Mardi 5 avril 2016

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

République numérique - Audition de Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, chargée du Numérique

La réunion est ouverte à 17 h 50.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous sommes heureux de vous accueillir, Madame la ministre, après votre audition ce matin devant la commission des lois. J'ai apprécié la démarche courtoise que vous avez eue à mon endroit, par laquelle nous avons convenu de cette réunion.

Comme vous le savez, notre commission est saisie à la fois au fond et pour avis. Sur le fond, nous sommes chargés notamment de l'article 19, sur la neutralité de l'Internet. C'est un sujet auquel vous attachez une grande importance et qui est central dans la régulation des grands réseaux de communications électroniques. Nous aurons également à examiner l'article 39, sur l'entretien et le renouvellement du réseau des lignes téléphoniques, enjeu important pour les zones rurales.

En outre, notre commission s'est saisie pour avis d'un certain nombre d'articles. Il s'agit notamment de l'article 20 bis, sur la modernisation des pouvoirs d'enquête de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), de l'article 20 quater, modifiant le nom de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques (CSSPPCE), et des articles 21 à 24 sur l'encadrement des plateformes en ligne dans leur relation aux utilisateurs, dont l'objet est de réguler les géants américains de l'Internet, devenus indispensables dans notre vie quotidienne. Il s'agit encore de l'article 40, sur le recommandeì électronique, ou de l'article 42, sur les compétitions de jeux vidéo.

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. - Merci de votre accueil. Je veux d'abord expliquer le titre de ce projet de loi, qui a été beaucoup débattu à l'Assemblée nationale. Il est ambitieux, certes. Pourquoi parler de République numérique ? Parce que pendant longtemps, le numérique a été considéré comme un domaine spécifique et très technique, réservé aux seuls experts ou geeks. Or c'est un sujet transversal qui touche aux enjeux économiques, sociétaux et sociaux, objets des trois titres du projet de loi. Aussi faut-il l'aborder de manière politique, tout comme l'objectif de transition écologique.

De fait, chacune des valeurs, chacun des principes qui fondent le projet républicain sont potentiellement interrogés par le numérique. Celui-ci nous offre l'occasion de les réaffirmer en apportant des réponses actualisées. C'est vrai en matière économique : innovation, transparence de l'action publique, circulation du savoir... Sur le plan social, la protection de la vie privée, des données personnelles, le droit des consommateurs ou la recherche d'un équilibre entre les particuliers et les grands acteurs économiques sont concernés. Enfin, il y a un enjeu en matière d'égalité dans l'accès au numérique, tant pour les territoires que pour les personnes en situation de handicap ou financièrement fragilisées. J'ai eu le plaisir d'apprendre que M. Sigmar Gabriel, ministre de l'économie allemand, a parlé il y a trois semaines de République numérique en présentant la stratégie numérique de l'Allemagne !

Le titre Ier est consacré à l'économie. Nous partons du postulat que la valeur ajoutée, source potentielle de croissance et de création d'emploi, réside dans l'immatériel, à savoir les données. Dans ce secteur, ce n'est pas la rareté qui fait la valeur mais l'abondance : plus des données sont produites, publiées et réutilisées, plus le potentiel de création de valeur est grand. Ainsi, l'ouverture des données d'administrations publiques comme l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) ou Météo France permet à des entreprises innovantes d'inventer de nouveaux services et de nouveaux produits. Cette économie de la donnée doit être préparée. C'est pourquoi nous posons le principe d'ouverture des données publiques par défaut, quitte à aller à rebours de la culture administrative. L'administration doit s'ouvrir à la société civile et aux entreprises, c'est une exigence démocratique et une source de développement économique.

Nous créons un service public de la donnée, qui réfléchira à l'utilisation stratégique des quantités de données produites par l'administration. Il s'agira notamment d'identifier des données de référence, comme la base Adresse nationale ou le répertoire des entreprises en France, qui devront être interopérables et réutilisables. Nous inventons la notion de données d'intérêt général, à la frontière entre public et privé, qui peuvent être source de valeur si elles sont partagées : c'est le cas, notamment, de celles auxquelles une collectivité locale perd l'accès en passant un contrat de délégation de service public ou de concession, par exemple avec une régie d'eau. Or ces données peuvent être utiles à la prise de décision publique. Dorénavant, les collectivités auront accès à ces données d'intérêt général ; elles pourront les mettre en accès public, voire les vendre.  

La circulation du savoir est essentielle aux chercheurs ; s'ils veulent rester compétitifs, nos laboratoires de recherche doivent avoir accès à des données objectives et de qualité. Thomas Piketty parle par exemple des « bas revenus » en France, mais sur quelle base ? Pour un foyer, on ne peut pas croiser les fichiers des prestations sociales avec ceux de Pôle Emploi ou des retraites. Nous ouvrirons ces données à la statistique publique via le numéro d'inscription au répertoire (NIR) statistique qu'est l'identifiant de sécurité sociale. Cela aidera aussi à la décision politique, qui sera mieux informée.

Le titre II crée de nouveaux droits pour les particuliers. Il garantit qu'Internet, né dans le partage il y a quelques décennies, reste ouvert, alors qu'il est menacé de captation, soit par des régimes autoritaires soit par de grands intérêts privés. Le règlement européen sur les données personnelles est le texte qui a fait l'objet du lobbying le plus intense de l'histoire des institutions communautaires. Le présent texte fait aussi l'objet d'un lobbying soutenu, vous le savez : les intérêts économiques en jeu sont élevés. La tentation de ne rien faire est grande, car d'aucuns soutiennent que dans ce domaine nouveau, toute intervention serait nuisible et risquerait de freiner la dynamique économique. Pourtant, le Gouvernement a décidé d'agir, de manière équilibrée, pour conférer de nouveaux droits aux utilisateurs, car il n'y aura pas d'essor du numérique sans confiance.

Multiplication des cyberattaques, fuite des données personnelles, fraudes aux moyens de paiement : pour rassurer, il faut mieux protéger les données personnelles. Nous introduisons le concept de libre disposition de celles-ci, un droit à l'oubli pour les mineurs, ainsi que des mesures sur la mort numérique. Le texte crée de nouveaux droits pour les consommateurs, dont le principe de loyauté des plateformes d'intermédiation, par la transparence de l'information : les conditions générales d'utilisation devront être compréhensibles. D'aucuns voudraient aller plus loin, et prendre des mesures contre Google, Amazon ou Airbnb. Ce n'est pas l'esprit de ce projet de loi : nous souhaitons accompagner l'essor de l'économie numérique, dans un rapport de forces équilibré.

Le texte comporte aussi des mesures relatives à l'authenticité des avis en ligne. Nous introduisons en droit français le principe de neutralité d'Internet, reconnu en Europe, fin 2015, grâce à l'action de la France. Nous conférons à l'Arcep des pouvoirs d'enquête et de sanction pour le faire respecter.

Après la portabilité des numéros de téléphone, nous instaurons la portabilité des données pour les serveurs de messagerie électronique et les données résultant de l'utilisation d'un compte sur Internet : on pourra récupérer ses courriels, ses relevés bancaires, l'historique des préférences musicales ou les photos sur les réseaux sociaux. Cela développera la concurrence, en permettant à des start-ups d'entrer dans des écosystèmes assez fermés, dominés par les grandes entreprises.

Le titre III est relatif à l'accessibilité, sujet qui vous tient particulièrement à coeur. J'entends, comme vous, les attentes et les frustrations de nos concitoyens sur le niveau et la qualité de la couverture des territoires en réseau fixe et mobile. C'est le rôle du plan France Très haut débit. Ce texte vise à accélérer le déploiement du numérique : suramortissement pour les opérateurs investissant dans les réseaux, éligibilité au Fonds de compensation de la TVA (FC-TVA) pour les collectivités territoriales qui investissent, dispositions réglementaires sur le droit à la fibre : installation de cette dernière à la charge de l'opérateur sans l'accord du syndic, utilisation des servitudes de façade pour poser des lignes... Tous les moyens sont bons, et je suis preneuse de votre expertise !

Avec 3,5 milliards d'euros, le plan France Très haut débit est le plus gros chantier du quinquennat. Nous sommes à un moment crucial : les premiers travaux ont été engagés en 2012-2013, la demande est si forte que nous sommes contraints d'importer de la fibre et formons des ouvriers. Pas moins de 97 départements ont déjà déposé des demandes de subvention auprès de la mission France Très haut débit. La dynamique est lancée, les résultats commencent à être visibles. Au cours du dernier trimestre 2015, pour la première fois, le nombre de raccordement à la fibre optique a été supérieur en zone rurale, et les zones d'initiative publique ont dépassé l'investissement privé dans les zones très concurrentielles.

Pour que le réseau de téléphone fixe soit mieux entretenu, nous renforçons les contraintes pesant sur le prestataire de service universel, Orange, en reprenant la proposition de loi de M. André Chassaigne. Les conséquences d'une panne de réseau peuvent être dramatiques, notamment pour des personnes âgées isolées. Le renouvellement du cahier des charges, cette année, sera l'occasion de marquer l'équilibre indispensable entre investissements de modernisation et entretien du réseau existant.

Les personnes sourdes et malentendantes, ainsi que les personnes aveugles, demandent depuis longtemps des outils de traduction, demande à laquelle il faut donner droit. La France accuse un certain retard en matière d'accessibilité, dont nous partageons collectivement la responsabilité. Il est temps que la loi exige un certain niveau d'obligations de la part des acteurs publics, qui doivent être exemplaires, et des acteurs privés, en prévoyant des sanctions effectives. Il est peut-être inhabituel qu'un texte émanant de Bercy comporte des dispositions sociales, mais celles-ci sont très importantes pour répondre à l'objectif de République numérique.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Merci de cette présentation précise et aérée d'un projet de loi qui embrasse de nombreux sujets.

Il n'y avait guère eu de texte d'importance sur ce sujet depuis la loi de 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), dont j'étais déjà rapporteur. Il avait fallu en même temps transposer une directive européenne, ce qui créait une situation complexe. Dans un domaine où tout évolue si rapidement, où les appétits sont féroces, il est bon d'actualiser des dispositions qui ont une douzaine d'années.

C'est également une bonne idée que d'avoir ouvert l'élaboration du texte à la consultation publique, dans l'esprit de cette économie collaborative qu'il promeut. Ainsi, lors des auditions, nous n'avons guère rencontré d'oppositions majeures.

Restent toutefois quelques interrogations sur l'opportunité de certaines mesures, notamment celles prévues par les articles 21 à 24 sur la régulation des plateformes. Nombre des dispositions y figurant sont en effet prévues dans un règlement européen, qui devrait être adopté définitivement d'ici peu et entrer en vigueur d'ici deux ans. Fallait-il anticiper, en les intégrant dès à présent dans notre droit interne ? Le risque est que certaines ne soient pas totalement compatibles avec le règlement, ce qui nous obligerait à légiférer de nouveau.

Par ailleurs, n'y a-t-il pas un risque de segmentation nationale du droit européen du numérique ? Nos entreprises n'auront-elles pas à respecter un cadre plus contraignant que leurs concurrentes dans d'autres États membres ? C'est une inquiétude qui est revenue fréquemment dans nos auditions.

Enfin, la transmission des données des consommateurs dans le secteur de l'énergie sera abordée au détour d'un amendement extérieur. Depuis quelques mois, il semble que les oppositions au déploiement du compteur communicant Linky se multiplient. On évoque notamment plusieurs délibérations municipales hostiles - qui sont en réalité illégales. Jeudi soir, une réunion de tous les maires de Haute-Marne sera consacrée à ce sujet, à laquelle ERDF m'a demandé d'intervenir. Ces craintes des maires témoignent d'une inquiétude croissante de la population sur la question des ondes électromagnétiques, des risques d'incendie ou de la protection des données personnelles. Or ces craintes relèvent de l'irrationnel : le courant porteur en ligne est une technologie utilisée de longue date et Linky émet moins d'ondes que les appareils électroménagers courants, le risque d'incendie n'est pas plus élevé que pour les anciens compteurs et la sécurité et la confidentialité des données sont parfaitement assurées. Le Gouvernement entend-il communiquer pour mettre fin aux campagnes anti-Linky ?

M. Yves Rome. - J'approuve aussi la méthode de préparation de cette loi, qui mériterait d'être généralisée. Vous avez notamment associé le Conseil national du numérique (CNNum). Ce texte opère une révolution copernicienne pour l'écosystème du numérique, qui est encore bridé par les « GAFA », dont la puissance financière dépasse parfois celle des États et qui risquent de mettre la main sur l'ensemble des échanges économiques. L'ouverture des données publiques favorisera l'émergence de nouvelles start-ups. Le projet d'encadrer des plateformes a suscité de nombreuses démarches auprès de nous. Je crois qu'il est bienvenu. La neutralité d'Internet, grâce aux pouvoirs rendus à l'Arcep, deviendra effective, tant mieux !

Le plan France Très haut débit est une réussite, grâce à l'implication des collectivités territoriales, auxquelles a été confiée la responsabilité des zones non denses. Déjà, 97 collectivités ont adopté un schéma départemental d'aménagement numérique (SDAN) et sollicité une subvention étatique. Grâce au coefficient de ruralité, l'espace rural est mieux pris en compte, et vous avez doublé les crédits consacrés sur ce point aux collectivités territoriales.

Il faudrait un état des lieux de la numérisation des services publics. En Estonie, la carte numérique est en place et l'ensemble des données publiques est accessible. Il y a là une magnifique opportunité de développer l'activité, de créer des emplois et de transformer la relation entre citoyens et administrations.

M. Philippe Leroy. - Oui, ce projet de loi est indispensable et arrive à point nommé, mais il sera nécessairement suivi d'une nouvelle loi, pour se conformer aux textes européens à venir et tenir compte de l'émergence de nouvelles technologies. Ainsi, les FinTech risquent-elles de bouleverser la vie financière, ce qui inquiète les banques. Le Bitcoin devra aussi être convenablement régulé, car toute crise pourrait être dévastatrice. Que pense faire le Gouvernement pour éviter d'être pris à la gorge par un éventuel sinistre ?

Le plan France Très haut débit est bien conçu mais sa mise en oeuvre laisse à désirer. Le prix d'une prise à la fibre optique est dix à vingt fois inférieur à celui d'une prise assainissement. Pourtant, toute la France s'est assainie en quinze ans !

M. Marc Daunis. - Même si quelques petits villages résistent encore...

M. Philippe Leroy. - Le prix de la fibre optique est donc un faux problème. Pour les 80 départements qui se lancent, un refus de Bruxelles d'agréer le système d'aide posera problème. Où en est-on de la montée en débit des réseaux cuivre ? Le Gouvernement doit suivre ces sujets de près.

M. Jean-Pierre Bosino. - Merci pour cette présentation très claire - et presque sans anglicismes. La consultation publique interactive a été une bonne chose, mais quels en ont été les résultats ? J'ai lu que sur 8 000 propositions, seules six avaient été retenues ! La mise à disposition gratuite des données publiques emporte des risques de dérives dans l'utilisation commerciale : quelles seront les conditions d'utilisation ? Ce texte fait peser beaucoup d'exigences sur les services publics, et moins sur les entreprises privées... Pourquoi s'en tenir à une simple incitation au développement des logiciels libres, qui devrait être une priorité ? Oui, l'Internet est un bien commun. Quid du service restreint, qui a fait l'objet d'un lobbying intense ?

Un commissariat à la souveraineté numérique ? La création d'un système d'exploitation souverain suscite un certain scepticisme...

M. Joël Labbé. - Merci, Madame la ministre, de la clarté et du volontarisme de vos propos. Pour que fonctionne la République numérique, il faut la démocratie numérique. Je salue l'insertion de l'article 1er bis A nouveau, qui demande un rapport hautement justifié sur l'opportunité d'une consultation citoyenne en ligne pour tout projet ou proposition de loi avant son inscription à l'ordre du jour du Parlement. Le monde politique a besoin de se reconnecter avec la population. Cette méthode a déjà été expérimentée pour la loi sur l'utilisation des produits phytosanitaires et la loi pour la reconquête de la biodiversité.

Il est dommage que l'irrigation des territoires ruraux soit limitée par notre production industrielle, au point de devoir importer. Sans doute aurait-il fallu mieux anticiper. On manque aussi de moyens pour la mise en oeuvre. Je me souviens que, quand j'étais jeune, des entreprises de travaux publics du Morbihan se rendaient dans le Cantal pour installer le réseau électrique. Ne peut-on pas accélérer ?

M. Alain Duran. - Je salue l'appel collaboratif aux citoyens pour co-construire ce projet de loi, preuve que l'on peut réconcilier ceux-ci et la vie de la cité. C'est un exemple à méditer. La République numérique, c'est l'égalité d'accès au réseau partout et pour tous. Les territoires ruraux connaissent des difficultés ; en matière de téléphonie, les collectivités territoriales ont pris le relais, avec des aides conséquentes de l'État. Néanmoins, il y a des limites à la production industrielle et à l'autofinancement des collectivités, et les administrés trouvent le temps long. Pourquoi ne pas proposer une technologie transitoire telle que la 3G ou la 4G en attendant la fibre ?

M. Yannick Vaugrenard. - Vous êtes extrêmement pédagogue, Madame la ministre. Il est logique, au fond, que la révolution numérique soit suivie par la République numérique, et je me réjouis que ce titre ait été repris par nos amis allemands. Comment faire pour que tous les citoyens aient accès au numérique ? Le déterminisme social étant fort, il risque de ne pas profiter à tous. La fracture numérique est liée au territoire, mais aussi à la formation et à l'éducation. Le sujet a-t-il été abordé avec la ministre de l'Éducation nationale ?

Le projet de loi consacre l'interdiction de déconnexion d'Internet en cas de difficultés financières. C'est très important. Nous avons besoin d'Internet au même titre que de l'eau potable ou de l'électricité.

Quelque 85 % des consommateurs qui achètent en ligne sont influencés par les avis. Comment vérifier leur provenance, s'assurer que l'information est objective ?

Où en est la France, avec son plan Très haut débit, par rapport à l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie ? Est-elle en avance ou en retard ? Cela n'est pas sans incidence sur notre compétitivité économique.

M. Daniel Dubois. - Le numérique est une politique d'avenir qui portera la croissance de demain. Au-delà de la régulation des plateformes, pourquoi n'existe-t-il pas de règlement européen ? Le numérique n'a pas de frontière. Un règlement européen ultérieur imposera peut-être des changements à la loi que nous discutons.

Comme bien des collègues, je suis un rural. Vous semblez satisfaite, Madame la ministre, du plan France Très haut débit. Certes, 97 départements sont concernés, mais quel est leur taux de couverture ? Certains départements hyper-ruraux lancent une première tranche de leur SDAN. Ils recevront des subventions, mais se sont aussi endettés. Comment financeront-ils une deuxième, troisième, quatrième tranche ? Comment assurer l'équité républicaine sur le territoire ?

Orange va enfin être obligé d'entretenir son réseau. Il était temps. En matière de téléphonie mobile, le ministre Emmanuel Macron avait souhaité que des travaux soient engagés dans un certain nombre de zones blanches. Mais la définition de ces zones est théorique. Dans de nombreux endroits du territoire, qui ne sont pas en zone blanche, il est impossible d'avoir une conversation continue pour peu qu'on se déplace, même dans sa maison.

Mme Élisabeth Lamure. - Y compris dans les villes !

M. Daniel Dubois. - Quand enverrez-vous un questionnaire aux municipalités, avec les opérateurs, pour recenser réellement les zones blanches ou grises ? Nous sommes loin d'avoir équipé les territoires ruraux.

M. Marc Daunis. - L'expression numérique est le reflet des couches les plus incluses de la société. Faisons en sorte d'éviter le renforcement des exclusions territoriales, sociales ou générationnelles.

L'Assemblée nationale a ajouté un article 40 AA imposant au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur les mesures nécessaires au développement des échanges dématérialisés et l'open data. Philippe Leroy a souligné l'évolution très rapide de ce domaine. Comment l'évaluation de la loi peut-elle être effectuée pour assurer son adéquation, sur le plan européen et territorial, avec les nouveaux enjeux qui surgissent ?

M. Franck Montaugé. - Merci, madame la ministre, de votre présentation qui souligne la nécessité de ne pas entraver les nouvelles pratiques. Vous avez parlé du site Airbnb. L'économie touristique tient une place essentielle dans les territoires ruraux, où elle participe au revenu de nombre de résidents. Quelle protection leur assurer face à l'émergence de nouvelles pratiques ? Pourquoi ne pas créer des dispositifs d'accompagnement à la transition, donnant ainsi sens au mot « fraternité » de notre devise, c'est-à-dire à la solidarité, afin que les acteurs aillent ensemble vers le progrès et que celui-ci ne signifie pas la destruction de certains ?

Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Pourquoi le Gouvernement n'avance-t-il pas plus vite sur le dossier de la taxation des « GAFA » alors que le Sénat a voté un mécanisme comparable à celui du Royaume-Uni ? Cette recette pourrait être affectée à l'accélération du plan numérique et à l'accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME) dans l'indispensable mutation numérique. Regardez les sommes qu'y consacre la Corée du Sud, dont la population est comparable et qui a fait de l'évolution technologique le phare de son avenir... Comme pour l'énergie atomique jadis, pourquoi ne pas créer un haut-commissariat au numérique pour les PME comme pour les grands groupes industriels ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. - Monsieur Sido, merci de votre engagement. Vous étiez aussi rapporteur, en 2004, de la LCEN, un texte très solide, précurseur, qui a créé les notions d'hébergeur, de contenu, de fournisseur de service. Ce projet de loi, que j'espère voir adopter en 2016, s'inscrit dans la continuité des grands rendez-vous qu'ont été la création de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) en 1978, puis l'adoption de la LCEN : nous rencontrons la même difficulté d'articulation avec les instances européennes. Nous suivons une ligne de crête pour être conforme au droit européen sans nous autocensurer, en profitant des marges de manoeuvre laissées aux États membres.

Merci d'avoir salué la consultation publique. J'espère qu'elle fera jurisprudence. Il est précieux que les parlementaires ne se soient pas sentis « uberisés », désintermédiés. La consultation renforce la démocratie et la confiance dans les politiques. Nous vous transmettrons l'étude sur le résultat de la consultation. Pas moins de 80 modifications ont été apportées au texte du Gouvernement avant sa présentation au Conseil d'État et cinq nouveaux articles ont été ajoutés, sur l'e-sport, l'auto-hébergement, l'IPv6, ainsi que des évolutions sur l'open data, l'open access ou la liberté de panorama.

Vous m'avez demandé s'il était opportun de légiférer, par rapport au droit européen. Le texte du règlement européen sur les données personnelles doit faire l'objet d'un accord final le 21 avril, puis d'un vote au Parlement européen. L'harmonisation du droit sur les données personnelles ne s'appliquera aux entreprises que dans deux ans. Cette période de latence laisse le temps de s'adapter et d'agir. Jamais nous n'introduisons de dispositions contraires au règlement. En revanche, nous légiférons quand celui-ci renvoie au droit national, par exemple en matière de droit à l'oubli pour les mineurs ou de saisine en ligne de la CNIL.

La portabilité des données est un sujet délicat. Le droit européen évoque les données personnelles ; nous parlons des données des utilisateurs, c'est-à-dire des consommateurs. Les préférences musicales ou les relevés bancaires ne sont pas des données personnelles au sens du droit. On sort du champ d'application du règlement européen.

Les plateformes doivent-elles être régulées à Bruxelles ou à Paris ? Les deux. Le gouvernement français a demandé, avec le gouvernement allemand, que ce sujet soit abordé à l'échelle européenne. La Commission européenne, qui a lancé une consultation à l'automne dernier, pourra légiférer ou non. Le temps européen n'est pas le temps du numérique : le contentieux entre la Commission et Google est dans sa sixième année ! Google a eu le temps de devenir un géant, dont le modèle économique dépasse les critères actuels du droit de la concurrence. Si la Commission européenne légifère, il faudra des négociations, un vote du parlement, un accord des 28, une transposition... On y sera toujours dans quatre ou cinq ans ! Le Gouvernement a fait le choix d'avancer. La directive sur l'e-commerce laisse des marges de manoeuvre aux États en matière de droit de la consommation - c'est en tout cas la lecture que nous en faisons. Certaines entreprises diront toujours qu'elles subissent la concurrence déloyale d'entreprises étrangères, mais le droit qui s'applique est celui du pays de résidence des consommateurs et des utilisateurs.

Le seuil fixé pour la portabilité des données et la loyauté des plateformes est élevé : plusieurs millions de clics. Il ne concernera que dix à vingt entreprises. Je ne crois pas pénaliser les entreprises : quand on fluidifie le marché, on facilite l'entrée des start-ups. Les données publiques représentent un trésor pour les start-ups françaises.

Le compteur Linky est le grand projet d'ERDF pour moderniser ses infrastructures en poursuivant l'objectif de transition énergétique. Il incite le consommateur à réaliser des économies et constitue un objectif industriel. Trente millions de compteurs seront installés, pour un budget de 5 milliards d'euros. La généralisation s'effectue depuis décembre. C'est un projet à encourager, même s'il relève de la responsabilité de la ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, Ségolène Royal plutôt que de la mienne. Les bénéfices de cette opération, gratuite pour le consommateur, viendront des services annexes, dans quelques années. L'enjeu est de veiller à ce que le réseau de compteurs soit ouvert et que les start-ups puissent utiliser les données anonymisées. Revenir à un compteur « bête » serait dommage quand la France a autant d'atouts en matière d'objets connectés. Je suis preneuse de vos retours de terrain, car il serait dommage que des craintes irrationnelles l'emportent.

Concernant le plan France Très haut débit, Yves Rome a raison de rappeler que nous avons hérité le choix fait en matière d'organisation territoriale, qui a été de laisser aux opérateurs privés les zones les plus rentables et de faire intervenir les pouvoirs publics dans les zones à moindre rentabilité. Le financement public se concentre là où il est le plus nécessaire, d'autant que les expériences de déploiement de réseaux locaux dans des zones très ouvertes à la concurrence n'ont guère été concluantes.

La Cour des comptes, dans un rapport très récent, estime que la France a du potentiel en matière de numérisation des services publics. Le nécessaire accompagnement passera par la médiation dans les territoires et des politiques en matière d'usage - que nous incitons les collectivités territoriales à insérer dans leurs schémas d'aménagement. C'est l'une des missions de l'Agence du numérique que de recenser les meilleurs usages : e-éducation, télémédecine, services publics en ligne... Il faut aussi revivifier le réseau de la médiation. Les espaces publics numériques souffrent de ne pas avoir été redynamisés. Il faut repenser les lieux du numérique dans les campagnes, encourager le travail collaboratif, l'accueil d'entreprises innovantes dans des espaces partagés, des modèles mi-publics, mi-privés.

Monsieur Leroy, même si ce texte sera sans doute suivi d'un autre, il énonce de grands principes - le service public de la donnée, les données d'intérêt général, l'open data par défaut - qui ont vocation à durer et à s'appliquer aux technologies, quelles qu'elles soient. Il ne s'agit pas pour autant d'abandonner la distanciation, si l'on se réfère par exemple à la nouvelle mission éthique confiée à la CNIL.

Le numérique détruit-il des emplois ? Nous sommes dans une phase de transition. Toute révolution industrielle détruit des emplois anciens et en crée de nouveaux. La révolution numérique, qui se déroule à l'échelle d'une ou deux générations, est plus violente que le passage à l'imprimerie. Il faut accompagner la transition. C'est pourquoi l'éducation et la formation tout au long de la vie sont plus importantes que jamais.

M. Macron a fait une annonce sur la blockchain. Il ne s'agit pas de rassurer faussement les acteurs économiques : si l'on se contente de protéger les intérêts corporatistes, dans dix ans, il sera trop tard. L'action du Gouvernement est d'accompagner pour mieux anticiper. Nous disons aux banques : regardez les FinTech, recentrez-vous sur l'humain, anticipez sur les innovations de demain !

Le prix de la fibre optique fait débat. Le réalisme exige que l'on accepte un mix technologique. Au départ, il fallait prôner la religion de la fibre pour l'ancrer ; il faut désormais accepter la diversité technologique pendant la transition. Le prix de la fibre constitue un vrai problème pour les PME, notamment dans les zones rurales, où elles ne peuvent payer un abonnement mensuel à plusieurs milliers d'euros. L'Arcep s'intéresse de plus près au marché interentreprises, bien moins concurrentiel que le marché des particuliers.

Les interrogations quant à la validation par Bruxelles des aides d'État du plan France Très haut débit portent sur la montée en débit des zones grises. Nous nourrissons un dialogue constructif avec la Commission européenne, même s'il faut expliquer les choix français, qui n'ont pas été repris dans les autres pays. Les services juridiques de l'Union européenne sont très regardants mais nous sommes très confiants, sinon nous n'aurions pas relancé, avec M. Macron, les réunions mensuelles d'octroi de financement à toutes les collectivités territoriales présentant des projets.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous devons achever notre réunion ce soir pour transmettre nos conclusions à la commission des lois, qui se réunit demain matin. Pourriez-vous, madame la ministre, nous apporter des réponses plus concises et nous communiquer le reste par écrit ?

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. - Je vous répondrai par écrit sur : les résultats de la consultation publique - un amendement de l'Assemblée nationale prévoit un rapport pour en tirer le bilan et étudier sa généralisation ; le régime de redevances pour la vente de données publiques ; les logiciels libres ; le commissariat à la souveraineté numérique ; la démocratie numérique ; la couverture des zones blanches, la cartographie et les critères de mesure ; l'éducation numérique ; les avis de consommateurs ; la comparaison avec les partenaires européens en matière de déploiement ; la stratégie numérique européenne - sujet sur lequel j'ai commis un rapport lorsque j'étais députée ; l'expression numérique ; l'évaluation de la mise en oeuvre de la loi ; l'économie touristique et les dispositifs d'accompagnement ; la fiscalité des « GAFA » ; la réalité des investissements de l'État ; le commissariat à l'énergie numérique. Revient-il à Bercy de définir une politique d'innovation, centralisée, bureaucratique et prédictive ? Je crois peu à la nécessité de créer un OS souverain national, irréaliste et très cher, et bien davantage à un cloud européen. Il est absolument nécessaire de s'interroger sur les enjeux de souveraineté.

Quant à la taxation des « GAFA », nos amis britanniques sont très forts en marketing politique. En France, on a parfois le savoir-faire sans le faire-savoir. Les Britanniques ont recueilli 130 millions de livres sterling en impôt sur les sociétés et se vantent d'avoir gagné. La France a emprunté une voie plus longue, plus encadrée juridiquement, couverte par le secret de l'instruction fiscale. Nous attendons des résultats qui pourraient se révéler, en argent sonnant et trébuchant, bien supérieurs. Néanmoins, l'efficacité passe par l'Europe.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci du temps que vous avez consacré à cet échange, Madame la ministre.

République numérique - Examen du rapport pour avis

EXAMEN DES ARTICLES

Article additionnel après l'article 12

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - L'amendement n° COM-212, délégué au fond à notre commission, organise l'ouverture des données de consommation et de production d'électricité et de gaz dans le prolongement du déploiement des compteurs communicants Linky et Gazpar. Ces données seraient communiquées dans un format informatique ouvert pour pouvoir être réutilisées par des tiers. Si l'on ne peut qu'adhérer à ce mouvement d'ouverture des données, cet amendement mériterait d'être complété pour garantir la parfaite protection des données personnelles, en imposant la consultation de la CNIL et en mentionnant le caractère agrégé et anonymisé des données. C'est l'objet de mon sous-amendement n° AFFECO.21. Nous proposerons d'adopter l'amendement ainsi sous-amendé.

Le sous-amendement n° n° AFFECO.21 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'amendement n° COM-212 ainsi sous-amendé.

Article 19

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° AFFECO.1 rectifie une erreur dans l'insertion d'un membre de phrase dans le code des postes et communications électroniques.

L'amendement n° AFFECO.1 est adopté.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - L'amendement n° COM-58 supprime l'article 19 sur la neutralité de l'Internet, auquel nous sommes favorables. Avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n ° COM-58.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 19 ainsi modifié.

Article 20

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 20 sans modification.

Article 20 bis A

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° AFFECO.2 supprime cet article. La norme IPv6 est la norme d'avenir pour Internet, qu'elle décongestionne, mais le protocole utilisé n'est pas du ressort de la loi. De plus, il convient d'attendre les conclusions de la mission confiée à l'Arcep sur ce sujet.

L'amendement n° AFFECO.2 est adopté.

La commission proposera à la commission des lois de supprimer l'article 20 bis A.

Article 20 bis

L'amendement rédactionnel n° AFFECO.3 est adopté.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Le projet de loi autorise les agents de l'Arcep à s'introduire dans les locaux professionnels des opérateurs de 6 heures à 21 heures. Mon amendement n° AFFECO.4 en reste aux horaires de bureau : 8 heures à 20 heures.

L'amendement n° AFFECO.4 est adopté.

Article 20 ter

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 20 ter sans modification.

Article 20 quinquies

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 20 quinquies sans modification.

Article 20 sexies

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Cet article, que mon amendement AFFECO.6 supprime, substitue au mot « illicite » le mot « illégal » à chacune de ses occurrences dans la LCEN. Cela risque d'être interprété par les juges comme une évolution du droit, ce qui n'est pas le cas. En outre, le terme utilisé par le droit européen est bien « illicite ».

L'amendement n° AFFECO.6 est adopté.

Article 21

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° AFFECO.7 prévoit que le transfert des données du consommateur soit total et non partiel.

L'amendement n° AFFECO.7 est adopté.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° AFFECO.8 définit la troisième catégorie de données dont les consommateurs peuvent exiger la récupération auprès d'un fournisseur sur la base de l'importance économique et de la fréquence d'usage.

L'amendement n° AFFECO.8 est adopté.

Article 22

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° AFFECO.9 évite une confusion dans le code de la consommation entre le régime des comparateurs en ligne et celui des plateformes en ligne.

L'amendement n° AFFECO.9 est adopté.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° AFFECO.10 améliore la formulation des obligations d'information pesant sur les opérateurs de plateforme en ligne envers les consommateurs ; conditionne l'information sur la rémunération directe par la personne référencée à l'existence d'une influence sur le classement ; supprime la référence à la nécessité d'une signalisation explicite, insuffisamment claire ; et renvoie les modalités d'application de ces dispositions à un décret. Le classement sur les moteurs de recherche est très important, il peut mettre en faillite une entreprise en trois jours.

L'amendement n° AFFECO.10 est adopté.

Article 22 bis

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° AFFECO.11 supprime cet article, qui précise la loi applicable aux plateformes en ligne, point déjà tranché par le droit européen : les obligations découlant des contrats de consommation sont régies par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, même si les professionnels sont établis hors du territoire national. La France n'a pas à régenter tout ce qui se passe en Europe !

L'amendement n° AFFECO.11 est adopté.

Article 23

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. -L'article 23, sur lequel porte mon amendement n° AFFECO.12, prévoit que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) évalue et compare les plateformes en ligne au regard de la loyauté de leurs pratiques. Or elle doit se contenter de contrôler le respect par ces plateformes de leurs obligations légales, et éventuellement rendre publique la liste de celles qui ne les respectent pas. Il existe d'autres acteurs, comme les associations de consommateurs, pour effectuer ce travail d'évaluation et de comparaison.

L'amendement n° AFFECO.12 est adopté.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° AFFECO.13 supprime les alinéas 5 à 10 de cet article : ils sont incompatibles avec le droit européen, remettent en cause la distinction entre éditeurs et hébergeurs et sont en partie satisfaits par la LCEN, qui prévoit déjà des dispositifs de surveillance des contenus.

L'amendement n° AFFECO.13 est adopté.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° AFFECO.14 supprime l'alinéa 11, en accord avec le Gouvernement. L'alinéa 3 répond en partie à ses objectifs. En outre, de nombreux forums en ligne remplissent déjà une fonction de plateforme d'échange citoyen. Et le CNNum peut d'ores et déjà recueillir l'avis du grand public.

L'amendement n° AFFECO.14 est adopté.

Article 23 ter

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - L'article 23 ter, introduit par les députés, oblige les plateformes de location d'hébergement de courte durée du type Airbnb à exiger des loueurs un justificatif de leur titre de propriétaires ou de l'accord de leur propriétaire si eux-mêmes sont locataires. Cela instituerait une lourdeur administrative contre-productive pour l'essor de l'économie collaborative. De plus, il n'est pas du rôle des plateformes de se substituer au propriétaire. Enfin, la législation impose déjà aux plateformes un certain nombre d'obligations d'information. D'où mon amendement de suppression n° AFFECO.15.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - C'est la loi Hoguet, du nom d'un député d'Eure-et-Loir, qui le prévoit.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - L'amendement qui a introduit l'article est une initiative d'un député parisien et vise clairement la capitale.

L'amendement n° AFFECO.15 est adopté.

Article 24

L'amendement de coordination n° AFFECO.16 est adopté.

Article 38

L'amendement rédactionnel n° AFFECO.17 est adopté.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Par principe, l'utilisation de fréquences radioélectriques à des fins expérimentales ne doit pas donner lieu au paiement d'une redevance. Mon amendement n° AFFECO.17 fixe ce principe dans la loi.

L'amendement n° AFFECO.18 est adopté.

Article 39

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Les amendements nos COM-99, COM-144 et COM-342 portent de trois mois à un an l'intervalle minimal séparant la remise par l'opérateur chargé du service universel du rapport sur l'état de son réseau, et l'échéance de son contrat. L'amendement n° COM-182 prévoit un délai de six mois. Dans les deux cas, cela nous semble un peu long. Trois mois suffisent pour lire et examiner le rapport. Avis défavorable aux quatre amendements.

M. Yves Rome. - C'est un sujet complexe, un délai de six mois serait plus raisonnable.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Le rapport sera examiné par des spécialistes.

Mme Sophie Primas. - Six mois, cela fait déjà perdre trop de temps.

Les amendements identiques n° COM-99, COM-144 et COM-342 ne sont pas adoptés. Il en est de même pour l'amendement n° COM -182.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° AFFECO.19, commun avec celui de notre collègue Patrick Chaize, rapporteur pour avis au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, concerne l'entretien des abords des réseaux téléphoniques situés sur des parcelles privées. Le texte actuel attribue au propriétaire la charge de l'élagage. Conformément aux dispositions de la proposition de loi Chassaigne, l'amendement précise que l'entretien des abords est effectué par le propriétaire du terrain, mais aux frais de l'exploitant du réseau ouvert au public, sauf si les parties prenantes en conviennent autrement.

M. Yves Rome. - Est-ce réellement du domaine de la loi ?

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - En tout cas, c'est un vrai problème.

L'amendement n° AFFECO.19 est adopté.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - L'amendement n° COM-181 donne la possibilité au ministre chargé des communications électroniques et à l'Arcep de faire auditer les infrastructures et réseaux utilisés par toute personne en charge d'une composante du service universel. Nous sommes favorables à ces dispositions, mais elles existent déjà au titre des compétences de contrôle de l'Arcep, qu'au demeurant le projet de loi renforce. L'amendement est par conséquent satisfait. Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Yves Rome. - Si l'amendement est satisfait, en quoi la proposition de loi Chassaigne est-elle nécessaire ?

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - L'Arcep et les ministres chargés des télécommunications ont de larges pouvoirs d'enquête pour veiller à ce que les opérateurs respectent leurs obligations, pouvoirs renforcés par l'article 20 bis. C'est sur cette base que l'Arcep a engagé en 2014 une procédure de sanction contre l'opérateur de service universel, Orange, qui a conduit à la prise d'engagements opérationnels et financiers.

M. Yves Rome. - Il a fallu la proposition de loi Chassaigne pour qu'Orange obtempère !

L'amendement n° COM-181 n'est pas adopté.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 39 ainsi modifié.

Articles additionnels après l'article 39

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Les amendements identiques nos COM-100, COM-145 et COM-343 prévoient la mise à disposition d'éléments permettant d'apprécier la maintenance préventive et curative des infrastructures et réseaux supportant le service universel. Cette mise à disposition est déjà prévue dans le rapport sur l'état du réseau.

La commission proposera à la commission des lois de ne pas adopter les amendements identiques nos COM-100, COM-145 et COM-343.

Demande de retrait ou avis défavorable.

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - L'amendement n° COM-192 prévoit la compensation financière des réponses par les opérateurs de communications électroniques à des demandes de l'État. Sur le fond, nous le soutenons : il n'est pas normal que les opérateurs soient pénalisés financièrement lorsqu'ils répondent à ces demandes. Cependant, sur la forme, il est manifestement irrecevable au titre de l'article 40. Avis défavorable. Nous allons solliciter la ministre sur ce point.

M. Yves Rome. - C'est un problème d'intérêt national, il faut laisser le Gouvernement agir en la matière.

La commission proposera à la commission des lois de ne pas adopter l'amendement n° COM-192.

Article 40 A

M. Bruno Sido, rapporteur pour avis. - Mon amendement n° AFFECO.20, identique à l'amendement n° COM-183, précise la date d'entrée en vigueur d'une disposition du code de la consommation pour laisser aux opérateurs le temps de l'anticiper.

Les amendements identiques n° AFFECO.20 et n° COM-183 sont adoptés.

La commission proposera à la commission des lois d'adopter l'article 40 A ainsi modifié.

La réunion est levée à 19 h 55.

Mercredi 6 avril 2016

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

Énergie - Mécanisme d'échange d'informations - Examen du rapport et du texte de la commission

La réunion est ouverte à 09 h 30.

M. Roland Courteau, rapporteur. - Le 24 mars dernier, la commission des affaires européennes a adopté, à l'initiative de nos collègues Jean Bizet et Michel Delebarre, une proposition de résolution européenne pour contester la conformité au principe de subsidiarité d'une proposition de décision, présentée par la Commission européenne, qui introduit un nouveau mécanisme de contrôle des accords intergouvernementaux dans le domaine de l'énergie.

Avant d'en venir au fond, je dirai quelques mots de la procédure dans laquelle s'inscrit le présent rapport.

L'énergie relevant des compétences partagées entre l'Union et les États membres, la Commission européenne n'est fondée à agir en la matière que dans le respect du principe de subsidiarité, en vertu duquel l'Union n'intervient que lorsque l'échelon communautaire est le mieux approprié pour atteindre l'objectif poursuivi. Depuis le traité de Lisbonne, il appartient aux parlements nationaux de contrôler le respect de ce principe en adoptant des « avis motivés », dont la Commission doit ensuite tenir compte dans la suite de la procédure.

Au Sénat, les propositions de résolution portant avis motivé sont d'abord examinées par la commission des affaires européennes, ou proposées par elle lorsqu'elles n'émanent pas d'un sénateur, puis transmises à la commission compétente au fond. Cette dernière conclut alors soit au rejet, soit à l'adoption de la proposition mais la résolution peut aussi être considérée comme adoptée si la commission au fond ne se prononce pas.

Dans le cas présent, notre commission a jugé nécessaire de statuer expressément pour marquer l'importance qu'elle attache au sujet et approuver avec force la position défendue par la commission des affaires européennes.

De quoi s'agit-il en l'espèce ? La proposition de décision de la Commission, présentée le 16 février dernier, fait partie d'une série de mesures destinées à mettre en oeuvre le volet « sécurité d'approvisionnement » de l'Union de l'énergie, dont la création figure parmi les dix priorités politiques de la présidence Juncker. Le sujet est, il est vrai, essentiel tant la crise ukrainienne a rappelé la vulnérabilité et la dépendance européennes à l'égard du gaz russe qui représentait, en 2012, 32 % des importations de gaz de l'Union ; au total, la dépendance énergétique de l'Union à l'égard de pays tiers atteignait, toutes énergies confondues, 53 %, pour un coût annuel de l'ordre de 400 milliards d'euros.

Un an après les annonces de la Commission, les progrès accomplis sont réels, même si beaucoup reste à faire. Je signalerai simplement, pour s'en tenir au volet « sécurité énergétique », la médiation réussie de la Commission pour garantir l'approvisionnement hivernal de l'Ukraine en gaz russe et, s'agissant des autres volets de l'Union de l'énergie, entre autres, l'adoption d'objectifs climatiques communs, la réforme du système européen d'échanges de quotas d'émissions, le soutien aux énergies renouvelables ou encore le renforcement, essentiel, des interconnexions électriques et gazières du continent.

Parmi les mesures annoncées par la Commission en matière de sécurité énergétique, nos collègues de la commission des affaires européennes ont souhaité examiner, de façon approfondie, la conformité au principe de subsidiarité de deux textes : une proposition de règlement créant des plans régionaux et instaurant un principe de solidarité entre les États membres pour garantir la sécurité d'approvisionnement gazier en cas de crise, et cette proposition de décision renforçant le contrôle des accords intergouvernementaux dans le domaine de l'énergie.

Bien que le premier de ces deux textes soulève certaines difficultés, la commission des affaires européennes n'a visé, dans son avis motivé, que le second, afin de marquer son adhésion à l'objectif général. Cette position me semble équilibrée, car il ne s'agit pas de remettre en cause l'Union de l'énergie que nous sommes nombreux à appeler de nos voeux ; et du reste, on sait déjà que la Commission devra revoir sa proposition de règlement puisque plusieurs États membres, réservés sur la rédaction actuelle, disposent d'une minorité de blocage au Conseil.

Les difficultés posées par la proposition de décision sont, en revanche, plus manifestes et justifient pleinement l'adoption d'un avis motivé.

Les objectifs poursuivis par la Commission ne sont pas contestables dans leur principe : il s'agit à la fois d'assurer la parfaite compatibilité des accords intergouvernementaux avec la législation européenne - par exemple pour éviter toute clause de destination qui empêcherait la revente de l'énergie fournie à un autre État membre - et d'améliorer la transparence de ces accords, notamment pour éviter les doublons éventuels en termes d'infrastructures.

En la matière, une réglementation existe déjà : dans le cadre d'une précédente décision, adoptée en 2012, les États membres doivent notifier à la Commission tous les accords conclus avec des pays tiers après leur conclusion. Sont cependant exclus du dispositif les accords relatifs aux questions nucléaires, qui sont couverts par le traité Euratom, et les accords commerciaux conclus entre entreprises, qui n'entrent pas dans le champ de la décision.

Depuis 2012, ce sont ainsi 124 accords qui ont été notifiés après leur signature. Après analyse, la Commission a émis des doutes sur la conformité au droit de l'Union de dix-sept d'entre eux, et invité neuf États membres à dénoncer ou modifier lesdits accords. Parmi les accords incriminés figuraient en particulier les six accords bilatéraux signés avec la Russie pour le projet de gazoduc South Stream visant à contourner l'Ukraine, et abandonné depuis.

Or, aucun des accords visés n'a, à ce jour, été renégocié ou dénoncé. Considérant qu'il s'avère très difficile, politiquement, de renégocier les termes d'un accord après qu'il a été signé par les parties, la Commission propose donc d'instaurer un contrôle obligatoire, par ses soins, dès avant la signature des accords, les États membres devant ensuite « tenir le plus grand compte » de l'avis de la Commission en cas d'incompatibilité. En outre, le périmètre de la décision serait étendu à tous les instruments juridiquement non contraignants, tels que des déclarations politiques communes ou des protocoles d'accord, qui pourraient quant à eux faire l'objet d'une évaluation ex post.

Pour légitimes que soient les objectifs poursuivis, il reste que les modalités ainsi proposées par la Commission posent un double problème, de pertinence d'abord, de respect des compétences des États membres ensuite. À cet égard, je ne puis que partager les griefs exprimés tant par la commission des affaires européennes que par les autorités françaises et allemandes en réponse à la consultation publique lancée par la Commission.

En premier lieu, la Commission n'a, à mon sens, pas suffisamment démontré la plus-value de sa proposition au regard de la législation actuelle. D'abord, la décision de 2012 a déjà constitué une avancée importante en garantissant la transparence des accords ; elle prévoit du reste déjà la possibilité de solliciter, sur une base volontaire, l'assistance de la Commission au cours des négociations, puis de lui soumettre le projet d'accord pour un contrôle ex ante. En outre, la Commission pourrait dès à présent, si elle le juge nécessaire, engager une procédure d'infraction à l'égard de l'État membre concerné. Enfin, d'un simple point de vue pratique, depuis l'entrée en vigueur de la décision actuelle, un seul accord signé après 2012 a été notifié à la Commission, et aucune négociation en cours n'a été signalée. De fait, les accords intergouvernementaux sont aujourd'hui très largement supplantés par des accords conclus entre entités commerciales auxquels la proposition de décision, comme la décision actuelle, ne s'applique pas ; l'efficacité recherchée serait donc quasi-nulle.

En second lieu, et c'est là ce qui justifie plus encore l'adoption d'un avis motivé, la mise en place d'un mécanisme de contrôle ex ante obligatoire viendrait remettre en cause la souveraineté des États membres en méconnaissant le caractère bilatéral des négociations d'État à État. Du reste, la Commission elle-même admet que l'introduction d'un tel contrôle « modifierait la teneur » de la précédente décision « et supposerait un transfert vers l'UE de tâches assumées jusqu'ici par les États membres ». De la même façon serait contesté le droit des États membres, pourtant garanti par les traités, à « déterminer la structure générale de [leur] approvisionnement énergétique ».

En alertant la Commission sur ces difficultés, il ne s'agit pas de marquer notre opposition à la démarche initiée pour créer une véritable Union de l'énergie, bien au contraire tant nous croyons en la nécessité d'un approfondissement de la coopération en ce domaine - j'ai eu l'occasion d'en souligner les premiers acquis. Je rappellerai d'ailleurs que notre commission avait oeuvré, lors de l'examen de la loi relative à la transition énergétique, à renforcer la dimension européenne de notre politique énergétique. À cet égard, le texte présenté par la commission des affaires européennes souligne fort bien, en préambule, le soutien du Sénat à la mise en place de cette Union de l'énergie.

Pour toutes ces raisons, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter la proposition de résolution dans le texte proposé par la commission des affaires européennes. Une fois devenue résolution du Sénat, celle-ci viendra utilement conforter la position du Gouvernement, qui pourra se prévaloir de l'appui de son Parlement dans les négociations à venir au plan européen.

La proposition de résolution européenne est adoptée à l'unanimité.

La réunion est levée à 10h07.