Mardi 16 avril 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Audition de M. Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat

La commission procède à l'audition de M. Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat.

M. Daniel Raoul, président. - Nous recevons M. Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat, suite à notre série d'auditions sur la « feuille de route » du Gouvernement sur le numérique. Vous allez nous expliquer les performances de votre satellite KA-SAT. Nous voudrions savoir dans quelle mesure la solution satellitaire peut constituer un complément par rapport aux solutions terrestres comme le cuivre et la fibre.

M. Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat. - Merci de nous donner l'occasion de vous expliquer comment la solution satellitaire est une arme formidable contre la fracture numérique. J'organiserai mon propos en deux axes : je vous donnerai tout d'abord des informations sur Eutelsat, puis je vous montrerai comment Eutelsat et ses satellites peuvent permettre de connecter des Français qui n'ont pas accès aujourd'hui au haut débit.

Eutelsat constitue le troisième opérateur mondial de satellites. Nous sommes client des constructeurs de satellites et des sociétés de lancement. Nous sommes fournisseurs des distributeurs de chaînes de télévision et des fournisseurs d'accès à Internet. Les usagers finaux sont donc les clients de nos clients. Nous avons 4 400 chaînes de télévision sur nos satellites. L'activité des opérateurs dans le secteur spatial est caractérisée par une grande diversité : les services vidéo représentent 68,6% de notre activité, les services de données à valeur ajoutée 19,4 % et les services multi-usages 12,1 %.

Eutelsat est une belle histoire d'économie mixte. Dans les années 1960, les États-Unis ont constitué une coalition avec tous les pays du monde hors bloc soviétique. Ils ont créé une organisation internationale, Intelsat, dans le but d'utiliser les satellites pour les télécommunications. Une dizaine d'années plus tard, les pays européens ont décidé de créer leur propre structure, Eutelsat, organisation intergouvernementale regroupant tous les pays européens à l'Ouest du « rideau de fer ». Quand ce dernier est tombé, les autres États européens ont rejoint Eutelsat. Nous sommes donc d'abord une organisation européenne. Dans les années 1990, les États ont transmis la propriété d'Eutelsat aux opérateurs de télécommunications comme France Telecom ou British Telecom, qui étaient donc à la fois clients et actionnaires. En 2001, il y a eu une crise assez violente de l'Internet et des marchés financiers : Eutelsat a été vendue par ses actionnaires à des sociétés comme Eurazeo, Goldman Sachs... Il est ainsi passé en très peu de temps du capitalisme le plus étatique au capitalisme le moins étatique. En 2005, ses actionnaires ont porté Eutelsat en Bourse et en 2006, deux grands actionnaires sont entrés au capital : l'un Espagnol, Abertis Telecom, et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) via son fonds d'infrastructure. Quand le Fonds stratégique d'investissement (FSI) a été mis en place, nous avons été apportés en dot.

Notre structure capitalistique est aujourd'hui la suivante : le premier actionnaire est le FSI avec 26 %, le deuxième est le fonds souverain chinois - qui est entré au capital quand les Espagnols ont vendu une partie de leurs participations - qui détient 7 %, Abertis a conservé 5 %, et tout le reste est en Bourse.

Eutelsat dispose d'une flotte de 30 satellites qui assure 75 % de la couverture mondiale. Nos satellites sont appelés géostationnaires, ils sont à 35 550 kilomètres au-dessus de la Terre. A cette hauteur, un satellite couvre un tiers du globe. Nous ne couvrons cependant pas l'Amérique du nord, car c'est un marché encombré. Les possibilités de croissance les plus intéressantes concernent les pays émergents. Le dernier né de notre flotte est un satellite acquis l'année dernière à la compagnie General Electric, qui couvre l'Asie orientale et le Pacifique jusqu'à la Californie.

Notre métier est très capitalistique. Un programme satellitaire coûte en moyenne 250 millions d'euros, avec le satellite lui-même, le lanceur, l'assurance et les coûts. Notre satellite KA-SAT a coûté 350 millions d'euros.

Quelques chiffres : nous sommes une société « moyenne » avec un chiffre d'affaires de 1,2 milliard d'euros sur le dernier exercice. Nous exerçons un métier très capitalistique puisque nous investissons environ 600 millions d'euros par an, soit la moitié de notre chiffre d'affaires. Beaucoup d'entreprises plus importantes investissent beaucoup moins. Notre carnet de commandes représente 4,7 années de chiffre d'affaires. Notre niveau d'endettement n'est pas négligeable mais reste raisonnable. Nous sommes très internationaux : nous comptons, au siège de la rue Balard, 30 nationalités parmi nos 780 collaborateurs.

Je ne peux pas manquer l'occasion de souligner qu'Eutelsat est un excellent citoyen européen. Sur les vingt dernières années, nous avons commandé 27 de nos 30 satellites à des constructeurs européens et Arianespace a lancé plus de la moitié de nos satellites. Notre grand concurrent européen, SES, qui est luxembourgeois, a commandé 8 satellites sur 40 à des constructeurs européens et moins de la moitié ont été lancés par Arianespace.

Nous sommes un contribuable très taxé par rapport à nos deux plus gros concurrents, qui sont tous les deux luxembourgeois, à savoir SES et Intelsat. Nous reversons 35 % de nos profits à l'État, soit trois fois plus que nos concurrents qui exercent le même métier et sont situés à 300 kilomètres.

J'en viens au haut débit. Les données de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) montrent que 300 000 foyers environ n'ont aucun accès, soit 0,9 % de la population. 10,7 % des foyers, soit près de 4 millions de foyers correspondant à près de 12 millions de français, ont un accès de moins de 2 Mbit/s.

Une nouvelle génération de satellites est apparue récemment : les satellites à haute capacité. Ils sont profondément différents des satellites de la génération antérieure, qui avaient une capacité de 2 Gbit/s. KA-SAT a une capacité 45 fois supérieure. Retenons donc que les autres satellites avaient un ou deux grands faisceaux, alors que KA-SAT a 82 faisceaux, chacun pouvant être réutilisé. Beaucoup de gens ne connaissent pas la solution satellitaire. Parmi ceux qui la connaissent, beaucoup ont un souvenir mitigé des satellites de la génération précédente.

Notre satellite KA-SAT a été lancé en décembre 2010. Il est opérationnel depuis juillet 2011 pour seize années. Construit par Astrium, il est basé sur dix stations terrestres en Europe. Il couvre toute l'Europe, l'Afrique du nord et les Pays du Golfe. Pour ce qui est de la France, ce satellite peut couvrir près de 300 000 foyers, soit 1 million de personnes. Par rapport aux satellites de la génération précédente, le débit descendant est, dans l'entrée de gamme, six fois plus important et le débit montant a été multiplié par vingt. Le volume mensuel est passé en bas de gamme à 1,2 Go à 10 Go. En haut de gamme, il est désormais illimité. Malgré cette amélioration du service, le tarif d'abonnement n'a pas changé en entrée de gamme et il a diminué en haut de gamme.

L'un des avantages supplémentaires de la solution satellitaire est qu'elle permet aussi le triple play. Elle connaît cependant des limites. La première est la latence : comme il faut passer par un satellite situé très haut, il y a un petit moment entre la pression sur le bouton et le résultat. Pour les amateurs de jeux en ligne, la solution satellitaire n'est donc pas optimale. La deuxième limite est la capacité de couverture : elle est limitée en nombre de foyers. Notre satellite ne peut en couvrir que 300 000 en France.

Nous ne prétendons pas être une alternative à la fibre. Nous sommes un complément à la fibre et nous sommes une meilleure solution que le Wimax.

M. Daniel Raoul, président. - Ce n'est pas difficile !

M. Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat. - Il faut se rappeler, Monsieur le Président, que quand le Wimax s'est développé, la solution satellitaire était beaucoup moins bonne qu'aujourd'hui ! Elle s'est nettement améliorée depuis.

Le Wimax, c'est 2 à 4 Mbit/s, tandis que la solution satellitaire, c'est de 6 à 20 Mbit/s. Le Wimax ne peut pas proposer de triple play.

Je souhaite rappeler les progrès colossaux faits depuis dix ans en passant du bas débit au haut débit. La fixation sur le très haut débit est parfois un leurre. Quand on avait le bas débit à 56 Kbit/s, il fallait 25 minutes pour recevoir un mail avec 10 photos. Quand on est passé au haut débit à 512 Kbit/s, on est passé à 2 minutes 30. Quand on est au haut débit à 10 Mbit/s, il ne faut plus aujourd'hui que 8 secondes. Si on passe à 100 Mbit/s, on passe de 10 secondes à 1 seconde. Le progrès est déjà d'avoir 10 Mbit/s ! Les progrès sont encore plus spectaculaires si on analyse les délais sur le téléchargement d'un album de musique.

Il faut constater l'échec des objectifs fixés au niveau européen concernant le haut débit pour tous en 2013. Au 1er juillet 2012, 95,7 % de la population de l'Union européenne était couverte par les réseaux Internet haut débit, mais 9,1 millions de foyers, principalement dans les zones rurales, demeuraient inéligibles à Internet haut débit. Le taux de couverture des zones rurales demeure limité à 80 % environ et près de 80 % des abonnés DSL ont accès à des offres inférieures à 2 Mbit/s par seconde. Or l'Agenda numérique européen, défini en 2010, prévoyait que le haut débit serait disponible pour tous en 2013.

Je terminerai en soulignant que quatre verrous doivent être levés afin de favoriser l'appropriation de la solution satellitaire :

- sa notoriété doit être améliorée : beaucoup de personnes ne connaissent pas cette solution. Nous menons des actions à destination des maires et des écoles ;

- l'aide aux particuliers doit être utilisée efficacement : l'annonce faite par Mme Fleur Pellerin au Sénat, le 2 avril dernier, selon laquelle un budget est prévu pour 300 000 accès Internet via les technologies satellitaires, doit être traduite dans les faits ;

- la gouvernance locale doit être clarifiée : les rôles respectifs du département et de la région sont complexes et certains élus nous disent qu'ils ne peuvent pas agir pour cette raison ;

- le réseau de distribution doit être soutenu : nos distributeurs sont soit des grandes entreprises pour qui le satellite n'est qu'un sujet parmi d'autres, soit des petites entreprises. La parole des sénateurs est très écoutée par les entreprises.

En conclusion, l'aménagement numérique peut faire un saut majeur, et sans attendre, si le satellite est effectivement inclus comme solution de vrai haut débit à côté de la fibre optique. Les satellites de haute capacité sont des technologies très performantes et les gens l'ignorent trop souvent. Les collectivités locales vont jouer un rôle directeur pour en faire une priorité. Enfin, le satellite n'est pas une solution palliative mais un complément, notamment à la fibre en zone rurale.

M. Michel Teston. - La mise en service du satellite KA-SAT a en effet amélioré les débits mais la capacité demeure limitée : il ne peut donc constituer qu'un complément. Envisagez-vous de lancer un satellite plus puissant ?

M. Bruno Retailleau. - J'ai le sentiment que le temps de latence est une limite pour des usages tels que le jeu : ne peut-on rien améliorer à ce niveau ? S'agissant de la gouvernance, les élus disposent d'outils et de schémas qui leur permettent d'agir d'ores et déjà s'ils le veulent. Le satellite est une solution indispensable à la couverture totale du territoire.

M. Hervé Maurey. - Le très haut débit n'est peut-être pas indispensable aujourd'hui, mais il faut anticiper l'évolution des usages : c'est un enjeu à terme en matière d'industrie et de services. Les limites de KA-SAT ayant été évoquées, échangez-vous avec le Gouvernement sur la possibilité de développer un nouveau satellite ?

M. Claude Bérit-Débat. - Vous êtes un bon vendeur pour la solution satellitaire, mais la capacité de 300 000 foyers desservis est très limitée : comment aller plus loin ?

M. Jean-Claude Lenoir. - La notoriété du satellite a été entachée par les débuts difficiles de Nordnet. Il est vrai que les collectivités se sont fortement engagées pour développer le câble et le Wimax : il peut être difficile pour les élus de dire qu'ils auraient pu avoir une offre plus intéressante en attendant un peu. Les 300 000 foyers mentionnés seront-ils desservis selon un ordre de priorité ? Les opérateurs jouent-ils le jeu ou votre offre gêne-t-elle les opérateurs du câble ?

M. Bruno Sido. - J'ai des interrogations générales sur lesquelles je n'attends pas nécessairement de réponse : que pensez-vous des satellites électriques, de la pertinence du projet Ariane 6 et du manque de places en orbite géostationnaire ? Dans le cadre de la présente audition, que répondez-vous aux critiques relatives à la fiabilité de la solution satellitaire ? La réception satellitaire n'a pas une bonne notoriété : dans mon territoire, les citoyens considèrent qu'ils ont droit à la fibre, même si on leur paie l'abonnement KA-SAT.

M. Gérard César. - Quels sont les lanceurs que vous utilisez, mis à part Arianespace ? Je fais observer par ailleurs que bien souvent les collectivités financent l'installation de paraboles en l'absence d'autre solution.

M. Jean-Pierre Vial. - En Savoie, l'opérateur TV8 Mont-Blanc propose la desserte aux collectivités : comment se présente-t-il ? Le débit actuel peut-il être amélioré ?

M. Philippe Leroy. - Vous avez une capacité de desserte de 300 000 foyers, mais quel est aujourd'hui le nombre de vos abonnés et quels sont vos objectifs ?

M. Michel de Rosen, directeur général d'Eutelsat. - Je ne voulais pas dire que le très haut débit n'avait pas d'utilité, mais qu'il faut au moins qu'il y ait d'ores et déjà du haut débit partout.

Les reproches relatifs à la fiabilité concernent la génération précédente de satellite : avec KA-SAT, nous avons des remontées très favorables des particuliers comme des petites et moyennes entreprises (PME). Le temps de latence est inévitable et s'oppose à l'utilisation des jeux, mais les autres usages donnent toute satisfaction. Nous avons un taux de disponibilité de 99,5 %.

On peut progresser en débit avec le satellite existant grâce à une amélioration du logiciel. Pour lancer un autre satellite, il faudrait déjà exploiter pleinement celui dont nous disposons. Or nous n'avons que 15 000 abonnés à l'heure actuelle en France.

Je crois à Ariane 6, mais ce lanceur devra être compétitif sur les coûts. S'agissant des autres lanceurs, nous avons recours aux sociétés russes et chinoises, les lanceurs américains travaillant jusqu'à présent pour le compte du ministère de la défense américain.

Concernant la gouvernance, il est vrai que les élus s'engagent dans certaines régions, tandis que d'autres nous font part de leurs difficultés. Vous pouvez nous y aider.

Les opérateurs jouent le jeu : nous n'identifions pas de conflit d'intérêt parmi eux. L'opérateur TV8 Mont-Blanc / Sat2Way a des moyens limités, mais la solution satellitaire a été testée avec succès au sommet du Mont-Blanc.

En conclusion, le satellite propose désormais une solution de qualité pour 300 000 foyers, soit un million d'utilisateurs potentiels.

Economie numérique - Audition de M. Giuseppe de Martino, président de l'Association des services internet communautaires (ASIC) et secrétaire général de Dailymotion, et de M. Benoît Tabaka, secrétaire général de l'ASIC et directeur des politiques publiques de Google France

La commission procède à l'audition de M. Giuseppe de Martino, président de l'Association des services internet communautaires (ASIC) et secrétaire général de Dailymotion, et de M. Benoît Tabaka, secrétaire général de l'ASIC et directeur des politiques publiques de Google France, sur la compétitivité du secteur de l'économie numérique, la neutralité de l'Internet et la fiscalité numérique.

M. Daniel Raoul, président. - Nous accueillons maintenant M. Giuseppe de Martino, président de l'Association des services internet communautaires (ASIC). Votre association intervient dans les différends qui vous opposent aux opérateurs de télécommunications, et plus précisément sur la question de la neutralité de l'Internet. Pourrez-vous nous préciser la définition de ce concept fondamental, qui peut avoir un impact économique important. Le dernier conflit sur cette question a opposé Free à Google. C'est à sa suite que la ministre chargée de l'économie numérique a annoncé un projet de loi pouvant consacrer au niveau législatif la neutralité de l'Internet. Par ailleurs, le Conseil national du numérique (CNNum) - que nous auditionnerons demain matin - a rendu en mars un avis sur la question.

M. Giuseppe de Martino, président de l'Association des services internet communautaires (ASIC). - L'ASIC est une exception française. Il n'existe dans aucun autre pays une telle association regroupant des géants de l'Internet (Facebook, Google, Microsoft, Yahoo...), des modestes champions nationaux (Priceminister, Dailymotion) et quelques start up. Ces acteurs ont choisi de se regrouper suite à la première atteinte à la neutralité de l'Internet en 2007. Un fournisseur d'accès - Neuf Cegetel - avait choisi, parce que ses discussions commerciales d'attribution de bande passante avec un fournisseur de contenus, en l'occurrence Dailymotion, se passaient mal - d'empêcher le visionnage par ses abonnés de vidéos sur le site en question. Pour la première fois, un fournisseur d'accès touchait au principe selon lequel « le fournisseur de tuyau ne doit pas toucher au contenu passant dans ce tuyau ». Dailymotion a mis un pop up informant les utilisateurs qu'il n'était pas responsable de cette situation et les orientant vers la centrale d'appels du fournisseur d'accès. En une heure, la hotline de ce dernier était saturée et en deux heures le service était rétabli.

Les fournisseurs de contenus ont alors créé cette association pour faire de la pédagogie et expliquer le concept de neutralité de l'Internet. Elle a pour but de défendre la neutralité dans sa dimension économique : les fournisseurs de contenus doivent pouvoir choisir le fournisseur de bande passante, le fournisseur d'accès qui propose du peering, le transit ou le content delivery network (CDN). Nous, fournisseurs de services internet, voulons cette liberté de choix de la source d'approvisionnement en bande passante.

L'ASIC a eu la surprise d'être alors convoquée par M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères. Il avait une définition différente de la neutralité de l'Internet, puisqu'il pensait à la défense du bloggeur tunisien : comment un dissident pouvait-il arriver à se faire entendre par tous sur Internet ? La définition de la neutralité était donc variable d'un acteur à l'autre.

L'ASIC reste cantonnée à la dimension économique, la neutralité de l'Internet se déclinant en trois principes : premièrement, l'opérateur de réseau, quand il met à disposition son réseau, ne doit pas discriminer le contenu par rapport à l'utilisateur du réseau ; deuxièmement, l'opérateur de réseau doit agir en toute transparence auprès des fournisseurs de service ; enfin, il doit informer parfaitement le consommateur.

En 2008, le sujet devient toujours plus important. L'ASIC saisit l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), grâce à l'intervention de Bruno Retailleau, allié indispensable dans la pédagogie à l'égard des autorités de régulation. L'Arcep estimait ce sujet un peu connexe par rapport à son domaine d'intervention. Nous souhaitions cependant que l'autorité se saisisse du dossier pour trouver des solutions en cas de blocage, ce qu'elle a fini par faire. Le sujet a donc atteint aujourd'hui sa pleine maturité : un opérateur de réseau n'oserait pas couper les services d'un opérateur de services, ou il prendrait le risque que l'utilisateur final choisisse un autre fournisseur d'accès.

Vous avez cité l'exemple du conflit entre Free et Youtube, entité appartenant à Google. Les discussions achoppent sur le montant de la prestation, mais aussi, plus généralement, sur la philosophie. Entre les trois modes de fourniture d'accès (peering, transit, CDN), tout vient se mélanger aujourd'hui, les opérateurs intégrant de plus en plus une dimension CDN dans leurs offres commerciales. Il est plus difficile d'estimer, notamment dans le cas du différend entre Free et Youtube, qui n'a pas respecté la logique des négociations commerciales et le principe d'égalité.

L'Arcep a été saisie de ce différent. L'autorité a cependant une énorme difficulté : ses clients naturels sont les opérateurs de télécommunications, qui ont l'obligation de donner des chiffres sur les trafics transitant sur leurs réseaux. L'Arcep n'a pas les mêmes informations sur les fournisseurs de services, surtout quand ils sont basés à l'étranger. Elle va donc devoir arbitrer et enquêter.

Il y a plusieurs semaines, l'Arcep a déclaré - et c'est une très bonne nouvelle - vouloir mettre en place des observatoires de qualité de services. Par cette transparence dans la fourniture d'un service, on arrivera à comparer les différentes activités.

L'Arcep est donc garante de cet Internet ouvert, de la neutralité de l'Internet. Au-delà de la dimension économique et de la dimension « bloggeur tunisien », des exemples montrent des atteintes à la neutralité dans sa dimension la plus large. On peut évoquer ainsi Apple choisissant, à partir d'une lecture de ses conditions générales d'utilisation, d'exclure des services de sa boutique d'application ; Free empêchant sur sa box les fournisseurs de services d'offrir de la publicité ; Google et la question de la neutralité des résultats de recherche ... De même, est-ce que la télé connectée est neutre en soi ? Toutes ces questions sont liées à l'enjeu de non discrimination, de transparence et surtout d'information du consommateur.

Au niveau européen, le troisième « paquet télécom », dont le contenu est assez satisfaisant, a été transposé. Est-ce suffisant ? A-t-on besoin d'une loi ? Dans le domaine des nouvelles technologies, il faut légiférer d'une main tremblante. L'Internet a une dimension internationale et ce ne sont pas les acteurs économiques européens qui pourront changer la donne. Nous militons donc pour une approche plus globale, peut-être dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), cadre le plus approprié pour remettre à plat ces notions, sans discrimination. N'oublions pas le dernier maillon de la chaîne : l'utilisateur doit se voir offrir l'information la plus transparente possible.

M. Daniel Raoul, président. - J'ai une question peut-être un peu indiscrète à vous poser : combien cela coûte t-il à une entreprise d'être référencée préférentiellement sur Google ?

M. Giuseppe de Martino. - On sort là du débat sur la neutralité de l'Internet ... Google a mis au point des algorithmes de recherche qui n'ont pas nécessairement à être neutres. Ainsi, ils valorisent les recherches les plus fréquentes des internautes, mais également les services internes du groupe. Les autorités de la concurrence en ont été informées, leur décision est aujourd'hui attendue. L'achat de mots-clef soulève en effet des interrogations en matière de transparence, non discrimination, tarification, procédure d'enchères ...

M. Bruno Retailleau. - La notion de neutralité du Net est à la fois essentielle, car elle conditionne l'ouverture du réseau, et difficile à appréhender. La loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique a précisé le statut et la responsabilité des hébergeurs.

Je suis de votre avis : légiférer sur ce point peut être dangereux. L'Arcep a déjà formulé dix recommandations relativement consensuelles en la matière. Lors de la transposition du troisième « paquet télécoms » en 2011, nous avions donné à l'Autorité compétence pour trancher les différents entre opérateurs et prestataires de service, et fait expressément référence au principe de non discrimination. Faut-il aller plus loin ? Un arbitre est certes nécessaire, mais le régulateur, l'Autorité de la concurrence et le juge y pourvoient déjà.

Les opérateurs doivent pouvoir pratiquer des tarifs différents selon certains critères, tels que l'utilisation de la bande passante, à condition d'être parfaitement transparents et d'informer les utilisateurs. Leur crainte est en effet aujourd'hui d'assister à un engorgement des réseaux, alors que la chaîne de valeur s'est déplacée vers les fournisseurs de contenus. L'ASIC a fait, en ce domaine, des propositions raisonnables.

M. Daniel Raoul, président. - Dans un secteur évoluant aussi rapidement, il est effectivement difficile de légiférer. L'OMC paraît être un horizon lointain ; il faudrait d'abord régler le différend existant entre l'Europe et les Etats-Unis.

Je suis favorable à une fusion entre l'Arcep et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), car leurs rôles sont extrêmement proches, notamment en ce qui concerne le respect de la neutralité des réseaux.

M. Giuseppe de Martino. - Le CSA détient cette compétence de par le caractère national des diffuseurs et la soumission de leur activité à autorisation ; si la ressource qu'ils utilisent n'est pas rare, qu'elle ne donne pas lieu à l'attribution d'une licence ou que les acteurs sont situés à l'étranger, quelle est alors la légitimité de son intervention ?

J'étais vice-président du Conseil national du numérique (CNNum) à sa création. L'ASIC s'est réjouie de l'entendre reconnaître que l'Internet devait être libre, mais a critiqué sa proposition d'intégrer ce principe dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Ce texte traite en effet d'audiovisuel ; en outre, la liberté d'expression est déjà protégée par d'autres dispositions.

M. Daniel Raoul, président. - Je crois que la déclaration de la ministre sur la possibilité de légiférer en ce sens intervenait dans un contexte spécial et visait simplement à mettre fin à une partie de « bras de fer », sans forcément chercher à aller plus loin ...

Mercredi 17 avril 2013

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -

Contrôle de la mise en application des lois - Communication

Communication de M. Daniel Raoul, président, sur le suivi de l'application des lois.

M. Daniel Raoul, président. - Chaque année, il me revient de vous présenter le bilan d'application des lois relevant du champ de compétences de notre commission.

Mais, cette année, deux modifications importantes - l'une de périmètre et l'autre relative à la période prise en compte - rendent quasi impossible toute comparaison avec les bilans établis précédemment.

En effet, il nous faut tenir compte de la partition de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire décidée par l'adoption de la résolution du 19 décembre 2011, portant modification du Règlement du Sénat.

Notre commission doit donc assurer le suivi des lois impactant les secteurs de compétences qui lui ont été attribués. À ce titre, 24 lois sont suivies par la commission parmi celles adoptées depuis 1981.

Par ailleurs, la période prise en compte a varié par rapport à celle fixée pour le précédent bilan d'application. Il s'agit de suivre les lois promulguées jusqu'au 30 septembre 2012 et les mesures d'application publiées entre le 1er octobre 2011 et le 31 mars 2013 pour les lois promulguées depuis le 14 juillet 2011, c'est-à-dire non prises en compte par le dernier bilan.

S'agissant des lois antérieures au 14 juillet 2011, c'est-à-dire notre stock, sont recensées les mesures d'application publiées seulement à partir du 1er janvier 2012, puisque le dernier bilan faisait état des mesures d'application publiées jusqu'au 31 décembre 2011.

Ce décalage dans les périodes de référence des lois prises en compte et des mesures d'application répond au souci d'apprécier l'engagement du Gouvernement énoncé dans sa circulaire du 29 février 2008 relative à l'application des lois fixant un objectif de publication des « mesures réglementaires nécessaires dans un délai de six mois suivant la publication de la loi ».

Sans pouvoir donc établir de comparaison avec les années précédentes, je vais, en m'appuyant sur l'analyse des textes d'application des 24 lois identifiées et relevant de notre champ de compétences, présenter un bilan qualitatif et faire quelques préconisations.

Sur les 24 lois, quatre ont été adoptées au cours de l'année parlementaire de référence, c'est-à-dire entre le 14 juillet 2011 et le 30 septembre 2012. C'est un chiffre relativement faible imputable à l'interruption prolongée des travaux parlementaires en raison des élections présidentielle puis législatives.

Il s'agit de : la loi du 8 décembre 2011 relative aux certificats d'obtention végétale, la loi du 7 mars 2012 portant diverses dispositions d'ordre cynégétique, la loi du 20 mars 2012 relative à la majoration des droits à construire, et de la loi du 6 août 2012 visant à abroger la loi précédente.

Les deux derniers textes étaient d'application directe, mais on peut regretter, s'agissant des deux premières lois citées, qu'au bout de six mois, elles ne soient toujours pas totalement applicables. Ainsi la loi du 7 mars 2012 portant diverses dispositions d'ordre cynégétique est totalement inapplicable alors qu'un seul décret en Conseil d'État, je parle sous le contrôle de Jean-Jacques Mirassou qui en était rapporteur, est attendu. Il serait en phase finale d'élaboration et susceptible d'être publié avant l'été.

Il faut souligner qu'il s'agit d'une loi d'origine parlementaire, cette fois-ci provenant de l'Assemblée nationale, mais un texte quasiment identique avait été déposé par notre collègue Ladislas Poniatowski. Malgré ce consensus parlementaire, l'administration ne se précipite pas pour publier les textes d'application... Doit-on voir une corrélation avec le fait que cette loi est d'origine parlementaire et non gouvernementale ?

Il en est de même de la loi du 8 décembre 2011 relative aux certificats d'obtention végétale qui n'est, à ce jour, applicable qu'à hauteur de 12 %. Et, là encore, on peut dénoncer cette lenteur, d'autant plus qu'il s'agit d'un texte d'initiative sénatoriale déposé par notre collègue Christian Demuynck. Certes, ce texte n'avait pas fait l'objet d'un consensus politique, comme en témoigne le débat qui a eu lieu au Sénat le 27 mars 2013 mais, a priori, le ministre de l'agriculture, que nous avons interrogé suite au débat en séance publique, s'est engagé à ce que les décrets soient prochainement publiés, à l'issue d'une concertation avec les parties prenantes.

Pour achever notre commentaire sur le degré d'application des lois, j'indiquerai qu'une majorité d'entre elles est partiellement applicable, ce qui est loin d'être satisfaisant. Dans certains cas, d'importants retards sont à déplorer. Il en est ainsi de la loi du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique qui n'est applicable qu'à hauteur de 88 %. On peut également citer la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales.

Ce bilan d'application des lois permet également de constater que près de la moitié des lois suivies par la commission des Affaires économiques a été adoptée après engagement de la procédure accélérée. Mais ceci ne permet pas de conclure à la production plus rapide des mesures d'application.

Comme l'année dernière, je tiens également à déplorer les « défaillances » de l'administration s'agissant du dépôt des rapports au Parlement prévus par les différents textes de lois. La remise de ces rapports n'est d'ailleurs pas plus effective lorsqu'il s'agit d'une disposition initiale du Gouvernement. Tout le monde est logé à la même enseigne, mais ceci donne à réfléchir : il nous faut absolument combattre cette solution de facilité qui consiste à prévoir un rapport sur un dispositif dès lors qu'on ne peut en obtenir l'adoption dans la loi.

Les chiffres sont éloquents : sur les 52 rapports prévus par les 24 lois suivies dans ce bilan, seuls 20 avaient été déposés au 31 mars 2013. Certains rapports attendus sont prévus par des lois datant de 2004... 7 des rapports ainsi attendus étaient prévus par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

A travers ce bilan de l'application des lois, je me félicite également de la coopération intéressante avec la commission sénatoriale sur l'application des lois, à travers les rapports thématiques qui associent un sénateur de notre commission lorsque le thème choisi relève de notre champ de compétences. Il me paraît indispensable que ce bilan soit coproduit par notre commission et la commission sénatoriale.

Notre collègue Jean-Jacques Lasserre participe ainsi au rapport sur l'application de la loi du 22 juillet 2009 de développement et de modernisation des services touristiques.

Enfin, à l'initiative de cette commission sénatoriale de l'application des lois, un débat en séance publique aura lieu début juin sur ce bilan d'application des lois. Je pense intéressant d'y participer pour souligner les points positifs et dénoncer les lenteurs, voire éventuellement les interprétations contestables des textes d'application.

En conclusion, je souhaite remercier tous ceux d'entre vous qui sollicitent le Gouvernement à travers vos questions écrites précises sur la mise en oeuvre de telle ou telle loi. Ces sollicitations ont généralement un impact assez rapide sur la mise en application des lois.

M. Jean-Claude LenoirM. le président, le rapport que vous avez fait est extrêmement intéressant.

J'ai moi-même regardé ce qui s'est passé depuis que je suis sénateur, c'est-à-dire depuis septembre 2011. J'ai vu que, dans un premier temps, nous avions surtout voté des lois qui annulaient des lois antérieures, vous l'avez rappelé. Nous avons aussi consacré un peu de notre temps à l'examen de propositions de lois émanant de membres appartenant à la majorité sénatoriale. Une, notamment, qui a donné lieu à de nombreuses interventions pleines d'impatience et de détermination, visait à restituer deux atolls du Pacifique, Mururoa et Fangataufa, au territoire de la Polynésie française. L'Assemblée nationale n'avait pas repris cette proposition de loi que nous avions votée. Je souhaitais savoir - je pense que vous n'avez pas la réponse maintenant, mais vous pourrez me la donner plus tard - si le Gouvernement avait l'intention de donner une suite à cette initiative.

M. Daniel DuboisLa publication de ce rapport me donne l'occasion d'intervenir en élargissant un peu le débat. Compte tenu de la gravité de la situation économique de notre pays, on aurait pu envisager que notre commission soit invitée à assister à la prochaine présentation, par Didier Migaud, du rapport du Haut conseil des finances publiques, devant la commission des Finances.

M. Daniel Raoul, président - Une audition du directeur général de la Banque publique d'investissement (BPI) est prévue, le 15 mai prochain, en commun avec la commission des finances et la commission du développement durable. La présentation du rapport du Haut conseil des finances publiques me paraît, quant à elle, spécifique à la commission des finances, mais je vous fais confiance pour interroger à ce sujet le directeur général de la BPI.

M. Gérard Bailly. - Monsieur le président, nous posons tous des questions écrites, mais nous pouvons malheureusement parfois constater un manque évident de précision ou d'à-propos dans les réponses qui nous sont apportées.

M. Martial Bourquin. - Monsieur le président, je voudrais vous remercier de faire venir le directeur général de la Banque publique d'investissement afin de connaître les délais de mise en place de cette institution, tant en ce qui concerne les prêts que les conseils aux entreprises. C'est une très bonne initiative, car on constate une forte attente à ce sujet dans nos circonscriptions.

Par ailleurs, je souhaiterais suggérer que nous recevions la Fédération française bancaire. La crise du financement est réelle : de nombreuses PME et TPE nous font part de leurs difficultés. En outre, des assureurs bancaires transforment certains bassins d'emplois touchés par la récession économique en bassins à risques. Il nous faudrait organiser des auditions afin d'avoir une vue d'ensemble du financement de l'économie. Enfin, il serait intéressant de recevoir le président du Conseil national de l'industrie.

M. Daniel Raoul, président - Il nous faut trouver un juste équilibre dans les demandes d'auditions fort nombreuses. Certains membres de cette commission trouvant que nous en faisons parfois trop.

M. Bruno SidoMonsieur le président, je considère pour ma part qu'il n'y a pas assez d'auditions et que celles que nous organisons ne sont pas toujours assez longues pour nous permettre d'approfondir le thème traité.

Par ailleurs, je pense qu'une audition importante devrait être organisée, par la commission des Affaires économiques, sur le sujet des emprunts toxiques.

Mme Valérie Létard. - Monsieur le président, comme vous nous y encouragez, nous essayons effectivement de ne pas alourdir les débats en passant par des questions écrites, mais il serait bon que nous obtenions des réponses en retour ! Je doute de l'efficacité des questions que nous posons en matière de relance économique : en ce qui concerne le fonds social européen, que nous sollicitons en soutien à la création d'emplois, à la formation, à l'insertion, à l'aide aux entreprises, il nous faut attendre deux ans avant de pouvoir bénéficier du financement ! Ce n'est pas anecdotique.

M. Ladislas PoniatowskiAttention à respecter la répartition des compétences entre les différentes commissions et à utiliser avec discernement notre capacité à se saisir pour avis des textes qui ne nous sont pas renvoyés au fond. Ce même respect de nos champs de compétences respectifs doit guider nos choix d'auditions.

M. Jean-Jacques Lasserre. - N'oublions pas que les auditions sont d'autant plus utiles et intéressantes qu'elles explorent les aspects fonctionnels du thème traité !

M. Daniel Raoul, président - Je constate que les avis divergent toujours à l'égard des auditions. Ma grille de lecture sera de nous maintenir en cohérence avec le spectre des compétences de la commission.

M. Marc Daunis- Serait-il possible de procéder à une sorte de « planification thématique » sur l'ensemble de la session ? Une certaine mise en perspective et en cohérence des thèmes évoqués sur l'année parlementaire par les commissions, les groupes d'études et les groupes de travail pourrait nous donner plus de lisibilité et simplifier notre travail.

M. Daniel Raoul, président - Je comprends intellectuellement votre demande qui, sur le plan pratique, semble malheureusement bien difficile à mettre en oeuvre.

Nomination de rapporteurs

M. Serge Larcher est désigné rapporteur sur la proposition de loi n° 447 (2012-2013) visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques.

Mme Renée Nicoux et M. Gérard César sont désignés co-rapporteurs sur la proposition de résolution européenne n° 524 (2012-2013), présentée au nom de la commission des affaires européennes en application de l'article 73 quater du Règlement, relative à la réforme de la politique agricole commune.

Audition de M. Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique

La commission procède à l'audition de M. Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique.

M. Daniel Raoul, président. - Le conseil national du numérique (CNNum), créé en avril 2011, vient d'être profondément remanié par un décret de décembre 2012. Vous nous indiquerez, Monsieur le Président, les modifications intervenues dans sa composition. S'agissant de votre champ d'intervention, vous avez d'ores et déjà travaillé sur deux thèmes : la fiscalité du numérique et la neutralité de l'Internet. Hier, nous avons, entre autres, auditionné l'Association des services internet communautaires (ASIC) qui nous a exposé son point de vue sur ce dernier thème. Il est donc particulièrement intéressant de vous entendre afin d'être pleinement éclairés. Je vous laisse la parole, avant que mes collègues, et notamment les deux sénateurs que nous avons désignés pour siéger dans votre instance et les membres du groupe d'études communications électroniques et poste, ne vous posent des questions

M. Benoît Thieulin. - Quelques mots de présentation du CNNum pour commencer. Il s'agit d'une commission consultative indépendante créée en avril 2011, dont les missions et la composition ont été redéfinies par un décret du Président de la République du 13 décembre 2012. Sa raison d'être est de formuler et de publier des avis et des recommandations sur toute question relative à l'impact du numérique sur la société et sur l'économie, de manière à la fois à préparer les décisions des pouvoirs publics dans ce domaine et de permettre à la société de mieux appréhender les questions et les enjeux essentiels du secteur.

Le décret de décembre 2012 a principalement visé à élargir et diversifier la composition du CNNum. Celle-ci doit désormais respecter un principe de parité entre les hommes et les femmes. Grâce à une meilleure représentation de l'ensemble des acteurs concernés par les évolutions dans le domaine du numérique, il doit également faciliter la rencontre et l'hybridation des idées et des points de vue. Il regroupe ainsi désormais, outre les représentants des gestionnaires des infrastructures de réseau et des gestionnaires de services, des personnes issues du monde de la recherche, du monde associatif, de la banque, des collectivités territoriales, etc.

Il est important d'encourager cette diversité qui renoue avec les origines de l'Internet. Celui-ci est en effet, historiquement aux États-Unis, le résultat d'une hybridation et d'une coopération entre des acteurs aux profils et aux origines très variés : chercheurs, universitaires, militaires, grandes sociétés, petites entreprises innovantes, etc.

En ce qui concerne les méthodes de travail du Conseil, je distinguerai trois types de saisine :

- d'abord, les saisines pour avis. C'est une saisine de cette sorte, à l'initiative de Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique, qui a aboutit à l'avis « Net neutralité » du 1er mars 2013 ;

- ensuite, les saisines pour concertation. Mme Fleur Pellerin en a initié une sur le thème de la fiscalité du numérique pour tâcher d'éclairer la question suivante : quelle adaptation de la fiscalité pour accompagner la transformation numérique ? Dans ce cadre, le CNNum a lancé une concertation permettant le questionnement, les appels à contributions et l'échange de tous les acteurs concernés. Le but est de faire remonter des contributions écrites qui seront ensuite soumises au débat public ;

- enfin, les saisines que je qualifierais de prospectives et que j'illustrerais par l'exemple de nos travaux en cours sur l'inclusion numérique.

De façon générale, je souhaite que le CNN fasse preuve d'innovation dans son travail de consultation, de concertation et de réflexion. Je souhaite que nous ne nous contentions pas du cadre formel et un peu convenu des auditions, pour nous engager le plus possible vers des rencontres contributives. Celles-ci ne doivent pas se limiter à laisser s'exprimer les acteurs, mais leur permettre d'échanger, de confronter leurs points de vue et de les faire évoluer. Je souhaite que l'innovation se manifeste également dans le domaine des modes de restitution de nos travaux, en dépassant le simple rapport ou avis, pour fournir la cartographie de controverses ou des documents pédagogiques permettant au grand public de s'approprier les débats.

J'en viens maintenant à la question de fond sur laquelle vous m'avez interrogé, Monsieur le Président, celle de la neutralité du web. Sur ce débat fondamental, le CNNum n'a pas souhaité s'engager dans une approche trop étroitement juridique et technique, car cet aspect de la question est déjà bien documenté, notamment grâce aux travaux de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). Nous avons tenu à élargir l'approche en prenant en compte aussi le point de vue des utilisateurs du Net, qu'il s'agisse des simples particuliers ou des entreprises afin de préserver notamment l'écosystème des jeunes entreprises innovantes. Deux grandes conclusions se dégagent de notre avis sur cette question.

La première est que la neutralité de l'internet devrait être mieux garantie par la loi. On sait en effet qu'elle est parfois contournée à travers des techniques de filtrage ou de blocage. Vous avez tous en tête la controverse récente qui a suivi la décision de Free de bloquer la publicité sur les pages Google. Cette décision a eu le mérite de poser la question de la neutralité au grand jour et de permettre au public de prendre conscience de son importance. Même si je dois dire qu'elle l'a fait de manière un peu paradoxale, puisqu'elle a remis en cause ce principe de neutralité en présentant cette entorse de manière sympathique comme une lutte contre les excès de la publicité. Ce n'est bien sur qu'un aspect du débat ! Cette décision peut aussi être regardée comme remettant en question de façon unilatérale les droits de certains utilisateurs du réseau, notamment ceux des entreprises dont le modèle économique repose sur le respect de la neutralité du web et ceux aussi des utilisateurs particuliers qui se voient imposés un accès restreint à des informations qu'ils peuvent juger utiles. Il y a donc un équilibre à trouver pour garantir à la fois la neutralité du web, la préservation d'infrastructures qui, dans notre pays, sont de très grande qualité, et le dynamisme du marché de la connexion Internet.

Ceci posé, le CNNum s'est penché sur les lois adoptées dans certains pays comme les Pays-Bas ou la Slovénie, qui ont inscrit dans leur droit le principe de neutralité du Net. Nous avons des débats pour savoir si, au-delà du rappel fort dans la loi du principe de neutralité, il fallait aller plus loin dans la définition de ses critères d'application. Notre réponse est négative. La neutralité ne doit pas être conçue comme un impératif juridique absolu. C'est un principe qui doit en permanence évoluer pour s'adapter aux conditions concrètes de fonctionnement du Net. Figer des critères dans la loi, c'est vider le principe de sa réalité. Je prends un exemple : en quelques années, les smartphones sont devenus un outil majeur de connexion au réseau. Si le législateur avait défini des critères concrets d'application du principe de neutralité il y a seulement quatre ou cinq ans, par exemple en fixant les conditions dans lesquelles l'ADSL peut ou non respecter la neutralité, il aurait défini des règles inadaptées à ce que sont aujourd'hui les enjeux économiques et sociaux de la neutralité du web, puisque ces enjeux portent largement sur des réseaux de téléphonie mobile et non d'ADSL.

Mieux vaut donc graver le principe de la neutralité dans la loi tout en conservant une souplesse de mise en oeuvre qui permette de tenir compte des changements très rapides du monde numérique en tolérant des exceptions ou en acceptant de lisser dans le temps certaines transitions. Cette démarche pragmatique passe par un renforcement des pouvoirs des autorités qui veillent à son respect, comme l'ARCEP, l'Autorité de la concurrence ou le pouvoir judicaire.

Le second axe de l'avis du CNNum concerne la communication en direction du grand public, l'objectif étant de lui faire comprendre à quel point ce principe de neutralité du Net est important pour l'avenir d'Internet et les usages qu'on peut en faire. La neutralité d'Internet n'est rien d'autre que le principe d'égalité dans l'accès au réseau. Les nombreux intermédiaires entre l'utilisateur du réseau et le réseau doivent rester neutres et ne pas discriminer en fonction d'intérêts ou de points de vue qui leur sont spécifiques les usages que chaque utilisateur souhaite en faire. Cette neutralité, c'est d'abord celle des tuyaux d'accès au Net, des infrastructures de réseau. C'est également celle des principales portes d'accès à Internet, qu'il s'agisse des grands portails, des principaux stores ou des moteurs de recherche. Une vision assez large de la neutralité du Net est nécessaire pour inclure ces différents aspects.

Le CNNum a eu un débat sur la question du véhicule législatif adapté pour faire évoluer le droit. Modifier la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication nous a semblé commode, même si nous avions conscience des réticences que cela pouvait engendrer de retoucher le texte qui crée le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Je conclurai sur la question de la neutralité en revenant sur les conditions de production de l'avis du CNNum. Il a été rendu dans des délais très courts, à peine trois semaines, ce qui a empêché de mener des concertations aussi larges et approfondies que nous l'aurions souhaité. Nous allons donc vraisemblablement relancer un groupe de travail dans les semaines à venir sur la définition des critères permettant d'apprécier le respect de la neutralité des grandes infrastructures de services d'accès. Ce n'est d'ailleurs pas qu'un débat national. Quelques affaires ont commencé à faire du bruit aux Etats-Unis ; je pense à l'annonce de la fermeture par Google de son site Google reader, qui condamne à mort tout un écosystème de start-up. C'est un outil de veille d'information qui est utilisé par un grand nombre d'entreprises. Un autre exemple pertinent concerne la gestion de ses stores par Apple : celui-ci peut décider d'y supprimer une application dont les images ne respectent pas le droit interne américain, alors même que les stores d'Apple sont déclinés nationalement et que l'application en question n'enfreint pas en réalité la loi américaine. Un article récent de l'économiste Paul Krugman parle à cet égard d'une quasi notion de service public incombant aux grands acteurs de l'Internet comme Google.

M. Bruno Retailleau. - Vous avez souligné la diversité de composition du CNNum ; y aura-t-il également une diversité politique et une réelle liberté de parole ? Il y a eu une polémique à ce sujet, lors de la redéfinition du périmètre du Conseil ...

S'agissant de la neutralité, je partage votre avis : Internet est devenu un bien public stratégique, et on ne peut laisser de grands opérateurs mondiaux privés imposer des règles à cet écosystème essentiel. Votre avis sur le sujet a été donné très rapidement, avec un débat après-coup, mais j'imagine que vous aviez des contraintes imposées...

Nous sommes là sur un point de contact entre contenants et contenus. Il y a une dimension juridique d'ordre constitutionnel, avec les libertés d'expression et de communication, et une dimension économique, s'agissant du financement de l'infrastructure.

Nous divergeons sur la nécessité de recourir à la loi. J'étais rapporteur lors de la transposition du troisième « paquet télécoms ». Nous avions inscrit dans la loi, à notre initiative, le principe de non discrimination, et reconnu à l'Arcep un pouvoir de règlement des différends entre opérateurs et prestataires de services. L'Autorité a émis dix recommandations, tout comme la Commission fédérale des communications (FCC) américaine avait proposé en 2009 six principes.

Mais soit la loi inscrit un principe, et après ?... Soit elle va dans le détail, ce qui est impossible : parle t-on de neutralité des réseaux, des terminaux, des moteurs de recherche ?... On risque en outre de perturber des équilibres souvent délicats.

Dans votre avis, vous souhaitiez donner valeur constitutionnelle à la neutralité, comme pour la liberté d'expression. Je pense que vous vous trompez, car la loi ne confère pas seule une telle force à un principe. Le Conseil constitutionnel, en 2009, avait posé pour la première fois le principe constitutionnel selon lequel Internet concourt à la liberté d'expression et de communication. C'est un fait acquis auquel la loi n'ajoutera ni ne retranchera rien.

Par ailleurs, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans laquelle vous avez proposé d'inscrire le principe de neutralité, est un épouvantail. Certes, la neutralité est constitutive d'Internet, mais ce qui, d'un point de vue juridique, importe en termes de libertés et d'accès aux contenus, c'est le statut, non pas d'éditeur, mais d'hébergeur. Nous l'avions consolidé dans la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. Vous avez agité un chiffon rouge en faisant allusion à la loi de 1986, qui concerne les éditeurs. La communauté numérique l'a perçu comme source de confusion entre le statut d'éditeur et celui d'hébergeur.

M. Pierre Camani. - Je voudrais vous dire tout le plaisir que j'ai à siéger au CNNum, qui joue un véritable rôle d'interface entre les décideurs publics et l'écosystème numérique. Internet constitue un gisement d'innovations et de compétitivité majeur, même s'il recèle également des dangers. L'importance de ses enjeux est aujourd'hui connue, et le Gouvernement en a saisi la profondeur.

Je souhaite représenter, au sein du CNNum, les territoires ruraux. Les infrastructures sont en effet essentielles, aux côtés des usages. La France est bien équipée en la matière, avez-vous dit ; certes, sur le cuivre, mais celui-ci ne permet pas d'accéder à tous les usages.

La neutralité n'est pas absolue, en effet. Faut-il légiférer ? Je le crois, d'autres pays l'ont fait d'ailleurs, même s'il ne sera pas possible d'aller dans les détails.

M. Yves Rome. - Je partage globalement votre avis, mais m'interroge toutefois, moi aussi, sur les réseaux : tout reste à faire en ce domaine dans notre pays, qui occupe sur ce point une position reculée à l'échelle mondiale ; le rapport que je viens de rendre avec mon collègue Pierre Hérisson en atteste.

Quant au principe de neutralité du Net, nous en brandissons le drapeau constamment ; or, il peut conduire à la pire des choses, l'asphyxie des réseaux. Je n'ai pas la même analyse que vous de Free : cet opérateur a parfois de bonnes intuitions, par exemple en médiatisant la régulation des usages que certains font de son réseau. C'est bien d'être neutre, mais lorsque l'on se fait piller toutes les données personnelles, comme le font les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ?... Il ne faudrait pas, au nom de la neutralité, devenir les naïfs du sérail ! Se laisser, en amont des réseaux, piller les outils nomades fabriqués aux États-Unis ou dans l'arc pacifique, et en laisser capter la valeur par de grands groupes internationaux d'origine généralement nord américaine. Ce principe peut être vu comme un droit nouveau par certains esprits éclairés, mais il peut être aussi destructeur de l'organisation sur laquelle notre modèle français de l'Internet est bâti. Il faut qu'il y ait un accompagnement de l'ensemble de la société sur ce que les usages nouveaux vont générer.

En matière de fiscalité, tout est à bâtir, et rapidement. Les États-nations n'y suffiront pas ; il faudra s'organiser à l'échelle européenne, et sans doute même mondiale.

M. Jean-Jacques Mirassou. - Le succès exponentiel d'Internet met en évidence, non seulement l'inflation d'une utilisation stérile de cette technologie, mais aussi des dérives à l'encontre de publics fragiles. C'est ainsi que des jeunes harcelés sur des réseaux sociaux ont été acculés au suicide. J'ai fait part de mes inquiétudes sur ce point à la ministre de la justice, qui m'a répondu qu'on ne pouvait rien faire car il y avait trop d'abus. J'estime, au contraire, que c'est parce que l'on fait rien qu'il y a tant d'abus. Il risque d'y avoir des dérapages intenables, et je refuse de banaliser toutes ces perversions dans l'usage d'Internet.

M. Michel Bécot. - Je souhaite évoquer une discrimination opposant l'urbain, où l'accès est rapide et immédiat, au rural.

Par ailleurs, une jeune start-up française a été récemment de fait condamnée, car Apple a supprimé de son store l'application qu'elle proposait ; que peut-on faire contre cela ?

M. Philippe Leroy. - Quand Apple change de système d'application, cela a un impact sur beaucoup de start up. Mais les relations sont les mêmes, dans l'économie physique, entre Airbus et ses sous-traitants, par exemple. Internet me paraît, de ce point de vue, comparable au système économique classique, où les dominants font fortune au détriment des dominés. Je plaide donc pour qu'on arrête de sacraliser le Net, et qu'on le considère comme un système économique comme un autre.

M. Benoît Thieulin. - Les médias ont abordé la problématique de la diversité au sein du CNNum. De mémoire, le Canard enchaîné avait parlé de quatre ou cinq membres connus pour être proches du Parti socialiste, ce qui reste faible sur les 25 membres qu'il compte. Par ailleurs, Marie Ekeland, qui a été une des leaders de la révolte dite des « pigeons », est une excellente membre du CNNum. Je ne crois donc pas qu'il y ait de problème particulier. Je précise que je ne suis pas décisionnaire dans la composition du conseil, c'est la compétence du Gouvernement. Les tours de table montrent en tout cas qu'il y a une vraie diversité de points de vue, ce qui était la priorité recherchée.

Nous devons discuter lors de notre prochaine réunion plénière de la façon dont nous allons travailler avec les neuf membres associés. Dans le décret, c'est sur notre programme de travail que nous souhaiterions avoir un appui. Nous n'avons actuellement qu'un rapporteur et demi, ce qui, pour trois groupes de travail, est assez difficile. Au-delà, le rapport direct avec le Parlement et les associations de collectivités dont nous bénéficions nous permettra de les consulter plus facilement. Plus un point de vue est discuté et enrichi, meilleur il est. Sans doute aurait-ce été le cas pour notre premier avis, si nous avions eu plus que trois semaines pour le rendre.

S'agissant de la neutralité, et du caractère superflu ou peu normatif d'une loi s'y rapportant, cela me paraît discutable. Le « paquet télécoms » donne des moyens aux régulateurs ; il n'est pas dit que l'inscription dans la loi du principe de neutralité ne leur en donnerait pas davantage. Certaines institutions n'interviennent pas autant qu'elles en ont les moyens juridiquement ; la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) pourrait se saisir de bien des aspects de la neutralité du Net, ce qu'elle ne fait pas. Légiférer permettrait à notre sens de renforcer la légitimité de ces acteurs à intervenir dans ce domaine.

Si l'on touche ainsi à un principe fondamental d'Internet, il faut bien avoir en tête que le droit est un rapport de force qui ne pourra peser qu'à partir du moment où le sujet fera débat dans la société. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Rien ne vaut un débat au Parlement sur une question aussi importante, afin de faire davantage connaître cette problématique.

A l'échelle européenne, et même internationale, la France a parfois pris des positions délicates pour la communauté numérique. Elle s'honorerait à prendre aujourd'hui la tête du mouvement de défense d'un principe fondateur d'Internet, au-delà de la seule enceinte nationale. Cela nous donnerait par la même occasion une stratégie et un levier d'action pour exercer une influence en matière de fiscalité numérique. Il y a là une opportunité politique pour notre pays, qui nous ferait bénéficier d'une véritable audience sur ces sujets.

S'agissant du « chiffon rouge » que nous aurions agité en faisant allusion à la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, vous avez raison : si c'était à refaire, nous nous limiterions sans doute à indiquer ce à quoi nous souhaiterions conférer valeur législative, sans préciser dans quel texte. Et ce même si nous avions souligné que cette loi n'était qu'un véhicule faisant écran à d'autres textes plus anciens. Des échanges plus nourris avec l'écosystème numérique nous auraient sans doute permis d'éviter cette erreur.

Pour ce qui concerne les infrastructures, je rappelle que le CNNum n'est pas uniquement focalisé sur les usages. Mon propos à ce sujet était simplement de souligner que le haut débit dans notre pays était de meilleure qualité et moins onéreux que, par exemple, aux États-Unis ; cela ne présume en rien d'autres problématiques telles que les zones blanches.

Lorsque l'on fait allusion à l'asphyxie du réseau, on manque de données objectives quant à sa réalité, son coût et ses conséquences : on invoque souvent, par exemple, la nécessité de sanctuariser un haut niveau de bande passante pour la télémédecine alors que la télé-opération reste pour l'instant de la science-fiction ! Nous ne disons pas qu'il n'y a pas de sujet, mais qu'il faut l'objectiver très concrètement. Cela fera peut-être partie de nos futurs travaux.

En ce qui concerne les cas de harcèlement sur les réseaux sociaux, certes dramatiques et semblant se multiplier, il faut se demander si le média Internet ne fait pas que révéler des situations existant indépendamment de lui. Les tweets incriminés pour homophobie ou antisémitisme, auxquels je me suis intéressé, sont issus de populations jeunes et socialement défavorisées. Il faut faire porter l'effort sur l'éducation, notamment à l'école. Les jeunes d'aujourd'hui, les digital natives, n'ont pas le même rapport avec la technologie que leurs aînés, qui ont davantage de distance et font preuve de plus de réflexion. Aux États-Unis, Barack Obama lui-même a participé à une vidéo attirant l'attention des jeunes sur les dangers de l'Internet. Au-delà, je regrette que le monde de la recherche universitaire ne s'intéresse pas suffisamment à ces thématiques, mis à part quelques chercheurs comme Bernard Stiegler ; il faut investir ces champs pour avoir, en aval, davantage de professeurs capables de les évoquer dans les écoles.

Pour ce qui est de la discrimination rural-urbain, les services proposés par Internet sont une réponse à l'éloignement, ce qui rend les connexions dans ces zones reculées aussi cruciales. Pour avoir été récemment au Sénégal, j'ai pu constater que les africains faisaient un saut de la première à la troisième révolution industrielle, en se connectant, avec une borne d'accès alimentée par l'énergie solaire, au plus grand réseau de savoirs qu'est Internet.

L'exclusion des applications de la société App Gratis de l'AppStore - il y a eu d'autres affaires du même type - soulève la question des effets de telles décisions arbitraires et unilatérales sur la pérennité d'entreprises du secteur. Il y a, à mon sens, des différences avec la relation entre Airbus et ses sous-traitants, qui s'établit dans le cadre d'un contrat bilatéral dont le contenu est négocié. Dans le cas des stores, il s'agit de contrats unilatéraux, en réalité de conditions générales d'utilisation qui n'ont pas fait l'objet de discussions et peuvent être modifiées à tout moment sans information préalable.

J'espère que nous aurons l'occasion de rediscuter avec vous, notamment sur la fiscalité du numérique ; je n'avais à ce sujet qu'un calendrier, une méthodologie et un contexte à vous exposer aujourd'hui. Nous travaillerons à une première série de recommandations d'ici le 15 juillet puisque nos réflexions doivent alimenter le projet de loi de finances pour 2014, à la demande du Gouvernement.

M. Daniel Raoul, président. - Il s'agit d'un sujet très intéressant, sur lequel plusieurs propositions de loi ont déjà été déposées. Cela nous amènera à nous interroger sur la création de valeur et les bénéficiaires imposables.