Mercredi 17 juin 2015

- Présidence de M. Hervé Maurey, président-

Audition de M. Marc Papinutti, directeur général de Voies navigables de France

La réunion est ouverte à 9h35.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Mes chers collègues, avant de commencer, je souhaiterais exprimer nos pensées amicales à François Aubey, qui a été démissionné d'office par le Conseil Constitutionnel et déclaré inéligible pour une durée d'un an. Notre collègue était très apprécié dans notre commission et s'est beaucoup investi sur le sujet du transport aérien.

J'en profite également pour vous rappeler que notre commission se déplacera dans la Manche ce lundi 22 juin, sur le thème de l'aménagement numérique du territoire. Il s'agira de voir, sur le terrain, un certain nombre de réalisations, notamment en termes d'usages. Grâce à Philippe Bas et à ses équipes, le programme du déplacement devrait être riche et intéressant. Nous rencontrerons notamment l'entreprise Acome, leader national sur le marché de la fibre. Il est encore temps de s'inscrire.

J'entre à présent dans le vif du sujet. Monsieur le directeur général, nous sommes ravis de vous accueillir à nouveau devant notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable qui, à ce double titre, porte une attention toute particulière au sujet de la voie fluviale qui irrigue nos territoires.

Je rappelle que Voies navigables de France (VNF) est depuis le 1er janvier 2013 l'établissement public - autorité unique - chargé de gérer le service public de la voie d'eau dans notre pays. Quelques chiffres pour situer le contexte : VNF a la charge de l'exploitation, de la maintenance et de la modernisation de 6 700 km de rivières et canaux navigables, 40 000 ha de domaine public fluvial, 4 000 ouvrages d'art, écluses et barrages, ainsi que de 2 500 bâtiments et maisons éclusières. Cela montre l'étendue des responsabilités de l'établissement qui emploie 4 700 agents. Après 18 mois de fonctionnement, vous pourrez donc nous dire quel bilan vous portez sur l'organisation et l'activité de VNF.

Mais surtout, vous êtes actuellement en cours de finalisation du projet stratégique de l'établissement pour la période 2015-2020. Ce document est essentiel si l'on veut relancer le transport fluvial et la voie d'eau dans notre pays. Au moment où nous nous préparons à accueillir une conférence majeure sur le climat, il n'est pas inutile de rappeler que le transport fluvial est certainement le plus vertueux de tous les modes de transport : avec 1 kg équivalent pétrole, on peut transporter 1 tonne de marchandises sur 50 km par camion, sur 130 km par le train et sur 175 km par la voie fluviale. Le transport fluvial est le moins cher, le moins polluant et parmi les plus sûrs des moyens de transport mais aussi - et c'est là le paradoxe - l'un des moins utilisés... Nous serons donc très heureux d'entendre les grandes lignes du projet stratégique destiné à relancer ce mode de transport et à développer l'intermodalité.

Je ne doute pas aussi que mes collègues auront à coeur de vous interroger sur les grands projets structurants qui concernent votre établissement : Bray-Nogent, le canal du Rhône à Sète ou encore le canal Seine -Nord Europe. Où en est-on ? On nous avait indiqué, lors d'une précédente audition au début de l'année 2014, que des financements européens pourraient être mobilisés mais à condition que le projet soit finalisé pour la fin de l'année 2014. Qu'en est-il effectivement ?

Autre question enfin : est-ce que VNF s'engage dans la production d'électricité, comme le lui permet la loi de 2012 ? Est-ce que cela pourrait être une source de revenus pour l'établissement ?

M. Marc Papinutti, directeur général des Voies navigables de France. - Je vous remercie pour votre invitation et vous prie d'excuser l'absence de Stéphane Saint-André, président de notre conseil d'administration.

Il ne s'agit pas de notre première audition devant votre commission, et je souhaiterais insister aujourd'hui sur le fait que VNF est un établissement qui a besoin de perspectives pour les cinq années à venir. Notre premier contrat d'objectifs et de performance s'est achevé et nous sommes devenu un établissement moderne, responsable, soucieux de la qualité du service rendu à l'usager et garantissant l'utilité sociale, économique et environnementale de la voie d'eau.

Nous évoluons aujourd'hui dans un environnement contraint. Le trafic fluvial est globalement stable à + 1 % en tonnes-km en 2013 pour les marchandises et - 2 % en 2014 : nos opérateurs résistent mieux à la crise que les autres modes de transport, comme le ferroviaire ou la route. La croisière fluviale connaît quant à elle une très forte croissance, de + 15 % en nuitées en 2014. On trouve des paquebots de croisière notamment sur la Seine, sur la Garonne, sur le Rhône et la demande continue de croître : on envisage de créer des pontons supplémentaires dans de nombreux endroits. Parallèlement, la réglementation environnementale se renforce en favorisant l'intermodalité et nous oblige à améliorer notre gestion hydraulique.

En 2014, nos ressources se contractent par rapport aux années antérieures : les dotations de l'État s'élèvent à 255 millions d'euros, nos ressources propres hors taxe hydraulique génèrent 53 millions d'euros et notre effort d'investissement atteint 187 millions d'euros. La taxe hydraulique, créée au moment de la mise en place de VNF, rapporte 143 millions d'euros, mais voit aujourd'hui son rendement affecté à deux niveaux : d'une part, elle est écrêtée à l'instar d'autres taxes affectées, d'autre part, les évolutions stratégiques d'EDF, notre principal contributeur, le conduisent à s'implanter davantage à l'extrémité des fleuves ou en bord de mer, qu'à l'intérieur des terres.

Nos effectifs se réduisent, avec une diminution de 20 ETP en 2015, moins élevée que les années précédentes, mais les lettres de cadrage que nous recevons annoncent une réduction plus forte à venir.

Aujourd'hui, VNF doit relever quatre défis. Le premier consiste à promouvoir et assurer les activités de navigation. Nous essayons de réhabiliter, de moderniser et d'automatiser le réseau, nous sécurisons les ouvrages et nous développons le transport fluvial. Il est rare qu'un gestionnaire d'infrastructure ait aussi un rôle de développement du transport. Nous étudions par exemple la possibilité de remonter du sable en réhabilitant un réseau historique sur le canal latéral à la Loire.

Notre deuxième défi est d'offrir un service à nos clients et usagers, pour répondre dans la durée à leurs besoins et attentes. Il s'agit d'une révolution culturelle que nous conduisons en portant une attention quotidienne à leur sécurité et à celle de nos agents.

Notre troisième défi est de préserver le patrimoine que constituent les voies navigables. Nous le protégeons, nous l'entretenons, en assurant l'équilibre entre le développement des activités de transport ou de tourisme, et la protection de l'environnement. Par exemple, nous n'utilisons plus de produits phytosanitaires depuis le 1er janvier 2013.

Notre quatrième défi est d'assurer la maîtrise d'ouvrage de grands projets. Je pense en premier lieu, à l'échelle nationale, à Bray-Nogent et au canal du Rhône à Sète, puis à l'échelle européenne, au projet Seine-Escaut dont le canal Seine - Nord Europe constitue la partie française.

Nous nous appuyons pour tout cela sur la compétence et le professionnalisme de nos 4 700 agents, qui sont issus de la fusion du personnel de droit privé de l'ancien établissement public industriel et commercial VNF, et de trois catégories de personnels de droit public : fonctionnaires, contractuels et ouvriers parcs et ateliers. Cette transformation nous oblige à conduire un dialogue social approfondi, qui fonctionne plutôt bien.

Les valeurs de notre établissement et de ses personnels sont le service public et l'intérêt général, le développement durable et la sécurité, le professionnalisme, la compétence, la qualité, l'efficacité, la réactivité, le dynamisme, le travail d'équipe. L'adaptabilité est un peu plus compliquée à mettre en oeuvre. Nous sommes tous, du directeur général au premier chargé d'exploitation, attachés à la voie d'eau, à ce que sont les canaux et ce que l'on peut y faire. Bien entendu, cela suppose en arrière-plan, le respect, l'écoute et la responsabilité.

Nous avons retenu pour 2015-2020 quatre grandes orientations stratégiques. Nous devons d'abord organiser notre réseau, dans un contexte de contraintes budgétaires, économiques et environnementales. Nous devons ensuite agir avec les acteurs institutionnels et économiques au bénéfice du développement des réseaux mais aussi avec les territoires. Nous devons également contribuer au développement des activités locales et touristiques. C'est un vrai sujet pour VNF, nous ne faisons pas que du transport de marchandises : 2 000 agents sont en poste sur un réseau à dimension essentiellement touristique et territoriale. Enfin, nous devons construire un établissement socialement et économiquement responsable.

En ce qui concerne la première orientation, je reviens quelques instants sur l'offre de services. Nous avons fondamentalement trois grands types d'usages. Le premier semble tellement naturel qu'il est parfois oublié dans les discussions : nous proposons une offre de services fret garantie toute l'année sur le réseau principal. La navigation y est possible 7 jours sur 7 en passage libre à l'écluse ou à la demande lorsque le trafic est un peu plus faible. On propose à certains endroits un service 24h/24, par exemple sur la Seine entre Paris et Le Havre.

Le second type d'usage, sur le réseau secondaire, correspond à une offre de service saisonnière à vocation touristique. Selon les régions, la saisonnalité se concentre sur deux ou quatre à six mois. Nous devons l'articuler avec une offre fret qui doit être évaluée à son coût réel pour VNF, étant donné la moindre fréquence du trafic fret sur le réseau secondaire, qui génère peu d'économies d'échelle. Sur ce point, qui concerne par exemple le canal des Ardennes, nous devons travailler de concert avec les territoires.

Enfin, le troisième type d'usage concerne la partie du réseau sur laquelle passent très peu de bateaux, et qui nécessite une part d'anticipation pour mobiliser les agents de VNF ou de prévoir l'automatisation de certaines écluses. Nous développons une offre de service permettant d'autres usages de l'eau et concentrons notre action sur la gestion hydraulique, par exemple l'entretien de passes à poissons à côté de nos barrages. Ainsi, même lorsqu'il n'y a plus de trafic fret ou voyageur, par exemple sur le petit tronçon entre le canal du Nord et le canal de Saint-Quentin, nous devons continuer à assurer un entretien minimum pour les besoins de gestion hydraulique. Un canal ne peut pas être totalement abandonné !

Nous avons essayé de découper les enjeux de notre réseau en trois cartes. La première carte concerne les enjeux commerciaux. Les trafics fret sont principalement concentrés sur le Rhin, la Moselle internationale jusqu'à Metz, la Seine jusqu'au coeur de Paris, le Rhône, le canal du Nord actuel interconnecté avec la Belgique et l'Escaut et dont le développement continue de croître avec le port de Dunkerque, et enfin toutes les liaisons interbassins vers les grands ports maritimes.

La deuxième carte porte sur les enjeux touristiques. On y observe une concentration de plus en plus forte des acteurs de la location de bateaux, principalement sur le canal du Midi, sur la petite Saône et quelques canaux comme le canal du Nivernais, le canal Marne-Rhin avec le plan incliné de Saint-Louis-Arzviller. En arrière-plan, nous nous interrogeons sur les services à fournir aux territoires pour développer le tourisme fluvial, qui séduit beaucoup de Néerlandais, de Belges ou d'Allemands. Ces personnes descendent au début de l'été et passent deux à trois mois en France : elles consomment environ 50 euros par jour localement et le cyclotourisme correspondant est évalué à près de 100 euros par jour.

Enfin, la troisième carte représente les enjeux de gestion hydraulique. La situation est plus complexe. Les liaisons interbassins entre le bassin Moselle-Rhin, le bassin du Rhin et le bassin Saône-Rhône, sont encore peu utilisées localement, ce qui n'est pas sans poser de problèmes quant aux choix à faire. Nous analysons la situation itinéraire par itinéraire : nous déclinons les projets pour chaque itinéraire, nous évaluons l'offre de services que nous pouvons proposer, nous allouons les moyens et nous effectuons systématique une analyse des risques sécuritaires et environnementaux.

En parallèle, nous avons de grands projets de développement : le canal du Rhône à Sète où nous avons commencé les travaux, la liaison Bray-Nogent qui intéresse les céréaliers de Champagne et de l'Aube, et le canal Seine - Nord Europe qui a fait l'objet d'un amendement à la loi Macron pour la création par ordonnance d'une société de projet.

M. Michel Raison. - Je croyais qu'il n'était pas passé ?

M. Hervé Maurey, président. - Ca va revenir !

M. Marc Papinutti. - Ensuite, nous avons l'opération Mageo dans l'Oise, ainsi que l'opération sur Condé-Pomerol pour accéder au réseau belge. Enfin, nous travaillons à la sécurisation d'ouvrages existants, notamment l'écluse de Méricourt, qui pose des problèmes de fiabilité à un endroit stratégique où nous avons beaucoup de trafic.

En ce qui concerne notre orientation « Agir avec les acteurs institutionnels et économiques », il y a d'abord l'Europe, auprès de laquelle nous avons déposé un dossier pour obtenir 40 % de subvention pour le canal Seine - Nord : nous devrions obtenir la réponse cet été ou à l'automne. Nous devons également effectuer un travail de fond pour nous ajuster au redécoupage des régions, alors que l'organisation territoriale de VNF vient tout juste d'être mise en place. Nous travaillons également avec les métropoles, notamment Lyon, Lille ou Rouen, avec les départements, par exemple sur l'utilisation des chemins de halage comme pistes cyclables, et avec les acteurs économiques (céréaliers, BTP). Nos outils, vous les connaissez : ce sont les CPER, les commissions territoriales, dont le fonctionnement est très inégal, et les contrats de territoire.

Nous devons contribuer au développement des activités. S'agissant de la place de VNF dans la promotion et le développement du fret fluvial, nous avons beau vouloir développer l'offre de services, encore faut-il que des entreprises, d'une part, nous suivent et, d'autre part, soient aidées.

Si on le compare au transport routier, le trafic fluvial n'est pas un mode de transport simple. La construction de la chaîne logistique implique toujours une intermodalité pour amener le fret jusqu'au bateau et ensuite le décharger ; ces opérations sont moins rapides qu'avec un camion qui arrive immédiatement au coeur de l'entrepôt. Grâce à l'avantage économique que présente le transport fluvial on a pu constater, en Moselle par exemple, que les silos se sont rapprochés du grand gabarit et se sont concentrés autour de ces grands axes. Nos clients céréaliers se sont transformés. Il nous appartient de mieux faire connaître ce mode de transport pour le développer.

Dans cette optique, VNF organise des « river dating » pour mettre en présence des centaines de personnes qui échangent sur leur expérience et cela aboutit parfois à la création de nouveaux trafics. Il nous faut aussi travailler avec les grands ports maritimes. Nos ports français ne sont pas naturellement physiquement aussi ouverts à leur arrière-pays fluvial que ne le sont les ports d'Europe du Nord. Les premiers ports fluviaux français sont d'ailleurs plus particulièrement sur le Rhin ou l'Escaut. Ce sera une étape difficile car la culture fluviale n'est pas encore développée, y compris physiquement. Toutefois, nous constatons de bonnes croissances du trafic, notamment sur le Rhône ou avec le Port de Marseille.

Nous devons encore faire des efforts pour l'activité économique et touristique. Certains sites de VNF ont jusqu'à 500 000 visiteurs par an. Nous pouvons mieux aménager notre domaine de 40 000 hectares et y améliorer l'offre de services, à l'instar, par exemple, de ce que nous avons déjà réalisé à Lyon, sur les berges de la Saône.

D'autre part, en ce qui concerne l'innovation, j'attire votre attention sur le fait que nos bateaux sont anciens, certains vieux de soixante ans ; il n'y a plus de nouvelles constructions de bateaux depuis une trentaine d'années. En Europe, il ne se vend qu'une cinquantaine de nouveaux moteurs par an. Cela pose un problème d'innovation et de respect des normes européennes.

De plus, pour accompagner le changement, nous devons assurer la sécurité. J'ai d'ailleurs fixé l'objectif ambitieux de zéro accident avec arrêt de travail.

Enfin, notre stratégie financière doit être confortée car le financement d'un projet de cette nature nécessite une visibilité financière sur trois à cinq ans, en particulier pour les investissements.

M. Hervé Maurey, président. - Merci pour cette présentation. Je laisse à présent la parole à mes collègues qui souhaitent vous interroger.

M. Charles Revet. - Je vous remercie pour cette présentation qui met en lumière tout le potentiel des Voies navigables de France, mais aussi tout ce qui reste à faire pour exploiter ce potentiel.

Dans mon département de la Seine-Maritime, par exemple, il y a les deux grands ports du Havre et de Rouen dont nous sommes loin d'utiliser pleinement le potentiel.

Au Havre, le trafic est de 2,5 millions de containers, tandis qu'à Anvers il est de 10 millions. En 2009, alors que j'étais rapporteur du projet de loi sur les grands ports maritimes, j'avais constaté qu'on ne pouvait utiliser ni le fleuve ni le fer, privilégiant de fait la route. Dans mon rapport, j'avais donc suggéré un raccordement entre la Seine et le grand port maritime. Mais c'est la solution, bien plus coûteuse, d'un centre intermodal qui a été décidée.

Face aux difficultés de financement rencontrées, ne serait-il pas possible d'envisager des partenariats public-privé ?

D'autre part, le canal Seine - Nord suscite de nombreuses inquiétudes des élus de ma région : ne risque-t-il pas de nous faire perdre du trafic ?

Enfin, ne pourrait-on pas réhabiliter le réseau de canaux existant pour permettre une partie du trafic vers l'Est ?

M. Rémy Pointereau. - Je félicite M. Papinutti pour son exposé et les projets qu'il souhaite mettre en oeuvre pour développer les voies navigables. C'est un enjeu majeur, au regard notamment de la transition énergétique que nous nous apprêtons à voter en nouvelle lecture.

Sur la problématique des allers retours dans le transport fluvial, comment trouver des marchandises pour rentabiliser le retour d'un trajet ? Le projet du Grand Paris prévoit-il d'utiliser le transport fluvial pour évacuer les milliers de mètres cubes de gravats ?

Le tourisme fluvial ne se développera que s'il est proposé avec des offres complémentaires. Quelles sont les marges financières de VNF pour développer tous les projets que vous avez évoqués ? Et comment peut-on également aider les communes limitrophes qui doivent assumer l'entretien ?

M. Hervé Poher. - Je voudrais témoigner de la situation spécifique de la plaine des Flandres où j'ai été maire d'une commune traversée par un canal autrefois utilisé pour le transport du minerai. Lorsque j'ai constaté que les berges de ce canal étaient trouées par les rats musqués sur une longueur de 10 kilomètres, j'ai demandé à rencontrer les responsables de VNF. Je me suis vu opposer une fin de non-recevoir car ce canal n'était plus navigable !

En plaine des Flandres, nous avons un système d'évacuation à la mer qui ne peut fonctionner convenablement que lorsque le niveau des canaux est très bas. En cas de forte pluie ou d'inondation, nous devons demander à VNF d'abaisser les niveaux, ce qui n'est pas toujours accepté car cela obligerait à interrompre la circulation. Ne pourrait-on pas trouver un système de coordination entre les élus locaux, les institutions de wateringues et VNF ?

M. Gérard Miquel. - Vous devez vous demander pourquoi un élu du Lot s'intéresse aux questions fluviales... Depuis quelques années, avec mon collègue Pierre Camani, nous avons rendu le Lot navigable sur un itinéraire qui pourrait faire 200 kilomètres en continu s'il n'y avait pas l'obstacle de deux barrages hydroélectriques. L'impact touristique a été considérable.

Vous nous avez dit que vous pourriez bénéficier de crédits européens pour créer des infrastructures d'accueil touristique. Nous aimerions que les barrages de Fumel et de Luzech puissent également bénéficier de crédits européens pour permettre la continuité du Lot et augmenter encore l'attractivité touristique. Quelle pourrait-être aujourd'hui l'intervention de VNF à cet égard ?

La rivière Lot était navigable il y a bien longtemps. À cette époque, on apportait le vin de Cahors à Bordeaux pour améliorer le Bordeaux...

M. Jean-Claude Leroy. - Je me réjouis de l'engagement pris par le Premier ministre pour la réalisation prochaine du canal Seine - Nord Europe. Comme il a été évoqué plus haut, un amendement à la loi Macron a décidé la création d'un établissement public associant l'État, VNF et les collectivités pour la réalisation de ce projet. Quelle place reviendra aux collectivités territoriales dans la gouvernance de cet établissement ?

Par ailleurs, le rapport Pauvros remis en mai dernier préconise une démarche « grand chantier ». Quels seront le rôle et la place de VNF dans ce dispositif et quelles retombées les entreprises locales en attendent-elles ?

Enfin, quelle est la vocation de la plateforme intermodale de Marquion dans le Pas-de-Calais ? Et quelle surface aurez-vous besoin de prendre à l'ex-BA 103 pour assurer la logistique de ce chantier très attendu dans le Pas-de-Calais ?

M. Didier Mandelli. - Monsieur le directeur général, j'aimerais vous interroger sur le recul des ressources que vous avez annoncé : s'agit-il d'une tendance lourde ? Vous avez également évoqué le plafonnement légal : pouvez-vous détailler ce point ? Cette contrainte obère-t-elle votre capacité de développement ? Enfin, le changement de stratégie industrielle des clients est-il la cause ou la conséquence d'une adaptation des outils ?

Mme Nelly Tocqueville. - Tout comme Charles Revet, je suis élue de Seine-Maritime et, à ce titre, je dois vous faire part des inquiétudes qui s'expriment quant au projet de canal Seine - Nord. C'est un canal de 100 kilomètres, à grand gabarit avec un projet de liaison significatif dont on comprend bien l'importance. En 2008, ce canal avait été déclaré d'intérêt public et inscrit au schéma national des infrastructures de transports, ce dont tout le monde s'était réjoui, le consensus était alors général.

Aujourd'hui, le député-maire du Havre dénonce « un gâchis économique et environnemental », les présidents des chambres de commerce et d'industrie de Rouen et du Havre parlent d'une « mise en péril de l'équilibre économique et industriel de la région ». Tout le monde s'inquiète d'une fragilisation des installations portuaires de l'axe Seine au bénéfice des ports de l'Europe du Nord, Anvers et Rotterdam.

Le consensus n'est donc plus de mise. Lorsque l'on regarde la carte que vous nous avez présentée, on constate que Le Havre a complètement disparu. Or, la vallée de la Seine constitue le premier complexe portuaire français et le quatrième à l'échelle européenne. Le Havre est le premier port français pour le trafic de containers, Rouen le premier port français pour les céréales et le papier et, à ce jour, Le Havre n'est toujours pas pourvu d'une desserte fluviale directe.

Je rappellerai brièvement que le contrat de plan État-Région (CPER) 2007-2013 avait inscrit 57 millions d'euros pour le développement des infrastructures portuaires du Havre, et que celui de 2015-2020 prévoit d'autres infrastructures prioritaires. Il s'agit-là d'investissements lourds et les inquiétudes des élus n'en sont que plus vives.

Quid de cet aménagement ? Qu'en est-il d'une desserte fluviale directe et du développement d'un pôle multimodal vers Le Havre, sans lequel on condamnerait complètement une partie de notre territoire portuaire ?

M. Jean-Jacques Filleul. - Je suis favorable au canal Seine - Nord et je découvre les inquiétudes des élus de cette région.

Vous avez évoqué une stabilité du fret fluvial. Qu'en est-il précisément ? Pouvez-vous aussi préciser vos démarches en direction des entreprises ? Certaines marchandises peuvent être transportées sans que la question des délais soit fondamentale. Ce mode de transport est, de plus, très intéressant sur le plan environnemental.

Lors d'une précédente audition, vous aviez évoqué avec enthousiasme les livraisons dans Paris par la Seine. Où en êtes-vous de cet intéressant projet ?

Quant à la Loire, elle n'est malheureusement pas navigable. Mais nous avons toutefois de nombreux projets touristiques.

M. Jérôme Bignon. - Je suis navré de voir se développer cette polémique sur le canal Seine - Nord, car nous appartenons tous à la même communauté et il s'agit d'un projet d'intérêt général qui mobilise d'importants moyens financiers. Le maire du Havre évoque souvent le fait qu'il faudrait une liaison ferroviaire électrifiée entre Le Havre et Châlons-en-Champagne. Cet aménagement du territoire vous paraît-il utile ?

Vous nous avez parlé de vos 40 000 hectares de réserves foncières, situées en parties dans des zones humides. Le canal Seine - Nord va prendre beaucoup d'espace aux terres agricoles. Êtes-vous opérateur de compensation ? En tant qu'opérateur foncier, vous avez un rôle à jouer dans les préoccupations du monde agricole et des défenseurs de la biodiversité.

Mme Annick Billon. - Vous avez évoqué les contrats de territoire et les grands projets. Nous connaissons tous les difficultés que rencontrent les collectivités locales pour faire aboutir certains projets, en raison notamment des différents schémas et zonages de protection des zones naturelles sensibles. Je pense en particulier aux zones humides, aux zones Natura 2000, ou encore aux zones naturelles d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF). Êtes-vous également gêné par ces contraintes dans la réalisation de vos projets ? Je voudrais être sûre qu'il n'y a pas deux poids, deux mesures, en la matière...

Mme Odette Herviaux. - J'ai beaucoup apprécié votre exposé, qui était à la fois complet et pédagogique. Sans m'attarder sur la polémique entre le développement du grand port maritime du Havre et le canal Seine - Nord Europe, déjà largement évoquée par mes collègues, je pense qu'il est important d'anticiper à la fois le développement du transport maritime et celui du transport fluvial. Pour éviter toute concurrence directe, il faut que les projets du Havre et du canal Seine - Nord Europe soient menés de front : anticiper la taille des futurs grands navires peut être une piste de réflexion.

Je souhaite également revenir sur le sujet des ports fluviaux, qui ont des statuts et une gouvernance complètement différents des ports maritimes. Cela peut poser problème aux collectivités, lorsqu'elles doivent aménager les abords des canaux, ou qu'elles possèdent des terrains qui pourraient accueillir un port.

M. Benoît Huré. - Monsieur le directeur général, lorsqu'on reçoit un organisme aussi important que VNF dans l'aménagement de nos territoires, on fait forcément le tour de France des doléances ! J'ai d'ailleurs appris avec désolation qu'on gaspillait le Cahors pour aller enrichir le Bordeaux... (sourires).

Je souhaite, pour ma part, témoigner d'une coopération fructueuse entre VNF et le département des Ardennes. Nous étions régulièrement inondés par la Meuse - la dernière inondation a engendré pas moins de 350 millions d'euros de dégâts ! -, et notre collaboration très constructive avec VNF a permis de dompter le fleuve et lancer le projet de reconstruction du barrage. Les collectivités avaient certes investi des sommes importantes dans ces travaux, mais c'est l'investissement de plus de 320 millions d'euros par votre établissement qui a permis de concrétiser ces opérations.

L'approche pratique, pragmatique et innovante de VNF est la preuve que service public et efficacité sont compatibles !

Les travaux menés sur le grand port de Givet, situé de manière stratégique sur la route fluviale vers Anvers et Namur, ont permis une véritable montée en puissance du fret grand gabarit. Cet exemple illustre votre souci d'être facilitateur de liens commerciaux avec les acteurs qui utilisent vos réseaux.

Enfin, en tant qu'élu local, j'accorde beaucoup d'importance au développement du tourisme. Là encore, VNF, en supportant l'investissement de 27 millions d'euros fait par les collectivités, nous a permis de réhabiliter en voies vertes près de 80 kilomètres de berges. Depuis 2004, près de 200 000 visiteurs ont pu bénéficier de ces aménagements. Ce chiffre augmente de 10 % tous les ans, les retombées économiques avoisinent les 8 millions d'euros : c'est un vrai succès !

Pour le soutien de votre établissement à tous ces projets, je tiens donc à vous remercier chaleureusement.

M. Marc Papinutti. - Je vais répondre en premier lieu aux sénateurs qui ont exprimé leur inquiétude au sujet du canal Seine - Nord Europe. Les travaux, après avoir été retardés, puis interrompus, devraient commencer en 2017 pour se terminer en 2023. Nous avons mis en place une société de projet, qui permet aux collectivités territoriales concernées de participer à la gouvernance « au quotidien » du projet, conformément aux engagements pris par VNF. Ces collectivités intervenaient déjà auprès des Safer et sur les opérations de remembrement, car nous sommes très attentifs à la préservation des bonnes terres agricoles, mais il est important qu'en tant que maître d'ouvrage, nous les associions pleinement au projet.

Du point de vue du financement, les départements et les régions se sont engagés à hauteur d'un milliard d'euros, l'Etat versera la même somme, et nous attendons maintenant la subvention européenne qui doit nous être versée dans le cadre du mécanisme pour l'interconnexion de l'Europe (MIE).

Un deuxième axe majeur est l'axe Seine. Notre volonté d'y développer le trafic est aussi grande que pour le canal Seine - Nord Europe. La concurrence est un faux problème : il faut surtout requalifier l'axe Seine en axe de transport, et pas seulement fluvial !

Il ne faut pas confondre le problème de lisibilité auquel nous sommes confrontés avec un problème économique : les deux axes ne sont tout simplement pas de même nature. VNF ne choisira pas entre l'un et l'autre ; nous soutiendrons les deux. Nous avons d'ailleurs travaillé avec les grands ports maritimes pour présenter un contrat de projet interrégional (CPIER) qui intègre toutes ces problématiques, et nous permet de nous interroger sur le développement des transports non-agressifs que sont le fluvial et le ferroviaire dans les cinq à sept ans à venir. Il faudra, bien sûr, que les régions Normandie et Ile-de-France portent également cette réflexion au niveau politique. Je ne doute pas que le CPIER proposera une solution pour reconstruire l'axe Seine, sans pour autant se désengager du canal Seine - Nord Europe.

Concernant l'usage des partenariats publics-privés (PPP) : nous avons cité le cas réussi de la Meuse. Nous avons pu produire de l'hydro-électricité, ce qui a dégagé des recettes. Sans ce type de partenariat, nous n'aurions pas été capables, à raison d'un barrage tous les quatre ou cinq ans, de moderniser l'ensemble des infrastructures. Mais il n'y a pas de secret : les deux seules ressources mobilisables dans le cadre d'un PPP sont les usagers et les subventions publiques. Selon que l'on place le curseur d'un côté ou de l'autre, les projets mettent plus ou moins de temps à se réaliser.

Monsieur Pointereau a évoqué le fret retour. C'est un véritable problème pour le développement du transport fluvial, sur lequel nous menons également une réflexion approfondie. Nous avons parfois un retour de containers, mais la concurrence du transport routier est forte.

Je suis convaincu que le développement du transport fluvial doit s'appuyer sur nos opérateurs et nos territoires : la France est un pays de grands céréaliers, et restera exportateur dans ce domaine. Le trafic de l'agroalimentaire est stable, et nous devons accompagner et soutenir leur présence sur le marché mondial. L'énergie est un autre secteur sur lequel il faut s'appuyer, même si les flux sont plus instables. Enfin, il nous faudra être inventifs pour révolutionner les circuits de traitement des matériaux de construction et s'orienter vers des cycles courts. La logistique urbaine n'est pas un simple gadget : les déchetteries flottantes, mises en place à Lyon et Paris, sont une réussite. Nous travaillons étroitement avec France Nature Environnement sur ces sujets.

Nous prenons très à coeur notre rôle dans le tourisme fluvestre. C'est un véritable levier pour les territoires isolés, et nous avons un potentiel paysager, souvent inconnu, qu'il faut valoriser. Le canal des Ardennes en est un excellent exemple. Peut-être viendrons-nous prochainement dans le Lot : j'ai entendu votre appel, Monsieur Miquel...

Enfin, je souhaite dire un mot du recul des ressources. Aujourd'hui, les projets stratégiques ne comportent pas de volet financier ; sans savoir quels sont réellement nos moyens, il m'est difficile d'engager VNF sur certains projets. Nos réserves foncières sont conséquentes, mais difficiles à maîtriser. La taxe hydraulique, dont nous tirons une partie de nos ressources, est écrêtée tous les ans : nous ne sommes malheureusement pas les seuls à en pâtir. De plus, la croissance économique du pays est faible, ce qui nous oblige à être plus innovants pour pouvoir continuer à investir. Les investissements sont bien entendu priorisés ; la sécurité est primordiale, notamment pour les 350 barragistes qui opèrent encore aujourd'hui. Le trafic et le tourisme sont également privilégiés.

Monsieur Poher a évoqué le cas délicat des wateringues flamands, ces canaux du Nord accessibles uniquement aux bateaux de petit gabarit. VNF doit trouver le juste équilibre entre la prévention des inondations et le développement de la navigation. Il faut que le canal soit à la fois le réservoir en cas d'inondations - dans cette région, l'eau ne coule pas vers la mer... mais vers l'intérieur des terres ! -, et un accès au port de Dunkerque : trop haut, on ne passe plus les containers sous les ponts, trop bas, on pénalise le fret lourd vers Dunkerque... ces canaux sont une gageure !

M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie pour cette audition très intéressante. Les questions ont été nombreuses, preuve de notre intérêt pour VNF !

M. Charles Revet. - Je souhaite poser une dernière question à M. Papinutti...

M. Hervé Maurey, président. - La dernière !

M. Charles Revet. - J'ai deux questions concernant la « chatière », qui est un projet déterminant pour le développement du port du Havre et du trafic fluvial vers Paris. Ce projet dépend-t-il de vous ou seulement du port du Havre ? Le coût estimé de l'opération étant inférieur à 100 millions d'euros, pensez-vous que la conclusion d'un PPP permettrait de lancer le développement plus rapidement ?

M. Marc Papinutti. - VNF n'est pas le maître d'ouvrage de la « chatière », même si nous avions mené les premières études économiques sur ce projet : c'est le grand port maritime du Havre qui occupe cette fonction.

Des études approfondies sont planifiées dans le cadre du CPIER : les choix seront définis dans la deuxième partie du contrat de plan.

La réunion est levée à 11 heures.

- Présidence de M. Hervé Maurey, président -

Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages - Audition de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

La réunion est ouverte à 16h45.

M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Nous sommes heureux d'entendre Mme la ministre sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Nous avons longuement travaillé ensemble cet hiver sur le projet de loi relatif à la transition énergétique qui devrait nous réunir à nouveau mi-juillet. Le texte sur la biodiversité s'inscrit lui aussi dans une démarche de long terme pour préserver l'avenir et valoriser le patrimoine naturel et biologique que nous lèguerons aux générations futures. Comme sur la question du climat, nos concitoyens, d'abord préoccupés par leur quotidien, ont parfois du mal à se sentir concernés. À nous de faire oeuvre de pédagogie.

Les scientifiques sont formels : la France, avec son outremer, se classe au sixième rang des pays abritant le plus grand nombre d'espèces menacées, et la dégradation de nos milieux naturels s'accélère. Bien plus qu'une contrainte, la protection de la biodiversité doit être une chance et une opportunité à saisir. Source d'innovation, elle constitue aussi un levier économique grâce aux techniques de bio-mimétisme et au génie écologique ; c'est un secteur créateur d'emplois. C'est également un outil de lutte contre le changement climatique, puisque l'on sait, par exemple, que la forêt prélève l'équivalent de 15 % des émissions de CO2.

Nous devons engager une démarche ambitieuse qui soit fédératrice sans être culpabilisante, vexatoire ou discriminante. Certains amendements adoptés à l'Assemblée nationale ont été très mal vécus, notamment par les chasseurs, qui se sentent pointés du doigt comme les principaux destructeurs de la biodiversité. C'est naturellement faux - et je ne suis pas chasseur ! Beaucoup d'agriculteurs s'inquiètent également des normes de plus en plus nombreuses qui leur sont imposées. Puisque nous sommes au Sénat, nous souhaiterions en savoir davantage sur la déclinaison territoriale de l'Agence de la biodiversité. Enfin, ce projet de loi fait un recours important, voire excessif, aux ordonnances : on en compte une douzaine. Adopté en Conseil des ministres en mars 2014, il ne sera examiné par le Sénat qu'en octobre 2015. Cela nous donne suffisamment de temps pour insérer les dispositions dans le texte de loi, plutôt que de procéder par ordonnances.

Nous accueillons ce projet de loi dans un esprit positif. Notre commission travaille, nous avons rencontré les préfigurateurs de l'Agence il y a deux semaines, lors d'une réunion organisée au Museum national d'Histoire naturelle. Notre rapporteur, Jérôme Bignon, a déjà effectué plus d'une centaine d'auditions. Il est aussi, sinon plus impatient que vous que ce texte vienne en discussion. Nous élaborerons le texte de la commission les 7 et 8 juillet prochains. Enfin, Mmes Sophie Primas et Françoise Férat ont été désignées rapporteures pour avis, respectivement pour la commission des Affaires économiques et pour celle de la Culture.

Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. - Je suis très heureuse de vous présenter ce projet de loi relatif à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, qui cherche à créer un nouvel élan en fédérant les sensibilités par-delà leurs différences, au service de la protection et de la valorisation de nos ressources naturelles terrestres, aquatiques et marines, pour définir une bonne harmonie entre la nature et les êtres humains qui l'occupent. Je sais l'attention que votre commission porte à ces enjeux écologiques et économiques. Je connais votre engagement, monsieur le président, pour avoir travaillé avec vous sur la transition énergétique. Je salue l'engagement de longue date de Jérôme Bignon, ainsi que l'investissement des élus des territoires ultra-marins qui concentrent 80 % de notre biodiversité.

Ce projet de loi s'inscrit dans le prolongement d'un travail législatif ancien, dont le moment fondateur est la loi du 18 juillet 1976, première loi de portée globale sur la nature. J'ai eu l'honneur de défendre la loi de protection et de valorisation des paysages du 8 janvier 1993, puis il y a eu les avancées du Grenelle de l'Environnement. Des progrès ont été réalisés, tempérés par l'accélération de la dégradation de notre patrimoine naturel. Le temps est venu de donner force de loi à une vision actualisée et élargie de la préservation de ce capital naturel qui est aussi une source de croissance verte et de croissance bleue. Cette nouvelle approche se fonde sur le principe de solidarité écologique qui prend en compte les écosystèmes et leurs interactions, car dans la chaîne du vivant dont nous sommes à la fois acteurs et tributaires, tout se tient et tout se soutient. Les écosystèmes dont la biodiversité est tissée nous rendent des services innombrables et vitaux, pour l'agriculture et la régénération des sols, pour la régulation climatique et la protection de nos littoraux, pour la qualité de l'air et de l'eau, pour la pollinisation des plantes dont dépend notre alimentation, pour les médicaments, pour le bien-être et pour l'équilibre que nous puisons dans la nature ; sans oublier ses services culturels, la beauté et la variété de notre patrimoine paysager qui sont un facteur d'attractivité économique et touristique ; sans oublier non plus ces modèles que la nature offre aux chercheurs, aux ingénieurs et aux architectes qui en tirent les techniques les plus pointues et les plus performantes comme le bio-mimétisme ou la bio-inspiration dont on voit les réalisations au salon aéronautique avec l'avion solaire.

Un pionnier de l'approche systémique a comparé cette dégradation de la biodiversité à un pullover dont une maille saute : au début, cela ne semble pas gênant, mais quand tout se détricote, on se rend compte de l'importance de chaque maille ! Il ne s'agit pas de mettre la nature sous cloche ni de la figer, mais d'en préserver et d'en restaurer le potentiel, car ce tissu de relations est à la fois notre assurance sur la vie et un gisement de richesses et d'activités, de filières d'avenir, d'emplois dans les territoires, bref, de réconciliation entre l'écologie et l'économie. Nous devons tirer les leçons de l'expérience, renforcer ce qui a fait ses preuves, simplifier et clarifier ce qui s'est additionné au fil du temps au détriment de la cohérence et de la visibilité, créer des outils plus opérationnels et capables de fédérer les énergies. Voilà l'esprit dans lequel ce texte a été élaboré. J'espère que le Sénat l'améliorera.

Je vous présente une loi d'action pour mobiliser toutes les forces vives de la nation, les citoyens, les associations, les chercheurs, les entreprises, les territoires, sans oublier les agriculteurs dont je connais les difficultés et qui sont les gardiens de cette nature qu'ils font fructifier. C'est pourquoi je me réjouis de l'adhésion, en mars, des organisations agricoles à la stratégie nationale de la biodiversité, et j'ai tenu à leur réserver deux places au conseil de la future Agence nationale pour la biodiversité, comme elles le demandaient.

Il est désormais nécessaire d'établir une relation plus harmonieuse avec la nature pour agir non pas contre elle, mais avec elle, et de faire de l'urgence de ce rééquilibrage non pas une contrainte, mais une chance. De l'école, où l'éducation à l'environnement est fondamentale, aux gestes quotidiens que chacun peut accomplir, en passant par ces sciences participatives qui associent les citoyens à la collecte et à l'utilisation des données comme le fait le Muséum national d'Histoire naturelle, la reconquête de la nature est un vaste chantier d'intérêt général, qui a besoin de tous. C'est aussi un enjeu démocratique, et je souhaite donner une nouvelle impulsion au dialogue environnemental en modernisant notre droit à l'environnement et en démocratisant nos procédures.

Ce projet de loi prétend valoriser le patrimoine naturel et enrayer la disparition des espèces. Il modernise la protection des espaces naturels et des espèces menacées en accentuant ce qui marche : il renforce la simplification des procédures des parcs naturels régionaux et les interventions du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. Il crée de nouveaux outils comme les zones prioritaires pour la biodiversité. Il renforce la lutte contre le trafic d'espèces protégées, qui est la quatrième source d'enrichissement illicite et de criminalité dans le monde, en multipliant les sanctions par dix. Des actions sont déjà engagées, comme le premier plan national d'action en faveur des abeilles et des pollinisateurs, « France, terre de pollinisateurs », dont la valeur économique est évaluée à 1, 5 milliard d'euros par an. J'ai également suspendu l'exportation d'ivoire brut, et demandé au Commissariat général au développement durable de faire des propositions pour en restreindre la commercialisation sur le sol français. Nos douaniers ont fait récemment une prise exceptionnelle de trafic d'ivoire.

C'est une loi pour innover sans piller. Contre la bio-piraterie, le projet instaure un mécanisme de partage équitable des avantages tirés de la biodiversité et des savoirs traditionnels autochtones, conformément au protocole de Nagoya. Certaines entreprises anticipent déjà cette démarche. La Polynésie française, victime de bio-piraterie dans les années 1980, a réussi à reprendre la maîtrise de la filière du monoï, issu du gardénia tahitien et d'un savoir-faire ancestral.

C'est une loi pour prévenir et combattre les effets du dérèglement climatique. Elle accélère la création de continuités écologiques et des trames vertes et bleues que beaucoup de régions ont engagées. Elle encourage le développement d'espaces volontaires d'écosystèmes. L'ensemble des schémas régionaux de cohérence écologique seront finalisés à la fin de cette année. Le projet prévoit que l'État mettra à disposition du public une carte de l'érosion du littoral. Il crée également le premier programme français de protection de 55 000 hectares de mangroves et de 75 % des coraux, comme cela avait été annoncé dans le message de la Guadeloupe en octobre dernier et lors du sommet des Caraïbes de mai 2015.

Enfin, le projet de loi prévoit l'obligation pour toutes les zones commerciales d'intégrer des toitures végétalisées ou des panneaux photovoltaïques, ainsi que des parkings perméables pour une meilleure gestion de l'eau. Les toitures végétalisées représentent une opportunité considérable de réduction des consommations d'énergie, jusqu'à 40 % de réduction des dépenses de climatisation, selon certaines études.

C'est une loi pour développer la croissance bleue. La France est la deuxième puissance maritime mondiale. Le projet de loi crée des zones de conservation halieutiques, c'est-à-dire des zones maritimes ou fluviales qui protègent le cycle de conservation des espèces. Il renforce les outils comme les aires marines protégées et encadre les activités en haute mer. La France protègera 20 % de ces aires marines. Après le parc naturel marin d'Arcachon et celui de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis, trois autres parcs sont à l'étude, en Martinique, dans le golfe normand-breton et au Cap Corse.

C'est une loi pour protéger la santé et limiter la pollution. Le texte reconnaît le lien entre biodiversité et santé. En favorisant le maintien des haies, des bosquets, des mares, la loi facilite le recours à l'épuration naturelle de l'eau. Elle interdit le rejet en mer des eaux de ballast non préalablement traitées, qui transportent des espèces nuisibles envahissantes. Le Ministère a engagé l'opération « Terre saine, communes sans pesticides », pour anticiper l'arrêt des pesticides utilisés par les collectivités. Je salue le travail des sénateurs qui ont adopté la proposition de loi de Joël Labbé sur l'usage des pesticides par les particuliers et les collectivités. Avec Stéphane Le Foll, nous avons engagé la finalisation du plan Ecophyto 2. La France va interdire la vente en libre-service des pesticides utilisés par les 17 millions de jardiniers-amateurs, soit 4 000 tonnes, dès le 1er janvier 2016 pour ceux contenant du glyphosate, classé comme cancérigène par l'OMS. Je sais que les sénateurs ont fait plusieurs propositions concernant les pesticides dangereux pour la santé, notamment dans le rapport de Nicole Bonnefoy. Le conseil européen des Académies des sciences a conclu en avril 2015 aux sévères effets négatifs des néonicotinoïdes sur la faune, l'eau et les sols ; certaines publications montrent une neuro-toxicité pour l'homme. La France a engagé l'extension du moratoire européen sur l'ensemble de ces pesticides. J'ai saisi l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) afin de définir les nouvelles interdictions d'usage potentiel en accompagnement des réévaluations européennes. Le gouvernement a par ailleurs demandé à la Commission européenne d'accélérer la réévaluation scientifique conduite par l'Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments. Nous soutiendrons les projets territoriaux qui visent la suppression des néonicotinoïdes et le développement des alternatives au travers du plan Ecophyto 2.

C'est une loi pour reconquérir les paysages. Les paysages du quotidien comme les sites les plus remarquables constituent le cadre de vie de tous les Français. Ils contribuent à forger l'image de la France et à transmettre des traditions. Nous devons veiller sur eux et leur être fidèles.

Enfin, cette loi crée les outils d'un pilotage plus transparent, plus efficace et plus lisible. Elle rassemble les missions et en simplifie les structures, avec la création d'une instance unique d'expertise scientifique et technique, du Conseil national de la protection de la nature, instance de débat qui rassemble toutes les parties prenantes, du Comité national de la biodiversité et de comités régionaux de la biodiversité, dans chaque région et dans les territoires d'outre-mer, qui seront fusionnés avec les comités de bassin.

La loi crée l'Agence française de la biodiversité qui réunira l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l'Agence des aires marines protégées, les Parcs nationaux de France et l'Atelier technique des espaces naturels. Une unité commune à l'Agence et au Muséum d'Histoire naturelle sera mise en place afin de mieux articuler la recherche, l'expertise et la diffusion des connaissances. L'Agence disposera d'un budget d'environ 60 millions d'euros au titre du volet « eau et biodiversité » du programme des investissements d'avenir, qui s'ajoutera à son budget de 230 millions d'euros.

J'ai installé une équipe de préfiguration de cette Agence, parrainée par Hubert Reeves et dont Gilles Boeuf préside le conseil scientifique. Cette structure est dirigée par Olivier Laroussinie, actuel directeur de l'Agence des aires marines protégées. J'ai réuni en février dernier un atelier sur la déclinaison des objectifs de la future agence dans les outre-mer, et la préfiguration de ses antennes ultra-marines, animé par les députés Serge Letchimy et Victorin Lurel. Un séminaire réunissant tous les partenaires de la future agence s'est tenu les 22 et 23 mai derniers à Strasbourg.

L'équipe de préfiguration m'a remis le 11 juin son pré-rapport, qui conforte les orientations initiales. L'Agence donnera une meilleure lisibilité à la stratégie française et appuiera nos positions à l'international. Elle vise à décloisonner les politiques de l'eau et de la biodiversité terrestre et marine. Elle sera le lieu d'une expérimentation inédite des relations entre l'État et les collectivités, avec une forme d'organisation très souple, adaptée aux niveaux régional et départemental. Toutes les collectivités sont concernées, et le département joue un rôle important avec la gestion des espaces naturels sensibles.

Les moyens financiers et humains de l'Agence devront être précisés, ainsi que son organisation territoriale, son implantation immobilière, son calendrier de création. Les politiques de biodiversité terrestre, aquatique et marine devront être mieux intégrées. Enfin, il faudra développer la mutualisation des moyens, en partenariat avec les collectivités, le monde associatif et le secteur économique, mais aussi avec des établissements publics de l'État tels que les agences de l'eau et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). L'élargissement du champ des compétences des agences de l'eau à la biodiversité et au milieu marin facilitera l'intégration des acteurs des territoires dans la mise en oeuvre de ces politiques. L'Assemblée nationale a proposé de faire évoluer leur gouvernance, afin de renforcer le positionnement des usagers non économiques et de tenir compte des remarques de la Cour des comptes en matière de transparence et de prévention des conflits.

L'enjeu économique et social de la biodiversité, de la nature et des paysages est immense. C'est un potentiel d'innovations scientifiques et techniques, de création de richesses, d'activités et d'emplois durables, capable de donner un élan à la croissance verte et à la croissance bleue. C'est aussi un nouveau modèle de développement de société. L'essor rapide du génie écologique qui représente déjà un demi-millier d'entreprises et 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires est bien le signe avant-coureur du possible et une raison supplémentaire d'agir. Comme le disait Robert Barbault, la biodiversité est une véritable bibliothèque d'innovations, au sein de laquelle les bibliothèques de tous nos pays réunis ne représentent même pas un bout d'étagère. Voilà une perspective passionnante, riche de nouveaux savoirs, de nouvelles créations et de nouveaux progrès. Hubert Reeves a coutume de dire que le temps presse, mais que la bonne nouvelle, c'est que l'action est possible pour que l'humanité reprenne en main ces biens communs que sont la biodiversité et le climat : « Issus nous-mêmes de la biodiversité, utilisons sa stratégie, innovons, et n'oublions pas que négliger les questions liées à la biodiversité, c'est les laisser s'aggraver avec le temps pour les retrouver plus tard plus difficiles à résoudre ». Nous sommes à la veille de la publication de l'encyclique du pape François qui dira aussi des choses formidables sur les relations entre l'être humain et la nature qui l'entoure.

M. Jérôme Bignon, rapporteur. - Je vous remercie pour cet exposé précis et riche, qui témoigne d'une longue réflexion et donne du sens aux mesures que vous proposez. Vous avez rappelé mon engagement de longue date sur le sujet et le président a mentionné les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé. Après le temps de l'information, vient celui de la maturation et des questionnements.

Je m'interroge sur l'organisation des instances. Le Comité national pour la biodiversité doit discuter des stratégies et des objectifs à mettre en oeuvre. L'Agence quant à elle, doit être une instance exécutive. Une co-gouvernance rendrait le dispositif inopérant. Ne faudrait-il pas inverser l'ordre des systèmes pour prévoir, par exemple, la présence des agriculteurs au comité national plutôt que dans l'instance d'exécution ? La biodiversité est un sujet assez sérieux pour que l'État ait une responsabilité régalienne en la matière. Il faudrait en tout cas renforcer le lien entre le Comité national pour la biodiversité et l'Agence de la biodiversité.

En effet, 80 % de la biodiversité française est ultra-marine. J'ai présidé l'Agence des aires marines protégées pendant plusieurs années. Elle ne doit pas faire cavalier seul, c'est pourquoi je souhaite son intégration dans l'Agence de la biodiversité. Le texte crée un comité d'orientation pour rassurer ceux qui craignaient que la partie maritime de notre territoire soit oubliée. Peut-être faudrait-il également créer un comité d'orientation pour les outre-mer ? Ce serait envoyer un signal fort à des populations qui se sentent souvent frustrées, même si vous avez déjà fait beaucoup pour elles. Il faudra en parler avec MM. Letchimy et Lurel.

Vous avez annoncé à l'Assemblée nationale que vous proposeriez une alternative à l'amendement de Mme Batho sur la gouvernance de l'eau. Pourrions-nous en avoir connaissance avant le 7 juillet, date de l'examen du texte en commission ? Quand aurons-nous accès au pré-rapport des préfigurateurs sur la territorialisation de l'Agence ? Depuis la Somme, l'Eure ou la Loire Atlantique, l'Agence paraît lointaine. Nous souhaiterions en savoir davantage sur l'évolution des agences de l'eau, même si le sujet est plutôt règlementaire.

La compensation écologique est une règle mal connue, mal comprise et mal appliquée. Ce projet de loi donne des outils puissants pour la mettre en oeuvre. Attention toutefois à ne pas faire la part trop belle à la compensation, car l'objectif premier reste l'évitement. Vous avez labellisé les pratiques du conseil départemental des Yvelines en la matière, qui valorisent la dimension économique de la compensation plutôt que son aspect punitif. Quand la compensation est préparée avec intelligence, les obstacles tombent. Le domaine de Voies navigables de France (VNF) comprend 45 000 hectares de zones humides, nous a dit son directeur général, M. Marc Papinutti. Qu'en est-il de la SNCF, des aéroports, ou de la propriété foncière dans les établissements publics de l'État ? Il faudrait faire un inventaire beaucoup plus détaillé de ce qui pourrait entrer dans les bases de la biodiversité, développer l'ingénierie de la compensation mais aussi le rôle des entreprises et des collectivités en la matière. Cela atténuerait le sentiment de double peine que ressentent les acteurs économiques, notamment agricoles. L'État pourrait donner l'exemple en prenant en compte les délaissés routiers.

Mme Ségolène Royal, ministre. - Nous affinerons notre stratégie en matière de gouvernance à la lumière des débats que nous aurons et du pré-rapport des préfigurateurs qui vous sera transmis d'ici la fin de la semaine. La fusion de plusieurs organismes au sein de l'Agence inquiète naturellement les salariés qui s'interrogent sur l'avenir de leurs missions, de leurs fonctions et de leur statut. Il faudra conduire la fusion en les respectant, tout en étant clair sur les objectifs à atteindre et le rythme à adopter. Il faudra bien distinguer ce qui relève du pouvoir régalien, préciser qui assume les responsabilités.

Pour les outre-mer, l'Assemblée nationale a prévu une antenne. Vous évoquez un comité d'orientation : pourquoi pas ? Mais les outre-mer font aussi partie de la communauté nationale ; faut-il leur réserver un traitement spécifique, quitte à les isoler ? Évitons la communautarisation si nous voulons nous intégrer dans une action internationale.

Nous réfléchissons à la gouvernance de l'eau. J'ai compris que vous souhaitiez avoir connaissance des amendements du Gouvernement le plus tôt possible. Cela me paraît de bonne méthode, dans une optique de co-construction.

L'inventaire des propriétés publiques est une très bonne idée. J'ai ainsi découvert que les bordures des routes nationales, où j'ai fait interdire l'usage de pesticides et généralisé, dans le cadre du plan pollinisateur, les fauches tardives, représentent une superficie équivalente à celle de tous nos parcs naturels nationaux !

Les ONG ont contesté la compensation à distance, et la compensation morcelée se heurte au droit. Nous devons continuer à y réfléchir, envisager des surcompensations, l'utilisation d'espaces publics à proximité... Toutes les idées sont les bienvenues. Les trames vertes et bleues ne se mesurent pas à des échelons territoriaux restreints : une rivière traverse plusieurs écosystèmes, et toute décision a des conséquences sur d'autres territoires.

M. Rémy Pointereau. - Merci pour cette présentation. Jérôme Bignon est un rapporteur passionné, très à l'écoute. Ce projet de loi ne doit pas être culpabilisant ou discriminatoire. Il ne doit pas, non plus, être punitif. La biodiversité évolue et ne doit pas être sanctuarisée.

L'article 68 quater inquiète les chasseurs, notamment pour ce qui concerne la vénerie sous terre. Quelle est votre position ?

La continuité écologique, prévue à l'article 3, entre en contradiction avec les dispositions de la loi sur la transition énergétique quand elle prescrit la destruction de barrages hydroélectriques sur des petites rivières. Que faire pour préserver ces sources d'énergie renouvelable ? De même, la compensation écologique va à l'encontre de l'objectif de préservation des terres agricoles poursuivi par les commissions départementales de consommation des espaces agricoles (CDCEA), surtout qu'elle prévoit souvent une double peine, ou pire : un hectare pris par un aménagement routier peut être compensé par quatre ou cinq hectares de reboisement ! Vous avez pourtant reconnu le rôle des agriculteurs dans la préservation de la biodiversité. Non à la surcompensation, préservons les terres agricoles !

L'Assemblée nationale a largement détricoté le travail du Sénat sur le projet de loi de transition énergétique, rapporté par Louis Nègre, que vous aviez pourtant salué. En ira-t-il de même pour ce texte-ci ? J'espère que vous serez l'arbitre entre les deux assemblées, pour que notre travail serve à quelque chose.

Mme Nicole Bonnefoy. - Je salue la qualité de ce projet de loi qui favorisera le renouvellement nécessaire des politiques publiques en faveur de la biodiversité. Les constats scientifiques sont alarmants : extinction des espèces, dégradation des espaces naturels... La France a besoin d'outils d'excellence environnementale, au moment où Paris s'apprête à accueillir la COP 21. J'ai été rapporteure de la mission commune d'information sur les pesticides, dont le rapport a été adopté à l'unanimité en 2012, et dont nombre de recommandations ont déjà été suivies. Nous serons attentifs aux résultats de l'étude que vous avez confiée à l'Anses sur les néonicotinoïdes. Vous avez annoncé l'arrêt, le 1er janvier 2016, de la vente libre aux jardiniers amateurs de produits contenant du glyphosate. La loi agricole oblige déjà les distributeurs à fournir un conseil aux utilisateurs non professionnels au moment de la vente. Ne vaudrait-il pas mieux s'attaquer à la question de fond qu'est la séparation du conseil et de la vente ? Cette même loi agricole encadrait, sans l'interdire, l'épandage de pesticides à proximité de lieux sensibles, écoles ou maisons de retraite. Vous aviez souhaité que la proximité d'habitations soit aussi prise en compte. Ce projet de loi en sera-t-il l'occasion ?

M. Hervé Poher. - Merci pour ce projet de loi, qui fait travailler nos neurones tout en stimulant notre affectivité. Le volontarisme requiert des symboles. Le transfert dans l'Agence de la biodiversité de la Trame verte et bleue, représentant les parcs naturels et les aires marines, et l'Onema, en est un bon exemple. Mais pourquoi l'Office national des forêts (ONF) et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) n'y figurent-ils pas ? Maire d'une commune dotée d'une forêt domaniale de 800 hectares, je me suis heurté à l'ONF pendant des années. Ajouter à ses fonctions mercantiles de vente d'actions de chasse ou de bois un rôle de protection de la biodiversité lui conférerait un peu de grandeur.

Ne va-t-on pas demander aux départements de financer l'Agence française de la biodiversité ? Je sais que le produit de la taxe d'aménagement est très convoité... Fera-t-on appel aux agences de l'eau ? À force de pomper leur budget, elles seront à court de liquide ! Ayant présidé le comité de bassin de l'agence Artois-Picardie, je sais qu'elles ont encore beaucoup à faire, notamment pour appliquer la directive-cadre sur l'eau.

Vous n'avez pas évoqué l'échelon départemental, alors que les espaces naturels sensibles sont importants et que les départements font beaucoup pour préserver la biodiversité. La loi demande aux parcs régionaux de rendre des avis sur beaucoup de sujets : planification, urbanisme mais aussi orientations forestières et gestion cynégétique. Il y a déjà assez de motifs de discorde, n'en ajoutons pas ! Comme pour tous les êtres vivants, les parcs ont des propriétés innées - les paysages - et d'autres acquises, comme celles résultant de la transition énergétique - les éoliennes, par exemple. Lesquelles faut-il privilégier ?

Mme Évelyne Didier. - Bonne question ! Comment faire pour que les personnels des différentes instances qui vont être fusionnées se sentent un destin commun ? Certains étaient là depuis le début et ne veulent pas être mis de côté.

La question des moyens et des emplois sera discutée lors de la loi de finances rectificative. Je sais votre pugnacité, madame la ministre, mais pouvez-vous nous dire comment vous comptez préserver ces moyens, voire les faire croître pour répondre aux missions nouvelles de l'Agence ?

La question du bien commun est centrale, face aux menaces de privatisation du vivant. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?

La continuité écologique ne peut se satisfaire de compensations lointaines : ce serait nier la notion même d'écosystème. Il faut préserver l'équilibre local, en cherchant d'abord à éviter.

Je m'associe aux propos de M. Poher sur l'ONF et l'ONCFS, qu'il faudra associer.

Enfin, la police de l'environnement ne devrait-elle pas être traitée à part, pour éviter les conflits ?

M. Ronan Dantec. - En ce jour où se déroule l'épreuve de philosophie du baccalauréat, nous avons l'occasion de nous interroger sur les contradictions de la nature humaine. Nous sommes tous favorables à la protection de la biodiversité, bien sûr, et nous le dirons la main sur le coeur. Mais pour réduire la fragmentation, nous aurons besoin d'outils de planification forts à des échelles pertinentes. Ces contraintes à l'échelle communale ne seront pas du goût de tous ! La lutte contre les agressions chimiques qui réduisent la biodiversité sera pareillement l'occasion de discordances, tout comme les mesures de gestion des espèces : il y aura toujours une bonne raison pour ne pas toucher à tel produit ou à telle pratique...

Loin de détricoter le texte, l'Assemblée nationale a conservé les apports du Sénat à la loi de transition énergétique, sauf ceux où l'ambition du texte était revue à la baisse. C'est là une bonne méthode, que nous devrions suivre pour ce texte.

Alain Richard a déclaré hier en présentant son rapport sur la démocratie environnementale au Conseil national de la transition écologique (CNTE), en présence de Mme la ministre, qu'il faudrait des garanties sur la compensation pour apaiser certains conflits locaux. Bien sûr, nous n'allons pas remplacer des tritons crêtés par des outardes barbues. Il faut aussi que la compensation fasse l'objet d'un suivi dans le temps.

La création d'une police de l'environnement unique est une question différente de celle de la fusion des différents offices, pour laquelle les esprits ne sont pas mûrs. L'évolution du débat me fait penser qu'elle n'est pas hors d'atteinte, y compris pour une police de la chasse, qui pourrait changer le mode de financement des gardes-chasse.

Le renforcement des normes en France ne doit pas s'accompagner d'un affaiblissement des règles européennes. La révision des directives « Habitat » et « Oiseaux » suscite des inquiétudes. La France doit affirmer clairement son opposition à toute baisse d'ambition pour le paquet « Natura », qui a beaucoup fait pour protéger la biodiversité.

M. Louis Nègre. - Merci d'avoir proposé un texte sur la biodiversité. Comme l'a dit Antoine de Saint-Exupéry, nous n'héritons pas la Terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants. Je m'estime responsable de ce qui se passera sur la Terre dans quelques années. Les objectifs du projet de loi sont consensuels : lutter contre la disparition des espèces et le changement climatique, développer la croissance bleue... Quel financement avez-vous prévu pour les atteindre ? Vous êtes contre l'écologie punitive, nous aussi ! Le rapport sur les inondations avait révélé une véritable levée de fourches des maires contre l'Onema. Comment les convaincre, ainsi que les agriculteurs ?

Dans les Alpes maritimes - et ailleurs - nous avons le loup, protégé par la convention de Berne. Quel équilibre trouver entre biodiversité et protection des éleveurs ? Je tiens l'homme pour l'une des espèces à protéger, car il est victime de la pollution de l'air. Pour la réduire, rien ne vaut les transports collectifs. Or le Premier ministre a annoncé le 9 juin que les seuils de neuf et dix salariés seraient relevés à onze. Très bien, mais cela se traduira par un transfert de plusieurs centaines de millions d'euros sur les collectivités territoriales, sans compensation ! Du coup, le conseil d'administration du Groupement des autorités responsables de transport (Gart) s'est unanimement prononcé contre cette mesure et réclame le maintien du statu quo dans l'attente d'une concertation.

Mme Annick Billon. - Les parcs naturels régionaux sont gérés par des syndicats mixtes. La loi NOTRe, qui retire la compétence générale aux départements, n'en fragilisera-t-elle pas la gestion ? Ceux-ci pourraient s'en retirer, alors qu'ils représentent 30 % du budget. Comment sécuriser ces budgets, et le statut des parcs ?

M. Gérard Miquel. - Je me réjouis que ce texte clarifie la protection de la biodiversité. Pendant des siècles, des générations de paysans ont entretenu l'espace et préservé la biodiversité : défrichant, aménageant, ils ont fait du pays ce qu'il est. Après des années d'agriculture productiviste, nous revenons à une agriculture raisonnée et biologique, mais nous avons perdu beaucoup d'agriculteurs : des zones entières sont en déprise agricole, la friche gagne...

J'ai beaucoup apprécié vos propos sur le loup, madame la ministre. Entre les moutons, les hommes et les loups, je choisis les moutons et les hommes ! La préservation de la biodiversité ne doit pas empêcher certaines activités. Nous devons au contraire soutenir l'installation de jeunes agriculteurs pratiquant l'agriculture extensive pour préserver les espaces, qui sans cela deviennent la proie de la broussaille, des sangliers et des chevreuils, qui détruisent la biodiversité. Dans mon département, nous menons des opérations de reconquête des espaces abandonnés, en laissant des moutons les nettoyer pendant les estives.

Mme Ségolène Royal, ministre. - Merci pour vos questions, dont la richesse et la diversité reflètent celles de la société française et de nos territoires. La chasse est un sujet sensible. Lorsque l'Assemblée nationale a débattu de l'interdiction de la chasse à la glu et de la chasse au blaireau, je m'en suis remis à la sagesse, car ce texte ne doit pas être l'occasion d'un conflit sur des questions qui doivent faire l'objet d'une consultation de proximité. Je serai attentive à l'avis du Sénat, en formant le voeu que celui-ci sache éviter les affrontements entre chasseurs et non chasseurs.

Les décisions sont difficiles à prendre sur l'arasement des barrages, comme ceux de la Sélune : rétablir la continuité écologique suppose de perturber les territoires. J'essaie d'appliquer les méthodes de démocratie participative. Une solution peut être de regarder l'état des barrages : il faut parfois les vidanger, ce qui a déjà produit des catastrophes écologiques. Il faut surtout redéfinir un projet territorial pour créer des emplois en tirant parti de la reconquête de la qualité paysagère.

Sur le projet de loi de transition énergétique, plusieurs dizaines d'amendements du Sénat, acceptés par le Gouvernement, n'ont pas été remis en cause à l'Assemblée nationale. Je les y ai défendus, en commission comme en séance, et j'agirai de même pour ce texte-ci.

L'ONF est un organisme économique et financier, qui compte 12 000 agents. Il serait donc difficile de le fusionner avec d'autres. Et vous savez les débats autour de l'ONCFS... La loi prévoit que nous pourrons réexaminer dans deux ans l'adhésion à l'Agence de la biodiversité. Les contrats d'objectifs de l'ONF et de l'ONCFS prévoiront un travail de terrain en commun sur la biodiversité, comme je m'y suis engagée, car tout ne doit pas être décidé d'en haut.

Mme Didier a évoqué les salariés : je les recevrai. La problématique de la commercialisation du vivant sera au coeur de la loi, ainsi que la question de la répartition des bénéfices et de la spoliation.

En matière de police de l'environnement, je gère en ce moment le problème du désarmement des agents de l'Onema, qui se révèle fort complexe.

Les collectivités territoriales disposent de cinq sièges au conseil d'administration de l'Agence française pour la biodiversité : les départements y auront leur place.

Je suis heureuse de vos questions sur la compensation, car ce sujet conflictuel n'a guère été soulevé à l'Assemblée nationale, or il est important que le législateur apporte des solutions. L'article 33 facilite la mise en oeuvre de mesures compensatoires, tout en respectant le principe d'équivalence écologique. Possibilité de contractualiser avec les propriétaires de terrain, notion d'opérateur de compensation, réserves d'actifs naturels agréés par l'État... En se dotant d'un dispositif souple et moderne, la France conduit une expérimentation qui pourra profiter à d'autres pays - dans la perspective de la COP 21, nous nous devons d'être exemplaires.

La Commission européenne a retenu la France parmi les dix États-membres faisant l'objet d'un examen approfondi pour la révision des directives. Cet effort est bienvenu, car la superposition des dispositifs et des labels conduit à un excès de complexité et à des gaspillages - les élus locaux le savent bien. Le Marais poitevin en est un exemple manifeste : Grand site de France, Natura 2000, parc naturel régional, etc. La simplification et la hiérarchisation des normes réduiront aussi les risques de contentieux.

J'ai obtenu un avis favorable du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) pour faciliter les prélèvements de loups, preuve que les esprits évoluent. Il faut une juste conciliation entre les activités humaines et les espèces protégées.

La thématique des transports, qui croise biodiversité et transition énergétique, n'a pas été beaucoup évoquée à l'Assemblée nationale. Je serai attentive aux apports du Sénat.

J'ai mis en place un groupe de travail sur les parcs naturels régionaux avec Jean-Louis Joseph pour examiner si des dispositions législatives sont nécessaires pour pérenniser leur financement.

La reconquête des friches est moins souvent évoquée que le recul des espaces naturels protégés. L'Agence de la biodiversité pourra travailler sur ce thème, car il pose la question de l'articulation entre la présence humaine et la biodiversité. On peut imaginer une réutilisation sous forme de biomasse, par exemple.

M. Hervé Maurey, président. - Merci de ces réponses très complètes.

Dividende numérique - Saisine pour avis et nomination d'un rapporteur pour avis

La commission décide de se saisir pour avis de la proposition de loi n° 2822 (AN, XIVème législature) relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre, et désigne M. Patrick Chaize en qualité de rapporteur pour avis.

La réunion est close à 18 h 15.