Mercredi 14 octobre 2015

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Audition de M. André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière

La réunion est ouverte à 10 h 30.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. André Yché, président du directoire du groupe SNI. Monsieur le Président, vous souhaitiez vous exprimer devant nous sur les activités de votre groupe. Vous êtes accompagnés de votre directeur de cabinet, M. Thomas Le Drian, et de votre responsable des relations institutionnelles, Mme Anne Frémont.

Notre collègue, M. Gérard César, me rappelait que vous avez eu une vie professionnelle très riche, puisqu'au terme d'une carrière au sein du Ministère de la Défense d'abord comme officier pilote de l'Armée de l'Air, puis comme Contrôleur général des armées, vous êtes devenu le secrétaire général aux affaires régionales de la région Aquitaine avant de rejoindre le cabinet de M. Alain Richard, alors Ministre de la défense. Vous êtes depuis 1999 administrateur de la Société nationale immobilière.

Je rappelle que le groupe SNI est une filiale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations. Nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'évoquer vos activités la semaine dernière, lors du déplacement du bureau de notre commission, à l'invitation de M. le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations à l'Hôtel de Pomereu. Vous gérez 340 000 logements sur l'ensemble du territoire dont 86 000 logements intermédiaires.

Le groupe que vous dirigez s'est mobilisé pour relancer la construction de logements intermédiaires avec un objectif de 35 000 logements intermédiaires d'ici à 2019. À cette fin, vous avez recours à trois dispositifs : d'une part, le fonds de logement intermédiaire, qui regroupe outre la SNI, 17 investisseurs, d'autre part, la société pour le logement intermédiaire, et enfin un programme que vous réaliserez directement.

Pouvez-vous nous présenter ces différents dispositifs ? Vous nous expliquerez comment encourager le développement du logement intermédiaire sans pénaliser la construction de logements sociaux, puisque vous êtes très proche de ce segment. Votre projet de construction de 35 000 logements intermédiaires a pu en effet susciter des inquiétudes quant à une possible compétition entre la SNI et des bailleurs de logements sociaux notamment dans l'acquisition de terrains.

Un second sujet, également d'actualité, concerne notamment l'accueil des demandeurs d'asile. Depuis la fin de l'année dernière, le groupe SNI est devenu actionnaire majoritaire au capital d'ADOMA. Je rappelle qu'Adoma est un opérateur clé du logement très social. Elle est le premier opérateur national d'hébergement des travailleurs migrants et demandeurs d'asile. Adoma s'est engagée à poursuivre le développement de ses missions traditionnelles mais aussi à mettre en place une offre de logements au bénéfice des jeunes actifs précaires. Où en êtes-vous dans la mise en place de cette nouvelle offre ? Comment Adoma fait-elle face à l'afflux de réfugiés que nous connaissons ?

Monsieur le président, vous avez la parole pendant une vingtaine de minutes pour nous présenter votre activité, vos projets, après quoi mes collègues vous poseront des questions.

M. André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière. - Je vous remercie Monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs, je vais effectivement faire le point sur l'avancement du programme de logements intermédiaires étudié et élaboré au cours de l'année 2012. Ce programme est quasiment opérationnel depuis le début de l'année 2015. Pour mémoire, celui-ci résulte de dispositions de nature fiscale, à savoir la loi de finances pour 2014 et d'une ordonnance adoptée ultérieurement. J'en rappelle les principales caractéristiques.  D'une part, ce programme est encadré quant aux plafonds de loyers et de ressources par référence à ceux des dispositifs Duflot et Pinel Ce programme est, d'autre part, limité aux zones tendues et très tendues, soit les zones A, où l'on trouve notamment les grandes métropoles régionales et la grande couronne de la région parisienne, et Abis qui comprend également Paris et la petite couronne. Un logement dit intermédiaire est ainsi considéré comme un logement administré. Il est ainsi obligatoire de garder un statut locatif pendant dix ans au minimum et de conserver la moitié du patrimoine constitué pendant 15 ans. Les mesures, qui permettent de rendre ce produit fiscalement attractif, sont l'application d'une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à un taux intermédiaire de 10 %, ainsi que une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pour des biens loués de dix à vingt ans.

Quels sont les territoires concernés ? Nous avons retenu l'idée qu'entre le loyer le plus élevé et celui du marché, un écart de l'ordre de 25 à 30 % devait être assuré. Cet écart correspond au zonage que je viens de vous évoquer. Un quart de la population française s'y trouve et celle-ci présente un potentiel de croissance démographique de l'ordre de 50 % du potentiel national. Il s'agit donc de zones où le dynamisme démographique est le plus fort en Europe.

Quelles sont les populations concernées ? Celles dont les revenus sont situés en-dessous des plafonds de ressources des dispositifs Pinel et Duflot et qu'on peut qualifier de populations intermédiaires. Sociologiquement, ces personnes correspondent à la catégorie dite des « travailleurs clés » (« key workers ») à laquelle appartiennent les personnels des trois fonctions publiques, dont la fonction publique hospitalière qui représente un enjeu important pour nous.

Quels sont les résultats que nous enregistrons après une année de fonctionnement à plein régime ? Dans un premier temps, vous l'avez rappelé Monsieur le Président, nous avons constitué un fonds d'investissement pour les logements intermédiaires faisant appel à des investisseurs privés ou éventuellement publics mais se positionnant dans une perspective d'investisseur privé, comme l'Agence des participations de l'État (APE), le Fond de réserve des retraites ou encore l'établissement des retraites additionnelles de la fonction publique, soit au total dix-sept investisseurs. Au mois de juin dernier, le bouclage de ce fonds a été terminé. Celui-ci est ainsi le quatrième fonds mondial d'investissement immobilier en 2015 et le premier européen dans les constructions neuves. En effet, nos objectifs principaux sont de soutenir l'activité du BTP et de fournir une offre de logements. Notre fonds a recueilli 1,045 milliard d'euros de fonds propres permettant d'assurer, par un effet de levier, de l'ordre d'1,8 milliards d'euros de capacité d'investissement. Ce montant est certes modéré mais tient compte des exigences des investisseurs. Il devrait assurer la production de 10 000 logements intermédiaires.

À cela s'ajoute une initiative de l'État via l'APE qui a décidé de réaffecter sur le produit logement intermédiaire une partie des produits des cessions réalisées les années précédentes, atteignant un volume de fonds propres de 750 millions d'euros pouvant aller jusqu'à 1,250 milliards d'euros. L'effet de levier sur ce produit est un peu supérieur et devrait nous permettre d'investir un montant de l'ordre de 2,3 milliards d'euros, c'est-à-dire 13 000 logements intermédiaires de plus. En outre, la Caisse des dépôts a décidé de suivre cette dynamique en apportant des fonds propres à la SNI à hauteur de 900 millions d'euros. Au total, lorsqu'on additionne les trois dispositifs, on atteint un potentiel d'investissement de l'ordre de 6,3 milliards d'euros correspondant à 35.000 logements intermédiaires.

Ces logements entrent dans des opérations mixtes comportant au minimum 25 % de logements sociaux et une partie plus ou moins significative d'accession à la propriété. Ces 35 000 logements correspondent ainsi à un volume d'activités qui peut varier entre 80 et 100 000 logements sur une durée de cinq ans.

Les exigences de rentabilité des investisseurs portent sur un rendement d'exploitation en revenus locatifs, qui est versé sous forme de coupons annuels, de l'ordre de 3,5 % du capital investi, avec une espérance de plus-value de cession à terme qui se situe entre 3,5 et 7 %. Ce qui signifie un taux de rendement du capital investi qui devrait se situer au moment de la revente d'une partie des actifs, entre 7 et 10 %. La dégradation du rendement des produits financiers contribue au succès de cette opération.

Notre perspective immédiate est la mise en oeuvre de l'opération. Aujourd'hui, nous avons franchi le seuil de 8 000 mises en précommande auprès des grands promoteurs qu'ils soient nationaux ou locaux. Celles-ci correspondent soit à des mises en chantier qui débutent dès à présent, soit à des programmes qui seront lancés au cours de 2016 voire en 2017. Certes, certains problèmes de maîtrise du foncier, ainsi que d'obtention des permis de construire ou de purge des recours, peuvent survenir. Sur ces 8.000 mises en commande, 45 % se trouvent en Ile-de-France, 20 % en Provence-Alpes-Côte-D'azur et 15 % en Rhône-Alpes ; ces trois régions constituant les zones prioritaires de développement de ces produits.

Nous constatons également un effet d'entraînement de notre programme sur le logement social. Ainsi, pour les huit mille précommandes précédemment évoquées, ce sont un peu plus de 3 500 logements sociaux qui nous ont été commandés en accompagnement du programme de logement intermédiaire, tout en sachant que nous n'avons pas le monopole des logements sociaux et que d'autres opérateurs peuvent être, dans le même temps, sollicités pour réaliser la partie « logement social » de ces opérations. Globalement, nous estimons que le ratio est de l'ordre de 1 pour 1 entre les logements intermédiaires et les logements sociaux.

Notre objectif pour cette année 2015 est de dépasser les 10 000 précommandes et de monter en puissance pour atteindre un rythme de pré-commande annuel sur le logement intermédiaire de 12 à 15 000 logements chaque année, afin de tenir notre objectif de 35 000 logements intermédiaires au bout de cinq ans. Ainsi, dès cette année, nous aurons un objectif de mise en production de 15 000 logements intermédiaires et sociaux ; cet objectif annuel pouvant s'élever à 18 000 les années suivantes.

Dans le processus de négociation avec les principaux promoteurs nationaux et locaux que nous sollicitons, nous nous situons 15 % en-dessous du prix public qui est celui auquel les primo-accédants négocient leurs produits. Nous atteignons un tel prix en raison de la taille de nos lots qui excèdent les 250 logements pour atteindre parfois 700 logements. Négocier des commandes aussi conséquentes permet d'obtenir des rabais significatifs. Les promoteurs nationaux ont certes des objectifs de marge, mais il leur faut également assurer un minimum d'activités pour garder des équipes opérationnelles qui seront facilement mobilisables au moment de la reprise. En effet, la compétence ne s'acquiert pas si facilement, et notre produit leur permet, sans faire certes de grosses marges, de maintenir un niveau d'activité globalement satisfaisant.

Ainsi, lorsque nous prévoyons de mettre sur le marché un produit, nous réalisons des simulations pour le placer à environ 15 % en dessous du prix du marché, soit à 5 % en dessous du plafond du dispositif « Pinel ».

Finalement, le « triangle d'or » de cette opération se décompose de la manière suivante : les fonds propres, qui ne sont qu'une étape, les clientèles visées et l'accès à du foncier de bonne qualité et bien situé. C'est la raison pour laquelle nous avons engagé une procédure de conventionnement avec les collectivités locales qui correspondent à notre cible géographique. Nous avons ainsi passé des conventions avec le Grand Lyon, les villes de Marseille, Bordeaux, Toulouse et Paris. Cette énumération n'est nullement exhaustive ! Nous nous sommes également tournés vers des opérateurs publics qui présentent le double avantage d'avoir une clientèle et du foncier. Il s'agit en l'occurrence de Grand Paris Aménagement, l'Établissement public foncier régional d'Ile-de-France avec lequel nous allons passer une convention dans peu de temps, la Société du Grand Paris avec laquelle nous sommes associés dans le cadre de la mise en place des soixante gares du réseau Grand Paris express. À cet égard, nous nous sommes engagés à reloger toutes les personnes déplacées dans le cadre de la réalisation des projets de gare, en contrepartie de quoi nous avons obtenu un accès prioritaire dans la réalisation de logements intermédiaires dans le périmètre des 500 mètres autour de ces gares.

Nous venons également de conclure un accord très important avec l'AP-HP. Nous nous sommes engagés à donner la priorité dans nos logements construits aux personnels paramédicaux, voire aux personnels médicaux en début de carrière. En contrepartie, l'AP-HP a consenti à un accord sur les sites qu'elle détient, comme à Aubervilliers et Paris. Nous avons également des discussions en cours avec la SNCF et la Poste. Nous essayons ainsi de lier la mobilisation de financements en termes de fonds propres gérés comme des financements privés avec l'accès au foncier de populations en phase avec notre coeur de métier qui reste le logement de la fonction publique. De ce point de vue, nous pensons qu'il y a beaucoup à faire dans ce domaine, dans la mesure où l'existence d'une capacité d'accueil à l'arrivée dans une nouvelle ville me paraît nécessaire pour les professions où les mutations géographiques sont parties intégrantes de la carrière et ce, d'autant plus en zone tendue où les difficultés sont encore plus importantes.

On peut considérer que la réalisation de ce projet demeure satisfaisante. Encore faut-il le tenir dans la durée. D'un point de vue objectif, la production de logements dans son ensemble ne s'est pas envolée. Le secteur du logement social continue certes à produire, mais il se heurte à cette difficulté structurelle, sur laquelle je reviendrai, qui concerne la disponibilité des fonds propres. S'agissant de l'autre composante importante de notre programme, qu'est l'accession ou la primo-accession à la propriété, le dynamisme est manquant. Le dispositif « Pinel » soutient certes l'investissement privé mais avec la limite du plafonnement fiscal à 10 000 euros, ce dispositif ne représente qu'une source de déduction fiscale parmi d'autres. De ce fait, ce dispositif est employé bien souvent pour un seul logement par les ménages concernés.

Notre démarche vise à trouver de nouvelles idées destinées à alimenter la primo-accession qui reste l'un des moteurs de la croissance. La Caisse des dépôts devrait nous autoriser à réaliser une expérimentation portant sur un système d'accession réversible limité à des primo-accédants remplissant les conditions pour être locataires des logements intermédiaires. Nous prévoyons de le mettre en oeuvre uniquement dans des opérations dans lesquelles nous sommes déjà engagés au titre du logement intermédiaire locatif. La garantie porterait sur une demande de rachat exprimée par les locataires pendant huit ans et sur 85 % du prix d'acquisition. Nous ne garantissons pas la totalité de l'investissement, mais nous évitons les situations de surendettement ou les situations critiques. Dans le même temps, nous garantissons, de manière spécifique, le relogement des personnes qui renoncent finalement à leur projet d'acquisition. Nous tenons là un début de solution. Tels sont les points que j'estime essentiels sur la question du logement intermédiaire.

Sur le logement social, nous sortons du congrès HLM où nous avons obtenu un certain nombre de garanties. Il y a quinze ans lorsque j'ai débuté, le taux de subventionnement d'une opération de logement social était de 18 à 20 %. Nous étions dans une économie basée sur un système de subventions publiques destiné à être complété par un endettement qui pour être soutenable ne dépassait pas 70% à 75 % du montant des opérations. D'ailleurs, un endettement dépassant ce taux pour une opération de logement social n'est pas soutenable. Le reste était complété par 20 % de subventions publiques et les organismes les plus vertueux mettaient 10 % de leurs fonds propres lorsque d'autres, bénéficiant de l'appui des collectivités publiques associées, n'apportaient aucun financement.

Depuis ces quinze dernières années, de nombreux changements sont intervenus. D'une part, le niveau de subventionnement réel est devenu inférieur à 10 % et, corrélativement, le modèle d'endettement qui prévalait jusqu'alors s'est considérablement affaibli. Ainsi, il faut désormais investir près de 20 % de fonds propres pour boucler une opération. On assiste donc à un changement du modèle d'équilibre de la construction de logements sociaux et cette mutation est un élément essentiel de l'évolution de ce secteur pour les années à venir.

Le niveau des fonds propres globalement disponible pour l'ensemble du secteur est ainsi devenu un critère important. L'autofinancement issu de l'exploitation fluctue, selon les périodes, entre 7 et 10 %. Aujourd'hui, dans un contexte marqué par la baisse considérable des taux d'intérêts, l'autofinancement se maintient. En revanche, une hausse des taux d'intérêt se traduirait par une baisse de l'autofinancement. En pratique, cet autofinancement est de l'ordre de 1,8 milliards d'euros chaque année.

À cela, on peut ajouter les apports en capital et les produits de cession. Ces derniers avoisinaient, en 2013, les 800 millions d'euros, ce qui représente une somme non négligeable. Pratiquement, le tiers du refinancement de ces organismes repose sur de tels produits. Cette contribution est significative, bien qu'insuffisante du fait de contraintes locales diverses et variées. L'autre voie sur laquelle nous travaillons, à la suite du Plan Juncker, vise à définir un mécanisme destiné à alimenter en quasi-fonds propres l'essentiel des organismes HLM. Nous travaillons en effet avec la Banque européenne d'investissement à un mécanisme grâce auquel la BEI apporterait une ligne de crédits bonifiés par Action Logement à hauteur de 80 millions d'euros par an, de telle sorte qu'il soit possible de faire des prêts aux organismes HLM toutes catégories confondues pour une durée de 20 ans, à taux nul, avec un différé de remboursement de 20 ans et un amortissement sur les dix années suivantes, ce qui s'assimile, en fait, à détenir des fonds propres. Un tel moyen permettrait de soutenir l'ensemble de l'effort de production du secteur HLM car si rien n'est fait, la production du secteur ne manquera pas de diminuer. L'Europe conditionne la mise en place de ce type de démarche à la réalisation d'objectifs de performance énergétique très élevés. En outre, pour que ce système soit validé par la BEI, il faut qu'il soit transposable dans plusieurs pays européens et il est clair que notre modèle n'existe guère hors de nos frontières. Nous regardons s'il n'est pas possible de monter un système de fonds, plus complexe que celui qui existe actuellement, et qui permettrait d'assurer le caractère transposable de l'ensemble du dispositif.

Le premier problème structurel du secteur HLM à l'horizon de 4 à 5 années me paraît être ainsi le suivant : comment assurer l'équilibre des opérations alors qu'il faut trouver un substitut au mécanisme de subventions publiques à bout de souffle ?

J'en viens au troisième point que vous avez évoqué, Monsieur le Président, et qui est ADOMA, dont la situation était catastrophique six années auparavant. Le déficit des opérations en cours avait été alors estimé par plusieurs audits, dont celui de l'Inspection générale des finances, à 200 millions d'euros. Lorsque nous avons repris la gestion de cette société, nous nous sommes aperçus qu'il existait des marges de progression considérables. Ainsi, cette entreprise publique disposait alors d'une flotte de 300 véhicules de fonction ! ADOMA a par ailleurs connu trois procédures juridictionnelles. Cette société a été redressée. Elle peut désormais emprunter du fait de sa capacité d'investissement restaurée et de son résultat d'exploitation positif, à quelque 40 millions d'euros. Si nous sommes parvenus à remettre à niveau la moitié du patrimoine, l'autre moitié, en revanche, ne répond pas aux standards actuels. La question des besoins se pose également car l'État souhaite le développement de 20 000 places supplémentaires pour faire face aux besoins structurels, que ce soit en matière d'hébergement d'urgence ou de demandes d'asiles. L'équation demeure relativement simple : tout ce qu'ADOMA et les associations ne peuvent pas proposer est assuré par le système des hôtels meublés, et ce, à hauteur de 400 millions d'euros par an. Augmenter les capacités d'accueil en nombre permettrait ainsi de réduire la facture de ces hôtels meublés.

Dans ce domaine, la crise des migrants avive un sentiment d'urgence. D'un certain point de vue, ce sentiment d'urgence ne présente pas que des inconvénients car il peut contribuer au règlement du problème structurel posé par la nécessité d'accroître les capacités d'accueil. Dès lors, plusieurs possibilités s'offrent à nous. L'Agence foncière et technique de la région parisienne (AFTRP) envisage d'introduire dans les protocoles de cessions des actifs maîtrisés un quota minimum de logement très social et nous avons recherché les logements publics gérés en partenariat avec l'État et non utilisés. Je connais bien le patrimoine immobilier géré par le Ministère de la défense dont la SNI est le partenaire. Actuellement, ce sont près de 800 logements qui sont désaffectés du fait des restructurations militaires et qui sont en cours de transfert entre le Ministère de la défense et Bercy pour être cédés par France Domaine. Personne ne sait ce qu'il en est ! Notre objectif est de proposer ces logements, dont beaucoup se trouvent dans des zones retirées, voire peu accessibles, comme des solutions de secours ponctuelles. Ceux-ci pourraient accueillir de 4 à 5 000 personnes provisoirement.

Un second stock important de logements est détenu par l'Association pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA). Le patrimoine appartient à l'État mais est mis à disposition. Ce patrimoine s'élève à 18.000 places d'accueil utilisées en moyenne sur l'année à 23 %. Des opérations de densification pourraient être réalisées dans des zones tendues, en continuant à accueillir des stagiaires et en diversifiant l'usage de ces locaux. Aller dans ce sens permettrait d'amorcer une évolution positive pour l'AFPA, dont la principale clientèle se trouve dans les quartiers sociaux, voire très sociaux. Voilà, Monsieur le Président, nos principales activités au cours de l'année écoulée.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie, Monsieur le Président, de votre intervention et passe la parole aux membres de la commission qui ont souhaité intervenir, en donnant la priorité aux deux rapporteurs pour avis des missions logement et ville du projet de loi de finances pour 2016.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Vous faîtes montre d'optimisme quant aux objectifs fixés pour les logements intermédiaires. Pour autant, la problématique demeure la mobilisation du foncier public et privé. Sans elle, quelles que soient les volontés exprimées pour produire plus, les programmes ne peuvent aboutir. Sur cette question, malgré les mesures mises en place par le Gouvernement, la mobilisation du foncier s'avère insuffisante pour produire des logements et ce, alors que la production du logement, qu'il soit social ou intermédiaire, demeure en panne. Même si les territoires tendus, qui connaissent les besoins les plus importants, marquent une volonté de produire, ils se trouvent confrontés à un cumul de difficultés, à savoir la cherté, la rareté, les contraintes diverses et variées, dont climatiques, comme en témoignent les graves intempéries qui frappèrent, la semaine passée, la Côte d'Azur. Alors qu'il leur faut produire toujours plus de logements pour répondre aux besoins de nos concitoyens, les élus, qui sont mis en cause pour cette urbanisation, risquent de se rétracter face à cette réalité qui s'impose à eux. Il leur faut également assumer constamment de nouvelles contraintes, à l'instar du quota de 25 % des logements sociaux qui s'avère irréaliste dans un département comme les Alpes-Maritimes. En outre, les élus sont également accusés de trop bétonner ! Quelle est votre position sur une telle question ?

Sur le logement social, nous avons entendu les annonces faites par le Président de la République lors du dernier congrès HLM de Montpellier concernant les dotations du Fonds national des aides à la pierre, lequel est pour nous une source d'inquiétude. D'ailleurs, ces annonces masquent le retrait de l'État des aides à la pierre, car le fonds devrait également être abondé par les collectivités locales qui sont déjà exsangues, du fait notamment de la baisse des dotations budgétaires, ainsi que par d'autres partenaires, sans obligation aucune. Ce fonds me paraît plutôt une coquille vide ! Pour qu'il y a ait production de logements sociaux, il faut que soient augmentées les aides à la pierre, alors que celles-ci n'ont cessé de baisser ces dernières années.

Que pensez-vous également de la souplesse de la politique des loyers ? Celle-ci devrait faire l'objet d'un chapitre dans la prochaine loi sur le logement. Il s'agirait ainsi de moduler les loyers et de pouvoir déroger, dans une certaine limite, aux plafonds des loyers des conventions en fonction des zones, afin de garantir de faibles loyers pour des logements très sociaux, qui font défaut dans certains secteurs, et d'assurer la compensation par l'augmentation d'autres loyers. J'aurai enfin une dernière question sur le logement intermédiaire. Vous nous avez énoncé des chiffres, mais les conditions posées, à savoir les niveaux de prix et les exigences de rendement, pourront-elles être remplies ?

Mme Annie Guillemot. - Je vous remercie de votre exposé qui fait le tour de l'ensemble des sujets, y compris ADOMA. Je souhaiterai revenir sur la production des logements. Vous avez évoqué la notion de mixité, mais je souhaite plutôt évoquer la diversité des produits. Aujourd'hui, l'économie du secteur du logement est bouleversée et à la distinction entre territoires tendus et non tendus s'ajoutent des problèmes de mixité. Opposer ainsi les logements sociaux et privés n'est pas une solution ! Il faut assurer concomitamment la mixité sociale et la diversité des produits tout en mettant en oeuvre les procédures qui allient à la fois les secteurs privé et public, afin de ne pas reproduire les problèmes survenus dans le passé. Par ailleurs, vous n'avez pas suffisamment évoqué la mobilisation d'un certain nombre de collectivités locales qui appuient la politique de l'État et versent des subventions lesquelles s'avèrent supérieures à celles de l'État et bénéficient aux acteurs publics mais aussi privés, comme dans la Métropole de Lyon. On ne peut pas aujourd'hui évincer les collectivités locales, y compris dans le cadre de la vente des logements HLM dont la concentration sur un certain nombre de territoires pose problème aux communes conduisant des opérations de renouvellement urbain. C'est d'ailleurs le cas de ma commune à Bron. Si celle-ci vend des HLM, ceux-ci seront situés dans des quartiers attractifs ! Or, la commune en a besoin pour réaliser des programmes d'envergure et une telle perte s'apparente à une double peine, puisqu'elle induit la baisse du taux de logement social ! Cette difficulté devrait également être prise en compte par les opérateurs conventionnés.

S'agissant d'ADOMA, je remarque que tous les foyers ex-SONACOTRA-ADOMA présents dans l'agglomération lyonnaise sont implantés dans des quartiers présentant la plus forte proportion de logements sociaux et qui ont déjà des centres d'accueil de demandeurs d'asile (CADA). La question se pose aujourd'hui de distinguer entre les bâtiments qui relèvent d'ADOMA ou des CADA pour assurer leur rénovation. D'ailleurs, quelle est l'évolution souhaitable d'ADOMA et sa participation envisageable aux opérations de restructuration urbaine dans le cadre des plans ANRU ? Il me paraît ainsi essentiel qu'ADOMA travaille à une autre échelle.

Mme Élisabeth Lamure. - Je ferai, Monsieur le Président, une observation générale sur la situation du secteur du bâtiment qui est paradoxale. En effet, nous connaissons une crise du logement et il nous manque des centaines de milliers de logements et ce, alors que le secteur du bâtiment est sinistré ! Nous n'avons pourtant cessé de légiférer dans ce domaine et les textes que nous avons votés auraient dû produire leurs effets ! Or, le prix du foncier n'a pas baissé et celui de la construction n'a cessé d'augmenter tandis que les normes se sont empilées au point que le code de la construction a doublé de volume en dix ans, sans compter l'extension des délais administratifs qui obèrent la sortie des programmes ! J'ai pu constater cette évolution à travers un exemple de construction industrielle où deux unités identiques étaient programmées en France et en Allemagne dans les mêmes temps. Alors que l'usine allemande était inaugurée, le permis de construire était juste délivrée en France ! Les délais de sortie des opérations sont ainsi problématiques en France ! À cet égard, travaillez-vous avec le Secrétariat d'État à la simplification ? Comment accélérer les délais de mise en chantier ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - J'aurai une question sur le logement intermédiaire. Produisez-vous toujours dans la fourchette haute ou basse de l'écart pris en compte par le dispositif Pinel ? En effet, je trouve très important de prendre en compte les salaires dans la fonction publique comme vous l'avez fait dans votre article paru récemment. D'ailleurs, il faudrait conduire une réflexion stratégique sur ce point et l'initiative de M. Martin Hirsch dans ce domaine me paraît tout à fait pertinente. Ainsi, pouvez-vous nous assurer que ce que vous produisez ne se situe pas systématiquement dans la fourchette haute. Cette question reflète le problème plus général de la régulation des loyers puisque si, à chaque fois on produit dans les fourchettes hautes, une divergence entre les revenus et les loyers apparaîtra !

Ma seconde question portera sur l'accession à la propriété. Dans ce mécanisme, vous proposez une réversibilité. Mais celle-ci doit être à double-sens pour tenir compte des impondérables qui peuvent ponctuer les parcours professionnels, et une réversibilité unique ne me paraît pas suffisante pour relancer le secteur des logements intermédiaires.

Sur le fonds Juncker, je ne renonce pas à l'idée que nous disposons, en France, de moyens pour renforcer l'aide à la pierre subventionnée, c'est-à-dire financée par l'État. Il faut une aide publique directe pour les prêts locatifs à usage social (PLUS) et les prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI) demeure ! Je crois qu'au lieu d'avoir des subventions inscrites au budget, l'État préfère ne pas avoir de recettes. Pourquoi, pour des logements très sociaux, ne pourrait-on pas avoir un système analogue au fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), c'est-à-dire obtenir l'équivalent de TVA à taux zéro qui s'avérerait plus simple que des inscriptions budgétaires annuelles ! En tout cas, il ne faut pas opposer votre travail sur les fonds de roulement avec l'aide de l'État. Sur ce point, il y a certes des blocages européens, mais la bonification des prêts par Action Logement est-elle dans l'actuelle convention ou suppose-t-elle une modification substantielle de cette dernière ?

Je souhaitais enfin vous interroger sur le foncier public. Ne serait-il pas intéressant que la Caisse des dépôts serve d'intermédiaire en rachetant les terrains proches du prix du marché, puisque le Ministère de la défense les inscrit en recettes à cette valeur ? Un tel dispositif permettrait d'utiliser les bénéfices des fonds d'épargne pour les revendre et de réaliser des logements sociaux pour un certain nombre de terrains aujourd'hui en cours de négociation sans réelle perspective d'aboutir.

M. Franck Montaugé. - Je vous remercie pour votre exposé. J'aurai deux questions sur ce projet de création de logements intermédiaires. Ces logements, qui s'adressent ainsi à une catégorie de population comme les fonctionnaires, devraient contribuer aux objectifs de mixité sociale et être au service de politiques de peuplement plus pertinentes. À partir de ce postulat, les logements intermédiaires proposés par la SNI peuvent-ils trouver leur place dans des zones moins tendues mais intégrées en particulier au nouveau programme de renouvellement urbain (NPRU) ? En conséquence, les zonages relatifs à l'investissement locatif ne constituent-ils pas un frein au déploiement de ces logements intermédiaires hors des zones tendues ?

M. Bruno Sido. - J'aurai une question sur les gendarmeries. L'État devenu impécunieux ne peut plus loger ses propres gendarmes et se tourne vers les collectivités locales, en l'occurrence les départements, pour assurer le logement des gendarmes. On nous demande ainsi de construire des logements pour lesquels l'État nous fixe le loyer avec une possibilité de révision tous les neuf ans. Puisque le logement intermédiaire que vous proposez est destiné aux agents de la fonction publique, la SNI ne pourrait-elle pas se substituer, au moins pour la partie logement, aux collectivités locales en général, et aux départements en particulier, pour construire ces logements ? Il est nécessaire de le faire en raison de la vétusté des logements des gendarmes.

M. Joël Labbé. - Je reviendrai sur deux points très particuliers que vous avez évoqués dans votre exposé. Je vous remercie d'avoir souligné que l'arrivée des migrants pouvait jouer un rôle de catalyseur dans la recherche de réponses adaptées. Mais quelle solution trouver pour les déboutés du droit d'asile qui ne pourront tous être ramenés chez eux et qui sont pris en charge par les milieux associatifs, lorsqu'ils ne se retrouvent pas à la rue ? À cet égard, la structure Emmaüs, que j'avais accueillie dans ma commune en leur réservant un zonage négocié dans des conditions en-dessous du prix du marché des terrains, peut réaliser un travail formidable ! D'autre part, on a longuement débattu sur l'habitat léger lors des débats de la loi ALUR et les décrets d'application sur cette question sont tout à fait décevants. J'ai, à cet égard, été appelé par un maire d'une commune rurale du nord du Morbihan au sujet de dix familles qui vivent, de leur plein gré, en sous-bois. Du fait de leur situation, il nous faut interdire ces habitats. Or, ces personnes se revendiquent en phase avec les exigences de la lutte contre le dérèglement climatique et je ne peux que leur donner raison sur ce point. Un tel phénomène, encore marginal, tend à s'étendre en France. Ces démarches constituent autant de réponses aux besoins de logement et de formes d'aménagement du territoire, puisqu'il s'agit de familles avec enfants.

M. François Calvet. - Je souhaite, d'une part, aborder le rôle des établissements publics fonciers. Dans notre communauté urbaine, une fois pris des arrêtés de carence concernant au total sept communes, nous avons réalisé que le principal problème demeure le foncier et ce, alors que le droit de préemption urbain a été transféré à l'établissement foncier de Montpellier. Je vais donc ainsi passer une convention pour obtenir 33 millions d'euros en cinq ans destinés à l'acquisition de terrains, et je ne parle ici que du volet logement. Ceci étant, il faudrait s'intéresser au rôle des établissements publics fonciers et à leurs capacités ! Pour preuve, l'établissement public foncier de Montpellier dispose de 50 millions d'euros de trésorerie et celui de Perpignan bénéficie également de 5 millions d'euros de trésorerie ! De telles sommes pourraient servir au financement direct de la construction des logements au-delà de la simple acquisition foncière ! Ne devrait-on pas desserrer la réglementation des établissements publics fonciers pour leur permettre de participer au financement de logements, dans la mesure où ils n'utilisent pas complètement les sommes perçues au titre de la taxe spéciale sur l'équipement chaque année, qui fait notoirement défaut aux collectivités locales !

M. Gérard César. - Je reviendrai sur la question qui vous a été adressée par notre collègue, M. Bruno Sido. Si nous voulons avoir de bons gendarmes, il nous faut de bons logements. Combien de gendarmeries la SNI gère-t-elle ? Avez-vous un problème de rénovation et de construction de nouvelles gendarmeries et ce, en milieu rural ? Ne pouvez-vous pas intervenir pour assurer le déblocage des loyers versés par la Direction générale de la gendarmerie nationale !

M. Daniel Gremillet. - Les logements réservés aux personnes handicapées et adaptés au vieillissement fournissent un vrai sujet. Quel pourcentage représentent ces types de logement dans les logements que vous construisez ? De quelles données disposez-vous sur ce point ?

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Une telle question reflète nos préoccupations alors que nous examinons le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement.

M. Yves Rome. - Quelle est la stratégie foncière de la SNI ? Je pense qu'il faudrait renforcer le rôle des établissements fonciers locaux qui sont essentiels. Il est tout à fait possible de céder les casernes de gendarmerie, mes chers collègues, comme j'ai pu le faire dans le cadre de mes fonctions de président de conseil général !

M. Daniel Laurent. - À condition que la gendarmerie soit d'accord !

M. Jean-Jacques Lasserre. - La question de l'affaiblissement des fonds propres et des subventions publiques est en effet cruciale. Dans les zones tendues, le foncier est très cher. Nos capacités d'innovation ne sont pas taries face à ce problème, j'en suis convaincu, pour avoir créé un établissement public foncier local (EPFL) ! On ferait mieux de canaliser la force de frappe de nos EPFL ! Par ailleurs, je ne suis pas convaincu que ce seuil de 25 % de logements sociaux, qui s'applique sur l'ensemble du territoire national, soit pertinent ! Sur la côte basque, pour atteindre ces 25 % de logements sociaux  certains élus locaux autorisent imprudemment des programmes privés hasardeux, en termes d'aménagement et de fonctionnalité ! Il conviendrait ainsi de revisiter ce seuil de 25 % au regard des situations locales.

Mme Frédérique Espagnac. - Je partage ce constat émis par notre collègue Jean-Jacques Lasserre quant à certaines opérations conduites de manière ponctuelle pour atteindre le seuil de 25 % ! Je souscris ainsi à cette proposition de reconsidérer ce dernier seuil !

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Pour revenir sur ce que viennent d'évoquer nos collègues, je citerai un vers du poète Boileau : « tout a été dit et l'on vient trop tard». Je cite Boileau à dessein, puisque l'excellent ouvrage que M. André Yché vient de publier et qui s'intitule « Logement, nouvelle donne », comporte une préface de M. Pierre-René Lemas qui cite lui-même l'auteur de « l'Art poétique » en rappelant que « du choc des idées jaillit la lumière. »

M. André Yché, président de la SNI. - La question du foncier est essentielle. Il faut clarifier quelques idées sur ce point. Je ne suis pas persuadé que l'inflation foncière soit à l'origine de celle des prix. Quelle est l'origine de la situation paradoxale que vous évoquiez précédemment ? Les prix d'accession au logement sont devenus insoutenables à la fois pour les ménages et les organismes collectifs dont c'est le métier de construire. L'équilibre des marchés se fait à un niveau de prix excessif et à un volume d'activités sous-optimal essentiellement dans les zones tendues. C'est bien là l'origine de la crise du logement. Quel est le point de départ de cette situation ? Depuis une quinzaine d'années, le marché s'est trouvé structurellement déséquilibré par le départ des investisseurs institutionnels. Pour atteindre un équilibre optimal, il faut, comme nous l'enseigne la théorie économique, qu'il y ait une négociation entre acteurs de même dimension. À partir du moment où la totalité de l'investissement locatif a été transférée à des individus achetant des logements de manière ponctuelle, il est clair que la capacité de négociation, qui permet de stabiliser les prix, voire de les tirer vers le bas dans certains cas, a complètement disparu. La baisse des taux d'intérêt est un second facteur permissif de la hausse des prix. Dans une situation où les taux d'intérêt étaient à leur niveau antérieur à 2008, soit, par exemple pour le Livret A, autour de 4 %, le coût de l'endettement constitue, si je puis dire, une seconde corde de rappel. À partir du moment où le taux d'intérêt baisse jusqu'à des niveaux très faibles, le prix du foncier ne peut que décoller ! En outre, les aides fiscales peuvent également masquer un certain nombre de problèmes et enclencher un cercle vicieux ! Les facteurs à l'origine d'une telle situation sont toujours d'ordre structurel et c'est la raison pour laquelle nous nous sommes battus pendant deux ans pour faire revenir les investisseurs institutionnels. Et négocier à quelque 15 % en dessous des prix publics est révélateur du fait que les promoteurs rognent leurs marges, quitte à exercer une certaine pression sur les constructeurs ! Face à ce problème, il nous a manqué une analyse de la chaine de causalité et une compréhension de l'ampleur de ses effets.

Comment accélérer la libération du foncier public et privé ? Sur le foncier public, il faut intéresser directement les propriétaires à la valorisation de leurs actifs et les faire sortir d'une logique de spéculation. Pour avoir discuté pendant de nombreuses années avec nos amis de Réseau Ferré de France (RFF), je pourrais donner des exemples probants de rétention foncière à des fins de spéculation.  Il faut donc intéresser directement ces propriétaires fonciers qui sont également des employeurs. Le levier le plus efficace réside dans la revendication des agents publics d'acquérir leur logement. L'AP-HP est entrée en discussion avec nous car l'accès au logement est une solution aux revendications qui s'y expriment.

J'émettrai une troisième idée au sujet du foncier public qui concerne les établissements publics fonciers. Ne faudrait-il pas limiter par la loi la durée maximale de détention des actifs ? Il faudrait organiser une rotation du foncier. Nous n'avons eu de cesse de promouvoir cette idée qui me paraît de bon sens.

Sur le foncier privé, il serait envisageable de créer des sociétés d'investissement privés dans lesquelles les détenteurs de foncier apporteraient leurs actifs à leur valeur historique et ne seraient fiscalisés sur la cession qu'à partir du moment où ils céderaient les titres de ces sociétés. L'un des facteurs de rétention peut être l'impact fiscal au moment de la cession foncière, surtout dans le cas d'indivisions. Cette démarche reviendrait à titriser les actifs fonciers détenus par ces personnes privées. Le mécanisme serait ainsi le suivant : on apporte un actif qu'est le foncier, on construit et on obtient, en contrepartie de l'actif mobilisé, des titres sur l'opération réalisée. On active du foncier dormant et lorsque les titres seront cédés, la plus-value liquide sera taxée. Cette idée me paraît importante pour activer la mobilisation des actifs fonciers.

J'en viens, à présent, à la stratégie immobilière de la SNI. Nous souhaitons développer des partenariats avec les collectivités territoriales et les entités publiques grands propriétaires fonciers. Ainsi, nous allons réviser notre convention avec le Grand Lyon afin de revoir à la hausse nos objectifs annuels en matière de logements intermédiaires.

Pour les grandes opérations, nous avons sur 5 ans de 10 à 12 milliards d'euros à investir. Sur une opération sur laquelle nous avons une bonne visibilité en terme de calendrier, nous sommes prêt à investir jusqu'à 200 millions d'euros. Mais avant de pré-affecter de telles enveloppes, il nous faut de solides certitudes sur les délais de sorties. Cette démarche renvoie à la question du positionnement de la Caisses des dépôts vis-à-vis du foncier. Les marges dégagées sur les fonds d'épargne peuvent-elles y être employées ? Sans doute, oui. Encore faut-il qu'une telle décision soit validée par Bercy !

S'agissant de la question des aides à la pierre, si l'on reste sur les annonces faites par le Président de la République lors du dernier Congrès HLM, la participation de l'État dans le système d'aides à la pierre était limitée, les années précédentes, à quelque 120 à 130 millions d'euros. Cette limite vient d'être portée à 250 millions d'euros. Si l'on souhaite atteindre un total de 400 voire 500 millions d'euros d'aide à la pierre, il faut cependant trouver les 250 millions d'euros restants ! Ces 500 millions d'euros représentent un peu plus de la moitié des plus-values de cession réalisées à partir des ventes de logement qui s'élèvent, quant à elles, à 800 millions d'euros. Un tel chiffre correspond à la vente de 8 000 logements.

Parmi les annonces lors de ce congrès, celles concernant les aides à la pierre ont focalisé l'attention. Il y avait une autre annonce : la diminution du taux de commissionnement des banques sur le livret A de 25 % passant de 0,4 à 0,3 %. Auparavant, 0,4 % représentait 10 % du taux de base. Aujourd'hui, un commissionnement de 0,3 % me paraît plus significatif. Cette baisse représente une économie de 250 millions d'euros dont l'utilisation fait désormais question. La pire des solutions serait d'utiliser une telle somme en la saupoudrant. Il me paraît plus avisé de porter un effort sur le PLAI, c'est-à-dire sur le logement très social, voire en le croisant avec le critère de zone très tendue. Car si l'on veut atteindre l'objectif de 70 000 logements du Grand Paris, il faudra bien faire quelque chose !

Je vais revenir sur les gendarmeries. Aujourd'hui, la SNI a repris quelque 640 gendarmeries représentant 10 000 logements. Les loyers sont fixés par l'État. On parvient à s'en sortir en globalisant les travaux et, par le biais de commandes groupées, à aboutir à une programmation raisonnable. Le parc domanial des gendarmeries, dont la situation est relativement semblable à celle des services départementaux d'incendie et de secours, représente une question cruciale. En effet, le budget d'entretien et de remise à niveau est proche de zéro et certains sites, comme celui de Satory ou de Lyon, connaissent un état de dégradation rapide, faute d'entretien au moins pendant ces dix dernières années. Une solution de sortie, qui poserait des difficultés sociologiques et culturelles, consisterait à diversifier le peuplement de ces sites sous-utilisés pour en dégager de la valeur foncière.

Nous préconisons également une autre solution consistant à créer une société foncière regroupant ces 26 000 logements dont la gestion serait confiée, après appel d'offres, à un professionnel afin de mettre en oeuvre une programmation rationnelle des démolitions et des reconstructions des sites. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, il me paraît impossible de ne pas faire évoluer le modèle existant, de la même manière que pour la production des logements HLM, il faudra bien se pencher sur la question du bilan des organismes concernés.

Sur la mixité, vous avez bel et bien identifié un problème. Le développement des capacités d'accueil d'ADOMA implique la diversification de l'usage des sites et des résidences. Il faut accepter l'idée d'y accueillir des stagiaires de la formation professionnelle, des jeunes travailleurs, voire des étudiants.

A la question de savoir si je fais preuve d'optimisme en m'engageant sur la réalisation du programme de logements intermédiaire, je le suis ! En effet, nous avons conclu près de 8 000 précommandes après avoir examiné 27 000 propositions. Vous pouvez d'ailleurs jouer un rôle non négligeable puisque si les grands promoteurs nationaux nous connaissent bien, les promoteurs locaux sont inquiets à l'idée de négocier avec un acteur national comme la SNI. Il faudrait ainsi faire passer le message que les produits que nous proposons sont accessibles à l'ensemble des opérateurs. Sur la mixité, peut-on faire des logements intermédiaires sur des zones ANRU comme le souhaite le président de l'ANRU, M. François Pupponi ? Nous sommes d'ailleurs dans un tissu de contradiction car les investisseurs privés, tout comme l'Agence des participations de l'État, souhaitent sécuriser le dispositif. S'agissant, à ce titre, de savoir notre positionnement en matière de prix, lorsque nous participons aux comités d'engagement, à l'inverse des représentants de l'APE, c'est-à-dire de l'État, nous tirons vers le bas de la fourchette en ce qui concerne les loyers, pour sécuriser l'exploitation. Par ailleurs, l'ordre de priorité des entrants sera décliné en fonction des revenus les plus proches du plafond haut. Ainsi, la SNI tend à relativiser ces plafonds dans le souci d'assumer une gestion réaliste.

En ce qui concerne les zones ANRU, celles-ci vivent de réelles contradictions car les sites ne sont guère attractifs dans certains cas. En effet, il nous paraît essentiel de nous situer à des niveaux de loyers encore plus bas, même s'il s'agit de logements intermédiaires occupés par des populations reconnues comme non prioritaires pour l'attribution d'un logement social. La force du logement intermédiaire est qu'il n'est pas assujetti au contingentement. Mais dans les zones ANRU, il faut tout de même tenir compte d'un pouvoir d'achat qui n'est guère élevé. La seule solution est de trouver un aménagement sur le coût de la charge foncière et je pense que M. François Pupponi souhaite que soit appliqué, dans les zones ANRU et leurs bordures, pour une durée limitée, le taux de TVA à 5,5 % pour les produits locatifs

Mme Annie Guillemot. - Il faut diversifier les produits !

M. André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière. - En effet, il faut les diversifier en calant les dispositions fiscales locatives sur ce qui est l'accession dans les zones ANRU. De la même manière que dans les zones qui accueillent déjà près de 40 % de logements sociaux, il faut prévoir un dispositif spécifique.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Un amendement devrait porter d'ailleurs sur ces zones !

M. André Yché, président du directoire de la Société nationale immobilière. - Tout à fait ! S'agissant de la situation d'ADOMA, on a porté le programme d'investissement destiné à mettre à niveau le parc existant à deux milliards d'euros sur les dix prochaines années. Nous avons obtenu un financement complémentaire de la banque de développement du Conseil de l'Europe qui nous a ouvert une première ligne de 100 millions d'euros avec la perspective de la doubler assez rapidement. C'est la première fois que cette institution bancaire intervient en France et elle le fait au titre de l'Espace Schengen afin de faciliter l'accueil des populations migrantes. Et je pense que la BEI pourrait également octroyer un autre prêt de cent millions d'euros sur ce programme. Il nous faudra encore dix ans pour tout remettre à niveau, surtout qu'il faut assurer concomitamment de nouvelles productions.

S'agissant de l'architecture et des ressources des agents publics, le logement intermédiaire demeure trop onéreux pour des catégories importantes de la fonction publique. La question des réservations peut ainsi être abordée de deux manières. D'une part, il faut distinguer entre les droits de priorité et de réservation. Le droit de priorité est la possibilité pour l'employeur public de présenter des candidats qui seront considérés comme prioritaires, dans un délai allant d'un an à trois mois avant la livraison de l'immeuble. Le droit de réservation demeure absolu, mais dans ce cas, l'employeur public s'engage à remplir le logement. Il peut également fixer un niveau de loyer, comme le font les militaires, inférieur, parfois significativement, au plafond qui a été fixé pour le logement intermédiaire puisque dans les zones tendues, le Ministère de la défense fixe les niveaux de loyers, quels que soient le cadre et le grade, à 50 % du niveau de marché, mais avec comme contrepartie la reconstitution de l'équilibre économique de l'opération immobilière. Cette diminution est ainsi compensée soit par des crédits budgétaires, soit par l'apport de charges foncières à des tarifs moindres -cette dette pouvant être acquittée en nature -, soit par l'obtention de prêts à taux allant de zéro à 1 %, à partir des fonds de prévoyance des armées et de l'aéronautique. Le logement intermédiaire, du point de vue des agents publics, apparaît comme un dispositif de base susceptible d'être adapté en fonction de leurs capacités réelles. Mais, le cas échéant, il incombe à l'employeur lui-même de préciser les moyens qu'il entend mettre en oeuvre pour obtenir ce qu'il souhaite. Un tel mécanisme est ainsi évolutif. Sur les agents publics, un rapport a été demandé par le ministre en charge de la fonction publique à M. Alain Dorizon, ancien Inspecteur général des finances.

Nous consacrons un programme aux conséquences du vieillissement sur notre patrimoine depuis une dizaine d'années. Nous suivons ainsi les caractéristiques de peuplement et l'évolution de la pyramide des âges pour remettre à niveau les logements existants, puisque ce problème ne concerne pas les logements nouveaux. Ce programme est ainsi conduit en fonction de la réalité du besoin. Cette démarche soulève une question plus générale qui est de nature architecturale. Aujourd'hui, il faut sortir d'une vision trop figée, le statut de l'occupation peut évoluer dans le temps. Du point de vue de l'urbanisme, le genre et le niveau d'activités peuvent fluctuer dans le temps. Dans ces conditions, la Caisse des dépôts et l'USH ont lancé conjointement un concours sur le thème de l'architecture de la transformation. Celle-ci peut ainsi consister en la modulation des surfaces afin de mieux répondre aux besoins, ou en la transformation des immeubles destinées à accueillir des activités tertiaires en logements. Cette thématique concerne également l'adaptation aux handicaps. Aujourd'hui, la totalité des immeubles sont mis aux normes dans ce domaine, avec le double inconvénient que 95 % des logements ne sont pas occupés par des personnes handicapées et que le système actuel n'est pas adapté à tous les handicaps. Il faudrait proposer un système capable d'adaptations en fonction de la réalité de la situation. Les évolutions techniques nécessaires doivent ainsi être prévues dès la conception des plans. L'architecture de la transformation présente également une dimension écologique, puisque la véritable écologie passe non seulement par la performance énergétique, mais aussi par le sur-mesure, c'est-à-dire l'adaptabilité et le juste positionnement de l'offre à la demande réelle.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je vous remercie de vos réponses à nombre de nos questions de manière pertinente. Certaines questions plus précises donneront lieu à des réponses écrites. Je vous remercie de votre attention.

La réunion est close à 12 h 23.