations en vue d'en limiter la portée, bien plus que pour ouvrir la voie à de nouvelles avancées.

Le ministre de la défense a salué la volonté de la présidence espagnole de l'Union européenne d'instaurer un conseil des ministres de la défense, alors que n'existent aujourd'hui que des réunions informelles ou des réunions conjointes avec les ministres des affaires étrangères. Il a indiqué que seul le Royaume-Uni s'opposait aujourd'hui à l'instauration d'un centre de planification et de commandement européen. Il a souligné à ce sujet qu'une telle structure, limitée à 100 ou 150 personnels permanents, ne pouvait en rien concurrencer le SHAPE, et qu'elle était nécessaire pour faciliter le déploiement d'opérations européennes. Il a estimé que cet outil de planification serait cohérent avec la mise en place des « groupements tactiques 1 500 » ou « battlegroups », déployables sous un préavis de dix jours.

Tout en reconnaissant que la politique européenne de sécurité et de défense commune mériterait, aux yeux de la France, une plus forte impulsion politique, il a rappelé les progrès enregistrés sous présidence française, avec la mise en place de moyens de planification stratégique et de conduites d'actions civiles. Il s'est déclaré convaincu que la possibilité de mobiliser d'importants moyens de reconstruction et d'aide au développement, en complément des opérations de maintien de la paix, constituait une incontestable valeur ajoutée de l'Union européenne. Il a également souligné l'intérêt de l'opération Atalante de lutte contre la piraterie initiée par l'Union européenne, à laquelle l'OTAN et d'autres pays comme la Russie, la Chine, le Japon ou la Malaisie se sont ralliés par la suite.

Il a également précisé que lors du dernier sommet franco-allemand, il avait été décidé d'assouplir les conditions d'engagement en opération de la brigade franco-allemande, afin de permettre son déploiement effectif, et de transformer l'état-major du Corps européen en état-major tactique projetable.

M. Hervé Morin, ministre de la défense, a ensuite rendu compte de la réunion informelle des ministres de la défense de l'OTAN, tenue à Istanbul les 4 et 5 février 2010. Il a indiqué que conformément aux demandes de la France et du Royaume-Uni, et avec l'appui des États-Unis, le secrétaire général, M. Rasmussen, devrait présenter au printemps un plan destiné à alléger et simplifier les structures de l'organisation, encore beaucoup trop bureaucratiques, et à réaliser les économies indispensables.

Il a évoqué le souhait des États-Unis de voir l'Alliance définir une position de principe sur la défense antimissile lors de son prochain sommet, en fin d'année 2010. Il a considéré que beaucoup de questions restaient encore sans réponse : l'OTAN doit-elle se protéger de la menace balistique émanant de certains États « voyous » ou de puissances nucléaires affirmées ? Comment fonctionnerait le système de commandement et de contrôle et à qui reviendrait la décision finale d'interception ? Quel serait l'échelonnement dans le temps de l'édification d'une défense antimissile de l'OTAN ? Quel en serait le coût ?

Le ministre a indiqué que la France souhaitait des clarifications sur ces différents points. Il a exprimé ses réserves en soulignant que les budgets et l'esprit de défense n'étaient en rien comparables, en Europe, avec ceux des États-Unis. Une implication européenne dans des programmes de défense antimissile risquerait de s'effectuer au détriment du financement des équipements indispensables aux opérations. Elle pourrait aussi créer un illusoire sentiment de protection préjudiciable au renforcement des capacités nécessaires à la crédibilité de notre défense.

À la suite de cette présentation un débat s'est instauré.

M. André Vantomme s'est interrogé sur les conditions dans lesquelles la France, qui a perdu 40 soldats, est engagée en Afghanistan. Il a souligné que la communication sur la situation militaire, qui mettait sur le même plan l'Afghanistan, l'envoi de renforts et l'évocation d'un retrait en 2011, était source d'ambiguïté et d'interrogations. Il a fait remarquer que sur la lutte contre la corruption, la gouvernance, la condition des femmes ou la lutte contre le trafic de drogue, les discours du gouvernement afghan étaient incantatoires. De ce fait, l'opinion publique s'interroge de plus en plus sur la pertinence de notre présence en Afghanistan alors que la situation se dégrade, que la France paye un lourd tribut humain et que le coût de notre participation augmente.

M. Jean-Louis Carrère a fait part de la même inquiétude en soulignant l'écart entre la situation actuelle et la stratégie politique de lutte contre le terrorisme, énoncée par le Président de la République et le Premier ministre, et qui avait justifié l'intervention française en Afghanistan. Après avoir rappelé qu'il s'était rendu, au nom de la commission, en Afghanistan, il a conclu en indiquant que les changements stratégiques intervenus sur les objectifs et le déplacement de la menace terroriste sur d'autres théâtres comme le Yémen ou la bande sahélienne devaient se traduire par un désengagement militaire de la France en Afghanistan.

M. Charles Pasqua a interrogé le ministre sur le refus de certains militaires de confession musulmane appartenant à un régiment ou à une unité de gendarmerie mobile de s'engager dans les opérations en Afghanistan.

M. Hervé Morin, ministre de la défense, a indiqué qu'il s'agissait de cas très limités et que le chef d'état-major de l'armée de terre avait affirmé que ce refus n'était pas lié à leur foi. Il a affirmé que les Français issus de l'immigration qui s'engagent dans les forces armées ont les mêmes devoirs et les mêmes engagements que les autres. On constate un pourcentage de 20 à 30 % de rupture de contrat dans les mois qui suivent les engagements pour des raisons extrêmement diverses. Cette situation est la même dans toutes les armées occidentales. De même, les armées souffrent d'un phénomène d'absentéisme qui touche en particulier la marine à la veille des appareillages. Des mesures ont été prises pour lutter contre ce phénomène, en particulier par des retenues sur solde.

S'agissant de l'Afghanistan, il a rappelé que la coalition internationale n'était pas en guerre contre un peuple, comme cela avait pu être le cas au Vietnam, mais que sa présence était au contraire justifiée par l'aide qu'elle lui apporte en matière de reconstruction et de stabilisation. Un retrait des forces occidentales serait irresponsable, entraînerait l'effondrement du régime, la guerre civile, le retour des taliban et un effet de contagion sur les républiques musulmanes et limitrophes, notamment sur le Pakistan. Les modifications apportées à la stratégie permettent, au contraire, un certain optimisme.

M. Jean-Pierre Raffarin a relevé la contradiction dans laquelle le discours du Président Obama met les occidentaux. Il appelle à la fois à renforcer la présence militaire et civile et fixe, dans le même temps, une date précise de retrait des troupes sans énoncer les objectifs poursuivis et les conditions de ce départ. Cette position aboutit à une impasse politique. M. Josselin de Rohan, président, a abondé en ce sens en soulignant que le président américain avait pris beaucoup de temps pour décider de sa stratégie et qu'elle aboutissait, sur ce point, à un message brouillé.

M. Hervé Morin, ministre de la défense, a partagé cette analyse alors même que tous les renseignements indiquent que l'insurrection s'essouffle. Toutefois, le message du président américain doit également être compris comme un avertissement aux Afghans pour qu'ils se prennent en charge eux-mêmes.

M. Robert Badinter a rappelé que personne n'a jamais pu contrôler l'Afghanistan. In fine, le conflit se réglera entre Afghans.

M. Hervé Morin, ministre de la défense, s'est élevé contre le pessimisme des orateurs en rappelant que, lors des grands attentats de Kaboul, il y a deux mois, ce sont les forces de sécurité afghane qui ont procédé, seules, à la réduction de l'offensive des taliban et au rétablissement de la sécurité. De même, en Surobi, où les forces françaises ont perdu dix hommes dans la vallée d'Uzbin, il y a 15 mois, la situation sécuritaire s'est beaucoup améliorée. L'Afghanistan est un kaléidoscope de situations qui varient considérablement entre une partie sud peu sécurisée et d'autres parties, comme le Nord, où cette sécurité existe. Une question essentielle demeure, le rôle du Pakistan et le double jeu qu'il a longtemps joué en soutenant les taliban dans la crainte de l'avènement d'un Afghanistan sous influence indienne qui parachèverait son encerclement.

M. Didier Boulaud s'est ensuite interrogé sur le dispositif français de négociation sur le concept stratégique de l'OTAN.

Par rapport au projet de défense européenne, on assiste à des déclarations opposées comme celle du secrétaire général, M. Rasmussen, pour lequel l'OTAN est un forum sur les questions de sécurité mondiale et celle du ministre des affaires étrangères allemand qui prône l'instauration d'une armée européenne sous plein contrôle parlementaire. Il a également demandé des précisions sur le coût budgétaire du retour de la France dans l'OTAN, le poids de sa contribution annuelle et sur l'impasse de 640 millions de dollars du budget de l'organisation en 2010.

Enfin, il a souhaité que le ministre puisse faire un point sur les négociations des nouveaux accords de défense avec l'Afrique et sur leur examen par le Parlement.

M. Hervé Morin, ministre de la défense, a indiqué que les accords avec le Togo et avec le Cameroun, respectivement signés le 12 mars et le 21 mai 2009, sont en cours d'examen au Conseil d'État. L'accord avec le Gabon devrait être signé la semaine prochaine lors du déplacement du Président de la République. La négociation avec le Sénégal est dans une impasse en raison des demandes de compensations. Une nouvelle proposition française sera envoyée dans les prochains jours. Les négociations avec Djibouti sont en cours. Le projet d'accord de défense avec la République Centrafricaine a été bloqué par une demande de clause de sécurité interne dont le principe a été exclu par le Président de la République dans son discours du Cap. Il pourrait maintenant être prochainement signé. Le projet avec les Comores est en attente de la réponse du gouvernement de ce pays. L'accord de mai 2009 avec Abu-Dhabi est en cours d'examen. Conformément aux engagements pris, l'ensemble de ces accords sera envoyé au Parlement.

Les déclarations de hauts responsables politiques allemands sur une armée européenne doivent s'inscrire dans une finalité politique à long terme. Par définition, une armée est un ensemble de moyens mis au service d'une politique étrangère. Elle est donc très difficile à envisager aujourd'hui où l'on ne peut que constater que la volonté politique en matière de PSDC est faible. Il est préférable de faire porter l'effort sur l'évolution des structures multinationales, comme la brigade franco-allemande où le corps européen, pour les rendre plus opérationnels. Ce dont l'Europe a besoin aujourd'hui, c'est d'un centre de planification et de commandement, de moyens capacitaires et d'un accroissement des moyens de recherche et technologie.

S'agissant de la participation à la réflexion sur le concept stratégique, de multiples intervenants y contribuent : le groupe dirigé par Mme Madeleine Albright, les discussions directes entre Etats, Allied command transformation (ACT) pour la discussion interne à l'alliance, les ministres des affaires étrangères et de la défense de l'OTAN au niveau politique. L'objectif consensuel est d'aboutir à un document commun qui soit extrêmement court.

M. Xavier Pintat s'est interrogé sur la prise en compte de la dissuasion nucléaire dans le concept stratégique. Les Etats-Unis sont en train de redéfinir leur posture nucléaire qui devrait tenir compte des déclarations du Président Obama fixant comme objectif un monde sans armes nucléaires. Comment la France fait-elle valoir sa doctrine dans ce contexte ? Ne risque-t-elle pas de subir des pressions sur sa posture, notamment dans sa composante aérienne ?

M. Hervé Morin a rappelé des chiffres qui sont connus des parlementaires. La contribution française à l'OTAN s'élève à 180 millions d'euros et couvre à la fois le fonctionnement et les capacités. Le coût de la réintégration sera de 40 millions d'euros en 2010. Selon la clef de répartition budgétaire, la France devrait supporter entre 60 et 70 millions d'euros pour absorber l'impasse de 640 millions de dollars en 2010. Toutefois, le ministre a indiqué, lors de la réunion informelle d'Istanbul, que cette participation devait s'accompagner d'une réforme des structures, d'un contrôle budgétaire, d'un audit sérieux et d'une meilleure transparence.

La position française en matière de dissuasion n'a pas varié. Elle est celle d'une stricte suffisance et la décision de supprimer l'un des deux escadrons aéroportés a manifesté la volonté française en ce sens. Le Président de la République a réaffirmé le caractère indispensable du maintien des deux composantes. La composante aérienne permet flexibilité et souplesse, ce qui n'est pas le cas des SNLE (sous-marins nucléaires lanceurs d'engins). L'objectif d'aboutir à une dénucléarisation totale est louable, mais il convient que les principaux intéressés réduisent considérablement leurs arsenaux. Dans le cadre des négociations START, on parle de limiter à 1 500 têtes les arsenaux russes et américains alors que la France en compte à peu près 200. La France sera prête à des discussions ouvertes quand ces pays auront signé le traité d'interdiction des essais nucléaires, auront démantelé leurs installations de production de matières fissiles et accepteront des inspections transparentes.

M. Josselin de Rohan, président, s'est interrogé sur les possibilités de coopération avec le Royaume-Uni, alors que les conservateurs pourraient revenir au pouvoir lors des prochaines élections législatives. Le gouvernement travailliste vient de publier un livre vert sur la défense qui souligne la nécessité de coopérer avec l'Europe, et singulièrement avec la France. La Grande-Bretagne est en effet confrontée à une réduction drastique des budgets militaires qui rend nécessaire la mutualisation des dépenses. Notre intérêt bien compris n'est-il pas de montrer au Royaume-Uni avec pragmatisme que la coopération est indispensable ? Il a également questionné le ministre sur le rôle futur de l'agence européenne de défense et sur l'utilisation des coopérations renforcées pour faire avancer l'Europe de la défense. Avec M. Didier Boulaud et M. Jean-Louis Carrère, il a également interrogé le ministre sur l'évolution des négociations relatives à l'A400M.

M. Hervé Morin, ministre de la défense, a rappelé que la coopération franco-britannique était ancienne, en matière de programmes comme en matière de rapprochement entre industriels et entreprises de défense. Le paradoxe de la Grande-Bretagne, poussée par sa contrainte budgétaire, est de rechercher la mutualisation des dépenses alors qu'elle n'est pas un partenaire très européen mais qu'elle est la seule qui, en Europe, consacre près de 2 % de son PIB à la défense. Des possibilités existent dans de nombreux secteurs, en particulier dans le domaine des drones où Dassault, BAe et Thales pourraient coopérer.

Le ministère de la défense encourage fortement les industriels à rechercher des coopérations, des échanges capitalistiques et des prises de participations croisées.

S'agissant de la coopération structurée permanente, le ministre a rappelé qu'elle était inclusive en permettant à tout pays intéressé et en remplissant les critères d'y participer. Le risque de cette « auberge espagnole » est d'héberger un « cheval de Troie ». Il existe en Europe un noyau dur de pays composé en particulier de l'Allemagne, de l'Espagne, du Portugal, de l'Italie, du Benelux, et bien sûr de la France, qui sont désireux d'avancer en matière de défense. On ne peut que regretter que le Royaume-Uni, partenaire indispensable, soit opposé à ce processus.

À ce titre, le discours, tenu par celui qui pourrait être le futur ministre de la défense d'un gouvernement conservateur, met en avant une réorganisation d'un ministère qu'il estime mal géré, une contraction drastique du budget, des coopérations bilatérales mais non européennes et l'établissement d'une relation particulière avec la France.

S'agissant de l'A400M, les discussions se poursuivent. En l'état actuel de la négociation, les Etats participants seraient prêts à prendre à leur charge 2 milliards d'euros. Les discussions portent sur le montant des avances remboursables qui pourraient être attribuées par les Etats participant au programme. Dans la mesure où ces avances ne couvriront pas totalement l'impasse, l'industriel devra faire un effort supplémentaire.

L'hypothèse d'un achat sur étagère émise par la Cour des comptes n'est pas raisonnable. Avec l'A400M, l'Europe disposera d'un avion tactique et stratégique permettant une grande capacité de transport. Ce programme concerne par ailleurs 40 000 emplois en Europe et conforte l'indépendance européenne en matière de transport stratégique. Le C130J ne constitue pas une alternative : sa capacité de transport est très inférieure à celle de l'A400M, et il présente un rapport coût efficacité inférieur à l'A400M, même en tenant compte de l'effort qui pourrait être fait par les clients.