Mardi 1er juillet 2014

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Questions diverses

M. Simon Sutour, président. - Le Gouvernement nous saisit en urgence d'un texte qui nous a été transmis la semaine dernière et qui doit être adopté dès demain en Conseil.

Il s'agit d'une proposition de règlement modifiant les possibilités de pêche de certains stocks de poissons par les navires de l'Union européenne pour l'année 2014. Ce texte concerne principalement le quota de pêche applicable au capelan du Groenland, qui s'établit à environ 8% de la quantité maximale de capture autorisée pour l'espèce dans cette zone de pêche. Le Danemark est le principal État intéressé dans cette pêcherie.

La saison de pêche du capelan est très brève et se concentre en juin et juillet, ce qui explique cette procédure d'examen en urgence. Le Gouvernement nous indique qu'il n'a pas de difficulté avec ce texte. Dans ces conditions, je crois que nous pouvons lever la réserve du Sénat.

Il en est ainsi décidé.

Élargissement - Déplacement au Monténégro : rapport d'information de M. Simon Sutour

M. Simon Sutour, président. - Indépendant depuis 2006, le Monténégro s'est vu reconnaître le statut de candidat à l'adhésion à l'Union européenne en décembre 2010. Les négociations se sont ouvertes un an et demi plus tard et mettent en avant conformément à la nouvelle approche promue par l'Union européenne les questions relatives à l'État de droit et au fonctionnement de la justice. Si le Monténégro a été relativement épargné par les guerres de sécession qui ont déchiré l'ancienne Yougoslavie au cours des années quatre-vingt-dix, il reste aux plans juridique et économique un pays en transition vers les standards européens. S'il donne l'image d'un pays résolument tourné vers un avenir euro-atlantique, celui-ci suscite encore des réserves au sein de l'opinion publique qui semble crispée sur la question de son identité, huit ans après la séparation d'avec la Serbie.

La question de l'adhésion à l'Union européenne mais aussi à l'OTAN n'est par ailleurs pas anodine au sein d'un pays dont le premier partenaire économique reste la Russie. La crise ukrainienne a de surcroît des conséquences directes sur la scène politique monténégrine alors que le gouvernement a opté pour un discours de fermeté à l'égard de Moscou.

C'est à l'aune de ces événements, que je me suis rendu au Monténégro du 27 au 30 mai dernier, à l'invitation de mon homologue du Parlement monténégrin. La présidence de la commission de l'intégration européenne a été attribuée à un parlementaire issu de l'opposition, afin de souligner combien la perspective de l'adhésion était soutenue par toutes les formations politiques du pays. L'opposition est par ailleurs en large partie pro-serbe.

Les autorités monténégrines ont fait de l'adhésion à l'OTAN la priorité de leur politique étrangère, considérant cette intégration comme la première étape en vue de rejoindre l'Union européenne. Elle est, selon elles, avant tout censée permettre de stabiliser la région. Le gouvernement monténégrin met régulièrement en avant le rôle de facilitateur que joue le pays dans un environnement régional complexe mais au sein duquel il n'a aucun contentieux avec ses voisins. L'intégration au sein des structures atlantiques doit dans ces conditions conforter cette position. La volonté d'adhérer à l'OTAN n'est pas non plus dénuée d'objectifs économiques. Ses promoteurs estiment que l'intégration renforcerait la crédibilité du pays et attirerait ainsi de nouveaux investisseurs.

L'engagement militaire du Monténégro est par ailleurs indéniable tant au titre des opérations menées par l'OTAN que celles supportées par l'Union européenne. Le parlement monténégrin a ainsi voté un texte autorisant l'envoi de soldats au Mali et en République centrafricaine. Le Président du Sénat a reçu le 24 juin son homologue du Parlement monténégrin, M. Krivokapic, en visite en France et dans d'autres pays pour défendre cette candidature.

La démarche atlantique reçoit un accueil mitigé auprès de la population. Ainsi, une enquête d'opinion réalisée en mars 2014 soulignait que 46 % de la population était favorable à une intégration au sein des structures atlantiques, contre 31 % un an plus tôt. 30 % de la population affiche dans cette même enquête une opposition irréductible. Ce qui reflète à peu près le clivage politique au sein du pays. La question de l'adhésion a d'ailleurs été l'un des thèmes de campagne du scrutin municipal du 25 mai 2014. Certains partis pro-serbes, des associations issues de la société civile, l'église orthodoxe serbe et quelques médias affichent ouvertement leur hostilité à cette intégration. Le souvenir du bombardement meurtrier des Alliés au nord du pays lors des opérations au Kosovo en 1999 est régulièrement avancé, le risque de tensions avec la Russie également. Une adhésion à l'OTAN pourrait être considérée comme une nouvelle provocation par Moscou. Cette perspective pourrait inciter les Alliés à reporter cette intégration tant que la crise russo-ukrainienne n'est pas réglée, au risque de décrédibiliser les autorités monténégrines sur la scène intérieure. Les États membres attendent par ailleurs des progrès tangibles dans quatre domaines : services de renseignements, État de droit, réforme de la justice et réforme de la défense. Le gouvernement monténégrin espère néanmoins qu'une invitation à adhérer à l'OTAN pourra lui être adressée à l'occasion du sommet de l'Alliance atlantique organisé à Cardiff les 4 et 5 septembre prochains.

Venons-en maintenant à la deuxième étape du projet euro-atlantique du Monténégro, l'adhésion à l'Union européenne.

Le Monténégro a signé un accord de stabilisation et d'association (ASA) avec l'Union européenne dès le 15 octobre 2007, soit à peine plus d'un an après son accession à l'indépendance. Cette signature rapide n'est pas étonnante compte tenu du fait qu'alors qu'il était uni avec la Serbie, le Monténégro s'inscrivait dans la dynamique lancée par l'Union à destination de la région suite au Conseil européen de Feira des 19 et 20 juin 2000. Les pays des Balkans occidentaux y ont notamment obtenu le statut officieux de « candidats potentiels ».

Après l'entrée en vigueur de l'ASA le 1er mai 2010, le Monténégro s'est vu reconnaître le statut de candidat le 17 décembre 2010. L'ouverture des négociations d'adhésion a été autorisée par le Conseil le 26 juin 2012, six mois après un rapport positif de la Commission.

Les négociations portent pour l'heure principalement sur les chapitres 23 (pouvoir judiciaire et droits fondamentaux) et 24 (Justice et droits fondamentaux), ouverts le 18 décembre 2013. La priorité accordée aux questions ayant trait à l'État de droit est conforme à la nouvelle approche des négociations d'adhésion validée en décembre 2011 par le Conseil.

Le rapport de progrès 2013 présenté par la Commission en octobre dernier insiste sur la réforme de l'administration afin de pouvoir mettre en oeuvre les chapitres 23 et 24. Celle-ci doit déboucher sur une dépolitisation effective et une professionnalisation de la fonction publique. La Commission juge ainsi préoccupante l'existence de lettres de démission non datées. Plus largement, le Monténégro est fragilisé par la faiblesse de ses capacités administratives. La fonction publique d'État comprend dans un pays composé de 620 000 habitants, 10 000 agents dont 5 000 sont employés dans la police et dans l'armée. Ce chiffre reste trop faible au regard de l'ampleur du chantier de l'adaptation de la législation monténégrine à l'acquis communautaire. Le gouvernement a ainsi mis en place une stratégie d'adaptation de la législation à l'acquis communautaire prévue pour la période 2014-2019. Le programme d'accession envisage sur cette période l'adoption de 228 lois et de 845 décrets.

Le vote par le Parlement monténégrin des amendements constitutionnels sur l'indépendance de la justice, le 31 juillet 2013, constitue néanmoins un gage de bonne volonté. Une telle révision était bloquée depuis deux ans en raison de l'opposition des formations pro-serbes. Ces textes répondent aux observations en la matière de la commission pour la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe, dite commission de Venise.

Il s'agit désormais d'appliquer concrètement les orientations des plans d'action, ce qui peut apparaître pour l'instant délicat faute de ressources administratives adéquates ou d'accord politique. La réforme judiciaire n'est ainsi pas encore totalement mise en oeuvre en l'absence de vote au parlement sur la nomination du procureur général d'État. Une majorité qualifiée est nécessaire pour sa désignation (deux tiers aux deux premiers tours puis trois cinquièmes au troisième tour). Si l'essentiel du cadre législatif semble adapté aux exigences européennes, l'absence de résultat concret tend à inquiéter, notamment en matière de lutte contre la criminalité organisée et la corruption de haut niveau. L'annulation d'un jugement concernant une affaire immobilière impliquant la mairie de Budva et le demi-frère du vice-président du premier parti du Monténégro, le DPS, et d'un autre arrêt visant une affaire de blanchiment d'argent lié à un trafic de drogue ont pu apparaître comme de mauvais signaux. Deux angles permettent d'appréhender de telles décisions. Le premier tient à la corruption possible d'une partie de l'appareil judiciaire. Le deuxième est structurel et tient à la qualité de la formation des juges. La mise en place récente d'une académie ne règle pas, en effet, tous les problèmes.

La clôture des chapitres 23 et 24 est soumise à la validation de 83 critères intermédiaires, soit autant que ceux auxquels a dû satisfaire la Croatie pour l'ensemble des chapitres des négociations. Ce souci du détail ne constitue pas un traitement particulier destiné au seul Monténégro. Les négociations qui viennent de s'ouvrir avec la Serbie répondent aux mêmes exigences. Il s'agit surtout pour l'Union européenne, instruit des cas bulgare et roumain, d'éviter l'adhésion d'un État encore en décalage avec les pratiques de ses partenaires et la mise en place ensuite d'un mécanisme de coopération et de vérification, d'autant plus vexant pour le nouvel adhérent et in fine moins efficace.

Au-delà de la question judiciaire, la Commission s'interroge sur la situation macro-économique à court terme, qu'il s'agisse du déficit public, des aides publiques, des créances douteuses ou de la situation de la principale usine du pays, KAP, qui produit de l'aluminium. Le rapport de progrès insiste sur la nécessité pour le pays de ne pas uniquement s'appuyer sur le tourisme et l'immobilier, qui ont tiré la croissance en 2013, pour alimenter son développement. La reprise de l'acquis communautaire dans le domaine économique demeure, par ailleurs, assez lente.

Plus largement, il est possible de s'interroger sur les liens économiques entre l'Union européenne et le Monténégro. La relance des investissements dans le pays est en effet le fruit d'un rapprochement avec une entreprise chinoise en ce qui concerne le projet d'autoroute ou avec des sociétés égyptienne, azérie ou canadienne en matière de tourisme. Comme je vous l'ai indiqué, la Russie constitue par ailleurs le principal partenaire commercial du pays. En dépit de l'ouverture des négociations, la tendance ne semble pas favorable : les échanges commerciaux avec l'Union européenne ne représentaient que 36,8 % en 2012 contre 41,3 % en 2011 et se concentrent sur la Grèce, la Hongrie et l'Italie.

L'adhésion rencontre cependant un large consensus au sein de la population monténégrine selon les enquêtes d'opinion. Reste que compte tenu des conséquences de la crise économique, les Monténégrins attendent des résultats à court terme, ce qui peut paraître en décalage avec la longueur attendue des négociations d'adhésion. L'ambition affichée par les autorités monténégrines consiste en une adhésion dès 2020, ce qui supposerait une fin des négociations courant 2018. Le Monténégro souhaite pouvoir bénéficier dès 2021 du cadre financier pluriannuel 2021-2027. Au regard des réformes à mener et des défis auxquels est confronté le Monténégro, ce souhait peut apparaître un peu présomptueux.

Aux faiblesses structurelles que je viens de décrire s'ajoute également le poids de l'histoire. Le pays semble toujours en transition, ayant subi deux dissolutions en 16 ans, celle de la Yougoslavie puis celle de l'Union de Serbie et Monténégro. Cet état de fait contraste avec un discours résolument ambitieux et optimiste au terme duquel le Monténégro serait en avance sur la plupart des pays candidats des Balkans occidentaux. Cet avantage est indéniable en ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine et la Macédoine. Il l'est beaucoup moins à l'égard de la Serbie, pour lequel les négociations viennent à peine de s'ouvrir mais qui semble progresser rapidement.

Nous avons toujours au sein de notre commission effectué un suivi attentif à l'égard des pays issus de l'ex-Yougoslavie. Ce fut le cas en son temps avec la Slovénie et la Croatie et plus récemment avec la Serbie où une délégation s'est rendue en novembre 2013. Il s'agit là d'anticiper une probable adhésion en nouant des relations avec ceux avec qui nous allons être appelés à travailler dans les prochaines années et les aider à s'adapter aux exigences européennes. Pour le Monténégro, il s'agit d'un défi de taille, compte tenu de la taille du pays. Le Président Krivokapic rappelait la semaine dernière qu'il existait bien une tradition étatique au Monténégro, liée à son passé d'État indépendant résistant à l'Empire Ottoman au dix-neuvième siècle, mais pas de véritable tradition démocratique. C'est sur cette voie-là qu'il convient notamment de les aider.

M. André Gattolin. - L'élargissement met constamment en lumière le décalage entre la lourdeur des procédures d'adhésion, leur technicité et leur longueur et l'absence de réelle formation des cadres des pays qui sont censés adapter l'acquis communautaire. L'Union européenne devrait participer à la formation des élites locales ! Vous concluez sur l'absence de tradition démocratique au Monténégro. Je remarque que ce constat s'applique à la plupart des pays d'Europe de l'Est. Le même modèle semble se reproduire : à l'effondrement des régimes communistes et à une certaine tradition administrative succède une pratique du pouvoir de type oligarchique pour ne pas dire mafieuse, conduite par d'anciens cadres des partis uniques, enrichis par les vagues de privatisation et porte-voix de l'ultra-libéralisme. Ce fut notamment le cas en République tchèque.

Le problème de la taille du pays n'est également pas anodin. Dans un autre ordre d'idée, le Groenland est appelé à négocier avec l'Union européenne et d'autres partenaires économiques pour la gestion d'importants contrats miniers. Sur 57 000 habitants, seuls 500 ont accompli des études supérieures. Ce qui n'est pas sans poser problème dès lors qu'il s'agit de faire émerger une élite apte à étudier ces contrats.

Je dirai également un mot sur l'adaptation de l'acquis communautaire. Oui l'Union européenne favorise la consolidation de l'État de droit chez les pays candidats. Vous avez parlé des amendements constitutionnels récemment adoptés en ce sens au Monténégro. Cela va effectivement dans le bon sens. Mais la question de la mise en pratique de celle-ci demeure. Et celle-ci ne pourra être assurée que par une élite formée. Or cet apprentissage prend du temps, une à deux générations.

Je m'interroge enfin sur le poids d'un si petit État appelé après son adhésion à exercer des responsabilités au sein du Conseil.

Mme Colette Mélot. - Comme vous l'avez dit dans le rapport, l'adhésion est in fine logique dès lors que le Monténégro satisfait à tous les critères. Je suis tout de même étonnée par l'utilisation depuis 2002 de l'euro comme monnaie ! Le parallèle avec les micro-États comme Andorre ne me semble pas opportun tant leurs situations diffèrent de celle du Monténégro. 

M. Jean-René Lecerf. - Je suis assez gêné devant ces micro-États appelés à intégrer l'Union européenne. Micro-États en raison de leur population : 620 000 habitants c'est la moitié de la population de la communauté urbaine de Lille, par leur superficie, ou par leur budget. Le PIB monténégrin équivaut au tiers de l'amende qui vient d'être infligée au groupe BNP Paribas ! L'adhésion risque in fine de déséquilibrer un système déjà fragile.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Regardons près de nous le Luxembourg pour voir que la taille d'un pays importe peu ! Je vois plutôt d'un bon oeil l'adhésion de ces États à l'Union européenne. N'oublions pas que les négociations d'adhésion permettent de tirer vers le haut ces pays, en les poussant à se mettre en conformité avec les procédures et les usages au sein de l'Union européenne. J'espère que cela sera notamment le cas pour prévenir les phénomènes de corruption constatés dans ce pays. J'ai rencontré récemment des parlementaires monténégrins dans le cadre d'un séminaire de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Tous me disaient combien la perspective d'adhésion à l'Union européenne permettait de faire passer des réformes qui n'auraient pu aboutir dans un autre contexte.

Un mot sur l'OTAN tant il m'apparaît indispensable de ne pas faire vivre au Monténégro ce qu'a connu récemment la Géorgie. Ce petit pays, qui est un des premiers contributeurs à l'effort de guerre en Afghanistan, s'est vu refuser l'adhésion alors qu'elle lui est promise depuis le sommet de Bucarest en 2008. Il s'agit d'un signal négatif adressé à Tbilissi mais aussi aux autres candidats.

M. Simon Sutour, président. - Je partage les inquiétudes d'André Gattolin sur la formation des élites dans ces petits États. Mon département, le Gard, compte 100 000 habitants de plus que le Monténégro ! Je n'imagine pas que puissent lui être attribuées des fonctions régaliennes et qu'il soit appelé à intégrer l'Union européenne ! Reste néanmoins une vocation pour tous les pays issus de l'ex-Yougoslavie à intégrer l'Union européenne, qui ont tant de valeurs en partage et une langue commune qui les relie, même si je peux comprendre les réserves de Jean-René Lecerf. On peut effectivement être surpris par l'utilisation de l'euro. L'explication qui m'a été donnée est que l'euro a succédé au Deutsche Mark qui était très utilisé en raison de la forte fréquentation de touristes allemands. Nous devons, je le répète, nouer des contacts réguliers avec les autorités de ces pays qui siègent déjà en tant que pays candidats dans certaines réunions européennes, à l'image de la COSAC, et qui seront nos futurs partenaires.

À l'issue de ce débat, la commission a autorisé, à l'unanimité, la publication du rapport.

Politique de coopération - Union pour la Méditerranée : communication de M. Simon Sutour

M. Simon Sutour, président. - Je vous ai présenté l'an dernier le fonctionnement et les activités de l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée au sein de laquelle je représente le Sénat depuis bientôt trois ans. La France dispose de trois sièges au sein de cette Assemblée, dont deux sont occupés par des députés. A l'occasion de la présentation de mon rapport sur la Jordanie, je vous avais fait état des travaux de la commission environnement dont je suis membre et qui accompagne les projets de canal Mer rouge - Mer morte et Desertec. La réunion à Barcelone de cette commission les 12 et 13 juin derniers a été l'occasion de m'entretenir avec M. Fathallah Sijilmassi, le secrétaire général de l'UpM, dont les locaux sont situés dans la capitale catalane.

Il s'agissait, notamment, de lui présenter les travaux de notre commission sur les questions euro-méditerranéennes, qu'il s'agisse du rapport que nous avons publié avec Bernadette Bourzai, Catherine Morin-Desailly et Jean-François Humbert sur l'avenir de la politique méditerranéenne de l'Union européenne après le printemps arabe, au travers des cas du Maroc et de la Tunisie, ou celui présenté il y a quelques semaines sur le statut avancé de la Jordanie auprès de l'Union européenne.

Ces deux documents insistaient sur la nécessité de renforcer le lien entre l'Union européenne et les pays de la rive Sud de la Méditerranée. Nous avions souligné la nécessité de valoriser une logique de projets, destinés à consolider les valeurs démocratiques qui ont pu émerger dans la foulée du printemps arabe - ou un peu avant en ce qui concerne le Maroc - mais aussi à créer les conditions d'un développement économique durable.

Cette ambition économique et sociale est au coeur des missions de l'Union pour la Méditerranée, qui réunit les 28 États membres de l'Union européenne et 15 pays du bassin méditerranéen. Créée sous la présidence française de l'Union européenne le 13 juillet 2008, elle était initialement destinée à relancer les relations entre les États membres de l'Union européenne et leurs partenaires méditerranéens. Elle s'inscrit dans la lignée du processus de Barcelone. L'ambition affichée à l'époque consistait en la mise en place de nouveaux projets régionaux et sous-régionaux, présentant un véritable intérêt pour la population du bassin méditerranéen. Ces projets portent sur des domaines tels que l'économie, l'environnement, l'énergie, la santé, la migration et la culture.

Six priorités avaient alors été définies :

- dépolluer la Méditerranée ;

- mettre en place des autoroutes maritimes et terrestres qui relient les ports et améliorent les liaisons ferroviaires en vue de faciliter la circulation des personnes et des biens ;

- assurer la sécurité civile des populations ;

- développer un plan solaire méditerranéen qui explore les possibilités de développer des sources d'énergie alternatives dans la région. C'est ainsi que l'UpM a apporté son soutien au projet Desertec, qui prévoit l'exploitation du potentiel énergétique des déserts. Je vous avais présenté les contours de ce dispositif à mon retour de Jordanie ;

- créer une université euro-méditerranéenne (EMUNI) dont le siège est situé en Slovénie. L'ouverture, en septembre 2015, de l'Université euro-méditerranéenne de Fès (UEMF) viendra compléter ce dispositif. Elle se concentrera sur les questions euro-méditerranéennes et accueillera 6 000 étudiants ;

- favoriser le développement des petites et moyennes entreprises en évaluant dans un premier temps leurs besoins, puis en leur offrant une assistance technique et un accès au financement.

Cette logique de projet devrait commencer à porter ses fruits en 2015 avec la livraison de l'autoroute transmaghrébine, dont le coût est estimé à 670 millions d'euros. Elle traversera la Mauritanie, le Maroc, l'Algérie, la Tunisie et la Libye. Elle est composée d'un axe atlantique de Nouakchott à Rabat et d'un axe méditerranéen de Rabat à Tripoli passant par Alger et Tunis. 55 villes sont concernées par le tracé, soit 50 millions de personnes. Combiné à l'axe autoroutier Rabat-Tanger, la Transmaghrébine devrait faciliter les échanges avec le continent européen. Deux tronçons restent à livrer, il s'agit des plus délicats puisqu'ils doivent permettre de relier le Maroc et l'Algérie, alors que la frontière entre ces deux pays est toujours fermée, ainsi que l'Algérie et la Tunisie. Le drame de cette région tient d'ailleurs à l'absence d'unité du Maghreb. Un renforcement de la coopération entre ces pays pourrait contribuer à la croissance de leurs produits intérieurs bruts respectifs d'un à deux points.

La construction d'un réseau ferroviaire jordanien aboutira de son côté en 2017. Il permettra de connecter le Royaume hachémite au réseau turc et donc à l'Europe. L'usine de dessalement de Gaza devrait, quant à elle, être opérationnelle en 2017. 55 millions de mètres cube d'eau seront ainsi traités afin de pallier à la pénurie qui affecte la région. Le coût du chantier est estimé à 310 millions d'euros.

La lutte contre la pollution passe par un soutien au programme de protection du Lac de Bizerte, au Nord de la Tunisie.

La dimension sociale n'est pas non plus absente des activités de l'UpM, à l'image de nombreux programmes en faveur de la défense des droits des femmes. Le dernier projet labellisé par l'UpM, le 3 juin dernier, concerne un projet de développement urbain au Caire, en Égypte, sur le site de l'ancien aéroport d'Imbaba. Il s'agit de fournir à 700 000 habitants les services et infrastructures de base nécessaires : installations médicales, écoles, parcs de loisirs, équipements sportifs, etc. Le projet fait partie des 12 projets sélectionnés par l'Initiative pour le financement de projets urbains (UPFI). Celle-ci est gérée par l'Agence française de développement et la Banque européenne d'investissement en liaison avec le Commission européenne et dans le cadre du Secrétariat de l'UpM. La banque allemande KFW, la Caisse des dépôts et consignations et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement sont aussi associées.

Je tiens en effet à préciser que l'action de l'UpM n'est pas celle d'un bailleur de fonds. Elle ne dispose pas à cet égard des crédits ou des effectifs suffisants pour répondre à une telle ambition. Soixante personnes travaillent à son service à Barcelone, qu'il s'agisse de diplomates, d'ingénieurs, de chefs de projets ou de correspondants des bailleurs de fonds internationaux. L'UpM labellise les projets répondant à ses priorités pour qu'ils puissent bénéficier de financements adéquats. Elle participe à cet effet à l'élaboration de l'étude de faisabilité de chacun de ces chantiers. Elle les présente devant la Commission européenne, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque européenne d'investissement ou toute autre organisation internationale qui pourront, quant à elles, accorder les crédits adaptés.

Au regard de l'état d'avancement des chantiers que je viens de décrire, le bilan de l'UpM six ans après son lancement peut apparaître positif. Il est néanmoins possible de s'interroger, avec son secrétaire général, sur le risque de limiter son action à un soutien technique pour ne pas dire technocratique à la mise en oeuvre de projets. L'Union pour la Méditerranée, dont la visibilité peut apparaître de surcroît insuffisante, manquerait alors d'âme. Le parti pris initial de vouloir l'ancrer dans le concret a pu en effet laisser l'impression d'une organisation en décalage avec les réalités socio-politiques de la rive Sud de la Méditerranée. Ce fut particulièrement criant au moment du printemps arabe.

Pour répondre d'avance à ces critiques, je tiens à rappeler que l'UpM reste le résultat d'un compromis. La logique de projets visait à associer la plupart des acteurs de la région, à déconnecter la relation entre l'Union européenne et Israël du processus de paix, et offrir dans le même temps un espace de compensation à la Turquie, dont les négociations d'adhésion à l'Union européenne étaient alors au point mort. Par ailleurs, même si son ambition politique était dès l'origine modeste, l'UpM a été très rapidement victime du contexte international. Six mois après son lancement, l'opération israélienne « Plomb durci » dans la bande de Gaza est venue fragiliser cette organisation, incapable d'incarner l'espace de dialogue qu'elle était censée être. Je constate ainsi que les parlementaires israéliens ne se sont pas rendus en Jordanie pour la session plénière de l'AP-UpM en février dernier pour des raisons de sécurité. Cette assemblée constitue pourtant un espace de dialogue essentiel.

En dépit de ces difficultés, il est néanmoins souhaitable que l'UpM prenne toute sa place dans l'appui aux transitions démocratiques sur la rive Sud de la Méditerranée et que les projets qu'elle promeut puissent servir un tel objectif. Je pense en particulier à la Libye qui concentre actuellement toutes les difficultés de la région : guerre civile, trafic d'armes, immigration clandestine, radicalisme islamiste et défaillance de l'État. Ce pays dispose de frontières poreuses avec l'Algérie, l'Égypte et la Tunisie, pays qui sont déjà fragilisés au plan interne. 1,8 million de Libyens vivent en Tunisie, ce qui représente près de 20 % de la population tunisienne. 1 million de réfugiés sont attendus dans les prochaines semaines. Ses frontières maritimes le mettent également en contact directement avec l'Union européenne, via l'Italie ou Malte.

Plus largement, il est indispensable que l'UpM puisse prendre toute sa place pour accompagner des projets de coopération dépassant la rive Sud de la Méditerranée stricto sensu en faveur du développement de l'Afrique subsaharienne, dont les difficultés constituent aujourd'hui une des causes de l'immigration clandestine vers l'Union européenne tout en posant des problèmes de sécurité à l'égard des intérêts européens dans la région. Le 20 mai dernier, c'est une centaine d'enfants en provenance de cette région qui ont été récupérés par les autorités italiennes sur deux embarcations de fortune. Leurs parents avaient préféré les envoyer en mer, au risque qu'ils y disparaissent, plutôt que de les garder dans une région où ils n'ont aucun avenir. C'est cette ambition partagée par une large partie de ces populations qui font de la Méditerranée aujourd'hui un gigantesque cimetière humain.

A l'occasion de notre entretien, le secrétaire général de l'UpM s'est montré favorable à un renforcement de la coopération avec les parlementaires nationaux, dans le cadre de l'Assemblée parlementaire de l'UpM mais aussi en bilatéral, via des rencontres avec les élus des États membres de l'Union européenne. Il sera sans doute utile de l'auditionner à terme pour qu'il précise un peu plus devant notre commission les prochains projets sur lesquels son organisation travaille et les écueils auxquels il est confronté.

En attendant, il me semble indispensable de continuer à appuyer l'action de l'UpM qui répond à un objectif auxquels nous souscrivons tous : celui de la prospérité et de la sécurité sur la rive Sud de la Méditerranée. L'Europe a tout à gagner à la réussite d'une telle ambition.

Lorsqu'elle a présidé l'Union européenne au deuxième semestre 2013, la Lituanie a fortement insisté sur le Partenariat oriental avec les pays de l'Est du continent européen. J'ai rappelé lors des COSAC qui ont été organisées durant cette période qu'il ne fallait pas pour autant négliger la politique méditerranéenne de l'Union européenne, qui représente tout de même les deux tiers des crédits de la politique de voisinage. Il s'agit bien évidemment de contribuer au développement de cette région mais aussi de défendre les intérêts européens en Méditerranée. N'en doutons pas, l'avenir de l'Union européenne est aussi au Sud.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je souhaite également souligner tout l'intérêt d'une organisation comme l'Union pour la Méditerranée. Les institutions européennes me semblent encore trop tournées vers l'Est du continent et pas assez vers le Sud. Il ne s'agit pas d'un désintérêt mais d'une priorité moindre accordée au développement de cette région, même si les choses me semblent en train de changer.

Comme l'a souligné le Président, l'UpM constitue le cadre idoine pour permettre à un certain nombre de projets d'obtenir des financements. Ceux portés dans le cadre de la future exposition universelle de Milan organisée en 2015 et dédiée à l'alimentation de la planète pourraient peut-être bénéficier de cette labellisation. L'assemblée internationale des représentants des expatriés que souhaite mettre en place un certain nombre de pays à l'image de l'Algérie pourrait également s'inscrire dans ce cadre. À l'occasion d'un entretien que j'ai eu avec lui à Paris, le président de la commission des affaires internationales du Conseil de la Fédération de la Russie, Mikhaïl Margelov, a insisté sur la nécessaire coopération franco-russe en Méditerranée autour de projets concrets. Là encore, l'UpM pourrait nous aider à disposer des financements nécessaires.

M. Jean Bizet. - Je voulais également rappeler la pertinence du concept même de l'Union pour la Méditerranée, qui n'a peut-être pas assez été bien compris par l'Allemagne. La solution aux problèmes rencontrés aux frontières de l'espace Schengen passe pourtant clairement par l'Union pour la Méditerranée ! Celle-ci constitue également le cadre adapté pour la mise en place dans cette région de projets environnementaux ou énergétiques de première ampleur. La prospérité de l'Europe et le développement de la rive Sud ne pourront avoir lieu sans montée en puissance de l'UpM, qui ne saurait être résumée à une idée franco-française. Il faut aller de l'avant et permettre l'organisation, grâce à l'UpM, de tours de tables permettant de financer des projets.

M. Simon Sutour, président. - D'autant plus que la plupart des établissements financiers internationaux sont représentés au sein du Secrétariat général de l'UpM.

La réunion est levée à seize heures vingt.

Mercredi 2 juillet 2014

- Présidence de M. Simon Sutour, président -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Environnement - Sacs en plastique : proposition de résolution européenne de Mme Françoise Boog

M. Simon Sutour, président. - L'ordre du jour appelle une communication de notre collègue Françoise Boog sur la proposition de directive destinée à réduire la consommation de sacs en plastique. L'objectif de ce texte est aussi de limiter la prolifération des sacs en plastique à poignée dans la nature.

Cette communication est accompagnée d'une proposition de résolution qui vous a été adressée. Nous l'examinerons à la suite de l'intervention de Françoise Boog.

L'enjeu est considérable. Les chiffres que notre collègue donnera dans un instant le démontrent amplement. La dispersion des sacs en plastique dans l'environnement constitue un défi majeur. Ce sont en particulier les écosystèmes marins qui sont directement menacés. Contrairement à d'autres États membres, la France est plutôt bien placée dans la maîtrise de la consommation de sacs en plastique. Il faut y voir notamment les effets d'un accord signé en 2005 entre la grande distribution et la filière plastique sous l'égide du ministère de l'environnement. Les sacs de caisse à usage unique en matière plastique sont intégrés dans l'assiette de la taxe générale sur les activités polluantes depuis le 1er janvier 2014. Un amendement gouvernemental interdisant les sacs en plastique à usage unique à partir du 1er janvier 2016 a par ailleurs été adopté, le 25 juin, en commission dans le cadre de l'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi sur la biodiversité.

Au niveau européen, la directive « emballages et déchets d'emballages » de 1994 a eu pour objet de prévenir et de réduire les incidences des emballages et des déchets d'emballages sur l'environnement, Mais elle ne prévoit pas, dans sa rédaction actuelle, de mesures spécifiques pour les sacs plastiques.

Il nous faut donc évaluer si la nouvelle proposition de la Commission pourra avoir un impact réel qui soit bénéfique à l'environnement.

Je donne la parole à notre collègue.

Mme Françoise Boog. - Je commencerai mon propos par un chiffre éloquent : 8 milliards de sacs en plastique légers ont été jetés dans la nature en 2010 au sein de l'Union européenne. Ce qui représente 16 sacs par habitant. Chaque citoyen européen utilise en moyenne 198 sacs en plastique, dont 90% sont des sacs légers moins réutilisables et plus enclins à devenir des déchets. 1 000 milliards de sacs plastiques sont produits chaque année dans le monde, dont 90 % sont des sacs plastiques légers, d'une épaisseur inférieure à 50 microns.

C'est dans ce contexte que la Commission européenne a souhaité amender la directive du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d'emballages. La Commission européenne a, à cet effet, présenté, le 9 novembre dernier une proposition de directive destinée à réduire la consommation de sacs et à limiter la prolifération des sacs plastiques à poignées dans la nature.

Abordons tout d'abord le champ d'application du dispositif.

Les sacs concernés par la proposition de la Commission sont tous les sacs en plastique d'une épaisseur inférieure à 50 microns remis sur le lieu de vente, quels que soient leur nature - biosourcés (produits à base de végétaux) et pétrochimiques (produits à base d'hydrocarbures) - et leur usage - sacs de caisse et sacs de type « fruits et légumes ». Les sacs biodégradables sont également visés. Si l'épaisseur dépasse 50 microns, ces sacs sont considérés comme réutilisables.

Il convient d'insister sur les sacs emballant les fruits et légumes ainsi que les aliments secs, en vrac ou non conditionnés. Près de 12 milliards d'unités sont utilisées chaque année en France. Ces sacs très fins sont les moins réutilisables et, en conséquence, le plus souvent abandonnés.

Il pourrait apparaître paradoxal d'intégrer dans le dispositif les sacs dits biodégradables. Il convient d'être extrêmement précis avec cette notion, souvent présentée comme une solution quasi magique. Les sacs en plastique ne se biodégradent pas naturellement ! Pour que ces sacs disparaissent, il convient de les traiter au sein d'une usine de compostage. Les sacs ne se dégradent en effet qu'à une température de 57 degrés et à un taux d'humidité au moins égal à 90 %. La filière de compostage reste très peu développée au sein de l'Union européenne et notamment en France. Les sacs dits oxodégradables, censés représenter la deuxième génération des sacs biodégradables, ne constituent pas, non plus, une panacée. Ces sacs sont fabriqués à base de polymères traditionnels, mais grâce à des additifs, comme des sels de métaux, le plastique abandonné dans la nature s'oxyde sous l'action de la lumière ou de la chaleur et finit par se biodégrader. Ces sacs semblent laisser néanmoins de fines particules dans l'environnement. À l'aune de ces éléments, l'intégration des sacs biodégradables dans le champ d'application de la directive ne saurait donc susciter une quelconque réserve.

Il est incontestable que les sacs plastiques constituent une menace pour l'environnement. La France a, depuis quelques années, mis en place des mesures efficaces pour réduire l'utilisation de ce type d'emballage. J'y reviendrai plus tard. Je m'interroge néanmoins sur le rôle que peut jouer l'Union européenne dans ce domaine. La dimension transfrontalière du problème ne constitue pas véritablement un argument. Elle n'est d'ailleurs pas mise en avant par la Commission dans sa proposition de directive pour légitimer son intervention dans ce domaine. Cette pollution reste malgré tout faiblement mobile, surtout au niveau terrestre.

L'utilisation de sacs plastiques diffère de surcroît d'un pays à l'autre au sein de l'Union européenne. Si les Danois ou les Finlandais ne consomment qu'un sac en plastique par trimestre, les Chypriotes, les Hongrois, les Polonais, les Portugais, les Slovaques et les Slovènes voient cette fréquence passer à un par jour. Chaque Français consomme quant à lui quatre-vingt-dix sacs par an, soit un peu moins de deux par semaine et surtout deux fois moins que la moyenne communautaire.

Il est de fait possible de s'interroger sur la plus-value d'une action uniforme de l'Union européenne. La Commission européenne justifie sa démarche en soulignant que les États membres qui ont mis en place des politiques visant à en réduire l'utilisation ont connu des résultats variables en la matière. Ces politiques, à l'instar de celle mise en oeuvre en France, s'appuient sur des campagnes de sensibilisation, des accords avec le secteur du commerce de détail ou l'introduction de mesures tarifaires. La proposition de la Commission ne va pas pour autant très loin, en dépit de l'objectif affiché : la réduction de la consommation de sacs en plastique dans un délai de deux ans après l'entrée en vigueur de la directive révisée.

Les mesures prises pour y parvenir ne sont, en effet, pas définies. La Commission se contente d'indiquer qu'il pourrait s'agir d'objectifs nationaux en matière de réduction, d'instruments économiques - taxes ou redevances - ou de restriction à la commercialisation. Cette dernière option déroge pourtant à l'article 18 de la directive de 1994 dont j'ai fait mention en introduction. Celui-ci prévoit en effet que les États membres ne puissent pas faire obstacle à la mise sur le marché, sur leur territoire, d'emballages conformes aux exigences communautaires.

La Commission laisse par ailleurs le choix aux États membres de fixer leurs propres objectifs nationaux en matière de réduction et de choisir les mesures les plus pertinentes à mettre en oeuvre au vu de leur situation. Elle souhaite cependant que les États membres fassent rapport quant aux effets des mesures adoptées.

À l'objectif ambitieux affiché répond in fine un texte relativement creux, qui se contente de communautariser les actions menées par les États membres, sur lesquelles la Commission se montre pourtant réservée. On est loin de l'allant législatif observé sur d'autres textes ! En l'absence d'amendements au dispositif présenté, le résultat pourrait de fait se traduire par une augmentation de la charge administrative des États membres plus que par une réduction sensible des sacs en plastique. En effet, aucun objectif quantifié de consommation de sacs par habitant et par an n'est intégré au dispositif. Cette option, avancée par le gouvernement français, semble pourtant la plus pertinente, si l'on entend lutter efficacement contre la prolifération.

Comme je vous l'ai indiqué, la seule précision du texte tient à son champ d'application, qui vise donc les sacs dont l'épaisseur est inférieure ou égale à 50 microns. Je vais vous faire passer deux sacs de cette épaisseur. Le premier plus petit, de type sac de caisse, est vraiment le coeur de cible du dispositif. Or, vous noterez que des sacs de cette épaisseur ne sont jamais distribués en caisse. Et pour cause, trop épais et trop coûteux, ils n'ont jamais été fabriqués en série. Les sacs habituellement servis ont une épaisseur de 12 microns, pour un poids de 4 grammes. Cette épaisseur permet de supporter jusqu'à 11 kilos de charge. Le second sac, fabriqué en plastique recyclé et réutilisable, est également d'une épaisseur de 50 microns. Ce qui suppose que demain, en cas d'application du projet de directive qui nous est présenté, ce type de sac soit progressivement amené à disparaître. Or, nous avons là un des éléments du succès de la politique française en matière de réduction de l'utilisation des sacs en plastique.

Un accord signé entre la grande distribution et la filière plastique sous l'égide du ministère de l'environnement a en effet fixé en 2005 un objectif de réduction de 50 % à fin 2006 des sacs de caisse distribués gratuitement par rapport au chiffre de 2003. La promotion des sacs réutilisables mais aussi des sacs plastiques recyclés payants devait concourir à cette ambition. Cette action a été couronnée de succès puisque le nombre de sacs de caisse distribués gratuitement est passé de 15 milliards en 2003 à 650 millions en 2012, soit une réduction de 95 %. Ces 650 millions de sacs sont principalement distribués dans les commerces de proximité.

Il est généralement admis qu'un sac peut être réutilisé dès lors que son épaisseur dépasse 35 microns. C'est le cas du sac de cette grande librairie que je souhaite vous présenter. Le sac noir qui va maintenant circuler, siglé par une grande enseigne de la distribution, prouve que ce seuil peut désormais être dépassé. Entièrement recyclé et réutilisable, son épaisseur est de 28 microns. Là encore, ce type de sac qui constitue pourtant une indéniable avancée devrait être amené à disparaître en cas d'adoption du texte de la Commission.

Dans ces conditions, le seuil de 50 microns apparaît manifestement inadapté aux produits désormais mis à la disposition du public. Je relève que la Belgique mais aussi la Chine ont mis en place des dispositifs dissuasifs visant les sacs d'une épaisseur inférieure ou égale à 20 microns. Cette solution m'apparaît en effet la plus opportune et aurait dû inspirer la Commission européenne. Le constat est pourtant simple : plus les sacs sont épais, plus ils sont lourds et réutilisables et moins ils s'envolent. Ce sont donc les sacs légers et moins épais qu'il convient de cibler en priorité.

Venons-en maintenant aux modifications introduites par le Parlement européen. Celui-ci a, en effet, adopté, le 16 avril 2014, un texte amendé en première lecture. Il devrait servir de base aux discussions en trilogue avec les États membres et la Commission européenne. L'adoption définitive du texte est prévue fin 2014.

Le dispositif voté par le Parlement européen est plus ambitieux que la proposition initiale et établit des objectifs précis. Les États membres devront réduire leur consommation de sacs de caisses d'une épaisseur inférieure ou égale à 50 microns de 50% d'ici 2017 et de 80% deux ans plus tard, par rapport aux chiffres de 2010. Ils pourront prendre à cet effet des mesures telles que l'imposition, la limitation de commercialisation voire l'interdiction, pour s'assurer que les commerces ne fournissent pas de sacs en plastique gratuitement, sauf les sacs très légers utilisés pour emballer les produits alimentaires tels que les viandes crues, les poissons et les produits laitiers.

Les sacs utilisés pour emballer les fruits, les légumes ou les confiseries devraient, quant à eux, être remplacés d'ici 2019 par des sacs en papier recyclés, biodégradables ou compostables. Les exigences en matière d'emballage compostable ou biodégradable devront également être renforcées.

Le texte modifié limite également le recours à des substances cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), aux perturbateurs endocriniens (PE), ainsi qu'aux substances « persistantes, bioaccumuables et toxiques » (PBT) et « très persistantes et très bioaccumulables » (vPvB).

Si le projet de la Commission européenne manquait clairement de portée et laissait sceptique quant à son utilité, la version modifiée par le Parlement européen me semble à l'inverse trop radicale et peu en phase avec les réalités commerciales et industrielles.

Abordons tout d'abord l'objectif de réduction de moitié puis de 80 % du nombre de sacs de caisses distribués. Aussi séduisant soit-il, cet objectif devrait être difficile à mettre en oeuvre pour les pays ayant déjà accompli cette révolution écologique. Je pense aux pays d'Europe du Nord mais aussi au nôtre, qui, je vous le rappelle, à réduit de 95 % la distribution de sacs de caisse en huit ans. On peut donc considérer l'objectif chiffré introduit par le Parlement européen comme déjà réalisé. Imposer à ces pays de supprimer de 50 % puis de 80 % le stock actuel apparaît aujourd'hui impossible, sauf à interdire complètement l'usage de ces sacs. Ce qui ne serait pas sans créer de difficultés pour les petits commerçants de détail. Le Parlement européen n'écarte pourtant pas cette option. La France avait déjà songé à cette solution. Une loi adoptée en décembre 2005 fixait au 1er janvier 2010 la date à laquelle tous les sacs plastiques non biodégradables devaient être interdits. La Commission européenne a néanmoins estimé un an plus tard que ce texte n'était pas conforme à la directive de décembre 1994. Celle-ci exige, en effet, une valorisation des déchets d'emballage sans imposer le compostage. L'interdiction des sacs à usage unique a été également retenue par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale qui a adopté le 25 juin un amendement au projet de loi sur la biodiversité, déposé à l'initiative du Gouvernement. Les sacs compostables de manière domestique et constitués de matières biosourcées seraient exonérés. L'interdiction serait effective à compter du 1er janvier 2016.

Le remplacement des sacs pour les fruits et légumes souhaité par le Parlement européen n'est pas non plus sans susciter des interrogations, tant la solution préconisée, à savoir leur remplacement par des sacs biodégradables pourrait s'avérer être une solution plus coûteuse, y compris au plan environnemental. Les sacs fruits et légumes ont une épaisseur de 8 microns. Leur substituer des sacs biodégradables revient à doubler l'épaisseur pour atteindre 15 microns. Une telle évolution n'est pas sans conséquence sur le coût des fruits et légumes. De plus, l'absence de filière de production de compost dans un certain nombre d'États membres et notamment en France laisse supposer que ces sacs une fois utilisés ne seront pas plus appelés à disparaître que les précédents. La mise en place systématique de sacs en papier pourrait constituer une alternative. Elle semble toutefois uniquement adaptée au commerce de détail. Le traitement en caisse de grande surface des fruits et légumes implique en effet que la quantité puisse être visible au travers d'un sac transparent.

Je m'interroge enfin sur la portée de la limitation du recours aux substances potentiellement cancérigènes et autres perturbateurs endocriniens. La composition de sacs plastiques ne fait pas appel à ce type de produits. Quoi qu'il en soit, il existe déjà un règlement européen sur l'enregistrement, l'évaluation, l'autorisation et les restrictions des substances chimiques, le règlement REACH, entré en vigueur le 1er juin 2007, qui encadre rigoureusement l'utilisation de ces matières et cela dans tous les secteurs.

Au final, au projet de la Commission européenne relativement faible et pour partie décalé avec la réalité constatée au sein de certains États membres, répond un texte du Parlement européen maximaliste, dont les intentions sont certes louables mais les conclusions inadaptées. Dans ces conditions, je vous propose d'adopter la proposition de résolution européenne, qui vient de vous être distribuée, et qui sera transmise à la commission du développement durable qui l'examinera. Ce texte invite la Commission européenne à renforcer de façon raisonnable le dispositif proposé en insistant sur la mise en place d'un objectif clair de nombre de sacs par habitant et par an, adapté à l'état d'avancement des pays dans ce domaine. Il incite également la Commission à revoir le dispositif afin de mieux prendre en compte l'évolution technologique et de limiter le champ d'application du dispositif aux sacs de caisse dont l'épaisseur est inférieure ou égale à 20 microns. Il préconise enfin un soutien aux démarches nationales favorisant le recyclage.

Mme Colette Mélot. - Je félicite le rapporteur pour sa communication et la proposition de résolution qui y est jointe. La prolifération des sacs plastiques est une question très importante dès lors que l'on parle d'environnement. Nous avons accompli beaucoup de progrès en France avec l'apparition des sacs réutilisables dans les grandes surfaces. L'une des réponses consiste peut-être aussi dans le développement des sacs en papier. Vous nous avez cité quelques exemples dans votre exposé, mais existe-t-il un tableau indiquant la consommation de sacs au sein de chaque État membre de l'Union européenne ?

M. André Gattolin. - La question des sacs plastiques est un vrai sujet puisqu'il s'agit d'une cause majeure de pollution sur la planète et qu'on en retrouve jusqu'en Arctique. Je regrette néanmoins que la vision de la Commission européenne et du Parlement européen soit plus théorique que pratique. La principale nuisance est en effet maritime. Certes on retrouve des sacs dans la nature mais il n'y a pas ce phénomène d'agrégation que l'on peut retrouver en mer. On est loin en Europe de retrouver ces arbres où les sacs plastiques se sont substitués aux feuilles et qui font parfois partie du paysage en Afrique. Je rappelle néanmoins la richesse que peut représenter un sac plastique sur ce continent. Mais revenons à l'Europe. La Commission européenne aurait été mieux inspirée de prévoir un dispositif spécifique pour les zones côtières et les estuaires. La collecte de ces sacs en mer est d'ailleurs à la charge des collectivités locales.

En ce qui concerne la lutte contre les perturbateurs endocriniens, je ne pense pas que les sacs plastiques constituent une priorité. Je ne suis même pas sûr qu'ils en contiennent !

Je rappelle enfin que les sacs pour les fruits et légumes vendus en libre-service dans les supermarchés sont logiquement transparents puisqu'ils permettent de contrôler la nature et la quantité des aliments lors du passage en caisse.

Dans ces conditions, je m'associe à la proposition de résolution qui nous est présentée aujourd'hui.

M. Simon Sutour, président. - C'est un sujet qui fait consensus. J'ai constaté à plusieurs reprises en Grèce la pollution des côtes par ces sacs en plastiques. Même ceux qui sont censés se dissoudre laissent des micro-particules ! On en retrouve dans les analyses des eaux de la Méditerranée. Cela fragilise la faune marine, qu'il s'agisse des poissons ou des grosses tortues mais aussi l'homme. Lorsque nous mangeons des poissons ceux-ci ont au préalable assimilé ces micro-particules !

M. Jean-René Lecerf. - Mon interrogation porte sur l'articulation entre l'objectif affiché d'un recyclage total des plastiques à l'horizon 2020 et un renforcement de l'épaisseur des sacs et donc de leur résistance

Mme Françoise Boog. - Les sacs réutilisables sont entrés dans les habitudes des Français. Il ne s'agit pas pour autant de s'en contenter mais de poursuivre nos efforts. Cela étant, j'ai eu l'impression en étudiant la proposition de directive que ce texte était plus destiné à certains pays de l'Est et du Sud de l'Union européenne qu'au nôtre ou a fortiori à ceux d'Europe du Nord. L'étude d'impact fournie, préparée par la Commission européenne, détaille d'ailleurs l'ensemble des mesures mises en place par les États et précise la consommation par pays. Elle contient le tableau que Mme Mélot pourra consulter. En Irlande, un tarif dissuasif de 15 centimes d'euros par sac de caisse a ainsi contribué à réduire leur consommation.

Je reviens un instant sur le seuil de 50 microns qui m'apparaît complètement inadapté. Les grandes enseignes de bricolage ne peuvent offrir à leurs clients des sacs en papier qui ne sont absolument pas fait pour transporter de tels produits.

M. André Gattolin. - Les sacs en papier ne sont pas faits non plus pour transporter des fruits dès lors qu'ils sont un peu mûrs, humides ou abîmés...

Mme Françoise Boog. - Pour répondre à André Gattolin, le problème de la pollution marine par les sacs en plastique doit effectivement faire figure de priorité. Plus en tout cas que les perturbateurs endocriniens qui sont déjà encadrés par le règlement REACH et dont on exagère l'utilisation dans le cas des sacs plastiques !

L'objectif 2020 est quant à lui tenable si des efforts des pouvoirs publics sont effectués en ce sens en faveur des filières de recyclage. Il s'agit de mettre en place de véritables filières de recyclage, comme on a déjà su le faire pour les emballages en carton via le tri sélectif.

Je rappellerai enfin que si la majorité des sacs plastiques viennent d'Asie, il existe encore une filière française en la matière qui emploie 3 500 personnes, notamment en Région Rhône-Alpes, et que nous devons préserver.

M. Simon Sutour, président. - Cette proposition de résolution fait donc l'unanimité. Elle sera transmise à la commission du développement durable qui dispose d'un mois pour se prononcer.

À l'issue de ce débat, la commission a adopté à l'unanimité la proposition de résolution européenne suivante :

Proposition de résolution européenne

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la directive 94/62/CE du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d'emballages pour réduire la consommation de sacs en plastique légers à poignée,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 94/62/CE du 20 décembre 2014 relative aux emballages et aux déchets d'emballages pour réduire la consommation de sacs en plastique légers à poignée (COM (2013) 761 final),

Estimant que la proposition présentée par la Commission européenne souffre d'un manque d'objectifs précis et d'ambition,

Considérant que tout projet de lutte contre la prolifération des sacs plastiques à l'échelle européenne doit prendre en compte la situation de chacun des États membres,

Rappelant l'évolution technologique constatée ces dernières années dans la production de sacs plastiques et les progrès enregistrés en matière de recyclage des matières plastiques,

Encourage les institutions européennes à revoir à la baisse le seuil de 50 microns d'épaisseur à partir duquel les sacs sont considérés comme réutilisables et à limiter le champ d'application de sa proposition à une épaisseur inférieure ou égale à 20 microns ;

Insiste sur la mise en place d'un objectif clair de nombre de sacs par habitant, par an et par pays, adapté à l'état d'avancement des États membres dans ce domaine ;

Estime que toute disposition favorisant l'utilisation des sacs biodégradables doit être accompagnée d'incitations à la mise en place de filières industrielles de compostage ;

Demande à la Commission européenne de proposer l'adoption d'un cadre européen en faveur du recyclage des sacs plastiques avec pour objectif zéro plastique dans les décharges à partir de 2020 ;

Invite le gouvernement à soutenir ces orientations et à les faire valoir dans les négociations en cours.

Politique de coopération - Stratégies européennes pour l'Arctique : rapport d'information de M. André Gattolin

M. Simon Sutour, président. - Notre ordre du jour appelle maintenant l'examen du rapport d'information de notre collègue André Gattolin sur les stratégies européennes pour l'Arctique.

Je vous rappelle qu'André Gattolin nous avait présenté, en février dernier, une communication qui s'intéressait également à la situation de la Norvège et de l'Islande. Cette communication tirait les enseignements de déplacements qu'il avait effectués dans ces deux pays.

Notre collègue nous avait fait part des effets du réchauffement climatique. Il nous avait expliqué que le réchauffement laissait présager des possibilités économiques nouvelles, notamment au Groenland. La fonte de l'océan arctique pourrait ouvrir de nouvelles routes commerciales entre l'Asie, d'une part, et l'Europe et la côte Est des États-Unis qui sont les deux principaux centres de consommation dans le monde, d'autre part.

Ces évolutions entraînent le développement de stratégies « arctiques » par les grandes puissances marchandes asiatiques comme la Chine, la Corée, le Japon et Singapour ; par les grands États de la région comme la Russie, le Canada et dans une moindre mesure les États-Unis ; et enfin, par les pays européens directement concernés, la Norvège et l'Islande.

Le rapport d'information qui nous est présenté aujourd'hui, et qui vous a été adressé, prolonge et approfondit les premières réflexions qui nous avaient été exposées en février.

Je donne la parole à notre collègue.

M. André Gattolin. - Tandis que notre réunion d'hier portait en partie sur la Méditerranée et que nous nous sommes intéressés plusieurs fois à la situation à l'Est avec la politique de voisinage et l'actualité en Ukraine, je vous propose aujourd'hui de nous intéresser au Nord de l'Europe.

Et je suis très heureux de vous présenter aujourd'hui le résultat de six mois de travail sur un sujet qui me passionne, à la fois riche et complexe, comme le montre l'épaisseur - et j'espère - la pertinence de ce rapport.

Vous avez, je suis sûr, tous entendu parler de l'Arctique durant ces derniers mois : niveaux de réduction record de la banquise, navire chinois qui rallie l'Europe par le nord, projets miniers titanesques au Canada, autorisation de l'extraction de l'uranium au Groenland, arraisonnement d'une équipe de Greenpeace par les militaires russes l'été dernier, et j'en passe... Ces différentes affaires illustrent parfaitement l'ébullition actuelle en Arctique.

Quels sont les faits ?

La région du pôle Nord se réchauffe deux à deux fois et demi plus vite que nos régions tempérées. Et cette tendance devrait se poursuivre selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui envisage dans un scénario noir une hausse des températures de 8 degrés en Arctique à la fin du siècle !

Conséquence de ce réchauffement, la banquise de mer fond et libère en partie l'océan durant les mois d'été. Des records de réduction de la banquise ont été battus ces dernières années : 2007 et surtout 2012 marquent les plus basses étendues de banquise jamais vues à la fin de l'été. La glace du Groenland, qui représente 10 % des réserves d'eau douce dans le monde, fond elle aussi. Or, c'est bien cet afflux d'eau douce qui fait monter le niveau des océans et menace de disparition certaines îles du Pacifique comme la Polynésie française ! En métropole, la Camargue, Monsieur le Président, serait la première région touchée...

Et, tandis que le froid protégeait l'Arctique de tout un tas de dangers, des températures plus douces libèrent certains gaz ou favorisent l'entrée dans le fragile milieu polaire de nouvelles pollutions aux effets dévastateurs, comme le carbone-suie.

Par ailleurs, le rapport détaille l'importance de l'Arctique et des pôles dans le fonctionnement de notre climat et pour la connaissance scientifique de notre planète, je n'insiste pas dessus.

Voici donc le constat : l'Arctique se transforme très rapidement, ce qui représente un danger pour la planète, mais pourtant, ce sont les opportunités offertes par ces transformations qui aujourd'hui font l'actualité. C'est la raison pour laquelle, j'ai souhaité savoir ce qu'il en était vraiment.

Quels sont les enjeux ?

Tout d'abord, le sous-sol de la région arctique serait riche, très riche ! On estime qu'il renferme près de 30 % des réserves mondiales de gaz et un peu plus de 10 % des réserves de pétrole. Un grand nombre d'entre elles se situent en mer, ce qui rend leur extraction très difficile et très dangereuse pour l'environnement. C'est en Russie et en Mer de Barents, au nord de la Norvège qu'on trouve près de trois quarts des réserves de gaz, tandis que le pétrole aurait été détecté plutôt au nord du Canada et de l'Alaska.

Le danger aujourd'hui est qu'on ne sait pas lutter contre une marée noire en milieu polaire. C'est la raison pour laquelle, pour l'instant, je dis bien « pour l'instant ! », personne n'envisage d'exploiter du pétrole en Arctique. Une autre bonne raison en est la faible rentabilité de l'activité en l'état.

En revanche, les entreprises du monde entier sont nombreuses à vouloir s'approprier les richesses minières du Groenland, que la fonte de la glace permet désormais d'exploiter. Ce territoire d'outre-mer danois veut devenir indépendant et espère que la rente tirée de l'exploitation de ses matières premières l'aidera à y parvenir. Il a même autorisé l'extraction d'uranium, qui va de pair avec les terres rares dont il pourrait recéler jusqu'à 25 % des réserves mondiales.

Ce qui est inquiétant, c'est que le Groenland dispose d'une élite politique réduite (40 personnes) et qu'il ne parait pas prêt politiquement et juridiquement à affronter la puissance de sociétés minières ou pétrolières qui ont déjà mis à mal plusieurs pays africains.

Dernière ressource, mais on devrait dire la première car elle fait vivre les peuples de l'Arctique depuis plusieurs siècles : la pêche. Il n'y a pas d'organisation régionale des pêches en Arctique, comme c'est le cas pour les autres océans. En raison de la remontée vers le nord de plusieurs espèces et en cas de libération des eaux de la banquise, la crainte est donc de voir pillées les ressources halieutiques, sans gestion durable des stocks en vue de la survie des espèces.

Par ailleurs, l'océan arctique est régi par le droit de la mer, c'est-à-dire que les limites des eaux de chaque État côtier ne sont pas encore totalement établies et qu'il existe des revendications territoriales concurrentes sur les eaux arctiques, comme en mer de Beaufort entre les États-Unis et le Canada. Si plusieurs États revendiquent le pôle Nord, ces conflits devraient être résolus pacifiquement, car la coopération reste de mise en Arctique. Le risque de conflit armé est par ailleurs quasiment exclu, même si un pays comme la Russie envisage d'accroître sa présence militaire dans la région.

Pour ce qui est des nouvelles routes maritimes qui viendraient concurrencer les deux autres grands axes, on nage en plein fantasme ! Même si les glaces libèrent les eaux arctiques, la circulation restera difficile : il existe peu d'infrastructures le long de ces routes, les conditions de sécurité de navigation ne sont pas assurées, enfin si la banquise fond, c'est surtout en été et les routes restent prises dans les glaces encore une grande partie de l'année.

Pourtant, cela n'empêche pas le Canada et surtout la Russie d'avoir de grandes ambitions pour « leur » Grand Nord. Cela est légitime, et il y a un mouvement général des pays de l'Arctique à vouloir développer économiquement une région qui n'était pas en capacité de l'être jusque-là.

Les huit pays de la zone arctique se retrouvent dans une enceinte appelée Conseil Arctique. À l'origine conçue pour protéger l'environnement dans la région, cette sorte de forum souhaite désormais ajouter un volet économique à ses activités. Il présente cependant deux limites : tout d'abord, il ne peut pas adopter de règles contraignantes (il peut trouver un accord entre ses membres qui débouchera sur un traité multilatéral) ; deuxièmement, il laisse très peu de place aux autres États qui sont cantonnés à un rôle dit d'observateurs, c'est-à-dire qu'ils peuvent assister aux débats mais pas intervenir. Par conséquent, il apparaît en-deçà des enjeux, même s'il offre la particularité de permettre aux peuples autochtones de s'exprimer.

Mais l'Arctique représente aussi un enjeu pour d'autres grandes puissances dans le monde, car les investissements nécessaires sont tels que les pays du nord ne pourront y faire face seuls.

Les pays asiatiques sont particulièrement intéressés par le développement des routes commerciales : la Chine parce qu'elle exporte 95 % de ses marchandises par bateau ; la Corée du Sud, parce qu'elle est le premier constructeur naval ; Singapour qui espère pouvoir trouver des débouchés à son expertise en matière de plateformes pétrolières. Pour sa part, l'Inde a un besoin important de nouer des partenariats dans le secteur énergétique. Et tous ces pays sont engagés dans une concurrence entre eux afin d'apparaître comme des acteurs crédibles sur la scène mondiale.

Mais tous sont aussi soucieux des impacts climatiques de la transformation de l'Arctique et souhaitent approfondir leurs connaissances scientifiques en la matière. Cette approche est également partagée par les pays européens.

Parmi eux, certains ont adopté une stratégie propre pour essayer de profiter des opportunités offertes, qu'ils soient en Arctique comme la Suède et la Finlande, ou en dehors comme l'Allemagne et le Royaume-Uni. D'autres s'y intéressent, comme l'Italie, la Pologne et les Pays-Bas. Pour autant, il n'y a pas encore de réponse coordonnée en Europe.

Pour sa part, l'Union européenne a développé ces dernières années une politique embryonnaire, la dimension septentrionale, qui s'incarne dans des coopérations avec ses voisins nordiques sur des sujets comme la protection de l'environnement, la santé publique ou les transports. Elle est également engagée dans un partenariat avec le Groenland qui bénéficie du statut de territoire d'outre-mer. Mais elle ne dispose pas jusqu'à présent d'une véritable politique à l'égard de l'Arctique, alors même qu'une partie de son territoire s'y trouve.

Cependant les choses sont en train de changer, car le Parlement européen a adopté en mars de cette année une résolution ambitieuse visant à refonder l'action de l'Union en Arctique. Pour sa part, le Conseil de l'Union européenne a adopté des conclusions le 12 mai dernier dans lesquelles il appelle la Commission européenne à lui soumettre avant la fin 2015, je cite, « des propositions sur la poursuite du développement d'une politique intégrée et cohérente pour la région arctique ».

Aussi, l'Union semble prendre conscience que sa présence sur la scène mondiale et polaire est nécessaire devant l'ampleur des transformations induites par le réchauffement climatique en Arctique. Et la voix de l'Europe doit se faire entendre dans cette région pour défendre le développement durable, la protection de l'environnement, la recherche scientifique et l'expression des peuples autochtones.

Et l'Union européenne peut apporter plus qu'un message en Arctique ! Ses deux programmes spatiaux, Copernicus et Galileo, peuvent aider à mieux connaître la géographie polaire et à faciliter la radionavigation. Ses programmes de recherche mettent en réseau les meilleurs chercheurs d'Europe, y compris sur les questions polaires. Enfin, les pollutions en Arctique étant des pollutions importées, l'objectif affirmé de l'Union européenne de réduire ses émissions de gaz à effet de serre ne peuvent qu'aider à la lutte contre le réchauffement climatique en Arctique.

Et la France ?

La France bénéficie d'une bonne image en Arctique. Le président islandais Grimsson, qui se méfie de l'Union européenne, accueillerait favorablement une plus grande implication française dans la région. Ses grands groupes énergétiques sont présents dans la région : Total, GDF Suez ou encore Areva. Elle est également présente par sa recherche, qui entretient une certaine tradition derrière Charcot ou Paul-Émile Victor pour ne citer qu'eux. Enfin, la France est le seul pays à disposer d'une représentation diplomatique permanente au Groenland.

Et pourtant notre pays n'a pas de véritable stratégie face à ce qui se passe en Arctique. Il a néanmoins ouvert deux grands chantiers :

- le premier concerne la recherche et vise à faire le point sur les grands enjeux scientifiques en Arctique, puis à mobiliser la communauté scientifique afin d'améliorer la compréhension du Grand Nord ;

- le second est le mouvement enclenché par la diplomatie française à l'initiative de Michel Rocard, notre ambassadeur pour les pôles, qui vise à établir une Feuille de route nationale pour l'Arctique.

Ce renforcement de la capacité de la France à agir en Arctique est, je crois, nécessaire. On ne peut pas rester en marge d'une région qui constitue déjà un des enjeux majeurs du XXIème siècle.

Enfin, la France porte une responsabilité particulière puisqu'elle doit accueillir en 2015 la Conférence sur le climat pour laquelle elle nourrit l'ambition d'un accord nouveau sur la réduction d'émissions de gaz à effet de serre. L'Arctique étant la première victime du réchauffement climatique, une attention particulière portée aux problèmes que pose aux populations autochtones la transformation de leur environnement pourrait connaître un certain retentissement dans l'opinion publique mondiale.

En conclusion, je dirai que ce travail arrive, je crois, au bon moment. Le Chantier arctique de la recherche française doit rendre ses conclusions dans les prochains jours et la Feuille de route nationale devrait être adoptée d'ici à la fin de l'année. Nous ajoutons un volet parlementaire dans une optique européenne.

Et le Conseil de l'Union européenne ayant demandé à la Commission de lui faire des propositions avant fin 2015, je vous propose de continuer ce travail afin que nous-mêmes puissions faire des propositions à la Commission par le biais du dialogue politique. L'enjeu le mérite, j'espère vous en avoir convaincus !

M. Simon Sutour, président. - Vous êtes convaincant, parce que convaincu ! Je voudrais rappeler que je suis membre de la commission des affaires européennes depuis un certain temps maintenant, et c'est la première fois que nous traitons de ce sujet. Et c'est important, l'Europe va de la Méditerranée à l'Arctique. Vous nous aviez déjà fait une intéressante présentation concernant la Norvège et l'Islande et je suis très heureux que nous mettions en avant des pays vers lesquels la France devrait se tourner un peu plus. Il n'y a pas que les pays du Golfe, je rappelle que la Norvège dispose d'un fonds souverain de plus de 600 milliards d'euros.

Mme Françoise Boog. - Je pense que l'implication de la France dans cette région est la bienvenue. Cependant, je m'interroge : comment est-elle perçue ?

M. André Gattolin. - Une entreprise comme Total est particulièrement appréciée en Norvège. Je rappelle que ce pays est notre premier fournisseur de gaz et le deuxième fournisseur de pétrole. S'il exploite ouvertement les richesses de son sous-sol, cela ne l'empêche pas d'imposer des normes environnementales réellement contraignantes aux compagnies gazières et pétrolières travaillant sur son sol. Et Total y est la deuxième entreprise, derrière Statoil, l'entreprise nationale norvégienne.

Au Canada, le dialogue est plus compliqué, particulièrement pour l'Union européenne. Le conflit sur le commerce des produits du phoque, que l'Union a interdit pèse sur les relations avec le Canada. Il bloque notamment l'admission en tant qu'observateur au Conseil Arctique de l'Union européenne, alors que la France bénéficie de ce statut. En outre, cette interdiction a déstabilisé l'économie des populations autochtones qui comptaient dessus pour ne plus dépendre de l'aide financière du gouvernement fédéral canadien. Et aujourd'hui, ce même gouvernement incite à l'extraction des ressources naturelles pour renforcer l'autonomie financière de ces populations. Donc, sur ce point, je ne suis pas persuadé que le bilan écologique soit très bon.

Avec la Russie, il y a une bonne coopération régionale avec l'Union européenne : les programmes de la dimension septentrionale connaissent un certain succès, notamment dans le domaine de l'environnement pour la dénucléarisation de certains sites.

Le problème se situe plus au sein du Conseil Arctique où le Canada et la Russie freinent l'entrée de l'Union européenne. En gros, on veut bien qu'elle apporte des fonds pour la recherche scientifique mais pas qu'elle s'exprime sur les décisions concernant l'Arctique.

À l'issue de ce débat, la commission a autorisé à l'unanimité la publication du rapport.

Environnement - Paquet « Air pur » : communication de M. André Gattolin

M. Simon Sutour, président. - Nous allons maintenant entendre une communication d'André Gattolin sur le paquet « Air pur ».

Ce paquet de textes a été présenté par la Commission européenne en décembre 2013. L'objectif est de protéger notre santé en supprimant les substances toxiques qui sont malheureusement encore trop présentes dans l'air. L'Union européenne mène des actions dans ce domaine depuis 2001. Les résultats obtenus vont dans le bon sens. Il s'agit donc de franchir une nouvelle étape à échéance de 2030. De nouveaux objectifs seront ensuite fixés à l'horizon 2050.

Je donne la parole à notre collègue.

M. André Gattolin. - Présenté le 18 décembre 2013, le paquet « Air pur » est formellement constitué par cinq documents :

- la Communication de la Commission intitulée Programme « Air pur pour l'Europe » ;

- une proposition de directive concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques et modifiant la directive 2003/35/CE ;

- une proposition de directive relative à la limitation des émissions de certains polluants dans l'atmosphère en provenance des installations de combustion moyenne ;

- une proposition de décision du Conseil portant approbation de l'amendement au protocole de 1999 à la Convention de 1979 sur la pollution atmosphérique transfrontalière à longue distance ;

- une analyse d'impact des trois textes juridiques proposés.

La cohérence conceptuelle conduit à prendre également en considération la proposition de règlement, rendue publique le 31 janvier 2014, tendant à réduire les émissions polluantes des véhicules routiers.

Il convient enfin d'avoir à l'esprit la législation européenne sur les carburants et sur les infrastructures de carburants propres. En effet, cette construction juridique a permis d'éliminer le soufre présent autrefois dans les dérivés du pétrole ; elle favorise aujourd'hui l'essor des véhicules électriques, parallèlement à l'utilisation du gaz naturel ou du gaz de pétrole, deux carburants dont l'usage n'engendre guère d'émission de produits toxiques.

Cette précision me donne l'opportunité de souligner sans plus attendre la différence capitale entre le paquet « Air pur » et la politique climatique : alors que la lutte contre le réchauffement de la planète se concentre sur les gaz à effet de serre - dont le plus connu mais pas le plus actif est le gaz carbonique, souvent désigné par sa formule chimique CO2 - le paquet « Air pur » a pour finalité unique de défendre la santé en éliminant les substances toxiques encore trop souvent présentes dans l'air que nous respirons. Cette distinction se traduit par le fait qu'une seule substance soit visée à la fois par la politique climatique et par la volonté d'un air pur : le méthane, dont la contribution à l'effet de serre joue un rôle croissant. Le seul autre lien entre la politique énergie-climat et le paquet « Air pur » concerne le calendrier : de façon fort heureuse, la Commission européenne a retenu des échéances identiques pour chacun de ces objectifs. Nous retrouverons donc dans le paquet « Air pur » les années 2020, 2025, 2030 et 2050.

Au cours de cette brève communication dont le seul but est d'informer notre commission sur les grandes lignes du paquet « Air pur », je ne m'étendrai pas aujourd'hui sur le bilan de l'action conduite par l'Union européenne en ce domaine depuis 2001, me contentant de vous dire que les buts fixés sont très largement atteints, ce qui autorise à franchir une nouvelle étape ayant l'année 2030 pour horizon. Ce devrait être l'avant-dernière étape, puisque les « objectifs à long terme » de l'Union européenne pour la qualité sanitaire de l'air devraient être atteints à l'horizon 2050.

Pour s'en tenir à l'horizon 2030, la Commission européenne estime que le dispositif proposé devrait permettre que la réduction des émissions toxiques atteigne 70 % de l'écart entre la valeur de référence actuelle - constituée par les chiffres de 2005 - et la réduction maximale techniquement possible. Sur le plan sanitaire, le recul de l'espérance de vie imputable à la pollution de l'air devrait passer de 8,5 mois en 2005 à 4,1 mois en 2030.

J'en viens donc aux textes présentés le 18 décembre dernier, dont les objectifs peuvent être regroupés en trois catégories :

- poursuivre la réduction déjà entamée des émissions de substances toxiques par les États membres de l'Union européenne ;

- étendre doublement le champ de cette politique.  La première extension concerne les particules fines - celles dont le diamètre est inférieur à 2,5 microns, soit 2,5 millièmes de millimètre. La seconde extension s'applique aux installations de combustion moyennes, définies par une puissance comprise entre 1 et 50 mégawatts. Il peut s'agir d'installations produisant de l'électricité, mais aussi de la chaleur ou du froid, dans le secteur résidentiel, tertiaire ou industriel.

- instituer un traitement spécifique pour deux cas particuliers : l'agriculture et l'automobile.

Les émissions de substances toxiques par les États membres de l'Union européenne sont actuellement régies par la directive 2001/81/UE du 23 octobre 2001, qui fixe des plafonds d'émissions nationaux (PEN) pour certains polluants atmosphériques, à savoir :

- le dioxyde de soufre, principale cause des pluies acides, qui ont très largement disparu aujourd'hui ;

- la vaste famille des oxydes d'azote, dont le plus dangereux pour la santé humaine est le dioxyde d'azote NO2 ;

- les composés organiques volatils autres que le méthane ;

- l'ammoniac.

Il peut sembler étrange que l'ozone troposphérique ne soit pas mentionné parmi les molécules polluantes dont les émissions seraient limitées, alors même que cette substance est incriminée aussi bien pour les décès prématurés que pour la survenue de pathologies respiratoires comme l'asthme. Ce n'est pas un oubli, mais la conséquence logique du fait que l'ozone troposphérique apparaît (dans l'atmosphère au niveau terrestre) comme résultat de réactions chimiques induites notamment par la chaleur et impliquant les oxydes d'azote. Ainsi, limiter les émissions d'oxyde d'azote permet aussi de combattre la présence d'ozone dans les couches atmosphériques les plus proches de la surface terrestre. Cet exemple illustre l'orientation principale du texte proposé, qui met l'accent sur la réduction des émissions à la source. Ainsi, le gain espéré devrait atteindre 57 % des composés organiques volatils concernés et 72 % des oxydes d'azote.

Mais la pollution atmosphérique en un lieu donné s'explique aussi par des émissions polluantes à distance, parfois même très éloignées. D'où l'intérêt du protocole de Göteborg, relatif précisément à la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance. Au niveau de l'Union européenne, la pollution transfrontière explique plus de 60 % de l'ammoniac respiré par les citoyens. En l'occurrence, la Commission européenne propose de ratifier un amendement signé en 2012, afin d'encourager sa ratification par les tierces parties. Ce protocole concerne les mêmes substances polluantes que celles initialement visées par la directive du 23 octobre 2001.

J'en viens donc au deuxième objectif du paquet « Air pur » : étendre le champ couvert, en premier lieu par l'extension des polluants concernés. Il s'agit ici d'inclure en premier les particules fines - dont le diamètre est inférieure à 2,5 microns, dénommées « PM2,5 ». Ces particules sont de loin les plus dangereuses pour la santé, car elles pénètrent profondément dans l'organisme grâce à leur taille microscopique, au moins 20 fois inférieure au diamètre d'un cheveu.

La deuxième adjonction concerne le méthane, bien que ce gaz ne soit pas directement toxique par lui-même, sauf à très grande concentration. Cette adjonction s'explique pourtant par le fait que ce gaz facilite l'apparition d'ozone en présence de dioxyde d'azote. On peut donc le considérer comme un précurseur lointain de l'ozone ou comme un adjuvant du dioxyde d'azote dans la fabrication d'ozone troposphérique. En un siècle, la teneur de la troposphère en ozone a doublé. D'où l'intérêt de réduire ses précurseurs et, idéalement, de les éliminer.

La deuxième extension de la politique de l'air pur concerne les installations de combustion moyenne, définies par une puissance thermique comprise entre 1 et 50 mégawatts. Ces installations constituent la principale lacune dans la législation européenne sur les sources des émissions, puisqu'elles échappent à toute réglementation. De fait, les petites installations relèvent de la directive 2009/125/UE du 21 octobre 2009 établissant un cadre pour la fixation d'exigences en matière d'écoconception applicables aux produits liés à l'énergie, cependant que les grandes installations sont régies par la directive 2010/75 du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles.

La proposition de directive, qui doit s'appliquer à quelque 143.000 installations de taille moyenne, tend à combler cette lacune en introduisant des valeurs limites applicables aux oxydes d'azote et du dioxyde de soufre émis, sans omettre les particules.

Pour achever mon propos, il me reste à évoquer les deux secteurs d'activités faisant l'objet de traitements spécifiques : l'agriculture et l'automobile.

1. L'agriculture

Pour diminuer les émissions d'ammoniac au-delà des 27 % inscrits dans la proposition de directive PEN, la Commission envisage d'ajouter des exigences portant sur l'épandage de fertilisants, la gestion du fumier et l'emploi des fertilisants inorganiques.

Les services de la Commission chargés de l'agriculture et ceux chargés de l'environnement devront établir conjointement une plate-forme de l'agriculture dans le cadre du Forum européen « Air pur ».

La Commission n'a pas présenté à ce jour de disposition spécifique à l'agriculture, mais rien n'exclut que des propositions soient formulées d'ici l'automne...

2. L'automobile

La Commission a mis en évidence l'inadaptation technique de la norme EURO V pour les véhicules à moteur diesel, puisque les émissions polluantes des véhicules circulant dans l'Union européenne ont été réduites, à une exception près : les émissions d'oxydes d'azote provenant de véhicules légers à moteur diesel. En effet, alors que la norme EURO V comporte des valeurs limites d'émission quatre fois inférieures à celles de feu la norme EURO I, les vérifications effectuées en situation réelle sont très nettement moins satisfaisantes. Concrètement, les niveaux constatés sont cinq fois plus élevés que la valeur limite, au point que les émissions effectives des véhicules réceptionnés depuis 2009 sont supérieures d'environ 25% à celles observées sur les automobiles conformes à la norme EURO I. Vérifiez vous-mêmes : 5 fois ¼ = 5/4, c'est-à-dire 25% de plus !

L'entrée en vigueur de la norme EURO VI devrait résoudre cette difficulté à compter de 2017, avec l'utilisation d'un cycle d'essai plus réaliste.

La proposition de règlement, publiée le 31 janvier 2014, tendant à réduire les émissions polluantes des véhicules routiers, principalement de ceux à moteur diesel, comporte deux dispositions principales :

Tout d'abord, elle complète les valeurs limites des oxydes d'azote par une limitation spécifique au seul dioxyde d'azote, car l'évolution technique des moteurs a accru les émissions de dioxyde - molécule la plus dangereuse de la « famille » - parmi l'ensemble des oxydes d'azote d'origine automobile.

Ensuite, elle limite pour l'avenir la valeur limite d'émission d'ammoniac aux seuls véhicules à moteur diesel équipés d'un dispositif post-traitement des oxydes d'azote par réactif.

J'observe à ce propos qu'il y a une certaine équivalence pour la pureté de l'air à limiter les émissions de dioxyde d'azote et celles d'ammoniac, puisqu'une réaction, dont je vous épargnerai aujourd'hui la description, mais qui figurera bien sûr dans le rapport que je souhaite présenter à l'automne, transforme ce dernier gaz en dioxyde d'azote.

Ce rapport devra faire le point des mesures déjà adoptées, notamment sur les plans économique et sanitaire. Il montrera aussi comment une préoccupation de santé publique typique de la démarche écologique est éminemment favorable à l'activité économique et à la croissance, des objectifs que nous partageons tous.

M. Simon Sutour, président. - Vous êtes passionné par votre sujet, qui porte sur un cas où la législation européenne jouera un rôle considérable pour l'évolution du droit national quand le paquet « Air pur » sera entré en vigueur.

Pour aujourd'hui, je crois que nous pouvons remercier notre rapporteur pour sa communication très complète qui nous a parfaitement présenté les enjeux, les objectifs et les principales orientations retenues pour cette réglementation.

La réunion est levée à 16h30.