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Mardi 14 septembre 2010

- Présidence de M. Jean Bizet, président -

Justice et affaires intérieures

Audition de M. Alex Türk, président de la CNIL,
sur la protection des données aux niveaux européen et mondial

M. Jean Bizet. - Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui notre collègue Alex Türk. Avec lui, nous allons évoquer les enjeux de la protection des données aux niveaux européen et mondial. Chacun connaît la grande expérience qu'il a acquise dans ce domaine en présidant non seulement la CNIL, mais aussi le groupe des « CNIL européennes », le G29. L'an passé, il nous avait fait part de ses analyses sur les négociations en vue de l'accord « SWIFT » sur le transfert de données financières vers les États-Unis. Il nous avait aussi alertés sur les conditions choquantes de mise en place d'un groupe d'experts pour la révision de la directive de 1995. Cela nous avait conduits à adopter une résolution qui est devenue résolution du Sénat.

La protection des données à l'échelle européenne et mondiale constitue un enjeu majeur. Elle intéresse très directement la vie quotidienne de nos concitoyens comme on l'a vu par exemple avec la question de l'enregistrement des données des passagers de compagnies aériennes. Le respect de la vie privée et des libertés fondamentales sont en cause. C'est pourquoi la commission des affaires européennes est particulièrement vigilante sur cette question.

Outre le suivi des accords PNR avec les États-Unis, je rappellerai les travaux menés par notre collègue Simon Sutour sur le projet de PNR européen qui, là aussi, ont conduit à l'adoption d'une résolution européenne par le Sénat demandant des garanties plus fortes. A la suite d'une communication du président Hubert Haenel, le Sénat s'est également prononcé, en novembre 2009, sur le projet d'accord « SWIFT ». Il a souligné qu'un tel échange mutuel d'informations ne peut se concevoir que sous réserve que soient réunies toutes les garanties de nature à assurer un respect effectif des droits fondamentaux, en particulier le droit au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel. 

Tout récemment, en juillet dernier, notre collègue Robert Badinter nous a fait part de ses observations sur le nouvel accord « SWIFT ». Tout en relevant les progrès accomplis sous l'impulsion du Parlement européen, il a aussi critiqué certains choix qui ont été faits, en particulier celui d'Europol pour examiner les demandes de transfert de données. Au-delà, notre collègue a souligné, à juste titre, que les conditions de supervision de l'accord et son réexamen conjoint seraient essentiels.

Nous serons donc intéressés de vous entendre sur l'évolution de ce dossier « SWIFT » mais aussi sur la perspective d'une renégociation des accords PNR existants et sur la prochaine ouverture de négociations avec les États-Unis en vue d'un accord global sur la protection des données dans le cadre de la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Nous recueillerons aussi vos analyses sur les enjeux de la révision de la directive de 1995.

Plus généralement, dans le contexte de la mondialisation et d'intensité croissante des évolutions technologiques, il semble indispensable d'établir des standards internationaux de protection des donnés. Peut-on espérer des progrès dans ce domaine ? Quel rôle joue l'Union européenne ?

M. Alex Türk. - Sur le dossier SWIFT, je partage les analyses du président Robert Badinter, des progrès ont été réalisés mais le choix d'Europol, certes compréhensible sur le plan technique, soulève des interrogations au regard des compétences de cet organisme. Il faudra être très vigilant lors de la renégociation de cet accord. En dépit des progrès réalisés, je suis loin d'être totalement rassuré. Les États-Unis exercent une pression très forte sur les dossiers de ce type.

J'ai présidé le groupe des CNIL européennes, le G29, pendant deux ans. Mais j'ai refusé de demander le renouvellement de mon mandat en raison de l'absence des moyens indispensables pour permettre au G29 d'exercer sa mission de manière indépendante. En pratique, c'est le « contrôlé » qui tient le budget du contrôleur. Cette situation est anormale. Cela me paraît dommageable car le G29 est très bien placé pour éclairer les pouvoirs publics sur les questions de protection des données. Je signale que le parlement allemand s'est inquiété de cette situation. Le parlement français devrait également s'en saisir.

Je crois qu'il est par ailleurs nécessaire de réaffirmer nos liens avec le Conseil de l'Europe. Si la Convention 108 du Conseil de l'Europe était redynamisée, cela permettrait d'attirer d'autres pays, en particulier les États-Unis, vers nos conceptions de la protection des données.

A la suite de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, un instrument juridique unique sur la protection des données sera élaboré, ce qui est une bonne chose. Cela pose néanmoins la question du maintien de deux structures de suivi : le G29 d'un côté, et le groupe de suivi qui a été constitué dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale.

Les enjeux en matière de protection des données sont très lourds. Nous assistons au développement de la biométrie, de la vidéosurveillance, de la géolocalisation des réseaux et d'Internet. Je m'interroge sur notre capacité, d'ici 15 ans, à exercer normalement nos libertés individuelles. En réalité, je suis très pessimiste car il ne sera pas possible de revenir en arrière sur les effets produits par les évolutions technologiques, dont certaines sont très dangereuses pour les libertés individuelles.

Dans ce contexte, j'ai trois préoccupations majeures.

En premier lieu, le droit applicable dans les relations entre l'Union européenne et les États-Unis se traduit par un véritable hiatus entre deux conceptions différentes de la protection des données. En pratique, trois techniques sont envisageables. La première technique (« safe harbour ») consiste, pour les entreprises américaines qui veulent commercer avec l'Union européenne, à justifier d'un niveau de protection équivalent à celui de l'Union européenne en signant un engagement dans ce sens. Mais, dans les faits, plus personne ne pense que les entreprises américaines jouent le jeu. La deuxième technique consisterait à appliquer les mêmes règles de protection, équivalentes à celles de l'Union européenne, au sein d'un groupe international. On a discuté de cette question avec l'Allemagne ou les Pays-Bas, mais le Royaume-Uni a freiné les progrès dans ce sens. Or, nos grandes entreprises sont elles-mêmes demandeuses d'une technique de ce type. Enfin, la dernière technique tend à établir des règles contractuelles entre les États membres de l'Union européenne et les pays tiers, mais on n'avance pas dans ce domaine.

Le deuxième sujet de préoccupation porte sur la révision de la directive de 1995. La CNIL avait vivement réagi - et avait été soutenue par le Sénat - sur la constitution d'un groupe d'experts qui, en réalité, aurait représenté les intérêts anglo-saxons. Ce groupe n'a finalement pas perduré et a été remplacé par une consultation publique à laquelle le G29 et la CNIL ont participé activement. La CNIL souhaiterait maintenant être associée au travail de révision de la directive, aux côtés des représentants officiels du Gouvernement français. Cela fut en partie le cas lors de l'élaboration de ce texte en 1995.

Enfin, le dernier sujet de préoccupation porte sur l'élaboration de standards internationaux. Il faut effectivement avoir une vision commune de la protection des données. On peut dire que, dans le monde, 45 pays assurent une protection correcte, dont les vingt-sept États membres de l'Union européenne. Mais cela n'est pas le cas dans des grands pays comme les États-Unis, la Russie ou l'Inde. Les États-Unis travaillent sur cette question avec le Canada et les pays asiatiques au sein de l'APEC, mais le niveau de protection assuré dans ce cadre est inférieur à celui de l'Union européenne. Les États-Unis ont refusé que la France s'associe à ces travaux, bien qu'elle puisse être considérée comme un pays du Pacifique.

Lors de la Conférence internationale de Madrid en 2009, à laquelle ont participé 75 délégations, un corpus de principe et de standards internationaux a été élaboré. Il faut maintenant passer à la deuxième étape conduisant les pouvoirs publics à se saisir de cette question pour aboutir à une convention internationale qui serait élaborée sous l'égide des Nations unies. Il ne suffira pas de retenir des principes, il faudra aussi leur conférer une valeur juridique contraignante. Le parlement espagnol a adopté une résolution demandant que les pouvoirs publics progressent dans ce sens. Je crois que le parlement français pourrait utilement avoir la même démarche. Je suis favorable à l'organisation d'une conférence intergouvernementale en 2011.

J'insiste sur le fait que le temps presse. Les évolutions technologiques sont extrêmement rapides, alors que les réflexions sur leur encadrement sont au contraire très lentes. Le président de Facebook a fait valoir qu'il fallait reconsidérer la vie privée au regard des changements technologiques. Je pense exactement le contraire : les changements technologiques doivent être au service des libertés individuelles et du respect de la vie privée.

M. Jean Bizet. - Je vous remercie pour la qualité des précisions techniques que vous venez d'apporter. Vous avez souligné des enjeux majeurs pour la protection des données qui ne peuvent que retenir toute notre attention. La commission des affaires européennes soutiendra votre démarche.

M. Roland Ries. - Votre exposé était très clair, mais il fait froid dans le dos. Je m'interroge sur la démarche à suivre. Il paraît illusoire de vouloir contrôler les évolutions technologiques. En revanche, il est possible de travailler sur des règles qui permettront de protéger les libertés publiques, quelles que soient les évolutions technologiques en cause.

M. Alex Türk. - Je crois qu'il y a des hypothèses où il est possible de freiner les évolutions technologiques, tandis que, dans d'autres cas, on ne peut que chercher à les réguler. C'est ainsi qu'à la différence de la biométrie ou de la vidéosurveillance, que l'on peut choisir d'autoriser ou d'interdire à l'intérieur de certaines frontières, les réseaux ou la géolocalisation sont des phénomènes planétaires qui ne connaissent pas de frontières.

Sur les réseaux, il est possible de faire de la pédagogie. La CNIL a décidé de consacrer sur son propre budget 500 000 euros à la sensibilisation des professeurs et des élèves. Sur la géolocalisation, je veux souligner que, dans un délai proche, les puces RFID conçues avec des nanotechnologies seront au point et qu'elles seront quasiment invisibles. Si cette technologie se répand, elle modifiera nécessairement les comportements et conduira à leur uniformisation. Ce sera un véritable clonage mental. Nous devons donc nous interroger sur cette question et sur l'éventualité d'interdire l'usage de nanotechnologies dans les puces RFID.

Je dois constater que la loi du 4 janvier 1978 (« informatique et libertés ») qui a été modifiée en 2004 est déjà dépassée. A cette date, la biométrie était perçue comme la menace principale pour les libertés individuelles. Aujourd'hui, la géolocalisation apparaît comme une menace bien plus grande. Mais la CNIL n'a pas de compétence dans ce domaine.

M. Michel Billout. - Lors de l'adoption de la loi « HADOPI », les moyens de contourner les dispositions de ce texte existaient déjà sur les réseaux internet. Je m'interroge donc sur l'efficacité que pourrait avoir une loi d'interdiction de l'usage des nanotechnologies pour les RFID.

M. Alex Türk. - Je comprends votre réserve. C'est en réalité d'un texte international dont on a besoin. Il faut alerter au niveau international sur les risques attachés à l'usage de ces technologies. Il faut aussi mener un travail pédagogique auprès des jeunes pour leur faire percevoir la signification réelle de la préservation de l'intimité de la vie privée.

M. Roland Ries. - Force est de constater que ces technologies pourraient favoriser un conformisme des comportements et de la pensée.

M. Alex Türk. - On pourrait en effet assister à la multiplication de « little brothers » qui s'insinueraient dans tous les aspects de la vie sociale.

M. Jean Bizet. - Les pouvoirs budgétaires du Parlement européen ont été renforcés par le traité de Lisbonne. Quelle est sa position sur le budget du G29 ?

M. Alex Türk. - J'ai été auditionné par le Parlement européen lorsque je présidais le G29. Il m'a semblé sensible à l'enjeu budgétaire. Je veux souligner à nouveau que cette instance a besoin d'un budget qui assure son autonomie de fonctionnement. Lorsque je la présidais, c'est la CNIL qui assurait le coût de traduction des documents. Ce n'est pas normal.

M. Jean Bizet. - Je vous remercie de l'éclairage très utile que vous avez donné à la commission. Nous étudierons la possibilité d'adopter une proposition de résolution sur le modèle de ce qu'a fait le parlement espagnol.

Subsidiarité

Réforme des systèmes de garantie
dans le secteur financier
Intervention de M. Jean Bizet

M. Jean Bizet. - Je souhaitais vous informer que l'attention de la commission a été appelée par le Parlement suédois, qui a considéré que deux propositions de directive, revêtant indéniablement un fort caractère technique, portaient atteinte au principe de subsidiarité :

- la première proposition est relative aux systèmes de garantie des dépôts (texte E 5512) ;

- la seconde vise à modifier une directive de 1997 portant sur les systèmes d'indemnisation des investisseurs (texte E 5517).

Ces deux textes s'inscrivent dans le cadre d'une réforme des systèmes de garantie dans le secteur financier.

La première proposition de directive vise à compléter une directive de mars 2009 qui, selon la Commission, constitue « une mesure d'urgence visant à préserver la confiance des déposants », en relevant le niveau de garantie des dépôts en cas de faillite bancaire, de 20 000 à 100 000 euros, et en remédiant au sous-financement des dispositifs existants en cas de tensions financières. Mais, faute de temps, cette directive n'a pas permis d'atteindre l'objectif général visant à simplifier et harmoniser le champ d'application et les modalités de remboursement, très variables selon les nombreux systèmes de garantie des dépôts mis en place par les États membres.

Le texte dont nous sommes saisis propose des mesures complémentaires pour poursuivre cet objectif et prévoit un ensemble de dispositions techniques sur lesquelles je ne m'attarderai pas.

Parmi celles-ci, figure une facilité d'emprunt qui permettra à un système de garantie de dépôt en difficulté d'emprunter des fonds auprès d'autres systèmes de garantie existants dans d'autres États membres. Ces derniers devront collectivement lui prêter un montant pouvant aller jusqu'à 0,5 % de ses dépôts éligibles, en proportion du montant de dépôts éligibles dans chaque pays, ce prêt devant être remboursé dans les cinq ans.

La seconde proposition de directive apporte diverses modifications, aussi généralement techniques, à une directive de 1997 sur les systèmes d'indemnisation des investisseurs qui définit les modalités de remboursement des clients d'établissements de crédit en cas de défaillance de ceux-ci.

Parmi les nouvelles dispositions introduites, est prévue la création d'un mécanisme d'emprunt en dernier ressort entre systèmes nationaux, qui leur permettrait de faire face à des besoins de financement temporaires.

Le Parlement suédois juge contraires au principe de subsidiarité ces deux dispositifs, la facilité d'emprunt pour les systèmes de garantie de dépôt et le mécanisme d'emprunt en dernier ressort, à l'encontre desquels il a développé une argumentation commune.

Il considère en effet que ces mécanismes introduiraient ce que les économistes appellent un aléa moral, c'est-à-dire l'existence d'une situation de risque dans une relation entre plusieurs agents économiques. Pour faire simple, un « mauvais élève » pourrait compromettre l'équilibre de l'ensemble en obligeant les « bons élèves » à supporter les conséquences de ses comportements risqués.

Le Parlement suédois souhaite donc que ces dispositifs ne soient pas retenus ou, à tout le moins, rendus facultatifs.

Il me semble que la décision de nos collègues suédois est essentiellement fondée sur leur crainte de l'aléa moral. Ils redoutent que les dispositifs de garantie de leur pays ne soient mis à contribution pour venir au secours de ceux d'autres pays moins prudents.

Pour autant, cette crainte, qui n'est pas illégitime dans le contexte financier actuel, relève davantage de la contestation de l'économie générale du dispositif proposé que de l'atteinte au principe de subsidiarité.

En effet, les deux textes mettent en place des mécanismes de solidarité entre les systèmes nationaux de garantie et d'indemnisation afin d'améliorer le fonctionnement du marché unique en matière de services financiers, alors même qu'un accord vient d'être conclu, après presque un an de négociations très difficiles, sur la supervision financière.

Or, les textes prévoient des garanties pour mettre en oeuvre les mécanismes de solidarité proposés. Par exemple, le mécanisme d'emprunt en dernier ressort ne serait actionné que dans des circonstances spécifiques et sur une base temporaire. De même, une obligation de rembourser serait imposée au système emprunteur.

Mais l'essentiel n'est pas là. En effet, l'objectif poursuivi par ces deux textes ne peut pas être atteint plus facilement par les États membres, puisque les problèmes qu'ils cherchent à surmonter trouvent précisément leur origine dans des pratiques et des mécanismes nationaux qui fonctionnent de manière extrêmement divergente selon les États membres et qui se sont révélés défaillants.

Il est donc logique que la Commission cherche à instaurer des règles communes visant à l'harmonisation des systèmes existants. Tel est d'ailleurs l'objectif général que s'est fixée l'Union européenne pour mieux réguler les marchés financiers. C'est aussi l'engagement qu'elle a pris au cours des Sommets du G 20 qui ont cherché des solutions durables à la crise financière.

À titre personnel, je suis plus sensible aux arguments de la Commission européenne qu'à ceux du Parlement suédois et il ne me semble pas que le principe de subsidiarité ait été violé. Mais je souhaiterais savoir si vous partagez mon sentiment qu'il n'y a pas là matière à adopter un avis motivé pour violation du principe de subsidiarité.

M. Roland Ries. - Je partage pleinement votre sentiment : le texte ne porte nullement atteinte au principe de subsidiarité. Le mécanisme d'emprunt qu'il vise à instaurer n'a de sens qu'à l'échelle de l'Union européenne. Par ailleurs, en ce qui concerne le fond de la proposition, la récente expérience de la crise grecque me laisse à penser que la mise en place d'un mécanisme de solidarité au niveau européen est nécessaire pour enrayer les risques de contagion.

M. Michel Billout. - Je dois avouer que je comprends les craintes qui animent nos collègues suédois ainsi que les arguments qu'ils développent. Il est vrai que leurs arguments portent davantage sur le fond de la proposition et que le principe de subsidiarité ne semble pas violé. Mais je dois dire que la question est assez technique et qu'il est difficile de se prononcer dans un délai aussi bref au regard des éléments d'information dont nous disposons.

M. Jean Bizet. - Si vous en êtes d'accord, nous n'adresserons aucun avis motivé aux institutions européennes sur ce texte.

Il en est ainsi décidé.

Mercredi 15 septembre 2010

- Présidence de M. Jean Bizet -

Politique de coopération

Situation de l'Union pour la Méditerranée
Communication de M. Robert del Picchia

M. Robert del Picchia. - Je vous tiens régulièrement informés des développements de l'Union pour la Méditerranée (UpM), lancée au Sommet de Paris du 13 juillet 2008. Depuis ma dernière communication sur le sujet, le 31 mars 2009, l'UpM a certes connu des évolutions positives, concernant, pour l'essentiel, son organisation interne, mais les problèmes politiques auxquels elle s'est heurtée depuis l'origine, en premier lieu le conflit israélo-palestinien et ses implications, mais pas seulement, ne sont pas résolus, bien au contraire.

Les activités de l'UpM, à l'exception de la session plénière de l'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne (APEM), en mars 2009 à Bruxelles, ont d'ailleurs été suspendues, les pays partenaires arabes refusant d'y participer en raison de l'opération militaire israélienne dans la bande de Gaza, fin 2008/début 2009.

D'une manière générale, il me semble difficile d'être optimiste sur l'avenir de l'UpM. Les questions liées à son organisation interne ont mobilisé son attention et accaparé les énergies, au détriment de la conduite des projets, qui est pourtant sa raison d'être. La démotivation et la déception semblent prévaloir, en particulier parmi nos partenaires méditerranéens, au Maghreb plus spécifiquement.

La reprise des activités de l'UpM, après l'opération « Plomb durci » menée par Tsahal, a été pénible. Ainsi la réunion des hauts fonctionnaires des 43 États parties, le 23 avril 2009, annoncée comme devant marquer la relance de l'UpM, après plus de quatre mois de blocage, n'a-t-elle donné lieu qu'à un simple échange de vues. Mais la relance n'a pas eu lieu. Au contraire, la suspension des activités de l'UpM s'est poursuivie, mais en changeant de nature : initialement motivée par l'opération militaire israélienne à Gaza, elle l'a ensuite été par les positionnements du gouvernement Netanyahu sur le processus de paix.

La Ligue arabe ayant décidé de participer aux seules réunions techniques de l'UpM, une réunion ministérielle informelle consacrée aux projets de développement durable a néanmoins pu se tenir à Paris, le 25 juin 2009.

La véritable relance de l'UpM n'est intervenue que le 7 juillet suivant, en même temps qu'une réunion des ministres des finances de la région euro-méditerranéenne, lorsque les hauts fonctionnaires des 43 États parties se sont rencontrés et ont renoué un dialogue politique, pour la première fois depuis décembre 2008.

Pour autant, le conflit israélo-palestinien n'est pas le seul problème politique auquel l'UpM est confrontée. Il paraît en effet difficile de concevoir une union avec des pays du Sud dont les relations avec l'Union européenne répondent à des motivations très différentes, allant de la volonté d'adhésion, pour la Turquie, à la coopération économique sans libre-échange, pour l'Algérie, en passant par le souhait de bénéficier des avantages liés au statut avancé, comme le Maroc ou Israël. Force est de constater que les pays méditerranéens ne sont pas solidaires entre eux et que la coopération Sud-Sud reste encore trop limitée.

Les principales avancées concernent la mise en place du secrétariat de l'UpM, dont je vous rappelle qu'il a son siège à Barcelone, et l'établissement de ses statuts, mais elles furent difficilement obtenues.

La prise de décisions, en effet, est généralement très laborieuse, confortant l'impression d'enlisement du processus. La désignation du secrétaire général de l'UpM a été très longue et délicate, alors même qu'il n'y avait qu'un seul candidat, Ahmed Massadeh, ambassadeur de Jordanie auprès de l'Union européenne. Les réunions de hauts fonctionnaires successives au cours desquelles cette décision devait être prise, ont soit échoué, comme en novembre 2009, soit été reportées, comme le mois suivant.

La désignation du secrétaire général est finalement intervenue le 5 janvier dernier, dans le cadre d'une réunion de cinq ministres des affaires étrangères, ceux de la France et de l'Égypte, qui exercent la co-présidence de l'UpM, celui de l'Espagne, qui assurait alors la présidence tournante de l'Union européenne, et ceux du Maroc et de la Tunisie. On le voit, la décision est finalement revenue à un nombre restreint d'États, puis a été entérinée le 12 janvier par les hauts fonctionnaires des 43 États parties.

Les statuts du secrétariat ont également donné lieu à de longues et pénibles négociations dans le cadre d'un groupe de travail ad hoc. Les principales discussions ont porté sur le mode de fonctionnement du secrétariat, son budget et l'étendue de ses compétences pour la gestion des projets. Le rôle de la Commission européenne au sein du secrétariat a aussi été longuement discuté. Son souci de maintenir l'UpM dans le cadre communautaire et donc de refuser son évolution vers une forme intergouvernementale explique à la fois ses tentatives pour limiter le rôle du secrétariat et son attitude consistant à la laisser s'enliser progressivement.

Le secrétaire général de l'UpM a été officiellement installé le 4 mars dernier, lors d'une cérémonie à Barcelone. Les statuts du secrétariat avaient été adoptés la veille. Le secrétariat a un caractère essentiellement technique, centré, en vue de la réalisation des projets, sur l'expertise technique et financière, le lancement d'études de faisabilité, l'organisation de réunions de donateurs. Le comité des hauts fonctionnaires demeure l'autorité de tutelle du secrétariat. Le secrétaire général est rémunéré sur le budget du secrétariat, contrairement aux secrétaires généraux adjoints, rémunérés par leurs administrations d'origine et auxquels seraient versées des indemnités compensatoires prenant en compte le coût de la vie à Barcelone. Seul le secrétaire général adjoint issu de l'Autorité palestinienne voit son traitement assuré par le budget du secrétariat

La première tâche du secrétaire général sera d'assurer le fonctionnement effectif du secrétariat. Il est prévu que la Commission nomme un de ses fonctionnaires pour exercer la fonction de conseiller du secrétaire général et veiller à la cohérence des activités de l'UpM avec la politique méditerranéenne de l'Union européenne.

En février dernier, le secrétaire général a présenté un projet de budget provisoire, couvrant les frais de personnel et de fonctionnement. Seule l'adoption du budget provisoire permettra le versement des contributions des États parties. Il est prévu que la Commission verse trois millions d'euros cette année. La France a indiqué qu'elle verserait une contribution substantielle, mais aucun plan de financement précis n'a été présenté à ce stade.

Le projet de secrétariat présenté par le secrétaire général est particulièrement ambitieux. Ce secrétariat serait doté d'un budget de 10 millions d'euros par an et d'une équipe d'une soixantaine de personnes réparties au sein de six services rattachés à chacun des secrétaires généraux adjoints et de trois services généraux, soit une direction administrative et financière, un département de la communication et de la diplomatie publique et un bureau de gestion des projets. L'Union européenne, sous l'impulsion de l'Allemagne et du Royaume-Uni, a rejeté ces propositions, jugées irréalistes. Un compromis transitoire a été trouvé : le secrétariat devrait bénéficier d'un budget provisoire de 800 000 euros, financés par la Commission, une solution pérenne devant être trouvée par la suite.

L'accord de siège avec l'Espagne, indispensable pour que le secrétariat ait la personnalité juridique et soit en mesure de commencer ses travaux, a été signé le 4 mai dernier.

Dès qu'un problème de nature institutionnelle semble résolu, un nouveau apparaît.

Ainsi, les États membres ne sont que péniblement parvenus à se mettre d'accord sur le nombre et les attributions des secrétaires généraux adjoints. Il existait en effet un flou sur le nombre de ces derniers. Je rappelle que les ministres des affaires étrangères avaient décidé, en novembre 2008, qu'il y en aurait cinq, attribués à l'Autorité palestinienne, la Grèce, Israël, l'Italie et Malte, mais la co-présidence française, dans un contexte marqué par les débats sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, avait accordé à ce pays, en quelque sorte comme compensation, un sixième poste de secrétaire général adjoint, ce que Chypre, soutenue par la Grèce, n'a jamais accepté, craignant que la Turquie puisse mettre son veto à l'attribution ultérieure d'un poste de secrétaire général adjoint à l'un de ses ressortissants. L'intransigeance chypriote a d'ailleurs longtemps bloqué l'adoption des statuts du secrétariat.

La répartition des tâches entre les six secrétaires généraux adjoints a également été délicate et a nécessité des tractations extrêmement compliquées. Les pays arabes refusaient de confier à Israël le portefeuille de l'eau, des transports ou de l'enseignement supérieur, tandis que plusieurs pays revendiquaient le même domaine de compétences.

Un accord a finalement été trouvé pour attribuer les compétences des secrétaires généraux adjoints de la façon suivante :

- à l'Italie, le poste de secrétaire général adjoint « senior » en charge du financement et du développement des affaires et de l'initiative PME-PMI ;

- à l'Autorité palestinienne, le secteur de l'eau et de l'environnement ;

- à la Grèce, le secteur de l'énergie ;

- à Israël, le domaine de l'éducation supérieure et de la recherche ;

- à Malte, le portefeuille des affaires sociales et civiles, dont la protection civile ;

- à la Turquie, les questions de transports.

Les secrétaires généraux grec, italien et maltais ont été nommés par les hauts fonctionnaires le 24 mars dernier. Celui attribué à la Turquie l'a été le 29 avril, et celui représentant Israël le 17 mai. Ces nominations doivent encore être entérinées par les ministres des affaires étrangères. L'Autorité palestinienne n'a pas encore présenté de candidat.

Au-delà de ces questions purement institutionnelles, compliquées en elles-mêmes, la coopération politique semble marquer le pas. L'accroissement des tensions au Proche-Orient explique largement cette situation.

Concrètement, les ministres des États parties se rencontrent de moins en moins et éprouvent des difficultés grandissantes à prendre des décisions.

Ainsi, l'importante réunion des ministres des affaires étrangères, qui devait se tenir à Istanbul, les 24 et 25 novembre 2009, a été reportée sine die. Les ministres des pays arabes ont en effet refusé de siéger aux côtés de leur homologue israélien, Avigdor Lieberman, dans un contexte marqué par l'échec des tentatives américaines de relance du processus de paix, les controverses sur le rapport Goldstone sur les opérations militaires dans la bande de Gaza et le net rafraîchissement des relations israélo-turques.

Le blocage politique de l'UpM n'a certes pas empêché la tenue cahin-caha de réunions techniques sur les projets, par exemple en matière de sécurité civile ou de coopération énergétique. Mais, depuis quelques mois, la plus grande incertitude règne sur l'organisation des réunions ministérielles.

D'une manière générale, celles-ci sont confrontées à des difficultés telles que la participation des représentants des États parties, le niveau de cette représentation et la réalité de leur valeur ajoutée. Il est fort probable que le programme de travail soit modifié afin d'en réduire le nombre à l'avenir.

Si certaines de ces réunions se tiennent effectivement, par exemple celles consacrées aux droits des femmes ou au commerce, la plupart d'entre elles sont annulées. Ce fut le cas des réunions relatives à l'environnement et, tout récemment, à l'énergie et à l'agriculture.

De surcroît, les réunions ministérielles qui ont bien lieu se soldent parfois par un échec. Ce fut le cas de la première réunion organisée en 2010, au cours de laquelle devait être adoptée, à Barcelone, le 13 avril dernier, une stratégie pour l'eau en Méditerranée. Deux points n'ont pas pu permettre l'adoption de la déclaration : d'une part, un différend israélo-arabe sur une référence aux « territoires occupés », l'État hébreu refusant ce terme, tandis que les pays arabes se sont opposés à la formulation alternative « territoires sous occupation » proposée par l'Union européenne, et, d'autre part, la référence à une convention de l'ONU de 1997 sur les cours d'eaux internationaux, refusée par la Turquie. Le secrétaire général de l'UpM a déclaré que cet échec faisait « planer des doutes sur l'avenir de l'UpM ».

Le conflit israélo-palestinien risque ainsi d'empoisonner systématiquement le déroulement des réunions ministérielles et l'adoption de déclarations, si bien que seules des « conclusions de la présidence » peuvent être présentées.

Faut-il y voir un affaiblissement du contenu des diverses coopérations sectorielles ? Ainsi les représentants des entreprises européennes et méditerranéennes, lors de leur sommet à Barcelone, début juin, ont-ils exprimé leur frustration face aux résultats décevants de l'UpM.

Les difficultés se sont encore accrues avec le report, en dépit des efforts déployés par le ministre espagnol des affaires étrangères auprès des capitales arabes et israélienne, du IIe sommet de l'UpM, qui devait se tenir à Barcelone, le 7 juin dernier, et constituer l'un des temps forts de la présidence espagnole de l'Union européenne. Ce sommet devrait finalement avoir lieu en novembre prochain. Le report a été justifié par la nécessité de laisser plus de temps aux négociations entamées entre Palestiniens et Israéliens, sous l'égide des États-Unis. Si cet argument n'est pas illégitime, ne faut-il pas aussi voir dans ce report, en dépit des dénégations des diplomates, une certaine désaffection des pays du Sud envers l'UpM, qui se manifeste également par le refus du Maroc et de la Tunisie d'assurer la co-présidence au nom du Sud, après l'Égypte ? Il est d'ailleurs envisagé que celle-ci, faute de candidat, se succède à elle-même.

Le report du sommet complique également la question de la co-présidence de l'UpM au titre des pays du Nord, aujourd'hui assurée par la France grâce à des accords ad hoc conclus avec les présidences tournantes successives de l'Union européenne. Le sommet devait donner à l'Espagne l'occasion de succéder à notre pays. Il a été décidé que la France continuerait d'exercer la présidence jusqu'au prochain sommet, qui pourrait se tenir les 20 et 21 novembre. Mais plusieurs États membres, en particulier ceux qui exerceront prochainement la présidence tournante de l'Union européenne, mettent en avant la déclaration de Paris de juillet 2008 qui prévoit que la co-présidence devait, en ce qui concerne l'Union européenne, être conforme aux traités qui donnent à la présidence tournante des responsabilités particulières pour la préparation et l'organisation des réunions sectorielles. Des propositions de Mme Ashton sur cette question sont attendues.

Je voudrais terminer en évoquant rapidement les projets portés par l'UpM.

Le Plan solaire méditerranéen est le plus avancé. Il poursuit trois objectifs : 1°) fournir une puissance totale de 20 gigawatts à l'horizon 2020 en énergie « propre », essentiellement solaire ; 2°) contribuer à la production locale d'énergie, tout en exportant une partie de la production vers l'Union européenne afin de garantir la rentabilité du projet ; 3°) augmenter l'efficacité énergétique et les économies d'énergie des pays de la région. Ce projet doit être finalisé d'ici 2020 et il est prévu que l'étape pilote, dont est attendue la résolution des difficultés techniques et juridiques, se termine cette année. Ce projet, dont le coût est estimé à plus de 40 milliards d'euros, n'est toutefois pas encore assuré de bénéficier des financements nécessaires. Par ailleurs, il a besoin de trouver un positionnement par rapport au projet allemand DESERTEC, qui vise à installer des centrales thermiques dans le désert du Sahara.

Si l'UpM veut connaître des avancées concrètes en matière de réalisation des projets, elle doit, d'une part, réussir à mobiliser des moyens financiers suffisants et, d'autre part, veiller à ne pas se faire concurrencer dans un cadre bilatéral, forcément plus souple et donc plus réactif.

Les instruments financiers de l'UpM se mettent progressivement en place.

Une réunion sur le financement des projets a eu lieu à Alexandrie, le 30 avril 2009, en présence des principales institutions financières internationales et de nombreuses banques. À cette occasion, a été officialisé le premier outil de financement de l'UpM : le fonds d'investissement Inframed, qui associe à la fois des pays du Nord et du Sud et dont la vocation est de financer sur fonds propres des projets d'infrastructures dans le secteur de l'environnement, de l'énergie et des transports en Méditerranée. Il bénéficie de 350 millions d'euros, dont 150 millions apportés par la Caisse des dépôts française et autant par celle d'Italie, ainsi que de 50 millions provenant de la Caisse des dépôts marocaine. Une banque d'investissement égyptienne pourrait également lui apporter 50 millions d'euros supplémentaires. Son objectif est de parvenir à mobiliser un milliard d'euros.

Par ailleurs, la Facilité euro-méditerranéenne d'investissement et de partenariat (FEMIP), qui regroupe depuis 2002 l'ensemble des instruments d'intervention de la Banque européenne d'investissement en faveur du développement économique des pays partenaires méditerranéens, s'est vu confier la mission de coordonner et d'appuyer la mise en oeuvre de trois des six initiatives prioritaires retenues au titre de l'UpM : les autoroutes maritimes et terrestres, le Plan solaire méditerranéen et la dépollution de la Méditerranée.

Enfin, je rappelle qu'en janvier dernier, le président de la République a confié à Charles Milhaud, ancien président du directoire de la Caisse nationale des Caisses d'épargne, une mission sur le financement du co-développement en Méditerranée, qui doit notamment étudier la possibilité de créer une banque dédiée à cette activité. Mais certains États membres, à commencer par l'Allemagne, n'y sont pas favorables.

M. Jacques Blanc. - La tonalité de mon intervention sera quelque peu différente. La situation en Méditerranée est compliquée par le conflit au Proche-Orient. A cet égard, le mérite de l'UpM est de permettre à des Israéliens et des Palestiniens de se rencontrer et de dialoguer.

Je représente le Sénat à l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée (APM), qui rassemble des représentants des parlements des États riverains de la Méditerranée. Il s'agit donc de la seule représentation parlementaire exclusivement méditerranéenne. Le conflit au Proche-Orient n'empêche pas la tenue des réunions des commissions de l'APM, dans lesquelles siègent notamment des parlementaires israéliens et palestiniens. Cette capacité d'échanges et de dialogue se retrouve au niveau de l'Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne (ARLEM), qui permet de débattre de projets de coopération sous-étatique entre la rive nord et la rive sud de la Méditerranée.

La coopération euro-méditerranéenne est structurée par quelques grands projets concrets comme le Plan solaire méditerranéen. Celui-ci, bien que connaissant quelques problèmes techniques qui expliquent aussi les retards pris, consiste à exporter de l'énergie solaire grâce à des centrales de nouvelle génération et permettra de réaliser la « boucle électrique méditerranéenne » et ainsi achever la connexion des réseaux électriques entre les pays du Maghreb et les pays du sud de l'Europe. Je pourrais également citer des projets concernant la gestion de l'eau, rendue éminemment compliquée par le conflit israélo-palestinien.

Il me semble donc que l'UpM est une bonne initiative, qui poursuit le processus de Barcelone, et qui, selon moi, ne l'a pas enterré, mais au contraire, redynamisé.

Enfin, je rappelle que cette initiative entre dans le cadre des efforts développés par la France pour garantir l'équilibre du financement de la politique de voisinage que d'aucuns cherchent à remettre en cause, par exemple avec le Partenariat oriental. L'UpM contribue donc à rééquilibrer la politique de voisinage de l'Union européenne en faveur de la Méditerranée.

M. Robert Badinter. - Je ne partage en rien l'opinion que vient d'exprimer notre collègue. J'estime, en effet, que la création d'une Union euro-méditerranéenne initialement envisagée était une chimère. Il s'agissait, en réalité, de créer un second ensemble en Europe, ce qui a naturellement provoqué de vives réactions parmi nos partenaires de l'Union européenne, en particulier de l'Allemagne, mais aussi des pays scandinaves qui n'ont que peu d'intérêt, on le comprend, pour les questions méditerranéennes. On a donc fait marche arrière en créant l'UpM car il n'était pas possible de mettre en place un rival de l'Union européenne. Je considère qu'il aurait été plus judicieux de donner un nouvel élan au processus de Barcelone, qui avait un vrai sens, à savoir développer des projets concrets entre le nord et le sud de la Méditerranée, par exemple en matière de lutte contre la pollution, d'énergie et de pêche. J'estime donc que l'UpM est morte.

J'ai une question à poser à notre rapporteur : quel est le coût total, depuis le sommet de Paris du 13 juillet 2008, de la mise en place de l'UpM ?

M. Robert del Picchia. - A ma connaissance, il n'existe aucun chiffre sur le budget consolidé de l'UpM. Je peux simplement vous indiquer que son secrétariat est doté d'un budget de fonctionnement provisoire de 800 000 euros, financé par la Commission européenne, alors que le secrétaire général demandait dix millions d'euros. Par ailleurs, l'Espagne a mis à la disposition du secrétariat de l'UpM, le Palais de Pedralbès, à Barcelone.

M. Robert Badinter. - Les projets euro-méditerranéens sont souhaitables et possibles. Il n'était pas nécessaire de créer une institution supplémentaire pour les conduire. L'UpM est une « sous-Union européenne pour la Méditerranée », sans dimension politique commune. Je rappelle que l'Union européenne a répondu à deux exigences : d'une part, le maintien de la paix, et, d'autre part, l'existence d'une identité et de valeurs communes. Rien de tout cela n'existe parmi les pays du sud de la Méditerranée qui entretiennent de mauvaises relations les uns avec les autres, et qui sont unis par leur seule haine d'Israël. Il me semble donc nécessaire que l'Union européenne développe ses liens économiques avec les États méditerranéens et favorise la croissance de leur niveau de vie. Selon moi, tant que perdurera le conflit au Proche-Orient, l'UpM n'aura aucune perspective. Elle se réduira à sa dimension bureaucratique, mais n'aboutira à rien. Enfin, je rappelle que l'Union européenne a été possible, aussi, parce qu'il existait des penseurs de l'Europe. A ce titre, j'insiste sur la pertinence de la méthode Monnet, qui consiste à développer d'abord des projets, avant de créer des institutions.

M. Simon Sutour. - Je partage ce que vient de dire le Président Badinter.

Il me semble que ce sont les élus des départements méditerranéens qui devraient d'abord suivre ces questions. Je dois reconnaître que la coexistence de deux assemblées parlementaires euro-méditerranéennes ne me paraît pas évidente.

M. Robert del Picchia. - Je souhaiterais faire un rappel didactique. Il existe en effet deux assemblées parlementaires euro-méditerranéennes : d'une part, l'APM, émanation de l'Union interparlementaire, qui a été créée à l'initiative de notre collègue député Rudy Salles, et qui a son siège à Malte, et, d'autre part, l'APEM, qui a été instituée en 2004 pour donner une dimension parlementaire au processus de Barcelone, et maintenant, à l'UpM, et au sein de laquelle je représente le Sénat.

M. Jacques Blanc. - Pour moi, il n'est pas question d'opposer l'Union européenne à l'UpM. Celle-ci doit contribuer à développer la politique régionale en Méditerranée, comme cela se fait également pour la Baltique. Je rappelle que le sommet du 13 juillet 2008 avait connu quelques succès diplomatiques, comme la venue à Paris du président syrien, qui n'avait pas été sans effets positifs sur la situation politique au Liban. L'UpM et l'Union européenne ne se situent donc pas au même niveau, et, à titre personnel, je conteste l'expression « chimère » pour qualifier l'UpM, qui relève, au contraire, d'une démarche pragmatique.

M. Robert Badinter. - Si l'UpM avait poursuivi une démarche pragmatique, elle aurait développé des projets avant de mettre en oeuvre des institutions.

M. Simon Sutour. - Le processus de Barcelone comme cadre de l'action communautaire envers les pays du sud de la Méditerranée fonctionnait relativement bien.

M. Jean Bizet. - Je constate que l'UpM est exposée à un véritable risque d'enlisement et que seule la réalisation de projets concrets permettra de lui donner un contenu.

Politique de coopération

6e session plénière de l'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne (12-14 mars 2010)
Communication de M. Robert del Picchia

M. Robert del Picchia. - L'Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne (APEM), qui comprend des parlementaires des 43 États parties prenantes à l'Union pour la Méditerranée (UpM), dont les 27 États membres de l'Union européenne, s'est réunie à Amman, pour sa 6e session plénière, les 13 et 14 mars derniers, après Bruxelles en 2009. L'ambiance était beaucoup moins tendue que l'année précédente, alors que l'Assemblée s'était tenue dans un contexte marqué par la suspension de la participation de la composante méditerranéenne aux travaux de l'UpM, consécutive à l'opération militaire israélienne dans la bande de Gaza.

Je vous rappelle que, le 15 décembre dernier, je vous avais présenté une communication relatant les travaux de diverses instances de l'APEM.

1. Les réunions de commissions

Avant la session plénière proprement dite, les quatre commissions de l'APEM - la commission des affaires politiques, de la sécurité et des droits de l'Homme ; la commission des affaires économiques et financières, des affaires sociales et de l'éducation ; la commission de la promotion de la qualité de vie, des échanges entre les sociétés civiles et de la culture ; la commission des droits de la femme dans les pays euro-méditerranéens - ainsi que la commission sur l'énergie, l'environnement et l'eau, pérennisée à cette occasion, se sont réunies le vendredi 12 mars. Ces cinq commissions ont examiné des projets de recommandation, soumis les jours suivants à la séance plénière.

La commission sur l'énergie, l'environnement et l'eau a débattu de trois rapports. Avec mon collègue, le sénateur algérien Abdellah Bentoumi, j'ai présenté un rapport sur la gestion de l'eau. Notre projet de recommandation a été adopté avec quelques amendements. La commission a également adopté deux projets de recommandation, sur la mise en oeuvre du Plan solaire méditerranéen et la situation dans la vallée du Jourdain.

La commission des affaires politiques, dont la présidence est assurée par le Parlement européen et dont je suis le vice-président, s'est ensuite réunie. Pour la cinquième fois consécutive, le vice-président palestinien de la commission, présenté comme proche du Hamas, n'avait pas été autorisé par Israël à se rendre à l'étranger.

La présidente de la commission, notre compatriote Tokia Saïfi, a fait état des derniers développements de la situation au Proche-Orient et présenté l'actualité de l'Union pour la Méditerranée, en particulier la nomination d'un secrétaire général jordanien, Ahmed Massadeh. Elle a également déploré que l'APEM n'ait pas été invitée à la cérémonie organisée à Barcelone, le 4 mars précédent, pour l'installation du secrétariat général de l'UpM.

Après un échange de vues sur le programme de la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne et sur l'état des lieux de l'UpM et de l'APEM, la commission a examiné les projets de recommandation afférents aux deux rapports présentés, sur : « Le processus de Barcelone et l'Union pour la Méditerranée : quelle valeur ajoutée pour le développement de la région méditerranéenne ? » et « Liberté d'expression et respect des croyances religieuses ». Ces textes ont été adoptés à l'issue de débats souvent fastidieux et confus, quoique relativement calmes, qui ont donné l'occasion, une fois encore, d'évoquer le conflit israélo-palestinien.

2. La séance plénière

La 6e session plénière a été ouverte par le président de l'APEM, Abdelhadi Majali. On notera que celui-ci n'est plus président de la Chambre des représentants de Jordanie depuis la dissolution de celle-ci par le roi Abdallah en novembre 2009, de nouvelles élections législatives ne devant pas se tenir avant la fin de cette année. En revanche, il a été depuis nommé sénateur. La Lettonie, la Slovaquie, la Syrie et la Bosnie-Herzégovine n'étaient pas représentées. En revanche, pour la première fois, le parlement britannique, qui ne participait traditionnellement pas aux travaux de l'APEM, avait envoyé une délégation.

La séance du samedi a débuté par un débat consacré au processus de paix au Proche-Orient. Elle a donné lieu à des allocutions de Jose Riera Siquier, ambassadeur en charge des affaires méditerranéennes et de l'Union pour la Méditerranée, représentant de la présidence espagnole du Conseil de l'Union européenne, de Mohamad Kamal, assistant du ministre égyptien des affaires étrangères pour les affaires parlementaires, de Ahmad Massadeh, secrétaire général de l'UpM, qui intervenait pour la première fois depuis sa nomination à ce poste dans une instance internationale, mais qui n'a pas dit un mot de l'origine française de l'UpM, et de Nancy Bakeer, secrétaire générale adjointe de la Ligue arabe. Ni Bernard Kouchner ni George Mitchell, envoyé spécial des États-Unis au Proche-Orient, initialement annoncés, n'étaient présents.

Le deuxième débat a porté sur le thème « Changement climatique et environnemental et énergies renouvelables en Méditerranée ». Il a été précédé par une intervention de Khaled Irani, ministre jordanien de l'énergie et des ressources minérales.

Enfin, cette séance a donné lieu à un débat sur la transformation de la Facilité pour l'investissement euro-méditerranéen et le partenariat (FEMIP) en une banque euro-méditerranéenne. Notre compatriote Charles-Henri Malécot, conseiller du comité de direction de la Caisse des dépôts et consignations, a présenté l'état de la réflexion sur la création d'un instrument financier dédié au développement de la région euro-méditerranéenne. Cette réflexion est menée au sein d'une commission de dix personnes, composée à parité de représentants du Nord et du Sud de la Méditerranée et présidée par Charles Milhaud, chargé d'une mission sur ce sujet par le président de la République.

La séance du samedi s'est terminée sur un discours de Gianfranco Fini, président de la Chambre des députés italienne, l'Italie assurant la présidence de l'APEM pour un an, jusqu'en mars 2011. M. Fini a exposé les trois objectifs de la présidence italienne de l'APEM : la promotion de la démocratie, de l'État de droit et des droits de l'Homme, l'attention portée aux questions écologiques et le défi du contrôle des flux migratoires et de l'intégration des immigrés. Il a insisté sur le fait que l'APEM constituait la seule instance internationale dans laquelle les Israéliens et les Palestiniens n'avaient jamais cessé de débattre. À ce titre, il a indiqué vouloir favoriser le dialogue au Proche-Orient, en particulier au niveau de la société civile.

Le lendemain, dimanche 14 mars, la séance de l'Assemblée a débuté par les questions relatives aux modifications de son Règlement, présentées par le président du groupe de travail ad hoc, le député européen Gianni Pittella.

L'Assemblée a entériné les propositions du groupe de travail relatives à son budget et à la création d'un secrétariat restreint, qui avaient été élaborées les 10 décembre et 14 janvier dernier, et approuvées par le Bureau au cours de sa réunion du 22 janvier 2010. Je vous en avais présenté les grandes lignes le 15 décembre dernier. Même si les délégations allemande, autrichienne, britannique et danoise se sont abstenues sur la création du budget, il convient de saluer cette avancée car l'APEM restait dépourvue des moyens de fonctionner de façon autonome, devant s'en remettre aux parlements nationaux et, surtout, au Parlement européen.

L'Assemblée a également adopté les autres modifications du Règlement relatives :

- à la composition des commissions : le nombre de leurs membres passe de 70 à 64 pour les trois commissions les plus anciennes et de 50 à 44 pour les commissions des droits de la femme et de l'énergie. Afin d'assurer la représentation au sein des commissions permanentes de toutes les délégations des deux composantes de l'Assemblée, un système de membres suppléants est institué. Enfin, les membres des commissions seront à l'avenir désignés par les parlements nationaux respectifs et par le Parlement européen, alors que, jusqu'à présent, ils l'étaient par les délégations elles-mêmes ;

- à la pérennisation de la commission de l'énergie, de l'environnement et de l'eau, qui devient une cinquième commission permanente ;

- au statut d'observateur, étendu aux assemblées interparlementaires à caractère régional de plusieurs États membres de l'UpM qui en font la demande. A ce titre, l'Assemblée, à l'exception d'Israël, a approuvé l'octroi du statut d'observateur aux six organisations qui en avaient fait la demande : l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, l'Union interparlementaire arabe, le Parlement arabe transitoire, l'Union interparlementaire, la Fédération internationale pour le développement durable et la lutte contre la pauvreté dans la région méditerranéenne - mer Noire (FISPMED) et l'Assemblée parlementaire de la Méditerranée, dont le président, notre collègue député Rudy Salles, était présent à Amman.

Puis l'Assemblée a approuvé les demandes d'adhésion de la Croatie et du Monténégro, qui y seront chacun représenté par deux parlementaires.

Elle a ensuite pris connaissance d'une communication relative à la première réunion d'un nouveau groupe de travail constitué en son sein, consacré à l'Université internationale euro-méditerranéenne, dite EMUNI, dont le siège se trouve à Piran, en Slovénie.

La séance s'est poursuivie par la présentation et l'adoption des projets de recommandation des différentes commissions.

Les débats ont été globalement plus sereins qu'à l'accoutumée, en particulier pour l'adoption de la recommandation de la commission des affaires politiques. On notera qu'un paragraphe de ce texte propose la modification de la dénomination de l'APEM en Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée (AP-UpM). La délégation israélienne, absente au moment du vote, avait émis une réserve sur un autre paragraphe relatif à la situation au Proche-Orient et à la construction de colonies dans les territoires occupés.

Les discussions ont également porté sur l'opportunité de transformer la FEMIP en une Banque euro-méditerranéenne. Un long débat a eu lieu sur cette question, certaines délégations, en particulier celles du Nord de l'Europe, y étant opposées au motif que le dispositif actuel donnait satisfaction et était donc suffisant. À la demande du président du Parlement européen, par ailleurs vice-président de l'APEM, le texte de la recommandation a été complété de manière à ce qu'une telle banque ne soit envisagée que comme une solution possible pour financer les projets retenus dans le cadre de l'UPM.

Les esprits se sont échauffés à l'occasion du vote de la recommandation de la commission des droits de la femme portant sur la lutte contre toutes les formes de violence à l'égard des femmes. La commission avait adopté un texte dont un paragraphe dénonce les violences subies par les femmes en cas d'occupation, « comme c'est le cas des femmes palestiniennes ». De nombreuses délégations, emmenées par le Luxembourg, ont jugé qu'il était inacceptable de viser des spécificités nationales, sauf à prendre le risque de limiter la portée de la recommandation. Au terme d'échanges très vifs, et compte tenu de l'absence de majorité requise pour modifier le texte, seize délégations, dont la France, ainsi que les membres des groupes ALDE et PPE du Parlement européen ont émis une réserve sur ce paragraphe, ma proposition de texte de compromis n'ayant pas été suivie.

Élargissement

Albanie : enseignements d'un déplacement
Communication de M. Didier Boulaud

M. Jean Bizet. - Nous allons maintenant entendre une communication rendant compte du déplacement effectué en Albanie, dans le cadre du groupe d'amitié du Sénat, en mars dernier. Didier Boulaud, qui est membre de ce groupe, a souhaité exposer à notre commission les enseignements qui peuvent être tirés de ce déplacement dans un pays qui a déposé, il y a près de 18 mois, sa candidature pour adhérer à l'Union européenne. J'ai accédé à sa demande d'autant plus volontiers qu'il m'a paru intéressant de connaître la situation dans un pays concerné par la politique d'élargissement et susceptible, un jour, de rejoindre les Vingt-Sept, et qui, me semble-t-il, reste méconnu en France.

J'ai pris l'initiative d'inviter un autre membre du groupe d'amitié France-Albanie qui accompagnait Didier Boulaud au cours de son déplacement, notre collègue Bernard Fournier, qui préside le groupe.

M. Bernard Fournier. - Je tiens d'abord à remercier Jean Bizet pour avoir accepté de consacrer une réunion de la commission des affaires européennes au compte rendu du déplacement que le groupe d'amitié France-Albanie a effectué au « pays des aigles ». Nous avons considéré qu'il était intéressant d'exposer à la commission des affaires européennes les enseignements d'un déplacement effectué dans un pays des Balkans qui a déposé sa demande d'adhésion à l'Union européenne, le 28 avril 2009.

Avec Didier Boulaud, nous nous sommes rendus en Albanie, du 16 au 20 mars dernier, à l'invitation de la présidente du parlement albanais, Jozefina Topalli. Le groupe d'amitié avait effectué un déplacement dans ce pays trois ans auparavant et avait alors publié un rapport d'information.

Nous sommes arrivés à Tirana avec l'intention d'étudier de plus près la question des relations économiques et commerciales, encore très limitées, entre nos deux pays et les moyens de les approfondir. Le Président du Sénat avait en effet exprimé ce souhait lors d'un entretien avec Mme Topalli, en décembre 2008.

Après des entretiens avec le président de la commission des affaires étrangères et des membres de la commission de l'intégration européenne, puis avec plusieurs collègues du groupe d'amitié Albanie-France, nous avons ainsi rencontré le ministre de l'économie, du commerce et de l'énergie, celui des transports, des travaux publics et des télécommunications et le vice-ministre des affaires étrangères chargé des questions économiques et de l'assistance internationale. Notre ambassadeur, Maryse Daviet, a organisé un dîner à la Résidence avec des hommes d'affaires français installés en Albanie puis une réunion avec une association regroupant des investisseurs de différentes nationalités. Nous avons été particulièrement honorés du long entretien que nous a accordé le Premier ministre, Sali Berisha, suivi d'un déjeuner en sa compagnie. Mme Topalli nous a également consacré un long entretien et un déjeuner. Tous les deux nous ont confirmé la francophilie, et la francophonie, de l'Albanie.

Nous nous sommes également rendus dans différentes villes de province, où nous avons rencontré les autorités locales : à Durrës, sur la côte, non loin de la capitale, à Shkodra, la région la plus cultivée et la plus occidentalisée du pays, et donc aussi la plus persécutée sous le régime communiste, à Lezha et à Kruja, dans le nord-ouest du pays.

Enfin, nous avons dialogué avec des élèves de l'Alliance française de Shkodra et eu la chance de rencontrer l'écrivain Fatos Kongoli à l'Alliance française de Tirana. Nous avons également été associés à la réception donnée par le ministère des affaires étrangères à l'occasion de la Semaine de la francophonie.

Je vous le disais, notre déplacement aurait dû être consacré aux questions économiques. Si nous avons pu aborder ce sujet, il a été largement éclipsé par la grave crise politique qui touche l'Albanie depuis les élections législatives du 28 juin 2009 et qui compromet les perspectives européennes de ce pays. Aussi l'essentiel de nos entretiens politiques ont-ils été consacrés à cette crise. Afin d'y voir plus clair, nous avions d'ailleurs demandé à rencontrer des membres du groupe parlementaire socialiste, dans l'opposition, qui est à l'initiative de cette situation.

Je vais maintenant laisser la parole à Didier Boulaud, qui présentera la situation politique en Albanie, puis j'aborderai la question des relations entre nos deux pays. Le tableau d'ensemble que nous allons dresser peut paraître sévère, mais la démocratie albanaise n'a pas encore 20 ans. Celle-ci a traversé des moments très difficiles, notamment en 1997, lorsque le pays a frôlé la guerre civile lors de l'effondrement des « pyramides ». Je prendrai simplement quelques exemples, empruntés au hasard, de la réalité de l'Albanie d'Enver Hoxha : il s'agissait du seul pays officiellement athée dans le monde, ce qui autorisait toutes les persécutions religieuses ; essayer de fuir le pays était passible de la peine de mort, et des camps pour la famille du fugitif ; l'institution de l'avocat avait été supprimée ; les automobiles privées n'y existaient pas ; la répression policière était impitoyable. Le régime est resté stalinien quasiment jusqu'au bout. C'était cela l'Albanie en 1991, après plus de 40 ans d'isolement et de paranoïa institutionnalisée. C'est cela que nous devons garder à l'esprit quand nous voulons apprécier les efforts de l'Albanie actuelle. C'est aussi de cette réputation que l'Albanie cherche à se débarrasser, non sans courage.

M. Didier Boulaud. - Comme on vient de le dire, la teneur de notre déplacement en Albanie a évolué, en raison de la grave crise politique qui a affecté ce pays depuis plus d'un an.

Les élections législatives du 28 juin 2009 ont en effet été remportées par la coalition Alliance pour le changement, conduite par le Parti démocratique de centre droit du Premier ministre sortant, Sali Berisha. Cette formation politique a remporté 70 sièges sur les 140 que compte le Parlement monocaméral albanais. Le Parti socialiste, dirigé par Edi Rama, maire de Tirana, reste dans l'opposition, avec 66 sièges. Les 4 sièges restants ont été remportés par le Mouvement socialiste pour l'intégration de Ilir Meta, issu d'une scission avec le Parti socialiste, qui s'est allié au Parti démocratique. Son dirigeant est devenu vice-Premier ministre et ministre des affaires étrangères, poste dont il vient de démissionner pour prendre celui de ministre de l'économie et de l'énergie après la démission du titulaire de ce portefeuille, victime, semble-t-il, de quelques turpitudes. La coalition au pouvoir détient donc une majorité de 74 sièges, insuffisante toutefois pour obtenir la majorité des trois cinquièmes requise pour voter des lois organiques et donc engager certaines réformes, dans le domaine de la justice par exemple.

Alors qu'en Albanie, le processus électoral est longtemps resté très défaillant, marqué par des irrégularités, voire des violences, les observateurs internationaux présents sur place ont conclu que ces élections législatives, selon un rapport de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, « ont marqué un progrès considérable [par rapport aux élections législatives de 2005] grâce à l'instauration de nouvelles procédures d'enregistrement et d'identification des électeurs et à l'adoption d'un cadre juridique amélioré ». Les documents d'identité biométriques qui ont permis ces progrès ont été réalisés par la société française Sagem Sécurité, du groupe Safran. Pour autant, « ces améliorations ont été occultées par la politisation de volets techniques du processus et par les violations constatées pendant la campagne, qui ont entamé la confiance du public dans le processus électoral ».

En effet, la vie politique est traditionnellement très conflictuelle en Albanie. Le chef du gouvernement exerce parfois ses prérogatives de manière autoritaire, tandis que l'opposition est divisée et peu encline à se comporter selon des règles communément admises dans une démocratie. Peut-être faut-il y voir les séquelles du régime communiste.

Les deux principales formations, le Parti démocratique et le Parti socialiste, monopolisent la scène politique albanaise. Si leurs relations sont tendues, elles savent aussi s'entendre pour assurer leur position hégémonique. Ainsi ont-elles trouvé un accord pour réviser un mode de scrutin, complexe et propice aux manipulations au moment de la répartition des sièges, qui combinait scrutin majoritaire et représentation proportionnelle. En décembre 2008, le Parlement albanais a presque entièrement modifié le code électoral : les 140 députés sont désormais élus dans le cadre d'un système proportionnel régional. Les petits partis politiques sont très opposés à ce nouveau mode de scrutin, qui leur est défavorable.

Le processus électoral a donc connu des progrès réels, mais des problèmes demeurent. L'administration des élections reste encore trop politisée et souffre d'un manque de professionnalisme. L'exactitude des listes électorales, qui a systématiquement suscité des controverses à l'occasion de pratiquement toutes les élections en Albanie, demeure un problème persistant. Des efforts ont pourtant été accomplis. Le nouveau code électoral prévoit un système d'inscription des électeurs fondé sur un registre national d'état civil informatisé et sur des registres modernisés tenus au sein des bureaux d'état civil locaux. Mais des critiques continuent d'être formulées, en particulier à l'encontre des documents d'identité requis pour l'inscription et pour l'identification des électeurs au moment du vote.

La campagne électorale a été intense, mais s'est déroulée dans le calme. Il n'en demeure pas moins que le Parti démocratique au pouvoir aurait mobilisé des ressources administratives pour sa campagne et que des pressions auraient été exercées, surtout dans les zones rurales, sur les enseignants et le personnel médical soutenant les candidats de l'opposition. De même, le fonctionnement des médias a suscité certaines préoccupations pendant la campagne : manque d'indépendance éditoriale, absence de transparence du financement, question des liens entre les propriétaires des médias et les responsables politiques.

Le vote proprement dit s'est déroulé sans incidents notables, mais le décompte des voix a pris beaucoup de temps et les résultats officiels n'ont été annoncés que tardivement, alors que les électeurs sont à peine 3,1 millions.

Dès la rentrée de septembre 2009, le Parti socialiste, arguant de l'existence de fraudes électorales, a contesté les résultats des élections législatives. Il a d'abord utilisé les différentes voies de recours prévues par le code électoral, mais ses plaintes ont toutes été rejetées. Il a alors décidé de boycotter les travaux du Parlement et a établi une liste de conditions à remplir pour y revenir, parmi lesquelles : le recomptage d'une partie des bulletins de vote et la création d'une commission d'enquête présidée par l'opposition.

Dès lors, la situation a été durablement bloquée. Le gouvernement a accepté différentes exigences du Parti socialiste, comme la création d'une commission d'enquête, qui n'a finalement pas été constituée, les parlementaires socialistes en ayant refusé les modalités de fonctionnement. Le gouvernement refusait catégoriquement, toutefois, de rouvrir une partie des urnes, considérant que cette demande, du reste rejetée par la justice, portait atteinte à la fois à la séparation des pouvoirs et à la légitimité politique de la majorité au pouvoir.

Il est vrai que la position du Parti socialiste n'a pas été forcément très claire. Ses représentants nous ont assuré qu'ils ne remettaient pas en cause les résultats des élections et qu'ils ne contestaient donc pas la victoire du Parti démocratique, mais qu'ils souhaitaient tirer les leçons des imperfections du scrutin de 2009 pour l'avenir...

Des doutes subsistent par ailleurs sur la sincérité de la démarche de ses dirigeants. En effet, les statuts du Parti socialiste prévoient que le chef du parti doit démissionner s'il perd une élection législative. Or, Edi Rama estime que les élections législatives n'ont pas été perdues par lui, mais que la victoire lui a été « volée » par le Parti démocratique, ce qui lui permet de ne pas démissionner...

Le blocage politique s'est accompagné, outre le refus de l'opposition de participer aux travaux du Parlement, de manifestations et de contre-manifestations plus ou moins suivies, du lancement d'une pétition nationale, du boycott des élections locales partielles,... Une vingtaine de députés socialistes ont même entamé une grève de la faim.

Plusieurs opérations de médiation ont été entreprises, mais elles sont restées longtemps infructueuses. Le président de la République albanaise a ainsi cherché, sans succès, à restaurer le dialogue entre les deux principales formations politiques. Le 20 mai dernier, le Premier ministre et Edi Rama se sont rencontrés à Strasbourg, sous l'égide du commissaire européen à l'élargissement, Stefan Füle, et des présidents des groupes PPE et socialiste du Parlement européen, pour tenter de trouver une solution à la crise politique. Cette réunion a au moins permis de mettre un terme à la grève de la faim des députés socialistes.

En février dernier, les députés socialistes sont venus siéger une journée au Parlement, le temps de prêter serment. Selon la Constitution, en effet, les députés doivent prêter serment dans un délai de six mois après leur élection, faute de quoi ils sont déchus de leur mandat.

Cette impasse politique et institutionnelle a eu au moins deux inconvénients très graves pour l'Albanie :

- d'une part, elle a retardé l'adoption des réformes dans un pays qui a un besoin urgent de modernisation dans tous les domaines, notamment parce que certaines dispositions législatives ne peuvent être adoptées qu'en réunissant une majorité qualifiée qui requiert le ralliement de certains députés de l'opposition ;

- d'autre part, elle a nui indéniablement à sa crédibilité sur la scène internationale, et d'abord européenne, alors que le pays a déposé sa candidature à l'Union européenne. Le commissaire à l'élargissement avait ainsi mis en garde l'Albanie, lors de la réunion du Conseil de stabilisation et d'association Union européenne/Albanie, le 11 mai dernier, et lui avait indiqué que l'impasse politique dans laquelle elle se trouvait pourrait lui nuire au moment où la Commission européenne aurait à se prononcer sur sa demande d'adhésion.

L'intégration européenne est pourtant la priorité affichée du Premier ministre et constitue l'un des rares sujets de consensus parmi la classe politique albanaise. Selon différents sondages, plus de 90 % de la population est en effet favorable à l'adhésion.

Depuis notre déplacement, les députés socialistes ont finalement accepté de siéger au Parlement le 24 mai et les débats ont repris, mais dans une atmosphère généralement très tendue.

Ces dernières semaines ont néanmoins connu des évolutions favorables. Fin août, le Parti démocratique et le Parti socialiste ont rendu public l'accord auquel ils étaient parvenus un mois plus tôt. Cet accord prévoit notamment la création d'une commission d'enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur les conditions du vote, la possibilité de désigner la Commission de Venise pour arbitrer le conflit et une réforme à venir de la loi électorale.

Le 24 août, le Premier ministre s'est, pour la première fois, dit prêt au recomptage des bulletins de vote contestés, « même si cette procédure devait aboutir à une modification du résultat final ».

En ce qui concerne l'adhésion à l'Union européenne, je rappelle que l'accord de stabilisation et d'association (ASA) entre l'Albanie et l'Union européenne a été signé le 12 juin 2006, après plus de trois ans de négociations, et est entré en vigueur le 1er avril 2009. L'Albanie a déposé une demande d'adhésion le 28 avril 2009 et le Conseil a transmis cette demande à la Commission, pour avis, le 16 novembre suivant. Le 14 octobre 2009, la Commission européenne a publié un rapport sur la mise en oeuvre de l'ASA par l'Albanie, qui constitue un excellent aperçu de la situation dans ce pays et qui illustre les besoins de réformes, en particulier dans les domaines suivants :

- en matière de démocratie et de droits de l'Homme, l'Albanie continue de s'aligner sur l'acquis communautaire, mais la fonction publique demeure l'objet de fréquentes ingérences politiques ;

- la réforme du système judiciaire est pour l'instant timide. Celui-ci demeure encore trop partial et le pouvoir exécutif cherche régulièrement à limiter son indépendance ;

- le gouvernement est résolu à lutter contre la corruption qui reste endémique, y compris au sein du personnel politique, dans un contexte marqué par l'impunité. Entre 2008 et 2009, l'Albanie est d'ailleurs passée de la 85e à la 95e place dans le classement concernant l'indice de perception de la corruption, établi par Transparency International. Plusieurs problèmes demeurent préoccupants : le blanchiment de capitaux, le trafic de stupéfiants, la criminalité organisée ;

- les conditions de détention restent médiocres, de nombreuses prisons étant vétustes et surpeuplées ;

- les progrès enregistrés en matière de droits économiques et sociaux sont limités : la violence domestique continue de sévir, la lutte contre le travail des enfants doit être poursuivie et le handicap est une question encore négligée. Les normes en matière d'hygiène et de sécurité au travail sont très perfectibles ;

- le constat est le même en ce qui concerne le renforcement des droits de propriété, particulièrement peu respectés en Albanie.

Le 14 avril dernier, Sali Berisha a remis à la Commission ses réponses au questionnaire de préadhésion, un document de 384 pages comportant 2 280 questions couvrant tous les secteurs de l'acquis communautaire. Sur cette base, la Commission établira son avis sur les préparatifs du pays à l'adhésion et présentera une recommandation au Conseil.

En ce qui concerne la question des visas, qui suscite incompréhension et agacement parmi la population, un accord entre l'Albanie et l'Union européenne relatif à la facilitation de la délivrance de visas a été signé en septembre 2007 et est entré en vigueur le 1er janvier 2008. Fin novembre 2009, l'Union européenne a estimé que l'Albanie n'avait pas rempli tous les critères définis dans le cadre du dialogue sur la libéralisation des visas avec les pays des Balkans occidentaux et qu'elle ne remplissait pas les conditions requises pour la libéralisation des visas, contrairement à trois de ses voisins, le Monténégro, l'ancienne République yougoslave de Macédoine et la Serbie, pour lesquels la suppression de l'obligation de visas s'applique à compter du 19 décembre 2009. En revanche, l'Albanie, de même que la Bosnie-Herzégovine, demeure en attente, même si elle bénéficie d'une feuille de route en vue de la levée de l'obligation de visa Schengen de court séjour.

Le 27 mai dernier, la Commission, considérant que l'Albanie avait connu des avancées significatives en matière de sécurité des passeports, de renforcement des contrôles aux frontières et de consolidation du cadre institutionnel pour la lutte contre la criminalité organisée et la corruption, a proposé de supprimer les visas de courte durée pour ce pays afin de permettre à ses ressortissants de voyager librement dans l'espace Schengen, dès lors qu'ils sont munis de passeports biométriques. Cette proposition, qui pourrait être adoptée à l'automne, est toutefois soumise à la satisfaction de trois conditions : développement d'une politique de soutien à la réintégration des rapatriés, renforcement des capacités des services répressifs et mise en oeuvre effective du cadre juridique pour la lutte contre la criminalité organisée et la corruption, mise en oeuvre effective du cadre juridique pour la confiscation des biens du crime organisé. Certains États membres demeurent toutefois prudents et ont demandé que l'Albanie informe ses ressortissants des limites de la suppression des visas de courte durée.

Les conséquences de la crise politique étaient d'autant plus dommageables que l'Albanie avait acquis une bonne réputation en matière diplomatique, en menant une politique étrangère modérée et stabilisatrice dans la région, en particulier au Kosovo et en direction de la Serbie, et en entretenant de bonnes relations avec ses voisins, y compris avec l'ancienne République yougoslave de Macédoine, où vit une forte minorité albanaise.

L'Albanie a atteint son deuxième objectif sur la scène internationale, en devenant membre de l'OTAN. Officiellement candidate depuis 2002 et invitée à rejoindre l'Organisation au sommet de Bucarest, en avril 2008, elle a participé, l'année suivante, au sommet de Strasbourg-Kehl pour la première fois en qualité de membre à part entière de l'OTAN. Depuis plusieurs années, l'Albanie participait aux opérations de maintien de la paix en Afghanistan. De même, en juillet 2008, l'Albanie, en envoyant un contingent de 62 hommes au Tchad, participait pour la première fois à une opération menée par l'Union européenne dans le cadre de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD).

M. Bernard Fournier. - Je souhaiterais à présent dresser un état des relations entre la France et l'Albanie, en particulier dans les domaines économique et culturel.

Je rappelle d'abord que l'Albanie reste l'un des pays les plus pauvres d'Europe. Son économie est encore fragile et largement tributaire à la fois des transferts de la diaspora, qui représentent près de 15 % du PIB et le double du montant des exportations, et de l'aide extérieure. Entre 1991 et 2006, l'Albanie a ainsi reçu plus de 1,26 milliard d'euros de l'Union européenne. Depuis 2007, elle bénéficie de l'instrument de pré-adhésion et a reçu une aide de 81,2 millions d'euros en 2009.

L'Albanie obtient cependant des résultats économiques satisfaisants, dans un contexte de récession marquée en Europe. Son économie a continué de croître en 2009. Il est vrai que le système bancaire et monétaire albanais n'est pas encore très développé ni complètement intégré aux marchés financiers internationaux, ce qui l'a protégé dans un contexte particulièrement agité. En outre, la banque centrale a conduit une politique monétaire prudente.

Le pays présente un fort potentiel de croissance, grâce à la politique du gouvernement qui vise à attirer les investisseurs étrangers et à améliorer l'environnement économique. Les formalités administratives sont réduites au minimum, d'importants efforts pour développer l'administration électronique ont été réalisés et le système d'imposition est extrêmement favorable. Mais les faiblesses administratives et le poids de l'économie informelle handicapent le développement de l'économie et nuisent à l'environnement des entreprises. Le taux de recouvrement de l'impôt reste faible.

Le creusement du déficit budgétaire est largement dû à la réalisation de travaux publics, notamment les routes et le réseau d'eau, indispensables dans un pays très montagneux, où les besoins en infrastructures sont considérables. Le gouvernement a ainsi l'ambition d'achever le goudronnage du réseau routier secondaire d'ici 2013.

En trois ans, depuis le précédent déplacement du groupe d'amitié, des progrès ont été réalisés dans le domaine de l'énergie, même si la sécurité de l'approvisionnement en électricité, d'origine essentiellement hydraulique, est loin d'être complètement assurée, faute d'interconnexions suffisantes et d'une gestion optimale du réseau. L'Albanie est intéressée par toutes les formes de production d'énergie, y compris nucléaire, et nos interlocuteurs ont manifesté leur intérêt pour le savoir-faire français en la matière.

D'une manière générale, l'Albanie nourrit une attente certaine envers notre pays, dans de nombreux domaines, mais regrette l'insuffisance de son engagement et la modicité des moyens qu'elle lui consacre.

L'excellente qualité des relations politiques bilatérales n'a malheureusement que très peu de conséquences en termes d'échanges économiques, ce que nous avons déploré à plusieurs reprises au cours de notre déplacement.

Comme dans l'ensemble des Balkans, marqués par l'étroitesse des marchés économiques, la position commerciale de la France en Albanie reste très faible, sa part de marché s'y établissant à environ 2 % pour des échanges s'élevant à 78 millions d'euros en 2009. Cette année-là a toutefois été marquée par un doublement de nos exportations vers l'Albanie, pour un montant de 51 millions d'euros. Ce résultat permet à notre pays de compter parmi les dix premiers fournisseurs de l'Albanie. Nos exportations vers ce pays se situent dorénavant à un niveau supérieur à celles en direction d'autres pays des Balkans, tels la Bosnie-Herzégovine, l'ancienne République yougoslave de Macédoine, le Monténégro et le Kosovo.

Pour autant, ce progrès récent ne doit pas dissimuler la réalité d'un marché dominé par l'Italie et la Grèce, respectivement le premier et le deuxième partenaire commercial de l'Albanie, ces deux pays représentant à eux seuls 41 % des échanges avec ce pays, même si cette part s'est effritée depuis cinq ans au profit de la Chine, de la Russie et, dans une moindre mesure, de l'Allemagne.

Les positions commerciales de la France en Albanie restent faibles, mais ont progressé fortement en 2009 grâce à la conclusion de deux contrats, après le contrat obtenu en 2007 par Sagem Sécurité pour la confection et la fourniture de documents d'identité :

- le premier concerne la fourniture de deux aéronefs de type ATR 72 à la compagnie aérienne low cost BelleAir, pour un montant de 18 millions d'euros, qui a donné lieu à une première livraison en juillet 2009 ;

- le second contrat, signé en décembre 2009, concerne la fourniture par Eurocopter aux forces aériennes albanaises de 5 hélicoptères de type Cougar, pour un montant de 79 millions d'euros, les livraisons étant prévues en 2011 et 2012. Ce contrat a été obtenu en dépit d'une vive concurrence de la société américaine Sikorsky et le choix du gouvernement albanais peut être interprété comme un signe de sa volonté européenne.

De même, la présence des entreprises françaises en Albanie demeure trop modeste. Elles s'y montrent généralement frileuses, arguant de l'étroitesse du marché, qui est pourtant le même pour nos concurrents européens.

Les investissements français en Albanie sont très limités. Ils représentent seulement 2,3 millions d'euros, soit moins de 2 % des investissements directs étrangers, contre 71 % pour l'Italie et la Grèce. Ils peuvent toutefois toucher des secteurs stratégiques, comme les services financiers, avec la Société générale et le Crédit agricole, la production de documents d'identité et le secteur minier. Plus récemment, la Compagnie nationale du Rhône a obtenu une concession pour la construction d'une centrale hydro-électrique dans laquelle elle devrait investir 2 millions d'euros. Par ailleurs, la société Chronoservices, filiale de l'Imprimerie nationale, a été chargée par les autorités albanaises de la mise en oeuvre du projet de chrono-tachygraphie.

Les entreprises françaises pourraient toutefois tirer parti de perspectives intéressantes, ne serait-ce qu'en raison de la politique de développement conduite par le gouvernement albanais à un rythme soutenu.

Les autorités albanaises considèrent l'énergie, l'eau et les transports comme des secteurs prioritaires. Elles souhaitent notamment capitaliser sur les vastes ressources hydrauliques du pays pour atteindre l'auto-suffisance énergétique et pour développer les exportations d'électricité. Elles cherchent également à sortir le pays de son relatif enclavement grâce à un réseau routier renforcé.

D'autres opportunités existent dans les énergies fossiles, l'exploitation des minerais, l'agriculture et le tourisme - 90 % de la côte seraient préservés, avec des paysages qui évoquent ceux de la Corse. De même, les groupes de la grande distribution française sont absents du pays, alors que leurs concurrents italiens et allemands y sont présents.

Sur le plan culturel, on l'a dit, l'Albanie est un pays francophile et francophone, membre, depuis 2006, de l'Organisation internationale de la francophonie.

La communauté française en Albanie est peu importante, ne comptant, au 15 février dernier, que 117 ressortissants, dont 21 ont également la nationalité albanaise. Parmi eux, 26 de nos compatriotes sont des fonctionnaires et assimilés.

Pourtant, la langue française bénéficie depuis longtemps d'une situation privilégiée, en particulier à l'époque du lycée français de Korçë, qui a formé des générations de francophones dans les années 1920 et 1930. Ce lycée n'a jamais rouvert après la guerre, mais il existe quatre sections bilingues dans des lycées albanais. Au total, le français est appris par 23 % des élèves de l'enseignement pré-universitaire, soit environ 75 000 élèves. Le pays compte également quatre Alliances françaises particulièrement dynamiques.

Environ 500 étudiants albanais étaient inscrits dans les universités françaises au cours de l'année universitaire 2007/2008, contre 22 000 en Italie. Notre pays est ainsi le sixième pays d'accueil des étudiants albanais. Un partenariat avec l'ENA a été noué.

M. Didier Boulaud. - J'ajoute que le Premier ministre Sali Berisha a l'ambition de faire de l'Albanie un « e-pays » en développant rapidement l'administration électronique. Naturellement, l'Albanie, avec laquelle la France a toujours entretenu des relations diplomatiques, souffre des séquelles de son histoire, mais elle a beaucoup changé depuis vingt ans. Nous avons d'ailleurs été touchés par les jeunes Albanais que nous avons rencontrés à Shkrodra qui ont spontanément choisi d'apprendre le français. Le tourisme est un axe important de développement du pays, même s'il est nécessaire de lutter contre la tentation de bétonner. A ce titre, je rappelle, pour anecdote, qu'un immeuble avait été illégalement construit sur un terrain appartenant à l'ambassade de France, à Durrës. La politique extérieure albanaise s'est également montrée très adroite dans le contexte compliqué des Balkans. Enfin, j'insiste sur le caractère tolérant et ouvert de la religion musulmane en Albanie.

M. Bernard Fournier. - L'Albanie souffre d'un certain nombre de préjugés liés au crime organisé, à la corruption, à l'absence de démocratie ou encore aux difficultés financières. Ces problèmes sont traités vigoureusement par les autorités albanaises et sont, pour certains, sur le point d'être résolus. L'Albanie est un pays qui évolue et qui a fourni de nombreux efforts en peu de temps.