Mercredi 19 janvier 2011

- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -

Deuxième protocole additionnel à la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine d'abord le rapport de M. Jean Milhau et le texte qu'elle propose sur le projet de loi n° 444 (2009-2010) autorisant la ratification du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale.

M. Jean Milhau - Monsieur le président, mes chers collègues, l'entraide judiciaire en matière pénale entre les différents États du Conseil de l'Europe, auxquels s'ajoute Israël, seul État non membre à y avoir adhéré, est régie par la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale, signée à Strasbourg le 20 avril 1959, et ratifiée par la France en 1967. Un protocole additionnel à la convention a été signé à Strasbourg le 17 mars 1978, ratifié par la France en 1991, qui complète la convention initiale.

Au sein du Conseil de l'Europe, un comité d'experts chargé d'examiner le fonctionnement et l'application des conventions et accords a relevé certaines difficultés que les États ont rencontrées dans le cadre de l'application de la convention européenne d'entraide en matière pénale et du protocole s'y rapportant. Il a également recensé des situations qui, sans se situer dans le champ d'application de cette convention, s'en rapprochent. La conclusion a été qu'un deuxième protocole additionnel à la convention était la façon la plus appropriée de remédier à certaines des difficultés rencontrées. Il a donc établi un projet de deuxième protocole additionnel, dont le Sénat est aujourd'hui saisi du projet de loi autorisant son approbation.

Le deuxième protocole a pour but de renforcer la capacité des États membres et des États partenaires à réagir de manière adéquate à la criminalité, en actualisant les dispositions régissant actuellement l'entraide judiciaire, en diversifiant les situations dans lesquelles celle-ci peut être demandée, en facilitant cette entraide et en la rendant plus rapide et plus souple. Il comporte 35 articles, articulés dans 3 chapitres.

Le chapitre Ier regroupe un ensemble de dispositions modifiant, réécrivant ou complétant les stipulations de la convention du 20 avril 1959. Ces dispositions sont relatives au champ d'application de la convention, élargi à l'ensemble du droit pénal administratif (article 1er), à la présence des autorités de la Partie requérante dans l'exécution de la demande (article 2), au transfèrement temporaire, sur le territoire de la Partie requérante, de personnes détenues à des fins d'instruction (article 3), aux voies et aux formes de transmission des demandes (article 4), aux frais découlant de l'entraide (article 5) et à la désignation des autorités judiciaires compétentes (article 6).

Le chapitre II regroupe les dispositions qui complètent la convention, soit en assouplissant et en renforçant les formes traditionnelles de l'entraide, soit en y ajoutant de nouveaux modes de coopération.

Dans le premier cas, les dispositions de ce deuxième protocole sont relatives à la possibilité de report de l'exécution des demandes d'entraide (article 7), au respect du formalisme demandé par la Partie requérante (article 8), à la transmission spontanée d'informations (article 11), à la restitution du produit des infractions (article 12), aux langues des actes de procédures et décisions judiciaires à remettre (article 15), à la remise par voie postale des actes de procédure (article 16), à la protection des témoins (article 23), aux mesures provisoires (article 24), à la confidentialité (article 25) et à la protection des données (article 26).

Dans le second cas, les dispositions sont relatives à l'audition par vidéoconférence et conférence téléphonique (articles 9 et 10), au transfèrement, dans le cadre de l'entraide, des personnes condamnées (articles 13 et 14), à l'observation transfrontalière (article 17), aux livraisons surveillées (article 18), aux enquêtes discrètes (article 19) et aux équipes communes d'enquête (article 20).

Enfin, le chapitre III regroupe les dispositions finales traditionnelles dans les conventions du Conseil de l'Europe (signature et entrée en vigueur, adhésion, application territoriale, réserves, dénonciation et notifications).

Ce deuxième protocole additionnel prévoit la possibilité pour les États d'émettre des réserves et fait obligation aux États Parties d'effectuer diverses déclarations, afin notamment d'indiquer les autorités compétentes pour la mise en oeuvre de certains modes de coopération, et de préciser les modalités selon lesquelles cette coopération pourra être accordée.

Concernant les réserves, l'article 33, paragraphe 2, du protocole interdit toute réserve, à l'exception de la possibilité pour les parties de se prévaloir du « droit de ne pas accepter, en tout ou partie, un ou plusieurs des articles 16, 17, 18, 19 et 20 », permettant ainsi aux Parties d'exclure certains modes de coopération considérés comme les plus intrusifs. Ces articles sont ceux relatifs à la remise des actes de procédure et des décisions judiciaires par voie postale (article 16) ; aux observations transfrontalières (article 17) ; aux livraisons surveillées (article 18) ; aux enquêtes discrètes (article 19) ; aux équipes communes d'enquête (article 20).

D'ores et déjà, il nous a été indiqué que la France émettrait une réserve sur l'application de l'article 17, en particulier son deuxième paragraphe. En effet, celui-ci couvre le champ de l'observation transfrontalière en urgence, et prévoit la possibilité, pour des agents étrangers, de pénétrer sans autorisation préalable sur le territoire français. Il est tout à fait inenvisageable pour la France d'accepter une telle disposition, c'est pourquoi une réserve sera émise afin d'exclure toute possibilité d'observation transfrontalière en urgence. Plusieurs États parties au protocole ont également expressément écarté l'application de l'article 17 (c'est le cas par exemple d'Israël, de la Lettonie, de la Pologne, ou encore du Royaume-Uni).

Il s'agit du seul point susceptible de poser problème, et donc de la seule réserve que la France émettra.

Ce deuxième protocole additionnel s'articule en effet parfaitement avec le droit français en vigueur, celui-ci permet dès à présent la mise en oeuvre de tous les mécanismes d'entraide prévus dès l'intégration de l'instrument dans l'ordre juridique interne.

A ce jour, vingt-deux États ont ratifié ce protocole, dont treize États membres de l'Union européenne et neuf États non membres.

C'est pourquoi je vous recommande d'adopter le présent projet de loi, qui pourrait faire l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique.

M. Josselin de Rohan, président - Je remercie le rapporteur pour cet exposé très complet et je vais mettre aux voix ses conclusions.

La commission adopte le projet de loi et propose qu'il fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.

Privilèges et immunités du Tribunal international du droit de la mer - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission examine ensuite le rapport de M. André Trillard et le texte qu'elle propose sur le projet de loi n° 200 (2010-2011), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'adhésion à l'accord sur les privilèges et immunités du Tribunal international du droit de la mer.

M. André Trillard - Nous sommes appelés à nous prononcer sur un accord, signé en mai 1997, portant sur les privilèges et immunités du Tribunal international du droit de la mer.

Avant d'évoquer le contenu de cet accord, je souhaiterais vous présenter brièvement l'origine, les compétences et le fonctionnement de ce tribunal, dont la création est assez récente, puisqu'elle date de 1996.

Le Tribunal international du droit de la mer est un organe juridictionnel international, spécialisé dans le domaine du droit maritime, dont la création a été prévue par la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay, signée en 1982 et entrée en vigueur en 1994.

Pour régler les différends auxquels pourraient donner lieu son application ou son interprétation, la convention de Montego Bay a prévu plusieurs voies différentes, dont le choix est laissé aux Etats :

- la Cour internationale de justice ;

- l'arbitrage ;

- ou encore le Tribunal international du droit de la mer.

Ainsi, pour la délimitation de leurs frontières maritimes, certains Etats choisissent de saisir la Cour internationale de justice (par exemple le Nicaragua et la Colombie ou l'Ukraine et la Moldavie), d'autres de recourir à l'arbitrage (à l'image de la Croatie et de la Slovénie), et d'autres enfin de saisir le Tribunal international du droit de la mer (le Bangladesh et le Myanmar, par exemple).

Le tribunal est également compétent pour statuer sur les règles applicables en matière de zone de pêche ou en matière de fonds marins.

Ce tribunal, qui a son siège à Hambourg, comprend 21 juges, élus pour un mandat de neuf ans par les Etats parties à la Convention.

La France compte un juge en la personne de M. Jean-Pierre Cot, ancien ministre, dont le mandat expire en septembre 2011.

Le greffe du tribunal compte 37 personnes, dont trois Français.

Son budget est de 17,5 millions d'euros sur trois ans, la contribution de la France s'élevant à hauteur de 8,2 %, soit environ 716 000 euros pour 2010.

L'activité du tribunal est assez modeste. Il n'a été saisi que de dix-huit affaires depuis sa création, dont deux ont donné lieu à un désistement et treize ont été jugées.

Parmi les trois affaires pendantes, on peut citer l'affaire du navire « Louisa ». Ce navire, battant pavillon de Saint-Vincent-et-les-Grenadines, avait été arraisonné en 2006 par la marine espagnole car les autorités espagnoles le soupçonnaient d'avoir procédé à des levés des fonds marins dans la baie de Cadix afin de repérer des indices de la présence de pétrole et de méthane et d'avoir ainsi enfreint les règles en matière de protection du patrimoine historique et du milieu marin, ce que conteste son Etat de pavillon.

L'accord qui est aujourd'hui soumis à notre examen vise à conférer aux membres du tribunal des privilèges et immunités diplomatiques dans l'exercice de leurs fonctions.

Il s'agit d'un accord très classique qui repose sur le modèle des précédentes conventions conclues par la France en la matière, notamment la convention sur les privilèges et immunités de l'Organisation des Nations unies.

En effet, toutes les organisations internationales, mais aussi les organes spécialisés des Nations unies, à l'image de l'UNESCO, par exemple, et les tribunaux internationaux, comme la Cour pénale internationale, se voient reconnaître des privilèges et immunités diplomatiques.

L'accord affirme ainsi la personnalité juridique du tribunal, ainsi que l'inviolabilité de ses locaux, de ses archives et de sa correspondance.

Il lui reconnaît aussi le droit d'arborer son drapeau et son emblème.

Il lui octroie l'immunité contre toute forme de poursuite et institue une protection de ses personnels, juges ou fonctionnaires, mais aussi des avocats et conseils ou des témoins et experts, ainsi qu'une protection de ses biens en matière de perquisition ou de saisie.

Enfin, il prévoit une exonération d'impôts et de taxes pour le tribunal, ainsi que sur les traitements et salaires des juges et des fonctionnaires du tribunal. A la demande du ministère de l'économie, la France devrait toutefois faire une réserve sur ce point afin de prendre en compte les revenus exonérés de ceux d'entre eux qui seraient résidents en France pour déterminer le taux applicable à l'ensemble de leurs revenus. Cette règle, dite du taux effectif, est particulièrement importante pour la France, parce qu'elle permet de maintenir la cohérence du système d'imposition, basé sur la progressivité de l'impôt. En tout état de cause, cette exemption fiscale ne devrait avoir qu'un impact limité compte tenu du faible nombre de personnes concernées.

A ce jour, trente-huit Etats ont ratifié cet accord.

M. René Beaumont - Le Tribunal international du droit de la mer peut-il être compétent pour des litiges concernant les cours d'eaux internationaux, à l'image du Rhin ? Dans le cadre de mon rapport sur la ratification de la convention des Nations unies de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, je m'étais intéressé plus particulièrement à cette problématique.

M. André Trillard - Les cours d'eau ou lacs internationaux ne sont pas régis par la convention des Nations unies sur le droit de la mer, qui porte sur le droit international de la mer. Il existe un droit international fluvial, avec la convention des Nations unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation, qui prévoit, dans son annexe, le recours à un tribunal arbitral pour le règlement des litiges.

Il existe aussi des conventions régionales, comme la convention-cadre d'Helsinki de 1992, et des conventions bilatérales.

Concernant le Rhin, il existe la Commission centrale pour la navigation du Rhin, dont l'origine remonte à 1815 et qui prévoit la création d'une juridiction spéciale.

M. André Dulait - Les pays riverains de la mer Caspienne ont-ils signé et ratifié la convention des Nations unies sur le droit de la mer et ont-ils adhéré à cet accord ?

M. André Trillard - Parmi les pays riverains de la mer Caspienne, seule la Russie a signé et ratifié la convention des Nations unies sur le droit de la mer. L'Iran a signé la convention mais ne l'a pas ratifiée. Le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan et le Turkménistan n'ont pas signé cette convention.

Toutefois, le statut juridique de la mer Caspienne ne fait pas l'objet d'un consensus. Certains pays riverains, comme la Russie ou l'Iran, estiment que son statut est celui d'un lac, tandis que les autres considèrent qu'il doit être celui d'une mer.

Compte tenu des importants enjeux et des nombreux différends qui existent entre les pays riverains, notamment sur la délimitation du plateau continental, seul un accord entre ces pays permettrait de clarifier le statut juridique de la mer Caspienne.

La commission adopte le présent projet de loi et propose qu'il fasse l'objet d'un examen en forme simplifiée en séance publique.

Accord France-République centrafricaine et Traité France-Gabon instituant un partenariat de défense - Examen du rapport et du texte de la commission

Puis la commission examine le rapport de M. Philippe Paul et le texte qu'elle propose sur les projets de loi n° 103 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République centrafricaine instituant un partenariat de défense et n° 104 (2010-2011) autorisant la ratification du traité instituant un partenariat de défense entre la République française et la République gabonaise.

M. Philippe Paul - Après le Togo et le Cameroun, en juillet dernier, nous examinons aujourd'hui deux nouveaux partenariats de défense entre la France et des pays africains : un traité avec le Gabon, signé le 24 février 2010 à Libreville par le Président Sarkozy et le Président gabonais Ali Bongo, et un accord avec la République centrafricaine signé à Bangui le 8 avril 2010 par M. Alain Joyandet et le ministre des affaires étrangères centrafricain.

Je voudrais tout d'abord rappeler très brièvement le cadre général dans lequel interviennent ce traité et cet accord. Il a déjà été exposé lorsque la commission avait approuvé les accords avec le Togo et le Cameroun.

Premièrement, depuis plus d'une douzaine d'années, la priorité de notre politique de sécurité en Afrique vise à aider le continent à bâtir son propre dispositif de sécurité collective, à travers l'Union africaine et les organisations sous-régionales, et à faire de l'Union européenne un partenaire majeur de l'Afrique en matière de paix et de sécurité.

Deuxièmement, ces orientations ont pour corollaire la limitation de nos engagements militaires bilatéraux et la réduction de la présence permanente de forces françaises en Afrique. Le volume de ce dispositif permanent a déjà été divisé par deux depuis 1980. Cette réorganisation va se poursuivre, comme indiqué dans le Livre blanc. A terme, le dispositif permanent reposera sur deux bases opérationnelles avancées, à Djibouti et Libreville, et deux pôles de coopération à vocation régionale, à Dakar et N'Djamena, avec un effectif qui pourrait être de l'ordre de 3 500 hommes, contre environ 6 000 aujourd'hui sur ces quatre implantations.

Enfin, la renégociation des accords de défense, annoncée par le Président de la République dans son discours du Cap, le 28 février 2008, constitue le troisième et dernier volet de cette politique. Cet acte revêt surtout une dimension symbolique. Depuis très longtemps déjà, les accords de défense signés lors des indépendances n'étaient plus en phase avec la réalité de nos relations de défense avec les pays concernés. Les clauses prévoyant l'intervention de la France en vue de maintenir l'ordre intérieur dans certains pays étaient de facto caduques. Beaucoup d'autres dispositions étaient périmées ou inadaptées à la mise en oeuvre de notre coopération. La refonte de ces textes était donc inéluctable.

Le périmètre de cette refonte couvre huit pays africains : le Cameroun, la République centrafricaine, les Comores, la Côte d'Ivoire, Djibouti, le Gabon, le Sénégal et le Togo. Bien qu'il n'existe pas de définition juridiquement établie de la notion d'accord de défense, on considère généralement qu'il se distingue principalement d'un simple accord de coopération en ce qu'il comporte une clause relative aux conditions de l'assistance que les parties se prêtent, à titre réciproque ou non, dans le cadre de l'exercice du droit de légitime défense face à une agression. Sur la base de ce critère, ce sont donc ces huit pays avec lesquels a été engagé le processus de renégociation annoncé dans le discours du Cap.

Nous avons approuvé début juillet les deux premiers accords, signés en 2009 avec le Togo et le Cameroun. Les projets de loi ont été inscrits pour une discussion en séance publique le 21 octobre dernier, mais déprogrammés du fait de la prolongation de l'examen du projet de loi sur les retraites. Ils sont donc toujours en instance devant notre assemblée.

Trois nouveaux accords ont été signés en 2010 : avec le Gabon et la République centrafricaine en début d'année et avec les Comores le 27 septembre. Les projets de loi relatifs au partenariat avec le Gabon et la République centrafricaine ont été déposés au Sénat le 10 novembre. Celui relatif aux Comores est en cours de préparation et fait l'objet d'une concertation interministérielle.

Les négociations ont été engagées et se poursuivent normalement avec le Sénégal et Djibouti. En revanche, il avait été prévu d'initier la négociation avec la Côte d'Ivoire après l'élection présidentielle. Cette démarche est bien évidemment suspendue étant donné la situation politique.

J'ajoute que la question d'un nouvel accord de partenariat de défense se pose avec un neuvième pays africain, qui n'était pas initialement concerné, à savoir le Tchad. Nous n'avons pas d'accord de défense avec ce pays, mais un simple accord de coopération technique, tout en déployant des forces dans le cadre de l'opération Epervier.

J'en viens maintenant au traité et à l'accord qui nous sont soumis. Par rapport aux deux premiers accords, avec le Togo et le Cameroun, le Gabon et la République centrafricaine présentent une spécificité. Ils accueillent sur leur sol des troupes françaises, de manière permanente pour le Gabon, dans le cadre d'une Opex pour la République centrafricaine. Les deux instruments comportent donc une annexe relative à ces forces stationnées.

Hormis cette annexe, le dispositif retenu est extrêmement proche de celui que nous avons examiné pour le Togo et le Cameroun, puisqu'il a été établi sur la base d'un modèle d'accord établi par la mission interministérielle en charge de piloter la renégociation des accords de défense.

Les deux instruments sont conclus pour une durée de 5 ans, renouvelable par tacite reconduction.

Ils vont régir, dans un cadre juridique actualisé, l'ensemble des relations de défense entre la France et le Gabon, d'une part, la République centrafricaine, d'autre part. Ils abrogent et remplacent tous les accords antérieurs, y compris ceux qui n'auraient pas été publiés. Je précise qu'en la matière, les textes de base étaient constitués de deux accords signés en août 1960 et toujours en vigueur.

Leur deuxième caractéristique est qu'ils ne comportent pas de clause d'assistance. Comme je l'ai déjà dit, de telles clauses n'avaient plus de réelle portée pratique. De longue date, la France estimait que leur mise en oeuvre ne pouvait avoir de caractère automatique et restait dans tous les cas soumise à son appréciation. Je précise toutefois qu'en début de négociation, les autorités centrafricaines avaient souhaité maintenir ce type de clause, ce qu'a écarté la partie française.

Troisièmement, les accords précisent les principes généraux du partenariat de défense et de sécurité, en soulignant la dimension régionale de la paix et de la sécurité, et en mentionnant l'Union européenne, qui pourra être associée aux projets de coopération. Ils énumèrent les domaines de la coopération bilatérale : échanges d'informations ; organisation, équipement et entraînement des forces ; missions de conseil ; formation dans des écoles françaises ou des écoles soutenues par la France.

Les accords comportent des dispositions détaillées sur le statut des personnels engagés dans la coopération. Par extension, ces dispositions s'appliquent aussi aux forces françaises stationnées au Gabon et en Centrafrique. A la différence de ces forces, les coopérants français de longue durée portent l'uniforme gabonais ou centrafricain. Pour les uns comme pour les autres, le pouvoir disciplinaire restera exercé par l'Etat d'origine. Le régime fiscal sera uniformisé, tous les personnels français étant imposés en France.

Je signale une particularité relative aux règles sur l'usage des armes. Le modèle d'accord, accepté par le Togo et le Cameroun, prévoit que lorsque les personnels utilisent leur arme de dotation pour les besoins du service, ils se conforment à la législation de l'Etat d'accueil, sauf si celui-ci accepte l'application de la législation de l'Etat d'origine.

L'accord avec la République centrafricaine prévoit uniquement l'application de la législation de l'Etat d'accueil, alors que le traité avec le Gabon prévoit uniquement l'application de la législation de l'Etat d'origine. Ces variations de règles n'ont pas d'incidence pratique pour les forces françaises dans ces deux pays, car, en tout état de cause, la législation française sur l'usage des armes en service est plus précise que celle des deux pays concernés. Il n'y aura donc pas de restriction par rapport aux règles d'engagement habituelles de nos forces.

Le Conseil d'Etat a fait observer que le traité avec le Gabon aboutissait, par réciprocité, à placer les personnels gabonais présents sur le sol français sous la législation gabonaise. Il s'agit d'une hypothèse toute théorique. En effet, les cas dans lesquels des personnels gabonais présents en France seraient armés et dotés de munitions réelles sont extrêmement réduits. Il peut s'agir de stages ou de formations. Dans ce cas, ces personnels sont placés sous encadrement et commandement français. Le Conseil d'Etat n'a donc pas jugé que cette disposition puisse être contraire à nos principes constitutionnels.

Je précise aussi que les accords fixent les règles de compétence juridictionnelle en cas d'infractions commises par un personnel étranger. Le principe est que lorsque la personne commet l'infraction dans le cadre de ses fonctions officielles, elle relève des juridictions de son Etat d'origine, c'est à dire, pour les personnels français, de la justice française. Le traité franco-gabonais comme l'accord avec la République centrafricaine offrent un certain nombre de garanties lorsque les poursuites sont exercées devant les juridictions de l'Etat d'accueil, c'est-à-dire lorsque les infractions sont commises en dehors de toute fonction officielle. Il est également explicitement mentionné que dans le cas où elle serait prévue par la loi, la peine de mort ne serait ni requise, ni prononcée. En effet, la peine de mort a été abolie au Gabon, mais pas en République centrafricaine.

Enfin, comme je l'ai précédemment indiqué, chaque texte comporte une annexe spécifique sur le stationnement des forces françaises. Elle prévoit certain nombre de facilités, notamment en matière d'importation de matériels.

Au Gabon, nous disposons d'environ 900 hommes, principalement répartis entre le 6ème bataillon d'infanterie de marine, un détachement de l'ALAT et un détachement air. L'annexe au traité fixe le régime des zones mise à disposition des forces françaises. Elle pose le principe de l'inviolabilité de ces installations, ainsi que des documents qu'elles abritent et de la correspondance officielle de nos forces. Dans l'éventualité d'une dénonciation du traité, les zones mises à disposition des forces françaises devront être restituées au Gabon, sans compensation. Enfin, l'article 11 de l'annexe stipule que le Gabon peut demander à tout moment le retrait des forces françaises stationnées sur son territoire, la France se réservant également le droit de retirer ses forces.

Nos collègues Jacques Gautier et Daniel Reiner nous avaient rendu compte de leur visite aux forces françaises du Gabon en avril 2010. Ils nous avaient expliqué le triple rôle de ces forces : assurer la sécurité de nos 12 000 ressortissants au Gabon ; servir de point d'appui pour d'autres opérations dans la région ; servir également de point d'appui pour la mise en place d'une force aéroterrestre en cas d'opération de première urgence en Afrique centrale ou en Afrique de l'Ouest. A la suite de la réorganisation de notre dispositif, le Gabon devient clairement l'implantation principale sur la façade occidentale de l'Afrique. Notre présence y sera vraisemblablement renforcée.

J'ajoute qu'en dehors de la présence de nos forces, le traité couvre également la coopération de défense. Nous mettons 25 coopérants à disposition du ministère gabonais de la défense. Les principaux projets concernent l'aviation légère de l'armée de terre, le soutien des matériels roulants, la mise en place de l'action de l'Etat en mer et surtout deux écoles nationales à vocation régionale (ENVR), l'école d'état-major et l'école nationale de la gendarmerie.

En ce qui concerne la République centrafricaine, l'annexe à l'accord concerne notre détachement de Boali. Il s'agit d'un petit de contingent d'environ 200 militaires, comprenant un état-major, une compagnie d'infanterie et un détachement de soutien.

Les forces françaises sont déployées depuis mars 2003, pour assurer le soutien technique et le cas échéant opérationnel de la force multinationale africaine de stabilisation (mission de consolidation de la paix - MICOPAX) mise en place, en Centrafrique, par la Communauté économique et monétaire d'Afrique centrale (CEMAC), avec le soutien financier de l'Union européenne.

Ainsi, la France fournit des moyens logistiques tels que les munitions, le paquetage des troupes, des véhicules blindés et de transport des troupes. Elle assure des actions de formation au profit de la force africaine, à travers les détachements d'instruction opérationnelle.

L'opération Boali permet aussi d'assurer l'instruction opérationnelle des unités des forces armées centrafricaines.

La présence militaire française en Centrafrique s'effectue donc dans un tout autre contexte que celui du Gabon. La situation politique intérieure centrafricaine demeure fragile. Un accord de paix a été signé en juin 2008 entre le gouvernement et une partie des mouvements de rébellion armée du nord du pays. La mise en oeuvre de cet accord, qui prévoyait une loi d'amnistie, le désarmement des groupes rebelles et leur réintégration sur la scène politique, s'effectue lentement et avec difficulté. L'insécurité persiste dans le nord et l'est du pays. Le mandat du Président de la République, le général Bozizé, venait à échéance au printemps 2010, mais les élections présidentielle et législatives ont été repoussées. Elles doivent se tenir dimanche prochain 23 janvier, alors que la plupart des mouvements d'opposition contestent les conditions d'organisation du scrutin.

En tout état de cause, il faut rappeler que la mission de maintien de la paix incombe en premier lieu à la force interafricaine, la MICOPAX, le mandat de celle-ci assignant aux forces françaises un rôle de soutien, conformément au concept RECAMP, de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix.

L'annexe à l'accord bilatéral définit les facilités accordées aux forces françaises en matière d'importation des matériels et d'utilisation de l'aéroport de Bangui.

En ce qui concerne la coopération de défense avec la République centrafricaine, elle repose sur la mise à disposition permanente de 8 coopérants. Le principal projet de coopération concerne l'école de gendarmerie.

Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai résumé les principales caractéristiques de ces deux accords qui n'ont pas soulevé de difficultés particulières lors de leur négociation et qui s'inscrivent pleinement dans le cadre général défini à la suite du discours du Cap.

Je vous demande donc d'approuver les deux projets de loi, qui pourront ainsi faire l'objet d'un débat d'ensemble avec les deux premiers textes relatifs au Togo et au Cameroun que nous avons approuvé en juillet dernier.

M. Daniel Reiner - Le groupe socialiste adoptera sur ces deux projets de loi une position analogue à celle qu'il avait prise au mois de juillet dernier, lors de l'examen des accords avec le Togo et le Cameroun. Bien entendu, nous ne pouvons que saluer l'évolution positive qui conduit à la conclusion de ces nouveaux accords. Ils vont remplacer des textes datant de près de cinquante ans, qui comportaient des clauses secrètes et n'avaient pas été soumis au Parlement. Il s'agit donc plutôt d'un progrès qui s'inscrit dans une politique définie il y a déjà une dizaine d'années déjà, visant à aider les Africains à se doter des moyens leur permettant d'assurer leur propre sécurité et les opérations de maintien de la paix sur le continent.

Nous avons demandé un débat général sur la politique de défense française en Afrique. Il faut envisager ces accords globalement. Nous réservons donc notre position pour ce débat, lorsqu'il pourra avoir lieu.

Je voudrais également faire observer que, dans l'un des deux Etats avec lesquels nous avons signé un accord aujourd'hui soumis à notre examen, la République centrafricaine, la situation politique n'est toujours pas stabilisée.

Je souhaiterais enfin savoir si les accords dont nous sommes saisis prévoient des échanges de renseignements entre partenaires. Les événements récents dans certains pays montrent combien de tels échanges peuvent être nécessaires.

M. Philippe Paul - Les deux instruments signés avec le Gabon et la République centrafricaine citent, parmi les domaines de coopération, les échanges de vues et d'informations relatifs aux risques et menaces à la sécurité nationale et régionale, et aux moyens d'y faire face.

M. Didier Boulaud - Comme Daniel Reiner, j'estime qu'un débat sur notre politique de sécurité en Afrique est plus que jamais nécessaire. La situation sécuritaire sur le continent évolue rapidement, rendant obsolète le cadre fixé par le Livre blanc. Pour prendre l'exemple de notre implantation à Djibouti, on voit bien que les Etats-Unis ou la Chine comptent durablement renforcer leur présence dans la corne de l'Afrique. Je me demande si nous n'avons pas arrêté les axes de notre repositionnement de manière trop précipitée. Par ailleurs, je constate que le champ des nouveaux accords de partenariat ne couvre pas des pays tels que le Mali, la Mauritanie ou le Niger, dont nous voyons bien qu'ils sont importants pour nos intérêts de sécurité. Nous devons également établir un cadre plus clair avec le Tchad.

M. Josselin de Rohan, président - Monsieur Boulaud, le Livre blanc a vocation à être réactualisé après 2012. En ce qui concerne le Tchad, la question est effectivement posée du passage de l'opération Epervier à la définition d'une nouveau cadre de coopération.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte les deux projets de loi, le groupe socialiste s'abstenant.

Déplacement en Guyane dans le cadre de la mission HARPIE - Communication

Puis la commission entend une communication de M. Josselin de Rohan, Mme Bernadette Dupont, MM. Jacques Berthou et Jean-Etienne Antoinette sur leur déplacement en Guyane, du 15 au 19 décembre 2010, dans le cadre de la mission HARPIE (lutte contre l'orpaillage clandestin).

M. Josselin de Rohan, président - Avec nos collègues Bernadette Dupont, Jean-Etienne Antoinette et Jacques Berthou, nous nous sommes rendus en Guyane du 15 au 19 décembre dernier.

Cette mission s'inscrit dans le cadre de nos déplacements auprès des unités françaises engagées dans des opérations extérieures. La particularité de cette mission tient bien évidemment à ce qu'elle se déroule sur le territoire national bien que les difficultés du terrain et la dangerosité des actions qui sont menées l'apparente de manière claire à une OPEX.

Lors de notre séjour en Guyane, nous avons pu rencontrer l'ensemble des autorités politiques (Conseil régional et élus locaux), administratives (préfet) ainsi que les responsables militaires et de la gendarmerie. Elle s'est rendue successivement à Cayenne, à Maripasoula qui est le point de contrôle sur le fleuve Maroni, à Camopi, point de contrôle sur la rivière Oyapock, et enfin à Kourou.

Dans le cadre des attributions de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous poursuivions deux objectifs :

- évaluer la mise en oeuvre de l'opération «HARPIE » de lutte contre l'orpaillage clandestin ;

- évaluer le dispositif de sécurité du centre spatial guyanais de Kourou.

Je voudrais tout d'abord insister sur les spécificités du terrain.

Le territoire du département fait partie intégrante du plateau des Guyanes partagé, pour l'essentiel, avec le Brésil, le Surinam et le Guyana. Il est recouvert à 96 % par la forêt amazonienne qui est à la fois un milieu très difficilement pénétrable et contrôlable mais aussi un atout extraordinaire du fait de sa biodiversité. C'est le plus grand département français (82 000 km²). Sa surface équivaut à celle du Portugal. Il est relativement peu peuplé avec environ 230 000 habitants mais un fort taux de progression qui devrait l'amener à un doublement en 2030.

On peut très difficilement parler de frontières avec les pays limitrophes dans la mesure où les fleuves qui le bordent, le Maroni et l'Oyapok, sont, comme les autres voies fluviales, les axes essentiels de communication.

De ces contraintes naturelles, il ressort que l'aéromobilité des personnes, mais surtout des opérations, est essentielle. Tous nos déplacements se sont du reste effectués en hélicoptère.

Quelles sont les missions confiées à nos forces armées en Guyane ? On peut distinguer des missions permanentes et des missions de crise.

Il existe quatre missions permanentes :

1 - assurer la sécurité externe du centre spatial guyanais. C'est la mission prioritaire du contrat opérationnel ;

2 - contribuer au maintien de la sécurité dans la zone de souveraineté : surveillance des frontières, présence militaire aux frontières ;

3 - affirmer la présence française dans la zone de responsabilité permanente et développer les actions de coopération régionale dans une optique sécuritaire zonale ;

4 - participer à l'action de l'Etat par la mise en oeuvre de capacités militaires : lutte contre l'orpaillage clandestin, lutte contre l'immigration clandestine, action de l'Etat en mer.

Les missions de crise consistent à conduire ou participer à des actions militaires régionales et à contribuer à des opérations de secours d'urgence (humanitaire, catastrophe naturelle...).

La définition de ces missions, qui relèvent très largement des missions traditionnelles de soutien des armées à l'Etat, repose sur une analyse et une évaluation des menaces spécifiques à la Guyane.

Nous avons pu constater, au travers des différents entretiens avec les autorités civiles et militaires, qu'il n'existe pas, à ce stade, de menaces militaires ou terroristes directes sur la Guyane. Des menaces, notamment la menace terroriste contre le CSG, ne peuvent naturellement pas être écartées. Même s'il n'existe pas de menace directe sur le site de Kourou et que la probabilité d'une attaque militaire reste faible, d'autres dangers subsistent : sabotage, espionnage industriel... D'autre part, les événements du 11 septembre montrent qu'une attaque terroriste n'est pas à exclure. La protection d'un site aussi stratégique pour la souveraineté nationale comme le CSG est donc essentielle.

Dans ce contexte, les actions de renseignement humain ou technologique sont particulièrement importantes.

Il peut également s'agir de menaces indirectes comme la recherche d'un effet médiatique en relation avec les activités du CSG ou encore l'instrumentalisation de la menace de risques potentiels ou la manipulation de la situation économique et sociale. Les menaces constituées par l'immigration clandestine, la pêche illicite, le narcotrafic, le trafic d'armes ou bien celles qui résultent de l'orpaillage clandestin avec ses conséquences sanitaires, économiques, environnementales ou sécuritaires (augmentation de la délinquance, prostitution...), sont également clairement identifiées.

Les forces armées en Guyane (FAG) apportent au quotidien et sur l'ensemble du département, une contribution déterminante à la souveraineté de la France dans la région, au développement social et économique du département, et à l'action sécuritaire de l'Etat sur le territoire national, dans un environnement sensible et exposé.

Sous l'autorité du COMSUP (commandant supérieur), actuellement le général de brigade aérienne Jean-Pierre Hestin, et du colonel Didier Laumont, commandant de la gendarmerie, les effectifs civils et militaires basés en Guyane s'élèvent à près de 4 000 hommes. Ils sont en majeure partie constitués par 970 hommes du 9ème RIMA, 680 hommes du 3ème REI, 977 gendarmes, 220 hommes des forces aériennes et 130 marins. Il faut également citer 750 hommes du 3ème RSMA plus tournés vers des actions de formation.

S'agissant de la gendarmerie, elle est naturellement une force armée, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter compte tenu des conditions d'engagement qu'elle connaît en Guyane. Cette appartenance est un atout fondamental avec notamment le régime de disponibilité et le logement par nécessité absolue de service.

Le commandement de la gendarmerie (COMGEND) de Guyane est composé de gendarmes départementaux, renforcé pour l'exécution de ses missions des escadrons de gendarmes mobiles. Il dispose de 977 hommes.

La gendarmerie de Guyane assume l'ensemble des missions dévolues à une force de police, notamment dans le domaine de la police judiciaire, de la police administrative et du maintien de l'ordre. Les spécificités du département conduisent par ailleurs le COMGEND à intervenir dans trois domaines particuliers, à savoir : la protection du centre spatial de Kourou, la lutte contre l'immigration clandestine et, bien sûr, la lutte contre l'orpaillage illégal.

Il est particulièrement important de souligner que la lutte contre l'orpaillage clandestin est une opération de police. Dans ses directives pour l'opération Harpie, le préfet rappelle que « s'agissant d'opérations de contrôle de police, elles sont juridiquement placées sous la direction des OPJ ou APJ compétents ». Cela implique un cadre juridique contraignant mais indispensable sur la base de réquisitions judiciaires et administratives.

Ainsi, le rôle de la gendarmerie nationale sera de mettre en oeuvre le dispositif territorial de l'opération Harpie, de constater les infractions, d'interpeller les auteurs de celle-ci et de les remettre à la justice.

L'opération Harpie était donc notre premier centre d'intérêt en Guyane. Il faut souligner d'emblée que la lutte contre l'orpaillage clandestin constitue un préalable absolu à toute action organisée d'accompagnement de la filière aurifère, et donc du développement endogène de la Guyane. L'orpaillage illégal constitue un véritable cancer économique et social qu'il faut, sinon éradiquer, du moins réduire. On estime à 120 tonnes d'or primaire le stock d'or à exploiter et à de très nombreuses années d'exploitation l'or secondaire contenu dans les alluvions où les dépôts fluviaux.

La problématique de l'or en Guyane est ainsi très clairement posée : comment en permettre l'exploitation (de l'or comme des autres ressources minérales), condition du développement endogène du département, tout en protégeant le patrimoine de la biodiversité que représente la forêt primaire amazonienne. Cette lutte est également la condition indispensable à une amélioration de la situation sécuritaire de la Guyane.

Je reviendrai dans un instant sur les conséquences dramatiques de l'orpaillage clandestin, mais je voudrais insister sur la difficulté pour concilier la protection de l'environnement et le développement de l'activité économique. Les zones aurifères sont en effet largement situées au coeur du parc amazonien de Guyane. Il vient d'être établi un schéma directeur pour l'exploitation minière en Guyane (SDOM). Ce schéma est contesté, non dans son principe puisqu'il est indispensable, mais dans son zonage. S'il n'appartient pas à notre commission de se prononcer sur la pertinence plus ou moins grande dans ce domaine, il me paraît pourtant évident de faire une remarque de bon sens : l'interdiction d'exploitation pénalisera l'exploitation aurifère légale, nécessaire au développement de la Guyane, et ne dissuadera en aucune façon l'orpaillage illégal. Il s'agit donc de trouver un point d'équilibre entre ces deux objectifs que sont le développement et la préservation de la biodiversité de la forêt guyanaise. Cette constatation est également faite par les professionnels, les élus locaux et la commission commune du Sénat sur les DOM.

Chaque année, on estime à une dizaine de tonnes d'or l'exploitation clandestine. Ce sont entre 5 et 15 000 travailleurs clandestins, pour l'essentiel d'origine brésilienne, qui travaillent en Guyane. Cette activité illégale génère, par ailleurs, une activité très importante en matière d'approvisionnement et de fournitures.

La carte des flux logistiques illégaux qui acheminent hommes et matériel sur les champs aurifères permet d'illustrer de manière très simple le concept d'opérations communes entre les forces armées guyanaises et la gendarmerie. Celles-ci consistent, d'une part à bloquer au maximum les frontières, c'est-à-dire les flux logistiques d'approvisionnement par des barrages routiers et fluviaux et par une multiplication des patrouilles d'interception, et, d'autre part, à entreprendre un certain nombre d'opérations, pour la plupart héliportées, sur les sites d'orpaillage clandestins au coeur de la forêt amazonienne.

J'en viens à présent aux conséquences de l'orpaillage clandestin. Outre les conséquences économiques (pertes de revenus, manque à gagner pour l'Etat, dévalorisation de l'image du secteur légal) et en termes d'emplois (pertes estimées à 40 % du volume des emplois légaux), l'exploitation aurifère illégale entraîne de lourds effets environnementaux et sanitaires.

Sur le plan environnemental, les opérateurs illégaux utilisent du mercure pour amalgamer l'or (cette technique est interdite en France depuis le 1er janvier 2006). Cinq tonnes de mercure sont rejetées chaque année dans le milieu naturel (atmosphérique et fluvial) et empoisonnent l'ensemble de la chaîne alimentaire. Ces rejets provoquent, en effet, un phénomène de bioaccumulation dans les poissons qui sont ensuite consommés par les populations amérindiennes.

Les conséquences en termes de santé publique sont très inquiétantes : on décèle un taux d'imprégnation au mercure supérieur à la norme OMS chez plus de 70 % des enfants amérindiens Wayanas du Haut-Maroni (Inserm, 1998). Les Garimpeiros, pour la plupart miséreux exploités, parfois soumis au travail forcé, sont également les victimes et présentent généralement un statut sanitaire et vaccinal précaire susceptible de contribuer à la propagation des maladies.

L'orpaillage illégal provoque également une très forte augmentation des matières en suspension dans les cours d'eau, qui conduit à un phénomène d'asphyxie des criques avec des conséquences importantes sur la faune et la flore aquatiques.

Contrairement aux opérateurs légaux, les clandestins ne réhabilitent pas les zones orpaillées, ce qui provoque un grave problème de déforestation, et de très importantes modifications du lit des cours d'eau. On estime à 1 333 km les cours d'eau directement impactés (ONF 2006), et à 12 000 ha la surface de forêt guyanaise directement impactée (ONF 2006).

Par ailleurs, les opérateurs illégaux se sont développés, notamment au coeur du parc national, phénomène qui induit un problème pour la politique nationale des espaces protégés et met en doute la crédibilité de la France au niveau international.

Enfin, l'orpaillage clandestin entraîne une augmentation de la criminalité et de la délinquance. Autour des sites abritant les comptoirs logistiques mis en place par la filière minière clandestine - comme ceux que l'on peut observer sur la rive brésilienne de l'Oyapock ou sur la rive Surinamienne du Maroni - se développent des réseaux de drogue, de prostitution ainsi que des trafics d'armes. La violence, qui s'exerce également entre travailleurs clandestins, touche naturellement les populations locales. Cela se traduit, notamment, par des vols de moteurs de bateaux ou d'autres objets utiles pour les orpailleurs clandestins, mais également par des assassinats. Les communautés amérindiennes de Guyane sont très majoritairement opposées à des activités illégales qui provoquent des conflits en occupant les terres, en dégradant un milieu naturel auquel ils sont particulièrement attachés et en exerçant des pressions sur les ressources de pêche et de chasse dont ils tirent leur subsistance.

Ce sont l'ensemble de ces conséquences qui permettent de dire que l'orpaillage clandestin est un véritable fléau qu'il convient d'éradiquer. C'est la raison pour laquelle l'Etat met en oeuvre des moyens importants pour lutter contre ce phénomène.

Depuis son premier déplacement, en février 2008, le Président de la République s'est rendu quatre fois en Guyane. Ces déplacements manifestent la volonté politique de développement des territoires et départements d'outre-mer dans tous les domaines. Plus spécifiquement, les décisions prises à l'occasion de ces déplacements, dans les domaines d'intérêt de la commission (Sécurité et défense) et leur mise en oeuvre, ont permis de créer une dynamique forte.

C'est ainsi qu'en février 2008, le Président a affirmé son ambition de construire une filière aurifère exemplaire en mettant en place une véritable politique minière et industrielle de long terme qui garantisse, dans le respect des engagements du Grenelle de l'Environnement, un développement économique de la Guyane. Il a, en parallèle, lancé la réalisation d'un « schéma départemental d'orientation minière et d'aménagement » qui définisse de façon claire, des zones ouvertes et des zones interdites à l'exploitation minière. Le Président a également renforcé, puis pérennisé, les moyens de lutte contre l'orpaillage clandestin. En février 2010, lors de son quatrième voyage en Guyane, il a annoncé le caractère permanent de l'opération Harpie à compter du 1er mars 2010, le renforcement de la coopération avec le Brésil afin de trouver un règlement concerté à la question de l'orpaillage et la création en 2011 d'une cour d'appel en Guyane qui permettra de traiter sur place les affaires. Il s'agit donc d'une politique globale et cohérente qui lie et conditionne le développement endogène de la Guyane, qui suppose la mise en valeur de ses ressources naturelles, dans le respect de son environnement exceptionnel, à la lutte contre l'insécurité et les activités illégales. Compte tenu du contexte régional et des problématiques partagées, cette politique nationale s'inscrit également dans un cadre international avec le Brésil et le Surinam. Nous aurons du reste à examiner prochainement la convention entre le Brésil et la France pour lutter contre l'exploitation aurifère clandestine pour laquelle nous avons nommé Jean-Etienne Antoinette, rapporteur.

Les objectifs fixés par le préfet à l'opération Harpie, énoncés dans les directives de 2010, sont les suivants :

1 - identifier, paralyser et désorganiser les flux logistiques d'approvisionnement ;

2 - identifier les individus compromis (commerçants/commanditaires, piroguiers assurant les transports, passeurs de clandestins, « veilleurs » etc....) ;

3 - incriminer les auteurs de crimes et délits ;

4 - reconduire les étrangers en situation irrégulière (ESI) à la frontière ;

5 - détruire, après autorisation du Parquet, les matériels servant à l'extraction aurifère illégale ou assurant l'approvisionnement logistiques des sites clandestins ;

6 - remettre en état les sites.

Il est important de souligner que la lutte de l'Etat contre l'orpaillage clandestin est une opération interministérielle qui fait intervenir la plupart des administrations de l'Etat en Guyane : armée, gendarmerie, police, douanes, justice, PAF, immigration, ONF, DRIRE etc.... Elle fait l'objet, sous l'autorité du préfet de Guyane, préfet de la région, d'une coordination étroite.

Le dispositif actuel engage de 350 à 400 hommes des FAG en permanence et 170 gendarmes dont nous avons pu constater la parfaite collaboration.

Ce que nous pouvons dire de ce dispositif, c'est qu'il nous a paru tout à fait opérationnel. Des postes de contrôles fluviaux sont construits par les sapeurs des FAG et armés par des détachements mixtes de gendarmerie et de l'armée de terre. Ces barrages sont évidemment indispensables dans un pays où la voie fluviale est la voie de communication essentielle. Ce sont des barrages dissuasifs empêchant le franchissement illégal à différents points d'entrée des fleuves Maroni et Oyapok. La mission a pu se rendre compte sur place, en visitant les barrages de Saut Tonnelle et de Cayodé, de l'efficacité du dispositif. Pourtant, il y a de régulières tentatives de passage en force et c'est lors de l'une d'elles, en juillet dernier, qu'un de nos soldats a perdu la vie.

Il faut rendre hommage au professionnalisme des militaires engagés sur le terrain dont le sang-froid et la maîtrise méritent d'être soulignés alors même qu'ils interviennent dans un contexte de grande violence, du reste exacerbé par la réussite de l'opération Harpie.

Les résultats de ces opérations sont probants et tout à fait satisfaisants. Le bilan opérationnel 2010 fait état de :

- 1 750 patrouilles d'environ 24 heures autour des PCF ;

- 91 missions de moins de 6 jours (234 jours) ;

- 31 missions de plus de 6 jours (541 jours) ;

- 2 134 heures de vol (avions + hélicoptères) ;

- 5 378 personnes (dont 1 134 gendarmes) et 979 T de fret (dont 237 T pour la gendarmerie) transportées par aéronefs ;

- 17 475 personnes et 723 T de fret transportées par pirogues.

Le bilan des prises 2010 fait état de 312 étrangers en situation irrégulière, 257 pirogues, 111 quads, 2 787 carbets, 542 pompes, 124 groupes électrogènes, 323 tables de levée, 281 m3 de carburant, 137 T de vivres, 52 BLU, 173 armes, 107 kg de mercure, 10 kg d'or (1g = 33 euros), ... pour un total de 9 466 793 euros.

Au vu de ces chiffres, l'opération Harpie donne à l'évidence des résultats probants grâce à sa pérennisation décidée par le Président de la République, à l'excellente coopération interministérielle mise en oeuvre sous l'autorité de préfet et grâce au professionnalisme des forces armées en Guyane (FAG et Gendarmerie).

Le dispositif mis en place est crédible mais il n'est naturellement pas étanche à 100 %. Il est évident que le remède essentiel contre l'orpaillage clandestin sera le développement de l'activité aurifère légale dans des conditions de sécurité et de rentabilité satisfaisantes. Comme je l'ai déjà souligné, cette activité ne pourra se développer qu'avec une extension des possibilités d'exploitation dans un SDOM révisé. Enfin, un accroissement de la coopération avec le Brésil et le Surinam est une condition indispensable du succès.

On constate à l'heure actuelle l'arrêt de l'extension de l'orpaillage clandestin, en particulier par la limitation des flux logistiques. La dégradation des conditions de vie des Garimpeiros, due à l'efficacité des actions entreprises, a de plus une action non négligeable sur leur moral.

Il faut toutefois souligner un certain nombre de difficultés présentes ou à venir dont la première est l'extraordinaire résilience des Garimpeiros qui disposent par ailleurs d'une organisation très sophistiquée.

L'ensemble des interlocuteurs de la mission a souligné les qualités de résilience de l'adversaire, les Garimpeiros brésiliens. Ces hommes, qui travaillent dans des conditions très difficiles, au coeur de la forêt amazonienne, sont particulièrement « rustiques », fatalistes et adaptés au milieu. Leurs qualités de travailleurs ont été particulièrement soulignées. Ils sont exploités et font, pour certains, l'objet d'un travail forcé. Les piroguiers du Maroni, bushinengue surinamais, qui assurent les flux logistiques illégaux, ont une parfaite connaissance du fleuve. Ces hommes sont pour la plupart armés et violents. Ils bénéficient d'évidentes complicités locales dans les pays limitrophes. Le trafic et la consommation de drogue contribuent également à l'augmentation de la violence générale.

L'extrême difficulté de l'acheminement de matériels et de fournitures au coeur de la forêt suppose une organisation sophistiquée à la fois des bases arrières fournissant les approvisionnements et du circuit d'acheminement.

Le moyen de transport le plus évident est bien entendu la pirogue. Compte tenu de l'établissement de barrages fluviaux, des itinéraires de contournement ont été organisés avec un transport des marchandises par quads ou par porteurs. Une fois le contournement effectué, les marchandises sont à nouveau chargées sur des pirogues.

Par ailleurs, les Garimpeiros ont mis en place un réseau de veille et d'alerte très sophistiqué. Des guetteurs sont postés sur tous les axes de communication et avertissent les travailleurs illégaux du départ et de la progression des patrouilles par radio BLU, bénéficiant des dernières technologies. De même, dans les villes, et en particulier à Cayenne, des guetteurs comptent les véhicules de gendarmerie et peuvent en déduire le nombre de ceux qui sont partis en opération.

Afin de compenser les destructions, les Garimpeiros acheminent des matériels de remplacement qui sont cachés dans la forêt et qui pourront être très rapidement mis en oeuvre pour recommencer une exploitation après une opération des forces françaises.

Compte tenu du réseau de veille et d'alerte précédemment signalé, l'effet de surprise n'est pas toujours possible. En prévision de ces interventions, les Garimpeiros peuvent cacher du matériel et s'enfuir momentanément et très rapidement (en quad) dans la forêt avec le stock d'or extrait. Ceci même en cas d'opérations aéroportées par hélicoptères. Notre mission a pu constater en survolant un site d'orpaillage clandestin la remarquable vitesse d'évacuation des Garimpeiros.

Enfin, on remarque un camouflage systématique des installations et le développement de chantiers primaires plus discrets que l'exploitation de l'or secondaire dans les alluvions, les terrasses fluviales ou les éluvions, facilement repérables par la turbidité des cours d'eau qui en résulte.

Deuxième objectif de notre mission : évaluer le dispositif de sécurité déployé autour du centre spatial guyanais de Kourou. Je n'ai pas besoin de souligner le caractère évidemment stratégique pour la France et pour l'Europe de ce centre idéalement placé pour les lancements spatiaux.

La mission a notamment pu voir la préparation de la fusée Ariane V dont le tir était programmé pour le 28 décembre 2010. Il a également visité le chantier du pas de tir Soyouz et les installations d'assemblage du lanceur.

Mais la mission s'est principalement intéressée à la sécurisation du site classé installation prioritaire de défense, le plus haut niveau de classification établie par l'Etat. Cette classification fait intervenir, pour assurer sa sécurité externe et interne, les forces armées (militaires et gendarmes), des sociétés de surveillance et de gardiennage privées et la brigade des sapeurs-pompiers de Paris pour la sécurité incendie.

La problématique de sécurisation du site du CSG est complexe. Il s'agit en effet de sécuriser une zone d'environ 700 km² composée de forêt, de savane, de marais et d'une côte basse bordée de mangroves dans lesquelles des bateaux à faible tirant d'eau peuvent se dissimuler. Sur ces 700 km² sont disposés un ensemble d'installations stratégiques et, en particulier, les ensembles de lancements des fusées Ariane, Vega et le Soyouz. De même, la zone maritime d'exclusion s'étend dans les deux axes de tir de la fusée en deux cercles concentriques qui couvrent respectivement 10 et 30 nautiques. La première est patrouillée par une VCSM et la seconde par un P400. Une zone plus large de 80 X 160 nautiques fait l'objet d'une patrouille par aéronef.

Le dispositif TITAN de protection externe du CSG poursuit trois objectifs.

Il s'agit en premier lieu de s'assurer de l'absence de toute présence humaine dans la zone interdite, ce qui peut supposer l'intervention d'un OPJ pour appréhender et désarmer un suspect ou un intrus comme a pu le constater la mission. La seconde mission consiste à interdire toute intrusion aérienne. La mission a participé à un exercice d'interception d'un aéronef par un hélicoptère Fennec. Enfin, il convient d'assurer la surveillance des approches maritimes de l'aire spéciale de surveillance.

Il s'agit d'un dispositif interministériel qui fait intervenir les trois armes avec des moyens conséquents. Ces moyens sont délivrés en particulier par les 650 hommes du 3ème REI qui assurent la protection du CSG depuis 1973 par une présence permanente. Il a pour mission principale la protection de la base spatiale. Pour les unités, il s'agit concrètement de mettre en place le dispositif de contrôle de zone sur le site du Centre Spatial Guyanais lors des phases de transfert et de tir de fusée.

En dehors des périodes de lancement, le rôle du régiment est de dissuader par des manoeuvres aléatoires qui servent également d'entraînement et de formation des équipes. Le 3ème REI a été ponctuellement mis à contribution dans le cas des quelques échecs pour rechercher et localiser les débris.

Nous avons également pu visiter le CCM, le centre de contrôle militaire, qui est localisé à l'intérieur du site à proximité de la zone propulseur. Le CCM assure en permanence (depuis 1989) la surveillance du ciel de manière à garantir la sécurité aérienne du centre spatial guyanais.

Le CCM assure trois missions :


· La protection du centre spatial guyanais qui implique la gestion de la zone interdite ainsi que le contrôle tactique en période de lancement Ariane à l'aide de moyens de défense sol/air et de moyens aériens d'intervention.


· La surveillance permanente 24h/24h de l'espace aérien guyanais pour l'établissement de la situation aérienne générale au profit des autorités gouvernementales.


· Le contrôle de la circulation militaire.

40 personnes sont affectées au site dont 25 permanents pour la surveillance aérienne. Le rôle de ces militaires est d'abord d'identifier et d'entrer en contact avec le pilote de l'aéronef intrus pour comprendre les raisons de sa présence sur un site protégé et interdit de survol. Si la situation l'exige, l'ordre de changer de cap ou de se poser lui sera communiqué. La protection militaire du CSG doit permettre de faire face à tous types de menaces et d'être en mesure d'intercepter et de dérouter un appareil intrus, voire de le neutraliser si nécessaire.

La gendarmerie est naturellement au coeur du dispositif. Elle dispose d'un escadron de 90 hommes à Kourou.

En dehors des périodes de lancement, la gendarmerie a trois missions principales : la recherche du renseignement relatif à l'ordre public, aux menaces criminelles et aux menaces terroristes, la surveillance rapprochée du centre spatial et enfin, l'intervention au profit du service de Sureté/Protection en cas de problème.

Les forces armées n'assurent que la sécurité externe du centre spatial guyanais, la sécurité interne étant sous la responsabilité du CNES.

Avant de passer la parole à Mme Dupont et à M. Antoinette, je voulais informer la commission que nous publierons un rapport d'information sur cette mission qui, au-delà du descriptif des opérations, présentera les observations que ce déplacement a suscitées.

Mme Bernadette Dupont - Je voudrais, comme le président, souligner le très grand professionnalisme de nos forces armées en Guyane. Elles effectuent du reste une mission passionnante qui motive visiblement tous les personnels que nous avons rencontrés et qui devrait être une incitation pour la jeunesse à s'engager.

M. Jean-Etienne Antoinette - La problématique qui est sous-jacente à l'opération Harpie est, comme l'a souligné le président, de concilier la protection de l'environnement et le développement de l'activité économique. Les cotations aurifères sont une activité extrêmement attractive, surtout avec un cours du kilo d'or à 33 000 €, pour la population très pauvre du nord est du Brésil. L'éradication de l'activité illégale doit suivre deux voies. La première est celle de la coopération internationale avec les pays limitrophes pour des opérations de codéveloppement qui permettraient de fixer l'emploi au Brésil et au Surinam. L'autre voie à suivre est la renégociation du schéma directeur minier qui, dans sa version actuelle, met sous cloche une partie de la Guyane en interdisant toute exploitation, ce qui a pour effet d'attirer l'orpaillage clandestin.

Les élus guyanais ont unanimement la même position tout en reconnaissant le caractère indispensable du SDOM pour maîtriser l'activité aurifère.

S'agissant de la coopération internationale, il me semble évident que la démarche entreprise au travers de la convention entre la France et le Brésil doit être complétée par une convention de même type avec le Surinam.

M. Jean Faure - Je voudrais appuyer les analyses pertinentes de ce compte rendu de mission par l'expérience que j'ai faite d'un séjour en immersion auprès de la gendarmerie en Guyane en 2010. D'après les informations qui m'avaient été données, il existerait plusieurs centaines de sites illégaux sur l'ensemble du territoire alors qu'on n'en détruit qu'environ 30 chaque année. Par ailleurs, les Garimpeiros réinvestissent très rapidement ces sites et les remettent en production. Cela permet de souligner qu'une action plus pérenne et plus longue sur le terrain est nécessaire à l'efficacité de la lutte contre l'empaillage clandestin.

Il faut également indiquer que les conditions très rudes de la répression des activités illégales au Brésil ne peuvent qu'inciter les orpailleurs à venir travailler sur le territoire français où les forces de sécurité appliquent strictement les procédures de notre Etat de droit. De ce point de vue, les reconduites à la frontière ont un coût très lourd, d'autant plus lourd que les ESI expulsés se réintroduisent très vite en Guyane. Tout cela conduit les gendarmes à une vision assez pessimiste.

M. Josselin de Rohan, président - Je ne partage pas complètement ce pessimisme. Nous avons pu constater les résultats probants de l'action que nous menons dans le cadre de l'opération Harpie. L'effet dissuasif de nos interventions n'aboutit certes pas à une éradication de l'activité clandestine mais à sa stabilisation et à l'arrêt de sa progression.

S'agissant des accords avec le Brésil, il faudra, une fois que le Parlement français aura ratifié, obtenir la réciproque et une coopération plus active du Brésil, notamment de l'Etat de l'Amapa. Des propositions complémentaires de coopération en matière de développement économique permettant la création d'emplois locaux me paraissent également indispensables.

M. Jean-Etienne Antoinette - Nous avons trop souvent l'impression que la Guyane est une variable d'ajustement de la situation économique et sociale dans le nord est du Brésil. En particulier, les objectifs de protection de l'environnement ont conduit le Brésil à la fermeture de mines qui s'est traduite par le déplacement des travailleurs vers la Guyane. L'une des réponses incontournables contre l'orpaillage illégal se trouve dans les politiques de codéveloppement avec le Brésil et avec le Surinam.

M. Marcel-Pierre Cléach - Qu'en est-il des projets d'exploitation aurifère d'une multinationale canadienne dans la région de la montagne de Kaw ?

M. Jean-Etienne Antoinette - Le Président de la République avait annoncé en février 2008 que cette demande d'exploitation était rejetée en raison de son impact négatif sur l'environnement. C'est également à cette date qu'avait été décidée l'élaboration du SDOM dont je vous rappelle qu'il a reçu des avis négatifs du conseil régional et des élus assortis d'une demande de révision du zonage proposé.

M. Josselin de Rohan, président - L'une des observations les plus évidentes qui résultent de notre mission est que le projet de SDOM, en adoptant une position trop rigoriste, risque de favoriser les activités illégales de manière indirecte. Une renégociation paraît donc nécessaire.

M. André Vantomme - Les activités forestières classiques ne permettraient-elles pas le développement économique tout en respectant l'environnement ?

M. Jean-Etienne Antoinette - Outre la question des infrastructures pour évacuer les grumes, je vous rappelle que le projet de schéma directeur interdit toute activité économique dans de très vastes zones sauf pour les populations amérindiennes. Il me paraît évident qu'il faut faire bouger les lignes afin d'enclencher le cercle vertueux du développement endogène de la Guyane.

M. Jean Faure - Notre politique environnementale en Guyane fait l'objet d'une très grande attention de la communauté internationale dans la mesure où seule la France est exemplaire en matière de protection de la forêt primaire. Je voulais également souligner la très remarquable coopération des services de l'Etat en Guyane et la qualité humaine de ses représentants.

M. Josselin de Rohan, président - Nous avons effectivement pu constater, comme je l'ai indiqué, la parfaite coopération entre la gendarmerie et les forces armées en Guyane. Sur un autre plan, nous soulignerons dans notre rapport la dangerosité des actions menées par nos forces dont tout le monde ne semble pas avoir conscience en métropole et qui devrait faire l'objet, selon nous, d'une reconnaissance.

M. Simon Loueckhote - Je souhaite m'écarter un peu de la question de la Guyane tout en restant dans le débat sur les départements et territoires d'outre-mer. Je regrette de n'avoir pu intervenir hier dans le débat de politique étrangère aux côtés de mes collègues qui ont évoqué la question de la Guyane et celle de Mayotte. Il est extrêmement important que la France défende son patrimoine territorial et il me semble que les responsables de nos affaires étrangères ne s'impliquent pas suffisamment à cette préservation. J'en veux pour preuve la contestation faite par le Vanuatu des îles Hunter et Matthew. Cette affaire a été soumise à l'ONU. Nos élus ont le plus grand mal à obtenir des informations, ce qui nous fait craindre le pire. Le bâtiment de recherche océanographique Atalante ne pourrait-il être utilisé pour répertorier les ressources au large de ces îles ?

M. Josselin de Rohan, président - Je rappelle l'intérêt du Sénat pour tout ce qui concerne l'outre-mer et, en particulier récemment, le travail de la mission commune sur les départements d'outre-mer. S'agissant de la contestation des îles Hunter et Matthew, je vous encourage à faire usage de vos droits parlementaires et à poser à Mme le ministre de l'outre-mer, ou à Mme le ministre d'Etat des affaires étrangères, une question orale sur ce point.

La commission a approuvé la publication du rapport d'information.