Mardi 10 mars 2015

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Rapport sur la révision de la directive 2001-29-CE sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information - Audition de M. Pierre Sirinelli, professeur à l'Université Paris-I-Panthéon Sorbonne, membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique

La commission entend M. Pierre Sirinelli, professeur à l'Université Paris I - Panthéon Sorbonne, membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, sur son rapport sur la révision de la directive 2001/29/CE sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le projet de loi relatif à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine ne devrait pas être examiné avant l'automne. Le caractère lointain de notre calendrier législatif nous offre l'occasion de nourrir notre réflexion sur divers sujets de notre compétence. S'agissant de la propriété intellectuelle, existe un projet de révision de la directive du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information (DADVSI). L'objectif est de développer le marché unique numérique dans le cadre de l'agenda 2021. Or, les conclusions du rapport confié à Mme Julia Reda, députée européenne, marquent une rupture certaine avec les principes français du droit d'auteur et suscitent beaucoup d'interrogations. Je vous proposerai d'ailleurs d'inviter Mme Reda à nous présenter son rapport et nous auditionnerons diverses autres personnalités.

Nous recevons aujourd'hui M. Pierre Sirinelli, professeur à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) et auteur, pour le Conseil, d'un rapport, rendu public en octobre, relatif à la révision de la directive de 2001.

M. Pierre Sirinelli, professeur à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA). - Je vous remercie de m'accueillir dans votre commission. La ministre de la culture et de la communication a estimé que les conclusions du rapport que je lui ai remis pourraient constituer la base de la position officielle de la France, sous réserve des observations du législateur.

Ce rapport, rédigé à l'issue de 18 mois de travaux, avait deux objectifs : dresser la synthèse des opinions exprimées et proposer des pistes de réforme acceptables tant par les ayants droit que par les utilisateurs d'oeuvres, soit les consommateurs comme ceux qui mettent les contenus à la disposition du public par des vecteurs de communication.

La première partie du rapport dresse le bilan des auditions : une éventuelle révision de la directive ne suscite qu'un enthousiasme très modéré pour ne pas parler de défiance. Cette prudence résulte de quelques effets d'annonce : à titre d'illustration, à l'automne 2013, la Commission européenne a envoyé un questionnaire aux États membres, dont la tonalité laissait présager une multiplication des exceptions aux droits d'auteur. Le rapport de Mme Reda, seule élue du parti Pirate au Parlement européen, a accru la méfiance : dans sa synthèse, deux pages sur trois sont consacrées aux exceptions aux droits d'auteur et aux droits voisins, tandis que la dernière réduit le champ du droit exclusif. Les ayants droit ont eu le sentiment que la réouverture n'irait que dans le sens d'un affaiblissement des droits d'auteur.

Pour justifier une réouverture, il conviendrait de démontrer que les solutions élaborées en 2001 doivent être modifiées. Les quelque cent personnes que nous avons auditionnées appellent à la cohérence : la directive de 2001 n'est pas la seule relative à l'environnement culturel. Pourquoi alors ne pas revenir sur les directives services de médias audiovisuels (SMA), contrefaçon ou encore commerce électronique ? Elle a été élaborée concomitamment à la directive e-commerce et elles se complètent : ainsi l'article 8 de la directive relative aux droits d'auteur renvoie à la directive e-commerce tandis que l'article 5 de la première met en oeuvre les articles 12 à 15 de la deuxième. En outre, cette dernière paraît dépassée : aujourd'hui, YouTube est à l'origine d'un débit égal à tout Internet lors de l'adoption de ce texte.

Les personnes auditionnées estiment que le Gouvernement français devrait prendre des initiatives en faveur d'une réforme parallèle des deux directives ou, du moins, pour revenir sur les articles 12 à 15 de la directive e-commerce au sein d'un texte propre aux droits d'auteur. La directive e-commerce est transversale, alors que les Américains ont un texte propre au copyright. Or, ces effets transversaux ne sont pas heureux dans les activités culturelles où les problématiques sont différentes.

La ministre de la culture et de la communication a proposé d'intégrer les effets de la directive e-commerce dans le champ du droit d'auteur en créant un nouveau statut, et partant de nouvelles obligations, entre les éditeurs et les hébergeurs. Le Conseil d'État a publié l'été dernier un rapport sur les libertés et le numérique dans lequel il préconise la création d'un tel statut. Le CSPLA étudie également la création d'un statut intermédiaire. Néanmoins, il faudra modifier la norme européenne avant d'envisager l'instauration d'un tel régime en France. La ministre a défendu cette proposition devant d'autres États membres et à Bruxelles.

La Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), quant à elle, voudrait instaurer une compensation équitable pour contrebalancer le préjudice que la directive e-commerce provoque dans le champ du droit d'auteur : en fait, elle estime que les moteurs de recherche et les prétendus hébergeurs comme YouTube ou Dailymotion mettent en cause le monopole d'exploitation et les droits patrimoniaux des auteurs. Or, ces activités étant prises en considération par la directive e-commerce, elles entrent dans le champ d'une irresponsabilité conditionnée : il est impossible d'engager la responsabilité des opérateurs techniques. La Sacem estime, en conséquence, qu'il conviendrait de compenser cette exception aux droits d'auteur. Cette thèse n'a pas que des partisans : ainsi, les producteurs voudraient être plus ambitieux, afin que la directive e-commerce ne produise plus d'effet dans le champ des industries culturelles.

Pourquoi, nous a-t-on également dit, ne pas revoir la directive contrefaçon suivant une logique follow the money, afin d'assécher les modèles économiques en vigueur ? Des initiatives ont été prises en ce sens en France et au Royaume-Uni. L'idée est de demander aux agences de publicité et aux annonceurs de ne pas financer les activités prédatrices des propres industries culturelles. Une autorité administrative indépendante pourrait faire respecter ce principe. L'on pourrait encore impliquer les opérateurs de paiement, comme Visa ou MasterCard, pour qu'ils ne soient pas associés à l'argent de la contrefaçon. Des chartes de bonne conduite sont à l'étude à cet effet.

Un Livre blanc a été rédigé l'année dernière mais le commissaire qui l'avait commandé n'en a pas voulu ; ce non-paper circule néanmoins sur Internet. La situation s'étant durcie, la Commission européenne veut être plus audacieuse.

À l'heure actuelle, la Cour de justice de l'Union européenne interprète de façon réductrice le champ du droit d'auteur, d'où un affaiblissement du droit par la jurisprudence préoccupant pour les ayants droit. La Commission européenne, jugeant complexe le sujet du droit exclusif, préfère se concentrer sur les exceptions et sur la territorialité.

Pour ce qui concerne la territorialité, un vice-président de la Commission européenne dénonce régulièrement le scandale que représenterait l'impossibilité de regarder les programmes estoniens à Bruxelles. Soutenu par le président de la Commission, il veut éviter ce qu'il appelle le géo-blocage. Cela signifierait qu'un ayant droit achetant les droits pour un État membre les acquerrait pour l'ensemble de l'Union et les diffuserait donc dans les 28 États membres. Ce bouleversement total du mode de production et de financement européen menacerait de disparition le système français et sa chronologie des médias. À l'heure actuelle, aucun opérateur européen ne dispose des moyens financiers pour acheter les droits d'un blockbuster américain afin de le diffuser en Europe. Le fantasme de l'exilé estonien à Bruxelles a pour conséquence immédiate d'ouvrir le marché européen aux gros opérateurs américains, Netflix ou Google. Cette menace doit être prise au sérieux car elle concerne à la fois les droits d'auteur mais également les industries culturelles européennes dans leur ensemble.

Le rapport Reda n'est composé que d'exceptions : à force de « trous », le droit d'auteur ressemblerait à un gruyère ! À Bruxelles, le bureau des droits d'auteur a été déplacé au sein de la direction générale (DG) Connect, c'est-à-dire avec le numérique, ce qui signifie que les « tuyaux » deviennent plus importants que les contenus. Les exceptions risquent de se multiplier car certaines sont réclamées par d'autres directions générales, au-delà de celle qui gère les droits d'auteur. Il y aura donc des exceptions sur le data mining, sur les bibliothèques, sur le user generated content (UGC) et sur les oeuvres transformatrices. Le CLSPA estime que l'Europe ne doit pas adopter un système d'exception à l'américaine, de type fair use.

Il existe deux systèmes d'exceptions dans le monde : en Europe, le législateur fixe des exceptions qui figurent dans une liste limitative. Le système américain, lui, préfère un examen des nouveaux usages sur le marché économique afin de déterminer s'ils concurrencent les modes normaux d'exploitation. A posteriori, le juge décide si l'usage est licite ou pas. Dans ce système, la prévisibilité n'existe pas et il faut des moyens considérables pour payer les meilleurs avocats qui vont plaider jusque devant la Cour suprême. Faudra-t-il attendre que la Cour de justice de l'Union européenne ait dit si l'usage de tel mode d'expression est fair use dans tel État membre ? Ce système ne correspond ni à notre mentalité juridique, ni à l'approche économique de notre marché.

Les Britanniques étaient jusqu'à un passé récent plutôt favorables au fair use, mais le Premier ministre a changé d'avis, il y a un an. Désormais, seuls les Pays-Bas, point d'entrée des lobbys américains, défendent ce concept. Bien sûr, Google milite pour le fair use, estimant que ses moteurs de recherche ne méconnaissent pas le droit d'auteur.

La question est de savoir s'il faut créer de nouvelles exceptions ou rendre obligatoires les vingt facultatives de la directive de 2001. Ainsi, il existe, en Italie, une exception au profit des fanfares militaires ; nul besoin de l'imposer aux Vingt-huit. Pourtant, il est aujourd'hui question de rendre des exceptions obligatoires. Encore faudrait-il vérifier leur nécessité absolue, notamment au niveau transfrontalier.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Pour faciliter la circulation des oeuvres ?

M. Pierre Sirinelli. - Tout à fait ! Une exception n'a d'intérêt que si elle est porteuse d'un enjeu social et culturel fort. Il faut également vérifier l'impact économique et social de ces exceptions. Avec l'exception d'UGC, tout ce que les internautes postent sur Internet échappe au droit d'auteur. Mais, ce faisant, l'on élimine le statut d'oeuvre dérivée pour laquelle le consentement de l'auteur de l'oeuvre première est requis.

Pour le moment, le Gouvernement français entend participer à la réflexion de la Commission européenne afin d'éviter de multiplier les exceptions.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Je vous remercie de cet exposé éclairant sur un sujet très technique.

Mme Colette Mélot. - Les déclarations du président Juncker ont fortement inquiété les auteurs. Le Parlement européen a commandé un rapport à Mme Reda, députée du parti Pirate, laquelle préconise la réduction du droit d'auteur post mortem de 70 à 50 ans, l'interdiction des limitations à l'exploitation du domaine public, l'intégration de l'audiovisuel dans l'exception de courte citation ou encore l'harmonisation du mécanisme de la copie privée. Je suis d'autant plus étonnée par ces propositions que nous avons récemment transposé une directive portant la durée des droits voisins de 50 à 70 ans. Attention aux ayants droit ! Quel accueil la Commission européenne va-t-elle réserver au rapport de Mme Reda ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - À quelles autres difficultés la mise en place du marché unique numérique se heurte-t-elle ?

M. Pierre Sirinelli. - Je ne sais pas quelle sera la réaction de la Commission européenne au rapport Reda. En février, la représentation permanente française m'a demandé de présenter mon rapport à Bruxelles et Mme Reda est intervenue, ainsi que M. Cavada. J'ai eu le sentiment que les thèses de Mme Reda n'étaient pas entendues, même si on me les a présentées comme raisonnables. Celle-ci n'en continue pas moins son travail et le Parlement européen va auditionner des personnalités allemandes hostiles au droit d'auteur. En revanche, si le président et le vice-président de la Commission européenne souhaitent cette révolution copernicienne que représentera l'abolition de la territorialité des droits, nous aurons une réforme... tonique.

Le débat n'est plus juridique : il est politique. À la ministre de convaincre d'autres États membres afin d'infléchir l'évolution qui s'annonce. Accompagner le mouvement apparaît en effet plus constructif. Il faut que la Commission comprenne qu'on ne peut régler les problèmes par des exceptions générales.

La présidence et la vice-présidence actuelles sont dans une logique du tout-consommateur. Un document illustrera bientôt cette tendance, qui manque tant de profondeur historique que de réalité technique. Bruxelles se refuse à voir que l'économie européenne est une économie de la connaissance. Pas plus qu'il n'est un frein pour celle-ci, le droit d'auteur n'entrave la circulation des idées. Je suis devenu enseignant parce que je crois au partage des connaissances ; je veux que mes concitoyens soient à égalité grâce au partage des connaissances.

Le droit d'auteur est né il y a trois siècles au Royaume-Uni afin d'inciter les hommes instruits à écrire des oeuvres utiles. La logique du copyright est d'inciter à l'enrichissement du patrimoine de l'humanité. Prétendre que le droit d'auteur est un frein à l'économie de la connaissance est un non-sens. Le droit d'auteur concerne aussi le droit du logiciel, des bases de données, de tous les outils de la société de l'information de demain. En le tuant, on supprime l'un des vecteurs de notre économie au profit d'opérateurs américains se comportant en cow-boys peu désireux de respecter nos règles. Je ne comprends pas que Bruxelles n'entende pas ce discours. Il est donc extrêmement important que vous soyez présents dans ce débat.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Que peut-on dire de la diversification du marché unique numérique et de l'agenda numérique 2020 ?

M. Pierre Sirinelli. - Je serais bien en peine de parler d'un non-paper. L'idée serait d'introduire nos idées dans différents instruments juridiques. Or, en segmentant les décisions, Bruxelles nuit à la cohérence d'ensemble. La France doit accepter la révision de la directive sur les droits d'auteur mais aussi insister pour que tous les problèmes soient examinés, de manière à agir sur plusieurs leviers simultanément. Or, la Commission ne veut pas revenir sur la directive e-commerce.

M. Jean-Louis Carrère. - Comme pour la directive oiseaux !

M. Pierre Sirinelli. - Le droit d'auteur ne figure pas parmi ses interdits.

M. Jean-Léonce Dupont. - Pourquoi les Britanniques ont-ils changé d'opinion sur le fair use ?

M. Pierre Sirinelli. - Le Premier ministre a changé de conseiller spécial... Destiné à favoriser la création d'oeuvres nouvelles, le fair use est désormais instrumentalisé par Google pour des usages nouveaux, sans réelle création. Après négociation à l'Élysée, Google a versé une aumône pour les dépêches d'agence afin que le fair use ne soit pas remis en cause. Des tribunaux français appliquent cette exception, estimant que le juge français est compétent mais qu'il doit appliquer la loi américaine, même s'il s'agit de conflits nés en France. Contrairement à Facebook, Google ne refuse pas d'être jugé en France mais il y demande l'application de la loi américaine.

Mme Marie-Christine Blandin. - Comment le rapport de Mme Reda lui a-t-il été attribué ? Quel est le statut actuel de son travail, a-t-il été adopté par le Parlement ?

M. Pierre Sirinelli. - À ma connaissance le rapport Reda n'est que le rapport Reda.

Mme Marie-Christine Blandin. - Un projet de rapport.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Le rapport de Mme Reda va être voté par la commission juridique le 16 avril. Ensuite, d'autres commissions (industrie, recherche et énergie, marché intérieur et protection des consommateurs, culture et éducation) donneront leur avis et des amendements pourront être présentés. Enfin, le Parlement européen en débattra en mai.

Mme Marie-Christine Blandin. - Vous souhaitez que la France fasse entendre sa voix, ce qui me convient, mais vous parlez aussi de consommateurs, ce qui me va nettement moins bien : je parle de Beaumarchais et de la fluidité de la culture. En ne retenant que les arguments économiques, nous risquons de ne pas être entendus. L'économie, c'est la loi du plus fort. La France doit défendre les valeurs qu'elle porte, comme elle l'a fait en étant à l'initiative de la Convention sur la diversité culturelle adoptée par l'Unesco (Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture), le 20 octobre 2005.

M. Pierre Sirinelli. - Pour moi, le droit d'auteur est avant tout celui du créateur. Toutefois la directive de 2001 est très économique et privilégie le droit du producteur. Le droit d'auteur est devenu moins populaire parce que l'on a oublié le créateur, personne physique, qui doit vivre de sa création pour enrichir le patrimoine de l'humanité. Héritière de la Communauté économique européenne (CEE), l'Union européenne ne s'occupe pas du droit moral dont la France est le fer de lance. Les ministres de la culture ont un discours d'abord tourné vers la création. Placer ce débat sur le terrain de l'économie, c'est perdre une bataille. Allons du moins jusqu'au bout de la logique, et disons les conséquences que cela emporte en termes d'emplois et de croissance.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci pour votre exposé : le sujet est ardu mais conditionne l'avenir de notre industrie culturelle.

La réunion est levée à 17 heures.

Mercredi 11 mars 2015

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Rapport du groupe de travail interministériel sur l'avenir de France Télévisions à l'horizon 2020 - Audition de M. Marc Schwartz, conseiller référendaire à la Cour des comptes

La commission entend M. Marc Schwartz, conseiller référendaire à la Cour des comptes, sur le rapport du groupe de travail interministériel sur l'avenir de France Télévisions à l'horizon 2020.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - J'ai le plaisir de souhaiter, en votre nom à tous, la bienvenue à M. Marc Schwartz, conseiller référendaire à la Cour des comptes, qui vient de rendre au Gouvernement un rapport sur l'avenir de France Télévisions à l'horizon 2020. Ce rapport prépare la feuille de route que l'État actionnaire entend fixer au prochain président du groupe public qui sera désigné dans quelques semaines par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). M. Schwartz est accompagné de M. Thibault Deloye, auditeur à la Cour des comptes et de M. Guillaume Kordonian, chargé de mission à la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC).

Je remercie M. Schwartz d'avoir accepté notre invitation, ceci d'autant plus que c'est la première fois qu'il s'exprimera devant une commission parlementaire sur les conclusions de son rapport.

Cette audition fait écho à la table ronde que notre commission a organisée le 4 février dernier sur l'avenir de France Télévisions ainsi qu'aux auditions du président de France Télévisions Rémy Pflimlin et du président du CSA Olivier Schrameck. Elle illustre notre attachement au service public de l'audiovisuel et toute l'attention que nous portons au processus de nomination du prochain président de France Télévisions.

Je souhaiterais tout d'abord saluer à la fois la qualité du rapport de M. Schwartz et la méthode qui a été la sienne pour en assurer la préparation, puisque vous avez veillé à largement consulter les différentes parties prenantes sans oublier le Parlement. L'audiovisuel public constitue un « trésor national », un bien commun des Français, il n'appartient à aucune majorité et notre responsabilité est précisément de prévoir l'avenir au-delà des échéances électorales de notre démocratie. L'horizon de 2020 que vous avez retenu constitue donc un minimum si l'on souhaite développer une vision stratégique - je vous rappelle que le texte fondamental qui régit la British Broadcasting Corporation (BBC) est une Charte royale conclue pour dix ans. Notre audiovisuel, vous le rappelez dans votre rapport, a besoin de stabilité, de prévisibilité et d'ambition.

Je souhaite également rendre hommage à toutes les équipes de France Télévisions. L'entreprise a connu de nombreux bouleversements depuis 2009, qu'il s'agisse de son organisation, de son financement ou de la nature même de ses activités qui ont dû s'adapter à la révolution numérique. D'autres défis sont à venir et il est presque certain que l'entreprise, en 2020, sera très différente de ce à quoi elle ressemble aujourd'hui compte tenu des progrès à venir de la délinéarisation et de la convergence des supports.

Je vous proposerai de nous rappeler les grandes lignes de votre rapport en une dizaine de minutes, en insistant sur vos principales préconisations concernant, en particulier, le modèle économique de l'entreprise, et notamment son financement, mais aussi sa gouvernance et l'articulation des différents documents qui déterminent sa stratégie. Vous avez, en effet, recommandé - je vous cite - « pour le prochain cahier des charges, une expression sensiblement plus ramassée des missions et obligations de service public » afin de « le recentrer sur les aspects essentiels des missions de service public, tout en conférant à l'entreprise une plus grande autonomie dans la mise en oeuvre de ces missions ». Jusqu'où doit aller cette autonomie ? Et quelles sont les modifications législatives que vous avez identifiées pour la rendre effective ?

Au-delà de votre rapport, nous souhaitons pouvoir bénéficier de votre expérience - je rappelle que vous avez été directeur général adjoint de France Télévisions - mais également de votre regard sur les exigences que le Parlement est en droit d'avoir vis-à-vis d'une société qui est financée à plus de 80 % par le contribuable.

À l'issue de votre intervention liminaire, je proposerai à M. Jean-Pierre Leleux, notre rapporteur pour avis des crédits du programme « Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public » de vous interroger. Après quoi je donnerai la parole à un orateur par groupe puis à l'ensemble des sénateurs présents qui souhaiteraient intervenir.

M. Marc Schwartz, conseiller référendaire à la Cour des comptes. - Le rapport, présenté aux ministres la semaine dernière, est une oeuvre collective réalisée par un groupe de travail interministériel qui comprenait des représentants du ministère de la culture et de la communication, du ministère des finances, de l'agence des participations de l'État (APE) et du contrôle général économique et financier. Ce groupe de travail avait pour mission d'explorer, de la manière la plus large possible, sans tabou, les sujets relatifs à l'avenir de France Télévisions. Ce rapport n'est pas une réalisation de la Cour des comptes, ni du Gouvernement. Les pouvoirs publics n'ont d'ailleurs pas suivi toutes ses préconisations. Il s'agit d'une réflexion stratégique sur les forces et les faiblesses de France Télévisions et non d'un bilan réalisé sur le passé. Ce travail a été mené dans le respect des compétences des uns et des autres.

Le rapport comprend quatre messages concernant l'avenir du groupe France Télévisions. Le premier message tient au fait que le monde a changé, ainsi que les usages de la télévision au cours des dix dernières années. Avec la multiplication des écrans, on a assisté au développement d'usages fragmentés et d'une offre non linéaire. Le « deuxième écran » numérique est devenu le « premier écran » pour de nombreux jeunes, ce qui pose la question de savoir comment on s'adresse aux jeunes qui regardent de moins en moins la télévision. Cette évolution pourrait fragiliser à terme la légitimité même du financement de l'audiovisuel public qui repose sur le contribuable.

L'offre de contenus a également explosé. Nous sommes passés de la rareté à l'abondance, avec notamment le passage de 5 à 25 chaînes de la télévision numérique terrestre (TNT), auquel il convient d'ajouter les contenus disponibles sur Internet qui sont le plus souvent gratuits.

Par ailleurs, de nouveaux concurrents sont apparus en plus des nouvelles chaînes de la TNT avec les acteurs de l'Internet qui, à l'image de Netflix, développent une stratégie mondiale. Ces acteurs remontent la chaîne de valeur en ajoutant à leur activité initiale de diffusion des investissements dans la production de contenus dont ils détiennent ainsi les droits. Cela pose des questions fondamentales en termes de concurrence. Nous faisons face à un changement de paradigme, le modèle traditionnel des chaînes linéaires étant confronté à une baisse et à un vieillissement de leur audience tandis que le marché publicitaire est fragmenté entre 25 chaînes. Le groupe de travail reste néanmoins convaincu que la télévision traditionnelle peut avoir un bel avenir si elle arrive à développer de nouveaux usages complémentaires.

Le deuxième message tient au fait que le rôle de la télévision publique nous paraît indispensable dans une société qui a besoin de repères et de références stables. Pouvoir réunir les Français à une époque marquée par des tensions sociales et la poursuite d'une crise économique est fondamental. La télévision et la radio publiques jouent ce rôle. Nous avons observé que tous les pays comparables avaient plutôt réaffirmé cette mission des médias de service public. Dans la plupart des pays que nous avons étudiés, les médias de service public ont mis en place un bouquet de chaînes composé de deux chaînes généralistes auxquelles s'ajoutent des chaînes thématiques consacrées, en particulier, à l'information, aux enfants et aux jeunes adultes. L'offre de télévision publique est ainsi devenue multiple. Pour le groupe de travail, l'absence de chaîne publique d'information est une question qui mérite d'être posée dans le cadre du réaménagement du bouquet et les candidats à la présidence de France Télévisions auront à se prononcer sur cette évolution dans leur projet stratégique.

Le groupe de travail a constaté une particularité française qui tient à l'éclatement des sociétés de l'audiovisuel. Dans les autres pays, une seule société rassemble les activités de télévision, de radio et d'audiovisuel extérieur.

La contrainte sur le financement a également eu des effets significatifs sur l'ensemble de ces sociétés depuis les années 2000 tandis qu'elle ne concerne France Télévisions que depuis 2013.

Le troisième message porte sur la simplification du cadre d'exercice de la télévision publique que le Gouvernement a pris en compte lorsqu'il a annoncé un allègement des objectifs et des missions assignés au groupe. Il est absolument indispensable de réduire l'accumulation de textes législatifs, réglementaires, contractuels et d'accords interprofessionnels. L'empilement des textes et des objectifs contribue à entraver le développement de l'entreprise.

La responsabilité en incombe pour partie à l'entreprise, qui n'a peut-être pas opposé une résistance suffisante à cette accumulation d'indicateurs et d'objectifs. Mais la responsabilité première revient à l'État au sens large, ce qui inclut le législateur, le Gouvernement, les autorités indépendantes. Le cahier des charges de France Télévisions peut sembler raisonnable lorsqu'on le compare, par exemple, à la Charte royale qui s'impose à la BBC. Mais cette charte concerne l'ensemble des médias de service public. Pour que la comparaison soit adéquate, il faudrait la comparer à l'ensemble des cahiers des charges de France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, l'Institut national de l'audiovisuel, Arte...

L'autre élément qui ressortait de cette étude rétrospective des contrats d'objectifs et de moyens (COM), conclus avec l'État et qui se succèdent tous les cinq ans à l'occasion du changement de président, est une forte instabilité en matière de stratégie. Cela se double, en cours de mandat, de la volonté de l'État d'imposer de nouveaux objectifs, notamment par la négociation d'avenants. Les textes stratégiques ont une durée de vie moyenne de deux ans environ, ce qui est manifestement insuffisant, quand France Télévisions aurait besoin de stabilité et de visibilité, ainsi que d'une simplification et d'un allègement des demandes des pouvoirs publics. Il est absolument nécessaire, pour que l'entreprise déploie tous ses talents et toutes ses énergies, de procéder à une telle simplification. Je crois que ce message a été entendu.

Le quatrième message concerne l'entreprise elle-même. Il s'agissait de réaliser un état des lieux de l'entreprise publique, non dans une démarche d'évaluation personnelle des différents dirigeants, mais dans l'esprit de mener à bien une analyse objective et équilibrée des forces et des faiblesses de l'entreprise.

Vous l'avez rappelé dans votre introduction, madame la présidente, France Télévisions a connu une décennie difficile, avec de nombreux changements de cap successifs qui ont affecté la lisibilité de sa stratégie. La mise en place de l'entreprise commune a eu pour conséquences des changements organisationnels importants qui ont parfois désorienté et découragé les équipes.

Le groupe a perdu un peu plus du quart de son audience en dix ans, une dégradation sensiblement plus forte que celle de ses concurrents. Ses téléspectateurs ont vieilli : leur âge moyen est de 58 ans, quand le téléspectateur moyen a 50 ans et l'âge moyen de la population française est de 42 ans.

Son modèle économique a été fragilisé, comme cela a été mis en évidence par le rapport n° 572 (2011-2012) sur l'application de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision de MM. Legendre et Assouline, notamment par la suppression de la publicité après vingt heures sur les chaînes publiques et du fait des aléas liés à l'évolution de sa dotation budgétaire. Le groupe connaît également un alourdissement de la structure des charges et une difficulté à se diversifier, en grande partie du fait de la réglementation qui amène à une segmentation des activités entre producteurs, diffuseurs et distributeurs. On observe à l'étranger et dans l'évolution des marchés une plus grande fluidité des métiers, qui permet aux diffuseurs de se diversifier à la fois du côté de la production et de la distribution.

Cela étant dit, même si la situation de France Télévisions est, à bien des égards, difficile, le groupe conserve des atouts considérables. Il dispose encore d'une image très positive auprès du public, les personnels sont très attachés à leur entreprise et ses ressources sont relativement stables - même si elles pourraient l'être encore davantage. De plus, le groupe conserve une place centrale dans le financement de la création. Enfin, son empreinte et sa place restent inégalées dans le paysage audiovisuel français, du fait de ses cinq canaux de diffusion.

Je le dis avec force : l'adaptation du groupe à son nouvel environnement a commencé. Je pense notamment à sa stratégie numérique, largement saluée. L'audience a été stabilisée en 2014, notamment grâce au redressement de France 2. Le groupe met également en oeuvre un profond renouvellement des programmes et effectue des changements organisationnels majeurs - je pense en particulier à l'entreprise commune et au rapprochement des rédactions d'information, dans le cadre du projet « Info 2015 ». Il faut porter au crédit des dirigeants de France Télévisions cet important effort d'adaptation aux évolutions du paysage audiovisuel.

Le rapport s'intitule « France Télévisions 2020, le chemin de l'ambition », car d'une part nous considérons qu'il est absolument essentiel que France Télévisions dispose d'un projet ambitieux. D'autre part, le groupe a besoin d'un cadre normatif et contractuel avec l'État qui soit stabilisé, simplifié et modernisé.

J'évoquerai rapidement nos recommandations, qui portent sur les missions de service public, qui doivent être fortes et distinctives, les enjeux stratégiques - en évitant une précision excessive en ce qui concerne l'avenir des chaînes et des rédactions, ces éléments relevant des candidats à la présidence de France Télévisions - ainsi que sur le cadrage économique. Dans ce dernier domaine, le rapport préconise l'élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public et une ouverture maîtrisée de nouveaux espaces publicitaires. Le développement de recettes de diversification, par le développement des métiers de production et de gestion des droits, fait partie des recommandations. À cet effet, il sera nécessaire de moderniser le cadre réglementaire, afin de permettre à France Télévisions d'accroître l'étendue de ses droits patrimoniaux.

M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits du programme « Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public ». - Merci, monsieur le conseiller. J'ai lu avec intérêt le rapport du groupe de travail dont vous avez dirigé les travaux. Je l'ai même lu avec plaisir, ce plaisir que l'on ressent à la lecture d'un rapport dont les constats entrent en résonance avec ses propres opinions. Il s'agit là d'un excellent rapport. Je regrette seulement que vous vous soyez tenus aux limites fixées, j'estime que quelques éléments auraient pu être explicités.

Mes questions porteront d'abord sur le modèle économique. Puisque le Gouvernement a souhaité mettre fin, à l'horizon 2017, au versement de la dotation budgétaire à France Télévisions, dotation qui s'élève à 160 millions d'euros, peut-on encore réduire les dépenses du groupe ou faut-il alors étudier une compensation en termes de recettes ? Deuxièmement, vous prônez un élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public. C'est une idée souvent évoquée mais jusqu'à présent rien n'a été fait. Nous sommes persuadés qu'une décision doit être prise en 2015. Qu'entendez-vous par un élargissement de l'assiette ? Ciblez-vous les écrans autres que les téléviseurs ? Je rappelle que les Français possèdent en moyenne 6,4 écrans, mais il serait très difficile de contrôler leur prise en compte dans le calcul de la contribution. Que pensez-vous d'une redevance par foyer, à l'instar de ce qui existe en Allemagne, qui postulerait que tout foyer a accès à la télévision publique ?

Quel type de synergies entre les différents groupes de l'audiovisuel public appelez-vous de vos voeux ? Vous avez cité des exemples à l'étranger où une seule société a autorité sur l'ensemble des médias télévisés, radio et audiovisuel extérieur. Dans un pays où la culture individuelle de chaque société est forte, quel type de coopération technologique pouvez-vous nous suggérer ?

Votre rapport insiste sur l'évolution technologique à laquelle doit faire face France Télévisions. Pensez-vous que France Télévisions pourrait créer un service de vidéo à la demande (SVOD), comme cela existe sur d'autres chaînes, notamment au Canada, et quel devrait être son modèle économique ?

Dans le domaine de la coproduction, une grande part des ressources propres de certaines sociétés audiovisuelles étrangères, comme en Grande-Bretagne, sont liées à la commercialisation de leurs droits, ce que France Télévisions n'est pas autorisée à faire aujourd'hui. Nous attendons les décrets qui apporteraient une certaine souplesse dans la détention des parts de coproduction des chaînes audiovisuelles. Mais jusqu'où faut-il aller dans ce domaine ? Quelles ressources cela pourrait-il permettre de dégager pour France Télévisions ? Je n'évoquerai pas la publicité dont le président de France Télévisions souhaite élargir la place à l'antenne. Je suis plus proche de la décision du Gouvernement. Je suis circonspect sur la publicité à la télévision publique.

M. Marc Schwartz. - Nous avons constaté que l'usage de la vidéo à la demande se répandait, non seulement au Canada mais également aux États-Unis, et qu'il commençait à se développer en Europe, avec une image positive et un catalogue de programmes attractif. Pour les télévisions publiques, figurer sur ce marché représente un enjeu stratégique.

La question est de savoir si l'on doit faire payer des programmes qui, d'une certaine manière, ont déjà été financés par la redevance puisque diffusés une fois, comme c'est le cas de Radio France en ce moment.

Pour soutenir cette dynamique de la SVOD, des offres communes à l'ensemble des sociétés d'audiovisuel public pourraient être envisagées ainsi que le développement d'une offre commune de l'audiovisuel européen. Je suis personnellement très favorable à l'exploration de cette voie.

En ce qui concerne les synergies avec les autres groupes de l'audiovisuel public, le rapport mentionne qu'elles n'existent pas ou très peu. Cela tient à l'organisation de l'audiovisuel public en France. Dans un environnement où les médias convergent - radio, télévision, numérique... - avec des concurrents de taille internationale, il faut le plus possible mettre en commun les moyens pour résister.

Nous avons listé un certain nombre de thèmes dans ce rapport : les réseaux régionaux ou à l'international, les développements numériques, la question des programmes, notamment entre France Télévisions et Arte, la question de la formation, jusqu'à présent du ressort de l'Institut national de l'audiovisuel (INA).

Toutes les sociétés de l'audiovisuel public sont contraintes à un renouvellement de leurs équipements et donc à des investissements techniques importants. La question se pose de choix communs, voire d'investissements communs, pour assurer une interopérabilité entre les différentes plateformes.

La recommandation principale du rapport s'adresse à l'État qui devrait prendre la responsabilité d'organiser davantage de synergies au sein de l'audiovisuel public et demander aux sociétés de proposer des rapprochements.

En ce qui concerne la question de l'élargissement de l'assiette de la contribution audiovisuelle publique, nous ne proposons pas une nouvelle taxe sur les tablettes ou les smartphones. Nous constatons simplement que l'évolution des usages et des modes de consommation ont conduit, depuis quelques années, à une diminution de l'équipement des ménages en téléviseurs. Les jeunes qui s'installent n'achètent pas nécessairement un téléviseur, ils regardent les programmes de télévision sur leur ordinateur ou sur autre support mobile. Sans aller jusqu'à l'imposition au foyer, l'avis d'imposition sur la taxe d'habitation permet de déclarer ou non un appareil permettant de visionner les chaînes de l'audiovisuel public. La détention d'au moins un de ces appareils constituerait un fait générateur pour le paiement de la contribution à l'audiovisuel public, puisque payée en même temps que la taxe d'habitation, il suffirait de cocher la case qui permet de ne pas payer ou inversement de payer au titre de l'un ou l'autre des appareils permettant de recevoir la télévision publique. Nous n'allons pas jusqu'à proposer l'imposition au foyer, qui pose un problème de qualification de la contribution. La proposition que nous formulons se situe entre ce qui existe actuellement et le modèle allemand.

Comme vous le savez, la question de la détention de parts de coproduction est un sujet sensible. Le Parlement a adopté, en 2013, une disposition législative permettant aux chaînes de télévision de détenir des parts de coproduction. Le décret d'application est en cours d'adoption. La ministre de la culture et de la communication a mentionné la possibilité pour les chaînes de détenir, au-delà de 70 % de financement des programmes, des parts de coproduction. Cette disposition concernera à titre principal la fiction, les documentaires étant financés par les diffuseurs à hauteur de 50 % et les programmes d'animation l'étant, pour leur part, à hauteur de 30 %. Un certain nombre de producteurs nous ont indiqué que cette mesure devrait être généralisée. Le partage des risques dans ce domaine nous paraît absolument essentiel. Cela va dans la bonne direction, mais jusqu'à quel point ? Il existe nécessairement une discussion générale sur l'évolution de la réglementation et, au sein des corps interprofessionnels, de manière bilatérale entre chaînes et producteurs.

Sans vouloir chiffrer les économies budgétaires potentielles de France Télévisions, nous nous sommes projetés à l'horizon des prochaines années pour dégager des ressources supplémentaires et cibler les domaines propices à des économies afin de maintenir un équilibre financier. Pour autant, je ne suis pas en mesure de vous répondre sur le montant des économies possibles et nécessaires.

M. David Assouline. - Je salue le travail que vous avez réalisé. À mon sens, parmi les nombreux travaux sur l'audiovisuel, votre rapport est le plus complet. Il statue tant en termes de diagnostics, voire d'enjeux, que de pistes de travail et se situe en phase avec les discussions que nous avons régulièrement, au Sénat, sur ce sujet.

Vous réaffirmez nettement la place et l'importance de l'audiovisuel public, auquel le Sénat est particulièrement attaché, tout en proposant les moyens de le préserver et de le moderniser. Vous situez un des enjeux qui est le rapport au citoyen puisque c'est un service public. Vous mettez l'accent sur la nécessité du rajeunissement de l'audience de France Télévisions. Si le vieillissement continue, il y aura une déconnexion totale et pas seulement des jeunes. Le rapport exprime aussi un satisfecit sur la révolution numérique engagée qui est un des enjeux pour le rajeunissement.

Très explicitement, dans ce rapport, vous pointez les insuffisances de l'information et le comportement du Gouvernement dans ce domaine, notamment lors des récents événements du mois de janvier. France Télévisions c'est du linéaire, et je ne vois pas d'avenir au linéaire sans l'information. Nous voulons tous suivre en direct les événements. Il existe des chaînes privées mais le service public a aussi des moyens. Le réseau régional constitue un atout. À la page 104 de votre rapport, vous recommandez « une offre d'information enrichie pour mieux comprendre le monde » et une synergie des réseaux internationaux de l'audiovisuel public. Qu'est-ce qui vous conduit à proposer cela de façon très appuyée dans votre rapport ?

Sur la question de l'élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public, je soutiens notre rapporteur sur le fait qu'il faut agir. Contrairement à M. Leleux, je considère qu'une imposition par foyer comme en Allemagne ne constitue plus une recette affectée, mais une recette qui tombe dans le budget général et dont le Gouvernement peut décider l'affectation chaque année. La recette affectée est une force pour l'audiovisuel public et garantit son indépendance.

Pouvez-vous développer votre pensée sur la nécessité d'une chaîne d'information en continu, sur sa forme, et sur la nature de la redevance, par ailleurs rebaptisée « contribution à l'audiovisuel public » à l'initiative de Mme Morin-Desailly ?

M. André Gattolin. - Je souhaite tout d'abord vous adresser mes plus vives félicitations pour la qualité de votre rapport. Jamais je n'ai, en trente ans, lu un travail aussi pertinent sur la télévision publique, exception faite peut-être du récent travail de la Chambre des communes « The future of the BBC », qui, sur un ton différent, dresse un constat fort proche du vôtre. Je précise qu'il s'agit d'un rapport qui s'inscrit dans la préparation de la prochaine Charte royale qui sera conclue entre la BBC et sa tutelle pour les dix années à venir. À l'occasion de la discussion de la loi relative à l'indépendance de l'audiovisuel public, nous avions recommandé, sur le modèle britannique, que l'État actionnaire établisse une « feuille de route » en amont de la nomination du président-directeur général de France Télévisions. Cette proposition m'avait d'ailleurs attiré les foudres du Canard enchaîné, qui l'avait jugée scandaleuse. Pourtant, votre rapport prouve combien un tel cadrage est utile. Vous apparaissez, en ce sens, comme « un enfant du Sénat » et du travail législatif que nous avons réalisé à l'automne 2013.

Deux points m'interpellent toutefois. Le premier concerne vos références au jeune public. Je sais combien la volonté politique actuelle considère à tout prix la jeunesse comme une priorité, mais, à mon sens, le nécessaire rajeunissement de l'audience de France Télévisions et la reconquête doit majoritairement porter sur la tranche d'âge 35-50 ans. On se dédouane trop facilement de la perte progressive de l'audience des jeunes s'agissant de la télévision linéaire en l'attribuant au développement des supports numériques. À titre d'illustration, le rapport précité de la Chambre des communes montre qu'à rebours des travaux préparatoires à la Charte royale de 2004, qui estimaient que la délinéarisation toucherait un tiers du public d'ici à 2014, le phénomène a été bien moins marqué. En réalité, la désaffectation des jeunes tient plus à l'inadaptation des programmes qu'aux évolutions technologiques.

Ma seconde critique porte sur la place donnée, dans votre rapport, au CSA. À sa lecture, j'ai eu l'étonnante impression que cette instance n'existait pas, exception faite de son rôle de nomination du président-directeur général de France Télévisions, alors même que le législateur a considérablement renforcé ses prérogatives dans le cadre de la loi relative à l'indépendance de l'audiovisuel public.

En revanche, il est exact que le contrôle interne au sein de France Télévisions est insuffisant et qu'il pâtit de trop faibles moyens humains puisque seuls quatre salariés y sont affectés soit trois fois moins qu'à la BBC. Au-delà de la simplification des tutelles du groupe, il me semble essentiel que celui-ci se dote de réels moyens de contrôle et de gestion interne.

M. Jacques Grosperrin. - Votre rapport fait état des nombreux atouts dont dispose France Télévisions pour les années à venir, malgré des résultats fragilisés par le vieillissement significatif de son public et la concurrence exacerbée qui sévit dans le secteur audiovisuel. Pour garantir l'avenir du groupe, vous préconisez, à l'aune d'une comparaison forte intéressante avec la BBC, de redéfinir les missions de service public de France Télévisions et de simplifier son pilotage stratégique.

Je vous poserai trois questions connexes. La réduction des missions de service public définies par la loi et leur transfert dans le contrat d'objectifs et de moyens ne risquent-t-ils pas d'entraîner un affaiblissement du caractère particulier des chaînes du groupe France Télévisions ? Selon vous, une telle évolution nous est-elle imposée par les logiques de marché du secteur audiovisuel ? Enfin, comment garantir que la réforme que vous proposez ne conduira pas à une banalisation du service public audiovisuel ?

M. Michel Savin. - Je joins mes remerciements à ceux de mes collègues pour la qualité de vos travaux et la clarté de votre réflexion. Je m'interroge, pour ma part, sur la possibilité de réformer l'audiovisuel sans prendre en considération le comportement des téléspectateurs. Les chaînes généralistes publiques ont-elles encore un avenir à l'heure où le téléspectateur semble leur préférer les chaînes thématiques commerciales d'information, sportives, culturelles ou destinées aux jeunes publics ? En somme, est-ce aujourd'hui un atout ou un handicap d'être une chaîne généraliste ?

M. Maurice Antiste. - Plusieurs des questions que je souhaitais aborder ont été posées par mes collègues. J'aimerais toutefois savoir s'il est possible de se procurer une synthèse de votre excellent rapport.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Aux pages 82 à 84 de votre rapport, vous évoquez les problématiques de France 3, chaîne des territoires aux destinées de laquelle les sénateurs sont particulièrement attentifs. Pourtant, les doutes qui pèsent sur son avenir restent entiers, comme le déplore également le rapport du CSA. Vous faites état, à cet égard, du vieillissement préoccupant de l'audience de la chaîne et de l'enjeu que constitue, pour sa modernisation, la prochaine réforme territoriale ? Selon vous, quel pourrait être l'impact de la création des treize régions sur la restructuration des antennes de France 3.

M. Marc Schwartz. - Je partage entièrement le sentiment exprimé par David Assouline sur l'absence d'une chaîne d'information en continu sur le service public, qui s'explique par l'histoire heurtée et difficile que vous connaissez. Avec 4 500 journalistes au niveau national et international, nous disposons pourtant des moyens nécessaires à sa création. Les enquêtes d'opinion montrent que les Français s'informent d'abord par la télévision (55 %), loin devant Internet (22 %), la radio et la presse (4 %). Ces chiffres sont particulièrement inquiétants pour la presse écrite, mais tel n'est pas le sujet de nos travaux. Ils approfondissent ensuite leur niveau de connaissance avant tout grâce aux journaux télévisés des grandes chaînes, les chaînes d'information continue n'étant citées que par 18 % des sondés. Toutefois, leur rôle va croissant en matière d'information « à chaud » de nos concitoyens, ainsi que l'ont montré les événements dramatiques du mois de janvier. Alors même que l'information est considérée comme la première mission du service audiovisuel public, il y a donc une contradiction. Je le redis, nous disposons des ressources pour créer une ou deux chaînes d'information continue en plus de France 24. Il existe d'ailleurs un projet « Info 2015 » qui prévoit l'installation d'une chaîne publique d'information numérique d'ici à la fin de l'année, à moyens financiers et humains constants. La question de la création d'une telle chaîne sur la voie hertzienne mérite d'être posée dans le cadre de la réorganisation du « bouquet » de chaînes de France Télévisions comme à l'occasion de l'examen des « feuilles de route » présentées par les candidats à la présidence. Il est légitime que l'État actionnaire, qui assure 80 % du financement du groupe, lui fixe des objectifs par décret et contractualise avec sa direction par le biais du COM et, plus largement, se préoccupe de l'avenir des missions du service public de l'audiovisuel. De même, comme le prévoit désormais la loi, la désignation du président-directeur général par le CSA, doit se faire sur la base de son projet stratégique.

S'agissant de vos interrogations sur l'élargissement de l'assiette de la redevance, je vous répondrai qu'il me semble essentiel qu'une recette demeure affectée à l'audiovisuel public, comme c'est le cas dans les autres pays européens, afin de la sanctuariser. L'évolution de la redevance vers un impôt non affecté constituerait un risque certain.

La question de l'offre en direction des jeunes est plus délicate, monsieur Gattolin, puisqu'il faut s'adresser à l'ensemble de la population, tout en tenant compte de la fragmentation de la demande. Les comparaisons internationales le démontrent : les télévisions généralistes ont un rôle irremplaçable dans des sociétés de plus en plus fragmentées, mais la fragmentation commande une offre dédiée - on le voit très bien avec les enfants, qui regardent plus volontiers Gulli, chaîne en grande partie consacrée aux dessins animés, avec une ligne éditoriale cohérente - et l'enjeu consiste à agréger cette offre dédiée à l'offre généraliste. C'est du reste la force des stratégies de bouquet, articulant des chaînes généralistes et thématiques, avec une disponibilité et une accessibilité sur tous les supports, ce que les spécialistes appellent « l'hyperdistribution ».

Avons-nous pris en compte les analyses du CSA et les audits internes ? Oui, et nous leur avons même fait une bonne place dans notre rapport, en particulier au bilan quadriennal du CSA et à tout ce qui concerne les aspects éditoriaux de l'analyse. L'État fixe le cadre stratégique, en explicitant ses attentes mais aussi les moyens sur lesquels les acteurs vont pouvoir compter dans les années à venir : à cet égard, la définition du cadre budgétaire par Michel Sapin est une première, qui va dans le bon sens.

Les missions de service public risquent-elles de s'amoindrir ? Je crois que les priorités s'édulcorent en devenant trop nombreuses, qu'il faut alors se recentrer sur le coeur des missions de service public - et le cahier des charges est bien le cadre approprié pour énoncer clairement ces priorités.

Je crois tout à fait, ensuite, aux vertus de l'audit interne, j'en ai fait l'ample expérience en installant la procédure au sein de France Télévisions, lorsque j'y étais directeur financier ; l'audit interne relève moins du contrôle que de l'analyse des risques et de la recherche de solutions propres à en prémunir l'entreprise : cette fonction est devenue essentielle en interne, France Télévisions l'a bien compris et s'y est récemment exercée avec l'analyse des films et des émissions qu'elle coproduit.

L'offre télévisuelle publique se banalise-t-elle à mesure que l'environnement devient plus concurrentiel ? La télévision publique couvre quasiment tout le spectre de l'offre, même si le sport y est en net recul, tout comme il décroît sur les autres chaînes gratuites - TF1, par exemple, a diminué ses investissements de 70 % dans le sport. La télévision publique tient désormais sa singularité non plus de la nature de son offre mais de la manière dont elle présente ses programmes : c'est bien là qu'elle doit se différencier pour maintenir son audience.

Peut-on encore réformer la télévision publique ? Oui, à l'évidence, j'en suis profondément convaincu ; et je crois que France Télévisions a déjà fortement évolué après avoir traversé des difficultés importantes.

La situation de France 3 est largement développée dans notre rapport, nous soulignons le caractère unique de cette chaîne, ses avantages et l'atout qu'elle représente pour le groupe tout entier, ainsi que l'adhésion des Français à ses programmes. Cependant, nous ne cachons pas l'importance des enjeux de renouvellement et de réorganisation, en faisant de la réforme territoriale non pas un modèle obligatoire, sur lequel la chaîne devrait se caler, mais l'occasion d'une réflexion de fond sur les missions et leur déploiement territorial ; France 3, en particulier, doit accompagner l'émergence de nouvelles régions, mais aussi tenir compte de l'évolution des bassins de vie.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci pour toutes ces précisions.

La réunion est levée à 16 h 25.