Mardi 6 mars 2012

- Présidence commune de MM. Philippe Marini, président de la commission des finances, Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes, et Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire -

Audition de M. Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services

La commission procède tout d'abord, conjointement avec la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, et la commission des affaires européennes, à l'audition de M. Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Tout d'abord, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation des trois commissions du Sénat - finances, affaires économiques, affaires européennes. Vous êtes chargé, au sein de la Commission européenne, d'un secteur particulièrement important, puisque le Marché intérieur est à la base de la construction européenne.

Vous avez été à l'initiative de textes de grande portée, sur lesquels le Sénat a travaillé ses derniers mois, je pense notamment aux différents textes concernant la régulation bancaire et financière, les agences de notation, ou encore les brevets. Je voudrais, pour ma part, évoquer deux sujets récemment examinés par la commission des affaires européennes.

Le premier concerne les marchés publics et les concessions de service public. Nous avons des inquiétudes car vous aviez promis un cadre juridique assez souple pour s'adapter aux réalités, ce qui nous aurait permis, en France, de conserver la « loi Sapin » qui fait consensus. Or les propositions de la Commission européenne vont au-delà et nous obligeraient à revoir cette loi. Est-ce que nous pouvons espérer que les négociations permettront d'arriver à plus de souplesse ? Vous savez que c'est une préoccupation importante pour les collectivités territoriales que nous représentons.

Deuxième sujet, le texte sur les qualifications professionnelles. Nous n'en avons pas terminé l'examen au fond, mais je voudrais vous signaler deux préoccupations. D'une part, les professions de santé s'inquiètent de certains aspects du nouveau dispositif qui leur paraît trop automatique, alors que les différentes professions de santé n'ont pas la même définition selon les pays. Ils souhaitent également le maintien d'un contrôle des compétences linguistiques des professionnels de santé avant qu'ils ne s'installent dans un autre pays.

D'autre part, et je souhaiterais attirer particulièrement votre attention sur ce point, le notariat estime qu'il doit rester en dehors de la nouvelle directive sur les qualifications professionnelles, comme c'était le cas avec la directive en vigueur, car les notaires participent de l'exercice de l'autorité publique. J'observe d'ailleurs que nos homologues du Bundesrat allemand partagent cette analyse.

Après ces quelques questions, je passe la parole au président de la commission des finances.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Permettez-moi de me réjouir à mon tour d'avoir l'occasion d'entendre Michel Barnier, avec qui nous avions déjà pu échanger, l'année dernière, lors du séminaire annuel de notre commission à Bruxelles. Vous nous aviez fait part de votre programme d'action et de votre volonté de réconcilier les banques avec le financement de l'économie réelle.

Vous le savez la commission des finances examine de très près les chantiers que vous portez sur les questions bancaires et financières.

Voilà quinze jours, nous avons adopté, à l'unanimité, une résolution européenne sur les deux textes relatifs respectivement aux infrastructures de marchés européennes (EMIR) et aux marchés d'instruments financiers (MIF). Juste après votre audition, nous examinerons une proposition de résolution européenne sur les propositions « CRD IV » (Capital Requirements Directive IV), et qui a trait aux exigences réglementaires en matière de fonds propres. Je crois d'ailleurs que la rapporteure générale a conduit hier, à Bruxelles, une série d'entretiens sur le sujet.

La semaine dernière, nous assistions également à une rencontre interparlementaire au Parlement européen sur la mise en oeuvre du Semestre européen. Il apparaît de plus en plus clairement qu'il revient aux parlements nationaux de s'impliquer directement dans la gouvernance de la zone euro. C'est une nouvelle responsabilité que nous devons assumer.

Si j'ai bien compté, ce sont plus de vingt propositions que la Commission européenne a, sous votre égide, déposé sur les questions de régulation bancaire et financière. Le chantier était nécessaire mais il est foisonnant et, souvent, complexe.

Bien que l'envie de vous interroger sur chacune de ces initiatives soit grande, je me limiterai, compte tenu du temps restreint dont vous disposez, à deux questions.

Tout d'abord, nous sommes inquiets de l'évolution réglementaire aux Etats-Unis. La loi Dodd-Frank est entrée en vigueur voilà bientôt deux ans mais les régulateurs continuent de travailler sur les textes d'application. L'Europe ne fait-elle pas cavalier seul au risque de se pénaliser dans la compétition internationale ? S'agissant des normes comptables et des règles de « Bâle III », les Etats-Unis ont des positions bien déterminées, l'Europe, avec ses procédures de décision longues et compliquées, peut-elle alors encore pesée dans le débat ? N'est-ce pas une illustration du décalage entre le temps de la prise de décision politique en Europe et le temps des marchés ?

Ensuite, nous avons assisté il y a quelques semaines à la fin du feuilleton de la fusion « NYSE Euronext - Deutsche Börse », à laquelle la Commission européenne s'est opposée. Par ailleurs, les textes MIF et EMIR devraient s'accompagner de l'émergence de nouveaux acteurs, les référentiels centraux, ou le renforcement d'autres, notamment les chambres de compensation.

J'aimerais connaître votre sentiment sur les conséquences de ces changements sur l'organisation du marché et du post-marché en Europe.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. - Parmi les domaines d'action clé identifiés par la commission européenne dans le cadre de l'Acte pour le marché unique figure le développement de l'entrepreneuriat social. Le 25 octobre 2011, la Commission a publié une communication intitulée « Initiative pour l'entrepreneuriat social ». Elle y présente un plan d'action en trois points :

- premier point : améliorer les conditions de financement en facilitant l'accès aux capitaux privés, en mobilisant les fonds européens et en améliorant la visibilité de l'entrepreneuriat social ;

- deuxième point : développer les outils pour mieux connaître le secteur et dresser une cartographie complète des entreprises sociales en Europe ;

- troisième point : améliorer l'environnement juridique en développant des statuts adaptés aux entreprises sociales, avec notamment la refonte du statut de la coopérative européenne, la création d'un statut de la fondation européenne ou encore le lancement d'une étude sur l'opportunité de légiférer sur le statut des entreprises mutualiste.

Ces questions sont très importantes et nous avons décidé de créer, le 28 février dernier, un groupe de travail « Économie sociale et solidaire » en y associant la commission des affaires sociales.

Je souhaiterais, Monsieur le commissaire, que vous nous disiez quelles sont, à ce jour, les avancées concrètes réalisées dans les domaines que je viens d'énumérer.

Le deuxième point sur lequel je souhaite vous interroger concerne la réforme des règles relatives aux marchés publics, qui s'inscrit elle-aussi parmi les douze actions prioritaires de l'Acte pour le marché unique. Cette réforme propose, en particulier, d'étendre l'accès des PME aux marchés publics. Parmi les mesures envisagées, figurent la réduction de la charge bureaucratique liée au soumissionnement, l'encouragement à l'allotissement et la limitation des exigences de capacité financière requises pour soumettre une offre.

Ne s'agit-il pas là de voies déjà explorées sans avoir donné tous les résultats escomptés ? Pourriez-vous nous indiquer ce que la réforme des marchés publics apporte de vraiment nouveau et prometteur dans ce domaine ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. - Je limiterai mon propos à la question de la régulation bancaire. A l'issue de votre audition, la commission des finances va se réunir pour examiner mon rapport sur une proposition de résolution présentée par la commission des affaires européennes et consacrée aux projets de règlement et de directive que l'on appelle « CRD IV » et qui sont - pour le dire vite - relatifs à la mise en oeuvre des dispositions de « Bâle III ».

L'un des principes retenus par votre proposition, et que j'approuve, est celui de l'harmonisation maximale - les mêmes règles dans tous les pays -, afin d'éviter les contournements et les zones d'ombre. Cela permettra en particulier au nouveau dispositif européen de supervision de jouer pleinement son rôle. Mais, comme souvent, il faudra surmonter le refus britannique.

Le texte « CRD IV » ne met pas fin à la recherche de solutions pour réduire le risque systémique dans le secteur bancaire. Le Royaume-Uni a édicté la règle Vickers de séparation des activités de banque de détail et d'investissement, selon des modalités juridiques qui restent à préciser. Aux Etats-Unis, la règle Volcker interdit aux banques de spéculer pour compte propre, mais sa mise en oeuvre rencontre des difficultés.

Au niveau de l'Union, vous avez pris une très bonne initiative en créant un groupe de travail dit « Liikanen », chargé d'étudier les différentes réformes du système bancaire pouvant être mises en oeuvre en Europe. Nous y serons évidemment très attentifs car, en France - contrairement aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni -, nous ne nous sommes jamais livrés à un examen critique de notre modèle de la banque universelle. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que vous attendez de ce groupe, sur les conditions dans lesquelles il va travailler et, surtout, quand il rendra son rapport ?

M. Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services. - Messieurs les Présidents, Madame la Rapporteure générale, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Merci pour cette nouvelle invitation collective de la part de vos trois commissions que je connais bien. A titre préliminaire, je tenais à vous dire que mes expériences passées de sénateur et d'élu local me servent tous les jours dans mes fonctions actuelles.

Il y a un peu plus d'un an, le 25 janvier 2011, j'étais venu faire le bilan de ma première année en tant que Commissaire européen.

J'ai voulu revenir aujourd'hui devant vous, avec une ambition très simple : faire le point sur l'action européenne qui me semble parfois méconnue ou passée sous silence.

Je ne suis pas venu vous dire que tout va bien en Europe mais comment l'Europe a fait face depuis deux ans à des crises sans précédent, comment elle a réalisé des avancées majeures et comment elle s'attache à répondre aux vraies questions posées par la crise.

Cela dit, cette succession de crises a conduit l'Europe à proposer des solutions inédites, en matière de gouvernance, de régulation financière et de croissance. Pour la première fois depuis un an et demi, le dernier Conseil européen n'a pas été un conseil de crise. Nous sommes sur la bonne voie.

Ces avancées, trop de candidats, à gauche comme à droite, ont tendance à les nier, ou à se les approprier tout en reprochant à la Commission de ne rien faire.

Je veux ici rétablir la vérité en répondant à trois grandes questions récurrentes :

-  est-ce que la Commission en fait assez en matière de régulation financière ?

- Est-ce que la régulation financière européenne ne risque pas de pénaliser la croissance ?

- Est-ce que l'Europe est capable de proposer autre chose qu'un projet d'austérité ?

Première question : la Commission européenne en fait-elle assez ? A la lecture de certains programmes, on pourrait en douter, tant ils présentent comme nouvelles des idées qui ont déjà été proposées ou discutées au niveau européen.

Ainsi, il a été proposé de séparer les activités des banques jugées utiles à l'économie de leurs activités spéculatives. Or, voila deux ans que nous mettons en place des règles qui ont précisément pour objet de ramener les banques à leur métier de base - prêter à l'économie.

Quelques faits.

J'ai proposé d'interdire aux banques, dans la révision de la directive sur les marchés d'instruments financiers, dite « MIF », proposée en octobre 2011, de mener des activités spéculatives sur les plateformes de négociation financières qu'elles détiennent elles-mêmes !

Depuis le 1er janvier 2012, grâce à la directive « CRD III », les activités à risque sur les marchés sont strictement encadrées par des garanties exigées des banques. C'était un engagement du G 20, l'Europe l'a mise en oeuvre.

Parallèlement, nous encourageons les prêts à l'économie et notamment aux PME grâce un régime favorable proposé dans la directive « CRD IV » en cours de discussion. J'ai demandé, avec mon collègue Antonio Tajani, à l'Autorité bancaire européenne si on pouvait aller plus loin et j'attends un rapport à ce sujet pour le mois de juin prochain.

S'agissant de la séparation, je crois qu'il faut éviter l'improvisation et la rhétorique. Le modèle des banques dites « universelles » n'a pas provoqué la crise.

Certains considèrent que ce modèle est plus résistant avec ses deux piliers (banque de détail et banque d'investissement) qui permettent une meilleure diversification du risque. Cela dit, c'est une vraie question. Les Britanniques se sont engagés sur la voie d'une séparation entre banque d'investissement et banque de détail. Les Etats-Unis, quand à eux, ont ciblé les activités spéculatives avec la règle dite « Volcker ». J'ai donc demandé à Erkki Liikanen, président de la banque centrale de Finlande, de conduire un travail approfondi avec un groupe d'experts indépendants pour faire des propositions sur le sujet. Ce groupe de neuf experts, dont le français Louis Gallois, produira un rapport pour la Commission à la fin de l'été. Le but n'est pas de plaquer un modèle sur l'Europe, mais de bien identifier les risques et de définir les moyens les mieux adaptés pour les prévenir.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Excusez-moi de vous interrompre, mais la segmentation des activités bancaires ne conduit-elle pas mécaniquement à augmenter les besoins en fonds propres et, par voie de conséquence, à durcir les conditions de financement de l'économie ?

M. Michel Barnier. - C'est une des questions importantes auxquelles le groupe « Liikanen » devra apporter des réponses objectives. Je ne me prononcerai pas à sa place. Il débute à peine ses travaux.

Un autre point régulièrement évoqué dans le débat présidentiel est la lutte contre les produits toxiques qui enrichissent les spéculateurs et menacent l'économie. Mais l'Europe, et donc la France, a agi !

Désormais, les autorités de contrôle, dont l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), ont le devoir d'interdire tout produit financier toxique. C'est la réforme de la supervision adoptée depuis plus d'un an.

A titre d'exemple, nous avons interdit, sauf dans des cas exceptionnels et très encadrés, la vente à nu des CDS souverains dans notre texte sur les ventes à découvert, adopté fin 2011.

Par ailleurs, nous venons d'aboutir à un accord politique entre le Parlement européen et le Conseil sur l'encadrement des produits dérivés de gré à gré. Ce marché, qui représente des transactions de plus de 600 000 milliards de dollars par an, opère dans la plus grande opacité.

En ce qui concerne les marchés de matières premières, en particulier agricoles, nous avons proposé dans la révision de la directive MIF que toutes les plateformes de négociation soient tenues de mettre en place des limites de position.

Certains nous reprochent de ne pas aller assez loin dans l'encadrement des marchés financiers. J'ai lu attentivement la récente résolution européenne du Sénat sur notre proposition de révision de la directive MIF. J'entends également les observations de  Jean-Pierre Jouyet, président de l'autorité française des marchés financiers. Mais d'autres critiques, venant notamment de certains de ses collaborateurs, me semblent excessives.

Notre proposition constitue un progrès majeur en termes de règles, de transparence et de responsabilité des acteurs.

A ma connaissance, l'Europe est la seule région du monde à aller aussi loin dans les propositions : sur les nouvelles plates-formes de négociation alternatives et pour lutter contre les effets négatifs des innovations technologiques telles que le « trading » à haute fréquence. On peut toujours aller plus loin, mais je propose un texte qui puisse être adopté.

Incidemment, je répondrai à Philippe Marini sur la fusion NYSE Euronext - Deutsche Börse en indiquant que la Commission européenne s'est attachée à appliquer rigoureusement les règles de la concurrence. Bien entendu, cela ne signe pas la fin des regroupements et des alliances dans ce secteur. Qui peut prédire l'avenir, en particulier dans un secteur financier en perpétuel changement ? A cet égard, les nouvelles règles européennes vont-elles-mêmes recomposer le paysage financier européen. C'est dans ce cadre prospectif que la Commission européenne doit sans cesse réévaluer les conditions du respect des règles de la concurrence.

Beaucoup de candidats plaident dans cette campagne pour l'encadrement des bonus.

Là aussi, nous avons agi. La directive européenne « CRD III » est en vigueur dans tous les pays de l'Union depuis janvier 2011. Elle exige que le versement des bonus soit étalé dans le temps et lié à une performance à long terme.

Nous vérifions en ce moment la bonne application de ces règles. Je suis prêt à aller plus loin si nécessaire. Par exemple en imposant un ratio chiffré entre la partie fixe et la partie variable de la rémunération, ou entre les rémunérations les plus élevées et les rémunérations les plus basses dans une même banque.

Enfin, beaucoup souhaitent la création d'une taxe internationale sur toutes les transactions financières. Là aussi, je suis très heureux que la Commission européenne inspire à ce point les programmes des candidats ! Notre proposition en la matière date du 28 septembre 2011 : la taxe porterait sur une assiette très large (sur toutes les transactions sur tous les produits financiers, avec des taux de prélèvement très faibles) et elle permettrait selon nos estimations de générer un revenu de 57 milliards d'euros par an.

Deuxième grande question : la régulation financière européenne ne risque-t-elle pas de pénaliser la croissance ?

On tombe ici dans la critique inverse de la précédente.

Il y a un vrai paradoxe dans ce débat : au moment où certains me disent qu'il faut aller plus loin et plus vite, d'autres me disent qu'il faut faire attention à ne pas tuer la croissance par un excès de règles.

Sur ce point, je ferai trois observations.

Tout d'abord, n'ayons pas la mémoire courte : ce qui a pénalisé la croissance, c'est justement le manque de régulation. C'est cela qui a conduit certaines institutions financières sur la voie des excès que l'on connait.

Ensuite, nous calibrons toutes nos propositions afin qu'elles tiennent compte des risques qu'une régulation trop rigide ferait peser sur le financement de l'économie.

Par exemple, notre proposition visant à augmenter les exigences de fonds propres des banques, qui est fidèle à l'accord de Bâle III, a été minutieusement calibrée pour éviter que les banques ne réduisent par contrecoup leurs prêts à l'économie.

Enfin, l'un des traits saillants de notre action consiste justement à diriger l'épargne vers des secteurs porteurs d'une croissance équilibrée plutôt que vers des placements risqués.

J'en prends quelques exemples :

- la proposition d'un passeport européen pour les fonds de capital-risque permettra d'attirer l'épargne vers l'innovation et les PME, qui jouent un rôle fondamental dans le financement des jeunes pousses innovantes ;

- nous venons également de proposer des mesures pour que les fonds d'entrepreneuriat social soient mieux identifiés et puissent lever des capitaux dans toute l'Europe. Il s'agit là d'orienter l'épargne vers des secteurs nouveaux, ou qui ne figuraient pas sur nos écrans radars parce que leur contribution économique est fortement sous-estimée, comme l'économie sociale et solidaire.

Ces exemples montrent les bénéfices que peut apporter une finance intelligemment régulée à l'économie réelle. La finance en tant que telle n'est pas l'ennemi. C'est la finance dérégulée qui pose problème, et à laquelle nous nous attaquons avec détermination au niveau européen.

Troisième question clef : l'Europe est-elle capable de proposer autre chose qu'un projet d'austérité ?

Là aussi, je voudrais rétablir quelques vérités.

J'entends parfois dire que la Commission promeut l'austérité au détriment de la croissance. La crise a mis en évidence l'irresponsabilité de nos comportements budgétaires. Je n'ai pas besoin de rappeler que le dernier budget en équilibre de la France remonte à 1975. Cette situation, nous en sommes tous responsables, à gauche comme à droite.

Il est donc nécessaire de consolider nos finances publiques, et nous ne pouvons pas nous permettre un nouveau plan massif de relance budgétaire. Des pays comme le Canada et la Suède ont accompli cet effort d'assainissement il y a longtemps et ils résistent bien mieux à la crise.

Pour autant, une initiative européenne forte pour la croissance est urgente et indispensable. Qu'avons-nous fait ?

Nous avons adopté en avril 2011, avec une dizaine de mes collègues, l'Acte pour le marché unique qui contient douze leviers et autant d'actions clés pour faire revenir la croissance. Parmi ces douze actions clés, dix ont déjà été proposées par la Commission européenne. L'objectif est de créer un écosystème favorable à la croissance en Europe, notamment en décloisonnant nos économies entre elles.

Je pense en particulier au brevet unique européen, à la modernisation de la reconnaissance des qualifications professionnelles entre pays européens, aux « project bonds » ou encore à la construction d'un véritable marché unique numérique.

S'agissant des marchés publics et des concessions, j'entends les craintes. Notre proposition sur les marchés publics a été plutôt bien accueillie car elle simplifie et sécurise la commande publique. Sur les concessions, la loi « Sapin » de 1992, complétée par la loi de 1995 qui porte mon nom, a permis d'assainir ce secteur. La législation française est le modèle à suivre. Mais il faut aussi être conscient qu'il n'existe aucune législation européenne sur les concessions et que par conséquent, dans certains Etats membres, des concessions sont conclues en dehors de tout cadre juridique. Il y a donc un intérêt pour l'Europe à se doter d'une législation. Bien sûr, notre proposition peut être améliorée et je veillerai à ce que la législation française serve de référence.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous le voyez, l'Union européenne (UE) prend des initiatives ambitieuses pour répondre à la succession de crises que nous traversons toujours. Nos efforts en faveur d'une régulation financière intelligente, d'une meilleure gouvernance et d'une croissance plus forte et plus soutenable sont en bonne voie.

M. Martial Bourquin. - Vous avez abordé la problématique de l'austérité budgétaire, or il s'agit d'une question capitale en ce moment. L'austérité empêche les gouvernements nationaux de retrouver des situations financières équilibrées. En effet, la crise et les déficits sont aussi les résultats d'une croissance extrêmement molle ainsi que des politiques de déflation. Vous nous avez parlé de relance, mais on ne voit pas grand chose arriver.

J'ai une question en matière d'harmonisation fiscale, notamment pour l'impôt sur les sociétés (IS). Nous avons autant de législations que d'Etats membres : où en est la réflexion européenne à ce sujet afin de coordonner enfin les politiques fiscales ? Avons-nous avancé s'agissant de l'utilisation des quotas carbone, ce qui allègerait la fiscalité qui pèse sur le travail ? Je m'interroge aussi sur la volatilité des prix des matières premières dont on parle peu : quelles sont vos réflexions sur ce problème ? Enfin, alors que nous comptons près de 5 millions de chômeurs en France, qu'attend l'Europe pour aboutir à une relance concertée et faire de la lutte contre le chômage une véritable priorité ?

M. Marcel Deneux. - Ma première remarque porte sur la régulation des marchés des matières premières agricoles. C'est un sujet d'importance. J'ai été, l'année dernière, rapporteur de la proposition de résolution européenne (PPRE) déposée par Jean Bizet et Jean-Paul Emorine sur la volatilité des prix agricoles, dans le cadre de la présidence française du G 20. Je me ferai un plaisir de vous adresser notre rapport afin que nos propositions vous aident dans votre réflexion.

Ma seconde remarque concerne les banques : plus de 70 % de ce secteur relèvent, pour notre pays, de structures coopérative ou mutualiste. Une telle situation est inédite en Europe et explique pourquoi les difficultés rencontrées par la France sont de moindre ampleur que celles subies par d'autres pays. A cet égard, je souligne que le Crédit agricole a certes enregistré une perte nette de 1,47 milliard d'euros au cours de l'année 2011 d'après les résultats publiés la semaine dernière, mais quand on regarde dans le détail des comptes on voit que les caisses régionales, qui pèsent un peu moins de la moitié de l'activité du groupe, dégagent des bénéfices. On voit ici l'intérêt d'isoler toutes les composantes d'une situation financière pour dégager la vérité.

M. Jean Bizet. - J'ai écrit avec Simon Sutour, il y a un an, un rapport sur la politique européenne de sûreté nucléaire qui proposait une gestion du risque de crise à l'échelle de l'UE. Nous avions en effet vu l'enjeu que représentait un traitement de cette question au niveau européen, l'exemple japonais ayant montré le danger que fait courir un traitement isolé du risque nucléaire. Vous aviez souhaité en 2006 la mise en place d'une force de sécurité civile en Europe. Peut-on avoir, aujourd'hui, votre concours pour créer un tel dispositif ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je souhaite revenir sur la nécessité de concilier la rigueur budgétaire avec la relance de la croissance. Je relève que la gravité du problème des dettes souveraines conduit les gouvernements nationaux à mettre en place des politiques d'austérité. On souhaite ensuite transposer ces dernières au niveau européen, notamment par un gel du budget communautaire, sachant que 84 % des ressources de ce budget sont issues des contributions des Etats membres et non de véritables ressources propres. Un tel raisonnement pose un problème d'appréciation : dans la mesure où il n'existe pas de dette souveraine européenne, on ne devrait pas appliquer la même analyse à l'Union européenne qu'aux finances publiques nationales.

Il faut, à l'inverse, accepter une augmentation du budget de l'Union, qui reste dérisoire avec environ 1 % de la richesse nationale brute (RNB). Une telle hausse ne doit pas conduire à solliciter davantage les Etats membres, mais à identifier de nouvelles ressources propres. Alors qu'elles représentent 15 % des recettes de l'UE, on pourrait convenir de l'objectif de les porter à 60 %. J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'augmentation du budget communautaire, de la hausse des ressources propres ainsi que d'une relance organisée au niveau européen puisque les priorités au niveau national sont la dette et la lutte contre les déficits.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. - Comme l'a exprimé notre collègue Martial Bourquin, nos perspectives sont marquées par ce que l'on appelle l'austérité. Peut-on se libérer de cette contrainte dans un monde meilleur, qui serait le monde européen, où l'on pourrait se financer par des impôts indolores et bénéficier d'une capacité d'emprunt qui ne poserait pas de problèmes de crédibilité sur quelque marché que ce soit ? Pouvez-vous, M. le commissaire, nous permettre de nous évader de notre impasse et de nos contradictions ?

M. Michel Barnier. - Je suis heureux que l'on puisse parler d'Europe et j'espère que ce sera le cas pendant cette campagne présidentielle. Il faut en effet, Philippe Marini, dire la vérité sur les mesures prises au niveau européen et dire la vérité aussi sur le monde tel qu'il est. Nous sommes dans un environnement plus instable et plus injuste auquel nous devons faire face. La Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie, ou, encore, les Etats-Unis s'affirment et n'ont pas besoin de nous pour compter. Notre choix est le suivant : soit on existe dans ce monde tel qu'il est, soit on est définitivement sous-traitant et sous l'influence des autres puissances. Par exemple, en matière de politique industrielle, nous ne serons plus que de simples consommateurs si nous ne faisons pas attention. Voilà pourquoi il faut être européen tout en étant patriote. L'UE doit aller au bout de sa logique de mutualisation, elle doit unir sans uniformiser.

Jean Arthuis va remettre sous peu son rapport au Premier ministre sur l'avenir de la zone Euro. Il a fait un travail important, qui représente une leçon politique. Le pacte budgétaire et fiscal exige en effet plus de démocratie parlementaire et une plus grande implication des parlementaires nationaux sur un plan européen. Je l'ai moi-même dit à mon collègue Olli Rehn et à d'autres commissaires : nous devons de plus en plus travailler ensemble, institutions européennes et parlementaires nationaux.

Pour répondre à Martial Bourquin, nous n'avons plus les moyens d'agir par l'endettement. Il faut donc conduire des actions structurelles. Ainsi, par une action efficace sur le marché unique, qui représente 500 millions de consommateurs et 22 millions d'entreprises mais reste trop fragmenté, il serait possible de produire 2 à 4 points de croissance supplémentaires. S'agissant de l'harmonisation en matière fiscale, la Commission européenne a mis des idées sur la table : je vous invite à prendre connaissance de notre proposition d'assiette commune pour l'impôt sur les sociétés, ainsi que de notre projet relatif à la fiscalité écologique. Nous devons mettre en oeuvre de nouveaux instruments, à l'image des projects bonds qui pourraient permettre de financer, entre autres, des travaux sur les infrastructures, tels que les réseaux transeuropéens (RTE).

Pour faire suite aux interrogations de Marcel Deneux, j'appuie son raisonnement sur la financiarisation des marchés des matières premières agricoles : elle a été multipliée par trente au cours des quinze dernières années. Nous avons fait des propositions pour réguler ces marchés, à travers des dispositions concrètes, dont nous avons parlé :

- la directive MIF ;

- la régulation des marchés des dérivés ;

- la supervision financière ;

- et, enfin, le projet de directive sur les abus de marché, qui vise notamment à criminaliser certaines pratiques.

Pour ce qui concerne votre observation sur la nature des banques et la situation du Crédit agricole, je relève que sur les 8 300 banques européennes qui vont se voir appliquer les nouvelles normes prudentielles, près de 4 000 sont coopératives ou mutualistes. Nous devons veiller à ne pas fragiliser cette diversité quand nous appliquerons la réglementation. Les Etats-Unis sont dans un rapport inverse avec 75 % d'établissements commerciaux contre 25 % de structures coopératives.

S'agissant du projet évoqué par Jean Bizet de force européenne de protection civile, il me semble que l'Europe aurait tout intérêt à mutualiser ses moyens et pouvoir ainsi répondre très rapidement à toute catastrophe de grande ampleur. Ma collègue, Kristalina Georgieva, commissaire européenne à la coopération internationale, à l'aide humanitaire et à la réaction aux crises, travaille actuellement à des propositions en ce sens. Nous allons progressivement vers un tel mécanisme intégré, mais des Etats - voire des régions - restent réticents à transférer leurs compétences en ce domaine.

A la question de Pierre Bernard-Reymond, je précise qu'il faut avoir en tête que le budget communautaire dépense 10 milliards d'euros par an en France au titre de la politique agricole commune (PAC), alors que le budget national est loin de dépenser autant de crédits d'intervention pour les agriculteurs. J'indique que le budget européen, qui atteint à peine 1 % du PIB des Etats membres et risque de ne pas augmenter sensiblement, n'est manifestement pas à la hauteur des enjeux. Je suggère de l'accroître, non pas en relevant les impôts mais, comme pour la PAC, en transférant au niveau européen des prélèvements déjà existants, ainsi qu'en créant une taxe sur les transactions financières. Cette dernière, à large assiette et faible taux, rapporterait potentiellement 57 milliards d'euros par an.

Par ailleurs, la qualification professionnelle est l'un des grands enjeux du marché unique européen. Je soutiens la mise en place d'une carte professionnelle européenne, qui garantirait les compétences de leurs titulaires, renforcerait la mobilité des travailleurs et apporterait davantage de transparence. Un arrêt récent de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) sur les conditions d'accès à la profession de notaire précise que la nationalité n'en relève pas, ce qui devrait favoriser la mobilité intra-européenne en ce domaine. S'agissant d'une activité ayant une dimension d'intérêt public, il convient toutefois d'être attentif, et de poursuivre la discussion avec les professionnels. Le texte que je propose devrait permettre, à cet égard, de prévenir des recours et jugements qui pourraient être beaucoup moins favorables à l'avenir.

Enfin, je vous rappelle que mes sujets d'actualité pour 2012 en matière de régulation, sur lesquels vous serez appelés en tant que parlementaires nationaux à émettre un avis, porteront sur les produits dérivés et la capitalisation des banques, à travers les accords de « Bâle III » ; ils conduiront à s'interroger sur le respect par les Etats-Unis, le Japon ou la Chine de la réglementation que nous entendons nous imposer. Seront également abordés, cette année, le shadow banking et la régulation des agences de notation.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. - Merci, Monsieur le commissaire, d'être venu répondre à nos questions. Nous allons à présent regagner la séance publique pour justement examiner une proposition de résolution européenne (PPRE) sur le projet de règlement relatif à la protection des données personnelles.

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Réglementation bancaire - Examen du rapport et du texte de la commission

La commission procède ensuite à l'examen, en application de l'article 73 quinquies, alinéa 3, du Règlement du Sénat, du rapport de Mme Nicole Bricq, rapporteure, et à l'élaboration du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne n° 423 (2011-2012), présentée par M. Richard Yung, au nom de la commission des affaires européennes, sur la réglementation bancaire (E 6480 et E 6787).

EXAMEN DU RAPPORT

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Nous concluons notre cycle sur la régulation bancaire et financière avec l'examen d'une proposition de résolution européenne de notre collègue Richard Yung sur la régulation bancaire.

Tout comme pour les marchés financiers il y a quelques jours, nous avons organisé une table-ronde sur le sujet le 15 février, je me suis rendue à Bruxelles hier et nous avons eu l'occasion d'entendre le commissaire Barnier il y a quelques minutes.

Au niveau européen, l'actualité en matière de régulation bancaire est dominée par la transposition du nouveau cadre de régulation dit de « Bâle III ».

Comme vous le savez, après les faillites ou les quasi-faillites de Lehman Brothers, de Northern Rock, Dexia et d'autres encore, il est apparu que la régulation bancaire était insuffisante pour maintenir la confiance en cas de choc. Plus encore, elle était inadaptée, notamment parce qu'elle se concentrait sur les questions de solvabilité alors que toutes ces banques ont d'abord fait face à des problèmes de liquidité. Les tests de résistance européens avaient d'ailleurs été critiqués parce qu'ils ne prenaient pas suffisamment en compte le risque de liquidité.

Les travaux de Bâle III ont été lancés sous l'égide des G 20 de Londres et de Pittsburgh en 2009 et ont abouti à des recommandations formelles en décembre 2010. Autant dire que le calendrier a été considérablement accéléré puisque pour négocier Bâle II, il avait fallu près de huit ans.

Le comité de Bâle n'a aucun pouvoir propre, ses recommandations sont négociées entre les gouverneurs des banques centrales et les responsables des autorités de supervision de vingt-sept pays. Je précise d'ailleurs que les « anglo-saxons » sont bien représentés au sein du comité alors qu'ils se dispensent d'appliquer de manière exhaustive ses recommandations. Chacun d'entre eux doit ensuite transposer ces recommandations dans son droit national pour qu'elles acquièrent une force juridique.

L'Union européenne effectue traditionnellement cette transposition de manière harmonisée à travers des directives : les CRD, Capital Requirements Directive. La dernière en date, la directive « CRD III », a été adoptée en novembre 2010 et constitue ce que l'on appelle « Bâle 2,5 ».

Le Parlement européen et le Conseil sont désormais en train d'examiner la proposition « CRD IV » qui transpose Bâle III. Je précise cependant que « CRD IV » est constituée de deux textes : une proposition de règlement - le texte principal - et une proposition de directive.

En effet, conformément aux conclusions du Conseil européen des 18 et 19 juin 2009, la Commission européenne a estimé que le recours à un règlement, qui est directement applicable, permettait de constituer une régulation uniforme dans toute l'Union européenne. La transposition en droit interne des précédentes directives a pu donner lieu à des controverses et des divergences entre les Etats membres.

La Commission espère que le texte « CRD IV » pourra être adopté avant la fin de l'année.

J'en viens plus précisément au contenu du texte lui-même.

La proposition de règlement comporte les principales exigences prudentielles, et notamment les différents ratios. Elle remodèle un ratio déjà existant et bien connu, le ratio de fonds propres, et elle crée deux nouvelles catégories : un ratio de levier et deux ratios de liquidité.

Le ratio de fonds propres, en premier lieu, doit assurer la solvabilité des établissements bancaires. La solvabilité, c'est la capacité à rembourser ses créanciers malgré les défauts de ses débiteurs.

Un établissement est d'autant plus solvable qu'il dispose de fonds propres - de capital - pour éponger ses pertes.

L'une des recommandations majeures de Bâle III consiste ainsi à exiger des ratios de fonds propres plus élevés et composés de capital de meilleure qualité.

Les fonds propres imposés par la réglementation dépendent des risques pris par la banque. Par exemple, un prêt immobilier classique est une opération globalement peu risquée. La banque devra par conséquent inscrire un minimum de fonds propres en face de cette opération. En revanche, dès lors que la banque prend plus de risques, elle devra disposer de plus de fonds propres.

Pour calculer les fonds propres obligatoires, il faut donc pondérer, en fonction des risques pris, chacun des actifs que possède la banque.

Bâle III joue, si je puis dire, sur plusieurs tableaux. Il est exigé des fonds propres de meilleure qualité et en plus grande quantité. Sans entrer dans les détails, les fonds propres les plus solides sont constitués par le capital émis (les actions) et les mises en réserve. La part de ces fonds propres durs passe de 2 % des actifs pondérés par les risques actuellement à 7 % et pourra être porté jusqu'à 9,5 %.

Si l'on ajoute les fonds propres de qualité moindre, on atteint 13 % contre 8 % auparavant.

Outre la solvabilité, Bâle III introduit un ratio de levier. Concrètement, l'effet de levier mesure la capacité d'acquérir des actifs par l'endettement avec un minimum de fonds propres. Le levier est un mode de fonctionnement normal des banques. En revanche, un levier excessif traduit une prise de risque qui peut être fatale en cas de retournement des marchés.

Le ratio de levier consiste donc à encadrer l'effet de levier : il consiste à dire qu'une banque ne peut pas avoir un bilan qui soit x fois le montant de ses fonds propres durs. Contrairement aux ratios de solvabilité, le ratio de levier ne mesure pas les risques des actifs : il les prend à leur valeur nominale. Son introduction ne fait pas l'unanimité, notamment au sein du milieu bancaire. Cependant, nos recherches et nos entretiens m'ont convaincue de la puissance de cet instrument simple, qui échappe aux mille et un calculs de risque des ratios de fonds propres, et aux possibilités de contournement ou d'erreur qu'ils recèlent. Il fournit un indicateur de la solidité des banques qui est à lui seul insuffisant, mais qui, en complément des ratios de fonds propres, donne une information claire, lisible et malgré tout juste de la taille du bilan bancaire.

Le réel enjeu tient surtout à son calibrage. Aujourd'hui, il est fixé à 3 %, c'est-à-dire que la valeur des actifs d'une banque ne pourrait pas dépasser plus de 33 fois le montant de ses fonds propres.

De manière prudente, « CRD IV » prévoit que le ratio de levier relève d'abord de la supervision nationale et sera dans ce cadre publié en 2015. Il entrera en vigueur de façon contraignante en 2018. D'ici là, nous aurons le temps de mesurer ses effets précis et de déterminer son calibrage le plus adéquat.

Enfin, Bâle III et « CRD IV » introduisent des ratios de liquidité. La liquidité, c'est la capacité à céder rapidement un actif sans perte substantielle. Elle désigne donc les ressources disponibles ou facilement mobilisables pour honorer ses dépenses.

Entre 2007 et 2008, le système bancaire est passé d'une période où la liquidité était abondante à un assèchement durable.

Pour répondre à ce nouveau contexte, Bâle III crée un ratio de liquidité de court terme qui doit permettre de faire face à un choc de liquidité majeur et soudain ; et un ratio de liquidité de long terme qui a pour but d'encadrer l'activité de transformation, c'est-à-dire le fait d'accorder des financements longs grâce à des ressources courtes.

Sur le fond, les ratios de liquidité constituent une avancée importante de Bâle III. Ils sont eux aussi soumis à des périodes d'observation, jusqu'en 2015 et 2018. Je crois cependant que des progrès peuvent encore être réalisés quant au calibrage et à la définition des actifs liquides. Nous y reviendrons dans le cadre de la discussion des amendements.

Au-delà des trois ratios que je viens de vous présenter, la proposition « CRD IV » contient d'autres innovations qui, elles, ne constituent pas une transposition de Bâle III. Je citerai tout d'abord les nouvelles règles en matière de gouvernance d'entreprise, notamment en ce qui concerne la diversification des conseils d'administration et la surveillance des risques pris par l'établissement. Dans ce cadre, la proposition cherche notamment à inciter les établissements à recourir davantage à leurs propres systèmes d'analyse des risques et moins aux notations émises par les agences de notation.

La proposition contient également des mesures d'harmonisation des supervisions nationales.

Avant d'en venir aux amendements, je voudrais préciser deux points qui sont, selon moi, les deux enjeux essentiels de ce texte.

Le premier enjeu est d'ordre économique : il s'agit des conséquences des différents ratios sur le financement de l'économie, notamment le financement de long terme.

Par quel biais le financement de l'économie est-il impacté ? Il l'est d'abord par le relèvement des ratios de fonds propres : moins par le niveau en lui-même que par le relèvement et la période transitoire au cours de laquelle les banques sont contraintes de se recapitaliser. Pour se recapitaliser, les banques peuvent supprimer certaines activités et réduire certains encours de crédit. Ces craintes sur les prêts bancaires ont été d'autant plus vives, en particulier à la fin de l'année 2011, que le superviseur européen, l'Autorité bancaire européenne, a accéléré le calendrier en obligeant les banques à détenir 9 % de fonds propres durs (en définition « CRD III ») d'ici juin 2012.

C'est pourquoi il convient que la supervision surveille très étroitement les méthodes de recapitalisation des banques : pour atteindre le niveau requis de fonds propres, les banques doivent, selon les recommandations de l'Autorité bancaire européenne, jouer notamment sur les mises en réserve de bénéfices, et non pas sur les actifs. Du reste, les banques peuvent à l'heure actuelle d'autant plus renoncer à certains bénéfices que ces derniers sont partiellement assis sur une forme de rente publique : la rente publique de la liquidité à bas coût assurée par les opérations de la BCE, qui leur permet, en empruntant à 1 %, de dégager une marge plus importante que celle qu'elles auraient réalisée en se refinançant dans des conditions normales. Je constate d'ailleurs que les banques françaises sont moins « bavardes » que leurs consoeurs italiennes ou espagnoles quant à l'utilisation de la facilité de la BCE. Nous savons que celles-ci ont acheté des obligations d'Etat de leurs pays. Il serait intéressant que nous en sachions un peu plus à propos des banques françaises.

Le financement à long terme est également impacté par les ratios de levier et de liquidité. C'est précisément au regard de ces difficultés que les uns et les autres sont soumis à des périodes d'observation, jusqu'en 2015, 2016 ou 2018, et que leurs niveaux et leurs critères respectifs doivent être bien calibrés.

Le second enjeu majeur de Bâle III est un enjeu politique : il s'agit de l'harmonisation maximale.

L'harmonisation maximale recouvre deux choses. La première, c'est le choix d'un règlement directement applicable dans les États membres. Cela n'est pas contesté.

Mais l'harmonisation maximale, c'est aussi le fait que les ratios fixés par ce règlement soient limitatifs et que le superviseur national ne puisse pas, de lui-même, les relever. C'est cela qui fait l'objet d'un refus, entre autres, de nos partenaires britanniques et suédois.

Or, harmonisation maximale ne veut pas dire harmonisation absolue : les autorités nationales peuvent jouer sur un coussin dit contracyclique, en fonction de la situation économique du pays. Ils peuvent également exiger des ratios supérieurs pour un établissement soumis à des risques particuliers, par exemple les établissements d'importance systémique. Ce qu'interdit l'harmonisation maximale, c'est simplement de relever les ratios de façon générale et sans justification, c'est-à-dire sans discussion par le dispositif européen de supervision, Autorité bancaire européenne et Comité européen du risque systémique.

Quel est l'enjeu pour nos partenaires britanniques ? En réalité, l'objectif semble être de remettre en cause, précisément, ce cadre européen de supervision : de le contourner, de ne pas être soumis à sa discussion et, éventuellement, à sa validation. Derrière le débat sur l'harmonisation maximale, il y a donc la volonté de permettre une renationalisation du cadre de supervision.

Cette renationalisation aurait des conséquences sur la distribution du crédit dans les Etats dont le système bancaire est surtout constitué de filiales de grandes banques étrangères puisque, pour respecter les exigences de leurs superviseurs nationaux, ces banques réduiraient la distribution de crédit non pas dans leur pays d'origine - le superviseur les en empêcherait - mais dans les pays d'implantation des filiales.

Pour les Britanniques, il est en outre important de renationaliser le cadre de supervision puisqu'ils ne souhaitent pas soumettre la mise en oeuvre de leur réforme Vickers de séparation des activités bancaires au processus européen de supervision.

La question de l'harmonisation maximale est donc liée à la réponse que l'on souhaite apporter au problème des établissements d'importance systémique. Je regrette à cet égard que la proposition européenne n'apporte pas d'autre réponse à ce problème que de permettre, en creux, l'imposition d'une surcharge systémique par les autorités nationales.

Chaque État doit rester libre d'apporter la réponse qu'il estime la meilleure à ce problème, dès lors que ce sont les contribuables qui les renfloueraient en cas de difficulté. Mais les décisions de chacun ont des conséquences sur les autres et c'est précisément pour les apprécier que les instances collégiales européennes ont été mises en place.

Pour répondre au problème systémique, la séparation des activités ne doit pas être taboue. Je ne plaide pas pour une application aveugle de la règle Volcker ou du rapport Vickers. Je souhaiterais surtout que nous cessions d'écarter le sujet d'un revers de la main, au nom du sacro-saint modèle de la « banque universelle » qui a, soi-disant, « si bien résisté à la crise ». C'est pourquoi je serai attentive non seulement aux conclusions des travaux du groupe d'experts qui a été mis en place par le commissaire Barnier en janvier 2012, mais aussi à la manière dont les Américains et les Britanniques appliquent concrètement les règles dont ils ont décidé le principe.

Un mot, enfin, de l'application internationale de Bâle III. L'Union européenne est une fois de plus en avance dans la transposition des règles de Bâle. Or, comme vous le savez, les Etats-Unis manient l'ambiguïté sur leur intention d'adopter Bâle III. Le PDG de JP Morgan déclarait encore récemment que ces règles étaient « anti-américaines ». En un mot, le chemin est encore long et le sera d'autant plus si les Européens sont les seuls à l'emprunter.

En tout état de cause, je regrette que l'harmonisation internationale ne soit pas d'abord passée par une harmonisation des normes comptables, comme l'avait recommandé le groupe de travail commun Sénat et Assemblée nationale.

J'ai bien conscience de n'avoir pas épuisé mon sujet mais je vous propose, comme la dernière fois, d'évoquer certains aspects de « CRD IV » au moment de l'examen des amendements.

M. Philippe Marini, président. - Dans le nouveau système, il y a trois types de ratios : solvabilité, liquidité et levier. Si j'ai bien compris, le total des actifs de la banque ne pourrait pas dépasser 33 fois ses fonds propres...

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Oui, il s'agit là du ratio de levier. Tout l'enjeu sur ce ratio est de trouver le bon calibrage. Finance Watch, que j'ai rencontré à Bruxelles, propose un ratio flexible qui pourrait être porté à 5 % dans les périodes d'expansion économique afin d'éviter un emballement du crédit. Il reviendrait à 3 % lors d'un retournement de conjoncture. Pour l'instant, le ratio de levier bénéficie d'une période d'observation jusqu'en 2016 et deviendrait contraignant à partir de 2018.

M. Roland du Luart. - Il m'apparaît sage de procéder graduellement.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - La méthode est prudente, mais n'est-ce pas trop long ?

M. Philippe Marini, président. - Le règlement européen est d'application directe mais de manière graduelle !

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Je précise à ce propos le calendrier de la discussion européenne. Le Parlement européen examine le texte en ce moment puisque la commission des affaires économiques et monétaires devrait se réunir fin avril. La Commission européenne espère donc aboutir à un texte définitif d'ici la fin de l'année.

M. Albéric de Montgolfier. - La pondération des risques est un élément essentiel du cadre prudentiel. J'aimerais savoir s'il s'agit de dispositions définitivement arrêtées par le règlement européen.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - La pondération des risques nécessite une attention approfondie. Le règlement est assez précis sur ce point. En revanche, nous pouvons regretter - et c'est un amendement que je vous proposerai - que certains risques, par exemple les prêts aux PME, soient surpondérés par rapport à la réalité des risques qu'ils contiennent.

Nous devons également faire attention à ce que le règlement tienne compte de nos spécificités. Par exemple, il convient de préciser le mode de comptabilisation des dépôts du Livret A de la Banque postale, qui centralise l'intégralité de son encours auprès de la Caisse des dépôts à la différence des autres banques françaises.

M. Albéric de Montgolfier. - Lorsque nous avons rencontré le président de la Fédération bancaire française (FBF), Frédéric Oudéa, il nous a indiqué que les banques françaises se retiraient du marché du financement des collectivités territoriales du fait des nouveaux ratios de liquidité. On nous explique que faute de disposer des dépôts des collectivités, elles ne peuvent plus prêter. Pourrait-on alors envisager de sortir le secteur public de Bâle III ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Les dépôts des collectivités territoriales représentent environ 30 milliards d'euros. Pour la trésorerie de l'Etat et donc pour son coût de financement, c'est un enjeu non négligeable. En tout état de cause, le retrait du secteur public n'est pas « sur la table ».

M. Philippe Marini, président. - Le texte de la proposition européenne justifie-t-il les craintes émises par la FBF ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Il est toujours délicat d'y voir clair. Les banques nous annoncent leur volonté de se retirer du marché. Bâle III n'est-il qu'un prétexte ? Il est difficile de le savoir. En tout état de cause, les crédits aux collectivités territoriales sont, au regard des ratios de solvabilité, des actifs considérés comme peu risqués.

M. Philippe Marini, président. - Peut-être les banques ont-elles une interprétation un peu sollicitée du texte européen...

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Je ne pense pas que les banquiers soient de bonne foi.

M. Philippe Marini, président. - Il ne faudrait pas que nous, élus locaux, soyons instrumentalisés.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Oui d'autant plus que les banques bénéficient de 1 000 milliards d'euros de liquidité de la Banque centrale européenne (BCE). J'aimerais bien savoir quelle part de ce montant revient aux banques françaises. Je souhaiterais surtout savoir l'emploi de ces fonds.

M. Aymeri de Montesquiou. - Vous avez souligné l'impact sur l'économie des nouvelles règles prudentielles. S'il n'y a pas d'application internationale de ces normes, nous allons assister à des distorsions de concurrence. Pouvons-nous alors considérer, au regard des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qu'il s'agirait d'un soutien assimilable à une aide d'Etat ? L'OMC s'est-elle prononcée sur le sujet ? Il me semble impératif de restreindre au maximum l'écart d'application de ces normes au niveau international.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Déjà, au sein même de l'Union européenne, nous retrouvons ce problème autour du débat sur l'harmonisation maximale. Il faut donner les moyens à l'Autorité bancaire européenne (ABE) d'exister. Jusqu'à présent les régulateurs européens étaient faibles.

M. Aymeri de Montesquiou. - Nous avons connu vingt ans de prospérité grâce au libéralisme et nous connaissons une catastrophe à cause de ce même libéralisme. Maintenant, nous cherchons un moyen terme mais il est important que nous ne soyons pas seuls.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - La crise, c'est un problème de confiance. Désormais, il y a un arbitrage à réaliser et il pèse sur les actionnaires. Les banques doivent revenir à un fonctionnement bancaire traditionnel, qui est moins rémunérateur que les activités risquées développées ces dernières années. Mais les actionnaires accepteront-ils que le capital soit moins rétribué qu'auparavant ?

Lors de son audition, François Pérol nous a dit qu'il comptait revenir à son métier de base en abandonnant le trading pour compte propre.

Au demeurant, il est difficile de définir quel sera exactement le nouveau modèle économique des banques. Le facteur de confiance sera essentiel et la BCE ne pourra pas éternellement soutenir des établissements encore trop frileux les uns vis-à-vis des autres.

M. Francis Delattre. - Je constate que, sur le terrain, le discours de la FBF est conforme mot pour mot avec celui que nous a tenu son président.

M. Philippe Marini, président. - C'est la ligne du parti !

M. Francis Delattre. - Je suis inquiet car la co-entreprise de la Banque postale et de la Caisse des dépôts a annoncé son intention de prendre 15 % à 25 % du marché. Or Dexia représentait plutôt 50 %. Qui va combler la différence ? Qu'allons-nous faire en cas de retrait durable du système bancaire ? Aujourd'hui, nous avons déjà de vraies difficultés. Je pourrais citer l'exemple d'un hôpital de mon territoire qui n'arrive pas à se financer.

Il faut absolument trouver le moyen de sortir de cette situation infernale.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Le besoin de financement serait autour de 18 milliards d'euros. La solution conjoncturelle passe par l'ouverture d'une enveloppe de prêts sur les fonds d'épargne de la Caisse des dépôts, ce qu'elle demande du reste. Le Premier ministre l'a annoncé mais nous attendons toujours la décision du Gouvernement. C'est la seule solution existante en attendant le relais de la co-entreprise Banque postale - Caisse des dépôts, qui devrait graduellement monter en puissance. Je rappelle d'ailleurs que l'on attend toujours le rapport du Gouvernement sur l'Agence de financement des collectivités territoriales.

M. Philippe Marini, président. - Les 5 milliards d'euros annoncés par le Premier ministre ne sont pas encore répartis.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - A la fin de l'année dernière, une première enveloppe de 5 milliards d'euros de prêts avait déjà été ouverte...

M. Philippe Marini, président. - Il resterait 700 à 800 millions d'euros disponibles.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Oui, il s'agit de sommes souscrites par les banques, la part distribuée par la Caisse des dépôts est, quant à elle, entièrement répartie.

M. Philippe Marini, président. - S'agissant de la nouvelle facilité, annoncée pour le 1er semestre 2012, quand sera-t-elle débloquée ? Malgré l'annonce du Premier ministre, nous ne voyons toujours rien venir !

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - L'emploi des fonds d'épargne relève formellement du Gouvernement. La Caisse des dépôts ne peut rien faire tant qu'elle n'y est pas habilitée par un acte juridique du Gouvernement et cet acte nous l'attendons toujours.

M. Philippe Marini, président. - Mais, en ce moment, nous sommes à la veille du vote des budgets locaux. Toutes nos collectivités interrogent leurs bailleurs de fonds afin de construire leur budget et cette facilité n'est pas opérationnelle.

En tout état de cause, pour revenir à Bâle III, nous espérons pouvoir nous appuyer sur vos travaux, aussi exhaustifs que possible, pour ne pas nous laisser manipuler par les banques.

En ce qui concerne le recours par les banques françaises au refinancement à long terme de la BCE, le LTRO (Long Term Refinancing Operation), je crois que nous pouvons solliciter prochainement une audition du directeur général du Trésor, du gouverneur de la Banque de France et de tout autre interlocuteur utile pour comprendre l'utilisation qu'elles en ont fait.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - L'amendement n° 1 est rédactionnel.

L'amendement n° 1 est adopté.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - L'amendement n° 2 tend à approuver la position de la Commission européenne : il plaide pour l'harmonisation maximale au sein de l'Union. Je crois que, sur ce point, il faut vraiment appuyer la Commission européenne et nous verrons bien où aboutira la négociation.

Cet amendement insiste également sur le financement de l'économie à long terme. Je crois notamment qu'il faut éviter de trop recourir à la comptabilisation en valeur de marché qui est procyclique et renforce la volatilité de court terme.

M. Philippe Marini, président. - Qu'entendez-vous par « notamment » ? Je crains que cette formulation ne signifie que nous admettons le principe bien que nous le regrettions.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Sur le fond, le besoin de financements longs est crucial pour la croissance de notre économie. Il suffit de penser aux secteurs de l'énergie, des transports ou encore du numérique.

M. Jean-Paul Emorine. - Nous pourrions remplacer « notamment » par « en particulier ».

L'amendement n° 2 ainsi rectifié est adopté.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - L'amendement n° 3 souligne d'abord un paradoxe de la réglementation qui nous est proposée : elle n'intègre pas le risque systémique en tant que tel. Or le comité de Bâle a bien travaillé en vue de réduire le risque systémique. Je comprends que la définition de ce qui est systémique relève du niveau macro-prudentiel et que « CRD IV » agit au niveau micro-prudentiel. Néanmoins, je constate qu'une des principales réponses envisagées est la « surcharge systémique », c'est-à-dire une surcharge de fonds propres durs imposés aux établissements identifiés comme systémiques. Or si une telle surcharge doit exister, elle ne peut être définie que par le droit européen. Ce serait totalement paradoxal de laisser le soin à chaque Etat membre de fixer cette surcharge.

L'amendement demande également que les spécificités des économies nationales soient prises en compte par « CRD IV ». Je pense en particulier aux prêts aux PME, au crédit-bail, aux prêts immobiliers cautionnés et aux obligations de financement de l'habitat.

Enfin, il me semble très important que le taux de rétention des actifs titrisés, qui est de 5 % dans la proposition de la Commission européenne, soit porté au minimum à 10 %.

M. Philippe Marini, président. - Sur ce point, je crois que nous sommes en ligne avec les préconisations du groupe de travail Assemblée nationale-Sénat.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Oui, tout à fait.

L'amendement n° 3 est adopté.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - L'amendement n° 4 aborde la question du ratio de levier. L'outil me paraît intéressant, du fait de sa simplicité, je le disais tout à l'heure. Il doit rester insensible au risque pour conserver sa puissance. Je propose de mettre à profit la période d'observation ouverte jusqu'en 2016 pour arriver au calibrage le plus adéquat.

M. Philippe Marini, président. - Nous pourrons alors le modifier si nécessaire.

M. Roland du Luart. - Il est astucieux d'avoir prévu cette période d'observation.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - La démarche est prudente, mais nous allons attendre trois ans puis il faudra encore patienter jusqu'en 2018 avant sa mise en oeuvre contraignante. C'est un enjeu majeur de la discussion. Les banquiers sont hostiles à cet instrument.

M. Roland du Luart. - Ca va gêner les opérations de LBO.

M. Philippe Marini, président. - Sait-on qui va être impacté par ce ratio ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - C'est tout le but de la période d'observation.

M. Philippe Marini, président. - Je crois que c'est effectivement de bonne méthode.

M. Jean Germain. - Cet outil permet d'encadrer la croissance du crédit, de manière complémentaire à l'action de la BCE sur les taux d'intérêt.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Il s'agit bien d'éviter un emballement du crédit dans les périodes fastes.

M. Philippe Marini, président. - On espère qu'il ne sera pas trop malthusien.

M. Albéric de Montgolfier. - Qu'en est-il de la situation des banques mutualistes ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - La situation des groupes mutualistes serait bien prise en compte puisque les fonds propres seraient calculés au niveau consolidé. Je sais néanmoins que des amendements devraient être déposés lors de la discussion au Parlement européen afin de sécuriser ce point. Je vous rappelle cependant que ces banques ne sont pas exemptes de toute critique et que certaines de leurs filiales se sont livrées à des activités spéculatives, je pense par exemple à Calyon ou Natixis. Il ne faut pas oublier la période précédente.

L'amendement n° 4 est adopté.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - L'amendement n° 5 porte sur les nouveaux ratios de liquidité. Il convient tout d'abord que la définition des actifs liquides soit élargie de sorte qu'elle ne nuise pas au financement bancaire des entreprises.

En ce qui concerne le ratio de liquidité de long terme, nous retrouverons ici le débat que nous avons eu à l'instant sur le financement des collectivités territoriales.

M. Philippe Marini, président. - Pourquoi le seul ratio de long terme est-il concerné ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Parce que ce ratio oblige les banques à mettre en face d'engagements longs des ressources longues. A cet égard, il faudra peut-être que les collectivités empruntent sur une durée moins longue et pour un coût plus élevé.

M. Philippe Marini, président. - Mais on ne tient pas compte du haut degré de sécurité de ces prêts.

M. Yannick Botrel. - En des temps pas si éloignés, Dexia était prêt à vendre des crédits sur cinquante ans.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Ce sont effectivement de très bons prêts, peu risqués. Ce point est bien pris en compte par les ratios de solvabilité. Là, il s'agit du ratio de liquidité.

M. Yannick Botrel. - Le problème est que les banques ne peuvent pas recevoir « l'épargne » des collectivités. Comme elles ne peuvent pas recevoir les dépôts, elles considèrent qu'elles ne disposent pas de ressources longues stables et refusent de nous prêter.

M. Philippe Marini, président. - C'est un discours commercial.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Il faut absolument éviter que les banques se désengagent de ce marché.

M. Philippe Marini, président. - Au vu de nos débats, je crois que nous pourrions un peu « muscler » la rédaction du dernier alinéa de votre amendement n° 5.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Je vous propose la rédaction suivante : « demande que les modalités du ratio de liquidité de long terme soient revues s'il était confirmé que les évolutions observées en matière de financement des collectivités territoriales lui étaient attribuables ».

L'amendement n° 5 ainsi rectifié est adopté.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - L'amendement n° 6 vise à ce que les autorités, gouvernements et régulateurs, surveillent les effets potentiellement négatifs de la proposition européenne. Il s'agit tout d'abord des démarches de réduction d'activité engagées par certains établissements bancaires et qui se traduisent par une réduction du crédit aux entreprises et aux collectivités territoriales. Ensuite, nous pouvons craindre un repli progressif des acteurs financiers sur leur marché national qui entraînerait une fragmentation du marché européen. Enfin, nous devons veiller à l'évolution du modèle de financement des entreprises, notamment celles de l'Europe continentale, qui pourrait durablement se transformer dans le sens d'un recours accru au marché. La régulation bancaire aurait cet effet paradoxal d'amener un plus grand nombre d'entreprises à se financer directement par le marché.

M. Roland du Luart. - N'y a-t-il pas là une contradiction ? A force de rendre plus difficile le métier bancaire, il finit par être contourné.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Assurément, le modèle économique des banques va évoluer. C'est d'ailleurs ce que nous a confirmé François Pérol. Les banques vont accompagner les grandes entreprises vers le marché tandis qu'elles concentreront leurs prêts sur les PME.

M. Roland du Luart. - Dois-je comprendre qu'il faudra alors scinder les activités ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Pas nécessairement, les activités de marché seront peut-être moins rentables, mais il ne faut pas que la recherche de rentabilité se fasse au détriment des prêts bancaires traditionnels.

M. Jean Germain. - Que pouvons-nous faire pour éviter la « renationalisation » ?

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - L'harmonisation maximale est, sur ce point, très importante. Sans harmonisation maximale, nous risquons de voir certains superviseurs durcir les ratios pour les entités qu'ils surveillent. Or celles-ci ne vont pas couper le crédit sur leur territoire national, elles vont se replier sur leur marché intérieur et « fermer le robinet » dans les autres Etats-membres. Ce serait une forme de protectionnisme.

M. Philippe Marini, président. - Il me semble que nous pourrions substituer à l'expression « soient étroitement surveillés » la formule « soient autant que possible évités ».

L'amendement n° 6 ainsi rectifié est adopté.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - L'amendement n° 7 soulève une question très importante qui est celle de l'application de Bâle III en dehors de l'Union européenne. Je pense en particulier aux Etats-Unis qui sont beaucoup moins avancés que nous et qui manient une forme d'ambiguïté sur leurs intentions réelles.

Par ailleurs, le chantier de l'harmonisation des normes comptables internationales est toujours plus ou moins au point mort. Or il ne servira à rien d'harmoniser les règles prudentielles si les normes comptables diffèrent entre l'Europe et les Etats-Unis : toute comparaison serait biaisée.

M. Roland du Luart. - Si toutes ces mesures entrent en vigueur ici et ne sont pas appliquées outre-Atlantique, nous serons pénalisés. Je crois que l'amendement doit bien souligner que, en dehors de l'Europe, les Etats-Unis doivent appliquer Bâle III, mais ce ne sont pas les seuls.

L'amendement n° 7 ainsi rectifié est adopté.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - L'amendement n° 9 porte sur les rémunérations dans le secteur bancaire. Beaucoup d'Etats n'ont pas transposé, ou seulement partiellement, les règles issues de la directive « CRD III » de novembre 2010. Je souhaiterais que nous puissions disposer d'un bilan de sa mise en oeuvre.

Ensuite, il me semble important que l'encadrement des rémunérations ne se limite pas à restreindre la prise de risque. Il doit aussi permettre une modération salariale au regard des rémunérations constatées, à qualification égale, dans les autres secteurs de notre économie.

M. Albéric de Montgolfier. - Sur cette question, nous sommes en concurrence au sein de l'Europe mais aussi avec le reste du monde, qu'il s'agisse de New York ou de Singapour.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Nous sommes une modeste partie du Parlement français et c'est dans ce cadre que je formule cette proposition...

L'amendement n° 9 est adopté.

Mme Nicole Bricq, rapporteure. - Enfin, l'amendement n° 8 entend appuyer la démarche du commissaire Barnier qui a mis en place un groupe d'experts de haut niveau qui doit étudier de possibles réformes de structure de notre secteur bancaire. Les banquiers se plaignent déjà mais ce ne doit pas être un sujet de polémique. Il faut aborder ces questions sans tabous ni préjugés.

M. Philippe Marini, président. - Je crois qu'il faudrait mentionner, outre la possibilité, les conséquences d'une séparation des activités bancaires de détail et d'investissement adaptée au secteur bancaire de l'Europe continentale.

L'amendement n° 8 ainsi rectifié est adopté.

La proposition de résolution est alors adoptée, à l'unanimité des membres présents, dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Répertoire national des crédits aux particuliers - Désignation des membres du groupe de travail

La commission désigne enfin M. Philippe Marini, président, et Mme Michèle André, vice-présidente, en qualité de représentants de la commission des finances au sein du groupe de travail sur le répertoire national des crédits aux particuliers.

Mercredi 7 mars 2012

- Présidence de M. Philippe Marini, président -

Avenir de la zone euro - Communication

La commission entend une communication de M. Jean Arthuis sur les conclusions de la mission, que lui a confiée le Premier ministre, sur l'avenir de la zone euro.

M. Philippe Marini, président. - Merci à Jean Arthuis de nous réserver la primeur des conclusions de son rapport sur l'avenir de l'Europe dont le sous-titre, « l'intégration politique ou le chaos », annonce d'emblée la couleur et promet d'ouvrir bien des pistes. D'autant que, pas plus tard qu'hier au soir, les compteurs ont recommencé de s'agiter sur les marchés, comme si l'initiative d'une BCE enfin capable d'imagination n'avait pourtant encore apporté qu'une fausse accalmie.

M. Jean Arthuis. - Merci à vous de me permettre de vous présenter les conclusions du rapport que j'ai remis hier à François Fillon, dont la lettre de mission qui m'engageait à une réflexion sur l'avenir de la zone euro portait deux questions. Quelle gouvernance ? Quelles institutions pour assurer une stabilité durable de la zone ?

La situation est paradoxale : l'euro se porte bien, mais la zone euro est en crise. C'est peu dire que l'euro n'a pas répondu à toutes les espérances qui poussaient à hâter le passage à la monnaie unique et prédisaient qu'avec l'euro, l'Europe était appelée à devenir l'espace économique le plus compétitif du monde. Quelle déception aujourd'hui !

Certes, la monnaie unique a mis fin au jeu des dévaluations compétitives entre les pays de la zone. Dès lors que l'on s'engagea, la voie de l'approfondissement politique restant fermée, vers l'approfondissement du marché unique, l'instabilité des monnaies posait, de fait, problème. La monnaie unique fut la parade. Mais, en l'absence de gouvernance, l'attelage de départ resta fort léger : on se dota d'un simple règlement de copropriété de l'euro.

Pour des États qui acquittaient des taux d'intérêts très élevés, comme la Grèce, ce fut un desserrement. S'ouvrit alors une époque d'euphorie qui a masqué, sous une apparence d'équilibre d'ensemble de la balance courante européenne, de fortes disparités entre Etats. Une époque où l'on n'hésita pas - à commencer par l'Allemagne et la France - à faire fi du pacte de stabilité et de croissance ; une époque où tel président de la Commission n'hésitait pas à qualifier ce pacte de « stupide », où tel ministre des finances estimait que l'on avait « autre chose à faire » que de s'en préoccuper, où tel ministre de la Défense considérait que les crédits de la défense nationale, ou de la recherche, pourraient bien être retirés du périmètre. Epoque où la Commission européenne se montra fort accommodante, et renonça à la surveillance, sous la pression du Conseil des chefs d'État et de gouvernement, où les marchés eux-mêmes furent pris par l'illusion ambiante. Bref, l'euro faisait office de sédatif.

Et c'est ainsi que les déficits se sont accumulés. Sous l'effet d'une addiction à la dépense, la dette publique s'est envolée. Il est vrai que l'euro fut d'abord un amortisseur à la crise de 2008, mais du même coup, l'illusion s'est prolongée, pour finir par déboucher, en 2009, sur une crise des dettes souveraines. La Grèce maquillait ses comptes publics ? On laissait faire. Peut-être avait-on eu tort de la laisser entrer dans l'euro, mais on a eu plus tort encore de n'assurer, ensuite, aucun contrôle. Les Jeux olympiques, les contrats d'armement ont fait paravent, mais pas pour les marchés qui, prenant conscience de la situation, sont sortis de l'anesthésie.

C'est alors que l'on a inventé, dans l'urgence, le Fonds européen de stabilité financière (FESF), puis le Mécanisme européen de stabilité (MES). C'est alors que les chefs d'État et de gouvernement ont multiplié les sommets, alors que la Commission a imaginé le six pack, le two pack, l'euro plus, qui ouvrent voie aux réquisits nouveaux du traité. Ce fut aussi l'époque où l'on imagina une troïka pour l'aide à la Grèce, qui associait Commission européenne, FMI et BCE. Mais était-ce le rôle d'une banque centrale indépendante que d'émettre des préconisations dans une opération de redressement ? Et pourquoi en appela-t-on au FMI, sinon par manque d'experts capables de tenir un langage de vérité, quand les ministres des finances de la zone eux-mêmes s'en étaient exonérés ?

Le six pack, en 2009, marqua le début de la sagesse, un début de réponse au surendettement. Jusque là, rien ne se passait pour le pays qui franchissait le seuil des 60 % d'endettement. Mais il reste à réduire les écarts de compétitivité entre ceux qui avancent de plus en plus vite et ceux qui creusent l'écart dans l'autre sens. Se serait-on attelé à la correction des déséquilibres macroéconomiques que l'on n'aurait pas laissé sans réagir l'Espagne s'engouffrer dans une bulle immobilière, ni l'Irlande se passer d'un contrôle systémique sur ses banques.

Au six pack, alors en cours de discussion, se sont ajoutés, au premier semestre 2011, l'euro plus et le semestre européen. Autant d'instruments de remise en ordre de marche, dont l'ensemble doit être consacré par le traité - dont certains États membres restent cependant à l'écart - qui prévoit que le déficit structurel ne doit pas dépasser, hors mesures temporaires, 0,5 % du PIB, une règle sévère. Sont également prévues des mesures d'encadrement en matière d'excédents et de déficits commerciaux. Un instrument de gestion des crises est créé, le Mécanisme européen de stabilité, le MES, assorti d'une « task force » qui mêle fonctionnaires de la Commission, de Bercy, et du ministère allemand des finances.

L'idée de gouvernance émerge alors que les chefs d'État et de gouvernement se réunissent, pour la première fois à la veille d'un G20, en octobre 2008, en pleine crise mondiale. Puis elle fait son chemin, on crée un président du conseil européen, mais l'idée d'une « commission de la zone euro » échoue devant le Parlement européen. On engage des initiatives, on imagine un Livre vert, conçu par la Commission, sur les obligations de stabilité, on réfléchit à une taxe à l'échelle de l'Europe sur les transactions financières, à des initiatives en faveur des PME, au rapprochement des assiettes et des taux de l'impôt sur les sociétés, on se demande quelles dispositions seraient propres à accélérer non seulement l'intégration des marchés et la mobilité, mais aussi la régulation - c'est le rapport Larosière.

Plusieurs États membres engagent des efforts structurels. L'Allemagne s'oblige constitutionnellement à ramener son déficit structurel en dessous de 0,35 % du PIB en 2016, et prévoit un retour à l'équilibre des Länder pour 2020. L'Italie, État en difficulté, lance un « salve Italia » pour le retour à l'équilibre budgétaire en 2013 et le plan Monti de janvier 2012 entreprend de lutter, pour la croissance, contre l'insuffisance de la concurrence et l'inadéquation des infrastructures - une application du rapport Attali, en quelque sorte... La France légifère pour définir des procédures d'encadrement budgétaire, l'Espagne adapte ses règles d'équilibre. Bref, les pays de la zone s'engagent dans un effort de maîtrise de la dépense et d'amélioration de leur compétitivité.

Il faut aller plus loin dans cette direction, vers une gouvernance lisible, compréhensible, effective, vers un niveau d'obligation et de solidarité mutuelle entre États membres de la zone euro sans commune mesure avec celle du marché intérieur à vingt-sept. L'Europe se décline en deux cercles, celui des vingt-sept, celui des dix-sept. Dans l'Eurogroupe, il n'est pas de possibilité d'ajustement monétaire et l'on ne peut se désintéresser de ce qui se passe chez les voisins : les dix-sept sont solidairement responsables. Y compris la Grèce.

M. Philippe Marini, président. - On n'a jamais demandé au Parlement français son avis chaque fois que la France a pris des engagements financiers vis-à-vis des Etats en difficulté.

M. Jean Arthuis. - Si, lors de l'examen de projets de lois de finances.

M. Philippe Marini, président. - Oui, mais toujours après.

M. Jean Arthuis. - La nécessité n'en est que plus grande du contrôle. L'entrée dans l'euro est un billet à sens unique. L'erreur n'est pas tant d'avoir ouvert l'entrée dans l'euro à la Grèce, que de l'avoir laissée, sans se préoccuper des obligations qui y étaient attachées, creuser ses déficits.

Je plaide donc pour une pleine gouvernance de la zone euro. Pour qu'Eurostat devienne une agence statistique pleinement indépendante - et ma conviction ne date pas d'hier ; pour que les services statistiques des États membres jouissent d'une indépendance qui les place au-dessus de tout soupçon - est-il admissible que le directeur de l'équivalent grec de notre Insee soit poursuivi devant les juridictions pénales au motif qu'il a publié des chiffres qui ne siéent pas aux parlementaires ? Je plaide pour que les États, dès lors qu'ils entrent dans la zone euro, s'obligent à une présentation normalisée de leurs chiffres - recettes, dette, engagements hors bilan... - et usent d'une même procédure de certification. C'est à cette seule condition que l'on pourra agréger les comptes publics nationaux pour disposer d'un budget global de la zone euro afin que les ministres des finances puissent pétrir la pâte budgétaire. Pour que l'on puisse observer, ligne par ligne, si de vraies synergies se dessinent - en matière de recherche et développement, par exemple.

Pour les États récalcitrants, je ne crois pas tant aux vertus des contraintes financières du six pack - veut-on en venir à cette absurdité qu'il leur faudrait, pour les payer, se tourner vers le MES ? - qu'à celles de sanctions allant de restrictions d'accès aux fonds structurels jusqu'à la privation du droit de vote au sein de l'Eurogroupe. Je crois moins aux sanctions financières qu'à la transparence, à la publicité donnée aux actes répréhensibles.

Je plaide pour que les directeurs nationaux du budget soient associés aux conseils Ecofin : ce fut une erreur de les écarter au profit des gouverneurs des banques centrales nationales et des directeurs du Trésor. Je plaide pour que même rang de priorité soit donné aux mesures d'assainissement et de croissance, pour que les parlementaires nationaux s'engagent dans un agenda de réformes structurelles - retraites, flexibilité du marché du travail...

Je plaide pour que soient stabilisés les mécanismes de gestion de crise, afin de n'être plus pris, comme ce fut le cas pour la Grèce, au dépourvu. Pour un MES et une force d'intervention rapide qui exemptent du recours au FMI, lequel ne peut que compliquer l'exercice européen dès lors que le Fonds doit répondre aux préoccupations d'autres États, comme la Chine. Alors, le temps sera venu de parler d'eurobonds. Mais seulement quand la zone euro sera dotée d'une vraie gouvernance : ne mettons pas la charrue avant les boeufs.

Je plaide, enfin, pour une simplification de l'architecture institutionnelle. Unité, cohérence, pour nous mettre à l'abri de préjudiciables cacophonies. Au-delà, se pose la question d'un leadership identifié : une même personnalité pour présider la Commission et le Conseil européen, voire le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro. A la conférence interparlementaire où M. Marini et moi-même nous sommes rendus la semaine dernière à Bruxelles, nous avons entendu M. van Rompuy et M. Barroso parler d'une même voix. A quoi bon perpétuer cette dyarchie ?

De même, sans ministre des finances de la zone, pas de policy mix possible. Ce devrait être le président de l'Eurogroupe. On ne peut se satisfaire de confier cette présidence, comme on l'a fait jusqu'à présent, à l'un des ministres des finances de la zone. M. Juncker cumule les fonctions de Premier ministre et de ministre des finances du Luxembourg avec la présidence de l'Eurogroupe : comment serait-il pleinement disponible ? Sans parler du problème de conflit d'intérêt. Cela suppose d'officialiser l'Eurogroupe et de doter son ministre des finances, qui serait le vice-président de la Commission européenne chargé de l'euro, de services capables de mettre en oeuvre les dispositions du MES et de la task force. Voyez les moyens dont dispose Mme Ashton.

M. Aymeri de Montesquiou. - Pour un succès qui reste modeste...

M. Jean Arthuis. - La différence, c'est que pour l'Eurogroupe, les objectifs sont clairs : stabilité financière et croissance. Le ministre des finances devrait pouvoir s'appuyer sur une sorte de secrétariat général au Trésor de la zone. Mme Ashton, encore une fois, peut compter sur 2 500 collaborateurs...

M. Philippe Marini, président. - Ce qui ne va guère dans le sens d'une maîtrise de la dépense...

M. Jean Arthuis. - S'il s'agit d'enclencher un cercle vertueux, le jeu en vaut la chandelle. A l'heure actuelle, M. Juncker n'a pour secrétariat que son directeur du Trésor... Il ne serait pas inutile que chacun des États membres apporte son tribut de fonctionnaires. Car il est urgent de constituer un Trésor européen, ne serait-ce que pour coordonner les émissions de dette publique.

Je plaide pour une gouvernance effective dotée d'une légitimité démocratique. Et je ne parle pas d'une Cosac, d'une conférence interparlementaire ou des réunions des présidents des commissions des finances, faux alibis de démocratie, quand il faut une vraie surveillance à la zone. D'où l'idée d'une commission de surveillance de la zone, composée d'une centaine de représentants du Parlement européen et des parlements nationaux, capables d'assurer une mission permanente. Elle aurait aujourd'hui à mesurer, par exemple, si les remèdes proposés à la Grèce par la troïka sont soutenables dans la durée.

De la coordination dépend l'efficacité politique et, partant, la capacité à retrouver la croissance. Cette commission de surveillance pourrait être le lieu privilégié pour s'interroger sur la compatibilité entre les priorités du marché intérieur et les efforts pour accélérer la croissance. Car le fait est que ces priorités, où chacun y va de son coup de clairon - protection du consommateur, de l'environnement -, se traduisent souvent en un surcroît de dépenses publiques ou en freins à la compétitivité. C'est ainsi que le préfet de la Mayenne en est conduit à me demander de dresser une carte du bruit dans mon département, pour répondre à une ancienne directive de Bruxelles ! Un peu de cohérence ne ferait pas de mal !

Les dix premières années de l'euro, qui furent ses « années folles » - addiction à la dépense, excès de déficit s'y donnèrent libre cours - font, rétrospectivement, un peu honte. Comme si l'on n'avait pas compris qu'entrer dans la zone euro, c'était entrer dans un mécanisme de nature fédérale, appelant une vraie gouvernance. D'autant que la souveraineté, dans un monde globalisé, ne peut être qu'une souveraineté partagée, dont la première échelle est la zone euro. Nous ne pouvons faire marche arrière, au risque du chaos. N'oublions pas que les pères de l'Europe ont voulu y entrer pour assurer la paix.

Le nouveau traité doit être mis en oeuvre le plus vite possible. A qui parle de renégocier, je suis tenté de rappeler la campagne législative de 1997, où certains parlaient de renégocier le pacte de stabilité. Dominique Strauss-Kahn a vite fait, pourtant, de rejoindre les positions de Théo Waigel et cela a donné... la ratification du traité d'Amsterdam.

Ne demandons pas à l'Europe de régler nos problèmes à notre place. Elle a besoin d'une organisation institutionnelle lisible. Les gesticulations qui laissent croire que la souveraineté peut encore être nationale ne sont plus de mise : notre souveraineté ne peut plus être qu'européenne.

M. Philippe Marini, président. - Je rappelle que les détenteurs de dette grecque ont jusqu'à demain pour dire s'ils acceptent l'échange proposé au secteur privé. Hier, le gouvernement grec a indiqué qu'il pourrait faire défaut à l'égard de ceux qui le refusent, ce qui pourrait activer les credit-default swaps (CDS). Par ailleurs, si les créanciers privés étaient trop peu nombreux à accepter le plan, celui-ci pourrait être abandonné. Même si un tel scenario de rupture est peu vraisemblable, le pays connaîtrait un défaut massif et désordonné - ce qui n'est pas le cas dans l'hypothèse d'un échange.

Votre analyse est, à bien des égards, plus que convaincante. La BCE a récemment, par un détour intelligent, calmé les marchés, mais ne peut-on craindre qu'en franchissant ainsi une limite, elle ne jette le doute sur les objectifs qu'elle poursuit ? En ce qui concerne les perspectives de sortie de crise, doit-on avoir une vision « optimiste », ou « mécaniste », selon laquelle il suffirait de quelques aménagements ou détours ? Ou faut-il avoir une vision, que certains diraient « pessimiste », et que l'on peut dire « structurelle » ? Il faut en effet s'imaginer outre-Atlantique : l'Europe inspire-t-elle confiance ? Le contrat implicite selon lequel l'Allemagne et la BCE acceptent d'aider certains Etats, en échange d'une discipline budgétaire qu'ils semblent de plus en plus réticents à respecter, est-il encore tenable ?

La Commission a, à la fin de l'année 2011, froncé le sourcil et conduit le gouvernement belge, enfin constitué, à annoncer début 2012 des mesures supplémentaires de réduction du déficit. En Espagne, cependant, le nouveau Premier ministre, fraichement revêtu de la légitimité des urnes, a annoncé qu'après que son pays n'avait pas respecté son objectif de solde public en 2011, il ne tiendrait pas non plus celui de 2012, en jurant qu'il y parviendrait en 2013. Voilà qui pose la question des sanctions. Emprunter pour payer des pénalités financières ? C'est là, je vous rejoins, une politique de Gribouille. Si l'on entre dans les considérations politiques, ce sont bien les institutions qu'il faut revoir. Nous sommes largement d'accord là-dessus, même si vous comprendrez que certains mots me heurtent...

Cela étant, je ne crois guère aux vertus d'un ministère des finances européen, qui serait confié à une personnalité correspondant au plus petit commun dénominateur. Quant au traité intergouvernemental signé le 2 mars, il faudrait déjà qu'il soit ratifié, et savoir combien d'Etats le feront.

M. Jean Arthuis. - La conversion des titres grecs ne doit pas trop nous inquiéter : les pressions sont fortes sur le privé. Je crois que le cap sera franchi, même si de nombreux procès doivent suivre, qui feront le bonheur des avocats internationaux.

Calmera-t-on pour autant les marchés ? J'en doute. Notre organisation reste trop complexe. Les remarques qui m'ont été livrées par une agence de notation sont justes : elle constate que la BCE n'est pas la Fed et que le risque systémique est assumé par les Etats-nations qui, peu vertueux sur leurs titres, ne sont guère crédibles à prétendre contrôler leurs homologues.

Cessons de nous raconter des histoires. Il faut à l'Europe des institutions compréhensibles par le monde, et par ses propres citoyens. Sinon, nous nous condamnons à jouer un théâtre d'ombres qui ne fait que masquer notre impuissance politique.

Les propos de M. Rajoy ? Ils ne me choquent pas, s'il tient un discours de vérité. Le fait est que l'Espagne a un problème avec ses régions, qui sont allées trop loin dans les déficits... Alors que nos politiques publiques ont été un tissu de combines, qui convaincra-t-on en clamant que l'on va user du bâton ? Ce qu'il faut désormais, c'est mettre en place de vraies procédures et accompagner les Espagnols s'ils vont dans le bon sens.

Tout cela suppose, faut-il le préciser, que nos prévisions macroéconomiques à tous cessent d'être suspectes.

M. Philippe Marini, président. - M. Barroso n'affirme-t-il pas que les services de la Commission sont là pour y veiller...

M. Claude Belot. - Nous sommes requis d'être lucides. Mais M. Rajoy n'est au pouvoir que depuis deux mois, dans un pays où le taux de chômage atteint plus de 22 % ; on ne peut pas, d'emblée, lui jeter la pierre. Quelle est l'urgence ? Le AAA ? Mais la situation n'est pas la même que dans notre pays, riche d'une épargne dont on peut espérer que les institutions bancaires qui la collectent préfèreront, en cas de difficulté, la prêter à la France qu'aux Grecs. Les déficits des collectivités ? Mais si l'on me demande, demain, de réduire mon budget de fonctionnement de 10 %, je sais faire.

L'urgence, à la vérité, c'est l'emploi. Or, on ne parviendra à rien avec un euro à 1,30 dollar. Face à nous, les Chinois, avec le yuan, n'y vont pas par quatre chemins. Et les Anglais, les Américains, n'hésitent pas à laisser filer la livre et le dollar au nom de l'emploi. La vraie valeur d'une monnaie, c'est sa capacité exportatrice. Le problème de l'emploi nous guette, surtout au sud de l'Europe. Les Allemands l'ont résolu, mais leur excellence est telle, dans de tels domaines - machines outils, automobiles - qu'ils jouissent d'un quasi monopole sur le marché mondial. Imaginez-vous qu'en France, ce n'est pas M. Arnault qui se plaint du cours de l'euro pour LVMH, mais tous les secteurs qui souffrent.

La situation des pays de la zone ? Elle n'est pas si catastrophique, y compris celle de l'Italie. Le patrimoine des Français représente huit à douze fois le PIB. Une dette à 86 %, ce n'est pas une somme si colossale au regard de l'encours, à condition qu'elle vienne alimenter des investissements sains, comme le rail, et non du fonctionnement. Mais notre système de comptabilisation de la dette est pervers. On ne compte que l'intérêt dû, sans s'attacher au stock. Dès que les taux d'intérêt baissent, on considère que l'on peut emprunter beaucoup, sans incidence sur la charge financière. Mais la vertu se retourne alors contre nous : on accumule un stock de dette, et que se passe-t-il si les taux montent ? Prenons garde que si nous ne savons pas traiter le sujet, c'est la rue qui s'en saisira.

M. Albéric de Montgolfier. - L'Italie en est à 120 % de son PIB, en matière de dette publique. Les mesures annoncées par M. Monti vous semblent-elles de nature à diminuer durablement ce taux ?

M. Aymeri de Montesquiou. - Il est essentiel de se doter d'un système compréhensible, pour le monde, mais aussi pour les citoyens européens, chez qui toute confusion entame la confiance dans l'euro.

Vous avez rappelé que le Parlement européen n'a pas voulu d'une commission de la zone euro. Mais est-il normal que les dix pays qui n'y ont pas part soient invités à opiner sur le sujet ?

Il devrait exister une clause de sortie de l'euro, un mode d'emploi : si la Grèce en avait eu un il y a un ou deux ans, on aurait évité bien des dépenses.

M. Jean Germain. - Je suis pro-européen, comme la formation à laquelle j'appartiens, mais certains points de votre exposé m'ont fait tiquer. Je vois ainsi quelque contradiction entre votre titre, « l'intégration politique ou le chaos », et la référence finale à Jean Monnet, qui disait, en somme, que l'Europe n'avance que dans le chaos.

M. Jean Arthuis. - Dans la crise : la crise n'est pas le chaos.

M. Jean Germain. - Mais n'est-il pas des mesures pour sortir de la crise sans passer par le chaos institutionnel ?

D'où ma deuxième question : un système fonctionnant avec un marché unique intégré plus large que la zone euro est-il viable ? Car il conduit à définir une politique commerciale plus large que la zone monétaire dans laquelle, pour se protéger, il faudrait d'autres règles vis à vis de la concurrence. Car ce problème de concurrence ne se pose pas seulement à l'égard des Etats-Unis ou de la Chine, mais des Etats membres hors zone euro.

Dans les lignes de force, vous placez la stabilité financière, la croissance, la paix. Raisonnement très humaniste, mais dont on peut se demander s'il est compatible avec ce que ressentent les citoyens en Grèce, en Espagne bientôt peut-être... Et puisque certains en viennent à pousser dans la campagne l'argument du référendum, il faut bien avoir présent à l'esprit qu'appliqué à l'Europe, le résultat, aussi, en serait certain : plutôt le chaos que le traité...

Me vient de là une certaine nostalgie de l'après-guerre, où les vues politiques avaient plus d'élévation. Et si l'on remonte même à la Première Guerre mondiale, il me semble que le discours d'un Jaurès, d'un Clemenceau, avait une autre tenue sur la scène du monde.

Je regrette que les considérations sur l'Europe restent très technocratiques. Chacun comprend les enjeux, mais les solutions institutionnelles proposées sortent toujours du cadre démocratique. Je ne me risquerai pas même à parler de souveraineté : on n'ose plus prononcer le mot...

M. Yannick Botrel. - L'euro a suscité bien des espérances, y compris dans l'opinion publique, que le cortège des crises, dramatisées par les médias, est venu, depuis, inquiéter, au risque de déboucher, aujourd'hui, sur l'euroscepticisme. Il est vrai que les sujets sont si techniques qu'il est difficile de les rendre audibles à chacun, tandis qu'il est aisé aux démagogues d'instrumentaliser la crise. Un grand quotidien presque national, dont M. Arthuis est comme moi lecteur assidu, titrait récemment sur le coût d'une défaillance de la Grèce : 1 000 milliards. Nos pays peuvent-ils faire face à une telle défaillance ? Et porter à bout de bras certaines économies de la zone ? Une zone dans laquelle on peut se demander si tous les pays y ont bien leur place. Le débat est ouvert sur les disparités concurrentielles - réglementation du travail, agriculture... Faut-il aller plus loin dans l'intégration pour faire de l'Europe une vraie communauté, là est la question.

Mme Fabienne Keller. - Je salue la qualité du travail de Jean Arthuis, qui mériterait d'être traduit dans les langues de l'Europe, pour fédérer les réflexions.

Vous faites le constat d'un fédéralisme de fait, lié au partage d'une monnaie. D'où vos propositions en matière d'institutions. Je vous rejoins sur l'idée d'une assemblée de parlementaires nationaux chargée d'assurer l'interface entre des décisions éloignées et le lieu démocratique de la représentation.

La crise financière, devenue crise de la dette souveraine, nous conduit à réfléchir sur l'euro, mais pose du même coup la question de la gouvernance. Vous avez évoqué les effets des directives européennes : si le préfet de la Mayenne vous demande de dresser une carte du bruit, c'est de fait en application d'une directive votée il y a dix ans. Un bon exemple de la déconnection entre les décisions et ceux qui ont la charge de les mettre en oeuvre. Sait-on que la directive sur les rejets des stations d'épuration représente en France, vingt ans après, une dépense de 20 milliards d'investissement ? Je suis donc persuadée qu'une meilleure articulation avec les parlements nationaux serait fort utile, dans bien des domaines.

Quid de l'Espagne, où la moitié des jeunes sont aujourd'hui au chômage, quand le pays connaissait naguère un boom économique sans précédent ? Comment arrivera-t-elle à négocier un tel virage ?

M. Philippe Marini, président. - La commission de surveillance pourrait de fait être l'amorce d'une future chambre haute de l'Europe.

M. François Trucy. - Nous connaissons Jean Arthuis pour ses cinglantes prophéties contre le défaut de gouvernance en Europe. Ce rapport n'y fait pas exception. J'espère qu'il ne connaîtra pas le sort de Cassandre.

M. Jean Arthuis. - Je vous remercie pour vos appréciations. Il est vrai que je suis féroce sur la gouvernance. J'estime souvent que nos initiatives sont pleines de contradictions, y compris au plan national. On légifère trop souvent pour répondre à des sollicitations, sans prendre le temps de la réflexion. Je me demande, par exemple, comment on va pouvoir satisfaire aux dispositions de la loi sur l'accessibilité des handicapés, et à quel coût. Même chose pour l'Europe. On a répondu aux sollicitations de la Turquie, en 1995, par l'union douanière. Résultat, on ne trouve plus un fabricant de téléviseur en France, c'est tellement plus commode de l'autre côté du Bosphore ! Voilà comment on pousse des peuples dans l'impasse. L'environnement ? Même tabac. Doit-on laisser entrer des produits qui ne répondent ni à nos normes environnementales, ni à nos normes sociales, et pousser ainsi aux délocalisations ? C'est suicidaire !

L'action de la BCE a été un soulagement, mais il est vrai, monsieur Marini, qu'elle ne saurait nous exempter de décisions courageuses. Ce n'est pas en mettant des liquidités à disposition des banques que l'on résoudra la question de la gouvernance.

L'épargne des Français, monsieur Belot ? Mais elle a déjà trouvé son affectation. Voyez le grand emprunt : ce fut un « instrument de langage », mais une vraie tartufferie budgétaire !

Certes, il faudra du temps à l'Espagne pour sortir de la crise, mais le temps ne suffit pas à lui seul. Voyez ce qui se passe en Grèce, où les prescriptions de la troïka font furieusement penser aux recettes appliquées au Crédit lyonnais : on achète du temps à crédit...

Oui, l'emploi est la priorité, mais on ne relancera pas la machine sans passer par des décisions structurelles difficiles. Le taux de change entre l'euro et le dollar ne nuit pas, il est vrai, aux exportateurs allemands. Mais les Allemands n'ont nul intérêt à une explosion de la zone : une sortie de l'euro renchérirait le deutschemark de 50 % et appauvrirait d'autant les autres pays européens qui achètent les produits allemands. Une vraie gouvernance européenne est aussi dans leur intérêt. Laisser filer la monnaie, comme le font les Américains ? Mais comment prendre exemple sur ce grand n'importe quoi ! Combien de temps les Etats-Unis tiendront-ils à ce niveau de déficit ? Le dollar inonde le monde, il est devenu un instrument de guerre.

La mesure de la dette ? On progresse dans la pédagogie. On ne manque pas de rappeler qu'au regard de la situation patrimoniale de l'Etat, que l'on dresse désormais, la moindre augmentation des taux serait dramatique pour la France.

Je ne me risquerais pas, comme vous le faites, à comparer la Grèce à l'Italie, où existe encore un Etat - même s'il est vrai qu'il y a une Italie du Nord et une Italie du Sud - et un tissu économique vivace.

Oui, monsieur de Montesquiou, l'Europe a besoin d'institutions lisibles par tous. La France aussi, à certains égards, car on finit par perdre ses petits dans l'enchevêtrement des échelons - communes, communautés de communes... Les fonds européens ne sont pas là pour inaugurer des bergeries, mais servir à ceux qui en ont vraiment besoin.

La sortie de l'euro comme solution ? Mais diriez-vous pour l'Allemagne ce que vous dites pour la Grèce ? Le jour où c'est eux qui voudront sortir, ce sera moins simple... Nous sommes tous dans le même bateau : on ne peut pas se contenter de jeter à l'eau ceux qui alourdissent la barque.

M. Aymeri de Montesquiou. - Je disais simplement que cela aurait coûté moins cher.

M. Jean Arthuis. - Ce qui aurait coûté moins cher, c'eût été de régler le problème dès son apparition, en 2009. Si on ne l'a pas fait, c'est que les instruments nous manquaient : une gouvernance calamiteuse. Croyez-vous que la Grèce serait revenue à la surface comme l'Argentine ? Mais leurs situations ne sont pas comparables ! L'Argentine est un pays émergent, riche de potentialités !

En politique, monsieur Germain, on ne ressent jamais mieux les nécessités que lorsque l'on est confronté à une situation de crise : Jean Monnet ne disait pas autre chose. Je ne confonds pas la crise et le chaos, car je crains le chaos. Vous évoquez 1914 ? C'est quand on laisse les choses aller jusqu'à l'inextricable qu'il faut craindre le spectre de la guerre.

Vous avez raison de souligner la différence entre marché intérieur et zone euro. La divergence n'est d'ailleurs pas seulement dans les préoccupations, mais dans les modes de décision. Que peut l'Euroland quand le marché intérieur avance dans la codécision à coups de directives et de règlements dont les conséquences financières ne sont pas toujours bien mesurées ?

Au milieu de tout cela, les citoyens sont dans l'épreuve, et le vivent d'autant plus mal que les discours politiques, vous avez raison, mélangent tout. L'élection présidentielle devrait pourtant être l'occasion de prendre la mesure des vrais enjeux, plutôt que d'attiser les passions. C'est aussi pourquoi il serait bon qu'émergent une opinion publique européenne, et des partis européens.

Il est vrai, monsieur Botrel, que l'euro a fait naître beaucoup d'espérances, mais il n'est qu'un instrument, en aucun cas une politique économique, comme on l'a laissé croire. C'est ainsi qu'on a laissé filer les déficits, par un effet d'anesthésie. On le paiera cher : la crise appelle des réparations onéreuses.

Le vrai sujet, ce sont les disparités entre Etats. Le pilotage de la zone euro ne peut en faire l'économie. Je l'ai dit : si le commerce de la zone est globalement équilibré, les écarts sont criants. Y compris entre la France et l'Allemagne. Et c'est ainsi que se creusent des déficits qu'on ne pourra pas toujours combler en injectant de l'argent public.

L'Europe est une cause passionnante, elle mérite un meilleur traitement. Je vous remercie de m'avoir entendu.

M. Philippe Marini, président. - Merci à vous de nous avoir ouvert ces pistes, qui ne manqueront pas d'alimenter notre réflexion à venir.

M. Jean Arthuis. - Vous avez vous-même bifurqué vers l'idée d'une deuxième chambre européenne. Mais au vrai, l'Europe des Vingt-sept a déjà, en quelque sorte, ses deux chambres : nous sommes sous l'emprise de la codécision entre Conseil et Parlement.

M. Philippe Marini, président. - Le Conseil est composé des exécutifs, cela n'en fait pas une seconde chambre.

M. Jean Arthuis. - Cela étant, je partage l'idée que la commission de surveillance dont je préconise la création puisse, au fil des ans, clarifier l'instance gouvernementale de l'Europe des Vingt-sept, car tous les Etats ont vocation à entrer dans l'euro...

M. Philippe Marini, président. - Vous évoquez aussi l'idée, apparemment technique, d'un secrétariat général. J'y crois plus qu'au ministre. Les débats de ces derniers mois ont montré, avant chaque conseil, les difficultés de notre communication avec l'Allemagne. Nous ne raisonnons pas de la même façon. Les Français sont plus agiles, plus innovants et les mécanismes intellectuels allemands sont différents. Il faudrait un vrai dialogue.

M. Jean Arthuis. - Mais aussi un vrai président.

M. Philippe Marini, président. - Sans doute, mais un secrétariat général favoriserait la réflexion commune en amont, selon un rythme commun, ce qui éviterait que chaque technostructure ne prenne en otage ses politiques et que l'on n'arrive à une entente qu'après de longs débats, très coûteux...

M. Jean Arthuis. - Il faut que nous soyons un peu plus Allemands et les Allemands un peu moins Allemands. En d'autres termes, il faut que nous soyons un peu moins Français et nos partenaires un peu plus Français...

M. Philippe Marini, président. - Sans doute. L'Europe n'est pas une plus grande France...

M. Jean Arthuis. - Bien au contraire, on peut craindre que, sans gouvernance, ce ne soit la commission budgétaire du Bundestag qui en vienne à devenir l'instance de décision européenne...