Mercredi 15 mai 2013

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Normes européennes en matière de détachement des travailleurs - Présentation d'un rapport d'information de la commission des affaires européennes

Mme Annie David, présidente. - Nous accueillons ce matin notre collègue Eric Bocquet qui a réalisé un rapport d'information sur les normes européennes en matière de détachement des travailleurs au nom de la commission des affaires européennes. Celle-ci s'est en effet saisie d'une proposition de directive d'exécution en discussion depuis mars 2012 et qui modifierait et préciserait le régime du détachement effectué dans le cadre d'une prestation de service, définie par la directive 96/71 CE du 16 décembre 1996. Le 18 avril dernier, la commission a adopté ce rapport d'information et un projet de résolution comportant un certain nombre d'observations et de recommandations sur la proposition de directive. Ce travail s'est appuyé sur de nombreuses auditions, et je remercie Eric Bocquet d'avoir bien voulu nous les présenter aujourd'hui devant notre commission.

Le recours à une main d'oeuvre opérant sous le statut de travailleur détaché s'est fortement développé ces dernières années en Europe, particulièrement en France. On comptait en 2011 dans notre pays près de 150 000 travailleurs détachés déclarés, quatre fois plus qu'en 2006, vingt fois plus qu'en 2000. Selon le ministère du travail, le nombre de travailleurs non déclarés venant d'autres pays de l'Union européenne serait plus important encore, de l'ordre de 220 000 à 300 000.

Beaucoup d'entre nous ont pu constater dans leur département que la prestation de services sous couvert des règles européennes donnait lieu à des dérives ou à des fraudes tandis que certains travailleurs détachés, abandonnés sur nos territoires, se retrouvent dépourvus de moyens de rentrer chez eux.

La nécessité de prévenir et de sanctionner ces abus justifiait une évolution des textes communautaires. Eric Bocquet nous dira si la proposition de directive en discussion est, du point de vue de la commission des affaires européennes, à la hauteur des enjeux.

Celle-ci a adopté à l'unanimité une proposition de résolution qui, selon les dispositions du Règlement du Sénat, deviendra automatiquement une proposition de notre assemblée le 24 mai prochain, sauf si le Président du Sénat, le président d'un groupe ou d'une commission ou le Gouvernement demande qu'elle soit examinée en séance publique.

M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission des affaires européennes. - Le travailleur détaché ressemble à un salarié low cost. L'intégration de trois pays à faible coût du travail - Espagne, Grèce et Portugal - avait conduit la Commission européenne à proposer au début des années 1990 l'adoption d'une législation encadrant le détachement de travailleurs d'un Etat membre à un autre. La directive 96/71 CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services a consacré le principe d'application du droit du pays d'accueil, déjà mis en avant par la jurisprudence européenne depuis une dizaine d'années.

Les entreprises prestataires de service doivent appliquer la législation sociale du pays dans lequel se déroule le contrat, sauf si le droit du pays d'envoi est plus favorable. L'article 3.1 de la directive prévoit ainsi un noyau dur qui s'impose aux entreprises, et qui comprend notamment les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos, la durée minimale des congés annuels payés ainsi, bien sûr, que les taux de salaire minimum. Ce noyau dur s'impose également aux entreprises des pays non membres de l'Union européenne qui détachent leurs employés sur leur territoire.

En matière de contrôle, le texte se borne à appeler de ses voeux une meilleure coopération administrative entre Etats membres. Ceux-ci doivent mettre en place des bureaux de liaison chargés d'échanger des informations sur les détachements susceptibles de poser problème. La jurisprudence européenne encadre strictement les procédures nationales de contrôle.

Si le texte définit le détachement, il ne précise pas la nature des entreprises qui peuvent y avoir recours et ne leur impose pas expressément d'exercer une activité substantielle au sein du pays d'origine. En outre, aucune limite de temps n'est imposée.

Le règlement du 28 avril 2004 prévoit pour les travailleurs détachés le maintien au régime de sécurité sociale de l'Etat membre d'origine. Grâce à ce dispositif, 300 000 Français ont pu exercer leur emploi à l'étranger, mais, faute de coopération administrative entre les États membres, le dispositif ne présente pas toutes les garanties. Il est ainsi très difficile d'évaluer correctement le nombre de travailleurs détachés présents sur le territoire français. Officiellement, il a été multiplié par quatre depuis 2006, passant de 37 924 salariés à 144 411 en 2011. Cette augmentation spectaculaire, qui résulte des élargissements de 2004 et 2007, n'est pas le seul fait des grands chantiers : dans ma commune, c'est une entreprise roumaine qui transforme une boulangerie en logement.

On estime le nombre de travailleurs détachés non déclarés entre 220 000 et 300 000 personnes. Voilà qui révèle l'ampleur de la fraude au détachement, ces salariés étant la plupart du temps rémunérés aux conditions du pays d'envoi. Sous-traitance en cascade - jusqu'à douze sociétés pour un unique donneur d'ordre -, sociétés boîtes aux lettres, statut de faux indépendant ou emploi permanent de salariés détachés dans les pays sans salaire minimum constituent les principales déviances du système. En outre, même si le travailleur est rémunéré aux conditions du pays d'accueil, le maintien de l'affiliation au régime de sécurité sociale crée mécaniquement un écart en termes de coûts salariaux. La différence en matière de cotisations sociales entre un maçon polonais et son homologue français est ainsi évaluée à 30% - non qu'il faille s'acharner contre les Polonais, mais ce sont les travailleurs détachés les plus nombreux. Le système ainsi mis en place favorise l'optimisation sociale voire le dumping social, à l'image de ce que l'on observe en matière fiscale.

C'est dans ce contexte que la Commission européenne a présenté en mars 2012 une proposition de directive relative à l'exécution de la directive de 1996, destinée à prévenir et sanctionner les cas de fraude aux détachements. Une intention louable que contrarie l'ambition affichée de réduire la charge administrative pour les entreprises qui détachent.

En déterminant les critères de qualification du détachement, l'article 3 améliorerait la détection des fraudes, notamment en évaluant si l'entreprise qui détache exerce une activité substantielle dans le pays d'envoi. Les articles 6, 7 et 8 renforcent la coopération administrative entre les Etats membres, dont l'efficacité demeure toute relative. Les Etats membres seront désormais tenus de répondre dans les deux semaines qui suivent la réception d'une demande d'information d'un de leurs partenaires.

Alors qu'aucune disposition concernant les contrôles n'était intégrée dans le dispositif de 1996, l'article 9 dresse une liste précise mais fermée des mesures que peut imposer l'Etat membre d'accueil à une entreprise étrangère détachant des travailleurs sur son territoire.

Afin de renforcer la protection des travailleurs du secteur de la construction, le plus concerné par le phénomène de détachement, l'article 12 institue en outre un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre, limité au sous-traitant direct - voilà l'un des problèmes majeurs du dispositif.

Ces deux articles constituent les principaux points de blocage au sein du Conseil. La France et un certain nombre d'Etats membres, à l'instar de la Belgique ou de l'Espagne, préconisent une liste ouverte de moyens de contrôle afin de mieux faire face à la fraude et une extension de la clause de responsabilité à l'ensemble de la chaîne de sous-traitance comme à tous les secteurs d'activité. Les nouveaux Etats membres et le Royaume-Uni militent, eux, pour la rédaction actuelle. Une adoption du texte à la fin de la présidence irlandaise apparaît en conséquence illusoire.

La proposition de résolution que je vous présente soutient la position du Gouvernement français sur les articles 9 et 12, car elle est à même de mieux combattre la fraude, mais il convient d'aller plus loin.

D'abord, la clause de responsabilité solidaire du donneur d'ordre ne répond qu'imparfaitement au défi de la sous-traitance en cascade. Il semble indispensable de limiter la chaîne de sous-traitance à trois échelons, à l'instar des dispositifs institués en Allemagne ou en Espagne. Je vous propose également d'imposer dans les cahiers de charges d'achat de prestations, des clauses de responsabilité sociale d'entreprise (RSE) dont le non-respect entraînerait la rupture du contrat. Troisième proposition, porter à un mois le délai de transmission des documents administratifs : les quinze jours préconisés par la Commission m'apparaissent irréalistes. La directive d'exécution pourrait au surplus autoriser les syndicats à engager des procédures judiciaires ou administratives sans l'approbation du travailleur, celui-ci étant souvent soumis à une forme de pression et ne parlant pas toujours la langue du pays d'accueil. Enfin, une révision du règlement sur l'affiliation au régime de sécurité sociale de l'Etat d'envoi doit prévenir efficacement les situations de faux détachement et limiter les pratiques d'optimisation sociale.

M. Jean Desessard. - Je partage le souci d'Eric Bocquet de protéger les travailleurs, et j'approuve la proposition de résolution européenne. Cependant, n'engage-t-il pas le combat seulement armé d'un canif ? On pourra toujours renforcer les contrôles, et mettre en oeuvre les mesures judicieuses qu'il préconise mais le fond du sujet reste le dumping social. Cette résolution doit être accompagnée de la volonté de conduire une politique sociale en Europe et d'harmoniser les législations fiscales et sociales.

Un écart de cotisations sociales de 30 % nous incite à réfléchir sur notre système de cotisations sociales. Celles-ci ne sont assises que sur les salaires, ce qui n'est pas sans poser problème. Nous militons depuis longtemps pour un transfert de ces charges sur d'autres bases : je défends depuis 1989, avec d'autres, une réforme de la TVA ; les socialistes ont jadis évoqué d'autres assiettes, et l'on peut également penser à l'énergie.

M. Jacky Le Menn. - Dans le cadre d'un détachement, les conventions collectives s'appliquent-elles ?

M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission des affaires européennes. - Elles sont d'application générale.

Mme Annie David, présidente. - Par exemple, le salaire minimum s'applique. Les cotisations sociales sont le seul élément qui ne s'applique pas dans le pays d'accueil : elles sont payées dans le pays d'origine. C'est ce qui en fait l'intérêt pour les entreprises, souvent installées dans des pays à faibles niveau de prélèvement.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - La solution est donc de rapprocher les systèmes de cotisations sociales de tous les pays européens.

Mme Annie David, présidente. - Dans votre rapport, vous parlez de travailleurs détachés de manière non officielle. La direction générale du travail (DGT) peut-elle estimer le nombre de travailleurs concernés ? A-t-elle réalisé des projections pour anticiper les impacts du phénomène ?

Vous indiquez également que l'Espagne et l'Allemagne sont parvenues à limiter les chaînes de sous-traitance à trois échelons. Leurs dispositifs sont-ils conformes au droit européen ? Dans l'affirmative, nous pourrions nous en inspirer pour compléter la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.

Je partage votre souci de développer les contrôles. Peut-on également encourager les sanctions administratives, par exemple en exigeant le remboursement des aides publiques, ou en empêchant les entreprises fraudeuses de souscrire de nouveaux contrats administratifs ? Nos services de contrôles sont-ils suffisamment armés pour faire face à la croissance du phénomène ? L'action des bureaux de liaison déconcentrés, au sein des Direccte, est-elle satisfaisante ? Vous proposez de porter le délai de transmission des documents à l'administration de 15 jours à un mois : cela ne risque-t-il pas de laisser passer certaines fraudes ? Ne devrait-on pas davantage améliorer l'efficacité des contrôles ?

S'agissant de l'article 9 de la directive, le rapport de force entre Etats-membres peut-il aller dans notre sens ? Enfin, nous avons un des meilleurs systèmes de protection sociale : je m'étonne, Monsieur Desessard, que vous souhaitiez l'abaisser au niveau de nos voisins...

M. Jean Desessard. - J'ai parlé d'harmonisation fiscale et sociale, et de refonte de notre système de prélèvements. Je n'ai jamais dit qu'il fallait toucher au niveau de nos prestations - du moins pas tout de suite : attendons de voir ce que les socialistes proposent en matière de retraites...

M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission des affaires européennes. - La question de fond est en effet celle de l'harmonisation sociale. Elle n'est clairement pas à l'ordre du jour, bien qu'elle soit liée à celle de l'harmonisation fiscale. Nous serions bien inspirés d'en faire un objectif majeur de la construction européenne.

L'instauration d'un espace de concurrence libre et non faussée entre des Etats présentant de fortes disparités dans leurs systèmes de protection sociale, surtout depuis le grand élargissement, ne peut avoir d'autre conséquence que la croissance du phénomène de détachement. La DGT, qui constate sa progression, ne dispose pas de prévision chiffrée. Nous l'observons en tout cas sur le terrain : les PME sont parfois directement sollicitées sur internet. Le rapport reproduit une annonce offrant explicitement de la main d'oeuvre, par exemple dans le secteur du bâtiment. Il nous faut agir rapidement, car la crise aggrave le phénomène. Sur ce sujet, le Gouvernement français est très volontaire. Ce n'est pas le cas de tous nos partenaires.

Nous avons d'abord besoin de plus de moyens humains : contrôler suppose d'aller sur les chantiers, et de vérifier minutieusement les documents. Cela demande du temps. Il faut aussi renforcer la prévention, en adaptant la réglementation en amont.

L'Union européenne n'a pas formulé de réserves sur les dispositifs relatifs à la sous-traitance adoptés en Espagne et en Allemagne. Nous militons pour leur extension à l'échelle européenne. Si celle-ci présente des difficultés, la législation nationale devra limiter le nombre de sous-traitants.

Compte tenu de l'ampleur du phénomène, les effectifs d'inspection sont insuffisants. Les bureaux de liaison transfrontaliers au sein des Direccte sont indispensables. Notre administration souffre surtout d'un manque de coopération, certains de nos partenaires considérant le détachement comme une réponse au chômage en ces temps de crise. On le voit, au sein de l'Union européenne, la solidarité a des limites... Reste que dans le combat contre les salariés low cost, la France peut avoir un rôle pilote et exprimer une exigence politique.

La liste de l'article 9 est en effet une pierre d'achoppement. Il y a deux minorités de blocage : les pays qui veulent aller plus loin, et ceux qui ne veulent toucher à rien. Ces derniers sont essentiellement les nouveaux entrants, servis à court terme par la pratique du détachement de travailleurs. Sans naïveté aucune, le soutien du Sénat à la position officielle de la France donnerait à celle-ci un poids susceptible d'infléchir le rapport de force en notre faveur.

M. Georges Labazée. - Les entreprises du bâtiment de mon département - les Pyrénées-Atlantiques, département frontalier - m'ont demandé à plusieurs reprises d'évaluer le taux de pénétration des entreprises étrangères dans les marchés passés avec les collectivités territoriales : celui-ci a été évalué par mes services à 0,4 %, ce qui est marginal. En revanche, dans le secteur privé, il atteint 25 %. C'est donc à tort que l'on soupçonne les collectivités territoriales de faire appel à des travailleurs étrangers.

Mme Annie David, présidente. - Les chaînes de sous-traitance sont si longues que l'on a parfois du mal à savoir qui fait quoi. C'est pourquoi il est urgent de limiter à trois le nombre de niveaux de sous-traitance dans la loi de 1975, et d'introduire des clauses de RSE dans les appels d'offre. Nous pouvons faire évoluer le droit.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Les entreprises qui n'embauchent que pour prêter les travailleurs à d'autres entreprises ne sont que des entreprises de façade, pour ne pas dire des « négriers »....

M. Éric Bocquet, rapporteur de la commission des affaires européennes. - Oui. Je pense également aux travailleurs détachés par des entreprises d'intérim luxembourgeoises pour travailler en France, profitant du système social avantageux du Grand-duché. Autre exemple : les pilotes de Ryanair sont parfois auto-entrepreneurs...

Mme Annie David, présidente. - Il faut agir pour que les normes sociales s'améliorent dans l'ensemble des pays de l'Union européenne. Monsieur le rapporteur, merci.

Refondation de l'école de la République - Examen du rapport pour avis

EXAMEN DU RAPPORT POUR AVIS

Mme Annie David, présidente. - Je remercie Yves Daudigny d'avoir accepté de remplacer Claire-Lise Campion pour la présentation du rapport pour avis sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République.

M. Yves Daudigny, en remplacement de Mme Claire-Lise Campion, rapporteur pour avis. - Claire-Lise Campion vous remercie, madame la présidente, d'avoir souhaité que nous nous saisissions pour avis du projet de loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République sur la question plus spécifique de la scolarisation des enfants en situation de handicap. Notre commission s'est toujours beaucoup impliquée sur ce sujet majeur qui nécessite d'être approfondi à l'occasion de ce texte.

Ce rapport s'inscrit dans la continuité du travail effectué l'année dernière par notre collègue avec Isabelle Debré, dans le cadre de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois, sur l'évaluation de la loi « Handicap » du 11 février 2005. Celle-ci reconnaît à tout enfant en situation de handicap le droit d'être scolarisé dans l'école de son quartier : la scolarisation en milieu ordinaire constitue désormais le droit commun. Elle peut être individuelle dans les classes ordinaires avec accompagnement par un auxiliaire de vie scolaire (AVS), ou collective dans les classes adaptées. Le parcours de scolarisation repose sur une approche globale et pluridisciplinaire mise en oeuvre par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) à travers le projet personnalisé de scolarisation (PPS).

Sept ans après son entrée en vigueur, la loi a enclenché un réel mouvement d'ouverture de l'école de la République sur le monde du handicap. Le nombre d'enfants en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire a progressé d'un tiers depuis 2006, soit 55 000 enfants supplémentaires accueillis.

Toutefois, on estime encore à 20 000 le nombre d'enfants en situation de handicap sans solution de scolarisation. En outre, cette avancée quantitative ne s'est pas accompagnée d'une amélioration qualitative de même ampleur.

Ainsi, les situations vécues par les familles selon les départements sont très diverses : les temps hebdomadaires de scolarisation sont très aléatoires, les PPS sont de qualité hétérogène voire inexistants ; la difficulté à poursuivre la scolarité en milieu ordinaire dans le second degré et l'accès encore très limité à l'enseignement supérieur créent des ruptures dans les parcours de scolarisation ; l'accompagnement en milieu ordinaire échoue parfois : le recours croissant aux AVS, insuffisamment formés et recrutés sur des contrats précaires, ne répond pas de manière pertinente aux besoins ; les personnels enseignants et les personnels d'éducation sont insuffisamment formés à la prise en charge du handicap à l'école ; la coopération entre le médico-social et l'éducation nationale est faible ; le cloisonnement des filières est préjudiciable à la qualité de la prise en charge.

Ce bilan en demi-teinte a conduit Claire-Lise Campion et Isabelle Debré à formuler plusieurs recommandations, parmi lesquelles la réactivation du groupe de travail sur les AVS, le renforcement de la problématique du handicap dans la formation initiale et continue des personnels de l'éducation nationale, la promotion de la coopération entre les sphères médico-sociale et éducative.

Sous l'impulsion de Marie-Arlette Carlotti, le Gouvernement, qui a pris la mesure de la situation, a lancé plusieurs chantiers correspondant aux priorités identifiées par le rapport sénatorial. Premier chantier : la mise en place d'un groupe de travail sur la professionnalisation du métier d'accompagnant, dont l'objectif est de définir une nouvelle profession qui englobe toutes les formes d'accompagnement, scolaire et périscolaire. Ses conclusions seront rendues publiques très prochainement. Dans l'attente de la création de ce nouveau métier, le ministre de l'éducation nationale, Vincent Peillon, a annoncé le recrutement de 1 500 AVS supplémentaires à la rentrée 2013.

Deuxième chantier : le dossier de l'accessibilité, auquel la mission confiée à Claire-Lise Campion l'automne 2012 a donné une nouvelle impulsion. Le rapport qu'elle a remis au Premier ministre le 1er mars dernier préconise de mettre en oeuvre de manière concertée un principe d'accessibilité raisonnée aux établissements recevant du public (ERP), c'est-à-dire d'ajuster la réglementation aux difficultés existantes.

Troisième chantier : le lancement d'un troisième plan autisme, dont la scolarisation constitue un axe fort. Sont notamment prévus le développement des services d'éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad), à hauteur de 550 places, et la mise en place à la rentrée 2014 de trente unités d'enseignement dédiées à l'autisme en école maternelle. La ministre, que nous auditionnerons la semaine prochaine, reviendra sans doute sur ces mesures.

Enfin, dernier chantier : l'intégration à la rentrée 2013, dans la formation initiale des enseignants, d'un module de sensibilité obligatoire à la question du handicap à l'école.

La version initiale du projet ne comporte pas, dans le corps même des articles, de disposition relative à la scolarisation des enfants en situation de handicap. En revanche, le rapport définissant la programmation des moyens et les orientations de la refondation de l'école de la République, annexé au projet de loi, la mentionne à plusieurs reprises. 60 000 emplois seront créés au cours de la législature pour répondre aux besoins du système éducatif, au rang desquels la scolarisation des élèves en situation de handicap ; des emplois d'AVS seront créés dans l'enseignement agricole ; la formation initiale et continue des enseignants prendra davantage en compte la problématique du handicap ; la participation des parents et du secteur associatif, particulièrement engagés dans le monde du handicap, est considérée comme un facteur de réussite du système scolaire. Surtout, le paragraphe que le rapport annexé consacre à la scolarisation des enfants en situation de handicap, met l'accent sur l'importance de l'accompagnement humain.

Face à l'augmentation continue des demandes et des prescriptions d'aides individuelles, il est préconisé de mettre en place une approche plus qualitative, c'est-à-dire d'améliorer la qualité de la prise en charge en formant les personnels accompagnants, en préparant mieux les enseignants aux besoins éducatifs particuliers de ces élèves, en finançant la diffusion de matériels pédagogiques adaptés .

En première lecture, l'Assemblée nationale a enrichi le rapport annexé de nouvelles références à la question du handicap. Elle a inséré l'amélioration de l'accès des élèves en situation de handicap à une scolarité ordinaire dans les objectifs fixés à l'école de la République. Elle a indiqué que les technologies numériques offrent de nouvelles possibilités d'apprentissage, notamment pour ces élèves. Elle a introduit la notion d'école inclusive, considérant que l'école de la République ne doit pas simplement accueillir les enfants en situation de handicap, mais aussi s'adapter à leurs spécificités et à leurs besoins. Enfin, elle a précisé que l'accompagnement des élèves en situation de handicap doit s'appuyer sur une meilleure coopération entre l'éducation nationale et le secteur médico-social.

Nos collègues députés ont ensuite introduit plusieurs dispositions de nature législative. A l'article 30, ils ont précisé que l'enseignement dispensé dans les écoles maternelles doit être adapté aux besoins des élèves en situation de handicap. Ces enfants doivent en effet être scolarisés en milieu ordinaire le plus tôt possible, non seulement pour qu'ils démarrent leur parcours scolaire dans de bonnes conditions, mais aussi pour sensibiliser les autres enfants à l'acceptation de la différence. A l'initiative du Gouvernement, ils ont introduit un article 3 bis pour ériger l'inclusion scolaire de tous les élèves, notamment des élèves en situation de handicap, au rang des missions du service public de l'éducation. Cette disposition donne force de loi à l'inclusion scolaire, à l'idée selon laquelle l'école de la République doit s'adapter aux besoins des enfants en situation de handicap et non l'inverse, comme dans l'approche intégrative.

Les députés ont également inséré un article 4 ter relatif à l'orientation des élèves en situation de handicap, qui a déclenché à juste titre la colère du monde associatif. Actuellement, l'équipe pédagogique peut, avec l'accord des parents, proposer à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) toute révision de l'orientation d'un enfant qu'elle jugerait utile. Remplacer l'accord des parents par une simple consultation reviendrait à les priver de la possibilité de décider du mode de scolarisation de leur enfant. Or l'accord des parents est fondamental, car il agit comme un garde-fou pour éviter que la demande de révision ne se traduise, comme c'est parfois le cas, par la fin de la scolarisation de l'enfant en milieu ordinaire. Cet article irait à l'encontre de l'objectif d'inclusion scolaire et de la volonté de construire un véritable partenariat avec les parents. Pour ces raisons, à l'initiative de sa rapporteure, Françoise Cartron, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat a supprimé cet article, décision que Claire-Lise Campion approuve pleinement.

Enfin, à l'article 10, qui crée un service public du numérique éducatif, l'Assemblée nationale a précisé que la diffusion des technologies numériques dans les établissements scolaires s'adresse notamment aux élèves en situation de handicap, pour lesquels elle représente une véritable plus-value. Par exemple, certains instituts médico-éducatifs (IME) utilisent des tablettes tactiles comme outil facilitateur de communication pour des jeunes autistes ayant un déficit de langage.

Les dispositions relatives à la scolarisation des enfants en situation de handicap ne doivent pas être simplement traitées dans le rapport annexé au projet de loi, qui n'a pas de portée normative. Pour avancer sur la voie de l'inclusion scolaire, il faut que ses modalités soient inscrites dans la loi.

C'est pourquoi, dans la continuité du travail effectué par les députés, notre collègue propose neuf amendements portant sur plusieurs articles du texte. Le premier relance le chantier de la coopération entre l'éducation nationale et le secteur médico-social, actuellement au point mort, en inscrivant son principe dans la loi.

Les deuxième et troisième amendements rappellent que les départements et les régions, respectivement chargés de la construction, de l'équipement et du fonctionnement des collèges et des lycées, en assurent aussi l'accessibilité.

Les quatrième et cinquième amendements donnent au Conseil supérieur des programmes le pouvoir de proposer des adaptations et des aménagements, d'une part, des épreuves des examens du second degré pour les élèves en situation de handicap, d'autre part, des épreuves des concours de recrutement des enseignants des premier et second degrés pour les candidats en situation de handicap.

Le sixième amendement charge le nouveau Conseil national d'évaluation du système éducatif d'évaluer, dans son rapport annuel, les politiques publiques mises en oeuvre pour scolariser les élèves en situation de handicap en milieu ordinaire.

Le septième amendement prévoit que la formation des élèves à l'utilisation des outils numériques soit aussi dispensée au sein des unités d'enseignement des établissements médico-sociaux et de santé.

Enfin, les huitième et neuvième amendements visent à ce que les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l'éducation utilisent des méthodes pédagogiques adaptées aux besoins des élèves en situation de handicap, et organisent des formations de sensibilisation à l'inclusion scolaire de ces enfants.

Ce projet de loi est l'occasion d'améliorer les conditions de scolarisation des enfants en situation de handicap et de faire de l'école de la République une école réellement inclusive.

Mme Annie David, présidente. - Après ce rapport, je ne regrette pas notre saisine pour avis : les précisions que nous pouvons apporter sont importantes.

Mme Laurence Cohen. - Je salue la qualité de ce rapport qui va dans le bon sens. La notion de handicap dépasse la question de l'autisme, que le rapport cite en exemple. Nous sommes nombreux à avoir été alertés par des associations de parents, notamment au sujet des malentendants. Qu'en est-il de la langue des signes ? Je pourrais également citer les troubles du langage et les dyslexies-dysorthographies.

Il est question de professionnaliser le métier d'accompagnant et de multiplier les AVS. Malgré toute leur bonne volonté, j'en ai fait l'expérience, ces personnes ne sont pas du tout formées. Autre lacune, il n'est nulle part question des réseaux d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), ni de leurs moyens.

L'accord des parents sur l'orientation scolaire de l'enfant en situation de handicap me semble essentiel : sur ce point, je partage totalement la position de la rapporteure car il est bon de le rappeler.

Enfin, concernant les quatrième et cinquième amendements, j'estime qu'il faut creuser la piste des tiers temps pour les élèves en grande difficulté, notamment pour l'aménagement des examens.

M. Georges Labazée. - Nous n'aurons pas souvent l'occasion d'étudier un projet de refondation de l'école ; ce texte mérite toute notre attention. Persévérant dans le travail que j'ai mené en tant que rapporteur sur la politique vaccinale, je souhaite que l'article 4 bis rappelle la nécessité d'être particulièrement attentif à cette politique en direction des enfants : il faut que les nouvelles écoles de formation y sensibilisent les enseignants.

Mme Michelle Meunier. - Ce très bon rapport, qui apporte un écho supplémentaire aux précédents travaux de Claire-Lise Campion, nous invite à changer de regard, notamment avec l'inclusion des enfants en situation de handicap. Bien sûr, il y avait déjà des enfants en situation de handicap à l'école, mais leur accueil, laissé au bon vouloir des institutions, dépendait de l'énergie déployée par les familles. Avec ce texte, l'école et l'environnement scolaire devront intégrer dès le départ l'idée que dans une classe, il y a des élèves en situation de handicap. Comment accroître les contraintes et rendre indispensable la coopération entre le secteur médico-social et l'éducation nationale ? Comment faire en sorte qu'elle aille au plus près des élèves, dans les communes, les quartiers, les écoles ? Grâce à ces synergies un élève, quel que soit son handicap, psychique, psychique ou sensoriel aura sa place à l'école.

La maladresse, peut-être due à des députés proches de l'éducation nationale, a été rectifiée à la demande de la ministre : tant mieux. Cela signifie bien que la question du handicap est transversale et justifie notre vigilance.

Mme Muguette Dini. - Je relève une contradiction dans cet intéressant rapport. S'il fait allusion au principe d'accessibilité raisonnée, les amendements nos 2 et 3 rappellent que les départements et les régions doivent aussi assurer l'accessibilité des collèges et des lycées. En outre, il me semble excessif d'exiger que tous les établissements scolaires soient dotés d'ascenseurs. En milieu urbain, il n'y a parfois qu'à faire 500 mètres pour trouver un autre collège : pour les personnes en fauteuil roulant venant en voiture, on peut leur proposer d'aller dans un collège voisin pourvu d'un ascenseur. Soyons un peu raisonnables : l'investissement est lourd, surtout quand l'ascenseur ne sert pas...

M. Alain Milon. - Voilà un excellent travail, qui prolonge l'excellent rapport de Claire-Lise Campion et Isabelle Debré, qui confirmait lui-même les excellentes lois de 1975 et 2005... Il n'y a pas de changement de regard, mais une amélioration constante. Il est normal de venir en aide à des personnes confrontées quotidiennement à de grandes difficultés. Cependant, avant de parler d'inclusion, assurons-nous que nous avons les AVS, et qu'ils sont formés. Ayant adopté une enfant handicapée, j'ai constaté les carences en ce domaine. Les 1 500 AVS recrutés l'année prochaine seront-ils encore sans formation ? De même, il faut former les enseignants. Qui va s'en occuper, et comment ? Enfin, plutôt que de constater les difficultés des relations entre le secteur médico-social et l'éducation, pourquoi ne pas s'intéresser aux efforts réalisés et s'attacher à les poursuivre ? Dans mon département, la MDPH fait son maximum... Enfin, tout cela réclame des moyens et nous entrons en récession. Où sont les moyens pour financer vos bonnes intentions ?

M. Gérard Roche. - Cette loi s'inscrit dans la continuité des mesures précédentes. Je m'étonne que le président du conseil général qu'est Yves Daudigny déplore que la coopération entre le département et le secteur médico-social soit au point mort. Un large travail a été accompli, et la coopération fonctionne : dans mon département, les familles et les enfants sont reçus par la MDPH.

Le ramassage scolaire pèse lourd dans le budget des conseils généraux. Cette compétence noble du département requiert de gros efforts en termes d'organisation et de financement.

Mme Annie David, présidente. - Ce sont les relations entre les établissements médico-sociaux et l'éducation nationale qui seraient au point mort.

M. Gérard Roche. - Le lien entre les établissements médico-sociaux et l'éducation nationale est réalisé par les MDPH, qui suivent également les enfants en institution. Cela fonctionne très bien !

Mme Isabelle Debré. - Cela dépend des départements.

Pour le handicap, le changement de regard a eu lieu en 2005. N'oublions pas l'influence de la culture : le film Intouchables a joué un rôle qui n'a rien d'anecdotique. Le fait d'accueillir de plus en plus tôt les enfants handicapés, dès la crèche, a également compté.

Les problèmes les plus graves sont l'intégration des enfants handicapés au milieu scolaire ordinaire et l'accessibilité. Avec Claire-Lise Campion, nous n'avons pas proposé de repousser la date de 2015. Or, il est impossible que tous les ERP soient aux normes à cette date. Il va falloir hiérarchiser les priorités. Pourquoi les amendements rappellent-ils ce qui figure déjà dans la loi ?

Il n'y a pas de formation pour les AVS. En outre, leur contrat de trois ans renouvelable une seule fois pose problème. Au bout de six ans, ils se retrouvent de facto au RSA car, dans l'état de nos finances du pays, leur titularisation n'est pas possible. Nous aurons à travailler sur leur statut, pour trouver des solutions.

Mme Annie David, présidente. - Voilà des années que je m'en inquiète.

Mme Colette Giudicelli. - Le rapport est excellent. Si vous en êtes d'accord, madame la Présidente, je souhaiterais évoquer la question des autistes adultes. Il n'est pas souhaitable qu'à la disparition de leurs proches, ils aillent en hôpital psychiatrique, comme cela arrive. Pour les enfants, nous avons des solutions ; pour les adultes, la situation tourne vite au drame. Ne pourrions-nous pas travailler sur la question ?

Mme Annie David, présidente. - La ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion viendra nous présenter le troisième plan autisme mercredi prochain : ce sera l'occasion de l'interroger. Lors du colloque organisé par la commission le 6 décembre dernier, une table ronde a été consacrée aux autistes vieillissants, à leur insertion dans la vie active et à leur devenir, une fois seuls. Il est vrai que le sujet est rarement abordé. Peut-être pourrions-nous trouver des formes pour y réfléchir.

M. René-Paul Savary. - Il y a des choses à améliorer dans la loi de 2005. Sur le terrain, les choses sont complexes et on peut comprendre que ses règles ne soient pas appliquées uniformément sur le territoire. Ce projet ne va pas changer la donne. Il y a un vrai problème de formation des enseignants et des AVS. Dans cette période de disette budgétaire, soyons pragmatiques. Le problème des AVS est qu'ils sont pris charge par l'éducation nationale pour le temps scolaire, mais il y a aussi le temps périscolaire : il faut trouver une articulation. Sachons tirer parti des exemples qui fonctionnent pour améliorer le dispositif sans coût supplémentaire. En outre, l'on peut mutualiser les AVS : un AVS individuel n'est pas toujours nécessaire.

Tirons des conclusions pratiques de l'expérience : il y a une solution au problème d'articulation que signale Yves Daudigny, l'intégration des MPDH dans les services des départements. Proposons-la ! Cette rationalisation dégagera des économies tout en améliorant le dispositif. Oui, l'accessibilité doit être raisonnée : on peut affecter les enfants au collège d'en face. Enfin, il faut clarifier la question du transport des personnes handicapées. Je ne suis pas convaincu par les solutions avancées, surtout compte-tenu des coûts.

M. Jacky Le Menn. - Le rapport est excellent. Comme Claire-Lise Campion, j'estime qu'il vaut mieux intégrer les points forts du texte dans la loi plutôt qu'en annexe. En outre, il n'est pas inutile de réaffirmer certaines évidences.

Entre les rapports et les lois qui se succèdent, il y a une continuité de pensée : je suis toujours irrité d'entendre réclamer la paternité de textes sur de tels sujets. Cela n'a guère de sens. Dans cette longue chaîne, il faut plutôt continuer nos efforts, et nous dépasser continuellement. Il y a d'abord la question des AVS. L'amateurisme n'est pas de mise en ce domaine. Cela me rappelle les aides-soignantes : d'une semaine de formation, on est passé à un an. La palette des handicaps est très vaste, et pose d'ailleurs le problème des transports. Ce qu'a dit René-Paul Savary sur l'articulation entre scolaire et périscolaire est pertinent. Enfin, les questions de financement sont réelles, y compris pour la formation. Nous y reviendrons à l'occasion du projet de loi de finances. Sur le fond, je suis résolument optimiste.

Mme Isabelle Pasquet. - Je félicite Claire-Lise Campion pour ce rapport. Nous essayons de faire avancer le sujet au fur et à mesure. La loi de 2005 a constitué un pas important. Je constate cette volonté d'améliorer les choses au fil des textes. Sur l'école inclusive, je rejoins Michelle Meunier : voilà un élément important et nouveau par rapport à 2005. Dans les années soixante et soixante-dix, des écoles expérimentales pour les enfants handicapés incluaient des enfants dits normaux : la démarche était inversée. Les enseignants étaient formés, les installations adaptées : il y avait même des salles de kinésithérapie. Malheureusement, elles ont fermé tour à tour, la dernière celle de la Grotte Rolland, à Marseille, ne fonctionne plus depuis 2011 : la loi de 2005 a préféré l'intégration des enfants handicapés en milieu scolaire ordinaire ; l'éducation nationale s'est désengagée et les moyens ont manqué. C'est dommage, et les anciens de ces écoles le regrettent. Je tenais à le rappeler, même si, avec la crise, le rétropédalage paraît impossible.

La loi de 2005 avait prévu l'accessibilité dans les dix ans et l'attentisme a prévalu pendant cinq ans. Depuis deux ans, des initiatives ont été prises et l'on commence à se mobiliser à deux ans de l'échéance...

Mme Muguette Dini. - Ce n'est pas vrai ; cela fait plusieurs années que les collectivités travaillent sur la mise en accessibilité.

Mme Isabelle Pasquet. - Je suis élue depuis cinq ans, et je ne constate cette mobilisation que depuis deux ans.

Mme Isabelle Debré. - Tant que les questions de formation et de financement ne seront pas abordées de façon interministérielle, avec la culture, les affaires sociales et le sport, nous n'y arriverons pas. Il faut également impliquer les associations, travailler en partenariat avec elles. Le financement ne sera pas là si l'éducation nationale s'en occupe seule.

Mme Catherine Deroche. - C'est vrai, il y a eu des retards, mais principalement à cause de difficultés techniques. Tous les bâtiments neufs sont adaptés. Cependant, est-il réaliste d'exiger un vestiaire pour arbitre handicapé ? Privilégions l'accessibilité de fonction des lieux sans oublier les moyens financiers des collectivités.

Mme Annie David, présidente. - Nous avions protesté contre la mise en place d'un statut précaire d'accompagnant, alors qu'un minimum de formation est nécessaire pour s'occuper des personnes handicapées. Vous ne pouvez pas nous reprocher de ne pas avoir demandé la professionnalisation des AVS !

M. René-Paul Savary. - Tout cela vient de ce que les aides de compensation aux personnes handicapées sont attribuées forfaitairement : les allocataires l'utilisent comme un revenu, non pour payer les aides. Dans mon département, 300 personnes bénéficient de la prestation de compensation du handicap (PCH), pour un coût de 700 000 euros, mais le conseil général n'arrive plus à payer les interprètes, et cette dépense ne peut être imputée sur le montant des prestations. C'est sur ce point qu'il faut modifier la loi !

M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis. - Je ferai part à Claire-Lise Campion des appréciations portées sur son rapport.

Les textes budgétaires seront l'occasion d'apprécier la mise en oeuvre de cette loi sur le plan financier. Je souligne toutefois que dans un contexte de retour à l'équilibre des finances publiques, le secteur de l'éducation a été sanctuarisé : il bénéficie même de créations d'emplois.

En réponse à Laurence Cohen, je précise que notre collègue Dominique Gillot, qui s'était vu confier un rapport sur la question, a prévu de déposer des amendements sur la scolarisation des enfants malentendants. Quant aux Rased, ils s'adressent aux enfants en difficulté, pas uniquement aux enfants handicapés.

A Muguette Dini, Claire-Lise Campion expliquera la semaine prochaine à l'occasion de la présentation de son rapport au Premier ministre ce qu'elle entend par accessibilité « raisonnée ». Les amendements présentés sur les articles 13 et 14 sont néanmoins nécessaires, ces articles décrivant les compétences des départements et des régions. Nous avons tout intérêt à ce que leur description soit exhaustive, et il est logique qu'y figure l'accessibilité.

Mme Isabelle Debré. - Ce n'est pas redondant par rapport à la loi de 2005 ?

Mme Annie David, présidente. - Il s'agit ici du code de l'éducation.

M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis. - Le groupe de travail sur la professionnalisation du métier d'accompagnant rendra bientôt ses conclusions. Présidé par Pénélope Komitès, il réunit les associations, les parents d'élèves, les représentants syndicaux et les administrations centrales : nous sommes bien dans un cadre interministériel. Ce groupe de travail part du principe que la fonction d'accompagnant doit être appréhendée dans sa globalité. Il est notamment chargé d'établir un référentiel de compétences et d'activités. Nous pourrons interroger la ministre la semaine prochaine sur ce sujet.

Gérard Roche, nous parlons bien du rapport entre l'école et les établissements médico-sociaux. Le rapport sénatorial sur l'application de la loi de 2005 pointait la différence de culture entre ces deux milieux.

Mme Colette Giudicelli. - Parle-t-on de l'accessibilité uniquement motrice, ou également des malentendants et des malvoyants ? Dans nos collèges, nous avons des ascenseurs, mais nous ne sommes pas forcément équipés pour les malvoyants....

M. Yves Daudigny, rapporteur pour avis. - L'accessibilité s'entend au sens global. Elle concerne toutes les formes de handicap.

Mme Catherine Deroche. - La difficulté consiste justement à trouver des solutions compatibles avec les différentes formes de handicap. Des solutions favorables aux non-voyants sont parfois problématiques pour les non-entendants...

M. Yves Daudigny. - A René-Paul Savary, je précise que l'intégration des MDPH dans les services départementaux n'a finalement pas été retenue dans l'acte III de la décentralisation, suite notamment aux demandes des associations.

Mme Annie David, présidente. - La loi de 2005 a entraîné la fermeture de nombreux centres spécialisés. Tous les enfants ne peuvent être scolarisés en milieu ordinaire. Comment faire ?

Mme Muguette Dini. - Il faut que les enfants handicapés aient besoin des autres pour que ceux-ci les prennent en charge. Dans mon département, les collégiens d'un établissement jumelé à une structure pour des personnes handicapées témoignent d'une grande solidarité avec leurs camarades en fauteuil.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article additionnel après l'article 4 ter

M. Yves Daudigny- L'amendement n° 1 inscrit le principe de la coopération entre les établissements scolaires et les établissements médico-sociaux dans la loi.

M. Alain Milon. - Notre groupe s'abstiendra sur les amendements.

Mme Muguette Dini. - Le nôtre également.

L'amendement n° 1 est adopté.

Article 13

M. Yves Daudigny. - L'amendement n° 2 précise les compétences des départements en matière d'accessibilité des établissements scolaires.

L'amendement n° 2 est adopté.

Article 14

M. Yves Daudigny. - L'amendement n° 3 précise les compétences des régions en matière d'accessibilité des lycées.

L'amendement n° 3 est adopté.

Article 20

M. Yves Daudigny. - Les amendements nos 4 et 5 concernent respectivement l'aménagement des épreuves au baccalauréat et aux concours de recrutement des enseignants du premier et du second degrés.

Mme Isabelle Debré. - L'intention des amendements nos 4 et 5 est louable. Mais d'un point de vue pratique comment procéder ? Faudra-t-il aménager tous les centres d'examen ?

M. Yves Daudigny. - L'article 20 définit seulement les prérogatives du Conseil supérieur des programmes. Avec ces deux amendements, celui-ci sera chargé d'émettre des propositions sur les aménagements d'épreuves.

Les amendements nos 4 et 5 sont adoptés.

Article 21

M. Yves Daudigny. - L'amendement n° 6 inclut les politiques publiques mises en oeuvre pour scolariser les élèves en situation de handicap en milieu ordinaire dans le champ de compétence du Conseil national d'évaluation du système éducatif.

L'amendement n° 6 est adopté.

Article 26

M. Yves Daudigny. - Avec l'amendement n° 7, la formation à l'utilisation des outils et ressources numériques sera aussi dispensée au sein des unités d'enseignement des établissements médico-sociaux et de santé.

L'amendement n° 7 est adopté.

Article 51

M. Yves Daudigny. - L'amendement n° 8 prévoit que les écoles supérieures du professorat et de l'éducation développeront des méthodes pédagogiques adaptées aux besoins des élèves en situation de handicap.

L'amendement n° 8 est adopté.

M. Yves Daudigny. - Aux termes de l'amendement n° 9, les écoles supérieures du professorat et de l'éducation sensibiliseront les enseignants à l'inclusion scolaire des élèves en situation de handicap.

L'amendement n° 9 est adopté.

M. Jean Desessard. - L'inclusion est-elle définie dans la loi ?

M. Yves Daudigny. - C'est l'usage qui fixe le sens.

M. René-Paul Savary. - Le terme d'inclusion s'oppose à exclusion. L'employer laisse entendre que les personnes handicapées étaient auparavant exclues, ce qui n'est pas le cas.

Mme Annie David, présidente. - Le terme d'intégration signifie qu'une personne doit réaliser des efforts pour s'intégrer. Etre inclus, c'est faire partie d'une communauté. La logique n'est pas la même !

M. Gilbert Barbier. - C'est votre définition.

Mme Isabelle Debré. - C'est une demande des associations.

M. Gilbert Barbier. - L'inclusion consiste bien comme en médecine en l'introduction d'un corps étranger. Ces nuances apparaissent bien subtiles.

Qualité de l'offre alimentaire en outre-mer - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Michel Vergoz, rapporteur. - Les consommateurs ultramarins sont frappés par une double inégalité quant à la qualité des produits alimentaires auxquels ils ont accès.

La première de ces inégalités concerne la teneur en sucres de certains produits. Plusieurs études conduites au cours de l'année 2011 à l'initiative des collectivités de Guadeloupe, de Martinique et de La Réunion ont permis de mettre en évidence la présence d'un taux de sucres sensiblement plus élevé dans les boissons sucrées rafraîchissantes et dans les produits laitiers commercialisés en outre-mer que dans les denrées similaires distribuées en France hexagonale. En Martinique, certains yaourts aux fruits produits localement contiennent ainsi de 27 % à 50 % de plus de sucres ajoutés que les spécialités comparables disponibles dans l'hexagone. A La Réunion, des écarts atteignant 47 % ont été relevés entre la teneur en glucides de boissons sucrées distribuées localement et des boissons de même type commercialisées en France hexagonale. On constate en effet que la recette de certains produits est adaptée lorsqu'ils sont distribués sur le marché ultramarin, en raison d'une prétendue préférence pour le sucre des consommateurs des outre-mer.

La seconde inégalité qui frappe les consommateurs ultramarins concerne les dates limites de consommation apposées sur l'étiquetage de certaines denrées alimentaires. Selon une étude menée par la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom), quelques industriels apposent sur les produits très périssables qu'ils fabriquent en France hexagonale, comme par exemple des yaourts, de la charcuterie ou des fromages frais, un étiquetage indiquant une date limite de consommation différente selon que ces produits sont destinés au marché hexagonal ou au marché ultramarin. Ainsi, tandis que l'étiquetage de la plupart des yaourts distribués en France hexagonale comporte une date limite de consommation calculée en fonction d'un délai de 30 jours à compter de leur date de fabrication, ce délai peut atteindre 55 jours, soit pratiquement le double, pour les mêmes produits de même marque lorsqu'ils sont commercialisés en outre-mer. Si cette pratique ne concerne heureusement qu'un nombre restreint de fabricants, elle pose une question de principe qui ne peut être négligée.

De telles inégalités parmi les consommateurs ne sont guère acceptables, d'autant qu'elles pourraient être à l'origine de risques sanitaires pour les populations d'outre-mer.

Nous sommes tous conscients que l'obésité est un problème de santé multifactoriel, qui ne pourra être endigué par la seule baisse de la teneur en sucres de l'offre alimentaire. Nous ne disposons d'ailleurs pas d'études mettant directement en relation la consommation excessive de sucres avec le développement du surpoids et de l'obésité chez l'adulte. Pour autant, plusieurs indices tendent à démontrer qu'il est nécessaire de limiter la consommation de sucres pour protéger la santé des personnes les plus fragiles.

Deux études ont démontré le rôle spécifique de la consommation de boissons sucrées dans l'apparition du surpoids et de l'obésité chez l'enfant. Une étude américaine de 1999 a ainsi établi que l'excès de prise de poids chez les enfants est proportionnel à l'augmentation de la consommation de sodas. En Grande-Bretagne, une stabilisation du pourcentage d'enfants obèses a pu être observée dans les cas où des mesures de réduction de la consommation de boissons sucrées pétillantes et de diminution du contenu énergétique des jus de fruits ont été prises. Or, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), le surpoids et l'obésité constituent d'importants facteurs de risque pour le développement de certaines pathologies non transmissibles et chroniques, telles que le diabète, les troubles musculo-squelettiques, certains cancers et surtout les maladies cardio-vasculaires, qui représentaient la première cause de décès dans le monde en 2008. Une enquête de 2012 a ainsi mis en évidence que la fréquence de l'hypertension artérielle est multipliée par 2,6 chez les sujets en surpoids et par 3,6 chez les personnes présentant une obésité. Chez l'enfant, l'obésité entraîne non seulement un risque accru de fracture, de décès prématuré et d'incapacité à l'âge adulte, mais également des difficultés respiratoires ou une résistance à l'insuline. Au total, selon un rapport de l'Afssa de 2004, il est certain qu'un régime alimentaire présentant un index ou une charge glycémique élevée a « des effets délétères sur la santé, au moins dans certaines catégories de la population » comme les diabétiques ou les sujets en surpoids.

Plusieurs organismes ont d'ailleurs émis des recommandations concordantes quant à la diminution de la quantité de sucres consommée chaque jour. Un rapport publié en 2003 par l'OMS et la FAO (organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture) indique ainsi que la ration calorique journalière doit comprendre moins de 10 % de sucres ajoutés. L'Anses préconise quant à elle une réduction de 25 % de la consommation de glucides simples, et notamment de glucides simples ajoutés. Dans sa Stratégie mondiale de 2004 pour l'alimentation, l'exercice physique et la santé, l'OMS recommande même aux pouvoirs publics d'adopter des mesures pour « réduire [...] la teneur en sucre des boissons et en-cas ». 

La question est d'autant plus importante que la prévalence du surpoids, de l'obésité et du diabète est particulièrement forte parmi les populations ultramarines. L'enquête dite « Podium » de 2009 a ainsi constaté qu'en Guadeloupe, la fréquence des problèmes d'excès de poids s'établirait à 55 %. La prévalence de l'obésité y atteindrait 23 % contre 14,5 % dans l'hexagone selon l'enquête ObEpi. L'obésité touche fortement les femmes et les enfants. Selon un rapport remis en 2009 au Président de la République, 20 % des femmes seraient concernées à La Réunion, 26 % en Martinique, 31 % en Guadeloupe et 32 % à Mayotte, contre 15 % dans l'hexagone. 9 % des enfants seraient obèses en Guadeloupe et en Martinique, contre 3,5 % dans l'hexagone, soit près du triple. Par ailleurs, selon une étude de 2010 de l'Institut national de veille sanitaire, les outre-mer figurent en France parmi les territoires les plus touchés par l'épidémie de diabète. En 2009, le taux de prévalence de cette maladie s'établissait à 8,8 % à La Réunion contre 4,4 % pour l'ensemble de la population française.

Il semble donc plus que nécessaire de prendre des mesures pour remédier à la progression constante des problèmes d'excès de poids dans la population ultramarine et des comorbidités associées. Quelques-unes, timides, ont été prises au cours de ces dernières années. Elles apparaissent cependant très insuffisantes, ce qui justifie une intervention législative visant à mettre en oeuvre des mesures plus contraignantes.

Le programme national nutrition santé (PNNS, qui existe depuis 2001) et le plan obésité ont fait l'objet d'une déclinaison spécifique en direction des populations d'outre-mer. Les mesures préconisées dans ce cadre se sont traduites par plusieurs initiatives intéressantes au niveau local, comme par exemple le projet « Ecoles Carambole ». Les effets de ces instruments, qui visent à modifier en profondeur les comportements nutritionnels de la population, tardent cependant à se faire sentir.

Des actions ont également été entreprises en direction des industriels de l'agroalimentaire dans le cadre du PNNS 2 et du programme national pour l'alimentation. Sur la base du volontariat, il leur a été proposé d'engager des travaux et de signer des chartes visant à améliorer la qualité nutritionnelle de leur production. Cependant, à l'heure actuelle, seul un très faible nombre de chartes ont été signées. Compte tenu de la responsabilité particulière des industriels dans les problèmes qui nous préoccupent, et puisque la méthode de la concertation semble avoir atteint ses limites, il est indispensable de prévoir un encadrement plus contraignant de la teneur en sucres de leur production.

La pratique de la double date limite de consommation soulève également des questions de santé publique. Selon le droit communautaire, les produits microbiologiquement très périssables tels que les yaourts « sont susceptibles, après une courte période, de présenter un danger immédiat pour la santé humaine » et « au-delà de la date limite de consommation, une denrée alimentaire est dite dangereuse [...] ». Dans ces conditions, une date limite de consommation de leurs produits doit être déterminée par les industriels eux-mêmes, sous leur responsabilité et à partir d'analyses de risque dont ils doivent pouvoir produire les résultats à tout moment.

Or, dans le cas de la pratique de la double date limite de consommation, la fixation d'une date plus éloignée pour les produits destinés aux marchés ultramarins répond à une préoccupation uniquement commerciale. Les denrées produites en France hexagonale doivent en effet être acheminées par bateau vers ces marchés, ce qui implique un délai de transport conséquent. La date limite de consommation de 30 jours est donc souvent presque atteinte lorsque ces denrées atteignent leur destination. Pourtant, de telles modalités de transport impliquent un risque sanitaire plus important en raison notamment des risques de rupture de la chaîne du froid : en toute logique, la date limite de consommation des produits destinés au marché ultramarin devrait être rapprochée et non reculée !

La pratique de la double date limite de consommation résulte donc d'une interprétation erronée, faite par les industriels, de la réglementation applicable. Si celle-ci leur laisse la liberté et la responsabilité de fixer la date limite de consommation des produits très périssables, cela ne signifie aucunement que des dates différenciées puissent être déterminées selon les marchés de commercialisation. Au contraire, la fixation de la date limite doit être contrainte d'un point de vue sanitaire par les résultats des analyses de risque. Ainsi, de deux choses l'une : soit la date limite de consommation déterminée pour l'hexagone est trop proche, ce qui signifie que certaines denrées sont inutilement gaspillées ; soit la date limite de consommation déterminée pour l'outre-mer est trop éloignée, ce qui implique que les populations ultramarines sont exposées à un risque sanitaire inadmissible.

On peut également relever que la présence sur le marché ultramarin de produits provenant de France hexagonale et indiquant un délai de consommation plus long que le délai traditionnel constitue une concurrence déloyale à l'encontre des producteurs locaux qui respectent ce délai.

Ce sont ces inégalités que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui vise à corriger. Le texte initial reprenait en partie les dispositions de la proposition de loi déposée par Victorin Lurel à l'Assemblée nationale, qui avait été adoptée en commission des affaires sociales avant d'être rejetée à neuf voix près en séance publique en octobre 2011. A l'origine, il concernait uniquement la question de la teneur en sucres des produits alimentaires disponibles sur le marché ultramarin. Lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, deux sujets se sont ajoutés : celui des doubles dates limites de consommation et celui de la qualité nutritionnelle des repas distribués par les entreprises de restauration collective. Au total, le texte qui nous est proposé porte sur la question plus globale de la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer, ce dont je me félicite.

Les dispositions du texte seront applicables dans les collectivités mentionnées à l'article 73 de la Constitution, soit la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte, ainsi qu'à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Son article 1er vise à fixer une teneur maximale en sucres ajoutés pour les produits alimentaires distribués dans les outre-mer par référence à la teneur maximale constatée dans les produits comparables commercialisés dans l'hexagone. Deux catégories de produits sont concernées par ce plafond : d'une part, les denrées similaires et de même marque distribuées à la fois en outre-mer et dans l'hexagone ; d'autre part, les denrées alimentaires exclusivement distribuées dans les outre-mer et assimilables à celles de la même famille distribuées dans l'hexagone, dont la liste sera précisée par voie réglementaire. Dans le cas où la teneur en sucres ajoutés des denrées équivalentes distribuées dans l'hexagone diminuerait, une période d'adaptation d'une durée maximale de six mois est prévue afin de permettre aux opérateurs d'écouler leurs stocks.

Le contrôle de ces dispositions est confié aux agents publics compétents, notamment à ceux de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Alors même que le législateur lui attribue de plus en plus de compétences (nous l'avons récemment fait en ce qui concerne le bisphénol A), j'attire votre attention sur le fait que la DGCCRF, qui fournit un travail remarquable et a récemment été très mobilisée dans l'affaire de la viande de cheval vendue comme du boeuf, fait face depuis quelques années à un important problème de moyens.

Afin de permettre aux industriels d'adapter leur production aux nouvelles contraintes définies par l'article 1er de la proposition de loi, son article 2 fixe un délai de transition de six mois à compter de sa promulgation, ce qui me semble raisonnable.

L'article 3 concerne les dates limites de consommation. Il prévoit que, lorsque la mention d'une date indiquant le délai dans lequel une denrée alimentaire doit être consommée est apposée sur l'emballage, ce délai ne peut être plus long que celui prévu pour la même denrée de même marque distribuée en France hexagonale. Pour lever toute ambiguïté de rédaction, je demanderai au ministre de préciser en séance publique que la formulation retenue concerne bien les « dates limites de consommation » figurant sur les emballages des denrées alimentaires microbiologiquement très périssables, et non les « dates limites d'utilisation optimale » qui sont utilisées pour les produits qui présentent une relative stabilité microbiologique.

L'article 4 vise à rendre obligatoire pour l'attribution des marchés publics de restauration collective la prise en compte des performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture. Cette disposition vise à la fois à promouvoir une meilleure qualité nutritionnelle de l'offre alimentaire en restauration collective, en favorisant l'approvisionnement en produits frais et de saison, et à inciter au développement des filières agricoles locales, en encourageant le développement des circuits courts.

Des initiatives en ce sens ont déjà été prises. A la suite de la loi « Grenelle I » du 3 août 2009 et de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010, l'article 53 du code des marchés publics a été modifié et prévoit que les pouvoirs adjudicateurs peuvent intégrer les performances en matière de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture parmi les critères pris en compte pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse. Rendre ce critère obligatoire permettra d'encourager le développement d'un approvisionnement alimentaire durable, fondé sur la production locale plutôt que sur l'importation de denrées acheminées sur des milliers de kilomètres, et sur l'utilisation de produits frais et de saison plutôt que de produits industriels. Pour autant, les acheteurs publics ne verront pas leur liberté de fixer les critères d'attribution des marchés publics remise en cause. Ils disposeront en effet toujours de la possibilité de pondérer ces critères en fonction de l'importance qu'ils souhaitent donner à chacun d'entre eux.

Si elle est adoptée par le Sénat, cette proposition de loi constituera un pas important pour l'amélioration de la qualité nutritionnelle de l'offre alimentaire à destination de populations ultramarines particulièrement touchées par le surpoids et l'obésité. Elle permettra surtout d'assurer enfin l'égalité entre les consommateurs, et c'est pourquoi je vous demande d'approuver ce texte.

M. Alain Milon. - Pour améliorer la qualité de l'offre alimentaire et réduire les disparités de cette offre en fonction des territoires, une loi générale de santé publique est nécessaire. Or, ce texte a une portée restreinte. En outre, certains outils ont déjà été mis en place pour répondre à ces objectifs - même s'ils sont probablement insuffisants. Le programme national nutrition santé, instauré certes en 2001 mais qui a été actualisé plusieurs fois depuis lors, ainsi que le plan obésité comportent un volet spécifique pour l'outre-mer. Trente-trois chartes d'engagement ont été signées avec les industriels, dont une qui porte sur la diminution de la teneur en sucre des sodas.

Une grande loi de santé publique est régulièrement annoncée depuis le début de la présidence « normale ». Pourquoi alors une proposition de loi au champ limité ? En outre, ces problèmes auraient pu être réglés par la voie réglementaire. Pour toutes ces raisons, même si nous partageons les objectifs de ce texte, nous ne le voterons pas.

Mme Karine Claireaux. - Les outils en place ne sont pas suffisants. Il était nécessaire de prendre des mesures claires et spécifiques à l'attention de l'outre-mer. Deux points appellent cependant notre vigilance.

Il est indispensable de mettre en oeuvre l'objectif de réduction du taux de sucre dans les aliments, qui est partagé par tous. Il faudra toutefois veiller à ce que l'arrêté qui fixera la liste des produits concernés prenne en compte les difficultés d'approvisionnement de certaines collectivités visées par le texte.

Il importe également de savoir si la date limite de consommation est justifiée : soit le délai de trente jours est impératif et il doit être respecté partout, soit il est utilisé par les industriels pour encourager à la surconsommation. S'il s'avère que ce délai doit être strictement respecté, les produits frais devront être acheminés en outre-mer par avion, ce qui rendra leur coût prohibitif et ira à l'encontre des objectifs fixés par la loi contre la vie chère. C'est pourquoi il faut faire la lumière sur ce sujet.

Mme Aline Archimbaud. - Nous soutenons ce texte, parce qu'il est nécessaire de prendre des mesures énergiques et contraignantes. Les premiers articles reprennent des dispositions que notre groupe avait proposées dans un amendement à la loi sur la vie chère à l'automne. Rien ne justifie les différences de teneur en sucres entre les produits de l'hexagone et ceux de l'outre-mer. L'article 1er précise qu'un arrêté ministériel déterminera la liste des produits concernés : nous devrons veiller à ce que cette liste ne soit pas trop restrictive. Nous sommes également favorables aux circuits courts qu'encourage l'article 4.

Mme Catherine Deroche. - Les différences de teneurs en sucre sont incompréhensibles. Au-delà des motivations commerciales évoquées, les dates limites de consommation intègrent certainement une forte marge de sécurité de la part des industriels. Quelles sont les possibilités d'avoir des produits locaux de substitution ?

Mme Laurence Cohen. - Je salue le travail du rapporteur. Chacun souhaite évidemment une loi de santé publique générale. On pourrait évoquer aussi le taux en sel des produits destinés aux jeunes enfants ou l'éducation au goût.

Ce texte part du constat d'une inégalité profonde. On peut sincèrement s'interroger pour savoir si les différences ne résultent pas d'un colonialisme qui a perduré pour que des industriels écoulent leurs produits plutôt que d'une tradition locale. C'est pourquoi nous soutenons ce texte.

Mme Colette Giudicelli. - Je partage le souhait que l'outre-mer soit traité comme la métropole, mais les goûts y sont peut-être différents. Parviendrons-nous avec une loi à changer les habitudes culinaires outre-mer ?

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - L'ajout de sucre permet d'allonger le délai de conservation. Voyez la différence entre une confiture normale et une confiture light...

M. Jean Desessard. - Je suis surpris de l'existence de productions spécifiques pour l'outre-mer. Je ne comprends pas comment ce système peut être rentable.

M. Michel Vergoz, rapporteur. - Il faudra en effet veiller à ce que la liste des produits exclusivement distribués en outre-mer qui sera fixée par arrêté ne pénalise pas certaines régions.

La date limite de consommation est-elle un rideau de fumée ? Difficile de répondre à cette question... Dans tous les cas, il revient à la loi de protéger les citoyens et aux acteurs de l'économie d'en tirer les conséquences.

Les industriels, à maintes reprises, nous ont affirmé que les ultramarins ont un goût marqué pour le sucre. Quand cette appétence est entretenue pendant des années, elle confine à l'addiction. Seule la loi peut corriger une telle déviance.

Le dialogue a montré ses limites. Il se heurte à la mauvaise foi des industriels. Parmi les trente-trois chartes qui ont été mentionnées en figure en effet une qui concerne le taux de sucres dans les sodas, qui date de 2008. Il existe par ailleurs deux chartes qui concernent spécifiquement les produits distribués en outre-mer, dont une traite de la question des taux de sucres.

M. Alain Milon. - Les dispositions que vous nous proposez relèvent plutôt du domaine du règlement.

M. Michel Vergoz, rapporteur. - Une loi est nécessaire pour encadre les teneurs en sucres et les modalités de fixation des DLC des produits destinés à l'outre-mer.

Une loi de santé publique ? On en parle depuis 2009, Xavier Bertrand, après d'autres, l'avait promise, elle est toujours attendue ! Pendant ce temps, les problèmes se sont aggravés. Il est temps de sortir de l'immobilisme. Il s'agit de santé publique : derrière les termes techniques se cachent des cas de cécité, d'obésité, d'amputation, des dialyses, des infarctus, des morts ! Il y a urgence. On a trop tergiversé. L'obésité ne cesse de se répandre, je le constate à La Réunion depuis quinze ans. Souhaiter que soit adoptée une loi de santé publique n'empêche pas d'adopter cette proposition de loi.

Les industriels justifient l'allongement de la date limite de consommation par des arguments commerciaux, et non par des raisons de santé publique. C'est aux industriels qu'il appartient de fixer les dates limites de consommation. Mais une fois qu'elle a été déterminée, elle doit être respectée, dès lors qu'il existe un risque pour la santé humaine.

M. Dominique Watrin. - Sachant qu'il s'agit bien d'une question de santé, quel sera le ministre présent en séance publique ?

M. Michel Vergoz, rapporteur. - A l'Assemblée nationale étaient présents le ministre des outre-mer et le ministre délégué à l'agro-alimentaire.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

Jeudi 16 mai 2013

- Présidence de Mme Annie David, présidente -

Réforme de la biologie médicale - Examen de l'amendement du Gouvernement sur les conclusions de la commission mixte paritaire

Mme Annie David, présidente. - J'ai pris l'initiative de réunir la commission suite au dépôt par le Gouvernement d'un amendement sur les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la biologie médicale, amendement qui a déjà été adopté à l'Assemblée nationale mardi.

Le Règlement du Sénat prévoit que la commission saisie au fond est compétente pour donner un avis sur les amendements portant sur les conclusions de CMP. Mais il prévoit également que lorsque le Sénat se prononce après l'Assemblée nationale, ce qui sera le cas ce soir, il procède à un vote unique sur l'ensemble du texte assorti des amendements retenus par le Gouvernement. Par conséquent, il n'y aura pas de vote particulier sur cet amendement, mais un vote global portant à la fois sur le texte de la CMP et l'amendement.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - L'amendement n° 1 présenté par le Gouvernement tend à supprimer les dispositions relatives à l'ultraminoritariat insérées à l'article 8 du projet de loi.

Il s'agit d'un problème juridique sur lequel je suis revenu à plusieurs reprises.

Les dispositions adoptées apportent des contraintes qui sont incompatibles avec le droit européen. Dès lors, il existe un fort risque de contentieux lequel est susceptible de faire tomber l'ensemble des dispositions protectrices que nous avons voulues.

Les syndicats des jeunes biologistes qui étaient favorables à cette mesure se sont d'ailleurs ravisés et soutiennent l'initiative du Gouvernement.

Ce n'est donc pas un problème de principe mais bien un problème de compatibilité des normes qui est en cause. C'est pour cette raison que j'y suis favorable.

Je m'interroge cependant sur l'intérêt que présente le fait pour la commission d'émettre un avis sur cet amendement étant donné, comme l'a rappelé la présidente, qu'il y aura un vote unique.

Mme Laurence Cohen. - Je tiens à protester contre la méthode utilisée par le Gouvernement pour revenir sur l'accord intervenu en CMP. Elle me semble peu respectueuse de la démocratie parlementaire. Nous sommes défavorables à cet amendement.

Mme Catherine Deroche. - Je m'associe à ce propos. Le groupe UMP est également opposé à cet amendement.

M. Jacky Le Menn, rapporteur. - Sur les conclusions d'une CMP, seuls sont recevables les amendements du Gouvernement ou acceptés par lui. Il a déposé cet amendement parce que, comme je l'ai souligné à toutes les étapes de notre discussion, ces dispositions posent un problème juridique. Le Gouvernement, comme nous tous, est favorable à garantir l'indépendance d'exercice des jeunes biologistes. La question est celle de la méthode. Libre à chacun de voter pour ou contre le texte amendé.

La commission émet un avis favorable sur l'amendement n° 1 du Gouvernement.