Mardi 18 décembre 2012

- Présidence de M. Raymond Vall, président -

Audition de M. William Vidal, Président directeur général du Groupe Ecocert, et de M. Alain Canet, Président de l'Association française d'agroforesterie

La commission procède à l'audition de M. William Vidal, Président directeur général du Groupe Écocert, et de M. Alain Canet, Président de l'Association française d'agroforesterie.

M. Raymond Vall, président. - Je vous souhaite la bienvenue, notre commission se réjouit d'entendre des représentants de la première entreprise française de certification environnementale et de faire ainsi un peu d'écologie appliquée.

M. William Vidal, président directeur général du Groupe Écocert. - Merci de votre invitation, Monsieur le président.

Le groupe Écocert, aujourd'hui leader mondial de la certification en agriculture et cosmétiques biologiques, a pour origine une association créée en 1978 et dédiée à la promotion de l'agriculture biologique ; une entreprise lui a succédé en 1991, alors même que se mettaient en place les premières règles européennes, et le groupe a connu depuis une très forte expansion, non seulement de son implantation géographique (24 filiales et des clients dans 85 pays), mais aussi du domaine de certification couvert.

Notre premier métier est la certification, activité de vérification de la conformité des produits, systèmes et activités aux règlements officiels, comme en matière d'agriculture biologique, de cosmétiques, de textiles biologiques ou encore de contrôle qualité et sécurité des aliments.

Nous avons également une activité de contrôle « simple », où nous créons, gérons et attribuons des labels Écocert sous condition de respect de certains cahiers des charges spécifiques : commerce équitable, écoproduits, espaces verts, émissions de gaz à effet-de-serre. L'intérêt de ces référentiels est généralement d'anticiper les futures réglementations publiques, et ils ont souvent vocation à s'effacer progressivement au profit de celles-ci.

Près de la moitié de nos 600 collaborateurs sont employés en France, et notre réseau international de filiales et de joint-ventures nous permet d'être présents dans tous les grands bassins de consommation, où nous privilégions toujours le travail avec des acteurs locaux.

Au-delà de la seule certification des pratiques durables, Écocert souhaite les étendre et les améliorer en incitant les acteurs privés et les collectivités publiques à prendre conscience et à faire évoluer leur modèle économique et maîtriser leur empreinte écologique.

Nous nous efforçons d'ailleurs de respecter, dans l'activité quotidienne de notre groupe, les valeurs de préservation de l'environnement et de promotion du développement durable qui sont au coeur de notre métier.

Concernant d'abord le bilan carbone du groupe Écocert, nos émissions de CO2 en 2012 sont en hausse de seulement 0,8 % malgré une augmentation substantielle de notre activité et du nombre de nos collaborateurs. C'est par ailleurs la première année que ces émissions seront intégralement compensées, en ligne avec notre objectif de développer désormais une activité totalement « carbone neutre », grâce à un projet d'agroforesterie dans le Gers et au financement de plusieurs initiatives environnementales en Inde.

Concernant notre consommation énergétique, Écocert dispose d'un bâtiment de 2025 m2 à énergie positive et à faible empreinte écologique, dont la construction a privilégié intervenants et matériaux locaux.

Sur le plan du confort, le bâtiment est tout à fait au niveau des immeubles classiques, que ce soit pour l'isolation phonique et thermique, pour l'acoustique ou encore pour la ventilation.

La notion de comptabilité universelle a été établie par Jacques de Saint Front et Michel Veillard : ces deux experts comptables ont décidé d'inclure, dans la valorisation des investissements, les effets sociaux des investissements considérés, nous y avons ajouté le bilan carbone de l'activité de l'entreprise, en incluant ce nouveau calcul dans le compte de résultats. La compensation est évaluée à l'euro près, de même que les économies d'émission de CO2 : à cette aune, les progrès du bilan carbone entrent dans les actifs de l'entreprise, parmi d'autres valeurs immatérielles - sans rien à leur envier sur le plan de la légitimité.

Le label « Engagement climat », quant à lui, vise à faire reconnaître les initiatives de réduction des gaz à effet de serre. Vous savez l'urgence que nous avons d'agir : le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) alerte sur les effets désastreux qu'aurait le réchauffement de 4° vers lequel nous allons à l'horizon 2050, des scientifiques ajoutent qu'au-delà de 2° de réchauffement, un emballement risque fort de se produire avec des effets en chaîne inéluctables - la fonte du permafrost, par exemple, libèrerait une grande quantité de CO2, lequel contribuerait au réchauffement climatique. Si un tel emballement climatique se produisait, il n'y aurait plus d'adaptation possible, mais bien la catastrophe climatique que nous décrivent les scénarios pessimistes d'aujourd'hui. Or, les négociations politiques internationales échouent, incapables de prendre les mesures à la hauteur du défi : songez que pour s'en tenir à 2° de réchauffement en 2050, il faudrait que chacun des neuf milliards d'habitants contribue alors à deux tonnes de CO2 par an, quand nous sommes aujourd'hui à dix tonnes en Europe, à vingt tonnes aux Etats-Unis et même à soixante tonnes à Doha, où vient d'échouer la récente conférence sur le climat...

Quand les politiques n'avancent pas assez vite, une possibilité d'avancer demeure du côté de la société civile et des acteurs économiques : c'est la voie que nous avons décidé d'emprunter. Nous avons recherché les raisons qui inciteraient les entreprises à changer de comportement ; elles sont nombreuses, depuis la réputation jusqu'à l'accès à de nouveaux produits, en passant par la motivation des salariés - et elles peuvent former un cercle vertueux. La première étape, c'est le bilan carbone de l'entreprise proprement dit, c'est-à-dire les émissions de son activité considérée dans son détail. Une fois mesuré, ce bilan carbone peut être amélioré, en particulier par la compensation, jusqu'à parvenir à un résultat « carbone neutre », celui où le label « Engagement climat » est décerné.

Le réchauffement climatique annonce une catastrophe pour demain, mais nos stratégies et nos outils sont peu opératoires, l'approche globale manque : avec le référentiel, la comptabilité universelle étendue au bilan carbone et le label « Engagement climat », nous proposons des outils clairs, simples à mettre en oeuvre, qui prennent en compte les améliorations en continu. Le cahier des charges de notre référentiel est accessible à tous, applicable à toutes les collectivités et toutes les entreprises, les évaluations et les comparaisons peuvent facilement être communiquées, tout cet ensemble est à même de faire changer les comportements, de diffuser dans la société les comportements vertueux que nous appelons tous de nos voeux mais sans savoir comment procéder.

Le système de permis de polluer a montré toutes ses limites et son incohérence lorsque la crise, en ralentissant l'économie, fait baisser le coût de ces permis, incitant à polluer davantage. Inversement, avec la reforestation pour compenser la pollution, nous passons du « crédit carbone » au « carbone solidaire ». Et je ne connais pas de meilleur panneau solaire que la feuille : avec la photosynthèse, avec le stockage de CO2, l'arbre est de très loin la meilleure réponse à la pollution, tout en apportant des ressources aux pays du sud, pourquoi ne pas en tenir compte ?

Enfin, la labellisation présente les meilleures garanties pour le suivi des fonds, pour le transfert des compétences, pour l'évaluation et la comparaison des projets, pour leur suivi dans le temps et encore pour la vigilance envers l'utilisation des ressources.

Nous avons commencé dans cette voie avec de nombreuses entreprises et collectivités. Le syndicat des eaux d'Ile-de-France (Sedif) s'est engagé sur la voie du carbone neutre : au-delà de son programme d'économies d'énergie, il prévoit de planter six millions d'arbres en douze ans, par exemple au Sénégal, au Costa Rica, au Pérou ou à Madagascar. Avec ce type de coopération, nous démontrons qu'il est tout à fait possible, par des actions concrètes, de répondre au défi climatique et d'inoculer dans la société les changements de comportements qui sont la clé de la réussite.

Mme Évelyne Didier. - Merci pour votre exposé riche et précis. Avez-vous des liens avec des agences de notation, vos démarches sont-elles prises en compte par ces agences ? Au-delà de votre siège social, votre société propose-t-elle des bâtiments à la construction ? La compensation, ensuite, relève du curatif : ne vous paraît-il pas préférable d'agir d'abord sur le volet préventif ? Enfin, vous ne paraissez pas croire au marché des quotas d'émissions de CO2 : pouvez-vous nous en dire davantage ?

Mme Esther Sittler. - J'ai trouvé moi aussi votre exposé très riche d'enseignements pratiques et très encourageant, je vous en remercie. Je souhaiterais cependant vous alerter d'un cas précis : un viticulteur de mon département vous a demandé une certification « bio » en vous invitant à venir vérifier que, comme il s'y engageait, son sol et son vignoble n'avaient jamais été traités aux pesticides ; or, non seulement votre société lui a répondu qu'il devrait suivre toute la procédure de certification, alors qu'il n'a jamais utilisé de pesticides, mais vous avez également décliné son invitation et personne n'est venu chez lui faire les tests qu'il demandait. Pourquoi, lorsque le sol ou les cultures n'ont jamais été traités, faut-il toujours en passer par la procédure lourde de certification ?

M. Marcel Deneux. - Quel est l'équilibre comptable de votre société ? Les comptes de vos filiales sont-ils consolidés, en particulier ceux d'Enercoop ? Sont-ils publics ? Votre gouvernance, ensuite, est-elle innovante ? En matière de textiles et de cosmétiques, avec quelles entreprises travaillez-vous ?

Mme Odette Herviaux. - Écocert est une société très connue et dont les compétences sont unanimement reconnues. Cependant, comme Mme Didier, je me demande si l'effort n'est pas d'abord à faire sur le préventif, pour limiter les émissions carbone. De façon plus anecdotique, votre bâtiment protège bien du froid et du bruit, mais la paille et le bois qui le composent sont-ils protégés de ces petits rongeurs et autres prédateurs que nous avons dans nos campagnes ?

M. William Vidal. - Nous n'avons pas de lien direct avec les agences de notation : notre démarche est complémentaire de la leur, puisque la notation raisonne sur des moyennes alors que dans la certification, tous les critères sont renseignés - mais notre approche n'est pas prise en compte, ce que je ne peux que regretter. Écocert, ensuite, ne construit pas de bâtiments : nous avons recouru pour le nôtre à des architectes et à des artisans.

Je suis bien d'accord avec vous : mieux vaut prévenir que guérir, limiter les émissions de carbone plutôt que de ne chercher qu'à les compenser. Cependant, nous devons agir par tous les leviers pour atteindre une économie véritablement décarbonée - car elle exige des changements de comportements en profondeur, la promotion de nouvelles valeurs qui ne sont pas nécessairement celles de la décroissance, mais bien celles de la croissance du bien être décarboné. L'inertie est grande, économique, culturelle, et tout simplement humaine face au changement : nous contribuons à faire changer les esprits et les comportements. Réduisons donc les émissions de carbone autant que nous pouvons, et compensons celles que nous émettons, c'est le sens de notre travail.

Pourquoi le marché des quotas d'émissions ne fonctionne-t-il pas ? D'abord parce que la valeur des quotas s'est effondrée avec la crise, ce qui a en quelque sorte incité à polluer, voire à thésauriser des droits pour les revendre plus tard. Ensuite, parce que la possibilité même de spéculer sur les droits à polluer est peu compatible avec l'objectif du système, qui est de limiter la pollution. Au contraire, la compensation est bien effective, directe, dans le sens de l'objectif poursuivi.

Nous tâchons de répondre à toutes les demandes et nous nous déplaçons sur site autant que possible, Madame Sittler, et je regarderai le cas d'espèce. Cependant, la règle est effectivement celle-ci : dès lors qu'un sol a été mis en culture, la procédure de certification s'impose ; c'est seulement pour les prairies et autres sols non cultivés, que cette procédure est allégée.

Enercoop, Monsieur Deneux, n'est pas notre filiale, c'est une association à laquelle nous achetons notre électricité. Nos comptes sont consolidés et déposés, conformément au droit commun. Notre gouvernance n'est pas spécialement innovante, même si nous tâchons d'associer les salariés et de débattre avec eux de la stratégie et de la gestion, et si nous avons des projets d'intéressement, en cours d'examen.

M. Marcel Deneux. - Pourquoi avoir créé une société anonyme, et pas une coopérative ?

M. William Vidal. - J'ai commencé sous statut associatif, mais nous avons ensuite rencontré des problèmes pour la prise de décision - il m'a fallu parfois prendre des décisions très importantes en cinq minutes - et pour la responsabilisation des salariés.

S'agissant du textile et des cosmétiques, nous travaillons avec toutes sortes d'entreprises...

M. Marcel Deneux. - Par exemple ?

M. William Vidal. - L'Oréal, M.A.C... la plupart des fabricants ont une ligne bio...

M. Marcel Deneux. - Certes, mais le bio représente moins de 2% du chiffre d'affaires de L'Oréal...

M. William Vidal. - C'est vrai. Côté textile, nous travaillons avec des entreprises indiennes, et en France sur la transformation du coton et sur le textile recyclé...

M. Marcel Deneux. - Rien sur le lin ni le chanvre ?

M. William Vidal. - Rien encore, mais nous sommes preneurs !

M. Henri Tandonnet. - De quelle manière assurez-vous l'indépendance de vos collaborateurs pour garantir la qualité de vos prestations ? Existe-t-il par exemple une charte pour éviter les conflits d'intérêts ?

M. Rémy Pointereau. - Vous avez évoqué la perspective d'une fonte totale de la calotte glacière à l'horizon 2016. Je souhaitais simplement vous faire part de mon étonnement, tant cette échéance me paraît proche !

M. William Vidal. - C'est ce que prédisent certains experts !

M. Marcel Deneux. - Je crois qu'il y a une confusion entre la fonte de la calotte glacière et celle de la banquise !

M. William Vidal. - Pour en revenir à la question posée par M. Tandonnet, je vous confirme que nous sommes engagés dans une démarche qui garantit l'indépendance des membres de nos équipes. A titre d'illustration, nos employés ne peuvent exercer d'autres activités économiques et ne peuvent être recrutés pour exercer à la fois des opérations de contrôle et des opérations de certification.

M. Raymond Vall, Président. - Je tiens à remercier M. Vidal pour son exposé très complet et les réponses apportées à nos questions. Je laisse maintenant la parole à M. Alain Canet, Président de l'Association française d'agroforesterie.

M. Alain Canet, président de l'Association française d'agroforesterie. - Je suis en effet le Président de l'Association française d'agroforesterie, une association professionnelle née de la volonté de paysans précurseurs qui s'investit dans des missions de conseil, de diagnostic, d'information et d'éducation, de concertation et de recherche et développement.

L'arbre est utile et nécessaire partout. Tout comme la ronce, berceau du chêne, l'arbre est d'ailleurs capable de naître et de pousser spontanément en tous lieux, comme par exemple sur les bords de routes. Notre association essaie d'expliquer le rôle et l'intérêt d'une valorisation de cette végétation spontanée au travers d'une régénération naturelle assistée.

L'arbre agroforestier, planté hors forêt, n'a rien à voir avec l'arbre forestier. Cet arbre devient plus « efficace » qu'en forêt. Le ré-arbrement des campagnes, autrement dit le boisement des terres agricoles, est donc l'un des objectifs de l'agroforesterie, qui permet d'imiter l'écosystème forestier en dehors des forêts. Il s'agit d'aboutir à un juste équilibre entre des milieux trop boisés et d'autres qui ne le sont pas suffisamment.

Aujourd'hui, le modèle agricole dominant repose sur des sols cultivés qui sont labourés : c'est là le drame de l'agriculture. L'introduction de rangées d'arbres sur des terres cultivées, par le biais de l'agroforesterie, permet au contraire de développer la pratique du semis direct sous couvert, de diversifier les productions, d'optimiser les cultures et la production de biomasse. Rappelons qu'une plante dans un sol en bonne santé n'a pas besoin d'être traitée. L'arbre assainit les zones humides et réhydrate les zones sèches. Il contribue à améliorer les sols et à lutter contre l'érosion. Les images qui vous sont projetées prouvent que le modèle agroforestier fonctionne sur des sols très variés, que ce soit dans des champs ou des vignes, et que l'on peut même récolter du blé sous des noyers, en dépit de la mauvaise réputation de ce type d'arbres ! Les études que nous avons réalisées démontrent que les arbres parviennent à développer des racines en dessous des cultures ; leur système racinaire peut même être deux fois plus développé ! Ces arbres plantés dans les champs résistent mieux à la sécheresse et au vent. Ils favorisent aussi le stockage de carbone, ce qui me semble particulièrement intéressant dans une période de changement climatique.

Mme Évelyne Didier. - Vous prêchez une convaincue, qui a bien conscience que les haies ne constituent pas des gênes mais des réserves pour les oiseaux. Il y a une vraie difficulté pour les élus locaux à faire comprendre l'intérêt écologique des aménagements agroforestiers à nos concitoyens, qui nous reprochent de ne pas entretenir les chemins communaux.

Ma question porte sur le dialogue que vous entretenez avec la FNSEA et les représentants des agriculteurs. Comment nourrir la planète sans recourir à une agriculture intensive ?

M. Rémy Pointereau. - Je m'interroge sur l'articulation entre l'agroforesterie et la technique du semis direct, qui dépend beaucoup des conditions climatiques. Certaines années il n'est pas possible de semer, l'eau pénétrant moins bien et les grains finissant par pourrir.

Je souhaiterais savoir comment vous traitez les intercultures et quelles essences d'arbres vous privilégiez. Quel usage faites-vous des broyeurs et ensileuses à branches ? Le bois récupéré est-il destiné à la méthanisation ou au chauffage ?

M. Alain Canet. - Les deux, selon les besoins du moment.

M. Rémy Pointereau. - Je relève enfin que les agriculteurs ont consenti à beaucoup d'efforts afin de replanter des haies, en réalisant que c'est un moyen de recréer des paysages. La prise de conscience s'est faite.

Mme Odette Herviaux. - Je milite de longue date en faveur de la replantation de haies dans mon territoire, en lien avec les instances agricoles régionales. J'ai constaté un changement progressif des mentalités et de premières plantations ont pu avoir lieu avec le soutien de la chambre d'agriculture.

La protection des zones humides est l'un des autres enjeux de l'agroforesterie. Les efforts viennent en premier lieu des gens sensibilisés, mais il s'agit maintenant d'aller au-delà, sans oublier de se mettre à la place des agriculteurs.

M. Alain Canet. - Nous sommes en train de créer le métier d'expert agro-forestier, pour tirer les leçons des erreurs commises par le passé...

Mme Odette Herviaux. - Qu'il n'aurait de toute façon pas été possible d'éviter avec la meilleure volonté du monde !

M. Alain Canet. - La création d'un statut d'agroforestier est une vraie nécessité ; mon rêve serait d'avoir un conseiller agroforestier au sein de chaque département, pour qu'existe un référent bien identifié. Quant à la productivité, elle s'explique par le développement d'un microclimat grâce à l'agroforesterie. S'agissant des essences utilisées, l'agroforesterie comprend tous les arbres champêtres.

Nous sommes actuellement une structure de taille modeste, avec seulement dix salariés dans le département du Gers dans le cadre de l'association « Arbre et Paysage 32 ». Sans bonne information, qui va pouvoir amener le message ? Il existe pourtant un vrai potentiel d'optimisation des ressources naturelles. D'un côté, l'arbre est bien visible, de l'autre, le carbone dans les sols ne l'est pas ; toute la valeur ajoutée de l'agroforesterie réside pourtant là.

Les producteurs n'ont pour la plupart pas vu arriver le sujet, alors qu'un dialogue constructif aurait été utile. Il existe des fondamentaux sur lesquels on peut travailler : l'arbre n'est pas la seule solution et il faut effectivement l'associer au semis direct. Les aléas climatiques font qu'un certain temps d'installation est nécessaire ; une aide à la transition serait d'ailleurs bienvenue. À l'évidence, nous n'avons plus les moyens de labourer et dans neuf cas sur dix, le labour n'apporte d'ailleurs rien.

M. Rémy Pointereau. - Cela dépend toutefois des types de sols.

M. Alain Canet. - C'est pourquoi il faudrait réinjecter des humus, donc de la vie.

Mme Esther Sittler. - Le sol a en effet une grande importance. J'ai le cas d'un maire qui dans un village où le terrain est vallonné a essuyé plusieurs coulées de boues. Le phénomène de ruissellement était dû aux agriculteurs extérieurs qui continuaient de labourer. Ceux du village avaient compris l'intérêt de ne plus le faire, ce qui avait mis un terme aux coulées de boues.

M. Alain Canet. - Dans le modèle de l'agroforesterie, on ne récolte pas moins de blé. Tous les types de cultures peuvent être plantés entre les arbres. Il peut aussi y avoir des réseaux de semis directs, avec là encore aucune contre-indication.

M. Rémy Pointereau. - Qu'en est-il des agents herbicides ?

M. Alain Canet. - Il existe des moyens pour protéger l'arbre. Nous avons un taux de réussite de 97 % de reprise.

Globalement, le contrat signé ne pose pas de problème particulier dans la plantation d'arbres agroforestiers. Il ne faut pas oublier qu'un sol vivant est la garantie de plantes en bonne santé.

Mme Odette Herviaux. - Un autre point concerne l'impact sur la biodiversité et les animaux - lapins, lièvres, chevreuils, etc. L'agroforesterie constitue un refuge pour les gibiers, qui seraient sinon dans les champs de luzerne la proie des machines et pièges. 80 % des naissances de l'année disparaissent en l'absence de ces abris que sont les haies agroforestières.

M. Alain Canet. - La question de l'abeille se pose également. L'agroforesterie influe directement sur la quantité de nectar de pollen récoltée, grâce à une nourriture disponible toute l'année. Et nous savons combien ces insectes sont utiles à notre écosystème.

M. Henri Tandonnet. - L'agroforesterie est une façon de rassembler les acteurs et doit devenir partie intégrante de la politique d'un territoire. Elle peut trouver sa place dans les missions des collectivités territoriales s'agissant de l'entretien des voiries.

Je m'interroge sur les liens entre l'agroforesterie, la PAC et les mesures environnementales. Cette nouvelle conception est-elle déjà prise en compte par les politiques publiques ou existe-t-il encore des obstacles règlementaires ? Vous avez parlé des ensileuses à branches, y a-t-il une partie branches et une partie herbes ?

M. Alain Canet. - Nous sommes en train de chercher des partenaires, notamment dans le cadre du programme Excelsior, qui vise à la mise en place d'une régénération naturelle assistée des bandes enherbées. L'axe principal du plan repose sur le machinisme avec des systèmes comprenant une tête récolteuse et un bras d'épareuse. L'herbe récoltée est réinjectée dans le milieu après méthanisation.

Les obstacles règlementaires sont à ce jour quasiment levés. Dans la prochaine programmation de la PAC, l'agroforesterie fera officiellement son apparition. Nous souhaitons également une remise à plat du dialogue entre les deux ministères responsables du sujet, le ministère de l'écologie et le ministère de l'agriculture. Il s'agit d'une question transversale et l'appui des élus permettrait d'accélérer le développement de la filière agroforestière.

M. Raymond Vall, président. - Je suis très impressionné par la passion mise au service de votre métier et votre implication personnelle dans le Gers.

Mme Odette Herviaux. - Je partage votre constat en ce qui concerne le manque d'une véritable culture de chef de projet, qui serait pourtant nécessaire pour donner une visibilité et une efficacité accrue à votre action.

Mme Évelyne Didier. - Il y a en effet une vraie nécessité de convaincre les acteurs locaux de l'intérêt de l'agroforesterie, par exemple en Meurthe-et-Moselle où je suis élue locale.

M. Alain Canet. - D'autant que dans l'agroforesterie, les emplois créés deviennent très vite rentables.

M. Émile Moralès, directeur général de LM Consulting. - Je m'exprime en tant qu'auditeur ayant du recul sur ces questions. L'agroforesterie ne doit pas être un moyen de s'acheter une virginité. Les investissements servent à résoudre un certain nombre de problèmes. Il faut savoir cumuler des objectifs larges et ambitieux dans ce domaine, ce qui confine parfois au voeu pieux. Avec des projets emprunts de bon sens et simplicité, des actions volontaires et courageuses, l'agroforesterie doit permettre une conversion progressive des mentalités.

M. William Vidal. - Je vous remercie de nous avoir accueillis cet après-midi, pour partager avec vous nos convictions et intuitions sur le sujet. Certes, du côté politique, nous trouvons parfois que les décisions mettent du temps à arriver. Mais nous espérons en tout cas vous avoir convaincus. Car sans vous, nous irons beaucoup moins vite ; nous avons besoin de vous pour nos projets.

M. Raymond Vall, président. - Vous nous avez beaucoup enrichis et nous sommes désormais conscients des enjeux considérables de ce secteur. Je vous confirme notre engagement à vos côtés. Je pense que toute la commission a été convaincue du bien-fondé des objectifs ambitieux qui sont les vôtres.