Mardi 11 février 2014

Justice et affaires intérieures - Europol

Cette réunion s'est tenue à La Haye, au siège d'Europol.

M. André Gattolin, secrétaire de la commission des affaires européennes. - Je voudrais tout d'abord vous présenter mes plus vifs remerciements, Monsieur le Directeur, pour l'accueil que vous réservez à la délégation de la commission des affaires européennes du Sénat.

Notre Président M. Simon Sutour est actuellement retenu en Jordanie, où il participe à une conférence de l'Union pour la Méditerranée. Il vous prie de bien vouloir excuser son absence. C'est en ma qualité de Secrétaire du bureau de la commission que j'ai l'honneur de le représenter.

Le Sénat est très attentif au développement de la coopération policière et judiciaire dans l'espace européen. Il a suivi avec beaucoup d'intérêt la mutation d'Europol. Cet office, créé par voie conventionnelle dès 1995, est devenu une agence européenne pleine et entière en 2009.

L'évolution d'Europol est caractéristique de celle de ce qui fut longtemps appelé le « troisième pilier » de l'Union. Europol est désormais un « organe de coopération intégré ».

Par ailleurs, depuis le traité de Lisbonne, les parlements nationaux sont associés « au contrôle des activités d'Europol ». C'est dire que nous sommes conduits à renforcer nos relations, à multiplier nos échanges.

Nous vous avons fait parvenir un questionnaire. La question de la fusion Europol-CEPOL est à l'ordre du jour. S'agit-il d'une pure mesure d'économie ou au contraire d'une synergie utile de logiques et de moyens ?

Plus généralement, nous souhaiterions des réponses concrètes à des questions concrètes. Quelle valeur ajoutée Europol a-t-il apportée à l'action des services de police des différents États membres ? Quel bilan peut-on tirer de la gestion par Europol des fichiers d'analyse ? Quelles mesures permettent de garantir la protection des données ?

Peut-on aujourd'hui parler d'un espace policier européen comme on parle de l'espace judiciaire européen ?

J'espère que nos échanges permettront d'approfondir tous ces sujets !

M. Michel Quillé, directeur adjoint, en charge du département Opérations. - Europol est à l'origine une initiative franco-allemande de 1992. Il est une agence européenne depuis le 1er janvier 2010, date d'entrée en vigueur de la décision du Conseil du 6 avril 2009 portant création de l'Office européen de police. Jusqu'à la réforme, l'Office était financé par une contribution volontaire des États membres, calculée chaque année en fonction de leur PNB. Depuis, c'est le budget général de l'Union qui finance l'agence.

Le Conseil « JAI » (Justice et affaires intérieures) est responsable du contrôle global et des orientations d'Europol. Il lui incombe actuellement de désigner le directeur (M. Rob Wainwright, de nationalité britannique, assure cette fonction depuis avril 2009) et les directeurs-adjoints.

Le Conseil d'administration d'Europol, constitué d'un représentant de chaque État membre, a pour mission de contrôler les activités de l'organisation.

Le mandat d'Europol est de soutenir et de renforcer l'action des autorités compétentes des États membres et leur coopération mutuelle dans la prévention de la criminalité organisée, du terrorisme et d'autres formes graves de criminalité affectant deux États membres ou plus.

En 2010, la base juridique fondant les compétences d'Europol a évolué. « Serious and organised crime » (crime grave et organisé) s'est substitué au concept de « crime organisé », qui fait l'objet de définitions différentes selon les États. En France, par exemple, il n'y a pas de définition juridique du crime organisé. La notion de « crime grave » permet de prendre en compte les vols avec effraction ou encore les prédateurs en ligne qui n'appartiennent pas à des groupes organisés.

Les priorités opérationnelles d'Europol sont largement déterminées par le Conseil de l'Union sur recommandation du Conseil d'administration. Elles tiennent compte des analyses stratégiques et des évaluations de la menace effectuée par Europol sur la base des renseignements fournis par les services des États membres.

En juin 2013, le Conseil de l'Union a identifié neuf priorités européennes pour lutter contre la grande criminalité organisée dans le cadre d'un Cycle politique pluriannuel (2014-2017) européen, dit SOCTA (« Serious and Organised Crime Threat Assessment »).

Ces priorités sont les suivantes :

- trafic de cocaïne et d'héroïne à destination de l'UE ;

- production et trafic de drogue de synthèse ;

- production et distribution de marchandises de contrefaçon (santé, alimentation, sécurité) ;

- traite des êtres humains au sein de l'UE et en provenance des principaux pays d'origine hors UE (exploitation à des fins de travail, exploitation sexuelle) ;

- filières d'immigration clandestine ;

- fraudes aux droits d'accise et fraude intracommunautaire (TVA, trafic de cigarettes, etc) ;

- lutter contre la cybercriminalité : fraude en ligne, fraude à la carte de paiement, exploitation sexuelle en ligne des enfants, cyberattaques contre les systèmes d'infrastructures critiques de l'Union ;

- trafic d'armes à feu ;

- criminalité organisée contre la propriété.

Sont aussi à prendre en compte :

- la dimension régionale des activités criminelles : Afrique de l'Ouest, Balkans occidentaux ;

- le blanchiment de capitaux ;

- le recouvrement des avoirs ;

- l'existence de groupes mafieux et les gangs de motards ;

- la poly-criminalité.

Pour la mise en oeuvre des actions résultant des priorités européennes, Europol apporte son soutien aux États membres dans le cadre des projets EMPACTS (European Multidisciplinary Platform against Criminal Threats) : recueil de renseignements, rédaction de rapports stratégiques soutenant chaque priorité, soutien à la gestion des projets.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Qu'en est-il de la lutte contre le terrorisme ?

M. Michel Quillé, directeur adjoint, en charge du département Opérations. - Le terrorisme est, quant à lui, une priorité permanente.

Sur 684 opérations qui ont bénéficié d'un soutien opérationnel actif, 62 % ont été liées aux projets EMPACTS.

Il faut comprendre qu'Europol n'a rien à voir avec le FBI par exemple. L'Office ne dispose pas de pouvoir de coercition. Il apporte un soutien opérationnel aux enquêtes conduites par les services de police des 38 pays présents à Europol (les 28 États membres de l'Union plus 10 États ou organismes tiers dont les USA, la Colombie, l'Australie, la Suisse, la Norvège, le Canada et Interpol, avec lesquels Europol a conclu des accords de « coopération opérationnelle »).

Europol est donc, surtout, un centre d'information criminelle. Fin 2013, le Système d'Information Europol (SIE) contenait 245 000 documents (augmentation de 31 % par rapport à fin 2012) concernant environ 70 000 personnes.

Les principaux domaines de criminalité concernés ont été :

- le trafic de stupéfiants : 29 % ;

- le vol aggravé : 18 % ;

- la fausse monnaie : 10 % ;

- l'immigration clandestine : 9 % ;

- la fraude et escroquerie : 7 %

En 2013, les principaux « contributeurs », c'est-à-dire fournisseurs d'informations, ont été la Belgique, l'Angleterre, la France, l'Espagne et les Pays-Bas.

Quelque 300 000 recherches ont été effectuées.

Environ 2 000 recoupements internationaux sont intervenus sur des enquêtes en cours.

Quelque 15 000 enquêtes transnationales ont bénéficié d'un soutien ou d'une action de coordination des infrastructures et des services d'Europol (900 dossiers par mois environ).

11 000 enquêtes ont été directement initiées par Europol.

Par ailleurs, la Commission européenne a créé au sein d'Europol en janvier 2013 un Centre européen pour la lutte contre la cybercriminalité, que M. Jean-Dominique Nollet évoquera dans un instant.

Des accords de coopération ont été signés avec plusieurs États tiers, Interpol et huit agences dont le FBI.

M. Pierre Bernard-Reymond. - D'autres accords sont-ils envisagés ?

M. Jean-Jacques Colombi, chef de la Division des relations internationales à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). - Une négociation est en cours avec la Russie mais elle bute sur la question de la protection des données.

M. André Gattolin. - Quels sont les liens avec Interpol ?

M. Jean-Jacques Colombi, chef de la Division des relations internationales à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). - L'accord de coopération date de 2001 mais il est très formel. Depuis 2009, il existe une volonté commune de renforcer la coopération en partageant les tâches et en évitant les doublons.

Au sein de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), constituant l'une des composantes de la Division des relations internationales (DRI), la section centrale de coopération opérationnelle de police (SCCOPOL) est l'organe central national chargé de la coopération opérationnelle internationale de police.

Sur une plateforme commune, la SCCOPOL regroupe les trois canaux institutionnels de la coopération opérationnelle policière internationale auxquels la France participe, à savoir Interpol, Schengen et Europol, conformément à l'article D.8-2 du code de procédure pénale qui attribue à la DCPJ la gestion de cette coopération.

La SCCOPOL est un service interministériel auquel participent les ministères de l'intérieur (police et gendarmerie nationales), de l'économie et des finances par le biais des douanes et de la justice par le biais de la mission justice du Bureau de l'entraide pénale internationale (BEPI).

Afin d'assurer la transversalité nécessaire à ces trois canaux de coopération, un point de contact central (PCC) a été installé à la SCCOPOL en août 2004. Il a pour fonction essentielle d'accompagner les services répressifs français dans le choix du meilleur outil de coopération policière en fonction de la nature et de la complexité de l'enquête en cours.

Dans chaque État membre, Europol dispose d'un correspondant unique : l'Unité nationale Europol (UNE), laquelle, pour la France, est placée au sein de la SCCOPOL et siège à Nanterre.

En collaboration avec le Bureau de liaison France (BDL), situé au siège d'Europol, elle constitue le seul organisme de liaison entre Europol et les services français compétents.

Alimentée par les services français, l'Unité nationale transmet à Europol les contributions nationales et ses fichiers d'analyse qui sont des instruments dédiés à certaines formes de criminalité ou à certains groupes criminels. Pour les données qui n'entrent pas dans ces fichiers spécialisés, l'UNE dispose d'un accès au Système d'Information.

L'Unité nationale Europol est le point d'entrée unique entre Europol et les services de police nationaux. Le BDL a pour mission de représenter les intérêts de son UNE au sein d'Europol conformément au droit national de l'État membre d'origine et dans le respect des dispositions applicables au fonctionnement d'Europol. Au total, ce sont quelque 150 officiers de liaison des États membres et des États associés qui sont regroupés au sein d'Europol. Ce regroupement d'officiers de liaison au sein d'Europol représente un « concept unique » dans le monde.

On peut dire que si « Schengen » est un outil de contrôle de la voie publique, si « Prüm » (le traité de Prüm signé en 2005 et qui permet d'échanger les informations relatives à l'ADN, aux empreintes digitales et aux plaques d'immatriculation des véhicules entre sept États : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas) permet une « mise en commun de fichiers techniques », Europol, pour sa part, peut être considéré comme un « méga-moteur de recherche ».

La valeur ajoutée par l'Office est évidente au niveau de l'analyse criminelle et du recoupement d'informations. Europol permet aux autorités nationales de police de savoir, dans des délais très courts, si le réseau criminel qui fait l'objet de leurs investigations a retenu l'attention des quelque 89 autres agences européennes qui participent à Europol.

À l'heure où les activités criminelles se diversifient et s'internationalisent à une vitesse galopante (par exemple les réseaux de cambriolage qui mettent en présence des ressortissants de trois ou quatre pays : pays des donneurs d'ordre, pays des « opérateurs », pays des « destinataires » des produits de l'activité criminelle), il est vital que les enquêteurs français puissent utiliser au maximum les outils de la coopération internationale en matière policière.

Quelles sont les perspectives d'avenir pour Europol ?

L'évolution constatée depuis quelques années est positive.

L'Office soutient les autres agences (OLAF, Frontex, etc) mais ne souhaite pas devenir une « super agence européenne ». Peut-être l'Allemagne a-t-elle une approche plus « intégrée ». Certains petits pays membres de l'Union délègueraient même volontiers la gestion de leurs fichiers criminels à Europol. Ce n'est pas la position de la France. Europol doit demeurer sur son « coeur de métier ».

M. Dominique Bailly. - Qu'en est-il des rapports de force entre États membres ?

M. Jean-Jacques Colombi, chef de la Division des relations internationales à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). - Certains États membres comme la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne ou les Pays-Bas, sont plus concernés que d'autres par les criminalités transfrontières. Mais il y a jusqu'à présent un consensus sur le rôle d'Europol qui doit progresser autour de son « coeur de métier ».

M. Quentin Faure, chef du Bureau de liaison France (BDL). - J'aimerais insister sur le rôle d'Europol dans la coordination des enquêtes conduites dans plusieurs États membres de l'Union ou partenaires.

La criminalité d'aujourd'hui est de plus en plus « éclatée » entre plusieurs pays (par exemple dans le domaine des fraudes à la carte bancaire).

En centralisant les échanges d'informations sur la délinquance organisée, en mettant ses fichiers à la disposition des services de police nationaux, Europol permet d'identifier les liens d'une enquête en cours dans un pays avec d'autres enquêtes conduites dans des pays voisins. Le délai de réponse, pour une garde à vue, est de quatre heures dans la langue de l'État membre concerné.

M. Dominique Bailly. - Ce délai est-il toujours respecté ?

M. Jean-Jacques Colombi, chef de la Division des relations internationales à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). - Oui, lorsque l'État demandeur est un État membre de l'Union européenne.

M. André Gattolin. - Les informations sont-elles bien sécurisées ?

M. Quentin Faure, chef du Bureau de liaison France (BDL). - Il faut insister sur l'importance du réseau sécurisé d'échanges d'informations utilisé par les services de sécurité lors de leurs contacts avec Europol : le système SIENA. Seuls quelques agents d'Europol, dûment habilités, ont accès aux données sécurisées. Les officiers de liaison, par exemple, n'ont pas accès aux fichiers. Pour avoir accès aux données intéressées, ils doivent interroger Europol qui doit s'adresser au pays fournisseur d'informations afin de savoir s'il y a ou non autorisation.

En trois ans, le nombre de dossiers initiés par les services français au niveau européen a progressé de 45 % (1 882 dossiers en 2013). Le volume global des messages échangés a augmenté de 55 % (30 918 messages en 2013). La France est le deuxième pays utilisateur d'Europol après l'Allemagne.

M. Jean-Dominique Nollet, chef d'unité de laboratoire de recherche, Centre européen de lutte contre la cybercriminalité (EC3) à Europol. - Au mois de janvier 2013, la Commission a mis en place, à Europol, le Centre européen de lutte contre la cybercriminalité. Cet organisme se concentre sur les activités illicites en ligne menées par des groupes criminels organisés, et plus particulièrement sur celles qui génèrent des profits considérables, comme la fraude en ligne impliquant le vol des détails de comptes bancaires et de cartes de crédit.

Nous nous attachons également à prévenir les cybercrimes concernant les opérations bancaires et réservations sur l'internet, ce qui permettra d'accroître la confiance des consommateurs en ligne. Le Centre européen de lutte contre la cybercriminalité a aussi pour objectif de protéger les réseaux sociaux en ligne contre le piratage et contribue à la lutte contre l'usurpation d'identité sur Internet. Enfin, il se focalise sur les cybercrimes lourds de conséquences pour leurs victimes, tels que l'exploitation sexuelle des enfants en ligne, et sur les attaques informatiques à l'encontre d'infrastructures et des systèmes d'information de l'Union européenne.

Plus des trois quarts des ménages européens disposent d'une connexion à l'internet à domicile, et plus d'un tiers des citoyens européens (36 %) effectuent des opérations bancaires en ligne. Quatre-vingts pour cent des jeunes Européens se connectent entre eux par le biais des réseaux sociaux en ligne. Environ huit millions de dollars changent de mains chaque année dans le monde du fait du commerce électronique.

Par conséquent, la cybercriminalité augmente et ses auteurs ont mis en place des réseaux criminels dans lesquels des informations concernant des cartes de crédit peuvent être vendues entre groupes criminels organisés.

Le Centre européen de lutte contre la cybercriminalité attire l'attention des États membres sur les faiblesses des défenses de leurs installations en ligne. Il a aussi pour vocation d'apporter un soutien opérationnel aux enquêtes sur le terrain, au niveau tant de l'analyse que de la création d'équipes communes d'enquête sur la cybercriminalité.

M. André Gattolin. - Je souhaiterais poser deux questions :

1/ La protection des données personnelles vous paraît-elle bien garantie par le système actuel ?

2/ Quelle est votre appréciation sur l'évolution possible de la gouvernance à Europol avec notamment la faculté pour la Commission de présenter des listes pour la désignation du directeur et des directeurs-adjoints ?

M. Grégory Mounier, conseiller Affaires stratégiques et relations extérieures. - Sur la première question, la réponse est oui : Europol a l'un des régimes de protection des données personnelles parmi les plus contraignants dans le monde des agences de coopération policière. Il s'agit d'un régime spécialement conçu pour tenir compte des spécificités du mandat d'Europol, agence de police qui, par définition, traite des données personnelles sensibles.

Plusieurs exigences doivent être satisfaites :

- la nécessité de garantir la sécurité et la confidentialité des données sensibles qui appartiennent aux États membres ;

- l'existence d'un régime suffisamment flexible pour servir le travail des analystes d'Europol : par exemple, la rétention des données pour le besoin des enquêtes ;

- la nécessité d'un régime spécifique en ce qui concerne la divulgation des informations qu'Europol détient sur des criminels connus ou des suspects.

Il existe deux types de contrôle :

- le contrôle interne : l'Officier de protection des données s'assure d'une manière indépendante qu'Europol traite ces données en accord avec le cadre juridique applicable. Il peut saisir l'Autorité de contrôle commune (ACC) et faire rapport directement au Conseil d'administration en cas de problème ;

- le contrôle externe : l'ACC composée d'un représentant de chaque autorité de protection des données nationales (pour la France : CNIL).

La base juridique d'Europol (décision du Conseil 2009/371/JAI) prévoit des audits réguliers par l'ACC ainsi que des règles strictes sur les conditions d'accès aux données personnelles traitées dans les systèmes d'Europol.

La proposition de règlement de la Commission prévoit de remplacer l'ACC par un contrôleur européen de la protection des données (CEPD) qui travaillerait en étroite relation avec les autorités nationales compétentes. Le nouveau régime de protection des données devra être assez souple pour trouver le juste équilibre entre le respect des droits fondamentaux et le besoin d'adapter l'outil qu'est Europol aux défis que posent l'évolution de la grande criminalité organisée à l'ère du numérique.

M. Michel Quillé, directeur adjoint, en charge du département Opérations. - Sur la seconde question, relative à la gouvernance, la proposition de la Commission s'inscrit dans une évolution que je qualifierai de « normale ».

En pesant plus sur la « gouvernance » d'Europol, la Commission pourrait peut-être faciliter les négociations des accords de coopération opérationnelle avec des États tiers. Notons que c'est la Commission qui a créé le Centre européen de lutte contre la cybercriminalité. L'essentiel, pour nous, est qu'Europol, organisme transversal, reste sur son « coeur de métier ».

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je m'interroge sur les moyens notamment médiatiques qui permettraient aux citoyens européens de mieux connaître Europol, son mode de fonctionnement et son rôle dans la lutte contre la criminalité organisée et internationale.

M. Dominique Bailly. - Comment mieux associer les parlements nationaux au contrôle d'Europol ?

M. Michel Quillé, directeur adjoint, en charge du département Opérations. - Europol se réjouit du renforcement du contrôle démocratique de ses activités et en particulier de l'implication des parlements nationaux dans ce contrôle car cela renforce la légitimité de son action et le rapproche des citoyens européens.

En ce sens, la proposition de la Commission de mettre en place un comité mixte composé de parlementaires européens et nationaux est une bonne idée. La proposition du Parlement européen de créer un « Groupe de contrôle parlementaire commun » est sensiblement identique même si ses pouvoirs seraient légèrement étendus.

Mercredi 12 février 2014

Justice et affaires intérieures - Eurojust

Cette réunion s'est tenue à La Haye, au siège d'Eurojust

I - PRÉSENTATION D'EUROJUST

M. André Gattolin, secrétaire de la commission des affaires européennes. - Je voudrais tout d'abord vous présenter mes plus vifs remerciements, Madame la Présidente, pour l'accueil chaleureux que vous réservez à la délégation de la commission des affaires européennes du Sénat.

Notre Président M. Simon Sutour est actuellement retenu en Jordanie, où il participe à une conférence de l'Union pour la Méditerranée. Il vous prie de bien vouloir excuser son absence. C'est en ma qualité de Secrétaire du bureau de la commission que j'ai l'honneur de le représenter.

Lors de votre venue à Paris au mois de novembre dernier, nous avons déjà eu le plaisir de vous entendre. Vous aviez évoqué l'activité d'Eurojust, sa coopération avec d'autres organismes européens tels que Frontex, Europol, le collège européen de police, le réseau judiciaire européen, l'Office européen de lutte anti-fraude...

Avec beaucoup de franchise, vous nous avez livré votre point de vue sur le projet de réforme d'Eurojust dans la perspective de la création du Parquet européen prévu par le traité de Lisbonne et voulu par la Commission.

Nous aurons de nombreuses questions à vous poser à ce sujet. La réforme fait débat partout en Europe. Où en est la négociation ? Vers quel type de Parquet européen se dirige-t-on : centralisé ou collégial ? Qui le contrôlera ? Est-il probable que l'institution fonctionnera dans le cadre d'une coopération renforcée ? Quel sera le sort d'Eurojust ?

Cette affaire du Parquet européen retient toute l'attention du Sénat. Au cours de l'année 2013, il a adopté deux résolutions européennes, le 15 janvier et le 28 octobre. La seconde de ces résolutions fut un avis motivé précisant que, du point de vue du Sénat, qui approuve, par ailleurs, le principe de la création d'un Parquet européen, la proposition de la Commission, en faisant le choix d'une formule très intégrée, centralisatrice et directive, ne respectait pas, en l'état, le principe de subsidiarité. Nous aurons l'occasion d'en reparler.

Vous aviez souhaité voir Eurojust bénéficier du droit de déclencher des enquêtes. Il semble que le projet de la Commission vous donne satisfaction sur ce point. Pourriez-vous nous livrer votre point de vue sur le sujet ? Les mesures qui tendent à garantir la protection des données vous paraissent-elles suffisantes ?

Le Sénat a toujours défendu l'espace judiciaire européen. La reconnaissance mutuelle des décisions de justice lui est apparue, en particulier, comme une forme efficace de lutte contre la criminalité organisée transfrontalière.

Renforcer cet espace est précisément la raison d'être d'Eurojust.

À l'issue de notre rencontre au Sénat, le 14 novembre dernier, notre Président, Simon Sutour, vous avait annoncé que nous vous rendrions votre visite. La chose est faite. Au cours de nos échanges, nous allons pouvoir approfondir et actualiser tous ces sujets.

Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust. - J'ai été très bien accueillie au Sénat lors de mon audition au mois de novembre dernier. Je me félicite de cette nouvelle occasion d'avoir un échange avec les sénateurs français.

Eurojust est une unité de coopération avec un collège composé de 28 magistrats qui sont en majorité des procureurs. Elle a pour mission de coordonner la coopération judiciaire européenne entre les 28 États membres. Elle a en outre passé des accords de coopération avec les États-Unis et la Norvège. Un magistrat de liaison américain est présent au siège d'Eurojust.

Au total, 350 personnes travaillent au sein d'Eurojust, dont 80 magistrats. Leurs missions portent à la fois sur la lutte contre les trafics de stupéfiants, contre la traite des êtres humains, contre l'immigration irrégulière, la fraude, le blanchiment d'argent et le terrorisme.

L'activité d'Eurojust s'est traduite par une augmentation régulière du nombre d'affaires. 1 576 affaires ont été traitées par Eurojust en 2013, soit 43 de plus par rapport à 2012. La coopération est fondée sur la confiance. Les magistrats qui travaillent à Eurojust sont des facilitateurs. Ils établissent un lien entre le niveau national et le niveau européen.

Les réunions de coordination organisées par Eurojust portent essentiellement sur le trafic de stupéfiants, le crime organisé, le blanchiment d'argent et la fraude.

118 équipes communes d'enquête ont été constituées en 2013, dont 30 ont été prises en charge par Eurojust qui dispose d'un secrétariat d'experts.

M. André Gattolin. - Ces équipes communes d'enquête sont-elles provisoires ou permanentes ?

Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust. - La plupart des équipes communes d'enquête concernent la traite des êtres humains et le trafic des stupéfiants. La France y prend une part très active. Ces équipes sont permanentes et opérationnelles.

La plus-value d'Eurojust réside essentiellement dans les réunions de coordination. Ces réunions se tiennent à la requête des autorités nationales qui est adressée aux membres nationaux d'Eurojust. Elles supposent qu'au moins deux États membres aient demandé la tenue d'une telle réunion. Si un État tiers est concerné, l'organisation d'une réunion de coordination implique l'accord préalable de l'ensemble du collège d'Eurojust. Les réunions se tiennent en présence des membres nationaux concernés, des autorités des États membres qui ont fait la demande, des policiers intéressés et très souvent d'Europol. Elles donnent lieu à une analyse très concrète au cas par cas.

Eurojust s'intéresse aussi aux aspects stratégiques et tactiques de la coopération judiciaire en Europe. Des groupes de travail fonctionnent sur les différentes formes de criminalité. En outre, Eurojust a noué un partenariat privilégié avec Europol, l'OLAF, la Commission européenne, ou encore le Parlement européen. Elle a des liens étroits avec les magistrats de liaison des États membres et noue des relations avec les États tiers. Il en résulte de véritables centres d'expertise qui sont capables de mener des analyses pointues sur les différentes formes de criminalité.

La coopération prend aussi la forme d'accords avec les États tiers, avec Europol et l'OLAF. Des « memorandums of understanding » ont été conclus avec Frontex, Interpol, la Commission européenne, ou encore le CEPOL. Ils permettent l'échange d'informations sous une forme simplifiée et opérationnelle.

Eurojust a connu des changements réglementaires importants. La décision qui l'a créée en 2002 a été modifiée en 2008. Le traité de Lisbonne a introduit de nouvelles modifications sur le régime juridique d'Eurojust. En juillet 2013, la Commission européenne a présenté deux propositions de règlement, l'une transformant Eurojust en agence européenne, l'autre prévoyant la création d'un parquet européen.

Les difficultés auxquelles Eurojust peut être confrontée viennent souvent moins de la décision institutive elle-même que de la façon dont les États membres la mettent en oeuvre.

L'article 85 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne a ouvert de nouvelles perspectives pour Eurojust. Il lui permet de déclencher des enquêtes pénales ; il prévoit sa compétence en matière de prévention et de résolution des conflits de juridiction ; il renforce son rôle de coordination et améliore la coopération opérationnelle avec Europol, l'OLAF et à travers les équipes communes d'enquête. En outre, Eurojust doit faire l'objet d'une évaluation par le Parlement européen à laquelle sont associés les parlements nationaux. Enfin, l'article 86 du traité précise que le parquet européen doit être constitué à partir d'Eurojust.

La Commission européenne a souhaité lancer parallèlement la réforme d'Eurojust et la création du Parquet européen en mettant l'accent sur le lien d'Eurojust avec ce nouveau parquet. Eurojust peut apporter un support au Parquet européen au niveau opérationnel, par les liens qu'elle a noués avec les États tiers, par son expertise concernant les équipes communes d'enquête, par son rôle dans la mise en oeuvre des mandats d'arrêt européens. Elle peut en outre appuyer le Parquet européen au plan administratif et dans l'échange d'informations.

Le texte de la Commission européenne prévoit que le Parquet européen serait dirigé par un procureur européen qui serait assisté par des adjoints et par des procureurs délégués dans les États membres. Compte tenu de l'opposition prévisible de certains États, comme le Royaume-Uni, l'Irlande, le Danemark, la Suède et l'Estonie, le Parquet européen devrait être créé dans le cadre d'une coopération renforcée entre les États volontaires. En conséquence, le rôle d'Eurojust sera d'autant plus important pour établir le lien entre les États membres qui participeront à cette coopération et ceux qui seront restés en dehors.

Depuis 2010, une « task force » est en place à Eurojust sur la création du Parquet européen. Des séminaires ont été organisés avec les experts des États membres, les institutions européennes et des universitaires. Des contacts ont été noués avec les parlements nationaux et avec le rapporteur du texte sur Eurojust au Parlement européen, M. Axel Voos.

Eurojust a dû relever beaucoup de défis en peu de temps. La criminalité, la cybercriminalité et la fraude se développent de façon inquiétante. Les événements qui se déroulent en Afrique ont un impact sur ces différentes formes de criminalité. Eurojust a dû relever ces défis avec un budget inchangé à 32,4 millions d'euros. Elle a donc dû réduire ses effectifs et faire plus avec moins de moyens. Un nouveau bâtiment devrait accueillir l'Unité de coopération en 2017.

II - PRÉSENTATION DU BUREAU FRANÇAIS D'EUROJUST

Mme Sylvie Petit-Leclair, membre national. - Le bureau français d'Eurojust est composé de 4 magistrats et de 2 secrétaires. Son activité avait baissé en 2012 dans un contexte marqué par la réduction des effectifs à 2 magistrats. Le bureau français joue un rôle de sensibilisation des magistrats nationaux à l'enjeu de la coopération européenne. Son rôle est bien connu des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Il n'en va pas de même des autres juridictions.

La récente affaire de Chevaline dans laquelle trois ressortissants du Royaume-Uni et un Français ont été assassinés près d'Annecy a bien mis en évidence tout l'intérêt de la coopération européenne. Contacté par le bureau français, le procureur a bien compris l'utilité du soutien d'Eurojust et en a convaincu le juge d'instruction. Un déplacement sur place a pu être organisé dans les 48 heures dans de très bonnes conditions. De la même façon, dans l'enquête sur l'attaque à l'encontre d'un site de British Petroleum à In Amenas en Algérie, le procureur a saisi le bureau français et une réunion de coordination a pu être mise en place.

Le bureau français entend également développer des contacts avec des JIRS outre-mer et d'autres juridictions, par exemple à Bordeaux ou à Toulouse.

60 % des dossiers traités par le bureau français ont un caractère multilatéral contre 20 % pour l'ensemble des bureaux nationaux d'Eurojust. Cette différence s'explique par le fait que la France constitue un pays de transit. En outre, à la différence d'autres Etats comme le Royaume-Uni, les magistrats français ont pour habitude, dans leurs enquêtes, d'essayer de remonter jusqu'aux commanditaires et de vérifier le rôle exact des personnes interpellées. Par ailleurs, les JIRS ont pour vocation de gérer des dossiers complexes et multilatéraux. La France dispose de 17 magistrats de liaison répartis à travers le monde vers lesquels un certain nombre d'affaires qui appellent un traitement multilatéral sont renvoyées.

À l'occasion de vols à mains armées dans des bijouteries à Paris et à Strasbourg, le bureau français a été saisi et des dossiers ont été ouverts dans d'autres États membres, comme le Royaume-Uni. Eurojust joue ainsi un rôle de « tour de contrôle » dans ce type d'affaires criminelles.

Eurojust peut contribuer à faciliter l'entraide judiciaire pour combattre les faux ordres de virement que mettent en oeuvre des escrocs au détriment de petites et moyennes entreprises, mais également de grandes entreprises.

Les équipes communes d'enquête peuvent être un instrument très utile. Elles sont valables pour la durée que les signataires ont déterminée, en général de six mois à un an. Mais elles peuvent être prolongées.

L'article 13 de la décision institutive d'Eurojust a été transposé en droit national par la loi du 5 août 2013. Issu de cette loi, l'article 685-8-2 du Code de procédure pénale prévoit l'information du membre national d'Eurojust par les procureurs. Or, paradoxalement, depuis l'entrée en vigueur de la loi, le nombre d'informations transmises à Eurojust a diminué. Auparavant, les procureurs se fondaient sur une circulaire de la Direction des affaires criminelles et des grâces qui prévoyait la transmission d'informations nombreuses à Eurojust. Or, depuis la loi, sur 36 Cours d'appel, une seule a transmis des informations à Eurojust ! Il est donc indispensable que les magistrats s'impliquent dans la transmission d'informations à notre Unité de coopération.

M. André Gattolin. - Comment peut-on expliquer cette diminution des informations transmises ? Faut-il y voir une crainte des magistrats d'être dessaisis des affaires au profit d'Eurojust ?

M. Pierre Bernard-Reymond. - N'y a-t-il pas aussi une part de mauvaise volonté ou d'ignorance par les procureurs des obligations qui leur sont imposées dans ce domaine ?

Mme Sylvie Petit-Leclair, membre national. - Je ne pense pas qu'il y ait une crainte de la part des magistrats d'être dessaisis. Les mentalités ont beaucoup évolué sur le rôle d'Eurojust. J'avais moi-même reçu un très bon accueil des procureurs généraux lors d'une réunion qui s'était tenue à la chancellerie en 2011. Je ne crois pas non plus qu'il y ait de la mauvaise volonté de leur part. Mais la transmission d'informations à Eurojust entraîne une surcharge de travail. Il faudrait donc avoir recours à des moyens techniques adaptés. Le traitement « Cassiopée » mis en oeuvre dans les juridictions pourrait être utilisé à partir d'un logiciel qui permettrait de récupérer l'information. Mais il faudrait en outre assurer une traduction. J'observe que les autres bureaux nationaux font aussi valoir les difficultés de transmission d'informations liées à la surcharge de travail qu'elle occasionne pour les autorités judiciaires.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Des réunions régionales avec le membre national d'Eurojust pourraient contribuer à sensibiliser davantage les magistrats français.

Mme Sylvie Petit-Leclair, membre national. - Cet enjeu justifie les déplacements que j'effectue en France. J'interviens souvent à l'École nationale de la magistrature, mais ces interventions ne concernent que les magistrats qui sont inscrits aux stages organisés par l'école. J'ai par ailleurs reçu un très bon accueil au pôle financier de la Cour d'appel de Paris.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Dans l'affaire de Chevaline, j'observe qu'il y a eu un délai entre les faits et la prise de contact avec le procureur. Comment l'expliquer ?

Mme Sylvie Petit-Leclair, membre national. - On aurait pu prendre contact tout de suite mais le bureau français n'a pas voulu donner l'impression de s'imposer dans l'enquête. En pratique, ces contacts se sont déroulés dans un délai très rapide.

Dans l'affaire de la viande de cheval, le pôle santé publique de la Cour d'appel de Paris n'a pas saisi Eurojust. Une coordination a ensuite été enclenchée à l'initiative du Royaume-Uni.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Le bureau français a-t-il déjà essuyé des refus de son offre de services par des magistrats français ?

Mme Sylvie Petit-Leclair, membre national. - Cela ne s'est jamais produit.

M. André Gattolin. - Le droit pour Eurojust de déclencher des enquêtes pénales pourrait-il être mal reçu par des juridictions nationales ? Quels en seraient en pratique les effets ?

Mme Sylvie Petit-Leclair, membre national. - La loi du 5 août 2013 a donné au membre national d'Eurojust la faculté de demander aux procureurs généraux d'ouvrir une enquête pénale. Jusqu'à présent, les demandes d'Eurojust ont été bien reçues par des procureurs généraux. Cette faculté de demander l'ouverture d'une enquête existe aussi dans les autres États membres, elle peut avoir un grand intérêt par exemple dans des affaires de mariages blancs impliquant plusieurs États membres.

Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust. - Il y a malheureusement des cas où, en dépit d'informations fiables et concordantes, on constate une inertie des États membres pour l'ouverture d'enquêtes pénales. En permettant à Eurojust de déclencher directement de telles enquêtes, l'article 85 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne renforce incontestablement l'efficacité de la procédure. On peut aussi observer que, dans certains cas, les États membres ne sont pas au courant des affaires en cause car les informations ont été fournies par d'autres sources, notamment par l'intermédiaire d'Europol.

III - STRUCTURE ET GOUVERNANCE D'EUROJUST

M. Ladislav Hamran, vice-président, membre national de la République slovaque. - On observe des problèmes similaires dans les États membres en dépit de leur différence de taille. La rapidité des changements dans la coopération judiciaire européenne a pu susciter des difficultés pour des praticiens pas toujours ouverts aux innovations. Du temps est nécessaire pour que ces changements soient bien intégrés dans les pratiques nationales.

La précédente décision relative à Eurojust devait faire l'objet d'une transposition dans les États membres. Ça ne sera pas le cas du nouveau règlement qui sera d'application directe. Ce texte tend en particulier à diminuer la charge administrative qui pèse sur les membres nationaux.

Actuellement, Eurojust comprend 28 membres nationaux et une administration composée de 280 personnes. Chaque bureau national est dirigé par un membre national. Le nouveau règlement exigera la nomination d'adjoints et d'assistants. Cette innovation aura un impact pour les petits États membres en raison de son coût financier. Elle est discutable dans le cas d'États qui traitent peu d'affaires. En outre, la proposition de règlement ne maintient pas la disposition qui prévoit que le membre national ne peut être révoqué avant la fin de son mandat.

Le collège d'Eurojust discute à la fois d'affaires concrètes avec une dimension opérationnelle et de lignes directrices à appliquer dans les différents domaines de la compétence de l'Unité de coopération. Il s'intéresse aussi à la promotion d'Eurojust dans les États membres et auprès des praticiens de la justice.

En tant que Conseil d'administration, le collège décide du règlement de procédure et des méthodes de travail. Il adopte différents documents, notamment un plan stratégique pluriannuel et un programme annuel de travail.

La proposition de nouveau règlement prévoit de distinguer les missions opérationnelles des missions administratives du collège. Le collège serait composé des membres nationaux pour ce qui concerne les aspects opérationnels. Il intègrerait des représentants de la Commission européenne avec un droit de vote pour les questions administratives. Un Conseil exécutif serait mis en place. Il serait composé du président, des vice-présidents, d'un membre du collège et d'un représentant de la Commission européenne. La création de cette instance changerait sensiblement le mode de fonctionnement d'Eurojust. Le Conseil exécutif serait en effet appelé à se prononcer sur des questions ayant un impact sur les activités opérationnelles dépendant du collège. C'est pourquoi nous considérons que la structure actuelle est mieux adaptée et que le rôle qui serait confié au Conseil exécutif est disproportionné.

Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust. - Afin d'être plus efficace, Eurojust a mis en place des méthodes de travail mieux adaptées en réduisant à dix le nombre de réunions administratives du collège. L'objectif est de tenir au maximum six réunions administratives par an. Il y a un risque à avoir deux niveaux de gestion : d'un côté, un Conseil exécutif avec un représentant de la Commission qui ne pourra pas être présent à plein temps, et de l'autre côté, le collège d'Eurojust. Il est difficile de dissocier le travail opérationnel des questions administratives. Il faut institutionnaliser la présidence d'Eurojust mais ne pas intégrer une représentation extérieure au sein du collège.

M. André Gattolin. - Comment la Commission européenne justifie-t-elle de s'octroyer deux sièges au sein du collège ?

Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust. - La Commission entend appliquer à Eurojust son approche commune pour les agences européennes. Il n'y aurait pas de Conseil d'administration extérieur à Eurojust mais, en contrepartie, deux représentants de la Commission siègeraient au sein du collège.

M. Pierre Bernard-Reymond. - Je constate que vous formulez des réserves identiques à celles d'Europol sur le lien entre les aspects opérationnels et les questions administratives.

Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust. - Il me semble indispensable de prévenir toute immixtion extérieure dans le travail des magistrats.

M. Ladislav Hamran, vice-président, membre national de la République slovaque. - En ce qui concerne les tâches, les compétences et les pouvoirs d'Eurojust, l'article 3 de la décision en vigueur et l'article 2 de la proposition de règlement sont assez similaires. Toutefois, celle-ci apporte une innovation importante en permettant à Eurojust de d'agir de sa propre initiative. Cette innovation sera très utile pour Eurojust qui se montre très proactive sur les dossiers, comme l'a montré l'affaire de la viande de cheval.

Il y doit y avoir un lien nécessaire entre les compétences d'Eurojust et celles d'Europol. L'annexe I de la proposition de règlement établit une liste des crimes pour lesquels Eurojust est compétente. Il est indispensable que cette liste soit alignée sur celle qui est prévue dans la proposition de règlement relatif à Europol.

L'article 3 § 1 de la proposition de règlement exclut du champ de compétences d'Eurojust les infractions pour lesquelles le Parquet européen est compétent. Cela peut poser une difficulté dans la mesure où le Parquet européen ne devrait pas concerner tous les États membres. Or, ceux d'entre eux qui se tiendront hors de la coopération renforcée devront pouvoir continuer à saisir Eurojust. Pour ce motif, les compétences actuelles de l'Unité de coopération devraient être préservées. En outre, on ne trouve pas dans la proposition de règlement de dispositions correspondant à l'article 4.2 de la décision en vigueur qui permet à Eurojust d'agir pour « d'autres types de crime ». Or, cette disposition est très utile pour les praticiens.

La différence entre l'action d'Eurojust en tant que collège et celle qu'elle mène à travers les membres nationaux serait maintenue (article 5 de la proposition de règlement). La proposition de règlement prévoit en outre qu'Eurojust devra fournir un soutien financier technique et opérationnel aux enquêtes et opérations transfrontières des États membres, y compris pour les équipes communes d'enquêtes.

L'article 8 de la proposition de règlement permet aux États membres de confier des responsabilités supplémentaires à leurs membres nationaux. Cette disposition pourrait soulever des difficultés dans la mesure où, selon les États membres, les compétences relèvent de différents niveaux : police, procureur ou magistrat du siège.

IV - RELATIONS AVEC LES PARTENAIRES

Mme Ingrid Maschl-Clausen, membre national d'Autriche. - Eurojust a des relations avec l'Office de lutte anti-fraude (OLAF) qui fait partie de la Commission européenne, en ce qui concerne la lutte pour la protection des intérêts financiers de l'Union. L'OLAF mène des enquêtes administratives. Il est impliqué à un stade précoce, ce qui peut être très utile pour obtenir des informations auprès des institutions européennes. Eurojust a traité seulement six affaires conjointement avec l'OLAF, ce qui constitue un chiffre très faible rapporté aux 718 affaires traitées par l'OLAF en 2012. Il est donc nécessaire d'augmenter le nombre de dossiers traités en commun. Eurojust souhaiterait être informée de toutes les affaires en cours devant l'OLAF afin d'évaluer l'intérêt de son implication éventuelle.

L'accord avec l'OLAF prévoit un échange mutuel de résumés sur les affaires et des sessions de formation réalisées par Eurojust au profit des services de l'OLAF sur la valeur ajoutée apportée par Eurojust. La coopération avec l'OLAF demeurerait nécessaire même si le Parquet européen était établi.

Avec Europol, la coopération s'est améliorée. Eurojust a participé, en 2013, à 31 réunions opérationnelles organisées par Europol. Réciproquement, Europol a participé à 78 réunions de coordination convoquées par Eurojust. La coopération pourrait être renforcée en améliorant les échanges d'informations, en veillant à la complémentarité entre les deux organismes, et en évitant une duplication des tâches.

Dans ce but, plusieurs instruments pourraient être utilisés : l'association d'Eurojust aux fichiers d'analyses d'Europol (Eurojust est actuellement associée à 20 des 23 fichiers d'analyses établis par Europol) ; un programme d'échanges entre les deux organismes ; une information réciproque sur les prochaines réunions de coordination.

L'article 85 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne met en évidence le rôle d'Eurojust dans la coordination et la coopération européenne sur la base des opérations conduites et des informations fournies par les autorités des États membres et par Europol.

Les propositions de règlement relatives à Europol et à Eurojust soulignent le rôle de l'information dans la mise en oeuvre des missions respectives de ces deux organismes. Cependant, la proposition de règlement relative à Europol lui confie des tâches opérationnelles qui ne sont pas suffisamment délimitées, ce qui suscite un risque de concurrence avec les activités d'Eurojust.

Enfin, Eurojust a signé en 2012 un « memorandum of understanding » avec Frontex qui permet l'échange d'informations sur la traite des êtres humains, à l'exclusion de données personnelles, ainsi que des actions de formation.

V - PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES

Mme Vaida Linartaite-Gridziuskiene, assistante à la protection des données. - La protection des données constitue un enjeu important pour Eurojust. Elle peut fortement influencer sa réussite et la confiance que les organismes tiers placent en elle.

La décision en vigueur contient des dispositions détaillées sur la protection des données. Eurojust se conforme à tous les principes généraux de l'Union européenne dans ce domaine. En outre, la décision prévoit des dispositions spécifiques à Eurojust très détaillées qui offrent une sécurité juridique importante sur les questions de données personnelles. Les règles applicables à Eurojust contiennent des sauvegardes supplémentaires pour les victimes et pour les témoins, avec des conditions et des durées de conservation maximales pour le traitement de telles données. Elles prévoient des règles relatives au droit d'accès à l'information, à un système de conservation des données avec une évaluation périodique de son utilité, ainsi que des obligations de conserver des données mises à jour, pertinentes et proportionnées. Toutes ces règles font l'objet de mesures techniques pour leur mise en oeuvre, ce qui constitue un bon exemple du « privacy by design ».

La proposition de règlement conserve un régime spécifique de protection des données d'Eurojust. Toutefois, il serait souhaitable que les données opérationnelles d'Eurojust soient mieux prises en compte. En outre, Eurojust devrait pouvoir conserver un mécanisme propre de supervision.

Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust. - Nous avons le souci d'assurer une protection efficace des données personnelles tout en évitant une supervision par des personnes qui n'auraient pas l'habitude de traiter des données comparables à celles gérées par Eurojust.

M. André Gattolin. - Quelle coopération est mise en oeuvre avec des États tiers comme les États-Unis ou la Norvège ? Sous quelle forme ?

Mme Vaida Linartaite-Gridziuskiene, assistante à la protection des données. - Nous échangeons des informations avec les États tiers. Cela passe par des accords de coopération notamment avec les États-Unis qui comportent des dispositions en matière de confidentialité. Ce sont les membres nationaux qui décident quelles informations peuvent être transmises et dans quelles limites.

M. André Gattolin. - Est-il arrivé que des restrictions aient été prévues pour la transmission d'informations aux États-Unis ?

Mme Michèle Coninsx, présidente d'Eurojust. - Cela s'est déjà produit.

Mme Sylvie Petit-Leclair, membre national. - Le droit d'accès aux documents administratifs est logique. Toutefois, il faut être attentif aux pièces de procédure qui ne peuvent être assimilées à des documents de service.