Mardi 14 décembre 2010

- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -

Audition de M. Marc Mortureux, directeur général de l'agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses)

La commission procède à l'audition de M. Marc Mortureux, directeur général de l'agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

Mme Muguette Dini, présidente. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et vous prie de bien vouloir excuser Alain Milon qui, retenu ce matin pour des raisons familiales, m'a chargée de vous poser, à l'issue de votre présentation, un certain nombre de questions.

M. Marc Mortureux, directeur général de l'Anses. - A mon tour de vous remercier de me donner l'occasion de présenter la nouvelle agence qu'est l'Anses, en compagnie de Valérie Baduel, directrice générale adjointe pour les questions stratégiques, d'Alima Marie, chargée de la communication et du dialogue avec la société, et de Gérard Lasfargues, directeur général adjoint pour les questions scientifiques, qui est aussi médecin du travail. Je suis d'autant plus heureux de votre invitation que l'Anses a été créée par la volonté du Parlement. Il me semble donc essentiel que nos liens restent étroits et que nous demeurions à l'écoute.

Comment s'est déroulé le processus de fusion qui a donné naissance à cette nouvelle agence aux compétences élargies qu'est l'Anses, et à quels grands enjeux celle-ci est-elle appelée à répondre ?

J'ai été chargé, en septembre 2009, d'engager la fusion entre l'Afssa, structure responsable de la sécurité sanitaire des aliments, et l'Afsset, agence dédiée à la sécurité de l'environnement et de la santé au travail. Pour répondre aux inquiétudes que pouvait susciter une telle entreprise, j'ai souhaité mener une concertation intensive avec l'ensemble des acteurs. C'est à l'issue de douze réunions qui ont rassemblé, sur huit mois, quelque quarante acteurs, qu'a été élaboré le projet d'ordonnance prévu par la loi HPST, lequel a été adopté en conseil des ministres en janvier 2010. Afin que soient apportées toutes les garanties sur le mode de gouvernance, la concertation s'est ensuite poursuivie pour la préparation du décret d'application, qui a été publié le 30 juin 2010, pour une mise en place de l'agence au 1er juillet de la même année. Ont été depuis mis en place le conseil d'administration, dont la première réunion s'est tenue fin septembre, ainsi que l'ensemble des instances de gouvernance.

L'Anses constitue une structure scientifique indépendante chargée d'évaluer les risques pour la santé humaine, animale et végétale. Sa création se fonde sur le principe de séparation entre l'évaluation des risques, dont elle a la charge, et la gestion des risques, dont la responsabilité revient à l'exécutif. L'agence fournit non seulement aux ministères mais à l'ensemble des décideurs, publics et privés, sur le fondement d'une revue des connaissances disponibles, tant sur le plan national qu'international, des évaluations sur les sujets dont elle est saisie. Celles-ci sont accompagnées de recommandations de gestion pour assurer la protection des travailleurs, des consommateurs et des citoyens, dans le cadre d'une expertise indépendante et collective donnant lieu à des avis systématiquement rendus publics.

La concertation visait à lever plusieurs sujets d'inquiétude, au premier rang desquels la question de l'indépendance de l'institution et de la prévention des conflits d'intérêt. De fait, la valeur ajoutée de l'agence tient à la fois à son indépendance, qu'il importait de garantir, et à sa capacité à mobiliser l'expertise. C'est ainsi que nous nous sommes employés à renforcer les garanties que l'institution nouvelle héritait des deux agences dont elle constitue la fusion, en organisant son travail autour de vingt comités d'experts spécialisés, désignés, à la suite d'appels à candidature renouvelés tous les trois ans, sur le fondement d'un critère de compétence et de l'examen des déclarations publiques d'intérêt, déposées par les impétrants, et toujours rendues publiques. C'est ainsi que nous procédons, en toute transparence, à un examen des liens d'intérêt qui peuvent être ceux des personnalités pressenties, afin d'éviter tout risque de conflit, étant entendu qu'au sein d'une communauté scientifique qui voit de nos jours se développer la recherche partenariale avec l'industrie, l'indépendance absolue ne peut rester qu'un idéal. Ceci rend indispensable une garantie supplémentaire, celle de la collégialité - les collectifs, pluridisciplinaires, sont formés de personnalités issues d'horizons très divers - d'expertises conduites selon la norme NFX 50-110, qui garantit la plus grande traçabilité sur l'ensemble de ses étapes, et systématiquement rendues publiques.

Autre garantie supplémentaire, la mise en place d'un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts, que nous comptons installer au premier semestre 2011. Composé de cinq à huit sages indépendants de l'agence, il sera tout à la fois saisi pour examen en cas de soupçon de conflit et pourra se voir soumettre des questions sur les sujets touchant à la prévention des conflits d'intérêt. C'est là un point fondamental pour asseoir la crédibilité de l'agence.

En vertu de l'étendue de son champ de compétence et de son caractère pluridisciplinaire, l'Anses peut appréhender l'ensemble des expositions subies par l'homme, tant comme travailleur que comme consommateur et plus largement comme citoyen. La fusion permet de fait de gagner en efficacité. Pour une source de danger, biologique ou physico-chimique, c'est désormais une évaluation globale qui sera conduite, prenant en compte l'intégralité des sources d'exposition, donc plus protectrice. Nous sommes d'ailleurs pionniers en la matière, et cette approche suscite un grand intérêt chez nos homologues en Europe et dans le monde, qui nous voit capables, sur des sujets aussi actuels que les nanomatériaux, de fédérer les compétences et les équipes pour parvenir à une évaluation transversale coordonnée.

Auparavant, en matière de substances chimiques, nous avions deux instances d'évaluation. D'un côté l'Afssa, pour l'aspect phytosanitaire, de l'autre l'Afsset, pour les biocides. Aujourd'hui, c'est une direction unique qui est en charge des substances chimiques, ce qui constitue un progrès important quand on sait qu'entre biocides et produits phytosanitaires, bien des principes actifs sont identiques. Il en va de même pour l'évaluation des risques liés à l'eau : c'est l'ensemble du cycle qui peut désormais être pris en compte. Autre exemple de bénéfice lié à la coordination des travaux, celui qui profite aux travailleurs agricoles. Autrefois, l'Afsset étant chargée de la santé au travail et l'Afssa des produits phytosanitaires, les questions intéressant leur santé étaient traitées en deux lieux. Aujourd'hui, l'approche est intégrée.

L'Anses est également chargée d'une fonction de veille et d'alerte sur les risques émergents, afin d'en prévenir la survenance. Elle peut compter sur les laboratoires de référence et de recherche, hérités de l'Afssa, spécialistes de la sécurité des aliments et de la santé animale, qui jouissent d'une reconnaissance européenne et internationale, pour développer des méthodes d'analyse, collecter les données, assurer une surveillance épidémiologique et constituer un corpus de connaissances scientifiques.

Avec un budget de 130 millions, l'agence emploie mille trois cent cinquante personnes, sans compter les huit cents experts extérieurs, et une centaine d'implantations. Sa tutelle est répartie entre cinq ministères - santé, agriculture, écologie, travail et consommation, ce qui laisse quelque sérénité quant à la question de son indépendance...

La concertation menée avec les partenaires sociaux, les associations, les ONG et les représentants des ministères a fait apparaître trois préoccupations principales.

La première, sachant que l'Afsset ne comptait que cent cinquante agents contre mille deux cents agents pour l'Afssa, tenait au risque de dilution du monde de la santé au travail dans la grande agence que constitue l'Anses. La fusion ne devait pas se solder en une absorption, mais créer du neuf en préservant une identité claire à chaque composante - santé au travail, sécurité environnementale, sécurité de l'alimentation et santé animale. Nous y sommes parvenus grâce au système de gouvernance retenu, ainsi qu'à la mise en place, auprès du conseil d'administration, depuis le 1er octobre dernier, d'un comité d'orientation technique sur la santé au travail, qui assure une participation active de l'ensemble des acteurs et trace des lignes pour l'avenir. L'instauration d'une comptabilité analytique apporte une garantie supplémentaire quant aux moyens qui seront dévolus à chaque domaine, étant entendu que les marges dégagées grâce aux synergies doivent bénéficier à tous.

La deuxième préoccupation visait la préservation de la transparence des pratiques et de l'indépendance de l'institution, sur quoi je me suis tout à l'heure expliqué, ainsi que son ouverture aux parties prenantes, que nous avons assurée en faisant le choix d'une large gouvernance, l'ensemble des acteurs présents au conseil d'administration - partenaires sociaux, associations et ONG, représentants de l'association des maires de France (AMF) et de l'association des départements de France (ADF) - disposant, au même titre que les ministères, d'une faculté de saisine. C'est ainsi que l'agence a récemment été saisie par une organisation syndicale de la question des risques d'exposition au bitume pour les ouvriers qui travaillent à l'étendre. Cela étant, nous entendons optimiser notre fonction d'utilité publique, en évitant la duplication des travaux. L'agence travaille en interface avec ses homologues européennes. Elle a noué des partenariats dans le monde entier. Elle entend au reste, étant de large assise, peser de tout son poids sur la scène internationale. C'est ainsi que la question du bisphénol A, et plus largement des perturbateurs endocriniens, nous a largement mobilisés.

Troisième sujet de préoccupation, enfin, préserver la distinction entre opérateurs de recherche et laboratoires, d'une part, et appels à projets, d'autre part, dont il importe que l'agence puisse les lancer, en particulier dans les domaines où nous manquons de connaissances scientifiques pour l'évaluation des risques - comme ceux des nanoparticules ou des radiofréquences. En ce dernier domaine, nous avons non seulement préservé mais étendu les compétences, puisque la fondation « santé et radiofréquences » ayant été intégrée dans l'agence, la loi de finances pour 2011 prévoit, grâce à l'adoption d'un amendement, un financement spécifique pour les appels à projet de recherche sur ce sujet.

Mme Muguette Dini, présidente. - Alain Milon souhaitait vous interroger sur plusieurs points. Quelle articulation, au sein de l'agence, entre fonction de régulation du médicament vétérinaire et fonction d'expertise ? Comment est organisée la participation des laboratoires de l'Anses aux appels d'offre qu'elle lance ? L'agence évalue-t-elle le risque d'addiction lié aux produits mis sur le marché ? Comment se répartit la charge de travail entre sécurité alimentaire, sécurité environnementale et santé au travail ? L'agence prend-elle en compte les risques psychosociaux dans le cadre de la santé au travail ?

Un mot pour aller dans votre sens quant au poids qui doit être celui de notre pays en certains domaines de recherche. Vous savez que l'interdiction des biberons fabriqués à base de bisphénol A résulte d'une initiative du Sénat, dont Gérard Dériot a été le rapporteur pour notre commission. Nous avons également demandé à l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) un rapport d'information sur les perturbateurs endocriniens.

Mme Isabelle Debré. - Vous avez cité le chiffre de mille trois cent cinquante agents : cela représente-t-il le même volume de personnel qu'avant la fusion ? Le budget de l'agence est, dites-vous, de 130 millions : quels étaient ceux de l'Afssa et de l'Afsset ? Quid de l'implantation géographique ? Entendez-vous réunir les services sur un même site ?

M. Guy Fischer. - On sait que fusion est aujourd'hui synonyme d'optimisation. Or, à vous entendre, le périmètre des moyens est resté le même. Êtes-vous chargé de le faire évoluer ?

La santé au travail et les risques psychosociaux sont devenus un problème majeur de société. Le mal-être au travail, qui a fait l'objet de l'une de nos missions d'information, est au coeur de nos préoccupations. Comment votre agence peut-elle apporter sa pierre à l'édifice pour assurer, dans un souci de plus juste répartition des fruits de l'effort de création de richesse, plus de bien-être aux travailleurs ?

M. Paul Blanc. - Vous avez évoqué le sujet des ondes radio magnétiques, auquel nous sommes sensibles : comment entendez-vous articuler votre travail avec celui que mène l'Opecst ?

M. Marc Mortureux. - Le médicament vétérinaire fait l'objet d'un traitement particulier, comme le médicament humain. L'agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) a la responsabilité de l'évaluation, de la délivrance des autorisations, des contrôles et inspections, selon le schéma qui prévaut au niveau international. Pour éviter toute ambigüité, l'ANMV suit le code de déontologie de l'Anses et son fonctionnement est régi par un dispositif particulier, son directeur bénéficiant de ma part d'une délégation de pouvoirs, en contrepartie de laquelle il est soumis à des audits portant un regard extérieur régulier sur les modalités de fonctionnement de l'agence dont il a la responsabilité. C'est une question qui a été largement débattue dans le cadre de la concertation préalable.

La question de la participation de nos laboratoires aux appels à projets ne pose pas problème dans la mesure où ces derniers portent sur des champs qui ne recouvrent pas les domaines de recherche principaux de nos instances. En tout état de cause, ces deux missions de l'agence - opérateur de recherche et programmateur d'appels à projets - répondent à des processus clairement distincts propres à lui éviter tout soupçon d'être à la fois juge et partie. J'ajoute que l'enveloppe financière destinée aux appels à projets est clairement identifiée et fait l'objet d'une comptabilité spécifique.

L'évaluation des risques d'addiction liés aux produits mis sur le marché ne fait pas partie de nos missions : elle entre dans le champ de compétences de la direction générale de la santé. Cependant, certains médicaments vétérinaires pouvant être addictifs pour l'homme, l'avis de l'agence nationale du médicament peut être requis.

Le budget de l'agence passera de 110 millions en 2010 à 128 millions en 2011, accroissement lié à l'élargissement de son périmètre d'intervention. Au 1er janvier, nous intègrerons en effet le laboratoire national de protection des végétaux, qui ne dépendra plus ainsi, dans un souci de séparation claire entre évaluation et gestion, du ministère de l'agriculture. Une bonne nouvelle : les ministères de l'agriculture et de la santé consentiront un effort, exceptionnel dans le contexte budgétaire actuel mais récurrent, à hauteur de 5,3 millions pour assurer le financement des investissements de l'agence - on sait les problèmes auxquels s'était heurtée l'Afssa en cette matière. Les bonnes nouvelles sont toujours tempérées par de moins bonnes : à périmètre constant, et hors cet effort de dotation exceptionnelle, la subvention dont bénéficie l'agence diminue de 5 %. Nous sommes soumis à la règle de réduction des effectifs qu'à rappelée hier avec force M. Baroin, ce qui représente pour nous une perte de dix-huit ETP en 2011, ainsi qu'à l'obligation de réduire nos dépenses de fonctionnement de 10 % sur trois ans.

Bien entendu, la fusion permet une optimisation. Mais son objectif premier n'est pas de réaliser des économies : il est d'optimiser le service rendu. Ceci étant, les synergies, qui aboutiront à une économie de dix ETP dans les services support, réduisent l'impact sur nos métiers des contraintes budgétaires qui pèsent sur nous.

En 2011, le financement de l'agence sera assuré à 61 % par une subvention de l'État : sur 91 millions, 60 proviendront du ministère de l'agriculture ; 12,6 du ministère de la santé ; 8,10 du ministère de l'écologie, 8,9 du ministère du travail ; 13 %, soit 16 millions, proviendront de la redevance acquittée par les industriels lors du dépôt des dossiers sur leurs produits phytosanitaires, biocides ou médicaments vétérinaires ; 16 %, enfin, du revenu des contrats publics liés à des projets de recherche de niveau européen. Le caractère public de ces financements constitue une garantie d'indépendance.

Alain Milon souhaitait savoir comment se répartit la charge entre les différentes filières. La comptabilité analytique permet de retracer la répartition des moyens : 28 % vont à la sécurité alimentaire, 40 % à la santé animale, 12 % à la santé végétale, 11 % à la sécurité environnementale et 8 % à la santé au travail.

La prise en compte des risques psychosociaux en matière de santé au travail a été débattue lors de la concertation. Nous disposons d'un réseau national de pilotage auquel remonte l'information sur les consultations de pathologie professionnelle des CHU et des services de santé au travail. Son rapport annuel fait apparaître une vraie montée en puissance de cette composante, qui a d'ailleurs donné naissance à toutes sortes d'officines, plus ou moins fiables, qui proposent à la vente des méthodes de remédiation... L'intervention, en ce domaine, d'une agence comme l'Anses, indépendante, sans lien avec une quelconque école de pensée, serait une vraie valeur ajoutée. Elle pourrait réunir les expertises pour aider à la mise en place de réponses méthodologiques. Si ce volet d'action n'a pas été retenu parmi les priorités pour 2011, il devrait faire partie de notre réflexion dans le cadre de la préparation du contrat d'objectifs et de performance. Pour intervenir sur les préoccupations liées aux rythmes de travail, nous sentons qu'il y a une véritable attente.

Mme Debré m'a interrogé sur le siège de l'agence. Nous avons cette chance que l'Afssa et l'Afsset étaient installées sur la commune de Maisons-Alfort. Nous avons mis cette circonstance à profit pour regrouper les équipes, afin de bien marquer la fusion. Notre projet est d'organiser le regroupement sur le campus de l'école vétérinaire. Nous avons l'autorisation de construire un bâtiment sur des terrains appartenant à l'État. C'est là la solution la moins coûteuse car des laboratoires importants et nos équipes support y sont déjà implantés. Nous payons aujourd'hui un loyer : le montant en serait réinvesti en remboursement d'emprunt. La seule difficulté tient à l'interdiction faite aux opérateurs de l'État de s'endetter. Mais nous pouvons avoir recours au système de l'autorisation d'occupation temporaire, pour permettre à un opérateur de construire pour notre compte, le bâtiment revenant à l'État au terme de trente années de versement de loyer.

Mme Isabelle Debré. - A qui versez-vous aujourd'hui des loyers ?

M. Marc Mortureux. - Nous les versons sur deux autres sites, l'un à Oseo, l'autre à un propriétaire européen.

J'en viens à la question des ondes radioélectriques, qui avait fait l'objet, il y a un an déjà, d'un rapport de l'Afsset. Sachant que le niveau d'exposition domestique ne cesse d'évoluer avec, par exemple, l'apparition de la télévision sans fil à domicile ou l'usage de portables par des enfants de plus en plus jeunes, nous souhaitons mettre en place un groupe d'expertise permanent qui dressera une revue annuelle de l'état des données. Ayant repris les acquis de la fondation « santé et radiofréquences », nous poursuivons la concertation qui y avait cours avec l'ensemble des parties prenantes et lançons de surcroît des projets de recherche.

M. René Teulade. - De quels montants doivent s'acquitter les industriels lors des dépôts de dossiers d'agrément ?

M. Marc Mortureux. - Le montant de la redevance, qui représente 13 % des ressources de l'agence, est fixé selon une tarification codifiée, dans le cadre d'une procédure nationale répondant aux exigences de la directive européenne.

M. Yves Daudigny. - Etes-vous amenés à intervenir sur les jouets ? Je pense aux fameux tapis-puzzles qui sont actuellement retirés du marché.

M. Marc Mortureux. - Nous ne sommes pas chargés d'une mission spécifique sur les produits de consommation courante mais, dès lors qu'ils entrent dans le cadre de l'exposition au risque, nous couvrons de facto le sujet. C'est ainsi que nous avons fourni des éléments d'information sur l'exposition aux substances reprotoxiques de catégorie 2. Le ministre nous a demandé d'évaluer quelle était l'exposition au risque réelle pour les enfants. Car il convient de ne pas confondre l'usage d'un produit dans le processus de fabrication et le risque d'exposition. Qu'un solvant soit utilisé dans le processus de transformation du plastique ne signifie pas automatiquement que cela donne lieu à exposition des enfants au produit ; sauf cas, qu'il convient évidemment de prendre en compte, où l'enfant mâcherait le plastique. Le même raisonnement vaut pour ce qui concerne la polémique soulevée il y a dix jours sur les résidus de pesticides dans les aliments. On a trop souvent tendance à conclure de l'existence d'un danger potentiel à la réalité du risque. Or, ce n'est qu'en comparant les seuils d'exposition aux données toxicologiques que l'on peut trancher. C'est à quoi nous procédons pour les tapis-puzzles. Nous travaillons dans le cadre d'un observatoire des substances qui vise à collecter les informations - il importe de savoir où les substances incriminées se retrouvent-, à mesurer la réalité de l'exposition, à la comparer aux seuils toxicologiques. Au terme de ce processus, nous adressons des propositions aux pouvoirs publics.

Mme Patricia Schillinger. - La question des jouets et des meubles se pose depuis vingt ans déjà. Il faut progresser sur ce sujet : les dermatologues et les allergologues ne cessent de nous alerter.

Une question sur les nouvelles restaurations, dites « exotiques » : comment opérer les vérifications sur la chaîne alimentaire ? Car il me semble que les normes sévères qui s'imposent chez nous doivent tout aussi bien s'imposer aux produits en provenance de la Chine ou d'ailleurs.

M. Marc Mortureux. - La vérité est que la réglementation ne cesse de se durcir. Voyez les résidus de pesticides : 75 % des produits autorisés il y a vingt ans sont aujourd'hui interdits ; même chose pour les substances cancérigènes, beaucoup mieux repérées de nos jours. Plus on avance, plus l'analyse devient performante. On en arrive à retrouver des traces au picogramme près. Reste que ces traces doivent être comparées au risque.

Face à l'offre alimentaire, de plus en plus internationale en effet, nous avons mis en place un dispositif de « nutrivigilance » afin de faire remonter l'information aux professionnels, en particulier les médecins. On a beaucoup parlé des pignons de pins chinois, mais se pose aussi le problème de la traçabilité des extraits de plantes : nombreuses sont celles, comme l'igname, qui présentent de nombreuses sous-espèces, dont certaines sont toxiques.

Pour le contrôle des produits importés, l'agence plaide depuis plusieurs années pour un meilleur ciblage : le contrôle sera d'autant plus efficace qu'il se concentrera sur les problèmes signalés.

Nomination de rapporteurs

La commission procède ensuite à la nomination de rapporteurs.

Sont désignés :

- Anne-Marie Payet sur la proposition n° 106 (2010-2011), présentée par Nicolas About et les membres du groupe de l'UC, relative à l'organisation de la médecine du travail ;

- Alain Milon sur la proposition de loi n° 65 (2010-2011), présentée par Jean-Pierre Fourcade, modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.

Organismes extra-parlementaires - Désignation de candidats

Puis la commission procède à la désignation de candidats pour siéger au sein d'organismes extra-parlementaires.

Sont désignés :

- Jean-Pierre Cantegrit pour la commission permanente pour la protection sociale des Français de l'étranger ;

- Alain Vasselle pour le comité de surveillance de la caisse d'amortissement de la dette sociale ;

- Dominique Leclerc pour le comité de surveillance du fonds de solidarité vieillesse.

M. Guy Fischer. - La gauche s'y retrouve !

Questions diverses

MISSION SUR LE MEDIATOR

M. Nicolas About. - Une mission d'information va être créée sur le Mediator. Je souhaite qu'on l'étende à d'autres questions, à commencer par les autorisations de mise sur le marché, la délimitation des indications d'un médicament, ainsi que la façon dont il est prescrit : en l'occurrence, le Vidal classe la molécule parmi les antidiabétiques, mais elle était prescrite comme coupe-faim, ce dont elle n'avait pas l'indication. Il conviendrait également de réfléchir sur le remboursement par la sécurité sociale de médicaments qui ne sont pas prescrits conformément au Vidal. L'observance concerne à la fois le malade, le médecin et le laboratoire. On devrait aussi faire le point sur les réseaux de pharmacovigilance et la façon dont les dossiers sont instruits ou étouffés dans l'oeuf. Enfin, je souhaite qu'on étudie les circonstances dans lesquelles on décide de retirer un médicament ou de le dérembourser. Il arrive en effet qu'un médicament soit retiré ailleurs et maintenu en France, alors que les problèmes sont connus. Limiter la mission à une spécialité n'a de sens que si l'on considère toute la vie du médicament jusqu'à son déremboursement ou à son retrait. En tant qu'ancien cadre de l'industrie pharmaceutique, je sais qu'il y a beaucoup de questions à poser.

Mme Muguette Dini, présidente. - Je vous propose de relayer vos préoccupations par courrier conjoint au Président du Sénat afin qu'il en fasse mention lors de la Conférence des Présidents de demain.

LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 2010

Mme Muguette Dini, présidente. - Le projet de collectif budgétaire sera examiné en séance demain. Concernant la vente de tabac en France, son article 30 tire les conséquences d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 4 mars dernier. Les prix seuils, en dessous desquels les cigarettes ne peuvent être légalement vendues, ayant été déclarés contraires au droit communautaire, l'article 30 les supprime tout simplement. Le Gouvernement estime que le niveau de la fiscalité et l'homologation des prix par le ministre du budget suffiront à ne pas tirer les prix vers le bas ; il a en outre proposé à l'Assemblée nationale de moduler le droit de consommation sur les tabacs, en le majorant de 10 % pour les cigarettes dont le prix de vente est inférieur à 94 % de la classe de prix de référence. Cependant, comment le ministre pourra-t-il alors refuser d'homologuer un prix ? La solution retenue affaiblit sa position alors que la Cour de justice avait laissé la porte ouverte à la lutte contre le dumping en permettant que la vente ne puisse se faire à un tarif inférieur à la somme des prix de revient et de l'ensemble des taxes. Voilà précisément l'objet de l'amendement que je propose que la commission défende demain en séance publique, et qui reprend les termes mêmes de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne. Cela me semble un moindre mal et un progrès par rapport à la rédaction du projet de loi. Le Gouvernement n'avait pas été assez précis, nous y remédions par cet amendement parfaitement conforme à la jurisprudence communautaire.

Si vous en êtes d'accord, nous déposerons l'amendement au nom de la commission et l'un des membres présents en séance pourra le défendre.

La commission adopte l'amendement.

COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DE BUREAU DE LA COMMISSION DU 1ER DÉCEMBRE 2010

Mme Muguette Dini, présidente. - Les contraintes de l'ordre du jour n'ayant pas permis de le faire plus tôt, le bureau de notre commission s'est réuni le 1er décembre. Il a choisi le thème et la destination de notre mission annuelle d'information : la prise en charge des problèmes de santé aux Antilles. Elle pourrait se dérouler en avril pendant la semaine d'interruption des travaux parlementaires. Je demanderai aux groupes cette semaine la désignation de leurs participants ; nous irions en Guadeloupe et à la Martinique.

Par ailleurs, notre bureau a décidé de constituer un petit groupe de travail sur les assistants de vie scolaire, sujet sur lequel Annie David et Isabelle Debré, notamment, ont attiré notre attention. Cette structure légère comporterait deux membres pour les groupes UMP et socialiste, un pour les autres, ainsi que Sylvie Desmarescaux si elle souhaite s'y associer au titre de la formation des non-inscrits. Nous désignerons autant de suppléants et l'ensemble des commissions pourront assister aux auditions. Je solliciterai vos groupes dès aujourd'hui.

Enfin, nous proposerons au Sénat la constitution d'une mission commune d'information dédiée à Pôle emploi, sujet qui couvre notre champ de compétences, mais aussi celui des finances, de la culture et de l'économie, de sorte que de nombreux sénateurs sont susceptibles d'être intéressés. Le président Legendre m'a déjà indiqué son souhait d'y être associé ; j'attends les réponses de Jean Arthuis et Jean-Paul Emorine. Ensuite, nous saisirons ensemble le président Larcher et si le Sénat en accepte l'idée, cette mission pourrait être formée en début d'année afin qu'elle rende son rapport avant l'été.

La commission prend acte de cette communication.

Mercredi 15 décembre 2010

- Présidence de Mme Muguette Dini, présidente -

Lutte contre la pandémie grippale A (H1N1) - Audition de Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, MM. Christian Phéline, conseiller maître, responsable du secteur santé, Simon Bertoux, auditeur, co-rapporteurs, et Mme Camille L'Hernault, commissaire aux comptes

La commission procède à l'audition de Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, MM. Christian Phéline, conseiller maître, responsable du secteur santé, Simon Bertoux, auditeur, co-rapporteurs, et Mme Camille L'Hernault, commissaire aux comptes, sur l'étude la Cour des comptes relative à l'utilisation des fonds mobilisés pour la lutte contre la pandémie grippale A (H1N1).

Mme Muguette Dini, présidente. - Je vous prie d'excuser l'absence du rapporteur, Alain Milon, qui ne peut hélas participer à notre réunion pour des motifs familiaux.

Mme Rolande Ruellan, présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes. - Vous avez demandé à la Cour, le 28 décembre 2009, une étude sur l'utilisation des fonds consacrés à la lutte contre la pandémie de grippe A. Nous vous avons remis notre rapport le 8 octobre dernier. Nous n'avons pas la prétention de vous apprendre quoi que ce soit puisque vous avez constitué une commission d'enquête et établi un rapport ; l'Assemblée nationale nous avait également demandé une étude, portant plus spécifiquement sur les comptes et la gestion de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), et les députés ont créé eux aussi une commission d'enquête. Vos deux rapports ont été établis en août dernier : nous avons pu constater, pour nous en réjouir, que nos axes d'étude étaient complémentaires. Nous sommes armés, désormais, pour affronter de nouvelles pandémies - du reste le virus H1N1 vient de réapparaître en Grande-Bretagne et en Belgique, la presse s'en est fait l'écho hier soir : le sujet n'est donc pas derrière nous.

Lorsque nous avons commencé nos travaux, la campagne n'était pas achevée. Nous avons adopté une démarche chronologique. Entre les annonces de l'OMS et l'arrivée du virus en France, la phase de préparation a consisté principalement en une campagne d'acquisition de vaccins et une campagne sur le terrain. Nous avons cherché à en cerner le coût et à en préciser les modalités de financement. Nous nous sommes penchés sur l'organisation, également. En revanche, nous ne portons pas d'appréciation sur les choix techniques et médicaux - ni sur les actions conduites par l'organisation mondiale de la santé (OMS), n'ayant pas compétence pour la contrôler.

La France s'est calée sur les prescriptions de l'OMS, qui a déclaré le niveau d'alerte 4 début avril 2009, le niveau 5 le 29 avril, puis le niveau 6, maintenu entre le 11 juin 2010 et le 10 août 2010. L'épisode français s'est déroulé entre septembre 2009 et la mi-janvier 2010. Il y a eu en France 342 décès ; on en prévoyait au moins 5 000 à 6 000. La population s'est désintéressée de la vaccination et cette attitude a provoqué des dégâts collatéraux : on constate par exemple que le nombre de personnes vaccinées cet automne contre la grippe saisonnière est en baisse par rapport aux années passées.

Précédemment, la France s'était préparée à l'arrivée annoncée de la grippe aviaire, mortelle dans 60 % des cas. Le plan national de prévention mis en place en 2004 s'inspirait du guide de l'OMS établi alors. Il a ensuite été régulièrement actualisé, la cellule interministérielle de crise a été mise en place le 30 avril 2009, pilotée par le ministère de l'intérieur, le ministère de la santé étant très présent également. Les pouvoirs publics ont rapidement réalisé que le plan national « Pandémie grippale » de 2009 était trop rigide, parce que calé sur les phases OMS et conçu pour le cas de la grippe aviaire, sans adaptations suffisantes à l'évolution du virus - dont on ne savait, certes, pas grand-chose. Le virus H1N1 apparaissait très contagieux, mais s'est révélé peu létal. Il aurait fallu s'adapter plus rapidement à ses caractéristiques.

Toute cette affaire a eu au moins un mérite : provoquer une utilisation grandeur nature du dispositif de prévention. L'évolution de la situation a conduit la France, à un certain moment, à cesser de suivre les prescriptions de l'OMS ; elle n'est jamais passée au niveau 6 - qui bloque le pays - s'en tenant au niveau 5A. Pour ce qui concerne la rapidité de mise en oeuvre du dispositif, notre jugement est plutôt positif. La cellule interministérielle comportait trois sous-éléments : une formation pour les décisions, une autre chargée de suivre l'évolution des situations, une troisième pour la communication - laquelle a été insuffisamment réactive. Elle a été un élément clé du pilotage.

Il y avait aussi la direction générale de la santé, qui comprend un département chargé des urgences sanitaires, et a pu faire appel à de nombreux organismes - Haut Conseil de santé publique (HCSP), comité technique permanent en charge des vaccinations, comité de lutte contre la grippe, - et grandes agences de santé telles que l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) et l'institut national de veille sanitaire (InVS)...

Au niveau déconcentré, des quantités de circulaires sont arrivées dans des services débordés et qui avaient du mal à appliquer des instructions nombreuses et quelquefois contradictoires. Il y a certainement une leçon à en tirer pour l'avenir : il faudra mieux anticiper les besoins et les difficultés des services sur le terrain.

La coopération au niveau européen a été insuffisante, comme si les Etats, pris de court, avaient navigué chacun de son côté.

La communication publique a utilisé plusieurs vecteurs : cellule de crise interministérielle, service d'information du Gouvernement, communication sanitaire du ministère de la santé et des agences du secteur.

Avant même le déclenchement de la pandémie, les services hospitaliers ont été en première ligne : au moindre symptôme de grippe, au moindre frisson de fièvre, l'on était dirigé vers l'hôpital. Cette phase n'a pas duré longtemps, l'inutilité d'encombrer les services hospitaliers étant rapidement apparue. A cette période également, les stocks de masques ont été constitués par l'Eprus et on a commencé à administrer des antiviraux tels que le Tamiflu. L'Eprus était à peine en ordre de marche quand il a eu à intervenir massivement. Il a connu des difficultés à sa naissance, mais elles étaient résolues au début de 2009, si bien qu'il était opérationnel durant la phase de préparation : il a notamment mis en place sept plates-formes de distribution zonales, une dans chacune des zones de défense, en anticipant sur son futur plan de stockage.

Les gestes préventifs d'hygiène ont été expliqués et bien appliqués. La communication, sur ce point, a été efficace. Je précise que notre étude ne porte pas sur la stratégie vaccinale : les questions sur le nombre de doses nécessaire ou le choix des vaccins n'entrent pas dans notre sujet. Nous avons voulu savoir si les décisions ont été adéquates par rapport aux connaissances et aux informations disponibles, mais nous ne portons pas d'appréciation définitive sur le fond. L'élaboration de la stratégie de vaccination a été perturbée par le sentiment d'urgence, l'application extensive du principe de précaution, le souci d'être les premiers à acheter aux laboratoires les vaccins disponibles à brève échéance. Dès le 12 mai, le laboratoire GSK a mis en demeure le Gouvernement de se décider en trois jours, faute de quoi il ne pourrait réserver une part importante de sa production. Il a donc été décidé le 14 mai d'acheter cinquante millions de doses à GSK.

Les commandes fermes sont parvenues aux laboratoires le 4 juillet ; les quatre-vingt-quatorze millions de doses correspondent à la vaccination de la population entière moins 25 % - par estimation du pourcentage des personnes hostiles à la vaccination. On croyait alors qu'il fallait deux doses pour être immunisé.

Si la vaccination vise à éviter la dissémination du virus, il faut intervenir très tôt, avant que le virus ne soit installé : c'est la stratégie collective préventive. Si elle vise à éviter que les plus fragiles ne meurent, que les arrêts de travail ne se multiplient, il s'agit d'une autre stratégie, individuelle. L'intérêt socio-économique n'a pas été mis en avant, bien sûr. Mais la menace a été qualifiée de majeure et l'on craignait une forte mortalité. Dès le 26 juin, le HCSP révisait cette idée en parlant de létalité modérée, proche de celle provoquée par la grippe saisonnière. En juin aussi, il était manifeste qu'une prévention collective massive n'avait pas lieu d'être, puisque les vaccins ne seraient pas disponibles avant l'arrivée du virus sur le territoire. Pourtant, le comité de lutte contre la grippe a continué à considérer qu'il fallait vacciner rapidement l'ensemble de la population.

Les pouvoirs publics ont décidé que tous ceux qui le souhaitaient pourraient être vaccinés. Le principe de précaution est plus contraignant aujourd'hui qu'il y a quelques décennies. L'idée s'est imposée aussi qu'on ne pouvait réserver l'accès au vaccin à telle ou telle catégorie de la population. Enfin, la prévention sanitaire en France ne comporte pas d'évaluation du rapport coût-bénéfice. On considère donc que la prévention doit s'appliquer à tout le monde, ce qui n'est rationnel ni du point de vue sanitaire ni du point de vue économique.

La vaccination n'a pas été rendue obligatoire, au nom du principe de responsabilité individuelle et parce qu'il serait difficile pour les pouvoirs publics d'assumer la responsabilité, symétrique, de faire respecter l'obligation. Il a été décidé qu'elle serait gratuite, ce qui n'est pas le cas pour la grippe saisonnière. On a défini des populations prioritaires et fait le choix d'une vaccination collective en centres, ce qui a suscité de nombreuses réactions. De bonnes raisons ont pourtant conduit à ce choix, qui s'est révélé coûteux faute d'affluence. Mais ne l'oublions pas, si la grippe avait été forte et si la population avait eu massivement recours à la vaccination, la médecine de ville n'aurait pas pu faire face. On a voulu faire des économies, ne pas encombrer les cabinets. En outre, les vaccins étaient livrés en flacons multidoses. Les médecins libéraux ont mal réagi. Ils étaient pourtant bien informés, les pouvoirs publics ont fait leur possible, mais personne en France n'est capable de fournir les coordonnées de tous les médecins ! Vacciner 75 % de la population en quatre mois si la pandémie enflait : seuls les centres collectifs auraient pu assumer une telle tâche. Initialement, on a pensé que des infirmières pourraient administrer seules le vaccin. Mais l'agence européenne du médicament a imposé l'intervention d'un médecin avant la vaccination.

Il a été très difficile de trouver des lieux adéquats, de mobiliser du personnel : sur ces différents aspects, la préparation a été insuffisante, ce qui conduit à recommander un plan de lutte prévoyant une organisation locale. Nos rapporteurs sont allés sur le terrain et ont appris comment les choses se sont passées, la situation était parfois terrible. Certaines administrations ont apporté une aide très faible, mais les services sanitaires et sociaux ont fonctionné jour et nuit : ses agents ont démontré un dévouement d'autant plus remarquable qu'ils ignoraient ce qu'ils deviendraient à brève échéance, leurs services étant en voie de suppression.

J'en viens aux contrats. Ils ont représenté un total de 712 millions d'euros TTC pour l'achat de quatre-vingt-quatorze millions de doses à quatre fournisseurs : GSK, Sanofi-Pasteur, Novartis et Baxter. Sanofi et Novartis avaient déjà conclu des contrats avec l'Etat lors de l'épisode de grippe aviaire et des avenants y ont été apportés. GSK était le plus gros fournisseur, Baxter le plus petit - il a fourni les doses sans albumine d'oeuf pour les personnes souffrant d'allergies. Le Gouvernement a passé des marchés avec ces deux derniers laboratoires, dans un climat de concurrence entre Etats. Finalement, sachant que cinquante millions de doses ont été annulées, le coût s'établit donc à 334 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 48 millions d'indemnités de réduction de commandes, soit un total de 382 millions TTC.

La passation des marchés a été très encadrée par le ministère : l'Eprus est devenu un pur exécutant. Il n'est pas anormal que l'Etat se réserve les grandes décisions de principe dans le domaine de la santé publique. Mais la convention ligote totalement l'établissement. Et les choses sont allées plus loin encore, dans la campagne contre le H1N1 : le pouvoir adjudicateur a été partagé avec le cabinet de la ministre, l'Eprus concluant les contrats avec qui il lui était assigné de les conclure, aux conditions qui lui étaient prescrites, avec les références juridiques qui lui étaient délivrées. Autrement dit, les contrats ont été prénégociés par le cabinet ministériel. Les imperfections relevées ne sont donc pas imputables à l'Eprus. C'est l'Etat qui a tenu la main du signataire, l'Eprus n'a pas eu grande marge pour exercer ses compétences. Répartition des quantités, prix, résiliation, rien n'a été discuté. Avec GSK, à qui l'on a acheté cinquante millions de doses, un usage excessif a été fait de l'exonération des prescriptions du code des marchés publics, selon la procédure prévue à l'article 3-7° de ce code. Lorsque le secret, la sécurité publique, la protection des intérêts de l'Etat sont en jeu, de telles exonérations sont justifiées, mais ici tel n'était pas le cas. Et encore moins pour l'achat des masques. Le recours à l'article 3-7° du code des marchés publics s'est fait en infraction avec les règles communautaires ; heureusement, aucun laboratoire n'a déclenché de contentieux.

La fébrilité n'est pas bonne conseillère lorsque l'on négocie des contrats. Il est dommage que ces derniers n'aient pas comporté de clause de résiliation partielle de commande, alors que les doutes sont apparus dès le mois de juin sur la vaccination de masse et sur l'utilité de deux doses. Il y avait aussi les incertitudes sur la mutation du virus, l'absence de délais pour la fourniture des doses... Les laboratoires ont en outre imposé un conditionnement multidoses en invoquant l'urgence. Ils voulaient même inclure une clause d'irresponsabilité totale. Finalement, les clauses des contrats ont laissé à l'Etat le soin d'apporter la preuve de la faute du fabricant. Il a été précisé que le vaccin ne serait pas inoculé avant une autorisation de mise sur le marché (AMM).

Les prix fixés antérieurement avec Sanofi et Novartis n'ont pas été rediscutés. Il n'y a pas eu de négociation sur les prix, qui vont de 6 à 10 euros. Le vaccin GSK coûte 7 euros, dont 6 pour l'adjuvant : alors pourquoi les vaccins sans adjuvant sont-ils si chers ? L'AMM a été obtenue rapidement et les souches isolées rapidement. Mais le rendement antigénique des vaccins était faible.

Le passage de deux doses à une seule s'est imposé dés le 20 novembre 2009. Or on a attendu le mois de janvier pour résilier les contrats. Pourquoi ce délai ? La dénonciation a été unilatérale, sauf avec Sanofi, et le même niveau d'indemnités a été appliqué à tous, soit au total 48 millions d'euros. Finalement, quarante-quatre millions de doses ont été achetées et 5,9 millions utilisées, pour vacciner 5,3 millions de personnes. Pour un prix moyen d'achat par dose de 7,02 euros, le prix effectif de la dose utilisée s'établit à 61 euros. On a revendu quelques doses à Monaco ou au Qatar - ce qui a atténué le coût de 6,8 millions d'euros -, on a donné douze millions de doses à l'OMS.

Les Français n'ont marqué qu'un intérêt temporaire pour la vaccination, après le décès de jeunes gens en bonne santé, mais ils ont été défavorablement influencés par les campagnes menées sur internet contre les vaccins, la rapidité de leur préparation ayant alimenté des doutes sur leur innocuité. Les médecins n'ont pas été les derniers à animer les campagnes contre la vaccination, d'autant que le taux de vaccination des professions médicales a été faible. Les gens ne se sont donc pas présentés massivement dans les centres. Tout cela a une conséquence dommageable aujourd'hui, celle de limiter l'adhésion à la vaccination contre la grippe saisonnière. La communication n'a pas été suffisamment réactive, par rapport à des messages de pure désinformation.

C'est la Cnam qui a été chargée de diffuser les bons de vaccination. Ce fut un travail colossal, faute de fichier des assurés sociaux, car il n'en existe pas en dépit de la carte vitale. Il a fallu faire appel aux mutuelles et composer un fichier à partir des morceaux fournis. La tâche a été encadrée par la Cnil : il n'est pas possible de savoir quelles catégories de population ont eu recours au vaccin ; et les fichiers devront être détruits en 2012. Si une nouvelle crise se produit en 2013, il faudra donc les reconstituer.

Les bons de vaccination ont été envoyés par la Poste, avec un surcoût pour parvenir à leurs destinataires rapidement. Les mairies auraient pu faire mieux et moins cher, en distribuant les bons comme les bulletins municipaux, dans les boîtes aux lettres. Une forte épidémie aurait d'ailleurs cloué au lit de nombreux postiers : pour l'avenir, il faudrait sans doute une communication par internet.

Le fonctionnement des centres de vaccination a été compliqué : pas d'informatique, des patients sans bon, un personnel sanitaire et d'encadrement à installer sans savoir quel sera le nombre de clients, des horaires très larges,... L'organisation locale a posé de gros problèmes. Il a fallu réquisitionner des médecins, la réserve sanitaire de l'Eprus n'étant pas encore mise en place.

Fin janvier, les centres ont été fermés. Les médecins libéraux ont pris le relais - les pharmacies étant approvisionnées en vaccins. Sur le total des 44 millions de doses, 10,2 millions ont été livrées dans les hôpitaux, les centres de vaccination et les pharmacies ; 5,9 ont été utilisées pour les vaccinations, 12,4 revendues à l'étranger ou données à l'OMS, 2,7 millions ont été récupérées inutilisables ou ont été perdues ; 20 millions de doses devraient donc rester. Mais tous les vaccins seront périmés au plus tard en novembre 2011 et les vaccins saisonniers incluent cette année la souche H1N1.

La campagne publique a coûté entre 700 et 750 millions d'euros - on ne connaît pas encore exactement la rémunération des personnes intervenues dans la campagne. Le coût par personne vaccinée aura donc été de 110 euros. L'estimation de la direction générale de la santé se situe à 550 millions d'euros

Les achats de produits par l'Eprus sont financés par l'Etat et l'assurance maladie à parité, à apprécier sur trois ans. Mais le bilan sur 2007, 2008 et 2009 n'a pas été fait dès la fin de la période. On sait cependant que l'assurance maladie a sur-financé l'Eprus à hauteur de 100 millions d'euros. Par ailleurs, l'Etat a eu recours à une avance de la Cnam de 879 millions d'euros, pour préfinancer l'achat de vaccins ; 78 ont été utilisés, car les vaccins ont été achetés avec les fonds de l'Eprus. Il aurait suffi d'un décret d'avance. On a utilisé cette voie pour l'achat de masques, à hauteur de 49 millions d'euros, dépense qui n'avait rien d'urgent. Et on ne l'utilise pas lorsqu'elle est justifiée.

Dans le prochain rapport annuel, la Cour présentera une synthèse de ces questions. Nous n'avons pas à formuler de recommandations dans les rapports demandés par le Parlement, puisqu'il vous revient d'en tirer des leçons, mais nos conclusions se déduisent aisément de nos critiques. Nous avons pris soin de ne pas méconnaître les circonstances ; si un épisode grave s'était produit et que l'on n'ait rien prévu, que n'aurait-on pas dit !

Notre souci est surtout que pour l'avenir, notre pays se prépare mieux pour affronter les crises sanitaires possibles.

M. Alain Gournac. - Je vous félicite du calme admirable avec lequel vous nous donnez ces informations : à moi, elles font dresser les cheveux sur la tête ! La conclusion qui ressort de nos travaux est que toute cette opération a été ratée. Et si le niveau 6 avait été déclaré, on aurait connu une véritable catastrophe nationale. Instructions contradictoires, panique, sentiment d'urgence : l'affaire a été mal gérée. On commande quatre-vingt-quatorze millions de doses parce qu'il en faut deux par personne ; puis discrètement on décide qu'une seule suffit. On commande des flacons énormes pour écarter les médecins libéraux de la vaccination.

Il eût fallu accorder une plus grande confiance au système de santé en place, aux médecins de ville, aux pharmaciens. Au lieu de quoi on les a heurtés. Ils ont dit à leurs patients « n'y allez pas ». Il faudrait être un héros pour se faire vacciner contre le conseil de son médecin ! Plus grave, étonnante même, l'absence de négociation avec les laboratoires...

Soyons positifs, recommandons qu'un vrai plan de préparation soit instauré. Vous nous avez indiqué que l'on n'était pas en mesure de répertorier les adresses de tous les médecins libéraux, ni leur téléphone. Que les assurés sociaux ne soient pas identifiés, c'est étrange ; que les médecins ne le soient pas non plus, c'est triste ! Les fichiers, difficilement constitués et qui ne comportent aucun élément confidentiel, devront être détruits en 2012, mais c'est une absurdité ! Réclamons donc un plan. Je vous signale que les maires auraient pu gérer efficacement la campagne. Demandons un bilan pour tous les dysfonctionnements, pour que le futur plan ne les reproduise pas. J'ai visité un centre de vaccination, un gymnase devant lequel on avait dressé des barrières ; à l'intérieur attendait un médecin, assis seul, malheureux et désoeuvré. On se serait cru dans un autre pays, sous une autre organisation !

Mme Muguette Dini, présidente. - François Autain, à qui je passe la parole, était le président de la commission d'enquête du Sénat, demandée par son groupe.

M. François Autain. - Je vous félicite de la qualité de ce travail, qui rejoint nos critiques. Vous avez dit, au début de votre intervention, que votre jugement était globalement positif. Puis vous avez formulé critique après critique. Nous exprimons les mêmes, mais nous concluons, en conséquence, par un jugement globalement négatif ! Pourquoi une appréciation si modérée sur l'action du Gouvernement, alors que celle-ci a, dans tous les compartiments, été en deçà de ce que l'on attendait ?

Un mot aussi de la surévaluation du risque, au mépris de toutes les informations qui nous parvenaient de l'étranger, de l'hémisphère sud en particulier. Le plan avait été conçu pour la grippe aviaire et une mortalité considérable ; il a été appliqué à la lettre, alors que le H1N1 est bien moins mortel. Aucune remise en question n'est intervenue.

Bonne coordination, dites-vous. Aucune coordination, en réalité ! La direction générale de la santé a fait appel au comité de lutte contre la grippe de préférence au Haut Conseil car sa formation était plus restreinte, mieux contrôlée, les délibérations plus rapides - trop rapides, selon moi. Par exemple, avant l'achat des quatre-vingt-quatorze millions de doses, un avis a été demandé, en catastrophe, à propos de la vaccination massive. L'avis a été rendu immédiatement : il reprenait celui formulé deux ans auparavant sur la grippe aviaire ! Un pays comme l'Espagne a fait face bien mieux que nous. A la panique s'est sans doute ajoutée la crainte d'un reproche possible, si le nombre de doses se révélait finalement insuffisant. On s'est dit que « plaie d'argent n'est pas mortelle », que mieux valait gaspiller des fonds publics que de laisser survenir des décès.

S'agissant du Tamiflu, sur les trente-quatre millions de doses réservées par l'Eprus, seulement cinq cent mille ont été utilisées. Les patients évitent autant qu'ils le peuvent d'absorber trop de médicaments, peut-être inefficaces, peut-être dangereux. Pour prévenir l'épidémie, les mesures barrières, l'hygiène, sont les plus efficaces. Le temps de fabrication des vaccins sera toujours trop long, pourtant, le virus a eu la délicatesse de se développer d'abord en Amérique du Sud avant d'arriver en Europe. Mais la prochaine fois ? Le recours à la vaccination de masse n'est pas la méthode la plus efficace contre la pandémie. Les premières personnes immunisées l'ont été en janvier seulement. La vaccination a été inutile, les vaccins ont été gâchés. La défaite est complète. Il est difficile de reconnaître ses erreurs ; et les experts et laboratoires sont solidaires entre eux. Mais ce sont les médecins de base qui ont eu raison ! Mme Ruellan déplore que les médecins n'aient pas donné l'exemple, mais le vaccin était inutile !

La chute du taux de vaccination contre la grippe saisonnière est une conséquence de la perte de crédibilité de la parole publique. Et si nous devions faire face à une grippe particulièrement agressive, cela serait très ennuyeux... A cela s'ajoute le gaspillage de l'argent public. Enfin, est-ce la vocation de l'assurance maladie et des mutuelles que de financer les dépenses de santé publique ? Notre jugement est négatif !

M. Jacky Le Menn. - On ne négocie pas dans la fébrilité. Cette erreur a conduit les Etats européens à des attitudes inquiètes, nationalistes. Face à des groupes internationaux qui ont l'expérience de la négociation, il ne faut surtout pas s'affoler : sinon l'on se place, ce fut le cas du Gouvernement, en position de faiblesse. Le code des marchés a été caressé à rebrousse-poil... Mieux vaudrait réfléchir aux adaptations possibles de la réglementation dans de telles situations. Les commandes fermes, sans ajustement possible, sont une erreur qui déjà enfermait l'Etat dans un certain dispositif. Il aurait fallu anticiper beaucoup plus.

Je comprends le choix de vacciner tous ceux qui le souhaitent, position qui exigeait de se procurer le maximum de doses. Mais au fil du temps, la situation évoluant, il fallait pouvoir infléchir cette position ! Il est important de mesurer le rapport coût-bénéfice d'une action, même dans une situation dramatique, car l'argent qui a été dépensé n'a pas pu l'être ailleurs, dans un secteur où il y a pourtant des besoins énormes. De la part d'hommes politiques, de responsables nationaux, une telle précipitation est coupable.

Le choix de ne pas faire appel aux médecins libéraux se comprend également. Si une grande pandémie s'était abattue sur nous, les praticiens auraient été très occupés et n'auraient pu consacrer leur temps à la vaccination. Mais comment ne pas prévoir que l'agence européenne exigerait la présence d'un médecin ? Comment ignorer qu'en France le paramédical est toujours chapeauté par le médical ?

Les leçons que nous tirerons serviront au-delà du seul cas des pandémies. Veillons à ne plus confondre vitesse et précipitation, à interpréter le principe de précaution autrement que comme une obligation de tout faire, à n'importe quel prix - fût-ce 110 euros par personne ! D'autres actions dans le domaine de la santé sont tout aussi nécessaires.

M. Marc Laménie. - Je voulais vous interroger sur l'usage des doses de vaccin non utilisées, mais vous avez répondu par avance.

M. Ronan Kerdraon. - Votre exposé précis, instructif et légèrement humoristique a montré qu'une fois encore, nous avions construit une usine à gaz... d'où la nécessité d'acheter tous ces masques ! Le terme de « pandémie » a été employé improprement, et le principe de précaution dévoyé. Les différents secteurs du monde médical ont réagi différemment. Qui croire ? Les médias ont ajouté à la confusion.

Il faut évaluer en permanence la pertinence des choix antérieurs et les remettre en cause le cas échéant. Je crains le syndrome de la chèvre de M. Seguin : lorsqu'une véritable pandémie menacera, les Français n'y croiront plus ! Les maires doivent être mieux associés aux décisions : ils ont reçu des circulaires parfois contradictoires et inutilement alarmantes. C'est tout juste si l'on ne m'a pas demandé d'identifier le lieu d'installation d'une chambre froide...

Mme Muguette Dini, présidente. - Alain Milon présentera en janvier un rapport sur le travail de la Cour des comptes. Nul doute qu'il formulera des recommandations.

Mme Raymonde Le Texier. - Vous avez conclu votre propos, madame la présidente, en disant que la Cour ne portait pas de jugement sévère sur l'action du Gouvernement car s'il avait sous-estimé le risque, on lui en ferait aujourd'hui le reproche. Je partage cette analyse. Toutefois j'ai été choquée par la procédure de passation des marchés qui est à mon avis un pur scandale, et par la destruction prévue du fichier des assurés sociaux. A présent que l'on connaît les dysfonctionnements, que faire ? Il faut pouvoir faire face à une véritable pandémie. Combien de temps les laboratoires feront-ils la loi ?

M. François Autain. - J'ai entendu évoquer le principe de précaution mais il s'agit en l'occurrence du principe de prévention. Le principe de précaution concerne les risques dont on ne connaît pas précisément la nature ; on tolère alors plus facilement l'excès de prudence. Mais les risques liés à la grippe étaient parfaitement identifiés. Les rapports ne servent à rien si l'on n'en tire pas les conséquences : les préconisations du rapport d'information de notre commission établi en 2004 sur le médicament n'ont pas été prises en compte.

Mme Rolande Ruellan. - Notre appréciation n'est pas globalement positive. Nous avons pris acte de l'organisation des pouvoirs publics, qui pourrait être améliorée, assouplie. Nous avons également appelé à plus d'autonomie vis-à-vis de l'OMS et critiqué la communication du Gouvernement. En outre, les organismes consultatifs placés auprès du ministère - comité de lutte contre la grippe, comité technique des vaccinations, Haut Conseil de la santé publique... - sont sans doute trop nombreux, même si en médecine la pluralité des points de vue est souhaitable.

Les hôpitaux auraient pu être davantage mis à contribution lors de la campagne de vaccination : ils sont plus accessibles que bien des gymnases... Cela aurait servi le Gouvernement dans sa volonté de réduire les coûts : la vaccination par les médecins libéraux a le plus souvent été facturée à 22 euros au lieu de 6.

En Espagne, les choses se sont mieux passées ; en Suède, les gens ont été plus nombreux à se vacciner ; dans d'autres pays rien n'a été fait... Quoi qu'il en soit, on peut tirer les leçons de cette expérience, et en particulier mieux associer le corps médical aux décisions.

Pour répondre à M. Kerdraon, nous avons retenu la définition suivante de la pandémie : « une forte augmentation dans le monde, du fait de l'apparition d'un nouvel agent pathogène, du nombre de cas et de leur gravité ».

M. François Autain. - C'est une définition évolutive...

Mme Muguette Dini, présidente. - Merci encore, madame la présidente. Vous vous apprêtez, je crois, à cesser vos fonctions : au nom de la commission, je voulais vous redire combien nous avons apprécié nos échanges avec vous et vous adresser nos meilleurs voeux.

Mme Rolande Ruellan. - Je suis très touchée de cette attention. Ces trente-six ans passés dans le secteur social et au contact des parlementaires m'ont beaucoup appris.

Organisation de la recherche et perspectives en matière de prévention et de traitement de l'obésité - Présentation du rapport établi au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst)

La commission entend la présentation du rapport de Mme Brigitte Bout, établi au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), sur l'organisation de la recherche et ses perspectives en matière de prévention et de traitement de l'obésité.

Mme Brigitte Bout, rapporteur. - Si nous avons entrepris ce travail de dix-huit mois pour rédiger un nouveau rapport sur l'obésité, c'est pour dissiper certains lieux communs. Afin d'établir des stratégies de traitement et de prévention sur des bases scientifiques, nous avons parcouru la France, procédé à 234 auditions, visité nombre de centres de nutrition, dont 79 à l'étranger.

Quelles sont les caractéristiques de l'obésité ? L'évaluation clinique de cette maladie est complexe. On se fonde généralement sur l'indice de masse corporelle mais sa valeur prédictive est faible ; le tour de taille est un facteur de risque métabolique plus important.

Les causes de l'obésité sont complexes. Mentionnons d'abord les déterminants génétiques : le plus souvent, plusieurs gènes sont en cause. Il existe aussi des déterminants biologiques : l'homéostasie énergétique - équilibre entre l'alimentation et la dépense énergétique - et la régulation hédonique de la prise alimentaire : la prise alimentaire est modulée par des facteurs sensoriels ; les facteurs homéostatiques finissent par avoir un pouvoir limité dans un environnement où la nourriture est omniprésente. D'ailleurs les gens marchent de moins en moins et les prix des produits alimentaires ont fortement baissé.

Parmi les déterminants précoces, il faut citer un poids trop faible ou trop important à la naissance, une croissance trop précoce et les expositions foetales, notamment l'éventuel surpoids de la mère.

Les comportements individuels sont également déterminants. « Dix minutes de marche à pied, c'est bon pour la santé », a-t-on coutume de dire. La sédentarité favorise l'obésité, ainsi que le temps passé devant un écran de télévision ; la lecture, au contraire, requiert un effort intellectuel consommateur d'énergie. Le goût pour les boissons sucrées et le grignotage ont des effets évidents, de même que les troubles du comportement alimentaire. Plus méconnues sont les conséquences du manque de sommeil, notamment chez les enfants ; car on dort de moins en moins.

Mme Christiane Demontès. - Cela fait mentir l'adage « Qui dort dîne. »

Mme Isabelle Debré. - Cette expression avait à l'origine un sens tout différent : au Moyen-Âge, on l'affichait à la porte des auberges pour indiquer que ceux qui prenaient une chambre devaient aussi dîner.

Mme Brigitte Bout, rapporteur. - J'en viens aux déterminants environnementaux. A la chute des prix agricoles s'ajoute l'incitation à la consommation par la publicité, à laquelle les jeunes enfants sont particulièrement sensibles : le bandeau informatif obligatoire, difficile à lire, ne sert à rien. Il faut aussi mentionner l'augmentation des portions et l'accès illimité à la nourriture.

La sédentarisation, je le répète, a des effets très néfastes. L'impact du développement technologique ne doit pas être négligé. Enfin, de nouveaux déterminants de l'obésité sont apparus : le stress - car les gens stressés compensent leur malaise en mangeant des produits sucrés ou gras -, certains médicaments, les polluants et perturbateurs endocriniens auxquels Gilbert Barbier consacrera bientôt un rapport au nom de l'Opecst. Doit-on considérer l'obésité comme une adaptation physiologique à notre mode de vie ?

L'obésité est une maladie chronique qui peine à être reconnue. Un schéma établi par le professeur Arnaud Basdevant montre que l'on devient obèse peu à peu, avant d'atteindre un seuil où la maladie devient chronique ; il est alors presque impossible de revenir à son poids initial. Un rapport de l'agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a mis en lumière le caractère illusoire des régimes amaigrissants dont les magazines font leurs choux gras sitôt le printemps venu. Il faut obliger ceux qui promeuvent de tels régimes à s'engager sur des résultats.

Nous connaissons encore assez mal les mécanismes biologiques liés à l'obésité. En outre, une forme de réprobation morale s'y attache : on pense souvent que les obèses n'auraient qu'à manger moins... Toutes les formes d'obésité n'ont pas le même potentiel pathogène et ne se traitent pas de la même façon. Le poids est à la fois surmédicalisé et sous-médicalisé.

Il faut tirer parti des apports de la recherche pour améliorer la prévention. Sachons intervenir précocement, en prévenant les expositions foetales nocives, en favorisant l'acquisition de saines habitudes alimentaires et comportementales dès l'enfance, ainsi que l'allaitement maternel qui diminue les risques ultérieurs. Il faut aussi encourager l'activité physique et lutter contre la sédentarité, pour prévenir à la fois la prise de poids et les comorbidités liées à l'obésité.

Une politique de prévention primaire est nécessaire, qui doit être démédicalisée, fondée sur des messages positifs, la rénovation des normes sociales et une meilleure éducation alimentaire. Il faut cibler les populations à risque : les Français les moins riches sont plus exposés que les autres, car il est établi qu'un repas équilibré coûte au moins 3,5 euros ; or les fruits et légumes sont devenus hors de prix. D'ailleurs, dans certains milieux défavorisés, on nourrit trop les enfants pour qu'ils aient de la prestance...

Il convient de mettre en place des politiques de prévention plus environnementales : encourager l'usage des escaliers plutôt que des escalators, construire des pistes cyclables et des voies vertes pour courir en ville, limiter l'exposition au marketing.

Le rapport formule dix orientations stratégiques : appliquer les recommandations des rapports précédents, renforcer les politiques sectorielles destinées à réduire les inégalités socioculturelles, privilégier les mesures environnementales plutôt qu'individuelles - en limitant l'exposition à la publicité, en améliorant la qualité de l'offre alimentaire, en créant un environnement favorable à la réduction de la sédentarité -, lancer un plan de prévention reposant sur cinq piliers - une gouvernance interministérielle, un comité scientifique pour recenser les acquis à prendre en compte, la modification des représentations, des actions locales en direction des populations à risque, une évaluation systématique et régulière des mesures prises -, promouvoir la diversité corporelle, en luttant contre la valorisation médiatique de la maigreur - nous avons rencontré à ce propos une association de femmes, appelées « les Grosses », qui assument pleinement leurs formes -, réglementer les régimes amaigrissants, dépister systématiquement l'obésité viscérale, développer la prévention précoce, réorienter la recherche sur l'obésité afin de mieux comprendre ses conséquences morbides - maladies cardio-vasculaires, diabète... - et enfin rédiger une proposition de loi pour promouvoir une France active qui s'alimente sainement.

M. François Autain. - Je félicite Mme Bout pour son excellent rapport. Mais doit-on considérer l'obésité comme une maladie ? Certains ont tendance à tout médicaliser - la vieillesse, la ménopause... -, non sans arrière-pensées puisque cela permet de vendre des médicaments ou des régimes... Car il faut parler non seulement des médicaments qui rendent obèse, mais aussi de ceux qui sont censés traiter l'obésité. Je ne citerai aucun laboratoire...

La baisse des prix agricoles est avérée, mais le consommateur n'en profite pas ! Les classes populaires ne peuvent plus se permettre d'acheter des fruits ou des légumes.

Vous avez suggéré que rester devant un écran rendait obèse. Est-ce à dire que l'obésité pourrait devenir une maladie professionnelle ? Beaucoup de gens travaillent aujourd'hui sur un ordinateur.

Les enfants, avez-vous dit, sont exposés à la publicité. Mais le législateur reste incapable de trancher entre les intérêts de l'industrie agroalimentaire et l'intérêt public. Le bandeau obligatoire n'est qu'un cache-sexe, destiné à se donner bonne conscience.

Vous avez parlé du rôle de l'allaitement maternel : je serais heureux de connaître vos références. Veillons à ne pas culpabiliser les mères qui n'allaitent pas.

Je terminerai par une touche d'humour : je ne conseillerais pas à des obèses de monter six étages, au risque d'avoir un infarctus !

Mme Christiane Demontès. - Je voudrais insister sur le rôle des inégalités sociales dans l'obésité. Je suis maire d'une commune ouvrière, où j'ai fait réaliser en 2008 un diagnostic santé : nous avons constaté que la morbidité liée à l'obésité était bien supérieure à la moyenne départementale. On a trop tendance à renvoyer les obèses à leur responsabilité personnelle, contrairement aux anorexiques. C'est un enjeu de santé publique !

J'aimerais que les ARS aident les communes dans leur combat. Dans ma commune, nous avons mené une réflexion collective avec les habitants, les parents d'élèves et les enseignants, pour finalement rénover la restauration scolaire en imposant un légume et un fruit à chaque repas. Le slogan « cinq légumes par jour » est trompeur : certains croient qu'il suffit d'une soupe... L'obésité coûte cher en médicaments et en soins !

Mme Gisèle Printz. - Il faut porter un autre regard sur les obèses et lutter contre les discriminations : certains emplois sont interdits à ces personnes, qui doivent aussi réserver deux places en avion... Quant aux bandeaux joints aux publicités, destinés à avertir des effets nuisibles de certains produits alimentaires, les enfants ne les lisent pas.

Mme Muguette Dini, présidente. - Vous auriez pu évoquer aussi les discriminations à l'embauche.

Mme Isabelle Debré. - L'éducation au goût s'effectue dans la cellule familiale. Je reste sceptique lorsque j'entends que certains n'ont pas les moyens de se nourrir correctement : c'est avant tout une affaire d'éducation.

Mme Muguette Dini, présidente. - On constate, il est vrai, que les jeunes générations ont moins tendance à préparer elles-mêmes les repas et se nourrissent de plats cuisinés, dont on connaît la composition en excès de sel, de gras et de sucres.

Mme Raymonde Le Texier. - Vous soulevez, à la fin de votre rapport, le problème de la recherche qui n'a pas été développé dans votre présentation. En France, les chercheurs sont sous-payés et travaillent dans de mauvaises conditions, ce qui explique que des postes restent vacants à l'Inserm ou au CNRS. Les meilleurs préfèrent s'expatrier aux Etats-Unis ou au Canada. Cela finira par nous coûter cher !

Mme Sylvie Desmarescaux. - Je m'interroge sur le rôle effectif du poids à la naissance pour juger du risque d'obésité. En revanche, je suis tout à fait d'accord pour souligner le rôle de l'éducation : dans ma région, une étude a montré que le plat favori des enfants à la cantine était les frites ! Faire la cuisine soi-même est plus sain que de manger des plats cuisinés, et coûte moins cher.

Toutes les formes d'obésité sont-elles des maladies ? Je ne le crois pas : beaucoup sont liées à une mauvaise alimentation. Le programme « Ensemble, prévenons l'obésité des enfants » (Epode) l'a démontré.

Mme Muguette Dini, présidente. - L'obésité des enfants est un cas particulier car lorsqu'un enfant présente un excès pondéral - alors qu'il n'est évidemment pas responsable de ce qu'il mange - les efforts qu'on lui demande pour perdre du poids sont incompatibles avec son âge.

Mme Raymonde Le Texier. - Ne sous-estimons pas l'influence du stress ou de l'ennui : on se remplit de nourriture, faute d'autre chose...

Mme Brigitte Bout, rapporteur. - Pour répondre à Sylvie Desmarescaux, l'obésité peut être appelée une maladie lorsqu'elle est liée à un dysfonctionnement du système intestinal ; mais quelle qu'en soit l'origine, elle a des conséquences néfastes sur la santé et nécessite une prise en charge sanitaire.

J'ai parlé de la baisse des prix des produits agricoles, mais ce sont surtout les produits agro-industriels que j'avais en tête, par exemple la farine 80, moins chère et moins saine, ou les céréales du petit-déjeuner.

Pour revenir sur les écrans, travailler toute la journée assis devant un ordinateur fait grossir si l'activité ne sollicite pas assez les facultés intellectuelles, consommatrices d'énergie. J'ai vu des bureaux adaptés, dotés d'un système qui permet de marcher tout en travaillant...

Comme l'a dit Gisèle Printz, rien ne sert de culpabiliser les obèses. Dans le cadre du programme national nutrition santé (PNNS), des efforts sont faits pour mieux aider les communes. Il faut lutter contre les discriminations professionnelles ou celles que pratiquent les assureurs. L'éducation à la parentalité est essentielle : c'est un des volets du PNNS et l'objet même du programme Epode.

Le professeur Basdevant a été chargé de donner une nouvelle impulsion à la recherche française en nutrition. Les chercheurs se plaignent de passer trop de temps à élaborer des dossiers pour obtenir le financement de projets. Heureusement, tous ne s'expatrient pas, et la France compte encore de nombreux chercheurs de premier plan.

Mme Raymonde Le Texier. - Payés au lance-pierre !

Mme Brigitte Bout, rapporteur. - Espérons que des efforts budgétaires seront consentis.

Quant au poids à la naissance, il est en augmentation.

Mme Sylvie Desmarescaux. - Mais cela favorise-t-il vraiment l'obésité ? Je connais bien des contre-exemples.

Mme Muguette Dini, présidente. - Nous reviendrons sur ce sujet et attendons avec impatience la proposition de loi de Mme Bout. Je remercie les services de la commission qui ont bien voulu assister notre rapporteur bien que n'ayant pas participé à l'établissement de ce rapport rédigé au nom de l'Opecst.

Organisme extraparlementaire - Désignation de candidats

Mme Muguette Dini, présidente. - Le comité d'évaluation créé par la loi pour le développement économique de l'outremer (Lodeom) doit être composé de dix titulaires sénateurs, dix titulaires députés et autant de suppléants. Notre commission est chargée de désigner deux titulaires et deux suppléants. Afin de respecter les équilibres politiques, je vous propose la candidature de Catherine Procaccia et Serge Larcher en tant que titulaires et d'Anne-Marie Payet et Gélita Hoarau en tant que suppléantes.

La commission confirme ces désignations.