Mardi 22 janvier 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président, et de M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois -

Répertoire national des crédits aux particuliers - Examen du rapport d'information

Au cours d'une réunion commune ouverte aux membres de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, la commission des affaires économiques et la commission des lois examinent le rapport d'information sur le répertoire national des crédits aux particuliers.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Nous sommes réunis pour entendre la présentation du rapport du groupe de travail et autoriser sa publication. Ce groupe de travail résulte d'un engagement pris en séance en décembre 2011 à l'occasion de l'examen du projet de loi consommation dont le rapporteur était, pour la commission de l'économie, Alain Fauconnier, et le rapporteur pour avis de la commission des lois, Mme Nicole Bonnefoy. Il renvoie à un débat récurrent sur le surendettement et les moyens d'y remédier. Ainsi, je me souviens que, déjà, lors de la discussion du projet de loi dite « Lagarde », la ministre de l'économie s'alarmait du risque d'une restriction excessive du crédit lié à la création d'un fichier positif, et qu'on lui opposait, en retour, le problème de l'afflux massif des dossiers de surendettement. On a aussi parfois évoqué la nécessité de dissocier les cartes de fidélité et les cartes de crédit proposées par les grandes enseignes.

Le débat que nous allons ouvrir grâce aux travaux du groupe nous permettra d'examiner les arguments en faveur de la création d'un fichier positif des crédits et les objections qui sont apportées, ainsi que les grandes lignes d'un dispositif éventuel si sa création devait être proposée par le futur projet de loi relatif aux droits des consommateurs.

M. Alain Fauconnier, co-rapporteur. - Lors des débats en décembre 2011 sur le projet de loi « Lefebvre » renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs, trois amendements émanant de différents groupes proposaient, selon des modalités différentes, la création d'un répertoire national des crédits aux particuliers, autrement appelé « fichier positif », dans le but de lutter contre le surendettement. Ces amendements n'ont pas été adoptés, compte tenu des difficultés que soulevait cette question, mais un groupe de travail regroupant quatre commissions a été constitué pour étudier l'opportunité et les conditions de mise en place du fichier positif.

Nous avons conduit de nombreuses auditions et effectué plusieurs déplacements, dont un à Bruxelles pour bien comprendre le fonctionnement de la centrale belge des crédits aux particuliers, qui sert souvent de référence aux promoteurs français du fichier positif et aux réflexions conduites en France sur le sujet.

Au sein du groupe, nous sommes également partagés sur l'opportunité de créer un fichier positif. Dans ces conditions, le groupe de travail n'a pas adopté de conclusions, mais se borne à apporter sa contribution au débat et à la décision, en énonçant les arguments en faveur comme opposés et en précisant les modalités d'un éventuel fichier si celui-ci venait à être créé.

La décision de principe a été prise par le Gouvernement, puisque le Premier ministre a indiqué, en clôture de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté le 11 décembre 2012, qu'un registre des crédits aux particuliers serait créé à l'occasion du prochain projet de loi sur la consommation. Pour autant, le Gouvernement ne sous-estime pas les difficultés que présente ce projet, puisque Benoît Hamon, ministre chargé de la consommation, a déjà indiqué lors de débats parlementaires récents qu'il fallait imaginer un dispositif simple et respectueux de la vie privée, ce qui justement n'est pas simple.

Ce sujet est débattu depuis les années 1980, en particulier à l'occasion de la « loi Neiertz » de 1989 relative au surendettement, qui a créé un « fichier négatif », c'est-à-dire le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, le FICP, géré par la Banque de France.

Un « fichier positif » enregistre tous les contrats de crédit en cours, crédit immobilier ou crédit à la consommation, crédit amortissable ou crédit renouvelable, indépendamment de la survenance d'un incident de paiement. Compte tenu du rôle du crédit, notamment de l'excès de crédit, dans le phénomène de surendettement, l'objectif du fichier positif est de prévenir le surendettement en empêchant d'octroyer le « crédit de trop ». Le banquier ou la société de crédit pourra constater en consultant le registre que son client a déjà un niveau élevé d'endettement. Le débat porte justement sur l'efficacité du registre des crédits dans la prévention du surendettement, compte tenu de son coût et du nombre de personnes enregistrées. Le crédit n'est pas le facteur exclusif d'explication du surendettement, il y a aussi ce qu'on appelle les « accidents de la vie », qui conduisent à une perte de revenus face aux charges financières ou de la vie courante : chômage, divorce, veuvage et même retraite.

La Banque de France, qui est très réticente à la mise en place de ce registre des crédits et qui gère les commissions de surendettement, nous a indiqué que le registre permettrait d'éviter selon elle seulement 20 à 30 000 cas de surendettement par an, sur un total d'environ 220 000, à comparer au « fichage » d'environ 25 millions de personnes titulaires d'un crédit. La Cour des comptes montre dans un rapport de 2009 que les études statistiques sur le phénomène de surendettement sont trop rudimentaires pour en comprendre les causes, de sorte que la distinction entre surendettement actif, par accumulation de crédit, et passif, dû aux accidents de la vie, ne permet pas de rendre compte de la réalité du phénomène. Dans ces conditions, il est difficile d'apprécier l'impact réel du fichier positif sur le surendettement.

Ceci étant dit, un tel registre serait objectivement un outil utile d'aide à l'analyse de la solvabilité de l'emprunteur par le prêteur. Il donnerait une information exhaustive et fiable sur son niveau d'endettement et ses charges de crédit. On sait qu'il n'est pas rare qu'un emprunteur omette, pas toujours sciemment bien sûr, de déclarer les crédits qu'il a déjà souscrits lorsqu'il demande un nouveau crédit, a fortiori lorsqu'il est déjà très endetté. Certains considèrent que le fichier positif donnerait un accès plus facile au crédit classique pour des ménages modestes qui en sont aujourd'hui généralement exclus.

Le fichier positif est revenu régulièrement dans les débats parlementaires depuis plus de vingt ans. Le débat a été très important au moment de la « loi Lagarde » de 2010 réformant le crédit à la consommation. Le Sénat avait adopté un amendement prévoyant la remise d'un rapport sur l'opportunité et les modalités de création d'un registre des crédits, l'Assemblée nationale a modifié cette disposition pour la limiter aux modalités. En effet, la ministre Christine Lagarde considérait que le principe de la création du fichier positif était politiquement acquis et qu'il s'agissait désormais d'en prévoir les modalités.

La « loi Lagarde » a donc prévu la mise en place d'un comité de préfiguration du registre, qu'on appelle « comité Constans », du nom de son président Emmanuel Constans, par ailleurs président du Comité consultatif du secteur financier. Le comité Constans a remis ses conclusions en 2011. Il propose que soient recensés dans un registre géré par la Banque de France tous les crédits, y compris les autorisations de découvert de plus de trois mois, avec une reprise du stock des crédits en cours. Il prévoit une obligation d'alimentation du registre à la charge des établissements de crédit et une obligation de consultation à la charge des mêmes avant toute offre de crédit. Pour en garantir la fiabilité, il propose que l'identifiant utilisé pour alimenter et consulter et permettant d'identifier chaque personne soit dérivé du NIR, c'est-à-dire le numéro de sécurité sociale, mais pas le NIR directement pour tenir compte des réserves de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) : on parle de NIR avec « double hachage ». Enfin, le financement est assuré par la consultation payée par les établissements de crédit. Un comité de gouvernance est prévu. Le comité Constans prévoit un coût d'investissement de 15 à 20 millions d'euros pour la Banque de France et un coût annuel de fonctionnement de 30 à 35 millions. Le coût d'investissement pour les établissements de crédit est évalué entre 525 et 820 millions, ce qui paraît excessif.

Les travaux du comité Constans ont servi de point de départ à notre réflexion, de même qu'une étude de droit comparé que nous avons demandée au service compétent du Sénat. Cette étude a porté sur l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni et la Suisse. Elle montre qu'il n'existe pas de modèle unique en Europe, étant entendu qu'aucun texte n'existe ou n'est prévu dans ce domaine par l'Union européenne : parfois il existe un fichier positif unique dont la gestion est publique, dans d'autres cas un fichier public coexiste avec des fichiers privés, dans d'autres cas encore plusieurs fichiers privés sont concurrents, dans un cadre légal très variable d'un pays à l'autre. Parfois le fichier comporte des informations qui dépassent la sphère du crédit (téléphonie mobile par exemple). En tout cas la prévention du surendettement est rarement l'objectif affiché de ces fichiers, il s'agit plutôt de fiabiliser des informations sur l'endettement d'un consommateur accessibles aux prêteurs, à d'autres professionnels ou encore aux bailleurs. Tout ceci figure dans le rapport.

En Belgique, où nous nous sommes rendus avec Nicole Bonnefoy, un fichier négatif géré par la Banque nationale de Belgique existe depuis les années 1980. Une loi de 2001 a institué la centrale des crédits aux particuliers, qui a repris les données du fichier négatif (incidents de paiement et données sur les procédures de médiation de dettes, équivalentes de nos procédures de surendettement) et recense tous les crédits. Sont mentionnés l'état civil de l'emprunteur, le prêteur, le type de crédit, le montant de la mensualité, la durée... Les prêteurs doivent, sous peine de sanctions, alimenter la centrale et la consulter avant toute offre de crédit. Des délais légaux de conservation sont prévus. Un comité d'accompagnement de la centrale contrôle son fonctionnement, avec des représentants des banques et des consommateurs notamment.

Aujourd'hui 6 millions de personnes sont enregistrées pour 11 millions de crédits, soit les trois quarts de la population adulte. Il a fallu deux ans à compter de l'adoption de la loi pour que la centrale soit pleinement opérationnelle, y compris avec la reprise du stock des crédits en cours, avec un coût de fonctionnement raisonnable de moins de 5 millions d'euros par an.

L'identifiant retenu en Belgique est l'équivalent du NIR, mais il ne comporte que la date de naissance, alors que le NIR intègre d'autres données personnelles. Selon les personnes que nous avons rencontrées à Bruxelles, l'utilisation de ce numéro national d'identification garantit la fiabilité absolue du système et n'a pas posé de problème de principe, pour des raisons de mentalités sans doute, alors que c'est un point d'achoppement en France. De fait, il n'y a pas à la Banque nationale de Belgique, contrairement au service de la Banque de France qui gère le FICP à partir de données d'état civil, de personnels chargés de vérifier les données d'état civil fournies par les établissements de crédit pour garantir la fiabilité des enregistrements. Enfin, les risques de consultation illicite de la centrale semblent très faibles, à l'inverse des risques d'utilisation détournée des données par les consommateurs eux-mêmes, pour répondre par exemple à un bailleur dans le cadre d'une location.

Les banques belges sont aujourd'hui satisfaites, alors qu'elles étaient hostiles au départ pour des raisons d'organisation du marché et de concurrence. Pour améliorer leur analyse de solvabilité, les banques demandent même à présent que d'autres impayés soient intégrés dans la centrale (téléphonie en particulier), ce que refusent les organisations de consommateurs, qui ont été moteurs dans la création de la centrale. Cependant, il n'y a pas eu d'étude pour mesurer l'impact de la création de cette centrale sur le phénomène de surendettement et le nombre de dossiers évités : on sait seulement que cela a permis de faire baisser le taux de défaillance dans le remboursement des crédits, mais à partir de 2008, début de la crise économique, la tendance s'est inversée. On ne connaît donc pas l'efficacité réelle de la centrale en matière de prévention du surendettement, alors que c'est son premier objectif.

Les auditions ont permis de confronter les points de vue.

Concernant les représentants des consommateurs, les deux grandes associations que sont UFC-Que Choisir et CLCV sont très hostiles, ainsi que les associations proches des organisations syndicales. L'association des usagers des banques est également hostile. En revanche, les associations familiales agréées pour la défense des consommateurs sont majoritairement favorables.

L'association bien connue CRESUS, qui accompagne des personnes surendettées, en partenariat parfois avec des banques, promeut depuis longtemps le fichier positif.

Concernant les banques et sociétés de crédit, la Fédération bancaire française, l'Association des intermédiaires bancaires et les grandes banques sont hostiles, disposant déjà d'importants fichiers clients et craignant peut-être son éventuel impact en termes de concurrence et d'évolution des parts de marché, ce qui ne s'est pas vérifié en Belgique. Certains établissements, nouveaux entrants parfois sur le marché du crédit à la consommation ou filiales de la grande distribution, sont en revanche favorables au fichier. L'Association française des sociétés financières, qui regroupe les sociétés spécialisées dans le crédit, n'a pas d'avis officiel, ses adhérents étant partagés.

Les représentants du commerce et de distribution sont favorables au fichier positif.

Les représentants des professions juridiques sont favorables, qu'il s'agisse des avocats, des notaires ou des magistrats, les huissiers semblant plus réservés. A cet égard, l'Association nationale des juges d'instance considère qu'un fichier permettrait d'engager plus facilement la responsabilité d'un prêteur qui accorde un crédit trop facilement et accroît les difficultés financières de l'emprunteur, dont il peut toujours aujourd'hui invoquer la mauvaise foi.

La Banque de France est quant à elle très hostile à la création d'un registre des crédits, considérant que son efficacité sera réduite face au surendettement, pour un coût très élevé. A tout le moins souhaiterait-elle, si le registre était créé, pouvoir utiliser le NIR directement, au vu de son expérience difficile de gestion du FICP, qui fonctionne à base de données d'état civil pour identifier et repérer les personnes enregistrées.

Enfin, la CNIL exprime depuis longtemps des réserves de principe sur la création du fichier. Elle est à l'origine de l'identifiant proposé par le comité Constans, le NIR avec « double hachage », de façon à ce que le NIR en tant que tel demeure utilisé uniquement dans la sphère de la sécurité sociale, au nom du principe de cantonnement des identifiants pour une meilleure protection des données personnelles et du refus des identifiants à large périmètre. La CNIL avait d'ailleurs refusé en 2007 à une société commerciale l'autorisation de créer un fichier positif privé en agrégeant des données issues de fichiers bancaires.

Je vous exposerai les modalités d'un éventuel dispositif possible après la présentation par André Reichardt et Nicole Bonnefoy des arguments pour et contre la création d'un fichier positif.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Quatre séries d'arguments paraissent plaider en faveur de la création d'un fichier positif des crédits.

Le premier argument part d'un constat : des dispositifs similaires existent dans d'autres pays européens et le droit européen incite à leur mise en place. En outre, on observe d'ores et déjà en France la multiplication de fichiers privés présentant les mêmes caractéristiques dans les mains de groupes bancaires importants. Un fichier positif national serait de nature à placer l'ensemble des opérateurs de crédit sur un pied d'égalité, ce qui permettrait en particulier de favoriser le développement des nouveaux entrants sur ce marché, notamment les entreprises de crédit solidaire.

Deuxième série d'arguments : les objections à la création d'un fichier positif des crédits ne semblent pas probantes. Ainsi, l'argument selon lequel le fichier ne servirait à rien, le surendettement trouvant plus sa cause dans les accidents de la vie que dans l'accumulation des crédits, est contredit par le fait qu'entre octobre 2011 et septembre 2012, le nombre de dossiers de surendettement a légèrement baissé. En effet, on peut raisonnablement considérer qu'en cette période de crise économique, les accidents de la vie n'ont pas diminué et qu'il faut plutôt attribuer cette baisse à l'entrée en vigueur des dispositifs de la « loi Lagarde » sur l'encadrement du crédit.

L'objection de la disproportion entre l'objet et les effets du fichier positif ne paraît pas non plus devoir être retenue. Le dispositif concernera certes 25 millions d'emprunteurs pour 220 000 personnes surendettées. Mais il évitera la fragilisation financière des classes moyennes qui recourent parfois à la « cavalerie financière » pour échapper à l'incident de paiement.

Les craintes liées à l'atteinte portée à la vie privée ou au détournement mercantile du fichier ne paraissent pas plus fondées. De nombreux intervenants ont rappelé au cours des auditions que d'ores et déjà, les individus étaient soumis à un recueil de leurs données personnelles beaucoup plus important, à l'ère des technologies de l'information et de la communication. En outre, il suffira de prévoir des sanctions suffisamment lourdes contre les utilisations dévoyées du fichier. J'ajoute que ce dispositif devrait finalement être moins intrusif que d'autres solutions défendues par ceux qui s'y opposent, comme la consultation de fichiers spécifiques de charges personnelles ou d'impayés, ou celle des trois derniers relevés bancaires de l'intéressé.

Troisième argument en faveur du fichier positif : il sera un signal d'alerte automatique. Il responsabilisera les prêteurs et les emprunteurs sur les engagements qu'ils souscrivent. Il suffira en effet de subordonner la délivrance du prêt à la consultation du fichier. Trop souvent, les emprunteurs dissimulent leur situation : le fichier les protègera. On s'étonnerait à juste titre que le Sénat, prompt à défendre la sécurité dans de nombreux domaines, s'abstienne de le faire en cette matière. Le fichier aura un rôle préventif.

Enfin, dernier intérêt de ce dispositif : il serait possible, dans un souci de rationalisation, de le fusionner avec le fichier des incidents de remboursement de crédit aux particuliers (FICP), au bénéfice de la prévention et du traitement des difficultés de remboursement de crédit.

Mme Nicole Bonnefoy, co-rapporteur. - Il me revient d'exposer les arguments qui militent contre la création d'un tel fichier positif.

Une première série d'arguments nous vient des associations de consommateurs, qui sont, dans leur grande majorité, hostiles à la création d'un tel fichier ; c'est notamment le cas des deux plus importantes d'entre elles - UFC-Que Choisir et CLCV. Ces associations estiment tout d'abord qu'il faut prendre le temps d'évaluer, dans le long terme, les effets de la « loi Lagarde ». Par ailleurs, elles font valoir que les sociétés de crédit n'évaluent pas suffisamment la solvabilité d'un emprunteur avant d'octroyer un crédit à la consommation, et que les contrôles de la DGCCRF et de l'Autorité de contrôle prudentiel sont insuffisants. En outre, elles s'inquiètent des éventuels usages détournés d'un fichier positif. L'essentiel du surendettement, soulignent-elles, ne résulte pas de l'excès de crédit mais des accidents de la vie. Pour elles, le problème de fond posé par le surendettement réside dans le développement d'une société d' « hyperconsommation », qui incite à consommer toujours plus et qui, pour cela, a besoin de développer et de faciliter le crédit. Or, le pouvoir d'achat stagne aujourd'hui, rendant l'achat à crédit plus attractif. C'est une augmentation des salaires, plutôt qu'un développement du crédit, dont notre société a besoin.

Je développerai une deuxième série d'arguments, qui a trait aux informations disponibles sur la solvabilité des emprunteurs. Les données qui figureraient dans un tel fichier positif ne sauraient suffire pour évaluer véritablement la capacité d'une personne à rembourser un crédit : en effet, pour apprécier de façon sérieuse la capacité de remboursement d'un emprunteur, il convient non seulement d'analyser ses revenus et son patrimoine, mais également ses autres charges - locatives, fiscales, dépenses contraintes, etc. - qu'il ne saurait être question d'intégrer dans un fichier positif. Aucune des personnes entendues par notre groupe de travail n'a d'ailleurs préconisé d'enregistrer de telles informations, alors même qu'elles sont nécessaires pour évaluer la réelle solvabilité de l'emprunteur.

La troisième série d'arguments est relative aux pratiques commerciales inadéquates que l'on peut observer chez certains prêteurs. Notre groupe de travail s'interroge en particulier sur le caractère sérieux d'opérations effectuées par certains prêteurs, en particulier dans le cadre de crédits souscrits sur le lieu de vente. De ce point de vue, il nous semble que la mise en oeuvre d'un fichier positif n'aurait guère d'impact sur les pratiques irresponsables de certains prêteurs. Il conviendrait plutôt de renforcer le contrôle des pratiques commerciales, ce qui suppose d'en donner les moyens à la DGCCRF, et de fournir un effort supplémentaire de formation des salariés concernés, dans les sociétés de crédit comme chez les commerçants. Est également mis en cause le mode de rémunération des vendeurs de certains magasins, intéressés à la vente d'un crédit autant qu'à la vente d'un bien de consommation... A l'évidence, la création d'un fichier positif ne saurait résoudre ces difficultés.

Quatrième série d'arguments : la réalité de l'impact du fichier positif sur le surendettement est très sujette à caution, en raison même de la multiplicité des causes du surendettement. Une large majorité des parcours d'endettement puis de surendettement s'expliquent par des aléas de la vie, qui se traduisent par une chute brutale des revenus et donc des capacités de remboursement, ainsi que par une progression insuffisante du pouvoir d'achat et des salaires, dans un contexte économique difficile, alors que la société de consommation incite à acquérir des produits de plus en plus coûteux. Selon les enquêtes menées par la Banque de France depuis dix ans, la part des dossiers de surendettement liés à un accident de la vie est en progression constante. Le nombre de dossiers dans lesquels le surendettement a pour seule et unique cause un recours excessif au crédit n'était que de 13 % en 2010. Et, de ce point de vue, force est d'admettre qu'un fichier positif n'aura jamais la réactivité suffisante pour empêcher un acheteur compulsif de souscrire plusieurs crédits dans la même journée.

Je souhaite également insister sur les risques d'utilisation détournée des données. Comme le montre l'exemple de la centrale belge des crédits, il est techniquement possible de procéder à des consultations du fichier à des fins autres que celles prévues par la loi, sans que cela soit repérable en cas de consultations isolées. Il n'est donc pas possible d'exclure toute utilisation détournée des données du fichier. Un prêteur pourra, par exemple, à des fins commerciales, chercher des personnes peu endettées, même si cette finalité est interdite par la loi. Par ailleurs, des bailleurs ou des créanciers divers pourraient être tentés de demander à une personne de fournir un état de son endettement tel qu'il figure dans le fichier afin d'apprécier sa solvabilité, alors même que la loi l'interdirait. Cette possible dérive n'est pas un cas d'école : elle a été observée en Belgique en matière d'accès à la location et au logement.

On ne peut pas non plus écarter les risques d'atteinte à la vie privée. C'est une question sensible dans l'opinion publique française. Enregistrer dans un fichier, même géré par la Banque de France ainsi que le préconise le rapport du comité Constans, des données sur les crédits de 25 millions de personnes pose une difficulté sérieuse, a fortiori si l'emprunteur ne dispose d'aucun droit d'opposition à l'enregistrement de ses données personnelles. Contraintes de figurer dans ce registre, la très grande majorité des personnes enregistrées ne présenteront sans doute jamais de difficulté de remboursement de crédit ou de situation de surendettement. Par exemple, les données d'une personne inscrite pour un seul crédit immobilier pourront être conservées pendant trente ans. L'atteinte à la vie privée dans cette hypothèse nous paraît manifeste.

Je terminerai en mettant en avant la question de la proportionnalité. La création d'un fichier positif soulève la question de la disproportion entre les moyens employés et l'utilité du dispositif : disproportion manifeste liée au coût et à la lourdeur technique d'un tel fichier ; disproportion manifeste, également, entre les moyens déployés et les atteintes à la vie privée, d'une part, et l'utilité réelle du fichier au regard de l'objectif poursuivi, à savoir la prévention du surendettement. Je souligne que cette question de la proportionnalité se pose également sur le terrain constitutionnel : dans sa décision de mars 2012 sur la loi relative à la protection de l'identité, le Conseil constitutionnel a censuré un traitement de données à caractère personnel destiné à recueillir et conserver les données requises pour la délivrance de la carte nationale d'identité et du passeport - autrement appelé « fichier d'identité biométrique » car il devait comporter, outre l'état-civil et le domicile du titulaire, sa taille, la couleur de ses yeux, deux empreintes digitales et sa photographie. Le Conseil a rappelé sa jurisprudence en la matière : « la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ». En tout état de cause, c'est à l'aune de cette jurisprudence qu'il faut analyser la possible création du fichier positif, qui devrait être justifié « par un motif d'intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ».

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Je propose de donner la parole aux autres membres du groupe de travail.

M. Alain Fauconnier, co-rapporteur. - Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je dirai d'abord quelques mots sur les modalités que pourrait revêtir un éventuel registre positif, avant de laisser la parole à nos collègues pour qu'ils nous donnent leur position sur ce sujet.

Je résumerai les deux axes de notre rapport sur ce point. Le premier impératif est d'asseoir le fichier sur des fondations solides pour réussir sa phase de lancement. Nous avons également envisagé des recommandations sur une seconde phase d'évolution et d'unification des registres positif et négatif.

En premier lieu, notre exigence fondamentale est de ne pas créer une « usine à gaz ». Il est vrai qu'à la lecture du rapport Constans, on peut avoir quelques craintes...

Je présenterai d'abord nos recommandations pour garantir l'intégrité du registre et optimiser son coût ainsi que les délais de sa phase de lancement.

Quatre sujets sont sur la table. Tout d'abord -et nous sommes unanimes sur ce point- la gestion du fichier devrait être confiée à la Banque de France ; il est hors de question à notre sens d'en confier la gestion à un organisme privé. Jusqu'à présent, les fichiers privés se sont développés de façon relativement opaque -certains banquiers nous ont même assuré qu'ils n'en avaient pas... Un registre national géré par la banque centrale offrira des garanties au consommateur et permettra peut-être à de nouveaux acteurs du crédit de proposer des prêts à des taux plus faibles.

S'agissant du contenu du registre, je rappelle que l'objectif est de déclencher un signal d'alerte automatique. A lui seul, le fichier positif ne permettra pas d'analyser en détail la solvabilité d'un emprunteur, sauf à y faire figurer toutes ses charges et ressources... Les études les plus récentes évoquent la possible valeur prédictive des impayés de charges de la vie courante, mais l'interconnexion des fichiers (crédit, téléphonie mobile, gaz, électricité) soulève des difficultés techniques et juridiques majeures : il n'est donc pas question pour nous d'aller sur ce terrain.

Enfin, la consultation du registre positif par l'établissement de crédit serait obligatoire avant toute conclusion de prêt. Il y a va, naturellement, de l'efficacité du dispositif.

J'en viens à présent à la question de l'identifiant : c'est un sujet technique mais fondamental. Soyons précis : à l'heure actuelle, pour interroger le fichier dit « négatif » des incidents de paiement (FICP), on utilise la date de naissance et les cinq premières lettres du nom de la personne. Le résultat, c'est beaucoup d'homonymies, environ 7 % d'erreurs et une grande quantité de réclamations auprès de la CNIL. Notre collègue Jean-Paul Amoudry, vice-président de la CNIL, nous a indiqué que cela représentait quasiment 10 % de l'activité de ses services. Imaginons que le registre positif - qui contiendrait dix fois plus de personnes - suive la même méthode : la CNIL risquerait de se trouver totalement saturée ! A l'opposé, l'identifiant le plus fiable est le numéro de sécurité sociale, le NIR. Mais, comme vous le savez, les chiffres qui le composent en disent beaucoup sur la personne, son genre, son âge et son lieu de naissance. C'est pourquoi, tout en étant très favorable à l'utilisation de cet identifiant du point de vue de la fiabilité, la CNIL y est en revanche opposée du point de vue du respect de la vie privée. D'où l'idée de crypter ce numéro pour le rendre anonyme.

Ce choix expliquerait en grande partie le coût - largement excessif selon nous - de 500 à 800 millions d'euros que pourrait coûter le fichier positif pour les établissements de crédit, car il faudrait saisir pour chaque prêt déjà existant ce nouvel identifiant. En contrepartie, j'observe que l'expérience belge a démontré la fiabilité de l'utilisation du numéro de sécurité sociale : le taux d'erreur est infime et la centrale des crédits belge fonctionne très bien, avec une équipe de six personnes.

Quelles seraient les alternatives à ce choix présenté comme étant le plus fiable ? Notre collègue Valérie Létard nous parlera dans un instant du fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA). Cette alternative est contestée par le rapport Constans.

Quel serait le temps nécessaire pour la mise en place du registre ? Deux ans, nous dit-on, si on utilise le numéro de sécurité sociale, car il faudrait saisir ce dernier dans l'ensemble des dossiers de prêt existants. Une grande partie des 500 à 800 millions d'euros annoncés par les banques correspond au coût de cette saisie. Nous souhaiterions savoir quelle réduction de coût on pourrait attendre si l'on utilisait le FICOBA à la place du NIR.

Enfin, même si l'identifiant FICOBA présente l'avantage de ne pas interférer avec la sphère sociale, il est essentiel de tester et de mesurer les risques d'erreurs que comporterait cette solution.

Dans l'hypothèse où le recours au numéro de sécurité sociale apparaîtrait -chiffres à l'appui- comme la meilleure solution, le groupe de travail estime nécessaire d'évaluer précisément les inconvénients et les surcoûts imputables à son cryptage. En Belgique, l'homologue de notre CNIL avait également contesté, en 2001, l'utilisation de l'équivalent du NIR mais, à présent, le registre belge fonctionne sans recours au cryptage et cela ne suscite plus de critiques relatives à la protection des données personnelles. Si nous souhaitons suivre cet exemple, le Parlement français devra prendre ses responsabilités et prévoir une éventuelle exception au principe de cantonnement du NIR à la seule sphère sociale.

J'en viens aux grandes lignes de la deuxième phase de gouvernance et d'évolution du fichier positif. Tout d'abord, nous estimons nécessaire de bien distinguer la gestion du registre, dévolue à la Banque de France, et sa gouvernance. A travers ce fichier, nous traitons, en effet, d'un sujet qui se situe au carrefour du droit de la consommation, du droit social et du droit bancaire. De plus, le fichier positif sera sans doute amené à évoluer sur la base d'initiatives parlementaires ou associant le Parlement. Nous approuvons donc le principe de la création d'un comité de gouvernance, suggéré par le rapport Constans, tout en souhaitant qu'une place importante soit réservée aux élus de la nation et à la société civile dans la composition de ce comité. Concrètement, j'observe que, dans le passé, on a peut-être trop limité la problématique du surendettement à sa seule dimension bancaire alors qu'aujourd'hui, nos déplacements de terrain témoignent de la nécessité d'une meilleure prise en compte de sa dimension sociale. De façon analogue, le registre positif pourrait nous permettre de décloisonner l'analyse du « mal-endettement ».

L'une des principales missions de ce comité serait de préparer l'unification des registres négatif et positif. A plus long terme, ce comité pourrait réfléchir au perfectionnement de l'analyse de la solvabilité de l'emprunteur. Aujourd'hui, chez nos voisins européens, nous avons pu constater que l'idée selon laquelle les impayés de charges courantes sont des indicateurs précoces du surendettement progresse. Cela amène à réfléchir sur des solutions concrètes, à la fois respectueuses de la vie privée et de nature à renforcer l'efficacité du registre positif.

Mme Nicole Bonnefoy. - Pour terminer, l'ensemble de nos travaux nous ont convaincu d'une chose : au-delà de la question de savoir s'il faut ou non mettre en place un répertoire des crédits, il est certain que le répertoire des crédits n'est pas « LA » solution au problème du surendettement. Comme l'ont évoqué nombre de nos interlocuteurs, si l'on veut lutter efficacement contre ce phénomène, il est indispensable d'adopter des mesures permettant de progresser dans le sens à la fois d'une réelle responsabilisation des organismes prêteurs et de l'accompagnement des personnes en situation de surendettement.

La plupart de ces mesures ont déjà été évoquées dans le cadre du rapport sur l'application de la « loi Lagarde » de nos collègues Dini et Escoffier.

Concernant la responsabilisation des prêteurs, trois mesures ont souvent été citées par les associations de consommateurs et ont retenu notre attention.

Les deux premières concernent l'application effective de la « loi Lagarde ».

Il faut d'abord faire respecter l'obligation de remplir la fiche d'information, ou fiche de dialogue, imposée à tous prêteurs dans le cadre du crédit sur le lieu de vente ou par internet. Cette fiche est censée reprendre les revenus, les charges et les éventuels crédits de l'emprunteur et donc permettre une analyse de sa situation financière. Mais le constat est que cette fiche n'est souvent remplie que très sommairement. Pour remédier à cette situation, il est nécessaire de permettre à la DGCCRF de procéder à des contrôles anonymes.

Toujours concernant les crédits sur le lieu de vente ou par internet, la DGCCRF devrait pouvoir, par le biais de ses contrôles, faire respecter l'obligation pour les organismes prêteurs de proposer un crédit amortissable à la place d'un crédit renouvelable. Là aussi, la pratique, et notamment une enquête d'UFC-Que Choisir, a montré que cette alternative au crédit renouvelable n'était que rarement proposée.

Enfin, nous sommes en faveur de l'interdiction des cartes de fidélité couplées avec une carte de paiement qui sont souvent le moyen de contracter, sans vraiment le savoir, un crédit renouvelable.

Concernant l'accompagnement des personnes en situation de surendettement, nos travaux et notamment notre visite au sein d'une commission de surendettement nous ont montré que la prise en compte de l'aspect social du problème du surendettement était essentiel. Le constat est en effet souvent le même : au-delà d'un contexte économique et social difficile, les personnes qui sont en grande difficulté financière ne connaissent pas les plus simples règles de gestion d'un budget. Par ailleurs, leur suivi social est insuffisant.

Là encore, nous rejoignons les propositions faites par Mmes Dini et Escoffier. Il est nécessaire d'introduire des modules d'éducation budgétaire dans le cadre scolaire, de développer des instruments de détection des personnes en difficulté financière et de proposer un accompagnement budgétaire à ces dernières.

Il faut également instaurer une réelle articulation entre procédure de surendettement et suivi social, notamment en développant l'accompagnement social lors de la procédure ou en imposant un suivi social en cas de redépôt d'un dossier en commission de surendettement. À cet égard, notre déplacement en Belgique nous a permis de prendre connaissance de leur système de médiation de dettes, qui semble beaucoup mieux intégrer la procédure de surendettement dans un suivi social.

Enfin, la nécessité de développer le microcrédit social a été régulièrement mentionnée par les interlocuteurs du groupe de travail. Par définition plus accessible que le crédit classique, malgré un taux souvent élevé, il constitue aussi un outil de prévention du surendettement.

Mme Valérie Létard, co-rapporteur. - Je vais vous présenter la contribution que nous avons préparée, Hervé Marseille et moi, au nom du groupe UDI-UC.

Le groupe de travail est partagé sur la nécessité d'aller ou non jusqu'à la création d'un fichier positif. Je vais essayer de vous indiquer quelle est notre position sur cette question.

Je vais commercer par les arguments opposés à la création d'un fichier positif.

S'agissant de la nécessité d'un recul suffisant sur la « loi Lagarde », cette loi avait pour objet d'améliorer et de moraliser le crédit à la consommation. Mais ce type ne crédit n'étant qu'une composante de l'ensemble de la problématique du mal-endettement, un répertoire ne permettra pas, même amélioré, de prendre en compte l'ensemble de la question du mal-endettement. Si cet argument est fondé, il n'est pas suffisant.

Le deuxième argument est que le répertoire ne serait pas efficace pour prévenir les « accidents de la vie ». Certes il y a davantage d'accidents de la vie et moins de crédit à la consommation, pour autant, le répertoire peut être un outil de prévention supplémentaire.

Troisième argument : l'atteinte aux libertés. Cet argument peut s'envisager sous différents aspects. Il y a en effet un certain paradoxe à demander, en lieu et place d'un fichier dont les informations seraient vérifiées et uniquement accessibles en cas de demande de prêt, dont le fonctionnement serait supervisé par la Banque de France, la production des trois derniers relevés bancaires dans lesquels toute votre vie privée apparaît. En termes de confidentialité, je préfère un fichier dont le mésusage par les prêteurs serait sanctionné, y compris pénalement, ce qui est tout de même plus sécurisant que trois relevés bancaires sur lesquels défile toute votre vie.

Pour ce qui est de la difficulté à trouver un identifiant fiable et à consulter le fichier en temps réel, un nombre conséquent d'acteurs bancaires importants ont jugé que des aménagements techniques du FICOBA pourraient permettre, pour un coût raisonnable, de mettre en place un identifiant fiable, largement partagé par toute la place financière et permettant à terme également une intégration du FICP. J'y reviendrai.

En ce qui concerne la question du coût, l'exemple de la Belgique et les extrapolations qu'il permet, ainsi que les estimations de plusieurs établissements bancaires permettent de relativiser certains chiffres avancés par les associations professionnelles, notamment les 525 à 820 millions d'euros en investissement et 37 à 76 millions d'euros en fonctionnement.

Au sujet de la proportionnalité, je m'associe à ce qui a été dit précédemment. Ce raisonnement ignore l'objectif principal de la création du fichier qui est un objectif de prévention. Quel intérêt de s'intéresser aux 900 000 personnes déjà en commission de surendettement ? L'intérêt est de faire de la prévention pour les quelques millions de personnes qui ne sont pas encore dans ce dispositif, notamment à l'égard de ces classes moyennes dont le « reste à vivre » est de plus en plus faible et qui risquent de basculer dans le surendettement. Doit-on attendre qu'elles soient tombées dans le surendettement ou bien se doter avec le fichier positif, même si ce n'est pas l'alpha et l'oméga, d'un outil utile de prévention, complémentaire de la démarche d'accompagnement social ?

J'en viens maintenant aux arguments en faveur du répertoire.

Se centrer sur le surendettement, c'est passer à côté d'un problème majeur pour les classes moyennes : la prévention du mal-endettement.

Un nombre grandissant d'acteurs économiques et sociaux y sont favorables : notaires, juges d'instances, associations familiales, associations accompagnant les personnes en surendettement comme la fondation Crésus. Les associations de terrain estiment que la création du fichier positif est indispensable.

Au niveau des prêteurs, il est temps de constater que des fichiers existent et que certains rapprochements de fichiers sont déjà pratiqués de fait. Ne vaut-il pas mieux avoir, comme en Belgique, un fichier public, qui rendrait le marché du crédit plus concurrentiel au profit des consommateurs ?

Je le redis : la présentation des trois derniers relevés de compte ne peut apporter les mêmes garanties qu'un répertoire national des crédits.

Sur la question de la protection des données personnelles et de l'identifiant, la position de la CNIL a abouti à focaliser le débat sur un NIR « haché », complexe et coûteux. Il est temps d'étudier d'autres options. Celle d'un FICOBA amélioré et disponible en temps réel doit être envisagée d'une manière plus approfondie. Le FICOBA est en effet l'un des plus gros fichiers bancaires, 100 millions de comptes y sont recensés et il est d'ores et déjà soumis à de fortes demandes d'évolution pour contrôler notamment l'accès à l'épargne réglementée. Sa fiabilité est désormais assurée. Depuis 1998, la DGFIP procède aux inscriptions à réception de la déclaration de l'établissement bancaire qui a procédé à l'ouverture du compte, sa modification ou sa clôture. Les éléments d'état civil des personnes physiques sont certifiés par l'INSEE, qui signale également à la DGFIP toute modification. Les données sont donc vérifiées et non plus fondées uniquement sur les informations enregistrées par l'établissement bancaire qui procède à l'ouverture du compte. En outre, les marges d'erreur sont gérables et là encore le besoin d'interrogation préalable pour un nombre croissant de produits bancaires va aider à en assurer la fiabilité. L'investissement sera nécessaire pour tout le système bancaire. L'administration fiscale, qui l'utilise pour un nombre toujours plus large de produits réglementés, n'a pas signalé d'erreurs significatives. Le FICOBA présente donc l'avantage d'être un outil existant et permettant d'être utilisable très rapidement.

En outre, la mise en place d'un répertoire national des crédits ne fait pas obstacle à un renforcement de l'accompagnement social en vue de prévenir les situations de mal et surendettement. À cet égard, il y a lieu de prendre en compte les propositions formulées par le rapport de nos collègues Dini et Escoffier, au nom de la commission sénatoriale d'application des lois sur la mise en oeuvre de la loi de juillet 2010.

Le répertoire est complémentaire de toutes les politiques de prévention des impayés, en particulier tout ce qui touche aux impayés de logement et d'énergie.

En conclusion, le rapport, même s'il ne débouche pas sur des préconisations concrètes du fait des positions contradictoires des membres du groupe de travail, plaide largement en faveur de la création d'un répertoire national des crédits. À l'évidence, il liste bien davantage de raisons de créer ce répertoire que d'objections vraiment majeures. Après vingt ans de tergiversations et devant la crise qui frappe particulièrement les personnes rencontrant des difficultés financières, il est urgent d'envisager positivement la mise en oeuvre de ce répertoire -ce à quoi les membres du groupe UDI-UC vont s'atteler afin de rendre cet outil efficace rapidement.

Deux éléments confortent cet objectif : les sanctions lourdes en cas de détournement du fichier positif et la consultation obligatoire de celui-ci par les prêteurs au risque de ne pas récupérer leur créance.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Je crois que la constitution de ce groupe de travail va enfin permettre de faire avancer les choses : on ne peut pas attendre 20 ans de plus ! Il faut agir en amont, sur l'accompagnement et la prévention sociale, afin de tarir le flux d'entrée dans le surendettement. Il convient à présent de choisir le système le plus efficient, en prenant garde à ne pas surcharger la Banque de France avec de nouvelles missions. Il est urgent d'agir : depuis deux ans, le nombre des personnes surendettées ou ayant des impayés de logement et d'électricité qui se présentent dans mon CCAS augmente sans cesse !

Mme Virginie Klès. - J'ai aussi vu flamber les impayés de cantines !

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - N'oublions pas les factures de télécommunications et les autres dépenses qui ne font pas partie du « reste à vivre » mais sont souvent très lourdes. La voiture, le téléphone et l'assurance prennent ainsi la première place alors que le loyer et l'électricité ne sont même plus des priorités. On voit plusieurs abonnements téléphoniques dans une même famille. Ce ne sont pas les foyers les plus aisés qui sont abonnés à Canal+... Il est vrai qu'une sortie au cinéma avec deux enfants revient à 40 euros  !

M. Alain Fauconnier, co-rapporteur. - En Belgique, le fichier est loin d'avoir coûté aussi cher que ce qui nous est annoncé pour sa mise en place en France. La population est certes plus importante dans notre pays mais les coûts ne sont pas proportionnels au nombre de personnes enregistrées dans le fichier. Le fichier belge ne coûte d'ailleurs rien au contribuable en fonctionnement, puisqu'il est financé par les consultations, au tarif de 50 centimes d'euros chacune. Six personnes suffisent à gérer le système quand la Banque de France nous parle de 20 à 50 employés. Les estimations qui aboutissent à un coût de 500 millions d'euros pour la mise en place d'un fichier en France sont sans doute exagérées. Par ailleurs, en ce qui concerne le problème de l'atteinte à la vie privée, le point fondamental sera le choix de l'identifiant.

Valérie Létard a parlé des évolutions du FICOBA, il faut creuser cet aspect face à la lourdeur de gestion du « double hachage ». C'est l'identifiant qui peut être attentatoire à la liberté.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Je remercie nos collègues pour ce rapport spécial du fait de sa dimension dialectique forte : il expose le pour du contre et le contre du pour... Il y a tous les éléments pour se faire une opinion, c'est une contribution utile puisque le Gouvernement prépare un texte. En tout état de cause, le statu quo est impossible.

Nous sommes dans une société où la marchandise est partout. Je ne jetterai donc pas la pierre à ceux qui consomment, d'autant que les parents se sentent souvent obligés d'acheter des produits de marque à leurs enfants pour que ceux-ci ne soient pas méprisés par leurs camarades. Il y a une tendance générale contre laquelle il est aisé d'avoir des pensées vertueuses mais plus difficile d'agir.

J'ai cru comprendre que le Gouvernement allait nous proposer un fichier : ce que nous venons de dire permettra de l'encadrer. Tout ce qui a été dit doit nous aider à réfléchir. Enfin, « la loi Lagarde » n'est pas réellement appliquée. Nous avions été plusieurs, avec notamment Nicole Bricq, à demander une stricte séparation, dans les commerces, entre ce qui relève de la ristourne commerciale et ce qui relève du crédit. L'acte d'achat doit être clairement distingué de l'acte consistant à souscrire un crédit. Or cette séparation entre carte de fidélité et carte de crédit n'est toujours pas effective.

On ne peut pas aujourd'hui prendre d'autre décision que d'autoriser la publication du rapport.

Mme Catherine Tasca. - Avons-nous une idée du contenu du projet de loi en cours de préparation ?

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. - Benoît Hamon a fait savoir par un communiqué qu'il était favorable à la création d'un fichier positif.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. - Je rends hommage aux rapporteurs et je vais soumettre la publication du rapport à votre approbation. Espérons qu'il ne nous faille pas attendre 20 ans de plus pour voir ce problème résolu !

La commission des affaires économiques et la commission des lois autorisent la publication du rapport d'information sur le répertoire national des crédits aux particuliers.

Mercredi 23 janvier 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne - Présentation du rapport d'information établi au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

La commission procède à l'audition de M. Bruno Sido et de Mme Catherine Procaccia sur le rapport « Les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne » fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

M. Daniel Raoul, président. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour entendre deux membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, Catherine Procaccia et Bruno Sido, nous présenter leur rapport sur les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne.

Ce rapport résulte d'une saisine de notre commission en janvier 2012, et il me paraît très important de suivre les travaux de l'Office que nous avons sollicités.

Nous avons en cours deux saisines : l'une sur la filière hydrogène et l'autre sur les alternatives possibles à la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des gaz de schiste. Là encore, nous recevrons les auteurs des rapports en résultant.

Je vous laisse la parole pour que vous nous présentiez ce rapport et les préconisations que vous faites, s'agissant de l'avenir de la politique spatiale européenne.

Vous pourrez aussi évoquer les résultats de la réunion ministérielle en charge de l'espace des États membres de l'Agence spatiale européenne qui a eu lieu fin novembre 2012. Je crois que l'on peut être satisfait des engagements pris qui vont dans le sens des propositions françaises pour une large part.

M. Bruno Sido. - Le rapport que l'Office a adopté à l'unanimité en novembre dernier s'intitule « Europe spatiale : L'heure des choix », car nous l'avons élaboré dans la perspective de la réunion des ministres en charge de l'espace des pays membres de l'Agence spatiale européenne. Celle-ci s'est déroulée les 20 et 21 novembre à Naples et a constitué un tournant, avec des décisions importantes prises dans un contexte économique et financier ne permettant pas d'envisager un subventionnement massif du secteur spatial.

L'Europe, qui dépense six fois moins que les États-Unis pour l'espace, a su par le passé, faire les choix qui lui ont permis de devenir une grande puissance spatiale pour un coût maîtrisé. Sa capacité à conserver ou non son rang à l'avenir dépend directement des décisions récentes, qui doivent, pour plusieurs d'entre elles, être confirmées lors d'une prochaine réunion programmée en 2014.

J'aborderai d'abord les questions de gouvernance. La politique spatiale ne saurait être examinée dans un cadre strictement national. Mais il n'est pas possible, pour autant, d'identifier « une » politique spatiale européenne unique, dont découlerait l'ensemble des programmes mis en oeuvre sur le continent. Il existe aujourd'hui au moins deux politiques spatiales européennes :

- celle de l'Union européenne, que le traité de Lisbonne a dotée d'une compétence spatiale depuis 2009 ;

- celle de l'Agence spatiale européenne (ESA), première institution à avoir incarné l'Europe de l'espace, à sa création en 1975.

L'ESA elle-même ne s'est pas construite sur une « table rase », mais sur l'expérience de ses États membres, en premier lieu la France, premier État européen à avoir développé une politique spatiale, dans le cadre d'une politique d'indépendance nationale. La politique spatiale comporte trop d'enjeux de souveraineté nationale pour ne pas reposer, en dernier ressort, sur la volonté des États, dans le cadre d'organisations telles que l'ESA et l'UE ou dans un cadre national ou multinational, comme c'est le cas pour l'Europe de la défense.

Enfin il ne saurait y avoir de politique spatiale européenne sans industrie spatiale européenne, seule garante in fine de l'autonomie de l'Europe.

Ce « mille-feuille » spatial européen peut être source de confusion dans les objectifs et de dispersion des moyens. Dans ce contexte, nous formulons des propositions de nature à clarifier la gouvernance de la politique spatiale en France et en Europe :

- en France, il nous semble qu'il faudrait réintroduire l'espace dans l'intitulé d'un ministère chargé d'en valoriser l'utilité auprès du grand public. L'ambition spatiale est trop peu portée aux niveaux politiques et administratifs ; en conséquence, elle est peu partagée par l'ensemble des Français ;

- toujours en France, il serait souhaitable d'associer davantage le Parlement à la programmation spatiale. Nous avons été frappés, lors de notre déplacement aux États-Unis, par la place qu'y occupe le Congrès dans l'élaboration de la politique spatiale. La NASA est en constante négociation avec les deux chambres pour la définition des objectifs et des budgets de sa politique. Le secteur spatial n'est certes qu'une illustration parmi d'autres des différences d'approches entre parlements français et américain. Il nous paraîtrait néanmoins légitime qu'en France, le Parlement puisse être saisi à intervalles réguliers de la politique spatiale française et de la vision défendue au niveau européen par notre pays ;

- lors de nos auditions, les industriels ont exprimé le sentiment de ne pas être assez associés aux décisions prises. Sur la question de l'avenir d'Ariane, le CNES et les industriels ont par exemple défendu des points de vue différents. Un dialogue pérenne doit être organisé, grâce à la création d'une structure de concertation État-industrie, présidée par une personnalité indépendante ;

- quant à la politique spatiale de l'Union européenne, c'est un processus en devenir, dont les objectifs et le cadre de gouvernance demeurent pour le moment flous. Le budget de l'Union finance le programme de navigation-localisation-synchronisation Galileo, qui doit aboutir d'ici 2015, ainsi que le lancement du programme de surveillance pour l'environnement et la sécurité GMES, mais sans garantie de pérennité au-delà de 2014.

Si elle veut exercer pleinement la compétence que lui a confiée le traité de Lisbonne, l'Union devra élaborer un véritable programme spatial plus exhaustif dans ses ambitions.

Elle devra également élaborer un cadre juridique pour la gouvernance de cette politique spatiale, en faisant de l'ESA son agence spatiale, sans que cela ne remette en cause par ailleurs le fonctionnement intergouvernemental de l'agence. L'Union doit aussi pouvoir faire appel aux compétences des agences nationales, sans nécessairement recourir à ses procédures de droit commun, du type appel d'offres. Pour la gestion des applications spatiales, elle doit privilégier le recours aux organisations existantes, par exemple Eumetsat pour ce qui concerne l'observation de la Terre (GMES).

Il s'agit d'éviter que l'Union ne crée ses propres structures de gestion opérationnelle des programmes spatiaux, qui seraient redondantes par rapport aux compétences existant déjà sur le territoire européen.

Enfin, l'Union européenne doit reconnaître comme prioritaire l'application d'un principe de préférence européenne. Ce principe doit entraîner l'obligation de recourir à ses propres lanceurs. Ce n'est pas le cas actuellement, comme l'illustre le recours à un lanceur russe (Rockot) pour le lancement de certains satellites du programme GMES.

Quant à l'ESA, elle doit faire évoluer sa règle de « retour géographique », d'après laquelle plus un État contribue à un programme, plus son industrie reçoit de contrats pour la réalisation de ce programme. Suivant une logique inverse, une règle de « juste contribution » de chaque État, en fonction de l'implication de son industrie dans les projets, paraîtrait préférable.

La seconde partie de mon propos portera sur les conséquences de la concurrence croissante dans le secteur spatial. On assiste à l'émergence de nouveaux acteurs publics et privés. Cette concurrence est d'autant plus inquiétante pour l'Europe qu'elle a choisi de faire reposer son industrie spatiale, et notamment ses lanceurs, sur la demande commerciale. Le marché commercial est en effet le moteur principal de l'industrie spatiale, à défaut de commandes institutionnelles conséquentes.

Quand les budgets publics spatiaux américains sont de 48 milliards de dollars par an, les budgets publics européens sont de 6,5 milliards d'euros. La diminution des commandes militaires conduit les industriels américains à se tourner davantage vers le marché commercial. Par ailleurs, dans le domaine des lanceurs, la NASA favorise le développement d'entreprises commerciales telles que Space X - nous y reviendrons.

La Russie relance actuellement son activité spatiale en investissant massivement dans une nouvelle gamme de lanceurs et un nouveau port spatial. Les pays émergents, notamment ceux très peuplés comme la Chine ou l'Inde, misent aussi sur ce secteur, au service de leur développement et pour s'affirmer sur la scène internationale. Vous trouverez des développements sur les politiques spatiales russe et chinoise dans des notes annexées au rapport.

Dans ce contexte, il est indispensable d'aider l'industrie européenne à demeurer compétitive, en poursuivant le soutien apporté à la filière européenne de satellites de télécommunications par de grands programmes structurants, et en suscitant le développement d'une filière européenne de satellites à propulsion tout-électrique.

Le marché semble mûr pour cette technologie du « tout-électrique » : il s'agit d'utiliser la propulsion électrique non seulement pour des ajustements de la trajectoire des satellites, ce qui est déjà le cas aujourd'hui, mais aussi pour les transférer après lancement vers leur orbite définitive. Boeing a pris de l'avance dans ce domaine grâce à une technologie développée pour des satellites de télécommunications militaires. Cette entreprise a vendu des satellites de ce type à des opérateurs asiatique et mexicain. Il s'agit de petits satellites (2 tonnes) dotés de la même capacité d'emport de charge utile qu'un satellite à propulsion chimique de 3 à 4 tonnes. Ce gain en termes de masse compense l'inconvénient lié à un délai allongé de mise en orbite du satellite.

Il faut également agir pour réduire la dépendance technologique de l'Europe, notamment dans le domaine des composants microélectroniques durcis. Cette dépendance est préjudiciable dans le contexte des règles d'exportation américaines ITAR, qui interdisent aux industriels européens d'exporter sans autorisation des produits qui comporteraient des composants ou technologies développés aux États-Unis. Thalès Alenia Space en a subi les conséquences, en étant l'objet d'une investigation du département d'État américain, en lien avec l'exportation d'un satellite en Chine. Mais ce sont, à vrai dire, les industriels américains qui sont, les premiers, victimes des règles d'exportation ITAR.

La question de la dépendance de l'Europe à l'égard de technologies importées ne se réduit pas à celle des règles ITAR. C'est une question de compétitivité, car la dépendance entraîne des difficultés d'accès aux technologies de dernière génération, ainsi qu'une limitation de l'accès à la documentation, entraînant des difficultés à gérer, par exemple, des anomalies. L'existence d'une source d'approvisionnement unique est en soi un facteur de risques.

Le concept de non dépendance implique donc une maîtrise des technologies et l'existence d'une double source, dont l'une au moins située en Europe. Mais elle implique aussi une maîtrise des coûts. Le maintien à tout prix en Europe de filières beaucoup plus coûteuses qu'aux États-Unis n'est pas viable. Il faut donc veiller à la rentabilité économique des filières développées et concentrer les moyens disponibles sur quelques priorités.

J'en viens maintenant à la question des lanceurs. C'est par l'intermédiaire d'Arianespace, créée en 1980, que l'Europe accède aujourd'hui de façon indépendante à l'espace. Arianespace exploite à ce jour trois lanceurs depuis le Centre spatial guyanais :

- tout d'abord, Ariane 5, dont la capacité d'emport (dans sa version ECA) est de 10 tonnes vers l'orbite géostationnaire, et qui se caractérise par des lancements doubles. Ariane 5 est le n° 1 des lancements en orbite géostationnaire, avec près de 50 % de parts de marché et, à ce jour, 53 succès d'affilé ;

- le deuxième lanceur d'Arianespace est Soyouz, exploité depuis Baïkonour, par l'intermédiaire de la filiale d'Arianespace - Starsem - créée en 1996. Depuis 2011, Soyouz est aussi lancé depuis la Guyane, en application d'un accord intergouvernemental franco-russe, signé en 2003. Ce lanceur moyen est complémentaire d'Ariane 5. Il a une capacité d'emport de 3,2 tonnes vers l'orbite de transfert géostationnaire (depuis le CSG, mais 1,7 tonne depuis Baïkonour, plus éloigné de l'équateur) ;

- enfin, le dernier né des lanceurs européens est Véga, financé majoritairement par l'Italie, dont la capacité d'emport est de 1,5 tonne en orbite basse, mais qui a vocation à monter en puissance. Véga est destiné à répondre à la demande institutionnelle, c'est-à-dire celle des agences spatiales, qui réalisent des satellites de plus en plus petits.

S'interroger sur l'avenir de cette gamme de lanceurs implique de s'interroger, en premier lieu, sur l'évolution prévisible des marchés.

Le nouveau lanceur devra d'abord répondre à la demande institutionnelle. A l'heure actuelle, Ariane 5 est surdimensionnée pour ce marché. L'Europe a donc recours à Soyouz, ce qui n'est pas complètement satisfaisant car il ne s'agit pas d'un lanceur développé par l'Europe, et parce que la coopération avec la Russie n'est assurée que jusqu'en 2020. La qualification du lanceur Véga devrait résoudre une partie du problème, en permettant à tout le moins d'éviter le recours aux lanceurs russes dérivés de missiles balistiques (Rockot, Dnepr). Il n'en reste pas moins qu'Ariane, conçu pour des objectifs de souveraineté, est en réalité peu utilisé pour le lancement de nos satellites gouvernementaux.

Le nouveau lanceur devra aussi répondre à la demande commerciale. Or ce marché se caractérise par l'émergence de nouveaux acteurs. L'américain Space X a remporté plusieurs contrats de lancement de satellites de télécommunications, alors même qu'il n'a pas encore procédé à des lancements en orbite géostationnaire. Mais le soutien que la NASA apporte à cette entreprise incite les clients à l'optimisme. Space X est en effet directement héritière du tournant pris par la politique spatiale sous la présidence Obama. Ce tournant consiste à recentrer la NASA sur sa mission de Recherche & Développement en vue de l'exploration lointaine, et à octroyer des subventions à des entreprises privées pour la reconquête de l'orbite basse - c'est-à-dire la desserte habitée de la Station spatiale.

Nous avons visité Space X lors de notre déplacement aux États-Unis. Cette entreprise est fondée sur un principe tiré a contrario des leçons de la navette spatiale : de la simplicité découlent à la fois la fiabilité et la modicité des coûts. Le lanceur Falcon 9 de Space X est un système modulable, fondé sur un étage de lanceur et un moteur kérosène - oxygène, combinés en tant que de besoin. L'organisation productive est simplifiée au maximum. Nous l'avons constaté dans l'usine californienne de Space X, qui frappe par la simplicité au moins apparente de son organisation.

Par ailleurs, la Chine, l'Inde, le Brésil et la Russie développent d'autres lanceurs potentiellement concurrents des nôtres.

Or cette concurrence croissante intervient sur un marché où la demande est appelée à demeurer stable, autour de 20 à 25 satellites de télécommunications par an. Dans ce contexte, deux projets de lanceur, conçus à l'origine comme complémentaires, sont devenus progressivement concurrents. Démarré après la conférence ministérielle de l'ESA de 2008, Ariane 5 ME est une évolution du lanceur actuel vers un lanceur plus performant (12 tonnes) et plus « versatile », c'est-à-dire doté d'un étage supérieur rallumable grâce au moteur Vinci, développé par Safran. Ariane 6 est un lanceur de nouvelle génération, doté du même moteur rallumable pour son étage supérieur, mais plus modulable (2 à 8 tonnes) et surtout susceptible de procéder à des lancements simples, c'est-à-dire mono-satellites. Le lancement double est en effet devenu très problématique pour Arianespace, car il implique l'appairage des satellites, susceptible de faire perdre du temps et donc de l'argent aux opérateurs.

Le rapport fait état de tous les arguments avancés au cours de nos auditions, en faveur de l'un ou l'autre de ces deux projets. Il nous a semblé qu'Ariane 6 apportait une réponse plus tardive qu'Ariane 5 ME, mais plus durable, aux évolutions en cours.

Procédant à des lancements « simples », Ariane 6 doit permettre d'accroître la cadence de production, afin de ne pas passer sous le seuil des cinq lanceurs par an, en deçà duquel il est unanimement reconnu que la fiabilité et la viabilité financière d'Ariane seraient remises en cause.

Dans sa version dite PPH, privilégiant la poudre, le lanceur de nouvelle génération serait complémentaire de Vega, puisqu'il réutiliserait son étage dit P80, en augmentant sa puissance. La poudre est une technologie en soi fiable et peu coûteuse, et cette configuration permettrait de produire en série un grand nombre de moteurs, donc de bénéficier d'effets de standardisation.

D'un coût de production moindre, ce lanceur est sans doute plus susceptible qu'Ariane 5 ME de réduire la subvention publique actuellement versée pour l'exploitation d'Ariane 5 (120 millions d'euros/an).

C'est pourquoi nous avons préconisé de développer aussi rapidement que possible ce lanceur de nouvelle génération modulable, à étage supérieur réallumable, en mettant la priorité sur la réduction des coûts afin de le rendre compétitif sur le marché.

Nous reviendrons sur les décisions prises par la réunion des ministres à ce sujet, après avoir évoqué les autres conclusions de notre rapport.

Mme Catherine ProcacciaNous avons souhaité mettre l'accent sur un enjeu trop méconnu : la durabilité des activités spatiales, aujourd'hui menacée par la multiplication des débris.

Le nombre d'objets de plus de 10 centimètres en orbite autour de la Terre est estimé à 20 000. Ce nombre s'accroît naturellement en conséquence de réactions en chaîne, ce que les scientifiques désignent sous le nom de syndrome de Kessler.

Le risque de collision n'est pas que théorique. La première collision répertoriée a eu lieu en 1996. Elle a affecté un satellite militaire français. En 2007, les Chinois ont détruit à l'aide d'un missile l'un de leurs satellites météorologiques, ce qui a engendré environ 2 500 débris de taille supérieur à 10 centimètres. Enfin, en 2009, la collision entre un satellite Iridium et un satellite inactif Kosmos a généré lui aussi de l'ordre de 2 000 gros débris.

La Station spatiale internationale (ISS) procède par exemple environ une fois par an à des réajustements de sa trajectoire pour éviter des collisions.

Par ailleurs, il existe aussi un risque de dommages au sol lors des rentrées atmosphériques. On estime à une tonne les retombées quotidiennes des débris, qui s'évaporent ou non dans l'atmosphère. Le risque est minoré du fait que 70 % de la surface de la Terre est océanique. Mais le risque de dommage voire de victimes au sol n'est pas négligeable.

Nous avons identifié trois types d'actions pour faire face aux risques que constituent les débris spatiaux :

- en premier lieu, il s'agit de promouvoir des règles de conduite renforcées. Il existe des règles au niveau international et en France, depuis la loi de 2008 relative aux opérations spatiales. Il existe également une proposition de code de conduite, émise par l'Union européenne, actuellement en cours de négociation sur le plan international. Des désaccords subsistent entre pays sur la forme - contraignante ou non - que devrait revêtir ce code de conduite. Il serait dommage d'attendre qu'un accident majeur se produise pour accélérer les négociations.

Pour l'Europe, l'arrivée d'un lanceur à étage supérieur réallumable sera une avancée, car cela permettra de désorbiter l'étage supérieur après réalisation de la mission. Ariane 5 est actuellement le seul lanceur commercial qui ne le permet pas ;

- en deuxième lieu, il est indispensable de mettre en place un système européen complet de surveillance de l'espace, fédérant et complétant les moyens existants. L'Europe dépend actuellement des États-Unis, qui possèdent le réseau de surveillance le plus vaste et le mieux distribué au monde. La coopération avec ce pays permet d'éviter un certain nombre de collisions - en déplaçant le véhicule concerné par une alerte, du moins lorsque c'est possible, c'est-à-dire lorsque ce véhicule est encore actif. Mais cette coopération ne garantit pas l'indépendance de l'Europe.

Pour garantir cette indépendance, il faut traiter les obsolescences prévisibles du radar français GRAVES et mettre en place des capteurs supplémentaires, afin d'améliorer l'identification de la nature des objectifs et de leur trajectoire.

L'ESA a lancé un programme de surveillance dit SSA (Space situational awareness), mais qui n'est pas pour le moment réellement opérationnel.

Par ailleurs, la surveillance de l'espace a une composante relative à l'espace lointain (objectifs géocroiseurs, « météorologie spatiale ») ;

- en troisième lieu, il faut développer des solutions technologiques innovantes pour le nettoyage des débris. D'après les modèles existants, il suffirait de retirer chaque année de l'ordre de 5 à 10 gros débris pour stabiliser le nombre de débris en orbite basse.

Nous nous sommes également intéressés à « l'espace pour la Terre » : la politique spatiale doit en effet être tournée en priorité vers les services aux citoyens et privilégier les retombées concrètes. Notre rapport évoque en particulier l'observation, en vue de la compréhension des mécanismes du fonctionnement terrestre, qui est aujourd'hui devenue un enjeu scientifique et économique majeur.

L'Europe doit se donner pour priorité de demeurer précurseur dans ce domaine, dans le prolongement de missions déjà réalisées par le CNES et par l'ESA, parfois en coopération avec d'autres pays.

L'Europe dispose d'une compétence reconnue dans ce que l'ESA nomme les « explorateurs de la Terre », c'est-à-dire les satellites d'observation dédiés à l'étude de domaines précis tels que l'océanographie, l'étude des sols, de l'eau, de la glace, de l'atmosphère ou encore du champ magnétique.

L'observation spatiale présente l'avantage d'offrir une vision globale et continue dans le temps, qui permet des progrès considérables de la recherche sur l'environnement et le climat. Elle sera un instrument essentiel à l'évaluation du changement global et de l'impact des activités humaines sur le fonctionnement du système terrestre. Pour l'avenir, la surveillance des émissions de gaz à effet de serre deviendra notamment un enjeu international majeur, et les moyens de mesure seront un atout important pour ceux qui les maîtriseront.

Mais pour que l'observation spatiale soit efficace, encore faut-il qu'elle soit continue et produise des données homogènes. Or le mode de fonctionnement des agences, dont la vocation est d'innover, et non d'assurer la continuité de l'existant, n'est pas forcément propice à la poursuite de missions non pas en vue d'innover mais de prolonger en optimisant les coûts. Il faudrait, pour cette raison, garantir la continuité des missions dès leur conception.

Afin que l'Europe demeure une référence dans le domaine de l'observation de la Terre, et devienne incontournable dans l'évaluation du changement global, nous préconisons tout d'abord de poursuivre activement la mise en place des infrastructures du programme GMES de surveillance globale pour l'environnement et la sécurité.

Nous suggérons aussi de mettre en place le financement (dans le cadre financier pluriannuel de l'UE) et le pilotage nécessaire à l'entrée en phase opérationnelle des services de ce programme. Lors de notre déplacement à Bruxelles, nos interlocuteurs de la Commission nous ont en effet confié être « très en amont » de la réflexion à ce sujet...

Enfin, il nous semble nécessaire de réfléchir, plus largement, aux moyens à mettre en oeuvre pour que l'Europe soit indépendante pour procéder à la mesure des effets et des causes du changement climatique.

Notre rapport examine enfin la question de l'exploration spatiale.

Il nous paraît nécessaire de continuer à participer à la Station spatiale internationale jusqu'en 2020.

L'Europe doit apporter une contribution sur le plan technologique, comme elle le fait actuellement en fournissant le véhicule de ravitaillement de la Station, l'ATV. Cette contribution pourrait d'ailleurs participer plus tard au démantèlement de l'ISS, c'est-à-dire sa désorbitation. Ce démantèlement doit d'ores et déjà être envisagé. Ses modalités ne sont pas encore fixées. Son coût est évalué à 2 milliards de dollars - ce qui représente moins de 2 %, à vrai dire, du coût exorbitant de cette Station.

Pour l'avenir, l'Europe doit par ailleurs privilégier les missions robotiques remplissant des objectifs d'innovation scientifique, à coûts maîtrisés et autant que possible dans le cadre de coopérations internationales. C'est le cas par exemple du projet ExoMars : lancé dans un premier temps par l'ESA en partenariat avec la NASA, il est aujourd'hui envisagé avec l'agence russe Roskosmos, suite à la défection de la NASA.

Si l'exploration de Mars est prioritaire, c'est parce qu'on estime que cette planète a pu abriter la vie, et qu'une meilleure connaissance de son histoire pourrait être utile à la compréhension de l'évolution de notre propre planète.

Quant à l'exploration habitée de Mars, elle nécessiterait des ruptures technologiques et la fixation d'objectifs intermédiaires. Elle requerrait, surtout, un investissement massif puisque son coût est estimé à 600 voire 800 milliards d'euros. A contrario, le coût de la mission ExoMars est estimé à 1,2 milliard d'euros ; celui d'une mission de retour d'échantillons martiens, entre 3 et 5,3 milliards d'euros.

Par le passé, l'exploration habitée a toujours répondu à des objectifs d'abord politiques, plutôt que scientifiques. Si des objectifs politiques devaient réapparaître, à l'avenir, ce pourrait être pour répondre aux ambitions de la Chine. Dans l'immédiat, nos auditions nous conduisent toutefois à penser que ce pays s'intéresse à l'espace d'abord pour ses retombées socio-économiques.

Les conditions ne nous paraissant pas réunies pour le moment, et les montants financiers en jeu étant exorbitants, nous n'avons pas souhaité formuler de préconisations sur la question du vol habité, au-delà de l'orbite basse.

Nous vous renvoyons au rapport pour ce qui est d'autres questions - par exemple l'espace de défense, qui nous paraît exiger une relance de la coopération entre pays européens.

Pour terminer, quelques mots sur la récente réunion ministérielle des pays de l'ESA à Naples.

Cette réunion a acté plus de 10 milliards d'euros de souscriptions. L'Allemagne est le premier contributeur (pour la deuxième fois de l'histoire de l'ESA), avec 2,5 milliards d'euros et la France deuxième avec 2,2 milliards d'euros. Au troisième rang, le Royaume-Uni a devancé l'Italie, grâce à une progression très nette de sa souscription, notamment dans les programmes de télécommunications. Cette évolution aura des conséquences sur notre industrie puisqu'elle permettra probablement une montée en puissance de la branche britannique d'Astrium, au détriment du franco-italien Thalès Alenia Space pour qui la fragilisation de la contribution italienne constitue un handicap.

Concernant les lanceurs, la Ministérielle a ouvert la voie au développement des deux lanceurs Ariane 5 ME et Ariane 6, étant entendu qu'Ariane 5 ME devra être « adaptée », en synergie avec le lanceur de nouvelle génération.

L'idée est de développer un étage supérieur commun aux deux lanceurs. Le moteur de cet étage supérieur est déjà commun puisqu'il s'agit de Vinci, moteur développé par Safran depuis 2008. Au cours des prochains mois, les autres caractéristiques de cet étage supérieur commun doivent être définies.

Par ailleurs, l'option retenue pour Ariane 6 est celle préconisée par notre rapport, c'est-à-dire l'option « PPH » (comportant des étages à poudre et un étage supérieur à propulsion liquide hydrogène/oxygène). Les étages à poudre seront dérivés de l'étage P80 de Vega et bénéficieront de gains découlant de leur production à la chaîne (3 à 4 étages à poudre par lanceur).

La France, qui est le principal contributeur à ce nouveau lanceur, se donne trois objectifs, déclinés sous la forme d'un « triple 7 » : 7 ans de développement (2014-2021), 7 tonnes de performance en orbite de transfert géostationnaire et un coût de 70 millions d'euros par lanceur.

Pour parvenir à ce coût de 70 millions d'euros, un défi majeur reste à relever : celui de la réorganisation de la production industrielle du lanceur, actuellement trop éparpillée.

La décision définitive de développement d'Ariane 6 doit être prise lors d'une nouvelle Ministérielle en 2014.

Il nous semble que la représentation nationale devrait d'ici là rester vigilante quant aux conditions dans lesquelles seront développés parallèlement deux lanceurs, fussent-ils complémentaires, car de nombreux paramètres industriels et financiers restent à préciser.

Enfin, le plus gros programme souscrit lors de cette Ministérielle concerne la Station spatiale internationale. La France s'est engagée à financer 20 % de la contribution européenne de la Station. Après 2017, cette contribution européenne consistera à produire un module de service pour la capsule habitée Orion de la NASA, destinée à voler au-delà de l'orbite basse, mais sans objectif clairement fixé à ce jour. Là encore, il faudra rester attentif au réexamen de cette décision, prévu aussi en 2014.

Pour le reste, les décisions prises par la Ministérielle sont en ligne avec les préconisations de notre rapport : soutien à la compétitivité industrielle, notamment dans le secteur des télécommunications (avec le programme de plateforme de nouvelle génération NeoSat), poursuite des programmes de météorologie et d'observation de la terre, et réorganisation en cours des liens avec l'Union européenne.

Il nous semble toutefois que l'effort fait dans le domaine de la surveillance de l'espace demeure insuffisant, les pays membres de l'ESA ayant quelque peu laissé de côté le programme qu'ils avaient engagé en 2008, dit SSA.

Reste enfin la question du financement du programme GMES qui n'est pour le moment pas assuré. Cette question doit être traitée par les négociations sur le prochain cadre financier pluriannuel de l'Union européenne, auxquelles il conviendra de rester attentif.

Voilà un bilan de cette Ministérielle à la lumière de notre rapport. Un tournant a été accompli, avec la décision de démarrer Ariane 6, mais de nombreux motifs de vigilance demeurent.

M. Daniel Raoul, président. - Vous n'avez pas évoqué le problème de l'apurement de la dette de la France à l'égard de l'ESA.

M. Bruno Sido. - Elle est en cours de remboursement. Je rappelle que cette dette provient de l'échec d'un vol Ariane 5, mais que le programme Ariane 5 ECA est à présent une remarquable réussite.

M. Daniel Raoul, président. - Cette dette obère les budgets.

M. Roland Courteau. - La concurrence s'accroît et le budget européen est faible : parviendrons-nous à maintenir notre rang ? La durabilité des activités spatiales est menacée : quelles sont les techniques permettant de retirer les débris ? Pouvez-vous également expliciter vos propos sur le prix des fréquences ? Enfin, quels pays participent-ils à l'élaboration d'un code de conduite, ou au contraire le bloquent ?

M. Jean-Claude Lenoir. - Je partage l'inquiétude relative au risque de perte du rôle de leader de la France face à l'Allemagne. Compte tenu de l'accroissement de la concurrence, ne faudrait-il pas privilégier les lanceurs de petite dimension ? Quel est par ailleurs l'avenir de Kourou ? Face à l'évolution des usages de l'espace, la Station spatiale internationale a-t-elle toujours une justification ? Et le module de ravitaillement ATV fonctionne-t-il vraiment ?

M. Marc Daunis. - Je partage votre appel à une consolidation du programme GMES. Faut-il rester généraliste ou se repositionner sur certains secteurs, notamment ceux qui sont liés à des ruptures technologiques ?

M. Yannick Vaugrenard. - Face à la défiance de l'opinion publique par rapport à la construction européenne, l'Europe devrait mieux communiquer sur les programmes qui fonctionnent, tels que l'activité spatiale, et sur leurs conséquences dans la vie quotidienne. L'état des finances ne devrait-il pas pousser, plutôt qu'à une concurrence systématique, à rechercher les complémentarités au niveau mondial, tout en prenant en compte les impératifs stratégiques ?

M. Jean-Jacques Mirassou. - Le Parlement devrait permettre à la population de mieux comprendre les enjeux de la politique spatiale, car je ne suis pas sûr que la majorité de nos compatriotes perçoivent l'intérêt de cette activité. Si l'impératif financier ne nous permet plus de mener tous les fronts à la fois, nous devrions mettre l'accent sur les domaines où nous conservons une avance technologique. S'agissant enfin du différentiel entre les États-Unis et l'Europe, je rappelle que les États-Unis ont été autrefois poussés par leur opposition avec la Russie.

M. Bruno Sido. - S'agissant de la problématique des vols habités, il faut bien avoir à l'esprit qu'ils coûtent cent fois plus cher que des vols robotisés ; l'Europe, vu sa situation financière, ne devrait donc plus y recourir à l'avenir.

Mme Catherine Procaccia. - Les citoyens ont une vision de l'espace focalisée sur les vols habités ; or, il recouvre une dimension plus large et conditionne entièrement notre quotidien par ses nombreuses applications. C'est pourquoi nous insistons, dans notre rapport, sur la nécessité d'avoir un ministère dédié à cette problématique et de communiquer davantage vers le grand public.

M. Bruno Sido. - Le programme américain Apollo avait était extraordinairement aventureux, un taux d'échec de 50 % ayant été accepté, ce qui aujourd'hui ne serait plus toléré ! Le budget des États-Unis consacré à l'espace est de 48 milliards d'euros, si l'on s'en rapporte du moins aux chiffres officiels. Nous n'avons pas les moyens de rivaliser et devrions en effet concentrer nos efforts sur certains programmes. Les américains estiment par exemple que nous ne sommes pas suffisamment compétents en matière de calcul.

M. Daniel Raoul, président. - Même si les supercalculateurs ont fait d'énormes progrès depuis quatre ou cinq ans !

M. Bruno Sido. - Je faisais référence au calcul embarqué.

Mme Catherine Procaccia. - Les américains méprisent l'Europe spatiale, alors qu'elle représente une puissance équivalente, avec bien moins de moyens.

M. Bruno Sido. - Toutes les activités des États-Unis dans le domaine de l'espace sont duales. Les américains n'ont pas besoin, toutefois, d'avoir une activité commerciale pour continuer à faire vivre le secteur.

Il faut absolument que l'Europe possède un lanceur, synonyme d'indépendance dans l'accès à l'espace. Les Allemands n'ont pas forcément toujours eu le même avis, étant plus naturellement prêts à importer que nous. Ils tiennent au développement d'Ariane 5 ME, qui est fabriqué à Brème. L'Allemagne souhaite monter en puissance dans le secteur de l'espace et retrouver le rang qui était le sien.

Mme Catherine Procaccia. - Les États-Unis, qui ne possèdent plus de lanceurs, sont désormais très dépendants de l'extérieur. La Russie leur permet aujourd'hui d'accéder à l'ISS, mais l'avenir géopolitique est toujours incertain. Aussi nous estimons indispensable de conserver notre autonomie en la matière.

M. Bruno Sido. - Les Allemands veulent continuer le programme Ariane 5 ME, plutôt que d'aller vers une Ariane 6. Mais cela implique de réaliser systématiquement des lancements doubles, obligeant les opérateurs de satellite à s'appareiller deux par deux.

La concurrence mondiale sur les lanceurs, notamment en provenance de pays émergents, va s'accroître. Le Brésil dispose, par exemple, d'une base de lancement, même si le dernier tir a été un échec.

Ariane 5 ME est comparable à l'actuelle version d'Ariane ECA : elle nécessite le lancement simultané de deux satellites, et donne donc lieu à deux fois moins de lancements. Or, il serait préférable de ne lancer qu'un satellite à la fois, au gré de la demande.

Mme Catherine Procaccia. - L'Europe est la seule à pratiquer les lancements doubles. Nous nous sommes interrogés sur le renforcement de la concurrence internationale sur ce secteur, et la tendance des satellites à devenir de plus en plus importants. Ariane 5, de même que la version ME, obligent à appareiller, en plus d'un satellite de grande taille, un plus petit, afin d'optimiser la charge, ce qui est compliqué. Aussi Ariane 6 correspond-elle davantage aux attentes du marché, en permettant des lancements simples et sans délai.

M. Bruno Sido. - Ariane 5 risque de perdre des clients. En-dessous de cinq lancements par an, son modèle économique n'est plus assuré. Les Allemands résistent toutefois à nos propositions d'évolution vers Ariane 6, même s'ils ont compris l'importance d'être indépendants en matière de lanceurs. L'objectif de cette version est d'être la plus simple possible, ce qui explique la préférence donnée à la poudre comme combustible.

Mme Catherine Procaccia. - Destiné à ravitailler l'ISS, l'ATV, est une réussite, à laquelle ni les Américains ni les Russes ne croyaient.

Il pourrait être muni de bras et servir à ramener des débris, pour les détruire ou les re-larguer dans l'atmosphère, où ils se consumeraient. Personne, cependant, ne veut en assurer le financement pour cet usage. La commercialisation des orbites, aujourd'hui gratuites, serait une solution.

M. Bruno Sido. - La coopération internationale est indispensable pour la gestion de ces débris. L'Europe est en retard : elle ne possède qu'un vieux radar, qui ne peut que repérer les déchets de plus d'un mètre de long. Or, ces derniers sont létaux dès 10 cm, et même moins. La difficulté provient du regroupement de l'ensemble des satellites sur périmètre restreint. Seuls les États-Unis sont capables de localiser précisément les débris et de nous prévenir de leur proximité, afin d'ajuster la trajectoire des satellites en conséquence. Leur motorisation électrique devrait permettre de les mouvoir plus facilement. L'idéal serait toutefois d'être plus indépendant dans le repérage des débris.

En matière de communication sur l'espace, il reste beaucoup à faire. Sans les satellites, on ne peut plus vivre au quotidien ! Il faudrait avoir un ministère dédié, ou au moins comportant l'espace dans son intitulé.

Mme Catherine Procaccia. - Pourquoi ne pas instaurer une journée des satellites ? Il est regrettable que l'on n'en parle pas davantage ...

M. Daniel Raoul, président. - Pourquoi l'Europe devrait-elle financer le ramassage des débris ? Il s'agit d'un problème mondial !

Mme Catherine Procaccia. - Malheureusement, seule une collision convaincra l'opinion internationale de la nécessité d'agir.

M. Bruno Sido. - A 400 km d'altitude, les déchets spatiaux retombent naturellement sur terre dans l'année. A 800 km, dans le siècle. Au-delà, ils sont confinés quasiment pour l'éternité. C'est un problème qui devrait être traité dans un cadre onusien.

M. Daniel Raoul, président. - Merci, mes chers collègues, d'avoir su capter notre attention sur un sujet aussi complexe.

Groupe de travail sur la réforme du « code minier » - Nomination des membres

La commission a décidé de reporter la désignation des membres du groupe de travail sur la réforme du code minier.