Mercredi 20 août 2014

- Co-présidence de Mme Elisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, de Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense de l'Assemblée nationale, et de Mme Josette Durrieu, vice-présidente de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat -

La réunion est ouverte à 16 heures

Situation en Irak - Audition de M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et du Développement international

Audition conjointe avec la commission des affaires étrangères et la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. - Je remercie le ministre des affaires étrangères et du développement international, M. Laurent Fabius, de s'être à nouveau rendu disponible pour la commission des affaires étrangères et la commission de la défense de l'Assemblée nationale, ainsi que pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, puisqu'il s'agit d'une audition conjointe aux deux assemblées. Je remercie également Patricia Adam, présidente de la commission de la défense, d'en avoir accepté le principe.

L'audition est ouverte à la presse et se tient alors que les congés parlementaires ne sont pas encore terminés. Il m'a semblé cependant particulièrement utile d'entendre le ministre même si nous sommes encore hors session.

Monsieur le ministre, vous avez été particulièrement actif cet été, notamment en étant le premier parmi les responsables occidentaux à vous rendre à Erbil, le 10 août, et en provoquant, grâce à votre insistance, une réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne le 15, avant de vous rendre le 17 à Berlin à une réunion sur l'Ukraine qui était organisée en format Normandie, c'est-à-dire à quatre entre l'Allemagne, la France, la Russie et l'Ukraine.

Les groupes UMP et UDI ont également manifesté le souhait de vous entendre. Par ailleurs, je vous informe que nous auditionnerons le ministre de la défense mercredi prochain à 12 heures 15, ce qui permettra d'assurer un contrôle parlementaire continu. Nous sommes convenus avec Patricia Adam d'une nouvelle audition conjointe à cette occasion.

Monsieur le ministre, nous serons heureux de vous entendre sur l'Irak, mais peut-être aussi sur l'Ukraine, puisque cette réunion de Berlin s'est tenue le 17.

La crise irakienne a franchi une nouvelle étape au début du mois, avec une nouvelle offensive des forces se réclamant de l'État islamique, qui avaient avancé jusqu'à Mossoul et en direction de Bagdad en juin. Ces forces s'en prennent maintenant au Kurdistan irakien, ce qui provoque un nouvel afflux de réfugiés, en particulier des membres des communautés yézidi et chrétienne, lesquelles subissent des exactions épouvantables.

Les peshmerga kurdes ont bénéficié de l'appui des frappes aériennes conduites par les États-Unis - vous nous en direz sans doute davantage sur l'ampleur de ces frappes, sur leurs cibles et sur leur contribution à l'évolution du rapport de forces. La presse fait état d'une contre-offensive qui aurait été menée par une vingtaine de tribus sunnites dans la province d'Al-Anbar. La situation paraît également s'être améliorée dans le djebel Sinjar, lieu de refuge de la communauté yézidi où des éléments du PKK se sont regroupés et auraient contribué à une évacuation des réfugiés. Depuis hier soir, nous savons que le barrage de Mossoul est repassé sous le contrôle des forces irakiennes et kurdes. Cette prise de contrôle est-elle confirmée ? Peut-on parler d'un début de retournement de situation ? La reprise de la ville de Mossoul elle-même est-elle possible ?

Sur le plan politique, la nomination de M. Al-Abadi au poste de Premier ministre, en remplacement de M. Maliki, le 11 août dernier, a été très largement saluée, y compris par l'Iran et par l'Arabie saoudite. C'est un pas en avant, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir, puisque le nouveau gouvernement n'est pas encore formé. Sans un gouvernement d'union, véritablement inclusif, et sans un partage du pouvoir plus équilibré entre les différentes communautés, la donne risque de ne pas changer de manière significative au plan interne. Pouvez-vous donc faire le point sur l'évolution du processus politique ? Les Kurdes ont annoncé qu'ils étaient prêts à participer au nouveau gouvernement. Qu'en est-il des responsables politiques sunnites ? Quelle est la probabilité que le Kurdistan irakien parvienne à l'indépendance ? Tout laisse à penser que les Kurdes eux aussi ont leur propre agenda. Jusqu'où ont-ils l'intention d'aller ? Il semble qu'un référendum doive être organisé, sans qu'on puisse préjuger des réactions de la communauté internationale.

Ici ou là dans la presse, on lit souvent que les islamistes seraient dans l'incapacité de gouverner les territoires dont ils ont pris le contrôle. Cependant, il semblerait que l'État islamique consacre des moyens financiers et humains croissants au maintien de services aux populations - électricité, eau, police, services hospitaliers - et que les fonctionnaires locaux seraient en partie maintenus en poste. Cela fait dire à certains commentateurs que l'État islamique, dont les moyens sont considérables, aurait la capacité de s'implanter durablement et de rallier une partie de la population. Quelle est votre appréciation ? Il s'agit d'une question majeure.

Enfin, nous sommes tous conscients du fait qu'une crise d'une telle ampleur, et si profonde, ne pourra être surmontée que par les Irakiens eux-mêmes et qu'elle nécessite une solution politique. Nous devons néanmoins apporter tout notre soutien aux populations civiles directement confrontées à une situation humanitaire catastrophique. Quelle est votre évaluation des besoins en Irak, à la fois au plan humanitaire et au plan militaire ? Je sais que vous avez assisté personnellement à une première livraison à Erbil. La commissaire européenne Mme Katalina Georgieva était également sur place. Comment l'Union européenne contribue-t-elle ?

Notre pays s'est mobilisé pour l'adoption, lundi dernier, d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies contre l'État islamique -, ainsi que sur la nécessaire coordination au plan européen. J'ai eu l'occasion de dire à quel point j'étais consternée et choquée par l'absence d'expression et d'action de l'Union européenne dans la crise irakienne début août. Selon vous, dans quelle mesure le Conseil « Affaires étrangères » extraordinaire qui s'est réuni vendredi dernier, à l'instigation de la France, permettra-t-il d'avancer ?

Il serait notamment utile que vous nous expliquiez où en sont nos principaux partenaires européens, en particulier l'Allemagne et le Royaume-Uni, dans leur réflexion sur l'aide qu'ils pourraient apporter aux populations en péril dans le Nord de l'Irak, à la fois au plan humanitaire et en matière de fourniture d'armes. Je sais que beaucoup soutiennent notre démarche, sans pour autant s'y associer.

La France, pour sa part, a annoncé qu'elle prenait des dispositions pour livrer rapidement des armes aux forces luttant contre l'État islamique, comme le demande le président du Gouvernement régional du Kurdistan irakien, M. Massoud Barzani. Où en sont nos partenaires sur cette question ?

Les livraisons d'armes aux combattants kurdes recueillent-elles le complet assentiment des autorités centrales irakiennes ? Le Président de la République a assuré qu'elles se faisaient avec leur total accord. Ne craignent-elles pas que ces livraisons encouragent les aspirations indépendantistes des Kurdes d'Irak ?

Vous nous ferez part également de votre appréciation sur la situation en Ukraine. Alors que les populations civiles souffrent de plus en plus des affrontements, des destructions et des combats qui se poursuivent en provoquant de nombreux morts, le président Porochenko a annoncé un changement de sa stratégie militaire qui consistait à encercler les villes pour se concentrer sur le contrôle des frontières. Sur le plan diplomatique, deux pays européens s'impliquent fortement, la France et l'Allemagne. Quel bilan tirez-vous des discussions à quatre engagées avec la Russie et l'Ukraine ? Quel rôle la France et l'Allemagne peuvent-elles y avoir ?

Par ailleurs, les sanctions économiques occidentales se mettent en place, provoquant des contre-sanctions russes qui atteignent durement nos agriculteurs, en particulier les producteurs de fruits et légumes.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - Messieurs les députés, Messieurs les sénateurs, c'est tout à la fois un plaisir et un devoir d'être devant vous quand il est besoin de vous apporter des informations, comme c'est le cas en cet été de toutes les crises. Dans le cadre qui nous est imparti aujourd'hui, sans doute n'aurons-nous pas le loisir de nous appesantir sur les raisons de la simultanéité de toutes ces crises. Mais il conviendra certainement d'y réfléchir, comme je me propose de le faire lors de la conférence des ambassadeurs la semaine prochaine, dans le cadre d'une analyse de la situation internationale plus poussée.

Mon propos introductif portera seulement sur l'Irak et l'Ukraine. Mais nous pourrons également aborder la question de la Syrie, de la Libye, de Gaza ou du Liban, beaucoup de pays où la France est traditionnellement présente et qui sont aujourd'hui le théâtre de développements meurtriers.

Le récent assassinat du journaliste américain James Foley montre à quel point le groupe que l'on appelle « l'État islamique » fait commerce de sa barbarie et de sa cruauté. James Foley était un homme remarquable ; sa mère avait été accueillie au Quai d'Orsay il y a peu. L'assassinat de son fils nous scandalise tous, et nous touche.

Sur l'Irak, je vous livrerai mon analyse sur le plan sécuritaire, puisque la situation militaire détermine tout le reste, mais aussi sur le plan humanitaire et sur le plan politique. Pour chaque niveau d'analyse, je vous indiquerai quelles sont les initiatives prises par la France et par l'Europe.

Sur le plan militaire, chacun est frappé de la rapidité extrême avec laquelle a opéré ce groupe dit de l'État islamique. Cette dénomination introduit à vrai dire une confusion, en mêlant le nom de l'islam à ces agissements. En arabe, ce groupe est parfois désigné par le mot daesh, tandis qu'au Royaume-Uni, c'est l'acronyme ISIS (Islamic State of Irak and the Levant) est employé. Quant à moi, je l'appelle le califat de la barbarie et de la terreur.

Il a effectué une percée foudroyante en se portant de Syrie en Irak, où il a défait l'armée régulière avec seulement quelques centaines de combattants. Cela tient à plusieurs raisons : non seulement il est extrêmement bien organisé, mais il a également pu s'appuyer, pour dire les choses un peu simplement, sur un certain nombre de sunnites modérés qui ne supportaient plus la présidence de M. Maliki, le précédent Premier ministre chiite, dont le comportement était unanimement jugé sectaire.

À ce soutien de sunnites modérés s'est ajouté celui de partisans du régime de Saddam Hussein, tandis que la faible combativité de l'armée irakienne a permis aux terroristes de s'emparer de son armement sophistiqué, récemment fourni par les Américains. Sans parler de prises de guerre considérables : à Mossoul, les terroristes ont trouvé 500 millions de dollars dans la succursale de la banque centrale irakienne implantée sur place. Pour mémoire, les attentats du 11 septembre 2001 à New York n'avaient « coûté » qu'un million de dollars...

Faisant fond sur son expérience à Raqqah, en Syrie, où il entretient une administration, le groupe de l'État islamique ne remplace effectivement pas les fonctionnaires qui lui font allégeance ; de fait, il se comporte comme un véritable État. Cela appelle réflexion, et invite à une approche nouvelle en matière de relations internationales, dans la mesure où les États traditionnels n'ont plus le monopole de la puissance, et d'autres groupes s'arrogent le privilège d'assurer les missions de police, de justice et de défense.

En prenant le contrôle du barrage de Mossoul, le groupe de l'État islamique a acquis une capacité extrême. Il présente deux caractéristiques spécifiques : d'une part, il est animé d'une idéologie particulière, prétendant instaurer un califat qui s'étendrait non seulement sur la Syrie et sur l'Irak, mais aussi sur la Jordanie, la Palestine et le Liban ; d'autre part, il emploie à dessein toutes les armes de la terreur pour ce faire. Allant au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser ses fins, aussi ignobles soient-elles, sa violence est pour lui avant tout un moyen de propagande, comme en témoignent les décapitations et les cas de crucifixion.

J'ai constaté moi-même cette volonté d'intimider et d'inspirer la terreur en me rendant personnellement en Irak. Dans ce jeu pervers, le groupe de l'État islamique cherche non seulement à faire peur, mais également à attirer à lui les apprentis djihadistes européens qui vont au plus offrant, en l'occurrence au plus cruel.

Par son organisation, ses méthodes et ses objectifs, ce groupe a fait montre d'une dangerosité bien supérieure aux autres et a pris, en quelques semaines, une ampleur considérable. Il a avancé vers le Nord, où il a pris le contrôle du territoire, mais aussi vers Bagdad ; il conserve en même temps la possibilité de se retrancher en Syrie, où il a été longtemps protégé, ne l'oublions pas, par le régime de M. Bachar El-Assad. Une partie de ses responsables, qui étaient enfermés dans les prisons syriennes, ont été libérés par Bachar El-Assad qui ne mène bataille contre l'EIIL que depuis peu : leur principal adversaire commun reste cependant les groupes d'opposition modérée en Syrie, qui demeurent à nos yeux le noyau d'une solution en Syrie, devenue du coup extraordinairement difficile.

Il fallait réagir, en concertation avec nos partenaires. À peu près au même moment, les États-Unis et la France se sont engagés. Les États-Unis ont envoyé leurs forces spéciales et conduit des bombardements ciblés de certains sites pour soulager les combattants kurdes et pour faciliter une contre-offensive. La France, à qui aucun bombardement n'était demandé, a déployé une action humanitaire et procédé à des livraisons d'armes aux peshmergas.

La carte sécuritaire s'est ainsi modifiée. Des villes au Kurdistan et le barrage de Mossoul ont été repris. Il n'était qu'à moitié plein heureusement, car si les eaux avaient été hautes, l'EIIL aurait été tentée de le faire sauter, ce qui aurait eu des conséquences épouvantables.

Mais même si la pression s'est un peu desserrée au Nord, la menace reste très forte. Les combattants de l'EIIL sont à quarante kilomètres d'Erbil et à cinquante kilomètres de Bagdad. La semaine dernière, la formule de ralliement qui circulait parmi eux était « la prière vendredi prochain à Bagdad ». Dans le même temps, une autre partie de leurs forces s'est repliée sur la Syrie, dont le statut est différent et qui n'est pas bombardée. Ils y ont rapatrié leurs armes et peuvent de là, à tout instant, se porter vers l'Irak, vers d'autres régions de Syrie, mais aussi vers la Jordanie, vers le Liban, voire l'Arabie saoudite ou ailleurs.

Après en avoir référé aux autorités irakiennes, nous avons livré des armes aux Kurdes, à leur demande. Sur ce point, à la suite de la réunion européenne tenue il y a quelques jours, une évolution paraît se dessiner, qui pourrait être très importante : pour la première fois, l'ensemble des États membres de l'Union européenne, y compris les pays neutres, ont accueilli positivement la décision de certains d'entre eux de fournir des armes. Cela est sans précédent. Il semble même que nos amis allemands s'apprêtent au demeurant à faire de même, ne s'interrogeant plus que sur le caractère létal ou non létal du matériel à livrer. La situation est donc bien différente de celle que nous avons connue pour le Mali, où notre démarche avait recueilli la sympathie de l'Allemagne ; mais hormis quelques gestes, notamment une aide en matière de transport, celle-ci avait toujours estimé que sa doctrine ne lui permettait pas d'aller plus loin.

Sur le plan humanitaire, la presse et les reportages ont montré les horreurs quotidiennes qui ne peuvent que secouer notre indifférence. La situation est aussi effrayante pour les communautés chrétiennes que pour la communauté yézidi, mais d'autres minorités sont également victimes d'exactions. Aussi ai-je apprécié que la plus haute autorité religieuse catholique, le pape, ait lui-même souligné que toutes les minorités sont concernées. Il faut en effet se garder de présenter la situation comme une confrontation entre deux grandes religions monothéistes.

Dans les secteurs où il sévit, l'État islamique met tout un chacun face à une menace simple : ou bien vous vous convertissez, ou bien on vous tue, avec application immédiate. Les populations ont dû fuir dans le djebel Sinjar ou jusqu'en Turquie, en passant par la Syrie. Des centaines de milliers de personnes sont déplacées, des dizaines de milliers ont été tuées.

À Erbil, ville moderne, avec ses gratte-ciel, ses dispensaires, ses écoles, beaucoup de réfugiés s'entassent qui sont partis sans même emporter un baluchon. Quant au comportement de l'EIIL à l'égard des femmes, il est proprement épouvantable : on les crucifie, on les décapite, on leur coupe la poitrine, on les viole. Elles sont considérées moins que des bêtes.

Nous avons mis en place des envois humanitaires et demandé à l'Union européenne d'organiser le « pont aérien européen de la solidarité » que le président Barzani appelait de ses voeux. Il se met en place avec le concours de la commissaire européenne en charge de l'humanitaire et celui de Mme Ashton, qui apportent un soutien non seulement financier, mais logistique. De premières livraisons ont eu lieu, d'autres suivront jeudi.

Quant à l'accueil des réfugiés, il ne s'agit pas d'une question facile. Encore moins que dans d'autres domaines, il ne faudrait pas ici céder au simplisme. Le Gouvernement français a pour objectif de permettre aux populations irakiennes de rester sur place, car ce serait une victoire totale pour le camp terroriste si toutes les populations menacées partaient pour l'étranger. Il faut donc faire le maximum pour qu'elles puissent rester chez elles. Mais une partie d'entre elles ne veut en aucun cas rester et il y a aussi des cas extrêmes, pour lesquels le maintien n'est en tout état de cause pas envisageable.

La France fait l'objet de nombreuses demandes et privilégiera les réfugiés qui ont un certain lien avec elle - il y en a beaucoup. Cela facilitera en effet leur accueil. Une instruction commune au ministère de l'intérieur et des affaires étrangères a été rédigée en ce sens et nous allons accueillir un certain nombre de gens dans les semaines qui viennent.

Les collectivités locales sont également bienvenues pour les accueillir. À cet effet, j'avais créé un organisme, le FACECO (Fonds d'action extérieure des collectivités territoriales) chargé de collecter les fonds des communes ou des départements qui pourraient être désireuses d'apporter leur secours. Je salue également le dévouement et le travail magnifique des associations.

Sur le plan politique, l'Irak est un pays qui se trouve en grande difficulté étatique. Dans la configuration actuelle, il est admis que la communauté chiite, majoritaire, est en droit de voir l'un de ses membres occuper le poste de premier ministre, tandis que la communauté kurde pourvoit à la présidence de la République et la communauté sunnite à la présidence de l'assemblée. Des tiraillements très forts se sont fait jour entre ces communautés, qui ont fait le jeu de l'EIIL.

Le Premier ministre Maliki a d'abord voulu se maintenir à son poste, mais l'ensemble de la communauté internationale a jugé que c'était impossible. Sur ce point, non seulement les États-Unis et l'Union européenne, mais aussi la Russie, les pays arabes et l'Iran, tous pays n'ayant pourtant pas l'habitude de travailler ensemble, étaient d'avis qu'il n'était pas possible de laisser des difficultés politiques aggraver encore la situation du pays. Aussi M. Maliki a-t-il été remplacé par M. Al-Abadi. Celui-ci jouit de toute notre confiance ; encore faut-il qu'il constitue son gouvernement, ce qui ne sera pas aisé, car la méfiance s'est désormais installée depuis longtemps, notamment entre les Kurdes et le gouvernement central. Quel sera l'avenir de la région kurde d'Irak ? Quels seront ses droits ? Un arriéré de plusieurs milliards d'euros reste aussi en attente de paiement et envenime les relations entre le gouvernement central et les Kurdes. Nous souhaitons que le nouveau gouvernement soit rapidement constitué et qu'il soit, comme on dit en anglais, « inclusif », car la situation exige un gouvernement de rassemblement.

Rien évidemment ne saurait se faire dans le dos du gouvernement central, à supposer même que cela soit possible, ce qui n'est pas sûr. Nous devons travailler ensemble tant aux livraisons d'armes qu'à l'organisation de convois humanitaires. Le président de la République a eu ainsi des contacts téléphoniques avec le premier ministre irakien, tandis que j'échangeais avec mes propres interlocuteurs.

Nous devons rester très attentifs aux développements concrets de la situation à Bagdad. On ne peut qu'être frappé par le fait qu'une ville comme Erbil, quoique remplie de réfugiés, a encore les moyens de se tenir, alors que Bagdad est une ville en état de siège, avec des tanks plus ou moins contrôlés à chaque coin de rue. Nous devons donc faire très attention à ce que va faire l'ennemi, et adapter notre action en conséquence.

Sur le plan international et européen enfin, nous avons pris des initiatives dans les différentes enceintes. Il n'est qu'à lire la presse internationale et les déclarations des autres pays - qui généralement ne sont pas toujours très tendres à notre endroit - pour constater que notre initiative a été saluée, et même s'il a fallu un peu « l'appuyer », notamment aux Nations unies, elle aura permis à la communauté internationale de se rassembler. Au sein de l'Union européenne, j'ai dû user d'un langage imagé pour faire comprendre à mes homologues que les délais ordinaires perdaient leur raison d'être devant une situation aussi exceptionnelle. Au cours de la réunion de vendredi, j'ai cependant eu le sentiment que mes collègues ne m'en voulaient pas, mais qu'ils étaient au contraire satisfaits de la tenue de cette réunion.

Sur le fond, des résultats utiles et positifs ont été obtenus. Un pont aérien a été décidé ; les pays prêts à livrer des armes ont été encouragés à le faire ; le nouveau gouvernement irakien a reçu un soutien unanime ; l'action entreprise contre l'EIIL reçoit enfin l'assentiment de toute la communauté internationale, non seulement de l'Union européenne, mais aussi des Nations unies, qui ont adopté une résolution mettant ses dirigeants hors la loi. Notre pays n'a donc pas à rougir de ce qu'il a fait.

Nous restons cependant loin du compte. Dans Le Monde de cet après-midi, le président de la République annonce une initiative de la France, sous la forme sans doute d'une conférence internationale. Il convient en effet de prendre des mesures communes contre l'EIIL, non seulement en coopérant tant dans le domaine du renseignement que dans le domaine militaire, et en lui coupant les ressources, mais aussi en menant une action sociale permettant de le détacher des soutiens qu'il a su se gagner dans la population.

Mais, contrairement à certaines idées reçues, on ne répond pas à l'appel de la France comme sur un simple coup de téléphone : il faudra travailler à ce que cette conférence, pour qu'elle soit efficace, réunisse l'ensemble des pays de la région, pays arabes mais aussi Iran, ainsi que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, dont la Chine et la Russie.

La dangerosité et la nature particulière de l'EIIL nous l'imposent. Faut-il rappeler que cette mouvance dissidente d'Al Qaida s'en est éloignée parce qu'elle jugeait cette organisation, selon ses propres termes, trop « molle » ? L'opinion publique française doit prendre conscience de ce danger qui menace non seulement la région, mais aussi l'Europe. Aux yeux des combattants de l'EIIL, il n'y a pas à l'Ouest des bons et des moins bons : nous sommes tous des gens à abattre, car la raison d'être de ce groupe est d'éliminer physiquement tous ceux qui ne se soumettent pas. Quand on se retrouve face à une telle situation, il faut prendre les moyens d'y répondre.

En Ukraine, la situation est évidemment tout autre. Je ferai seulement allusion aux développements les plus récents. Sur le théâtre d'opérations, alors que les séparatistes ont eu un moment le vent en poupe, les forces ukrainiennes ont désormais regagné du terrain. Elles assiègent les villes de Donetsk et Lougansk, au prix de très nombreuses pertes des deux côtés. La situation humanitaire y est dramatique : les vivres manquent, les gens mangent des rats, il n'y a plus ni eau ni électricité. Reste que, petit à petit, les forces ukrainiennes ont repris le dessus. Les forces séparatistes résistent cependant. Vous aurez noté que leurs deux chefs ont récemment changé. Mon collègue russe Lavrov m'assurait dimanche que ce remplacement était évidemment une affaire interne aux séparatistes. Cela tombe sous le sens... J'ai moi-même mon idée sur la question. Il n'en demeure pas moins que les séparatistes, bien qu'en difficulté, mettent à profit leur contiguïté avec la frontière russe pour bénéficier d'une alimentation permanente.

Cela fait l'objet de controverses. Certains assurent avoir observé des livraisons d'armes ou des passages de blindés venant de Russie, tandis que les autorités russes le nient, tout en reconnaissant la présence sur place de ressortissants à elles. En réalité, tout porte à croire que, dans cette partie du territoire, les choses circulent assez aisément.

Quoiqu'elle ait été peu médiatisée, la réunion qui a duré cinq heures dimanche dernier entre mes collègues allemand, russe, ukrainien et moi-même a mis en évidence que la question du cessez-le-feu, indispensable, ne peut être séparée de celle du contrôle des frontières ni de celle des perspectives politiques : tout cela forme un tout. Nous avons donc discuté, sans pouvoir à ce stade nous mettre d'accord, sur les conditions dans lesquelles les convois humanitaires pourraient passer, et sur les conditions d'un cessez-le-feu, d'un contrôle des frontières et d'une évolution politique.

Avec mon collègue et ami Steinmeier, nous avons beaucoup insisté pour dire que, même si l'Ukraine et la Russie sont des pays raisonnés, l'affrontement est tel et les haines ont pris une telle ampleur que personne ne peut être sûr de contrôler la situation : le moindre incident peut dégénérer et aboutir là où personne ne veut aller.

C'est la raison pour laquelle nous nous fixons quatre objectifs. Premièrement, le cessez-le-feu ; mais les conditions du cessez-le-feu ne sont pas séparables de la question du contrôle des frontières. Sur ce deuxième point, des avancées sont observables sur le contrôle de la partie de frontière qui dépend de l'Ukraine, mais pas encore dans la partie qui reste, si je puis dire, dans la zone russe. Troisièmement, il importe que les convois humanitaires puissent passer. Un premier convoi a été préparé, certains parlent de deux, mais il n'est pas certain que l'un n'ait pas servi de couverture à l'autre. En tout état de cause, les besoins humanitaires sont évidents, les Russes ont raison de le souligner. Encore faut-il les soumettre à un contrôle international pour éviter qu'ils ne servent, comme on dit vulgairement, de cheval de Troie.

Quatrièmement, se pose la question de la perspective politique. Les Russes reviennent sans cesse sur l'accord du 21 février et sur la nécessité d'un gouvernement d'union nationale et d'une décentralisation. Le 24 août sera célébrée la fête nationale ukrainienne. La chancelière Merkel se rendra la veille à Kiev. Une rencontre est prévue prochainement à Minsk avec le président Poutine, le président Porochenko, Mme Ashton et les représentants des pays voisins.

La France prône depuis le début une ligne qui semble recueillir un accord assez général : fermeté et dialogue. Fermeté, dans la mesure où nous ne pouvons admettre qu'un pays annexe une partie d'un autre pays en y envoyant son armée ou une partie de son armée ou des gens qui dépendent de son armée ; c'est la raison pour laquelle nous soutenons toute une série de sanctions. Dialogue en même temps, car l'histoire et la géographie sont ce qu'elles sont : non seulement la Russie a traditionnellement toujours eu des relations avec la France mais, qu'on le veuille ou non, elle est voisine de l'Union européenne. Et j'imagine que personne ici n'envisage de faire la guerre à la Russie.... L'objectif doit être de faire en sorte que l'Ukraine ait des relations apaisées avec la Russie comme avec l'Union européenne. Le rôle de la France est de tenir un discours de fermeté tout en cherchant à rapprocher les points de vue, ce qui n'est évidemment pas facile. Notre attitude reflète les deux objectifs fondamentaux de la politique extérieure de la France, à moyen et à long terme : la sécurité et la paix. Voilà les principes qui nous guident tant en Irak qu'en Ukraine. Dans ces deux régions, face à ces deux situations très différentes, j'ai le sentiment que le travail du Gouvernement de la République fait honneur à la France.

Mme Élisabeth Guigou, présidente. - C'est aussi mon opinion.

La parole est maintenant aux députés et aux sénateurs qui souhaitent vous interroger, et pour commencer aux porte-parole des groupes politiques.

M. François Fillon, député. - Je vous remercie, Monsieur le ministre, d'être venu devant nous en ce jour qui est aussi celui de votre anniversaire. Il y avait urgence, en effet, à informer la représentation nationale sur la situation au Proche-Orient, déjà dramatique et qui ne cesse de se dégrader, singulièrement en Irak. Nul doute que, dans ce contexte, l'engagement de la France est absolument nécessaire. Il l'est d'abord en raison de notre mission ancienne de protection des chrétiens d'Orient, que nous devons assumer pour défendre l'un des principes fondateurs de la République, la liberté religieuse et de conscience. Cet engagement est nécessaire aussi parce que nous ne pouvons être indifférents ni au martyre du peuple palestinien à Gaza ni à la sécurité d'Israël, non plus qu'à la déstabilisation des États et des frontières au Moyen-Orient, sous les coups de plus en plus violents des islamistes radicaux, question qui interpelle la communauté internationale dans son entier.

Face à la situation de l'Irak, la France a su réagir : vous avez été le premier ministre des affaires étrangères occidental à vous rendre sur place et notre pays apporte un soutien concret aux combattants kurdes ; nous aimerions d'ailleurs en savoir davantage sur la nature et le volume des matériels que nous leur livrons.

Le Président de la République évoque aujourd'hui dans une interview l'organisation d'une conférence internationale appelée à traiter de la menace que représente l'État islamique en Irak et au Levant. Nous soutenons cette idée. Saddam Hussein n'avait pas d'arme de destruction massive ; il en est une aujourd'hui en Irak : l'EIIL. Cela justifie la mobilisation de la communauté internationale. Il faudra en particulier trouver le moyen d'associer la Turquie et l'Iran à la conférence ; sans leur participation, elle n'aurait pas grand sens. Quels contacts avez-vous avec ces deux pays ? La conférence devrait d'autre part permettre la nécessaire clarification de la position du Qatar et de l'Arabie saoudite, dont chacun sait qu'ils alimentent pour partie certains des combattants.

Ma famille politique soutiendra les initiatives que le Gouvernement prendra pour organiser cette conférence. La voix de la France porte ; plus elle est entendue, plus les chances augmentent que la réunion se tienne.

Si la France a été réactive face au sort des chrétiens d'Irak, on ne peut en dire autant de l'Union européenne. C'est pourquoi Jean-Pierre Raffarin, Alain Juppé et moi-même avons appelé il y a quelques jours à la réunion immédiate d'un Conseil européen extraordinaire consacré à cette question. La gravité de la crise demande une prise de position commune et forte des chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne, et en particulier un engagement de l'Allemagne. Je ne suis pas de ceux qui critiquent la politique économique allemande. En revanche, je trouve matière à une critique de plus en plus vigoureuse d'une absence d'engagement sur des sujets internationaux qui concernent pourtant l'avenir de l'Europe, en laissant toute la responsabilité et tout le poids politique, militaire et financier aux autres États, la France et le Royaume-Uni en particulier. Je maintiens qu'un Conseil européen extraordinaire est nécessaire. Certes, un Conseil est prévu le 30 août mais, outre que c'est bien tard, il y a toutes chances pour que l'ordre du jour de cette réunion soit dominé par la question des nominations au sein de l'exécutif européen, si bien qu'une nouvelle fois l'Europe donnera le sentiment à l'opinion publique d'être plus préoccupée par son organisation interne que par l'état du monde.

J'aurais aimé m'en tenir au soutien que nous apportons à vos initiatives en Irak, mais je tiens à dire un mot sur la surprenante interview donnée aujourd'hui par le Président de la République au journal Le Monde. On y lit que si l'on avait bombardé les forces armées syriennes, les islamistes n'auraient pas leur puissance actuelle. Au passage, si, comme il est dit, il fallait associer la France aux frappes américaines en Syrie lorsque cette éventualité a été envisagée, pourquoi la question ne se pose-t-elle plus maintenant ? On apprend aussi que l'on a gagné la guerre au Mali, contrairement à ce qui s'est passé en Libye. Cette étrange comparaison laisse entendre qu'il aurait fallu déployer des troupes françaises au sol en Libye, une décision dont chacun mesure l'extraordinaire danger. On y lit enfin que le budget de la défense a été préservé, ce qui est faux - je l'ai démontré lors du débat sur la loi de programmation militaire.

En cet été de tous les dangers, il y a lieu de se féliciter de la mobilisation de la France en Irak. En revanche, l'interview du président de la République laisse transparaître une autosatisfaction que je ne partage pas.

M. Michel Destot, député. - Monsieur le ministre, je salue votre intervention de grande qualité et je me réjouis de l'engagement de la France, fort et reconnu, dans le dossier irakien.

Sur le plan humanitaire, de nombreuses ONG françaises redoutent une certaine inefficacité dans l'acheminement des secours, la coordination et la distribution des aides, en raison de la situation bien sûr mais aussi de l'immensité des besoins à satisfaire, car des millions de personnes déplacées et réfugiées sont soucieuses de recevoir l'aide internationale.

À propos de l'attitude de l'Allemagne, il se dit que votre homologue, M. Steinmeier, craint que les armes fournies aux peshmerga ne se retournent un jour contre l'État irakien. Cela contribue-t-il à expliquer la lenteur de la réaction allemande ?

Enfin, je ne partage pas le point de vue de M. François Fillon sur la Syrie. La communauté internationale n'aurait-elle pas mieux fait, à l'époque, de suivre la position de la France ? Cela n'a pas été le cas et, depuis lors, une évolution inexorable a eu lieu, telle que l'on en vient à craindre que les secours envoyés aux Kurdes et aux chrétiens d'Irak ne se fassent d'une certaine manière au détriment des opposants au régime de Bachar Al-Assad et au profit des djihadistes.

M. François Rochebloine, député. - Je vous remercie, Madame la présidente, d'avoir organisé cette audition. Je salue votre action, Monsieur le ministre, et le fait que vous vous soyez rendu en Irak, où votre visite a été particulièrement appréciée. Vous y avez rencontré de nombreuses personnalités politiques et religieuses, au nombre desquelles des évêques français, dont celui du diocèse de Saint-Etienne. Vous avez été à l'écoute de tous et vous avez avancé des propositions réalistes, envisageant notamment de louer des immeubles en construction pour abriter des personnes déplacées ; qu'en est-il précisément ? Sur le fond, musulmans sunnites et musulmans chiites, yézidis et chrétiens pourront-ils continuer de cohabiter en Irak ? Jugez-vous possible l'installation durable des chrétiens d'Irak au Kurdistan ? Quel est votre sentiment sur l'attitude du gouvernement turc, qui a longtemps fermé les yeux sur les activités des rebelles islamistes à sa frontière et sur les soutiens qu'ils recevaient en Turquie même ? Quels sont d'autre part les financeurs - personnes privées comprises - de l'État islamique ? Je me réjouis enfin que la teneur des dernières déclarations du Président de la République sur la situation en Palestine diffère des premières qu'il a faites lors du déclenchement des hostilités.

M. Noël Mamère, député. - Je vous remercie, Monsieur le ministre, d'être venu devant nous. Tout en saluant le travail du Gouvernement français, on a le sentiment d'une grande impuissance. La situation à Gaza, en Irak, en Syrie, en Libye et en Ukraine reflète le fiasco de la diplomatie. La communauté internationale est incapable de relever le défi qui se pose à elle après le chaos politique provoqué par l'invasion américaine de l'Irak. Ceux que l'on aurait pu aider d'emblée à combattre le régime de Bachar Al-Assad - qui a contribué, comme vous l'avez justement rappelé, à nourrir dès le berceau l'État islamique - ont été abandonnés. Les images diffusées par les chaînes de télévision suscitent l'effroi, et les armes que nous livrons aux peshmerga sont destinées à protéger non seulement les chrétiens d'Orient mais aussi les yézidis, minorité de culture zoroastrienne. Or les yézidis se plaignent que les peshmerga se sont enfuis lors des attaques menées par l'État islamique dans les massifs du Sinjar, les abandonnant à leur sort.

Sur le plan politique, que la communauté internationale fournisse des armes aux peshmerga me paraît être la moindre des choses, et je me féliciterais que l'Allemagne sorte de sa neutralité et contribue à cette aide avec le reste de l'Union européenne. Mais le Kurdistan s'étend aussi en Syrie et en Turquie. La question se pose de savoir s'il y aura un Kurdistan autonome ou indépendant. C'est dire que l'on ne peut envisager une conférence internationale qui se tiendrait sans la participation de la Turquie et sans que des discussions s'ouvrent, aussi, avec l'Iran qui alimente Bachar Al-Assad, responsable de 170 000 morts en Syrie.

Quel rôle la France et l'Union européenne peuvent-elles jouer dans la définition d'une solution politique globale ? Je suis de ceux qui pensent que nous n'avons pas à participer aux frappes aériennes américaines. Les États-Unis ont déjà déclenché le chaos en Irak, et nous n'avons pas à nous associer à une nouvelle entreprise non conforme au droit international.

C'est aussi l'État de droit que nous devons défendre en Ukraine. Pourtant, nous avons baissé les bras devant l'annexion de la Crimée, alors même que la communauté internationale avait défini des frontières considérées comme intangibles à la fin de la Deuxième guerre mondiale. Comment pouvons-nous agir pour inciter la Russie, qui n'est pas seulement représentée par M. Poutine, à adopter une politique en quelque sorte équidistante de l'Asie et de l'Europe au lieu, comme le fait son président, d'exalter le nationalisme ?

Enfin, il faut en finir avec l'amalgame par lequel on assimile ceux qui prennent la défense des populations civiles de Gaza contre l'État d'Israël à des antisionistes ou à des antisémites. Nous sommes une immense majorité en France à reconnaître le droit d'Israël à des frontières sûres et protégées. Mais la politique constante de notre pays, depuis le général de Gaulle, est aussi de soutenir le peuple palestinien et son droit à une existence digne dans un État de droit. Ce n'est pas faire offense aux Israéliens de le dire. Ce qui est en cours n'est pas une guerre religieuse mais une guerre coloniale, une guerre de territoire qui appelle une solution exclusivement politique.

M. Paul Giacobbi, député. - Je vous sais gré, Monsieur le ministre, de votre lucidité, qui vous a fait désigner ce « califat » comme le plus grand ennemi qui soit. Une évolution conceptuelle radicale a eu lieu : alors que le califat d'il y a mille ans était le symbole de la culture, de la science et de la tolérance, y compris à l'égard des autres religions, nous sommes confrontés aujourd'hui à un califat de la barbarie. La soudaineté du succès de l'État islamique n'est pas due qu'à une victoire tactique : d'une nébuleuse relativement primitive et désorganisée, Al Qaida, on est passé à une entreprise structurée, apte à conquérir toute l'Oumma, la communauté des croyants musulmans, quitte à tuer ceux qui n'acceptent pas d'y entrer. Autrement dit, la Bretagne est concernée elle aussi...

Des armes vont donc être livrées en Irak, mais à qui ? Souvent, de tels envois se retrouvent dans d'autres mains que celles qui avaient été souhaitées. Quand ces expéditions se feront-elles ? Et encore : s'agit-il, ou non, d'armes létales, d'équipements sophistiqués ? Enfin, qu'attend-on de ces fournitures d'armes ? Outre l'imposition de sanctions, dont l'efficacité est avérée, il existe trois manières de faire la guerre : avec des troupes terrestres, ce qui est exclu ; par des frappes aériennes, ce qui peut avoir un effet mais qui ne règle rien sur le plan politique comme on le voit en Libye ; en troisième lieu, en livrant des armes. Mais dans ce cas, quelle est la stratégie suivie, et comment se fera la coordination avec les frappes aériennes ?

M. Pierre Lellouche, député - Le consensus relatif à la politique menée par la France à propos de l'Irak dont a fait part notre collègue François Fillon était déjà perceptible dans la tribune publiée par Le Monde qu'il a cosignée avec MM. Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin - tous trois appelaient à la fourniture d'armes aux combattants kurdes et à la réunion d'une conférence internationale consacrée à la menace que représente la naissance du califat. J'espère que cet accord général renforcera la main de la France dans ce dossier très difficile.

J'ai appris à la lecture de l'interview effectivement surprenante du Président de la République que la France a livré des armes à des combattants syriens - ce dont, contrairement à ce que prévoient nos institutions, le Parlement n'a pas été informé. De quels types d'armes s'agit-il, à qui ont-elles été fournies, dans quel objectif et avec quel résultat ?

Vous avez fait état de ce que la participation éventuelle de la France à des bombardements américains en Irak « n'a pas été demandée ». À supposer que cette demande soit faite, y répondriez-vous favorablement et si oui, pour quelle raison maintenant, alors que nous n'en avons rien fait l'an dernier ?

Les chiffres publiés hier par l'Organisation des Nations Unies indiquent qu'il y a à ce jour 50 millions de personnes déplacées et 1,2 million de demandeurs d'asile dans le monde. Depuis le début de l'année, 60 000 migrants se pressent sur les côtes de l'Italie et quelque 10 000 Irakiens de confession chrétienne souhaiteraient rejoindre la France. Étant donné les innombrables crises en cours et cette considérable quantité de réfugiés, le gouvernement réfléchit-il à une inflexion de la législation européenne relative à l'immigration ? D'évidence, les accords de Schengen n'ont pas été pensés pour faire face à une situation que ni l'Italie ni la Grèce ne parviennent plus à contrôler et qui nous met nous-mêmes en grande difficulté.

M. Axel Poniatowski, député. - Je vous remercie, Monsieur le ministre, d'avoir répondu à notre demande d'audition, étant entendu que l'intérêt de celle-ci sera proportionnel à la précision de vos réponses. Vous n'avez pas souhaité dire quelles armes ont été livrées ; la presse, plus diserte, fait état de mitrailleuses dont elle détaille le calibre. Ces informations sont-elles exactes ? Des armes d'autres types ont-elles aussi été fournies ?

Il faut convenir que le basculement du rapport de forces en Irak s'est produit lorsque les frappes aériennes américaines ont commencé : c'est alors que les Kurdes, au sol, ont pu reprendre certaines villes. La France a-t-elle été sollicitée, soit par les États-Unis soit par les Kurdes, pour participer à ces frappes ? Si ce fut le cas, quelle réponse a été faite ?

Pouvez-vous enfin nous en dire un peu plus sur le « pont européen » d'aide humanitaire sur lequel les ministres des affaires étrangères européens se sont accordés ? Quel type et quel volume d'aide l'Union européenne apporte-t-elle aujourd'hui aux chrétiens d'Orient, aux Kurdes et aux Yézidis ?

M. Eduardo Rihan Cypel, député. - Face à la nouveauté radicale de la menace que représente l'État islamique, je salue les initiatives nécessaires prises par le Gouvernement ; elles sont à l'honneur de la France. La rapidité de l'avancée de l'État islamique au nord de l'Irak a surpris, mais le danger était connu depuis la prise de Falloujah, au début de cette année. Vous avez rappelé les actions à mener sur le plan sécuritaire et militaire ; la France y a pris sa part et je me félicite que les efforts du Gouvernement aient conduit à mobiliser l'Union européenne. L'évolution en cours au sein de l'exécutif irakien permettra-t-elle au nouveau gouvernement de rassemblement de jouer un plus grand rôle dans la lutte contre l'État islamique ? Quel est l'agenda diplomatique de la France avec les autres pays de la région, en particulier la Turquie, l'Iran, l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar ? On ne peut en effet imaginer une sortie de crise sans que les puissances régionales définissent leur position, notamment pour ce qui concerne le financement de l'État islamique. Enfin, peut-on envisager la fourniture d'armes au nouveau gouvernement irakien une fois qu'il sera stabilisé, en dépit de la fuite de certaines troupes gouvernementales devant l'avancée de l'État islamique - sachant que ce refus de combattre, qui a permis aux islamistes de récupérer des armes américaines, était certainement lié au blocage politique en Irak ?

M. Jean-Pierre Raffarin. - Les interventions des députés ayant été très complètes, les sénateurs seront brefs. Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour la qualité de votre intervention. J'ai apprécié la gravité de votre ton, qui dit notre révolte commune contre le commerce de la barbarie auquel nous assistons, et la lucidité qui vous a conduit à souligner qu'en dépit des initiatives déjà prises avec nos partenaires, nous sommes encore loin du compte. La France ne retrouvera son poids et son rôle international que si nous analysons les causes de la situation à laquelle nous sommes confrontés. Cette analyse doit conduire à un dialogue avec nos amis américains, qui ne sont pas innocents de tout cela. Le président Jacques Chirac avait eu la sagesse de dire en 2003 à l'administration de George W. Bush que la guerre que les États-Unis s'apprêtaient à mener en Irak était inutile et dangereuse. Et, par la suite, l'appel constant des Américains à fonder l'avenir de l'Irak sur un partage du pouvoir fondé sur le confessionnalisme a conduit à une impasse.

Les initiatives annoncées par le Président de la République sont à la hauteur de l'enjeu, mais il serait utile d'organiser une consultation politique sur la nature de la conférence internationale envisagée, à laquelle l'Iran et la Turquie, pays directement concernés, doivent être associés. Organiser un tel tour de table, qui ne ferait peut-être pas consensus dans les pays occidentaux mais qui serait nécessaire pour résoudre la crise, serait l'occasion pour la France, dans sa singularité dérangeante, de signaler un retour à la conception gaullienne de son rôle.

Mme Nathalie Goulet. - Dans ce dossier, la Turquie fait montre d'une extraordinaire ambiguïté. Quel rôle, par ailleurs, peut être attribué à l'Arabie saoudite tant en Irak qu'en Syrie ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam- Je vous suis reconnaissante, Monsieur le ministre, d'avoir accepté cette audition, et aussi de vous être rendu en Irak. Comme mes collègues, j'approuve l'initiative du Président de la République tendant à réunir une conférence internationale. Je fais partie des cinquante-huit parlementaires qui, le 24 juin, ont écrit au Président de la République pour lui demander que la France prenne l'initiative, au Conseil de sécurité de l'ONU, d'un projet de résolution tendant à la création d'une force d'interposition en Irak. Je sais les fortes réticences que suscite cette idée, mais les populations nous le demandent instamment et la France devrait porter ce message.

M. Serge Janquin, député. - Vous l'avez souligné, Monsieur le ministre : il est essentiel d'analyser les raisons de la simultanéité de ces crises. J'apprécie l'action que vous menez depuis votre prise de fonction ; pour ce qui concerne la Syrie, elle est dans la continuité de ce qu'avait entrepris M. Alain Juppé, mais, de tergiversations en volte-face, on a gâché des occasions désormais irrattrapables et le califat est maintenant installé. Dans ce contexte, imagine-t-on vraiment pouvoir en revenir à la situation antérieure, qui résultait elle-même d'accords controversés passés il y a très longtemps, ou faut-il s'attendre à l'émergence d'une nouvelle carte territoriale des États du Moyen-Orient ? En d'autres termes, doit-on considérer que nous allons contenir ce califat barbare, ou voulons-nous nous donner les moyens de l'éradiquer ?

M. Alain Marsaud, député. - Nous sommes parfois trop discrets sur nos succès diplomatiques. Ainsi, dans la nuit du 31 juillet au 1er août, la frégate Montcalm et nos forces spéciales ont évacué de Tripoli nos diplomates, ainsi que des Français, des Tunisiens et des Libyens. La nécessité de cette opération montre que nous avons peut-être commis une erreur historique en intervenant en Libye, mais j'ai le sentiment que M. François Hollande a été tenté de commettre semblable erreur il y a un an en envisageant de bombarder la Syrie, même si le régime de M. Bachar Al-Assad est haïssable. Tous ces pays sont en danger, et le prochain sur la liste peut être le Liban. Le djihadisme, que M. Dominique de Villepin a qualifié à raison de « fascisme islamique », est le phénomène le plus dangereux à l'oeuvre sur la planète. Dans ce contexte, le temps n'est-il pas venu pour la France d'un renversement d'alliances ? Pour faire la guerre aux djihadistes, ne faut-il pas se réconcilier avec l'Iran et « lever le pied » dans les actions menées contre M. Bachar Al-Assad ? À ce sujet, on apprend que le Président de la République a armé l'opposition au gouvernement syrien ; on aimerait savoir de quelle opposition il s'agit.

Mme Valérie Fourneyron, député. - Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour la qualité de votre intervention, dont la gravité souligne la justesse de l'action déterminée menée par la France pour combattre la barbarie - illustrée par la mise en scène abjecte de la décapitation de James Foley - exercée par l'État islamique sur les minorités d'Irak. Certes, le gouvernement de M. Al Abadi n'est pas encore constitué ; mais quelle analyse faites-vous du risque d'un nouveau découpage territorial et des conditions qui doivent être remplies pour que l'unité prévale en Irak ?

Dans un premier temps, l'Union européenne a réagi assez lentement, et en ordre dispersé. Mais un Conseil européen se tiendra le 30 août, et la décision unanime d'établir un « pont humanitaire européen » vient d'être prise. Quels moyens y seront consacrés ? Depuis le début de la présidence de M. François Hollande, la France fait beaucoup au nom de la solidarité internationale, au Mali, en Centrafrique, et maintenant en Irak. Comment cet effort est-il pris en compte par l'Union européenne au moment d'évaluer notre déficit public et le respect des critères du pacte de stabilité ?

M. Christophe Guilloteau, député. - Au contraire de ce qui a prévalu au Mali et en Centrafrique, j'ai le sentiment qu'en Irak la France arrive après les autres, et surtout après les États-Unis. Quelles armes avons-nous fournies ? De quels stocks ont-elles été soustraites - celui du ministère de la défense ? Par quel budget ces envois seront-ils financés ?

Mme Chantal Guittet, députée. - Les questions que je souhaitais vous poser, Monsieur le ministre, l'ayant déjà été, je me limiterai à vous remercier pour votre présence.

M. Jean-Jacques Guillet, député. - Aucune solution politique n'est envisageable en Irak si l'Iran n'intervient pas de quelque manière - on en a eu la preuve quand ce pays a pesé de tout son poids en faveur du départ définitif de M. Nouri Al-Maliki. Or le cycle de négociations en cours sur le nucléaire iranien semble évoluer positivement ; la crise irakienne peut-elle avoir une incidence sur cet autre dossier ?

D'autre part, le gouvernement libanais a appelé à l'aide, demandant que le contrat de fourniture d'armes françaises conclu avec l'aide de l'Arabie saoudite soit honoré sans tarder ; a-t-on abouti ?

M. Jacques Myard, député. -  Monsieur le ministre, je ne sache pas que nous ayons converti le reste de la planète monde aux congés payés à la française ; il n'est donc pas particulièrement étonnant que de nombreux événements se produisent dans le monde en août comme pendant les autres mois. Quelles armes sont livrées et à qui, et quels contrôles permettent de s'assurer qu'elles ne tomberont pas entre de mauvaises mains ?

Si l'on s'en tient à l'adage bien connu selon lequel « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », est-on certain, au vu de la situation actuelle, que la politique conduite dans la région ait été judicieuse ? Il faut faire revenir l'Iran dans le jeu diplomatique et s'interroger sur la validité de la politique que nous menon à propos de la Syrie. Dans un autre domaine, savez-vous qui, véritablement, a abattu le vol MH17 de la Malaysia Airlines à l'est de l'Ukraine ?

Mme Élisabeth Guigou, présidente. -  Il se passe en effet beaucoup de choses en août aussi. Il n'empêche : si l'on excepte la réunion du 30 août 2006, c'est la première fois que la gravité des événements aura pour effet que la commission des affaires étrangères se réunira par deux fois en ce mois.

Mme Odile Saugues, députée. - La création d'un État kurde, que l'Iran redoute, peut-elle se produire ? Ne pas associer à la conférence internationale annoncée l'Iran - qui a finalement apporté son soutien à la nomination de M. Al-Abadi à la tête d'un nouveau gouvernement irakien - pourrait avoir des conséquences dramatiques.

M. Gilbert Roger. - Je regrette que nous n'ayons pu débattre de la situation à Gaza et j'espère qu'une audition à ce sujet sera organisée au Sénat. Monsieur le ministre, quelle action diplomatique est menée visant à clarifier les interventions logistiques et financières prêtées à l'Arabie saoudite et au Qatar ?

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - Mesdames, Messieurs, je remercie ceux qui ont posé des questions... et ceux qui n'en ont pas posé. Contraint de respecter des limites de temps, je ne pourrai répondre à chacun en détail, mais nous aurons cependant l'occasion de nous revoir.

M. Fillon a bien voulu prononcer des paroles positives et aimables sur l'action du gouvernement français en Irak et je l'en remercie, comme tous ceux qui ont fait de même. C'est important : pour que nous soyons forts, nous devons être en effet unis. Je vous avoue que je m'étais interrogé en découvrant, dans un article d'un grand journal du soir, une appréciation que je n'avais pas perçue comme une approbation franche et massive, dans la mesure où elle parlait en conclusion d'un « déshonneur pour la France ».

MM. François Fillon et Pierre Lellouche, députés. - D'un risque de déshonneur !

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - C'est donc qu'il a été évité... J'en déduis, comme l'a excellemment dit M. Fillon, que la France a su réagir en Irak et c'est tant mieux.

Nous ne pourrons faire la liste des raisons de fond qui ont fait de cet été un été de toutes les crises. Mais je voudrais vous livrer d'ores et déjà quelques éléments sous la forme de coups de projecteur.

Nous vivons une dépolarisation du monde. D'un monde bipolaire, où l'Union soviétique et les États-Unis à eux deux contrôlaient les crises, la chute du Mur de Berlin nous a fait d'abord passer à un monde unipolaire où la puissance américaine faisait à elle seule la pluie et le beau temps. Mais aucune puissance, même par un jeu d'alliances stables, ne peut plus désormais maîtriser toutes les crises. Si nous aspirons à un monde multipolaire organisé, force est de constater qu'aujourd'hui nous vivons désormais dans un monde « zéro-polaire ». Cela explique que les crises puissent se propager sans être maîtrisées, puisqu'il n'y a plus aucune puissance en mesure de le faire.

Deuxième élément d'explication, l'éclatement de la puissance a plusieurs facettes : de nouveaux États revendiquent une place accrue ; les États eux-mêmes ne détiennent plus le monopole de la force - certains d'entre eux, telles la Libye et la République centrafricaine, n'en ont plus que le nom ; à l'inverse, certains groupes s'arrogent des pouvoirs quasi-étatiques. Ce n'est certes pas un hasard que le groupe de l'État islamique se soit choisi ce nom. Tout cela introduit la confusion et la bigarrure dans la société internationale, où se mêlent désormais des notables, des nouveaux riches, des mafias, des milices, des groupes interlopes... Cet éclatement de la puissance paralyse les mécanismes traditionnels de sécurité collective, notamment le Conseil de sécurité des Nations unies. Pour résumer, nous nous retrouvons face à davantage de forces à contrôler et avec moins de forces pour les contrôler.

Troisième élément de fond : la dispersion de la capacité destructrice. Cela vaut sur le plan nucléaire, ce qui fait toute l'importance des discussions engagées avec l'Iran. Mais, au-delà, certains groupes ou individus peuvent désormais eux aussi acquérir, projeter et amplifier leurs propres capacités destructrices. J'ai pris tout à l'heure l'exemple des attentats du 11 septembre 2001, réalisés avec des moyens relativement limités mobilisés. Imaginez de quoi est capable aujourd'hui un groupe tel que l'État islamique, avec les capacités financières et technologiques dont il dispose ?

Autant d'éléments de fond auxquels viennent s'ajouter des éléments spécifiques propres à certaines régions comme l'Afrique et le Moyen-Orient, dont l'accumulation et la multiplication produisent les résultats que nous observons. Au Moyen-Orient, le conflit israélo-palestinien sans cesse recommencé nourrit un terreau d'affrontements permanents, dont Gaza est aujourd'hui le théâtre. Il constitue comme une plaie ouverte, qui entretient un climat délétère. Le clivage entre sunnites et chiites, doublé de rivalités internes, joue également un rôle déterminant, en induisant des affrontements mais aussi des jeux ambivalents, sinon carrément ambigus. Quant aux printemps arabes, à l'origine facteurs d'espérance, ils ont placé plus d'un pays devant un dilemme impossible : ou bien la dictature, ou bien le terrorisme, alors que la seule bonne solution, malheureusement très difficile à accoucher, reste dans une opposition modérée, inclusive et ayant vocation à garder un pays uni.

Il faut déplorer également les contradictions, les faiblesses et les excès de la communauté internationale et de quelques-uns de ses dirigeants. Dans ce contexte, les interventions militaires se révèlent parfois justifiées, parfois malencontreuses. Ajoutons que rarement elles sont suivies de l'accompagnement politique indispensable - on l'a vu en Libye.

Enfin, le fossé entre la pauvreté persistante des peuples, qui contraste avec l'insolente richesse de certains dirigeants, ajoute les crises aux crises et nourrit le simplisme mortifère et connecté du nouveau terrorisme, qui constitue une menace terrible pour les pays de la région, mais aussi pour nous-mêmes et pour le monde.

Pour explorer les raisons de fond des crises, c'est tout cela qu'il faut avoir à l'esprit : les explications générales et les facteurs spécifiques - la situation n'est pas la même au Moyen-Orient et en Afrique - si l'on veut accoucher d'une vision tout à la fois utile et positive.

Plusieurs d'entre vous sont revenus sur l'idée lancée par le Président de la République d'une conférence internationale à propos de l'Irak et de la sécurité. Il n'a, à juste titre, pas fixé de date, car il s'agit d'une affaire difficile à monter, puisque personne ne peut être obligé de faire le déplacement. En premier lieu, les autorités irakiennes doivent donner leur point de vue.

Dans notre esprit, si cette conférence doit avoir lieu, elle doit être extrêmement large, incluant tous les pays de la région, mais aussi les cinq membres permanents du Conseil de sécurité. À la différence de certains d'entre vous, je ne pense cependant pas qu'il faille entrer dans une logique d'échange, en considérant par exemple que la question du nucléaire iranien serait réglée au motif que l'Iran participerait - ce qui est indispensable - aux discussions. Les deux problèmes sont de nature différente et il serait dangereux d'entrer dans un système où l'on échangerait une chose contre une autre.

En Turquie, le président nouvellement élu, qui devrait bientôt désigner, à en croire les gazettes, mon actuel collègue des affaires étrangères comme Premier ministre, prendra position prochainement. Il a annoncé qu'il entendrait reprendre le problème à nouveaux frais, comme cela se fait parfois à l'occasion d'un nouveau mandat. De mes contacts fréquents avec mon collègue turc, j'ai retiré l'impression que l'attitude de la Turquie vis-à-vis des Kurdes est beaucoup plus ouverte que ce qu'elle fut à d'autres époques, et que les Turcs ont très bien compris la menace que constituait l'État islamique.

Les Kurdes étant présents dans de nombreux pays, la question kurde est emblématique du problème des frontières. Faut-il ou non les garder ? L'époque est révolue où la solution était dictée de l'extérieur, lorsque quelques pays se permettaient de tracer les frontières et de redessiner la carte. Cela a fonctionné au moment de la décolonisation, mais aujourd'hui, quel pays, aussi puissant soit-il, pourrait agir ainsi ? Ce n'est plus possible. Personnellement, je me garderais de crier « À bas les frontières ! Vive la nouvelle donne ! ».

Où irait-on en effet si chaque communauté ethnico-religieuse devait avoir son propre État ? Pour commencer, il y aurait bien plus que 190 États aux Nations unies. Mais, au-delà, on imagine ce que cela signifierait non seulement au Moyen-Orient, mais aussi en Afrique, avec sa mosaïque d'ethnies, ou en Russie, ou même dans l'Union européenne... Certaines frontières sont sans doute contraignantes : des irrédentismes se font jour, des autonomies qu'il faut savoir reconnaître, des décentralisations qu'il faut savoir pousser. Mais de là à abattre les frontières et que cent fleurs jaillissent avec quatre cents États dans le monde, ce serait créer un facteur de guerre particulièrement puissant.

Toute la question en Irak est de trouver entre chiites, Kurdes et sunnites un modus vivendi où chacun se sentirait à l'aise. Nous n'en sommes malheureusement pas du tout là, et c'est ce qui explique que le conflit s'y soit propagé comme une flamme dans les broussailles. J'ai abordé le sujet avec M. Barzani, président du Kurdistan : la France n'est pas favorable à un éclatement de l'Irak. Elle défend au contraire l'intégrité et l'unité des États, mais celle-ci n'est possible qu'au prix d'une certaine souplesse, d'une décentralisation et d'une attitude compréhensive vis-à-vis des minorités.

Plusieurs d'entre vous ont jugé insuffisante l'action de l'Union européenne. Au cours des deux dernières années, force est de reconnaître que si l'appui qu'elle a apporté aux initiatives françaises a été moralement impeccable, il est sur le plan pratique resté souvent limité et tardif... Mais cette fois-ci, et nous avons travaillé pour cela, tout porte à croire que l'attitude sera très différente. Fait sans précédent, l'Union européenne en tant que telle appuie les livraisons d'armes. Elle prend également en charge les aspects humanitaires. La commissaire Georgieva, en charge de ces questions, était hier à Erbil et à Bagdad pour coordonner son action avec celles des autorités locales ; un pont aérien a été décidé le 15 août et la Commission européenne a dégagé 5 millions d'euros supplémentaires, qui se sont ajoutés aux 12 millions d'euros déjà mobilisés. Ces efforts se conjuguent à ceux du pont humanitaire décidé par le Bureau humanitaire des Nations unies, dont l'objectif est de répondre aux besoins de 1,4 million de personnes.

M. Pierre Lellouche, député -. À peine plus de 10 euros par personne...

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - Même si c'est toujours insuffisant, les choses avancent. Mais le point le plus significatif me paraît être l'évolution qui semble se dessiner du côté de nos collègues allemands. Il ne faudrait pas être injuste vis-à-vis de mon collègue et ami Frank-Walter Steinmeier. Il s'est lui-même rendu à Bagdad samedi et m'a annoncé à son retour qu'il pensait que l'Allemagne devrait déroger à son habitude et livrer du matériel militaire. Elle ne l'a jamais fait jusqu'à présent, en vertu de principes qui l'autorisent à fournir une aide en matière de transport, mais lui interdisent de fournir des armes, a fortiori des armes létales. Sur la différence entre armes létales et non létales, je renverrai à l'étymologie latine : les unes donnent la mort, les autres non. Les gilets de protection et les jumelles de vision nocturne entrent dans la deuxième catégorie, les véhicules blindés dans la première...

Si cette évolution, comme il le semble, se confirmait, nos amis allemands seraient entrés dans une phase nouvelle, où ils ne se borneraient plus à soutenir les interventions d'autres États en cas de conflit, mais seraient également prêts à s'y engager plus directement.

D'autres questions m'ont été posées. Je n'ai jamais caché que des livraisons d'armes, conformes aux engagements européens, aient été effectuées en Syrie.

M. Pierre Lellouche, député. - Que des livraisons aient eu lieu, oui, mais non des livraisons d'armes !

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - Si ! Que cela ait été dit ou non, elles ont en tout cas eu lieu au profit de l'armée syrienne libre.

Pour ce qui est de l'Irak, je ne vous livrerai pas de liste détaillée des matériels fournis, ce n'est pas mon rôle. En liaison avec les autorités irakiennes, les autorités kurdes ont formulé des demandes. Nous en avons honoré une partie. Nous voulons permettre aux peshmerga, peut-être demain aux Irakiens, de se défendre, de contre-attaquer et de vaincre le camp adverse - car c'est bien de cela qu'il s'agit : nous ne sommes pas dans un jeu de Monopoly...

J'ai rencontré le commandant en chef des peshmerga, qui m'a exposé qu'une grande partie de son matériel datait de la guerre Iran-Irak. Les peshmerga sont des combattants très courageux - leur nom signifie « qui combat la mort »-, mais leurs fusils de type traditionnel ne font pas le poids devant le matériel sophistiqué américain récemment subtilisé.

Le ministre de la défense vous en dira davantage. Je relève seulement que l'EIIL n'a jusqu'à présent pas fait usage des armes sol-air dont elle s'est emparée. De toute évidence, ses membres ne savent pas s'en servir. Le fait qu'elles soient en leur possession reste néanmoins un gros problème.

D'une manière générale, tant en Syrie qu'en Irak, nous prenons nos dispositions pour livrer des armes à des groupes assez sûrs pour qu'elles ne soient pas susceptibles de tomber dans des mains adverses.

M. François Fillon et plusieurs autres orateurs ont évoqué la situation en Libye et en Syrie. Sur ce sujet, nous sommes en désaccord. Lorsque, presque immédiatement après notre arrivée au pouvoir, s'est tenue, le 30 juin 2012, la première conférence de Genève, il n'y avait en Syrie ni le Hezbollah, ni troupes iraniennes, ni groupes terroristes. La seule question qui se posait alors était de savoir quel pays accueillerait M. Bachar Al-Assad, puisqu'il allait tomber- ce n'était encore qu'une petite révolte : n'oublions pas que cela a commencé avec quelques jeunes dans un coin. Et cela a été traité de telle sorte que nous en sommes aujourd'hui à 170 000 morts...

Dès la première réunion des Amis de la Syrie, en juillet, nous avons dit qu'il fallait miser sur l'opposition modérée - celle qui voulait une Syrie unie, laïque et diverse - et l'aider. À l'époque, des discussions avaient lieu entre la France, la Turquie, le Qatar, l'Arabie saoudite, le Royaume Uni et les États-Unis, les Américains jouant un rôle décisif. Or je vous invite à vous reporter aux Mémoires de Mme Hillary Clinton et à la passionnante interview qu'elle vient de donner à l'Atlantic Monthly : elle considère que les États-Unis ont commis une erreur en ne soutenant pas l'opposition syrienne modérée. Personne évidemment ne peut refaire l'histoire, mais je suis convaincu qu'il aurait suffi d'un coup de boutoir à ce moment pour que l'opposition modérée l'emportât. Ensuite seulement sont arrivés en Syrie le Hezbollah, les Iraniens et les groupes terroristes - ces derniers étant pour une grande part une fabrication de M. Bachar Al-Assad en personne : se sentant politiquement menacé par l'opposition modérée, il a suscité la création de ces brigades en remettant en liberté des fondamentalistes qui en sont devenus les dirigeants. Il aurait fallu, dès le début, comme nous le souhaitions, appuyer l'opposition modérée, mais cela n'a pas été fait.

Dans ses Mémoires, Mme Clinton rappelle aussi que le Président Obama avait défini une ligne rouge, franchie lorsqu'il fut avéré que M. Bachar Al-Assad avait utilisé des armes chimiques, tuant des centaines de Syriens. Une sanction a alors été décidée, qui devait être une frappe aérienne - celle-ci, au dernier moment, n'a pas eu lieu, le président russe indiquant avec une grande habileté que les armes chimiques syriennes dont, la veille encore, il niait l'existence, seraient détruites. Et qui peut imaginer que le renoncement aux frappes aériennes annoncées ait été sans incidence sur l'appréciation par M. Poutine de la détermination dont ferait preuve tel grand pays si la Russie agissait ensuite d'une certaine manière ?

J'entends dire maintenant que la situation en Syrie est tragique et que la France aurait dû agir autrement. Aurait-elle donc dû soutenir M. Bachar Al-Assad ? Alors que trois camps s'affrontaient - un dictateur, des groupes terroristes et une opposition qui voulait un pays uni et laïque - qu'aurions-nous dû faire ?

M. Alain Marsaud, député. -  Nous abstenir !

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - Certes... La politique étrangère française est partagée entre deux tentations. La première est la tentation neutraliste ; mais comment prétendre être un pays influent si, à chaque fois qu'un engagement est nécessaire, on s'y refuse ? L'autre tentation, qui ne concerne personne ici, c'est l'agitation. Pour ma part, je penche pour une attitude volontaire et raisonnée. Le problème se pose à nouveau aujourd'hui : puisque l'État islamique, califat oblige, considère que Syrie et Irak forment un tout, il est très difficile d'avoir une position à propos de l'Irak, et pas sur la Syrie. Quand nous évoquons cette question avec nos partenaires, ils répondent que la Syrie n'est pas dans le champ d'intervention. Certes, mais le cartésianisme n'est sans doute pas le fort de M. Al-Baghdadi.

M. Alain Marsaud, député. - C'est pourquoi il faut un renversement d'alliances.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. - Je veux maintenant rassurer M. Destot : des dispositions pratiques ont été prises pour que l'aide apportée soit efficace.

J'ai évoqué la position de l'Allemagne et rendu hommage à mon collègue Frank-Walter Steinmeier.

J'ai en effet rencontré des dignitaires religieux en Irak, Monsieur Rochebloine. Au cours de ces entretiens émouvants, ils ont fait état de deux positions au moins au sein de la population des chrétiens d'Irak. Pour les uns, il est inconcevable que l'essentiel des populations minoritaires quittent le pays : cela signifierait que l'État islamique serait parvenu à ses fins. Mais deux de ces religieux expliquaient que certains - parmi les chrétiens en particulier - disent ne plus pouvoir vivre aux côtés de ceux qui ne les ont pas défendus lors de l'arrivée de l'État islamique. Ce sont là des paroles particulièrement dures à entendre. J'avais certaines idées sur la question quand je suis arrivé en Irak, mais il faut savoir écouter ceux qui vous parlent. L'ayant fait, j'ai recommandé au Président de la République de dire qu'il faut maintenir sur place le plus grand nombre possible de membres des minorités d'Irak, mais que dans certains cas cela ne se peut, et qu'il faut alors favoriser l'accueil de ceux qui ont déjà des liens avec la France. Même si l'on espère que les différentes communautés irakiennes réussiront à revivre ensemble, on ne peut s'en tenir à une vision idéaliste de la situation. Il est exact, d'autre part, que les représentants de la communauté yézidie se plaignent que l'on ne fasse pas pour eux ce que l'on fait pour d'autres. Nous devons nous préoccuper de l'ensemble des communautés menacées.

En résumant la politique diplomatique de la France en un mot - fiasco - M. Noël Mamère m'a semblé faire une analyse tout à la fois rapide et injuste ; j'ai essayé d'expliquer les raisons objectives de la situation actuelle. Le temps me manque pour traiter au fond de la situation à Gaza, mais je le ferai volontiers en une autre occasion.

Si nous fournissons des armes aux peshmerga, Monsieur Giacobbi, c'est que nous ne voulons pas qu'ils se présentent la poitrine nue devant leurs adversaires, qui sont aussi les nôtres.

Les Américains ne nous ont pas demandé d'accompagner leurs frappes aériennes, Monsieur Lellouche ; quoi qu'il en soit, nous nous sommes fixé une règle : nous nous en tenons en ce domaine à ce qu'autorisent les résolutions du Conseil de sécurité.

M. Poniatowski a jugé que ce sont les frappes aériennes américaines qui ont fait basculer la situation. Nous avons soutenu la démarche des Américains, mais nous n'avons pas à rougir de ce que nous avons fait - et ce n'est pas parce que l'on approuve ce que font les États-Unis que l'on doit désapprouver ce que fait le Gouvernement français, en cette manière comme dans les autres.

Monsieur Rihan Cypel, nous allons préparer la conférence sur la sécurité en Irak. Pour sa part, le Président Obama a prévu de présider fin septembre une réunion spéciale du Conseil de sécurité de l'ONU consacrée à la menace que font peser les djihadistes étrangers en Syrie et en Irak. Nous avons de bons contacts avec le nouveau Premier ministre irakien, mais le gouvernement n'étant pas encore formé, nous n'en sommes pas à lui fournir des armes qui, à ce jour, ne nous ont pas été demandées.

J'ai indiqué, Monsieur Raffarin, quelques pistes d'analyse des causes de la situation à laquelle nous devons faire face, mais elles ne sont pas exhaustives. Je partage votre opinion sur la nécessaire composition du tour de table qu'il faudra réunir, autant qu'il sera possible, pour que la conférence aboutisse, sans que cela signifie pour autant l'abandon de nos positions sur d'autres sujets.

Madame Goulet, il ressortait de mes entretiens fréquents avec mon homologue saoudien qu'aussi longtemps que M. Al-Maliki se maintiendrait au pouvoir en Irak, il serait extrêmement difficile de demander aux sunnites modérés de couper avec l'État islamique. On l'a vu : il ne pourra y avoir en Irak de victoire uniquement militaire.

Je pense avoir répondu aux questions de M. Janquin.

M. Marsaud a eu une phrase que je proposerais volontiers de reprendre en introduction de chacune de nos séances : nous sommes trop discrets sur nos succès diplomatiques... Je l'ai notée sous votre dictée, Monsieur le député, impressionné par votre sagesse - tout au moins sur ce point ! Vous avez souligné à raison l'action remarquable menée par la frégate Montcalm en Libye. Votre proposition de renversement d'alliances qui nous conduirait à avoir pour alliés principaux l'Iran et M. Bachar Al-Assad témoigne certes d'une grande audace ; mais si l'action diplomatique a parfois besoin d'audace, elle exige également de la sagesse. Votre proposition mérite à tout le moins quelques instants de réflexion supplémentaires...

L'Union européenne, Madame Fourneyron, n'a pas souhaité occulter le geste de la France, ni au Mali ni ailleurs, en abordant de tristes considérations financières... Mais nous sommes tout comme vous des gens de labeur et, tout comme vous, nous considérons qu'il est très aimable de nous complimenter mais qu'il ne serait pas mauvais de prendre en compte les frais que ces actions occasionnent...

M. Guilloteau a exprimé en d'autres termes une idée assez semblable à celle de M. Marsaud, expliquant que nous serions arrivés après les autres ; curieusement, j'ai plutôt l'impression inverse.

M. Guillet est favorable à un rapprochement avec l'Iran. M. Myard l'est également, mais il souhaite aussi que nous nous rapprochions de Bachar Al-Assad ; j'ai pourtant le sentiment que celui-ci n'est pas totalement étranger au développement de l'État islamique... Soutenir le premier pour combattre les seconds n'est pas si évident qu'il y paraît.

Je pense avoir répondu à Mme Saugues.

Pour finir, M. Roger m'a posé la question de toutes la plus facile : quel rôle jouent, dans cette affaire, le Qatar et de l'Arabie saoudite ? Le cardinal de Retz disait que l'« on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment » ; dans le cas qui nous occupe, ce serait une très bonne chose qu'il n'y en ait plus aucune, et que Qataris et Saoudiens acceptent d'en sortir ; nous les y incitons à chaque occasion. Nos relations sont du reste excellentes. Cela étant, bien des choses leur sont imputées que, souvent, les enquêtes que nous menons ne confirment pas.

Dans tous les cas, il n'est de l'intérêt d'aucun pays de favoriser, si peu que ce soit, le terrorisme. Pour l'État islamique, il n'y a pas d'adversaires de premier et de second rang : il considère que tous ceux qui ne lui sont pas soumis doivent être supprimés. Quels que soient nos désaccords avec un État ou un autre, nous devons donc nous unir dans une lutte implacable contre cette très grave menace et la France, avec d'autres, doit montrer l'exemple.

Mme Élisabeth Guigou, présidente. - Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre disponibilité et pour la précision de vos réponses. Et à mon tour de vous souhaiter un bon anniversaire...

La réunion est levée à 18 h 25