Mercredi 23 mars 2016

- Présidence de M. Alain Milon, président -

Enquête de la Cour des comptes sur la prévention des conflits d'intérêts en matière d'expertise sanitaire - Présentation par M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes

La réunion est ouverte à 9 h 30.

M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, en novembre dernier, nous avons demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur la prévention des conflits d'intérêts en matière d'expertise sanitaire. Lors de la discussion du projet de loi de modernisation de notre système de santé, il était apparu que le cadre normatif actuel posait encore de nombreuses questions et nous nous étions engagés à réaliser un bilan de la loi dite « Bertrand » du 29 décembre 2011. Cette loi, qui avait été élaborée pour tirer les enseignements de la crise du Mediator, a fixé un cadre destiné à éviter tout nouveau scandale sanitaire lié à des conflits d'intérêts au sein des agences sanitaires.

Parallèlement aux travaux de la Cour, nous avons organisé deux tables rondes sur les relations entre la réglementation des liens d'intérêts et la recherche, auxquelles nous avions convié des représentants de l'INCa, de l'ANSM, de la Fondation maladies rares, des personnalités issues d'associations comme le Formindep, des experts et un professeur de droit. Nous n'avions pu que constater, de la part des différents intervenants, une grande variété d'appréciations sur l'opportunité et les moyens de renforcer le cadre existant.

L'enquête effectuée par la Cour des comptes porte spécifiquement sur l'application des dispositions de la loi Bertrand par les agences sanitaires les plus impliquées dans le circuit des produits de santé, ainsi que l'Oniam.

M. Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes, va nous présenter les conclusions de l'enquête. Il est accompagné de M. Patrick Lefas, contre-rapporteur, et de Mme Maud Child, rapporteur.

Nous avons également demandé à plusieurs personnalités représentant des instances concernées par cette législation de bien vouloir participer à notre réunion pour réagir aux observations de la Cour.

Je remercie de leur présence Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, conseiller d'État, qui préside le comité déontologie et indépendance de l'expertise de la Haute Autorité de santé, M. Maurice-Pierre Planel, qui vient d'être tout récemment nommé président du comité économique des produits de santé, M. Christian Poiret, chef de service du secrétariat général de la direction générale de la santé, et M. Philippe Ranquet, directeur des affaires juridiques au secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales.

Je passe maintenant la parole au Président Durrleman pour la présentation du rapport et des conclusions de la Cour.

M. Antoine Durrleman, président de la 6ème chambre de la Cour des comptes. - Nous vous présentons aujourd'hui le résultat de l'enquête conduite par la Cour des comptes sur cinq agences et organismes du domaine sanitaire retenus en raison de leur rôle majeur dans le processus de décision. Il s'agit de la Haute Autorité de santé (HAS), de l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), du comité économique des produits de santé (Ceps) qui ont rendu respectivement, 1 900, 9 000 et 5 700 décisions en 2015, pour la plupart sur le médicament, de l'institut national du cancer (INCa) qui a la particularité d'être à la fois une agence sanitaire et un organisme de recherche, et l'Oniam qui a rendu en 2015 1000 décisions individuelles qui relèvent de l'expertise médicale et qui est soumis à la loi du 29 décembre 2011.

Nous nous sommes livrés à un audit de procédure au travers de l'examen de 2 900 déclarations d'intérêts sur 3 900, soit un taux de contrôle de 73 %. Le rapport que nous vous rendons peut donc paraître d'une acribie technique mais celle-ci est nécessaire pour étayer les conclusions auxquelles nous parvenons.

D'un mot, le bilan de la loi du 29 décembre 2011 et de sa mise en oeuvre est encore en demi-teinte quatre ans plus tard. Des progrès ont été accomplis, ils sont importants mais ils sont insuffisants pour assurer une transparence complète de l'expertise sanitaire.

Ce constat s'appuie sur plusieurs points.

Tout d'abord, s'agissant des déclarations d'intérêts, notre contrôle a fait apparaître que plus de 22 % d'entre elles étaient entachées d'anomalies. S'il s'agissait d'un contrôle des comptes, un tel taux entraînerait un refus de certification. D'autant que ce taux considérable ne porte que sur les déclarations existantes. En effet, 12 % des déclarations d'intérêts qui auraient dues être déposées ou actualisées sont absentes.

Le tableau global des déclarations d'intérêts qui figure dans notre communication fait apparaître une situation très contrastée entre les organismes. On peut classer parmi les bons élèves l'ANSM, la HAS et l'INCa, tandis que l'Oniam et le Ceps doivent encore faire des progrès.

Si l'on s'intéresse au-delà des organismes aux catégories de personnes assujetties, on constate que le taux d'anomalies des déclarations d'intérêts est de 40 % pour les membres des instances, alors qu'il est moindre pour les experts externes.

S'agissant de la nature de ces anomalies, il s'agit pour les deux-tiers d'une absence de mise à jour. On constate par ailleurs des cas d'incomplétude des déclarations. On peut considérer qu'il s'agit de difficultés purement formelles. En fait, elles révèlent des failles dans la mise en oeuvre du dispositif.

Un autre point de notre analyse porte sur la gestion par les organismes des déclarations d'intérêts qu'ils reçoivent. Les procédures mises en place sont inégalement opérationnelles même si celles mises en place par l'ANSM, la HAS et l'INCa sont relativement sécurisées. S'agissant de l'Oniam et du Ceps, on constate plutôt l'inexistence de procédure.

La Cour constate le flou important des règles applicables aux experts sanitaires internes. La loi de 2011 a édicté, s'agissant des membres des organismes concernés, une règle simple : celle de l'incompatibilité, avec pour conséquence un déport systématique des experts internes ayant un lien d'intérêts pouvant donner lieu à conflit d'intérêts. A l'inverse, pour les experts externes, il y a une appréciation de l'intensité des liens et des conflits d'intérêts qui rend quand même possible leur participation dans certains cas. Ce dispositif s'est avéré très attractif. L'interprétation de la loi n'a pas été suffisamment stricte et on applique dans certains cas les règles concernant les experts externes aux experts internes.

La publication des délibérations de certaines instances, prévue par la loi de 2011, paraît satisfaisante sauf pour le Ceps qui s'est extrait de cette obligation. La Cour estime qu'étant donné la nature des décisions prises par le Ceps, il convient d'étudier la manière dont les règles en matière de publicité pourraient lui être appliquées de manière plus claire tout en préservant les secrets protégés par la loi. Même si nous partageons l'analyse du Ceps sur la sensibilité des sujets traités, nous pensons que celle-ci ne s'oppose pas systématiquement à l'enregistrement et à la publication de certaines délibérations.

Le troisième point de notre analyse porte sur la transparence des rémunérations et des avantages, un point majeur de la loi du 29 décembre 2011. Les entreprises du secteur de la santé doivent déclarer les avantages directs ou indirects qu'elles consentent aux experts sanitaires au sens large. Mais l'application de cette disposition a été tardive et partielle. Tardive parce que le site transparence.sante.gouv.fr, géré par le ministère de la santé, n'a été mis en ligne qu'en juin 2014. Partielle parce que la loi prévoyait une obligation de déclaration large. Or le site est monté en charge lentement et seulement sur un champ réduit. Le décret d'application a en effet sorti du champ de la déclaration par les entreprises les conventions d'achat de prestations de service pour le compte des entreprises et les rémunérations y afférentes. Il en résulte une transparence tronquée.

Le Cour a néanmoins opéré une première mise en lumière de cette question. Sur l'année 2014, près de 1 000 entreprises ont déclaré près de 190 millions d'euros d'avantages au bénéfice d'experts sanitaires. Nous avons retraité les informations de la base transparence santé à partir d'une extraction qui nous a été fournie. Sur l'exercice 2014, 187 576 médecins ont été bénéficiaires d'au moins un avantage de l'industrie, soit 84 % de la profession pour un montant moyen perçu de 102 euros. Cette moyenne peut paraître modeste mais elle est à mettre au regard des sommes perçues par les dix praticiens percevant le plus d'avantages, pour lesquels les sommes se situent entre 74 135 et 35 000 euros.

Cette analyse montre que l'outil qu'est la base de transparence est un levier majeur d'analyse et prévention des conflits d'intérêts.

Nous avons dégagé plusieurs axes de progrès :

- organisationnels tout d'abord. Il faut un pilotage plus important par le ministère de la santé, et que le secrétariat général des ministères sociaux définisse une politique de prévention des conflits d'intérêts des administrations centrales et des agences. Un audit interne mené par l'inspection générale des affaires sociales a d'ailleurs été conduit pour les administrations centrales en 2014-2015 et a abouti à la mise en place d'un plan d'action dont le secrétariat général des ministères sociaux a la charge.

Il nous paraît également important de renforcer le vivier des experts. Plus l'exigence de transparence se renforce et plus on lutte vigoureusement contre les conflits d'intérêts, plus il devient nécessaire de mieux reconnaître l'expertise, y compris au niveau des carrières.

Enfin nous constatons que le site unique de déclarations d'intérêts n'est toujours pas mis en place alors qu'il était prévu par la loi de 2011. C'est là une source de difficultés pour les experts qui doivent répéter les déclarations d'intérêts pour chacune des agences aux travaux desquelles ils sont appelés à participer. L'absence de site empêche aussi tout regard externe sur les déclarations.

Notre conclusion est qu'il manque un chaînon dans le contrôle des déclarations d'intérêts. Ce contrôle doit être effectif et externe.

Il doit y avoir un contrôle au niveau de chaque agence et le secrétariat général des ministères sociaux a vocation à animer le réseau des déontologues créé par la loi de modernisation de notre système de santé. Mais il faut de surcroît un contrôle externe. Bien sûr, nous ne préconisons pas la création d'une nouvelle instance indépendante et, suite à nos auditions, nous ne préconisons pas que ce rôle soit confié à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Nous suggérons donc que ce rôle soit donné à la HAS. Ceci suppose que dans son organisation interne, cette mission soit bien cloisonnée des autres mais si une telle instance n'est pas mise en place, il manquera une clef de voûte au dispositif.

M. Alain Milon, président. - Merci Monsieur le Président. Je veux le dire sans vous fâcher, mais nous avons aujourd'hui des experts qui manquent d'expertise et des chercheurs qui ne veulent plus devenir experts. Il faudrait trouver une solution à cette situation.

Je vais maintenant passer la parole aux représentants des différentes instances que nous avons invitées, afin qu'elles nous fassent part brièvement de leurs principales réactions.

Pour ma part, je poserai deux questions d'ordre général :

- l'appréciation de ce qui constitue un conflit d'intérêts doit-elle relever des agences au cas par cas, ou une définition législative ou réglementaire est-elle possible ?

- y a-t-il ou non un manque d'experts sans conflits d'intérêts par rapport aux besoins de l'expertise ? Une expertise de qualité est-elle possible sans l'existence de liens d'intérêts ?

Une question plus particulière à Mme Prada-Bordenave et au ministère des affaires sociales. La Cour propose de confier le contrôle de la véracité des déclarations publiques d'intérêts à la Haute Autorité de santé. La HAS ne risquerait-elle pas d'être accusée d'être juge et partie, et est-il raisonnable de lui confier encore une compétence entièrement nouvelle alors que ces moyens sont déjà fortement sollicités ?

À l'attention de Maurice-Pierre Planel, je souhaiterais savoir si des évolutions sont envisageables au regard de l'appréciation assez critique portée par la Cour des comptes sur la mise en oeuvre par le Ceps des dispositions visant à prévenir les conflits d'intérêts.

Enfin, aux représentants du ministère des affaires sociales, je demanderais si la DGS, qui doit animer le système d'agences, les accompagne suffisamment sur la question de la mise en oeuvre de la législation. D'autre part, quels sont les freins à la mise en place du site internet unique qui doit centraliser les déclarations publiques d'intérêts, ce qui facilitera les procédures et les contrôles ?

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, présidente du Comité « déontologie et indépendance de l'expertise » de la Haute Autorité de Santé. - J'ai eu l'honneur d'être reçue dans cette instance dans le cadre de précédentes fonctions à la tête de l'Agence de la biomédecine. Je suis maintenant entendue comme présidente du comité de déontologie de la Haute Autorité de santé (HAS). Depuis 2006, cette dernière a éprouvé le besoin de se doter de ce comité, à chaque fois présidé par un conseiller d'État. Ce comité a élaboré deux documents fondamentaux qui sont une charte de la déontologie et un guide de l'analyse des déclarations d'intérêts. Ce guide sert aux services et aux présidents des différentes commissions, qu'elles soient permanentes ou qu'il s'agisse de groupes de travail constitués. Ces présidents utilisent le guide pour analyser les déclarations d'intérêts qui leur sont soumises et qui révèlent éventuellement des liens. Le rapport de la Cour des comptes semble contester une distinction introduite dans le guide entre les liens d'intérêts majeurs et les autres liens. Je veux souligner qu'il n'y a pas de relation entre cette distinction et la charte de déontologie, qui est postérieure au guide. D'autre part, il n'est nulle part fait mention dans le guide de « lien mineur », qui serait synonyme d'une absence de conflit. Il est écrit qu'un lien d'intérêt majeur, qui n'est pas forcément un conflit, induit un risque élevé de conflit, alors qu'un autre lien n'écarte pas tout risque de conflit et appelle une lecture au cas par cas. Pareille distinction est conforme à la volonté du législateur, même si ce dernier est intervenu après, si l'on se fie aux travaux préparatoires de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique présidée par M. Sauvé. Il s'agit, en s'inspirant du code pénal, de regarder l'intérêt « à l'affaire » de la personne en cause. Si elle a un intérêt « à l'affaire », elle doit être écartée. Cet intérêt « à l'affaire » ne peut être apprécié que par l'intensité du lien, notion que le comité de déontologie a tenté de faire rentrer dans le guide, en l'illustrant par quelques exemples pratiques. L'existence d'une rémunération implique toujours un lien d'intérêts majeur ; l'inclusion de patients, non au titre d'investigateur principal ou secondaire, mais dans le cadre d'un essai de phase 3, dans le seul souci d'assurer un échantillonnage important, ne semble pas un lien d'intérêts majeur mais doit quand même susciter l'attention, selon la molécule considérée. Ainsi, la distinction entre intérêt majeur et autre intérêt n'a nullement vocation à exonérer de l'examen individuel de l'existence d'un conflit.

D'autre part, la loi doit-elle préciser la définition d'un conflit d'intérêts ? Les termes de la loi du 29 décembre 2011, en mentionnant « l'intérêt à l'affaire », s'inspirent de ceux du code pénal, notamment dans ses dispositions relatives à la prise illégale d'intérêts, et paraissent satisfaisants. En revanche, le guide rappelle aux autorités administratives qu'au moment de la constitution des commissions permanentes - que le rapport de la Cour appelle à mon sens improprement « instances de gouvernance » alors qu'il s'agit seulement d'instances d'expertise - elles doivent dans la mesure du possible éviter la nomination d'un expert dont elles peuvent anticiper qu'il sera en situation de conflit dans la majorité des affaires qu'il aura à traiter. La nomination doit donc se faire selon des critères stricts.

Enfin, est-il envisageable de mener une expertise de qualité sans aucun lien d'intérêts ? Les termes de la loi prévoient une acception très large de la notion de « lien d'intérêts », rendant ainsi très difficile aujourd'hui, étant donné le fonctionnement de nos CHU, de faire appel à un expert confirmé n'ayant jamais participé à un essai lié à une molécule ou à un dispositif - ce dont d'ailleurs on doit se réjouir, car cela nous indique que les essais continuent de se faire en France. Qui plus est, un arrêt de section du Conseil d'État (Conseil d'État, Section, 22 juillet 2015, Sté Zambon France) a validé ce mode de fonctionnement qui consiste à se fonder sur l'intensité des liens pour déterminer si la personne doit être exclue de la délibération. Le principe est donc validé, même si l'application sur le terrain doit faire l'objet de toute l'attention du comité de déontologie. Enfin, concernant le contrôle de conformité entre les déclarations faites par les entreprises sur le site transparence.sante.gouv et les déclarations publiques d'intérêts faites par les experts auprès de la HAS, il s'agit d'un travail de très longue haleine en raison du grand nombre de données contenues dans les déclarations d'entreprises. Il serait donc difficile à la HAS de le systématiser. On peut en revanche s'assurer que, lorsque l'expert remplit sa déclaration publique d'intérêts, il soit bien informé de l'existence du site transparence.sante.gouv. Mme Buzyn a également proposé une procédure de contrôle de conformité par tirage au sort périodique d'un échantillon de déclarations publiques d'intérêts. On maintiendrait un contrôle systématique pour les experts siégeant dans les commissions principales. En revanche, même si la HAS paraît l'institution la plus à même d'assurer cette mission de contrôle, elle pourrait difficilement s'en acquitter dans des domaines qui ne relèvent pas de son champ d'application - le nucléaire s'agissant de l'IRSN par exemple. Pour ces cas, on pourrait confier cette mission à des prestataires extérieurs, qui le feraient en toute indépendance.

M. Alain Milon, président. - Je voudrais juste souligner que ces prestataires extérieurs pourraient eux-mêmes se trouver en situation de conflit d'intérêts.

M. Maurice-Pierre Planel, président du Comité économique des produits de santé. - Monsieur le Président, vous m'avez demandé si des évolutions étaient envisageables. Elles sont non seulement envisageables, mais aussi nécessaires. Je souscris aux remarques de la Cour sur les retards dans le suivi de l'annualisation des déclarations publiques d'intérêts ou sur la nécessité de réécrire le règlement intérieur du Comité économique des produits de santé (Ceps), pour sa partie concernant les conflits d'intérêts en interne. D'autre part, le rapport de la Cour souligne une disposition de la loi de modernisation de notre système de santé prévoyant la signature d'un accord-cadre avec les usagers qui va faire évoluer le fonctionnement du Ceps.

Je souhaiterais également soulever la question de la législation applicable au Ceps. En effet, la mission du Ceps est de fixer le prix du médicament ; il réunit les représentants des ministères compétents et des régimes d'assurance maladie obligatoires et complémentaires ; ainsi, il ne comprend ni ne sollicite l'avis d'aucun expert sanitaire. S'agissant du droit applicable au Ceps, nous voyons cohabiter une disposition générale, l'article L. 1451-1-1 du Code de la santé publique, issu de la loi du 29 décembre 2011, et une disposition particulière, l'article L. 1451-1 du Code de la santé publique, issu de la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie et qui fixe les obligations relatives aux déclarations publiques d'intérêts que doivent remplir les membres du Ceps. Cette disposition de 2004 a été modifiée par la loi de modernisation de notre système de santé, lorsqu'elle a créé un déontologue auprès du Ceps. Concernant les déclarations publiques d'intérêts, cette dualité de dispositions est facilement soluble car ces dernières ne sont pas fondamentalement incompatibles. En revanche, leur cohabitation est plus complexe concernant la publicité des débats du Ceps : la Cour fonde l'exigence d'un enregistrement des débats du Ceps sur l'assimilation du Ceps à une instance d'expertise sanitaire. Or, ce n'est pas l'interprétation retenue jusqu'à présent. De plus, l'article L. 1451-1-1 n'apporte pas de clarification car il dispose que l'obligation d'enregistrement s'applique aux « commissions, conseils et instances collégiales d'expertise mentionnés au I de l'article L. 1451-1 », sans que ceux-ci soient précisément dénommés par la loi. Il s'agit donc d'un flou juridique, qui justifie la remarque de la Cour sur la nécessité de clarifier la législation applicable au Ceps. Enfin, concernant la gestion des déclarations publiques d'intérêts, la défaillance statistique du Ceps est largement imputable à la question des instances conventionnelles. En effet, une des missions du Ceps consiste à rencontrer l'industrie pharmaceutique et à discuter de la politique de fixation des prix, selon des règles établies par un accord-cadre qui prévoit des instances conventionnelles (par exemple, un comité de suivi des génériques), qui sont seulement des lieux d'échange et non de décision. Or, ces formations ne rendent pas de déclarations publiques d'intérêts.

M. Alain Milon, président. - Merci. Je vais laisser la parole à M. Ranquet.

M. Philippe Ranquet, directeur des affaires juridiques du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales. - Le ministère des affaires sociales et de la santé est destinataire de l'ensemble de vos questions. Nous sommes tout à fait conscients que le bilan est en demi-teinte, mais le dispositif mis en oeuvre en 2011 suppose une phase d'apprentissage. Les obligations purement formelles que sont la déclaration publique d'intérêts et sa publication ne suffisent pas pour que le dispositif fonctionne correctement ; le dépôt et la publication des déclarations doivent par la suite faire l'objet d'une étude, qui permettra la prévention des conflits d'intérêts. C'est là que le dispositif, dont les deux premières étapes sont simples et facilement cadrées par la loi et le règlement, peut se complexifier et davantage se prêter à l'appréciation de chacun. Sur la question de la distinction entre lien d'intérêts et conflit d'intérêts, je rejoins tout à fait Mme Prada-Bordenave : le législateur a voulu que le lien d'intérêts présente une intensité moindre que le conflit d'intérêts, et a donc prévu une marge d'appréciation nécessaire au bon fonctionnement du dispositif. La loi du 29 novembre 2011 a tenté de définir l'intérêt par la notion d'« intérêt dans l'affaire », qui désigne un intérêt suffisamment élevé pour être problématique. Elle s'est appuyée pour cela sur l'intérêt tel qu'il est défini dans la loi sur la transparence de la vie publique, comme portant atteinte à la neutralité, à l'impartialité, voire à l'honorabilité de la fonction. Si on essaie de définir le conflit d'intérêts plus précisément que cela, on se fixe un objectif impossible, car on se prive d'appréciation au cas par cas. Je pense qu'on a donné des outils suffisamment efficaces à ceux qui ont la responsabilité de les détecter.

En revanche, il est vrai que le site transparence.sante.gouv a pris des retards. Il ne s'agit pas d'un site où l'on se contente de déposer et de lire les déclarations publiques d'intérêts. Il nous faut prendre en compte le traitement par les agences des informations contenues dans ces déclarations pour apprécier au quotidien les liens d'intérêts et prendre des décisions. Or, ces agences, pour accélérer ces traitements, ont mis en oeuvre des systèmes d'informations qui leur sont particuliers ; l'enjeu était de coordonner ces systèmes autour d'un seul système d'informations auquel toutes adhèreraient. Cette démarche fut longue et s'est notamment confrontée aux difficultés budgétaires qui ont pesé sur les ministères sociaux en 2015. Après sa finalisation prévue en 2017, ce site unique devrait rendre les choses plus faciles pour les déclarants. Nous voudrions leur ajouter une facilité supplémentaire : la suppression de l'actualisation annuelle des déclarations publiques d'intérêts, prévue par les textes réglementaires. Nous voudrions lui substituer une actualisation ponctuelle, limitée aux changements de situations. L'actualisation annuelle avait un sens lors du lancement du dispositif, afin d'habituer les déclarants à la démarche, mais il n'en est plus de même aujourd'hui. Qui plus est, disparaîtrait ainsi une part non négligeable des anomalies déplorées par le rapport de la Cour.

Je voulais souligner que le dispositif a été pensé en 2011, dans l'urgence d'une réponse à apporter à un scandale sanitaire majeur. Aujourd'hui, nous avons davantage de recul et pouvons proposer plusieurs améliorations, tant réglementaires que législatives. On a parlé des dispositions qui s'appliquent au Ceps, qui auraient effectivement dues être alignées. Contrairement à ce que la Cour préconise, il me semble que le Ceps devrait se voir appliquer les dispositions relatives aux déclarations publiques d'intérêts de l'article L. 1451-1 sans qu'on lui impose la publicité des débats prévue à l'article L. 1451-1-1, qui ne vise que les instances de l'article précédent qui ont un rôle d'expertise. Il y a une autre difficulté que le contexte précipité de 2011 n'a pas immédiatement permis d'endiguer : il existe des instances qui, en toute rigueur, pourraient relever de l'article L. 1451-1, mais qui feraient de la sorte relever du même article des instances conventionnelles qui dépendent d'elles. M. Planel a évoqué ce problème en prenant l'exemple du Ceps. En effet, il y a des instances dont la fonction est précisément de représenter des intérêts. Il faut bien les distinguer de celles où les intérêts n'ont pas leur place et où une décision est prise. Les termes de la loi du 29 novembre 2011 ne font-ils pas courir le risque que certaines instances se voient contraintes d'appliquer l'article L. 1451-1 alors qu'elles ne devraient pas l'être ?

Je termine sur deux points. Sur les obligations de la charte de l'expertise, je rejoins à nouveau Mme Prada-Bordenave sur la distinction entre la charte de l'expertise et les obligations des membres des instances. La loi ne comporte aucune ambiguïté : les membres des instances qui relèvent de l'article L. 1451-1 sont astreints à la déclaration publique d'intérêts et ne peuvent pas siéger s'ils sont en situation de conflit d'intérêts, avec la souplesse que la marge d'appréciation précédemment évoquée suppose. Le problème qui se pose à l'expert est différent. La charte de l'expertise permet de réagir si l'on se trouve en situation de conflit d'intérêts : on assure toute la transparence nécessaire et on ne place pas l'expert en position de décideur final. Doit-on envisager d'appliquer aux experts les mêmes obligations qu'aux membres des instances ? Cela me semble difficilement réalisable étant donné les réticences souvent exprimées par le monde des chercheurs et le monde de la santé. De plus, les experts sans aucun conflit d'intérêts sont assez rares. Il est vrai que le site transparence.sante.gouv a révélé certaines pratiques, comme la perception d'un double revenu entre des fonctions hospitalo-universitaires et des fonctions de conseil. Mais il nous faut aussi tenir compte d'un vivier insuffisant d'experts et veiller à ne pas casser la dynamique. Enfin, sur la question du contrôle, il faut à mon sens en distinguer de deux types : le contrôle décrit par Mme Prada-Bordenave pourrait être défini comme un contrôle de premier niveau, interne à chaque structure et théoriquement exercé par toute personne qui reçoit des déclarations publiques d'intérêts - sans que l'on préjuge du temps et des moyens que cela implique. Le rapport de la Cour me semble poser la question d'un autre contrôle, qui serait de deuxième niveau, et qui consisterait en une vérification de la véracité de ce que contiennent les déclarations. Ce contrôle serait assuré par des moyens d'investigation qui iraient au-delà de ce qui est exposé sur le site public, un peu sur le modèle de Haute Autorité de transparence de la vie publique (HATVP). L'esprit du dispositif initial ne comprenait pas ce contrôle de deuxième niveau : en effet, la méconnaissance des obligations étant pénalement sanctionnée, on pensait responsabiliser ainsi suffisamment le déclarant et se satisfaire d'une sorte de « surveillance sociale » du dispositif. De plus, lorsque le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi sur la transparence de la vie publique, il a indiqué que, pour les personnes qui ne sont ni ministres ni élus, une déclaration publique d'intérêts ne pouvait se cumuler avec l'investigation déjà menée par la HATVP. Cela étant, une autre décision du Conseil constitutionnel portant sur la loi de modernisation de notre système de santé, prévoit que, sous la condition du respect de l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé, il était envisageable d'aller plus loin dans l'atteinte à la vie privée et de cumuler ces deux moyens. Ainsi, si instance il doit y avoir, elle doit avoir une légitimité, les moyens et la compétence de l'investigation. La HATVP me paraît la plus indiquée pour remplir ce rôle, mais devrait se saisir du droit spécial relatif au secteur de la santé, et non du droit général de la prévention des conflits d'intérêts. Elle paraît en tout cas préférable à la HAS qui n'a pas développé cette compétence et qui présenterait en plus le risque d'une position de juge et partie.

M. Christian Poiret, chef de service du secrétariat général de la direction générale de la santé. - Je souscris tout à fait aux réponses qui viennent de vous être apportées.

Il faut avant tout souligner que la DGS comme ses opérateurs ne peuvent se passer de l'expertise pour assurer leurs missions. On ne peut pour autant s'affranchir des exigences liées à la lutte contre les conflits d'intérêts. Certes, il est parfois difficile de trouver des experts qui répondent aux obligations posées dans ce cadre, mais ce n'est pas impossible.

Ainsi que l'a souligné la Cour, la mise en place de ce régime de prévention des conflits d'intérêts a été délicate. Afin de ne pas créer de confusion, nous avons voulu faire en sorte que les différentes agences avancent ensemble sur ce sujet, ce qui a nécessité un important travail de mise en cohérence (harmonisation de formulaires, efficience des procédures, etc.). Notre objectif était d'éviter toute déperdition d'expertise. S'il est vrai que des marges de progrès existent encore, l'INCa comme l'ANSM se sont engagés dans ce processus.

M. Gilbert Barbier. - Pourquoi l'ANSM n'est-elle pas représentée parmi les personnes que nous entendons aujourd'hui ?

Régler le problème de la publicité des débats au sein des agences me paraît crucial. On parle, à propos des séances de cet organisme à la mission cruciale qu'est le Ceps,  de « secret des délibérations »: cette expression veut tout dire, alors que nous savons que des intérêts industriels sont en jeu. Il serait intéressant de publier les avis minoritaires de manière systématique, ainsi que de prévoir une publication de la liste des personnes qui se sont déportées au cours d'une séance de débats ; en d'autres termes, organiser une publicité totale des débats.

Il me paraît utopique de prétendre vérifier de manière exhaustive la véracité des déclarations d'intérêts, notamment pour les experts internationaux. Je souligne en revanche que la production d'une déclaration annuelle est très pesante - cela vaut pour les experts comme pour les élus.

M. Alain Milon, président. - Je vais immédiatement répondre à la première des questions posées par notre collègue Gilbert Barbier : si l'ANSM n'est pas présente aujourd'hui, c'est parce qu'il nous était impossible de recevoir l'ensemble des agences sanitaires ; nous avons donc choisi de nous concentrer sur celles qui étaient particulièrement citées dans le rapport de la Cour.

M. Olivier Cadic. - . - Il me semble que depuis la parution du livre de Martin Hirsch en 2010, Pour en finir avec les conflits d'intérêts, et cinq ans après la loi Bertrand qui avait suscité un certain espoir, on ressent le poids d'une certaine inertie. On a l'impression qu'il n'existe pas d'initiative collective en amont : la multiplication des démarches propres à chaque organisme fait que l'on doit aujourd'hui essayer de faire coïncider des ronds avec des carrés... Au total, le travail est en fait rendu plus difficile. Les chiffres qui figurent dans le rapport sont à cet égard frappants : 22 % des déclarations sont entachées d'anomalie, et 12 % ne sont tout simplement pas produites. Je lis notamment que 8 des membres du conseil d'administration de l'Oniam n'ont toujours pas déposé leur déclaration : comment accepter que cette situation dure plus longtemps ?

Mme Nicole Bricq. - L'avertissement qui introduit le rapport indique qu'une mission d'audit interne au ministère de la santé a été conduite par l'Igas entre octobre 2014 et décembre 2015. Il aurait été intéressant que les conclusions de cette enquête nous aient été transmises en même temps que votre rapport.

La Cour recommande que le plan d'action engagé par le secrétariat général soit élargi aux agences sanitaires. Quel est votre avis sur ce nouveau champ de travail ?

M. Georges Labazée. - Ma question s'adresse à M. Ranquet. Tant que l'on s'interroge sur le contenu de la loi de 2011 et sur la notion de conflits d'intérêts, on peut craindre que ces derniers ne continuent à prospérer...

M. Antoine Durrleman. - Le sentiment d'une certaine myopie de la Cour dans ce rapport vient de l'objectif que nous nous étions fixé, qui était d'analyser la mise en oeuvre des textes. Cette myopie est donc volontaire : nous avons cherché à mesurer comment un dispositif encore jeune s'installait sur le terrain.

Nous avons constaté qu'il faisait l'objet d'une appropriation diverse par les différents acteurs concernés ; certains, notamment l'Oniam, ont réagi avec lenteur et procrastination. Nous avons également relevé que les interprétations faites du dispositif étaient quelque peu brouillées, dans un domaine où les règles de la transparence devraient pourtant être les mêmes pour tous. C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en place, au niveau du secrétariat général, un pilotage du dispositif implacable, qui ne laisse pas l'espace au doute ni la marge à l'interprétation, et qui permette d'assurer sa plus grande clarté et l'égalité dans sa mise en oeuvre.

Les difficultés que nous avons constatées ne condamnent pas le dispositif mis en place en 2011, mais appellent des clarifications. L'un des principaux problèmes est celui de cette sorte de bégaiement auquel on contraint les experts sanitaires en leur faisant sempiternellement remplir de multiples déclarations auprès des différentes instances : il faut mettre en place un tronc commun pour mettre fin à ce système souvent jugé décourageant. Il faut mettre fin à ce système bureaucratique, d'autant que le législateur avait souhaité la mise en oeuvre d'un système certes contraignant, mais avant tout simple et ergonomique, avec un site unique.

Si le système de contrôle par la transparence est évidemment efficace, il reste problématique que la conquête de la transparence soit encore réduite aux acquêts. Le site transparence santé ne porte en effet que sur un champ partiel : ne figure dans cette base que ce qui était déjà déclaré au titre des conventions d'hospitalité, et non l'intégralité des échanges. L'application de la loi de modernisation de notre système de santé permettra cependant de renforcer ce système, un contrôle étant nécessaire.

Il existe en effet des difficultés déontologiques et de probité ponctuelles sur des déclarations, qui rendent nécessaire un contrôle non pas seulement de cohérence, mais aussi de contenu. Notre but n'est pas de pointer des situations individuelles ; mais, sur les 2904 déclarations que nous avons examinées de manière vétilleuse, nous avons constaté des situations réellement problématiques, dont nous tirerons toutes les conséquences à partir de nos pouvoirs d'investigation.

Se pose dès lors la question essentielle d'un contrôle de deuxième niveau. Ce ne sont pas les agences elles-mêmes qui peuvent procéder à de tels contrôles. Une institution doit être dotée des pouvoirs d'investigation nécessaires pour purger les difficultés rencontrées. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) pourrait bien sûr se saisir de ce sujet ; après échange avec cette instance, il nous est cependant apparu également possible de confier cette mission à la HAS - ce qui impliquerait, nous en sommes conscients, une transformation de fond de ses missions. En tout état de cause, j'insiste sur ce point : la transparence ne peut exister sans contrôle. La crédibilité du dispositif dépendra de la qualité de la boucle de contrôle mise en place, sous le regard d'un tiers extérieur et disposant d'une autorité suffisante.

Je souligne enfin que nous apportons à votre commission des éléments de synthèse générale sur l'audit interne réalisé par l'Igas, qui n'est pas rendu public à ce stade.

M. Maurice-Pierre Planel. - Je ne peux qu'être sensible à la question soulevée par le sénateur Gilbert Barbier sur la publicité des débats au Ceps et soucieux de trouver les moyens de remédier autant que possible au manque de transparence de ses travaux critiqué depuis de nombreuses années. Je rappelle au préalable que les critères utilisés pour la fixation des prix des médicaments sont définis par la loi : l'amélioration du service médical rendu, telle qu'évaluée par la HAS, la population concernée, également évaluée par la HAS, et la comparaison économique avec les médicaments existants. Le Ceps agit donc dans le cadre de dispositions législatives, complétées par quelques dispositions réglementaires.

Pour répondre à la question sur la publicité des débats, il me paraît nécessaire de distinguer deux points. D'une part, il convient de compléter les normes applicables au Ceps. Il existe un double débat pour savoir, dans un premier temps, si cette instance est régie uniquement par les dispositions du code de la sécurité sociale ou si elle entre dans la disposition générale contenue dans la loi relative au système de santé, et dans un second temps, si l'article L. 1451-1 cité par Philippe Ranquet lui est applicable, auquel cas il serait soumis à l'article L. 1451-1-1. Je ne me prononcerai pas sur cette question et demande une clarification des règles applicables. D'autre part, dans un domaine qui dépasse très largement les préoccupations qui nous réunissent aujourd'hui, se pose la question du secret des affaires. Sauf erreur de ma part, la Cour rappelle que la publicité des travaux du Ceps devrait être mise en oeuvre dans le respect de la législation relative du secret des affaires. Si les travaux du Ceps doivent être publics, la publicité risque d'être limitée à la part des travaux non couverte par le secret des affaires, ce qui pourrait donner lieu à des soupçons divers puisque ne serait accessible qu'une partie des enregistrements ou des procès-verbaux.

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. - Je répète qu'il est très difficile d'avoir des experts sans liens d'intérêts, étant donné, en particulier, l'organisation actuelle des centres universitaires hospitaliers (CHU). Cependant, certaines personnes pourraient apporter leur expertise tout en ayant des liens d'intérêts beaucoup plus ténus : je pense à la génération de ceux que l'on pourrait appeler les jeunes chefs de clinique ou les jeunes maîtres de conférences d'université praticiens hospitaliers (MCU-PH). Le problème est que l'expertise n'est pas valorisée dans leur parcours universitaire et l'obtention de l'agrégation. A la suite d'une démarche de très longue haleine, la prise en compte des activités pédagogiques a été introduite dans les critères d'évaluation pour l'agrégation. Il n'en va pas de même de l'expertise. Par conséquent, ces jeunes, qui sont l'avenir de la médecine mais pas encore vraiment installés dans le paysage, ne sont pas candidats à la réalisation de projets d'expertise. Cette question devrait être traitée par l'enseignement supérieur.

A la rédaction retenue en 2011 pour interdire tout lien direct, inspirée du code pénal puisqu'on renvoyait au délit de prise illégale d'intérêt, la rédaction de 2013, qui est beaucoup plus approfondie et définit le conflit, aurait peut-être été préférable. Mais il ne sera jamais simple de savoir si une personne est ou non en situation de conflit d'intérêts et il y aura toujours une appréciation à porter sur chaque cas particulier. Dans les commissions qui siègent auprès de la HAS, sont présents des représentants de patients, qui sont membres d'associations de patients, dont certaines sont financées par des industriels. Je pense notamment aux associations intervenant dans le champ des maladies rares. Nous nous trouvons donc face à quelques associations qui ont des liens. Ceux-ci doivent être appréciés et nous ne devons pas faire porter sur ces personnes-là, qui sont déjà malades, en plus un regard soupçonneux. J'ai entendu qu'on évoquait parfois Tracfin. Mais il ne s'agit pas des mêmes personnes, ni des mêmes choses. Tracfin intervient tout de même dans le domaine de la corruption, du terrorisme. Ici, notre débat concerne des médecins qui soignent des personnes et des patients qui sont malades. Il faut faire attention à ne pas provoquer cette irruption du soupçon. C'est de confiance dans le système de santé dont il s'agit, comme le rappelle d'ailleurs le rapport de la Cour des comptes.

M. Philippe Ranquet. - En réponse à Madame Bricq, je précise que le plan d'action a été conçu pour l'administration centrale car il répond à un audit de celle-ci mais sa mise en oeuvre se déroulera de manière très coordonnée avec les déontologues des agences. Dans l'administration centrale, le plan va déboucher sur la création d'un réseau des référents déontologiques interne, qui sera une préfiguration des référents déontologues qui devraient être issus du texte en cours de discussion au Parlement sur la déontologie et les droits et obligations des fonctionnaires. La loi de modernisation de notre système de santé a créé elle aussi des déontologues dans les agences. Tout cela fonctionnera en réseau avec l'administration centrale et nous travaillerons ensemble pour répondre aux mêmes objectifs.

Mme Nicole Bricq. - La recommandation de la Cour est donc satisfaite ?

M. Philippe Ranquet. - Il faut poser cette question à la Cour.

Pour répondre à Monsieur Labazée, nos interrogations sont de deux ordres. D'une part, des clarifications des textes et du cadre sont indispensables. La Cour pointe plusieurs incertitudes, nous en partageons le constat et sommes convaincus qu'elles doivent être levées. Certaines peuvent l'être facilement par la modification de textes de niveau infra-décrétale (arrêtés, instructions). Nous nous y emploierons le plus rapidement possible dans le cadre du plan d'action, y compris le cas échéant à l'occasion de textes d'application de la loi de modernisation de notre système de santé. Toutes les incertitudes résultant de textes de niveau législatif n'ont pas été levées lors de la dernière occasion qui s'est présentée. Toutes n'ont pas aujourd'hui un effet bloquant sur le système. Il convient de prendre le temps de la réflexion pour voir comment y remédier.

D'autre part, il existe des incertitudes dans l'application des normes. Cela nous ramène à la question de savoir ce qu'est le conflit d'intérêts et je pense qu'on ne pourra à cet égard jamais être plus précis que le texte de la loi de 2013. L'un des objectifs du plan d'action est aussi de faire en sorte que ceux qui sont responsables de l'appréciation portée sur l'existence ou non d'un conflit d'intérêts soient le plus possible aidés, en se référant à une doctrine, toujours dans un cadre collégial. Ainsi l'inévitable marge d'appréciation laissée par le texte sera transformée en autre chose que du flou.

M. Christian Poiret. - S'agissant des regrets exprimés sur les délais de mise en place des dispositifs, sont apparus au cours des débats un certain nombre d'objectifs qui peuvent apparaître contradictoires mais que le ministère a tenté de mettre en oeuvre de manière cohérente. Nous sommes face à un dispositif très complexe et, au final, il faut que ceux qui sont dans l'obligation de remplir les déclarations publiques d'intérêts ne soient pas confrontés à des difficultés incommensurables. Il faut à la fois appliquer la loi et ne pas décourager les bonnes volontés. Emmanuelle Prada-Bordenave a rappelé à juste titre que nous sommes dans le domaine de la santé : nous avons à faire à des médecins, à des patients, tout se fait dans un contexte d'activité continue et tout ceci a également un coût. La Cour a relevé un certain nombre de ces coûts, difficiles à appréhender mais bien réels, que l'on peut mesurer en temps de travail. Il s'agit d'agences, d'établissements publics, dotés d'une autonomie de gestion, et tout le travail de persuasion destiné à faire en sorte que nous oeuvrions tous dans le même sens, a effectivement un coût. La direction générale de la santé y a mis le prix, ce sont plusieurs postes de travail qui ont été consacrés à la mise en oeuvre du dispositif. Il est difficile d'évaluer et d'assurer la mission dans le même temps, et nous avions en tête qu'il fallait faire vite.

M. Michel Vergoz. - Je pense qu'il ne faut pas composer avec le manque de clarté. Bien sûr qu'il ne s'agit pas de corruption comme avec Tracfin. Sauf que pour les élus que nous sommes, et j'ai été maire, l'affaire du Mediator est synonyme de corruption pour le citoyen. De même que l'affaire du Solvadi, synonyme d'affairisme pour le citoyen lambda que j'ai la charge de représenter. Donc je ne peux pas laisser Madame Prada-Bordenave dire ce qu'elle a dit. Pour les Français que nous sommes, la transparence a un sens et j'aimerais que Monsieur Durrleman dise sa position sur les propos tenus au sujet du Ceps s'agissant du prétendu obstacle à la transparence constitué par le secret des affaires.

M. Antoine Durrleman. - Le Ceps a besoin d'une clarification des textes. Se situe-t-il du côté de la santé publique, ce qui est plutôt notre sentiment, ou de celui de la sécurité sociale ? Pour le moment, il « cloche des deux pieds ».

S'agissant de la publicité des débats, il faut bien sûr tenir compte des secrets protégés par la loi. Dans un certain nombre de situations, le Ceps est amené à se dissocier de l'avis rendu par la commission de la transparence de la HAS. Dans ces cas-là, qui ne sont certes pas les plus fréquents, il nous semble que le débat doit être rendu public. Les clarifications que nous appelons de nos voeux nous paraissent d'autant plus importantes que la loi de modernisation de notre système de santé a renforcé l'association des représentants d'usagers aux travaux du Ceps. Les usagers ont le droit de savoir.

M. Alain Milon, président. - Je vous remercie de ce débat de niveau élevé, dont nous sortons plus instruits.

La réunion est levée à 11 h 30.