Mercredi 27 avril 2016

- Présidence de Mme Corinne Féret, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 35

Audition de M. Larabi Becheri, directeur-adjoint de l'Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon

Mme Corinne Féret, présidente. - Nous reprenons notre cycle d'auditions après la suspension de nos travaux. Nous nous sommes rendus, les deux rapporteurs et moi-même, à Rabat lundi dernier où nous avons visité l'Institut de formation Mohammed VI qui accueille actuellement une trentaine d'étudiants imams français.

Nous avons le plaisir de recevoir M. Becheri, directeur-adjoint de l'Institut européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon. Cet institut privé est l'un des seuls établissements de formation des imams en France.

Après votre exposé liminaire, je ne doute pas que les questions des rapporteurs et de mes collègues seront nombreuses.

M. Larabi Becheri, directeur-adjoint de l'Institut européen des sciences humaines de Château-Chinon. - Merci pour votre invitation.

La formation des imams est un grand enjeu pour l'islam de France. Dans la tradition musulmane, cette responsabilité incombe à l'État. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans les pays musulmans. La France étant un État laïc, les musulmans doivent supporter cette lourde et complexe tâche. La communauté musulmane a du mal à s'organiser alors que cette formation demande une grande rigueur. Depuis une trentaine d'années, nous sommes conscients de l'importance de ce sujet. En raison des évènements tragiques qui ont touché notre pays, cette prise de conscience s'est généralisée.

En 1984, la réflexion a été engagée sur la création d'un institut. En 1989, la propriété a été achetée à Saint-Léger-de-Fougeret, dans la Nièvre, près de Château-Chinon. Le 7 juin 1990 est né l'IESH, premier centre de formation des imams en Europe. Le statut juridique est celui d'une association loi 1901. En juillet 1990, le conseil scientifique a été créé. En janvier 1992, la première promotion entamait ses études.

Pourquoi un institut européen ? Parce qu'il souhaite accueillir des étudiants de toute l'Europe. Pourquoi un institut des sciences humaines ? Il s'agissait d'élargir la formation à la philosophie, la psychologie, l'histoire, les langues. Pour l'instant, nous avons un département du Coran où les étudiants apprennent le Coran par coeur, ce qui est indispensable pour diriger les prières dans les mosquées. Il existe également un IUFR avec un département de langue arabe et un département de théologie. Une formation complète dans notre Institut dure sept années. L'imam qui a appris le Coran dirige le culte, mais il ne peut intervenir en matière théologique.

Notre programme de théologie est dispensé sur trois ans et il repose à la fois sur la théologie classique et sur les sciences qui permettent aux étudiants de prendre connaissance du contexte dans lequel ils vont évoluer : le programme théologique est proche de celui des grandes universités du monde musulman, qu'il s'agisse de l'Algérie, de la Tunisie, du Maroc ou même de la Turquie. Ainsi sont acquises les bases de la théologie, c'est ce qu'on appelle le Oussoul, fondement de la compréhension du texte. Les Fatwa permettent de répondre aux cas pratiques, en prenant en compte le contexte de la personne qui pose la question.

Dans ce même programme, diverses disciplines sont dispensées comme le droit, la sociologie, la psychologie, la philosophie et l'histoire afin que les étudiants contextualisent leurs connaissances théologiques.

Nous avons choisi une voie médiane entre une lecture littéraliste, rigoriste, qui voudrait que l'islam soit pratiqué de la même façon dans le monde entier, et une lecture du Coran moins orientée vers le juridique, afin de ne pas tenir compte du droit dans la tradition prophétique. Nous prenons donc en considération le texte, tout en le contextualisant. Quand Dieu impose une norme, il donne également le déterminant de cette norme, qui en permet l'application. La pratique doit donc tenir compte des modalités d'application de la norme. L'Ijtihad - effort intellectuel - permet ainsi l'interprétation du texte. La théologie musulmane prévoit elle-même une contextualisation : il s'agit donc là d'une capacité intrinsèque à s'adapter. Dans le monde musulman, c'est cette lecture qui est privilégiée car, dans la mondialisation actuelle, il est impossible de suivre l'islam comme au temps du prophète. En plus de la modernité qui touche le monde entier, nous devons tenir compte du contexte laïc français.

Je vais maintenant vous présenter le bilan de l'IESH : en vingt ans, 500 étudiants et étudiantes ont terminé leurs études en théologie, qu'il s'agisse des internes ou des étudiants à distance qui suivent les cours virtuels par Internet. Il faut y ajouter 180 étudiants qui n'ont étudié que le Coran. En tout, nous avons donc formé environ 700 étudiants qui peuvent être imams, aumôniers, enseignants, présidents d'associations ou même directeurs d'instituts : quatre ou cinq étudiants ont ainsi créé un institut pour apprendre la religion aux enfants musulmans. 90 % des instituts qui dispensent une formation religieuse ont recours à nos étudiants. La réussite de notre enseignement est donc évidente, et permet de prévenir le radicalisme et l'extrémisme. Des instituts se sont créés en Grande-Bretagne, à Paris, en Grande-Bretagne à nouveau, puis à Frankfort et un institut devrait bientôt voir le jour en Finlande. Même si ces instituts sont administrativement et financièrement indépendants, une fédération des instituts a été créée avec un conseil scientifique commun.

Nous sommes ouverts à tout dialogue et tout échange pour mener à bien la formation des imams. En quête de savoirs, d'améliorations et de conseils, nous avons reçu beaucoup de grands professeurs reconnus, comme Mohammed Arkoun, Gilles Kepel, François Burgat, ou encore le père Michel Lelong. Le 28 mai prochain, notre Institut organisera une journée porte ouverte.

Nous allons améliorer notre capacité d'accueil qui est aujourd'hui limitée à 240 étudiants. À court terme, nous devrions passer à 350 étudiants et à long terme à 550 étudiants.

Nous souhaitons que l'État nous aide : jusqu'à présent, nos étudiants n'ont pas de statut reconnu, ce qui les pénalise. Ils ne peuvent toucher les minima sociaux, étant considérés comme étudiants, mais ils n'ont aucun des droits des étudiants. Nos imams n'ont pas non plus de statut : certains étudiants renoncent à devenir imams à cause de ce flou juridique. Vous devez savoir que ce problème se pose dans de nombreuses mosquées.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Merci.

Quel est le profil de vos étudiants ? Restent-ils sept ans à l'IESH ? Parmi vos étudiants, certains viennent seulement apprendre le Coran. Comment peuvent-ils alors contextualiser ? Ces cours de contextualisation nous semblent fondamentaux. Nous nous sommes rendus à Rabat pour rencontrer les étudiants de l'Institut Mohammed VI, tous nous ont dit que la contextualisation était fondamentale et qu'elle leur avait donné une ouverture d'esprit qu'ils n'avaient pas en arrivant.

D'où viennent vos enseignants ? Sont-ils Français ? Votre établissement est considéré comme proche de l'UOIF, et donc des Frères musulmans. Quels sont vos liens avec ces organisations ?

Vos étudiants assument 60 % des coûts de leur formation : comment la financent-ils, surtout s'ils restent sept ans ? Et vous-même, comment financez-vous les 40 % restants ?

M. Larabi Becheri. - Nos étudiants arrivent avec le bac. Un étudiant en Coran n'est pas un imam à la fin de ses études. Il obtient un certificat attestant qu'il a appris le Coran par coeur. Il peut ainsi diriger la prière, notamment pendant le ramadan. La communauté musulmane sait bien qu'un récitateur de Coran n'est pas un imam. Dans un certain nombre de pays musulmans, il y a une sorte de hiérarchie : l'imam pour les prières, l'imam pour les prêches et l'imam de référence qui délivre les avis théologiques. Malheureusement, tel n'est pas le cas en France. Notre centre forme des étudiants mais ne peut s'assurer de la position qu'ils occuperont par la suite. Ceux qui s'en tiennent au Coran deviennent souvent des enseignants du Coran. Pour nous, l'imam doit maîtriser le Coran - même si l'apprentissage du Coran n'est pas obligatoire - apprendre la langue arabe pour comprendre les textes, et suivre les trois années de théologie.

Nos enseignants sont tous français.

Je suis à l'IESH depuis 22 ans, je siège au conseil d'administration, à l'assemblée générale et au conseil de l'Institut : je n'ai jamais reçu un ordre de l'extérieur, qu'il s'agisse des Frères musulmans ou d'autres. Le conseil scientifique se compose d'une partie de nos professeurs, de grands professeurs enseignant dans d'autres universités comme Denis Gril à Aix-en-Provence et de professeurs reconnus dans les grandes universités du monde musulman.

Sur le plan théologique, nous nous inspirons de tout ce qui a été fait par les différents mouvements réformateurs qui ont voulu moderniser l'islam. Nous n'avons jamais reçu de financement des Frères musulmans.

Un étudiant nourri et logé à l'Institut coûte par an entre 5 500 et 6 000 euros. L'étudiant paye 3 500 euros, le reste est pris en charge par l'Institut. Depuis quatre ans, notre budget de fonctionnement est équilibré grâce aux activités que nous avons développées pendant les 16 semaines de vacances annuelles : nous avons une colonie de vacances et nous dispensons des cours intensifs à l'occasion de séminaires. En outre, les étudiants à distance s'acquittent d'une contribution à l'Institut.

M. François Grosdidier. - L'islam de France est divers, avec trois grands courants qui viennent du Maroc, de l'Algérie et de la Turquie. L'UOIF, que l'on présente proche des Frères musulmans, ne revendique pas de rattachement à un pays étranger. Ces quatre grands courants se disent favorables à la contextualisation mais ont-ils la même définition de ce concept ? Nous déplorons l'absence de consensus entre ces courants qui parfois se dénigrent entre eux. Serait-il possible de concevoir une formation des imams qui dépasse ces cloisonnements ?

À part l'Alsace-Moselle, je ne connais pas le statut des séminaristes ou des étudiants rabbins mais ils doivent bien bénéficier d'une couverture sociale. Quel pourrait être le statut des apprentis imams ?

Ceux que vous formez se retrouvent-ils majoritairement dans des associations ou des mosquées proches de l'UOIF ?

Une taxe sur le hallal permettrait-elle de financer l'Islam de France ? Nous voudrions que la fondation des oeuvres de l'Islam de France fonctionne mais nous nous heurtons aux divisions de la communauté musulmane. Quelles sont les perspectives ?

Mme Chantal Deseyne. - La dénomination Institut européen des sciences humaines prête à confusion puisqu'il s'agit d'un centre de formation religieux.

Vous parlez d'une lecture littérale stricte du Coran et de contextualisation : n'y a-t-il pas là une contradiction ?

Dans quelle langue dispensez-vous vos enseignements ?

Combien d'imams formez-vous par an ?

M. Michel Amiel. - Mme Yonnet, qui a du s'absenter, m'a demandé de poser deux questions : votre Institut est-il reconnu par l'Éducation nationale ? Pourquoi ne pas encourager des imams ouvriers, à l'instar des prêtres ouvriers des années 1960 ?

Je souhaite quant à moi vous poser une question sur le financement de votre enseignement. Recevez-vous des dons de pays étrangers ?

M. Larabi Becheri. - Certes, il y a des mosquées marocaines, algériennes et turques mais je récuse l'idée qu'il y ait des cloisonnements entre elles : il n'y a aucune différence entre une mosquée marocaine et une mosquée algérienne et parfois un imam marocain dirige une mosquée algérienne et inversement. Pour nous, le seul pays auquel nous sommes attachés est la France. Si tous les imams français étaient formés à l'étranger, l'Islam de France serait tué dans l'oeuf. Quand un étudiant me dit qu'il a obtenu une bourse pour étudier en Arabie Saoudite, je lui demande où il veut exercer par la suite. S'il veut rester en France, je lui dis qu'il doit étudier dans notre pays. Nous formons des élèves qui prêchent indistinctement dans toutes les mosquées. Notre Institut est ouvert à tous les jeunes de France et d'Europe. En tant que professeur, je choisi mes exemples dans mon contexte, ce qui facilite la formation des étudiants. Nos élèves sortent de notre formation de théologie avec l'esprit ouvert. Notre programme ne se limite pas à une seule interprétation. Nous avons choisi comme modèle Averroès, grand philosophe du droit comparé. Les divergences sont dues au contexte. Le grand imam Al-Chafii, qui vécut en Irak et en Égypte, fonda deux écoles, chacune avec sa propre interprétation du Coran. Grâce à ces exemples, nos étudiants prennent conscience de la nécessité de la contextualisation.

Je ne peux me prononcer sur le statut de nos étudiants mais nous espérons que notre Institut d'enseignement supérieur sera reconnu par l'éducation nationale. Notre dossier est à l'académie de Dijon et j'espère qu'il sera accepté. Je souhaite la reconnaissance de tous les instituts qui, en France, forment les imams : je pense à l'Institut de la grande mosquée de Paris, à l'IESH de Paris et aussi à ceux qui vont se créer. Tous ces instituts devront se rapprocher pour parvenir à un programme commun. Nous avons accueilli avec joie le diplôme universitaire (DU) sur la laïcité qui nous décharge des matières que nous devions enseigner alors qu'il ne s'agissait pas de notre spécialité.

Le nom de notre Institut prêterait à la confusion ? L'idée, au départ, était de créer un institut de sciences humaines pour inscrire les études religieuses dans des études universitaires reconnues. Pour l'instant, nous sommes une association loi 1901 mais peut-être un jour serons-nous reconnus comme un institut à part entière. L'idée européenne nous semblait essentielle et nous voulions accueillir les étudiants de toute l'Europe.

Notre lecture est finaliste, par opposition à la lecture littéraliste qui estime que le décret divin ne s'explique pas. Le « pourquoi » n'a pas sa place dans cette lecture, mais elle est très minoritaire et il n'y a pas aujourd'hui d'école littéraliste reconnue. En revanche, de grand savants littéralistes sont reconnus, comme l'Andalou Ibn Habîb. À l'opposé, nous prônons la lecture finaliste, mais les motivations peuvent varier, d'où des divergences d'interprétation.

En 20 ans, nous avons formé environ 500 étudiants qui pouvaient devenir imams, mais ils ne le sont pas tous devenus. Certains sont aujourd'hui chercheurs, enseignants, prédicateurs, aumôniers ou imams.

L'arabe est la langue des textes, mais aussi la langue commune de nos étudiants qui viennent de toute l'Europe. À l'heure actuelle, onze nationalités différentes sont représentées. Une première promotion est sortie l'an passé d'un cursus dispensé en français sur une plateforme Internet.

Je n'ai pas bien saisi la question sur les imams ouvriers. Nous avons des imams médecins, ingénieurs, pourquoi pas ouvriers ?

Notre budget de fonctionnement est équilibré. En revanche, pour ce qui est de l'investissement, nous sommes obligés d'avoir recours aux dons. Seuls 10 % des dons que nous avons reçus ont été versés par des oeuvres caritatives d'État, le reste est donné par des personnes physiques qui peuvent être étrangères, notamment des pays du Golfe. La seule condition que nous posons est que ces dons restent désintéressés : nous voulons garder notre totale liberté. Nous avons refusé toute incitation à privilégier tel ou tel auteur ou matière. Seul notre conseil scientifique décide de nos programmes. Nous refusons tous les dons conditionnés. Ce fut notamment le cas lorsque nous avons créé l'Institut : l'Iran voulait imposer ses conditions : nous avons dit non.

Mme Corinne Féret, présidente. - Merci pour votre disponibilité et pour toutes ces précisions qui vont alimenter nos travaux attendus pour la fin juin.

Audition de M. Abderrahmane Belmadi, responsable de la commission pédagogique de l'Institut Al-Gazali

Mme Corinne Féret, présidente. - M. Aberrahmane Belmadi est responsable de la commission pédagogique de l'Institut Al-Gazali, rattaché à la Grande Mosquée de Paris. Nous avions déjà auditionné un autre représentant de la Grande Mosquée, M. Chems-Eddine Hafiz, il y a quelques semaines. Fondé en 1993, l'institut dispense une formation théologique et des cours d'arabe pour les élèves imams. Après votre intervention liminaire, nous vous interrogerons sur le contenu de la formation, votre public, et vos éventuelles difficultés. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

M. Abderrahmane Belmadi, responsable de la commission pédagogique de l'Institut Al-Gazali. - Merci de votre invitation. Je suis responsable pédagogique de l'Institut Al-Gazali qui forme des imams et des aumôniers. L'Institut a été fondé en 1993, lorsque M. Pasqua était ministre de l'Intérieur ; il souhaitait créer un institut de formation des imams pour répondre à la soif de savoir des musulmans français. Malgré des hauts et des bas, notre cadre pédagogique s'est largement enrichi. Mme Annick Duchêne, sénatrice des Yvelines, avait visité il y a quelques années notre institut et avait remis un rapport au ministre de l'intérieur.

Nos différentes formations rassemblent 1 375 élèves et étudiants. Les études islamiques arabophones sont un cursus de licence et master de quatre ans, bilingue. Les cours sont prodigués en arabe pour la jurisprudence et la pensée musulmanes. Nous insistons sur le bilinguisme. Durant plusieurs années, nous avons assuré une formation en français sur l'histoire de la France et de ses institutions, la philosophie occidentale, la laïcité et les lois de la République. Désormais, ces cours sont dispensés par l'Université de Paris-Sud avec laquelle nous avons signé, cette année, une convention ; 25 étudiants y participent. Cette formation est obligatoire et a été ouverte à ceux qui ont suivi un an de nos cours. La formation « République et religion - droit et société des religions » est prodiguée dans 14 universités, ce qui permet aux imams d'avoir des connaissances de base sur ces sujets. Ce tronc commun « études islamiques » dure quatre ans - science religieuse en arabe, français et histoire de la philosophie et des institutions - auquel s'ajoute un an de formation pratique et pédagogique, avec un suivi sur le terrain, pour les étudiants souhaitant devenir imams. Cette formation s'adresse aussi aux aumôniers de prison et d'hôpitaux. Aux aumôniers militaires, nous proposons une formation accélérée ; une dizaine d'entre eux en ont bénéficié. Actuellement, 200 étudiants se forment pour être imams, aumôniers ou simplement être diplômés en études islamiques.

Notre département francophone « Civilisations islamiques » compte 180 étudiants pour une formation de deux ans, ouverte aux musulmans et aux non-musulmans. La formation des imams et la formation aux sciences religieuses coûtent 300 euros par an, celle sur les civilisations islamiques 260 euros par an.

Une formation gratuite d'initiation à l'islam, assurée par un professeur bénévole depuis 1986, rassemble 200 étudiants ; plus de 400 femmes de tous âges suivent une formation gratuite et uniquement féminine d'apprentissage et de mémorisation du Coran, ainsi que d'apprentissage des bases de la langue arabe, assurée par une dizaine de professeurs bénévoles. Elle dure de 3 à 5 ans, sans délivrance de diplôme ; une formation intensive de langue arabe est dispensée à 30 étudiants, à plein temps, pour 750 euros par an, tandis qu'une formation bihebdomadaire est dispensée à 400 étudiants pour 450 euros par an. Près de 350 enfants jusqu'à 16 ans apprennent l'arabe durant un à six ans, pour 250 euros par an. Toutes nos formations - hormis celle réservée aux femmes - sont mixtes.

Bien avant la convention avec l'Université de Paris-Sud qui dispensera un diplôme reconnu par le ministère de l'enseignement supérieur - l'Institut Al-Ghazali étant privé - nos étudiants pouvaient parfaire, à l'Institut catholique, leurs connaissances des religions.

Les professeurs des formations gratuites sont bénévoles. Les universitaires assurant des formations régulières sont rémunérés ; ils touchent 1 020 euros par mois grâce au dispositif de l'Elco (Enseignements de langue et de culture d'origine), mis en place en 1982 par convention entre la France, les pays du Maghreb, l'Espagne et le Portugal. Un complément de 900 euros leur est versé par la Grande Mosquée de Paris, celle-ci prenant aussi en charge les locaux, l'administration et toutes les charges de structure. 750 enseignants contractuels enseignent la langue arabe ; ils sont payés 25 euros de l'heure sur le dispositif Elco.

Chaque année, l'Institut forme de 20 à 50 imams, répartis dans les 540 mosquées et salles de prière dépendant de la Grande Mosquée de Paris. C'est insuffisant. L'Algérie envoie donc 170 imams détachés qui restent quatre ans en France, et que la Grande Mosquée répartit entre les différentes mosquées. Ils sont rémunérés 2 800 euros par mois par l'État algérien, qui paie aussi la couverture médicale et le logement. Les autres mosquées sont gérées par des associations cultuelles qui paient un complément aux imams ; elles dépendent d'une fédération qui relève de la Grande Mosquée. Les imams détachés suivent une formation accélérée de mise à niveau durant un mois et demi à deux mois en français, en histoire de France et des institutions, sur la laïcité et les lois républicaines... Nous sommes très attachés au fait que les imams connaissent le contexte dans lequel ils vivent, veillant au respect de l'autre. En tant que vice-président de la Fraternité d'Abraham, je travaille en collaboration avec nos frères chrétiens, juifs et bouddhistes et nous organisons des colloques à la Grande Mosquée. Nous prônons une formation d'apaisement, de sagesse, et de savoir. Nous sommes vigilants sur les dérapages théologiques, et avons créé une formation spécialisée « Correction des concepts » pour démystifier les textes sur lesquels ils se fondent.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - Une formation en quatre ans plus une année de pratique, c'est un programme consistant ; cela nous rassure. Les imams que vous formez et placez dans les mosquées de votre obédience trouvent-ils toujours du travail ? Ces mosquées peuvent-elles toujours les payer ? Certains diplômés sans formation pratique complémentaire ne pourraient-ils pas s'improviser imams dans des territoires en dehors de votre ressort ? Certaines mosquées ont recours à des imams qui ne sont pas ou pas assez formés... Selon vous, la contextualisation est très importante ; quelle formation complémentaire donnez-vous aux imams formés en Algérie ?

Mme Nathalie Goulet, co-rapporteure. - Certaines de mes questions ont déjà obtenu réponse. Lorsqu'un imam étranger ou français dérape, comment rentre-t-il dans cette formation de correction des concepts ? Avez-vous une commission de déontologie supprimant le diplôme de ceux que vous avez formés et qui ont dérapé ? Dans le cadre de notre travail, nous souhaitons bien comprendre l'Islam de France et l'islam en France. Nous avons visité l'Institut de Rabat avec beaucoup d'intérêt, et constatons aujourd'hui que de très bonnes formations sont prodiguées en France. Que faudrait-il faire pour que tous les imams soient formés en France et ne plus vivre sur ces conventions, aussi amicales et sécurisées soient-elles ?

Pourrait-on créer un règlement intérieur dans les mosquées dépendant de la Mosquée de Paris, selon lequel ne prêcheraient que des imams correctement formés ? Nous sommes préoccupés par ces imams, certes minoritaires, qui prêchent la violence ou l'extrémisme. Ainsi, votre communauté ne serait plus objet de défiance.

M. Abderrahmane Belmadi. - Nous assurons des débouchés à tous nos étudiants. Former au maximum 50 étudiants par an ne suffit pas pour répondre aux besoins de 500 mosquées. C'est pour cela que l'Algérie nous détache des imams déjà formés par des instituts algériens, et avec de l'expérience, intègres, et promoteurs d'apaisement.

Les aumôniers sont majoritairement bénévoles ; leur statut pose donc problème, alors que nous sommes dans un État laïc. Essayons de trouver une porte de sortie avec les responsables des prisons et des hôpitaux.

Les étudiants formés avec des idées tordues travaillent dans des mosquées clandestines. Aucun de nos étudiants n'a dérapé, grâce à la formation qui leur est prodiguée : dès le premier jour, nous fixons la trajectoire et faisons le ménage. D'autres imams viennent enrichir leurs connaissances dans notre Institut. Nous avons été contactés par le Canada, l'Allemagne, et la Belgique pour partager notre expertise sur ce programme consistant, qui adapte aux lois de la République les enseignements de sciences religieuses dispensés dans les grandes universités musulmanes d'Al Quaraouiyine à Fès, Ez-Zitouna à Tunis et Al-Azhar au Caire. Nous sommes le seul institut à former spécifiquement les aumôniers.

La « Correction des concepts » est une matière en tant que telle. Nous connaissons bien la pensée salafiste, qui peut aboutir à de nombreux dérapages. Nous prodiguons le savoir pour y faire face. Nous ne croyons pas que les psychologues puissent convaincre un jeune ayant dérapé et qui a été convaincu par la lecture de textes. C'est aux imams des mosquées et aux aumôniers de contre-argumenter par une lecture crédible des textes. Nous sommes fiers de la formation donnée et nous suivons régulièrement nos anciens élèves, comme l'aumônier de la prison d'Alençon où sont concentrés de nombreux extrémistes.

Nous souhaiterions que tous les imams soient formés en France, mais nous manquons de financements. L'État, laïc, ne peut assurer ce financement, et notre institut ne peut payer la formation de tous les imams de France. La formation au Maroc ou en Algérie n'est pas un problème si on vérifie le programme et si on réalise une mise à niveau en français et sur le contexte législatif et historique français.

Mme Evelyne Yonnet. - Qu'est-ce qui empêcherait de rémunérer les aumôniers, qui réalisent un vrai travail en prison ? Que deviennent les imams, une fois formés ? Retournent-ils dans leur pays d'origine ou restent-ils en France ?

M. François Grosdidier. - Il semble qu'il n'y ait pas de grande différences théologiques entre les quatre grands courants de l'islam en France - algérien, marocain, turc et l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) - alors que leurs organisations sont très diverses. Le Conseil français du culte musulman fonctionne par grands ensembles. Ces cloisonnements sont-ils surmontables ou faut-il s'en accommoder ? L'Algérie, le Maroc et la Turquie s'accordent-ils sur le nombre d'imams détachés ? La montée en puissance de votre institut permettrait-elle de limiter qu'on nous impose des imams étrangers ne maitrisant pas nécessairement le français et souvent moins intégrés dans notre société ?

M. Pascal Allizard. - Comment enseignez-vous la laïcité, et comment est-elle comprise ? C'est un concept qui a du mal à s'imposer chez nous, toujours objet de combat.

M. Abderrahmane Belmadi. - Nous ne rémunérons pas les aumôniers car les associations complètent déjà les salaires des imams pour 540 mosquées et salles de prière. Nous jouons parfois un rôle d'intermédiaire avec le ministère de l'intérieur. Il faudrait réunir une commission commune avec le ministère de l'intérieur, celui de la justice et les institutions musulmanes pour savoir comment rémunérer les aumôniers qui font un travail remarquable dans les prisons. La plupart des personnes qui ont dérapé sont passées par les prisons. En tant qu'enseignant, j'ai formé 17 aumôniers qui font face à ces jeunes radicalisés, parfois revenus de Syrie ou d'Irak. Sans moyens, ils travaillent uniquement par conviction.

Tous les imams formés par l'Institut Al-Ghazali restent en France ; ceux nés en France suivent la formation arabe intensive, tandis que les étrangers suivent la formation linguistique et d'histoire des institutions.

Nous enseignons le malikisme ; dans une approche historique, les dérapages sont rares.

M. François Grosdidier. - Je précise ma pensée : les grands courants de l'islam français ont-ils des différences doctrinales fondamentales ?

M. Abderrahmane Belmadi. - J'ai des contacts réguliers avec les responsables de l'IESH (Institut européen des sciences humaines) de Château-Chinon. Sans être du même avis sur tout, nous nous accordons sur les fondements, les objectifs et la manière de travailler. Nous intervenons réciproquement dans nos formations et organisons des colloques communs. Les problèmes proviennent des centres non officiels.

La laïcité n'est pas un sujet facile. Nous étudions un texte religieux et sacré. Mais le savoir et la connaissance de la législation musulmane nous aident à comprendre la finalité de la charia et le fait qu'elle n'est pas contradictoire avec les lois de la République. Nous sommes bien loin de couper des mains ou des pieds ! La finalité de la charia est la protection de l'homme dans son intégrité et l'intérêt général. Nos objectifs convergent avec ceux de la Banque mondiale pour assurer l'éducation, les moyens de subsistance, et faire de l'homme une fin et non un moyen. La charia encadre tous les problèmes d'alcool, de toxicomanie, par sa finalité. Nous débattons aussi avec les penseurs littéralistes, mais l'essentiel du problème provient du manque de contrôle d'internet. Notre rôle, c'est de remettre en perspective, pour faire respecter l'histoire et les lois du pays où on se trouve. Nous ouvrons le débat, pour convaincre par le savoir. Nous invitons toujours les acteurs du pour et du contre, et n'avons jamais eu de problèmes. Bien sûr, certains nous traitent parfois de traîtres. Nous donnons une image honorant l'islam, religion de sagesse, de savoir et de respect de l'autre.

Mme Corinne Féret, présidente. - Merci de votre présence et de ces précisions ; ces auditions sont essentielles avant la rédaction de notre rapport qui devrait être remis avant la fin du mois de juin.

M. Abderrahmane Belmadi. - Je suis très honoré de ces débats qui nous aident aussi à nous remettre en question.

La réunion est levée à 18 h 40

Jeudi 28 avril 2016

- Présidence de Mme Corinne Féret, présidente -

La réunion est ouverte à 10h30

Table ronde avec les aumôniers musulmans nationaux

Mme Corinne Féret, présidente. - Nous débutons notre réunion avec l'audition commune des responsables nationaux des trois aumôneries musulmanes, dont plusieurs précédentes auditions ont souligné à la fois l'importance et aussi les difficultés, notamment dans le cas des prisons. La loi du 9 décembre 1905 pose le principe d'une séparation de l'État et des cultes, et interdit aux collectivités publiques de rémunérer les ministres des cultes. Cependant, l'article 2 permet aux budgets de l'État et des collectivités locales d'assumer « les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ». Pour ce qui concerne les Armées, le statut des aumôniers militaires est fixé par voie réglementaire : il s'agit actuellement d'un arrêté du 15 juin 2012 portant organisation des aumôneries militaires. Avec la montée en puissance de l'Islam en France métropolitaine, des aumôneries militaires ont été progressivement créées conformément à la loi.

Nous recevons aujourd'hui M. Abdelkader Arbi, aumônier militaire en chef du culte musulman, M. Abelhaq Nabaoui, aumônier national des hôpitaux et M. Moulay El Hassan El Alaoui Talibi, aumônier national des prisons.

Si vous en êtes d'accord, je propose de donner la parole à chacun d'entre vous pour environ 15 minutes. Vous pourriez ainsi nous présenter l'historique de votre aumônerie, les moyens dont elle dispose pour fonctionner, les modalités de recrutement des aumôniers, ainsi que les difficultés spécifiques qu'ils rencontrent dans l'exercice de leur ministère. Il nous serait également utile que vous précisiez le statut des aumôniers, notamment si les aumôniers sont parallèlement imams.

Je vous remercie de vous être libérés afin d'enrichir nos travaux pour le rapport qui sera rendu en juin.

M. Abdelkader Arbi, aumônier militaire en chef du culte musulman. - Je vous remercie, à mon tour, de nous entendre. L'aumônerie militaire issue d'un arrêté ministériel de 2005, soit une création un siècle après les aumôneries militaires des autres grandes confessions. Elle comprend actuellement 35 hommes et 3 femmes, soit 38 membres qui sont projetés à tour de rôle sur le territoire et sur le théâtre des opérations. Elle a pour missions de soutenir et accompagner les hommes et femmes de la défense et conseiller le commandement militaire, c'est-à-dire non seulement les officiers généraux mais aussi les chefs d'unité, tout au long de la chaîne de commandement.

La loi du 8 juillet 1880 avait institué des aumôneries militaires sans y intégrer les musulmans. Un décret du 17 mai 1940 prévoit un « service d'assistance religieuse pour les militaires musulmans », qui se résume en fait à un service funéraire. Le général Catroux, délégué général de la France Libre au Levant, signe le premier un arrêté prévoyant l'affectation, auprès de chaque quartier général de division, d'aumôniers catholique, protestant, israélite ou musulman selon les situations. La première avancée significative se fait jour avec la désignation du Cheikh Abd-el-Kader au titre d'aumônier militaire pour l'armée du Levant.

Au crépuscule des guerres de décolonisation, plusieurs demandes en faveur d'une aumônerie musulmane restent sans concrétisation, même si ces initiatives sont approuvées par la direction du personnel militaire. La question resurgit avec la professionnalisation de l'armée en 1996 car de plus en plus d'engagés se réclament du culte musulman, sans pouvoir bénéficier d'un soutien spirituel, à l'égal de leurs frères d'armes des autres cultes.

Lors de ma première visite en 2006, qui avait lieu sur le porte-avions Charles de Gaulle, j'ai rencontré à bord 200 jeunes se déclarant de confession musulmane. Une jeune, pourtant non pratiquant, a témoigné de sa satisfaction de voir enfin une aumônerie musulmane car il ressentait une frustration à l'heure où la cloche sonnait pour les offices religieux car les musulmans n'avaient pas d'imams vers lesquels se retourner.

En 2005, Michèle-Alliot Marie, ministre de la défense, décide de la création d'une aumônerie musulmane aux armées françaises, dans le droit fil de la recommandation du rapport remis en 2003, par Bernard Stasi, au président Jacques Chirac. L'arrêté du 16 mars 2005 promulgue ainsi la création de la fonction d'aumônier en chef du culte musulman au sein du ministère de la défense, placé auprès du chef d'état-major des Armées. Puis, le 20 juin 2006, je suis nommé aumônier militaire en chef du culte musulman, marquant ainsi la naissance de cette institution.

Le premier impératif de l'aumônerie militaire du culte musulman fut le recrutement des aumôniers et leur déploiement sur l'ensemble du territoire national en privilégiant en premier lieu les zones de défense ayant un besoin impérieux, à l'instar de la zone de défense Sud, jugée prioritaire.

Les conditions de recrutement ne sont pas fixées par la loi mais par voie règlementaire, comme avoir atteint la majorité, avoir un casier judiciaire vierge, avoir la nationalité française, etc. Les capacités cultuelles sont appréciées par l'aumônier en chef.

Il s'agit de faire des bons militaires et non de bons fidèles musulmans : l'aumônerie n'exerce pas de prosélytisme. Ce sont les militaires qui viennent pour trouver des réponses à leurs interrogations. La priorité reste le bon accomplissement de la mission. Dans ce cadre, les aumôniers militaires interviennent en soutien comme d'autres, tels que les médecins. Ils ont deux années de formation pour concilier leur état militaire et leurs misions.

Aujourd'hui, l'aumônerie compte 38 aumôniers d'active et 7 aumôniers de réserve avec deux missions principales : le soutien aux hommes et le conseil au commandement.

L'aumônier a pour première mission d'apporter un soutien religieux, s'inscrivant dans une démarche profondément humaniste fondée sur l'accueil, l'écoute et l'accompagnement à l'endroit des personnels militaires et civils de la défense ainsi que de leur famille : il est l'aumônier de la troupe, quelques soient les convictions religieuses de ceux qui le sollicitent. De même, le soutien cultuel : Partout, en mission et sur le territoire national, l'aumônier militaire du culte musulman accompagne, sur leur demande, les personnels militaires et civils de la défense à chaque étape et événement de leur vie.

Sa seconde mission est le conseil au commandement, conformément au statut des aumôniers militaires.

L'action de l'aumônerie présente des spécificités en matière de desserte. Une demande de lieux de recueillement et de culte, à l'égal des chapelles, est vite apparue. L'aumônerie s'est ainsi attachée, avec le concours du commandement, à répondre à cette demande, dès lors que les infrastructures le permettaient. Il existe actuellement une vingtaine de salles de prière pour pratiquer dignement ce culte. L'installation d'un lieu de culte est possible si trois conditions sont réunies : la présence d'un aumônier militaire musulman, la possibilité technique de le créer et l'absence d'autres lieux de culte à proximité. Lorsque ces trois conditions étaient présentes, le commandement a toujours répondu favorablement à la demande de création.

J'ai choisi de ne pas organiser de prière collective, même du vendredi - assimilable à la messe -, pour ne pas donner l'impression de vouloir créer une communauté musulmane au sein de l'institution : il n'existe pas de communauté musulmane dans les Armées mais une seule communauté militaire ! L'uniforme les rassemble sans esprit de communautarisation.

Les aumôniers musulmans sont par ailleurs présents au sein des hôpitaux et écoles militaires. Dans les hôpitaux militaires, ils soutiennent et accompagnent les patients pour traverser l'épreuve de la maladie, des blessures, des fragilités psychologiques, des peurs et des interrogations à un moment où le patient est en perte de repères et dépendant. Assurant réconfort, consolation et appui, l'aumônier rassure, apaise et veille au respect de la pratique et des impératifs cultuels de chacun des hospitalisés, militaire ou civil.

Intégré à l'équipe soignante, l'aumônier militaire s'assure du respect des prescriptions religieuses que le patient souhaite observer. En cas de décès, il veille au respect des rites funéraires tels que souhaités par le défunt et sa famille et soutient cette dernière à traverser ces moments difficiles. Le libre choix prime toujours.

Dans les écoles militaires - lycées militaires, grandes écoles ou écoles d'applications de la défense -, l'aumônerie militaire du culte musulman est présente en s'adressant à de jeunes adultes parfois encore au sortir de l'adolescence, en situation d'internat et de fait loin des rassurants repères familiaux qui étaient les leurs. C'est un terrain où se forgent les consciences et où l'aumônier militaire n'a vocation qu'à être un repère.

Répondre à des questionnements internes relatifs à la pratique de sa foi, ressourcer à l'aune d'enseignements spirituels, faire face à des interrogations légitimes concernant l'évolution de la scolarité, rassurer, conseiller, se faire le lien entre élèves et commandement, contribuer à l'intégration des nouveaux arrivés peu accoutumés à l'environnement militaire, désamorcer les situations délicates, partager des moments de cohésion et de convivialité : autant de missions remplies par l'aumônier au sein des écoles militaires qu'il dessert.

Sur le plan du dialogue intercultuel, les relations avec les autres cultes au sein des Armées suivent leur cours normal, au gré de l'évolution du volume des personnels de l'institution. La conférence internationale des aumôniers en chefs organisée en 2014 par la France a été l'occasion de mettre en pratique le concours des aumôneries dans un effort qui se voulait commun, l'aumônerie du culte musulman s'engageant pour l'organisation de cet évènement : prospection et réservation des hôtels, création intégrale du site internet et d'une charte graphique, etc. L'aumônerie a également participé à l'organisation de la journée culturelle du 6 février 2014 à Meaux pour la commémoration de la Grande Guerre notamment pour l'accueil de la délégation américaine.

La charte des relations entre les cultes mérite d'être actualisée, afin de l'adapter aux réalités nouvelles qui s'imposent aux différentes aumôneries. L'arrivée d'une aumônerie du culte orthodoxe pourrait en offrir l'occasion. À cet égard, l'aumônerie du culte musulman a initié la réflexion avec ses homologues.

En matière de communication, l'aumônerie s'attache à éviter les lectures biaisées ou les incompréhensions dans un contexte national et international où le culte musulman demeure mal compris et sujet à toutes les interprétations. Elle a développé plusieurs outils de communication visant à mieux se faire connaître auprès des militaires et civils de la défense pour débattre et apporter un éclairage pédagogique sur les sujets débattus au sein de la société.

Ainsi, la revue quadrimestrielle Engagement s'adresse aux militaires et civils de la défense, de confession musulmane ou non, afin de leur faire découvrir le quotidien et les missions de l'aumônerie. Conçu comme un guide pratique, la revue regroupe des sujets susceptibles de toucher le lecteur à travers des rubriques retraçant « l'actualité de l'aumônerie », « la vie de l'aumônerie », « la vie militaire », « la vie musulmane », « la vie en société » ainsi qu'un dossier central. Méditations est une chronique mensuelle et spirituelle de l'aumônerie musulmane aux Armées pour délivrer des clefs de compréhension et d'approfondissement relatifs à la foi musulmane. En cours de préparation, Filiations sera une chronique familiale et sociale de l'aumônerie militaire, selon un rythme trimestriel et disponible sur demande.

Enfin, le site internet de l'aumônerie est en cours de finalisation, pour présenter le but et les missions de l'aumônerie militaire, tout en relayant son actualité et en traitant de sujets de spiritualité et de société.

L'aumônerie musulmane a des projets, comme la préparation de l'anniversaire des dix ans de sa création, en mars 2016, avec une série d'évènements sur le territoire national, notamment un office à Verdun. Il faut rappeler l'engagement de soldats musulmans pour la défense de nos libertés dans les dernières guerres, en 1870, pendant les deux guerres mondiales puis en Algérie.

La direction de l'aumônerie sollicitera le concours du ministère de la défense pour l'appui budgétaire et logistique nécessaire à la tenue de cette célébration qui marque un tournant historique de notre République, notamment en filiation directe avec la commémoration de la grande guerre et du sang musulman versé pour la France.

La session des journées d'études 2014 a accueilli les premières journées doctrinales de l'aumônerie musulmane aux armées. La normalisation de la présence du culte musulman a constitué le premier défi de l'aumônerie musulmane. Le centre interarmées de concepts, de doctrine et d'expérimentations, (CICDE), a produit en 2013 un document conformément au plan stratégique des armées qui rappelle la place essentielle des forces morales, telles que l'aumônerie musulmane, dans la réussite de la mission des armées.

Ce document évoque les principes, l'organisation ainsi que les modalités, pour chacun des trois soutiens du « versant moral » de nos forces armées : le soutien psychologique, le soutien religieux et le soutien social. La priorité est donc, pour l'aumônerie musulmane aux armées, appartenant au soutien religieux, de combler un vide en matière doctrinale pour répondre à une nécessité et une forte attente de la chaine de commandement, administrative et opérationnelle. Devrait aboutir la rédaction d'un rapport actualisé par thématique, au regard de l'expérience du métier militaire et de la pratique du culte musulman, comportant des enseignements fondamentaux, des obligations, des principes dérogatoires, des allègements, des prises de position et des recommandations. On disposerait ainsi des clés de compréhension et des vues pertinentes sur une jurisprudence musulmane actualisée du métier militaire, avec l'articulation d'un référentiel théologique de jurisprudence (fiqh) appliqué à la condition militaire française. En 2016, un comité théologique restreint d'aumôniers militaires du culte musulman se réunira pour poursuivre les travaux initiés en 2014.

Enfin, l'aumônerie musulmane souhaite mettre l'accent sur le sacrifice des milliers de soldats musulmans morts pour la France aux côtés de leurs frères d'armes., sous forme d'une exposition-portraits des survivants et familles engagées au sein des deux conflits mondiaux et de l'édition d'un ouvrage. Cela constitue un chantier de longue haleine mais qui répond au nécessaire devoir d'histoire et de mémoire.

M. Abdelhaq Nabaoui, aumônier national des hôpitaux de France. - C'est un grand plaisir pour moi d'avoir été invité par votre mission et je vous en remercie. L'article 2 de la loi de 1905 dispose que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Je précise en tant qu'alsacien que, en terre concordataire, nous vivons bien, même si l'Islam ne fait pas partie des cultes reconnus par le régime. Lorsque j'étais président du CRCM, nous avons d'ailleurs clairement affirmé que nous ne souhaitions pas que l'Islam soit un prétexte pour remettre en cause le concordat.

Les musulmans ont souhaité mettre en place une instance qui les représente, qui a finalement émergé en 2003 avec le CFCM. C'est un devoir à la fois citoyen et religieux. Cette instance a des difficultés, mais je crois qu'il faut d'abord la consolider.

Parmi ses réalisations, il y a précisément la création des trois aumôneries nationales.

Le rôle de l'aumônerie nationale des hôpitaux est d'abord d'évaluer et de satisfaire les besoins en aumônerie hospitalière, ce qui recouvre trois points :

- recruter, former et gérer des aumôniers musulmans maîtrisant la particularité de leur rôle et adhérant aux valeurs de la République ;

- coordonner les actions des aumôniers régionaux et locaux ;

- répondre aux questions que pose l'administration.

La première chose que nous avons faite a été d'établir un état des lieux de la situation de l'aumônerie hospitalière musulmane. Nous avons en ce sens sillonné toute la France, et nous continuons de le faire. J'ai remarqué trois points.

Tout d'abord, la plupart des aumôniers étaient des imams ne maîtrisant pas la langue française et ne connaissant pas le contexte français, même si certains faisaient un bon travail. Par ailleurs, certains s'étaient autoproclamés aumôniers mais n'avaient en réalité pas les compétences nécessaires. Enfin, les aumôniers avaient un impérieux besoin de subvention pour étoffer l'organisation.

Sur la base de ces trois constats, j'ai engagé une réflexion sur une meilleure sélection des aumôniers et j'ai fait adopter une charte des aumôniers hospitaliers. Cette charte que chaque aumônier s'engage à respecter comprend quatre principaux points.

Tout d'abord, la laïcité. Il est important que les aumôniers sachent que c'est un cadre qui permet à tous de s'épanouir et de vivre ensemble, excluant tout geste ou toute parole qui pourrait être considéré comme prosélyte.

Ensuite, la prise en compte de la réalité hospitalière. L'aumônier travaille en collaboration avec le personnel médical. La démarche de l'aumônier doit être cohérente avec la démarche de soin : l'impératif de se soigner passe avant l'impératif religieux. Dans ce cadre, notre rôle est aussi de donner et d'expliquer les dérogations et l'allègement. Par exemple, le ramadan est interdit à quelqu'un qui est malade, notre rôle est de l'expliquer aux patients. Le patient pourra ainsi être en conformité aussi bien avec ses convictions religieuses qu'avec les nécessités du soin.

Troisième point : la considération des patients. L'aumônerie doit être attentive à tout ce qui peut faciliter la guérison ou soulager la souffrance. L'aumônerie offre attention, amitié et écoute aux personnes malades, mais aussi aux familles et au personnel. Elle doit jouer son rôle, sans jamais se substituer au personnel médical.

Enfin, quatrième point : le recrutement. Le recrutement s'opère sur la base de la compétence, évaluée à partir de quatre critères : une personne intègre et de bonne moralité ; une personne apte à l'écoute, à l'échange et au dialogue ; une personne fidèle à la conception de l'Islam du juste milieu, prônant un discours qui épouse le contexte français ; enfin, avoir réussi un stage de formation.

Aujourd'hui, je puis affirmer que 100 % des aumôniers que nous avons recrutés parlent français et répondent à ces critères.

La formation des cadres religieux est l'un des dossiers les plus importants pour l'organisation de l'Islam. L'aumônerie nécessite une formation théologique, mais pas seulement : c'est pourquoi les diplômes universitaires profanes, comme ceux de l'Institut catholique de Paris, sont une bonne chose pour apprendre également le contexte, en particulier la laïcité, le droit français, les valeurs de la République, le fonctionnement des autres cultes, etc. Ce type de diplôme est une bonne initiative.

Il convient de compléter ces formations par des modules parmi lesquels un module historique et éthique de chaque aumônerie, un module sociologique et un module psychologique. C'est ce que nous essayons de faire dans les régions, avec cinq à six sessions par an organisées par l'aumônerie.

Le journaliste Christian Delahaye a fait un rapport sur l'aumônerie hospitalière intitulé « La laïcité à l'hôpital », où il écrit que « l'aumônier musulman est à l'image des pompiers : un intermédiaire de choix indispensable qui permet d'apaiser les tensions s'il y en a, d'améliorer le dialogue, et favoriser la compréhension des uns et des autres dans le respect de la loi, pour créer un climat serein et apaisé à l'hôpital. Se priver de ces aumôniers, c'est aujourd'hui refuser de faire un pas vers l'harmonie sociale, c'est finalement mettre en péril la qualité des soins en France de nos jours ».

La réalité de terrain fait apparaître que la majorité des aumôniers musulmans hospitaliers sont totalement dévoués à leur mission, mais ils sont dans une situation précaire. Ils ne sont en général pas rémunérés. Nous souhaitons qu'ils bénéficient de la même reconnaissance que les aumôniers des autres cultes et j'invite les directeurs des hôpitaux, dans la mesure du possible, à les rémunérer et je vous invite, mesdames et messieurs les sénateurs, au nom du principe d'égalité, pilier de la République, à veiller à l'application de cette valeur. A l'heure actuelle, environ 50 aumôniers sont salariés à mi-temps. L'encadrement de ces aumôniers, à l'image de la tâche que je remplis, se fait également bénévolement - je ne vous dirai pas la somme que je dépense pour assumer cette responsabilité, qui me paraît très importante. La création d'un poste rémunéré de directeur des aumôniers est selon moi justifiée.

J'espère vous avoir sensibilisés sur la question de l'aumônerie musulmane hospitalière, qui est un des enjeux majeurs pour l'harmonie de demain.

M. Moulay el Hassan El Alaoui Talibi, aumônier national musulman des prisons. - Je vous remercie de votre invitation.

L'aumônerie pénitentiaire a commencé son activité avec l'arrivée des premiers migrants et des militaires qui sont venus défendre la nation à la suite des guerres mondiales puis dans les années 1950 et 1960. Elle s'est d'abord implantée au Sud et à l'Est de la France, au début sous la tutelle de l'aumônerie catholique.

Ensuite, avec l'arrivée des rapatriés dans les années 1960, il y eu besoin de davantage d'aumôniers ; des postes ont été créés, mais sur la base du bénévolat. La seule rémunération était l'indemnité de déplacement.

Troisième phase : le regroupement familial dans les années 1970.

Dans les années 1990, à la suite des différents attentats, certains imams autoproclamés ont émergé et il y a eu besoin d'aumôniers pénitentiaires pour accompagner les détenus.

Enfin, avec la création du Conseil français du culte musulman (CFCM), nous sommes entrés dans la dernière phase, qui a vu la création de l'aumônerie musulmane, le 11 septembre 2006.

Le rôle de l'aumônerie pénitentiaire est de permettre un accompagnement spirituel pour les détenus qui le réclament. L'aumônier accompagne dans un lieu dur et de souffrance : comme un oiseau libre dans une cage, le détenu se fait mal en essayant d'en sortir ou fait mal à un tiers en le piquant. L'aumônier doit accueillir les souffrances pour les soulager et, en même temps, faire passer certains messages.

D'abord, il fait passer un message d'espérance. L'aumônier joue un rôle de régulateur des comportements, en permettant au détenu de se projeter dans l'avenir avec un projet de vie - sans quoi le détenu développe un projet de mort.

Ensuite, il fait passer un message de tolérance, en rappelant l'importance du respect des règles de la vie commune.

Par ailleurs, il délivre un message de miséricorde, qui n'exclut pas la responsabilité.

Enfin, il joue un rôle de médiateur du fait religieux : l'aumônier ne détient pas la vérité absolue et doit travailler en complémentarité avec les autres acteurs.

L'aumônerie musulmane fournit ses services tout en respectant les droits des détenus. Par son activité individuelle et collective, l'aumônier apporte sa contribution au bien-être en vue d'une détention humaine et digne. Il contribue à la sécurité et à l'ordre public au sens large. Il est responsable, dans le cadre de sa fonction, de la gestion des risques. Il veille à la cohérence de la société carcérale en surveillant les phénomènes déstabilisateurs tels que le radicalisme. Il favorise la cohérence au sein de son propre groupe - les détenus musulmans - mais aussi avec les autres détenus.

L'aumônerie musulmane fait face à un problème de recrutement. Les candidatures sont présentées par l'aumônerie nationale, régionale ou locale, par le CFCM, par une association ou encore spontanément par le candidat. Elles sont déposées auprès de l'aumônier national ou régional, et c'est l'aumônier national qui prend la décision d'un point de vue religieux. D'un point de vue administratif, les candidatures sont validées par la préfecture et l'administration pénitentiaire. Mais cette procédure met souvent tellement de temps que le bénévole n'est plus disponible quand on lui donne une réponse.

Quel est notre vivier ? Soit il s'agit d'un retraité : il a du temps libre, a acquis de la sagesse et de la patience et impose le respect. Mais il est en décalage avec une population plus jeune, ancrée en France, née en France. Le discours de moralité consistant à dire « il faut être toujours bien mon fils, on n'est pas chez nous » n'est pas audible par ces populations jeunes. La petite pension des retraités ne permet pas de payer les déplacements et les livres ; s'il bénéficie d'une indemnité, il n'est plus considéré comme un retraité.

Soit il s'agit d'une personne en recherche d'emploi : il a du temps libre, mais il a peu de moyens. Or, les indemnités sont alors considérées comme des revenus, qui leur font perdre certains droits sociaux.

Soit il s'agit d'un salarié ou d'un entrepreneur : ils peuvent payer leurs frais, mais ils n'ont que peu de temps. S'ils sont imams intervenant en mosquée, ils ne peuvent pas venir le vendredi pour la prière. Les rassemblements devant se faire sous la surveillance d'un gradé, ce ne sera possible que le samedi matin. Or les aumôniers qui ne sont disponibles que le week-end ne rencontrent jamais les responsables des prisons...

Le profil recherché est la conjonction de plusieurs éléments :

- la maîtrise du français ;

- une excellente connaissance de la religion, pour pouvoir faire face à certains imams radicaux autoproclamés. Comme à l'école, si un élève est meilleur que le professeur, tout le monde l'adule ;

- enfin, sa capacité de patience.

Il y a aujourd'hui entre 196 et 200 aumôniers - certains dossiers étant en cours. Les retours des préfectures prennent parfois beaucoup de temps, ce qui est problématique pour des sites nécessitant des interventions rapides. Je rappelle que les aumôniers n'ont ni couverture sociale ni retraite, contrairement aux autres aumôneries.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Je vous remercie pour vos présentations. J'ai tout d'abord une question pour M. Arbi : l'aumônerie militaire s'occupe-t-elle également de la gendarmerie ? M. Talibi, nous nous sommes déjà rencontrés et je souhaiterais que vous nous disiez à nouveau comment faire pour former les aumôniers. Et sachez que votre proposition d'aligner le statut d'aumônier pénitentiaire sur celui des autres aumôneries musulmanes a été entendue. Nous l'avions proposé dans un autre contexte. Toutefois, cela posait des problèmes. Nous avons bien entendu noté cette problématique. Je pense que notre rapport reprendra cette proposition compte tenu de l'impérieuse nécessité d'avoir un statut pour les aumôniers pénitentiaires. Enfin, j'ai une question pour chacun d'entre vous : si vous aviez une seule recommandation à faire pour améliorer votre statut, quelle serait la plus urgente ?

M. Abdelkader Arbi. - Nous sommes également présents dans les unités de gendarmerie. Elles recrutent d'ailleurs directement deux aumôniers. À l'origine, l'aumônerie militaire était différenciée entre les différentes armes : terre, mer, marine et gendarmerie. Avec le passage à l'inter-armée, nous avons désormais deux aumôniers qui sont directement soutenus par la gendarmerie. En outre, d'autres aumôniers ont dans leur lettre de services, qui énumère les unités dans lesquelles ils interviennent, des brigades de gendarmerie.

M. Abelhaq Nabaoui. - J'ai appris que pour réussir un projet trois conditions sine qua non étaient nécessaires. Il faut tout d'abord que le projet et son objectif soient clairs. Ensuite, il faut une équipe avec un chef. Enfin il faut des moyens. Sans moyen, il est très difficile de mener à bien le projet, même avec toute la meilleure volonté. Aujourd'hui, je donne de mon temps gratuitement. Pour moi, cela ne représente pas une difficulté financière majeure car je travaille parallèlement en tant que cadre et ma femme travaille. Mais, il n'est pas sûr que la personne qui me remplacera soit dans la même situation financière. C'est un point à prendre en considération, si nous voulons inscrire l'aumônerie hospitalière dans le temps.

M. Moulay El Hassan El Aloui Talibi. - Pour moi, la priorité est de fidéliser les aumôniers existants. Cela passe par la mise en place d'une couverture sociale et la retraite. Nous avons également besoin de moyens et d'outils de travail. Je vais prendre un exemple. Il existe des livres qui sont gratuitement distribués dans les prisons par d'autres organismes, or ils ne correspondent pas à l'Islam que nous souhaitons propager à l'intérieur de la prison. Il y aussi la question de la rapidité du traitement des dossiers de désignation et d'accréditation des aumôniers. Ainsi, en région parisienne, nous avons un aumônier qui attend depuis un an le retour de l'enquête faite à son sujet.

M. André Reichardt, co-rapporteur. - J'ai une question pour l'aumônier des prisons. En qualité d'ancien membre de la commission d'enquête sur les réseaux djihadistes, j'avais eu l'occasion d'interroger et de recevoir les aumôniers de la maison d'arrêt de Strasbourg. J'avais notamment discuté avec l'aumônier musulman de son action et son interaction avec les autres aumôniers ainsi qu'avec les détenus. Il disait qu'il avait beaucoup de difficultés à communiquer avec certains détenus musulmans qui le considéraient - et je reprends ces mots - comme un « traître ». Il se posait ainsi des questions sur son efficacité. Je l'ai interrogé sur la possibilité de mettre en oeuvre un dialogue interreligieux avec les détenus et les autres aumôniers. Ainsi dans mon département il y a une heure d'enseignement religieux, qui devient souvent dans de nombreux établissements un enseignement du fait religieux. Il avait l'air intéressé. Ce serait ainsi l'occasion d'organiser des rencontres interreligieuses entre les détenus.

M. Moulay El Hassan El Aloui Talibi. - La question de la crédibilité de l'aumônier dépend de la façon dont on la présente. L'aumônier peut jouer un rôle d'expert pour la vérification des livres. Mais c'est à l'administration de dire si l'ouvrage est accepté ou non. Il ne faut pas que l'aumônier soit perçu par les détenus comme la personne les privant de lecture. L'aumônier accompagne les gens et leur apporte son soutien. Les détenus savent qu'il est là pour leur apporter quelque chose, que cela soit un soutien paternel, affectif ou spirituel. Bien évidemment, il y a toujours des cas particuliers. En ce qui concerne les relations interculturelles, nous le faisons déjà. Cela a commencé dans quelques établissements de longues peines. Le travail interreligieux est très important : des rencontres sont organisées. Par ailleurs, lorsque les détenus voient qu'il y a de bonnes relations entre les aumôniers des différentes confessions, cela favorise le vivre ensemble.

M. Abelhaq Nabaoui. - Le vivre ensemble est nécessaire sous peine de mettre en péril la société. À l'hôpital, les activités regroupant les aumôniers des différentes religions, comme la fête de la fraternité, envoient un message très fort de vivre ensemble et impactent positivement les malades.

Mme Chantal Deseyne. - Je souhaite interpeler l'aumônier pénitentiaire. Nous savons que la radicalisation a lieu aussi en prison. En tant que premier témoin des signes de radicalisation, et éventuellement en tant que premier acteur auprès des détenus musulmans, je voulais savoir si vous entretenez des partenariats avec l'administration pénitentiaire.

M. Roger Karoutchi. - Nous sommes au Parlement et devons prendre nos responsabilités. La République a commis beaucoup d'erreurs en tardant à créer une aumônerie musulmane, considérant que c'était compliqué. Or, il est inadmissible que le fonctionnement des aumôneries hospitalières ne soit pas homogène entre les différentes religions. En effet, les aumôniers des différents cultes ont la même mission et le même travail ; ils doivent disposer des mêmes statuts et des mêmes droits. Je serai très allant pour que cela change.

Je remercie et félicite l'aumônier général des armées, car sa mission n'est pas simple. J'entends avec bonheur qu'il y a sur le porte-avions Charles de Gaulle 200 marins de confession musulmane que la communauté militaire prime sous toute autre forme de communauté.

Je tiens à m'adresser à l'aumônier général des prisons. Personne ne peut croire qu'il n'y a pas un problème difficile de radicalisation dans les prisons. Un article de presse il y a un ou deux mois mettait en cause un certain nombre d'aumôniers dans les prisons. Quelle est la capacité de l'aumônier général des prisons à contrôler réellement ses représentants et comment peut-on l'améliorer ? Je suis conscient des difficultés rencontrées car le public n'est pas le même que celui que côtoient l'aumônier des hôpitaux et des armées. L'opinion publique s'inquiètant de ce qui se passe en prison, ne faudrait-il ainsi pas renforcer l'aumônerie générale des prisons en lui donnant plus de moyens, et notamment des moyens de contrôle, afin de lui permettre de participer pleinement à la lutte contre la radicalisation ?

Mme Evelyne Yonnet. - Je salue les trois personnalités invitées pour leurs travails et leur présentation. Je trouve qu'elles font un travail remarquable. Au cours de nos auditions, nous avons entendu à plusieurs reprises qu'il y avait un problème de reconnaissance du métier d'aumônier ou d'imam. Il nous faut également nous pencher sur la perte de droits pour les bénévoles du fait d'un défraiement des frais engendrés dans le cadre de leur mission d'aumônier.

Comme vous avez tous souligné le vivre ensemble - important dans la période actuelle -, je salue les rencontres interculturelles que vous organisez. Il faut démystifier le rapport avec la religion musulmane.

En ce qui concerne les ministres du culte musulman, on nous a dit précédemment que leur rôle consistait principalement à lire le Coran. J'aimerais que vous nous éclaircissiez sur ce point.

M. Jacques Bigot. - Je souhaite remercier les trois intervenants. Je rejoins les propos de notre collègue Roger Karoutchi. Vos missions ont des points identiques, mais vers des publics différents. Dans l'aumônerie militaire, il y a une communauté militaire d'abord et cette communauté attend des aumôniers qu'ils répondent aux interrogations des militaires selon leurs confessions. À l'hôpital, c'est une situation personnelle de souffrance, dans laquelle l'individu a besoin de la référence à la religion. Dans les prisons, on retrouvait traditionnellement la même chose : l'individu isolé a besoin d'un certain secours. En ce qui concerne les communautés protestantes ou catholiques, elles fonctionnement beaucoup avec les visiteurs de prison, qui sont des laïcs, et aident l'individu à préparer sa sortie. J'ai le sentiment que dans la communauté musulmane, vous êtes plus isolé, alors que de nombreux prisonniers ont cette confession, ou sont supposés l'avoir. D'où le problème des détenus qui n'attendent pas forcément quelque chose de l'aumônier musulman, surtout s'ils sont en voie de radicalisation. Est-ce que vous entrevoyez une possibilité d'organisation sur le modèle des aumôneries protestantes ou catholiques avec des visiteurs permettant cette aide et relation individuelles ? En même temps, nous devons faire attention et ne pas donner l'impression que la radicalisation passe par les aumôniers. C'est de la responsabilité de la République de l'organiser, comme elle le fait pour l'aumônerie militaire.

M. Moulay El Hassan El Alaoui Talibi. - La radicalisation est un habillage religieux donné à des comportements de personnes qui ne connaissent rien à la religion. Un radical est par définition sociologique quelqu'un qui impose ses idées par la violence. On sait que le milieu carcéral est violent, ce qui pousse un grand nombre de personnes à chercher une forme de protection. Face au phénomène de la radicalisation, l'administration fait son travail. Il existe ainsi un service de renseignement pénitentiaire qui suit les choses de près, et lorsqu'un détenu fait preuve de prosélytisme, il est mis à l'isolement.

L'aumônier intervient auprès de personnes qui ont formulé une demande. Il ne peut pas aller vers les personnes qui n'ont pas exprimé le souhait de le rencontrer. Des rencontres en groupe et individuelles sont organisées par l'aumônerie musulmane.

En ce qui concerne les visiteurs, leur agrément ne dépend pas de l'aumônerie. Enfin en ce qui concerne le phénomène de radicalisation et le rôle joué par certains aumôniers, je souhaite préciser que la quasi-totalité des aumôniers font un très bon travail et sans eux, les signalements de phénomènes de radicalisation auraient été multipliés par cent. À titre personnel, j'interviens dans cinq quartiers où l'on trouve des détenus radicalisés. Je les accompagne dans une réflexion pour les en faire revenir et les aider à s'insérer correctement. Cela demande beaucoup de temps. Je n'ai pas le temps ici de détailler mon travail, mais je me tiens à votre disposition pour échanger sur ce sujet avec vous.

M. Abdelkader Arbi. - Il est vrai que le public n'est pas le même. Néanmoins, on peut trouver un socle commun. Nous ne devons pas travailler sur l'Islam, mais sur la société en général. Deuxièmement on dit souvent qu'il n'y a pas de clergé dans l'Islam. Or, l'armée a réussi à créer ce clergé, car il y a une double tutelle : la tutelle hiérarchique et la tutelle cultuelle, et l'aumônier militaire est soumis à ces deux tutelles. Cela permet à l'autorité cultuelle de pouvoir mettre en place une doctrine claire. En outre, le règlement s'applique également à l'aumônier. Enfin tous les aumôniers militaires sont soumis à la sanction et au blâme. Ils sont notés et lorsque leur travail ne convient pas, il est mis un terme à leur contrat. L'existence d'un contrat juridique est importante car le contrat moral entre la personne qui exerce la charge d'aumônier et « l'employeur » ne suffit pas. Nous sommes 38 aumôniers militaires musulmans à plein temps et nous couvrons le territoire national dans son ensemble, les quatre Armées dont la gendarmerie, ainsi que les théâtres d'opération extérieure, soit au total plus de 300 000 personnes. Le travail de l'aumônier militaire n'est pas le même que celui de l'aumônier hospitalier ou des prisons. Cependant, chaque aumônier militaire a une lettre de service qui détermine son périmètre d'action avec six ou sept unités. Ensuite, il organise son planning avec l'aumônier régional. Cela peut être une piste sérieuse d'organisation pour l'aumônerie des prisons.

M. Abelhaq Nabaoui. - Je vais revenir rapidement sur plusieurs points. Tout d'abord, réduire le rôle de l'aumônier militaire à la seule lecture du Coran est une bêtise. En effet, avec le Coran, comme avec les textes fondamentaux des autres religions, on peut construire ou détruire. Certes, des terroristes musulmans ont fait des dégâts énormes, mais il y a aussi beaucoup de musulmans terrifiés en France. Mon fils étudie à Bruxelles et certains de ces camarades de classe sont morts dans les attentats.

Une des conditions pour être efficace est la formation des aumôniers. Un aumônier non formé perd toute crédibilité auprès des personnes auprès desquelles il intervient. Je propose, en tant qu'aumônier national, de m'occuper de leur formation. Nous disposons à Strasbourg d'un local pour la dispenser mais il nous faut des moyens.

M. Moulay El Hassan El Aloui Talibi. - Faire changer les idées d'une personne radicalisée prend du temps. À la prison de Fleury-Mérogis, il y a un seul aumônier pour 800 détenus dont une large part de confession musulmane ! Lorsque j'échange avec un détenu, l'entretien dépasse une heure et demie, ce qui, rapporté sur une matinée et un après-midi, permet peu de rencontres en une seule journée.

L'aumônerie nationale est en contact permanent, comme les aumôniers régionaux, avec les aumôniers dans les prisons. Nous avons présenté une charte pour encadrer notre travail. Reste la question du temps passé et des aumôniers disponibles.

Mme Evelyne Yonnet. - J'admire la foi de l'aumônier des prisons au regard du temps passé. Il agit sur le terrain spirituel, ce qui est délicat de faire entendre à l'administration. La voie passe sans doute par la pédagogie et le dialogue auprès du personnel pénitentiaire.

M. Rachel Mazuir. - On a entendu que les personnes incarcérées ne connaissent pas la religion. Dans ce contexte, l'Islam doit-il être la seule réponse apportée, alors que la pratique musulmane, comme la pratique catholique, est plutôt en déclin dans le monde ? Ne faut-il pas avoir des laïcs, voire des athées, d'origine algérienne, marocaine, etc. qui soient en phase avec la société et qui permettent de toucher un public pénitentiaire plus large ?

Par ailleurs, rencontrez-vous des problèmes face à la population chiite en prison ?

M. Moulay El Hassan El Aloui Talibi. - Quand quelqu'un est en détresse, il cherche à s'accrocher à quelque chose. C'est le cas en prison, où les détenus se tournent souvent vers la spiritualité. La personne qui répond à ce besoin ne peut être que quelqu'un qui en mesure de l'accompagner d'un point de vue spirituel : je n'ai rien contre les laïcs, au contraire, mais je pense qu'ils ne répondent pas à la problématique. Quant aux origines des aumôniers, ce n'est pas une question que l'on pose aux aumôniers que l'on recrute, qui sont là pour apporter un service spirituel.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur. - Sans vouloir venir au secours de l'aumônier pénitentiaire, je vous conseille de lire notre précédent rapport sur les filières djihadistes : la radicalisation en prison a précédé Daesh ; M. Farhad Khosrokhavar travaille sur le sujet depuis plus de dix ans. Nous avons laissé ce problème se développer comme une cocotte-minute, nous ne le découvrons pas aujourd'hui ! Je suis personnellement plutôt partisane de la thèse selon laquelle nous assistons à une islamisation de la radicalité : en prison, les critères se cumulent. Il convient de trouver une méthodologie pour l'aumônerie pénitentiaire, et à cet égard je retiens celle employée par l'aumônerie militaire. Ce format de table-ronde était très utile et je vous remercie de vos éclairages qui enrichiront notre travail.

M. Moulay El Hassan El Aloui Talibi. - Je voudrais simplement ajouter que l'administration doit jouer son rôle en veillant à ne pas décridibiliser l'aumônier. Par exemple, lorsque son avis est sollicité sur un livre, cet avis ne doit pas être présenté au détenu comme celui de l'aumônier mais celui de l'administration car la décision finale lui revient. Face à des détenus qui manifestent plus d'intelligence qu'on croit, l'aumônier trouve sa place pour répondre à un besoin psychologique, affectif ou spirituel.

La réunion est suspendue à 12 h 00

Audition de Cheikh Moussa Touré, président de la Fédération française des associations islamiques d'Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA) et de M. Assani Fassassi, secrétaire général

Mme Corinne Féret, présidente. - La Fédération française des associations islamiques d'Afrique, des Comores et des Antilles (FFAIACA) se caractérise par les affinités géographiques, au contraire des autres courants et grandes fédérations musulmanes que nous avons reçus le 30 mars dernier. Pouvez-vous préciser plus avant les spécificités de votre fédération, ses difficultés, ses atouts ?

M. Assani Fassassi, secrétaire général de la Ffaiaca. - Nous vous prions avant tout d'excuser l'absence de notre président fondateur M. Cheikh Moussa Touré, pour raisons de santé.

Notre fédération porte l'empreinte de l'islam d'Afrique sub-saharienne. Tous les musulmans qui se reconnaissent Africains devraient se sentir concernés. Actuellement, elle regroupe uniquement des Noirs, d'Afrique, des Antilles ou de Mayotte.

La violence qui frappe aujourd'hui ne tombe pas du ciel. Elle n'a rien à voir avec l'Islam. Dans les années quatre-vingt, elle était encore inimaginable en France. Méditons cette maxime africaine : « Si vous voulez comprendre où vous allez, rappelez-vous d'où vous venez et réfléchissez sur le point où vous en êtes ». À l'époque, le voile était rarissime dans les écoles et les lycées ; et si nos propositions ne sont pas entendues, la situation empirera, selon le système dit des nénuphars, exponentiel. Comment réagira-t-on lorsque des millions de femmes seront voilées ? Il faut commencer par cette dimension des choses.

Depuis le Moyen-Âge, la France connaît l'Islam mieux que n'importe quel autre pays. La Mosquée de Paris a été inaugurée en 1926. Si elle a vu le jour, ce n'est pas seulement pour rendre hommage aux musulmans morts pour la France, car le projet existait bien avant la première guerre mondiale, qui a seulement servi de catalyseur. L'islam est traversé par une fracture, nous le sommes, le CFCM l'est aussi. Le livre de Dalil Boubakeur, Non ! L'islam n'est pas une politique, paru en 2003, résume parfaitement la situation. Il existe un « Islam Islam », privé, individuel, qui prescrit au musulman d'inspirer confiance et tranquillité à son voisin ; et un Islam politique, né il y a tout au plus cent ans - car les mouvements salafistes ou les Frères musulmans sont récents. Mais ces activistes ont bénéficié des pétrodollars et du soutien sans faille de l'occident et ont ainsi pu lancer leur OPA sur l'Islam pacifique dans le monde entier. « Mieux vaut le péril vert que le péril rouge », pensait-on alors : tout est parti de là. L'occident a fermé les yeux.

Personne ne soutient Daech ni la terreur. Pourtant des jeunes de 25 ou 30 ans partent : quelles idéologies, quelles incompréhensions les poussent ? L'apprenti sorcier doit redouter l'effet boomerang. On n'a jamais connu cela, même aux pires moments de l'époque coloniale : l'Algérie, dans les années soixante, n'a pas brandi l'étendard islamiste !

Est-il raisonnable de parler d'apartheid ? Je crois que non, car l'apartheid, le vrai, a existé en Afrique, il n'a pas débouché sur un mouvement comme Daech. La pauvreté existe et a existé, ô combien, en Afrique, elle n'a pas favorisé de telles dérives. Cessons donc de tourner autour du pot. Lorsque Manuel Valls affirme que « l'idéologie activiste l'emporte », nous sommes fondés à penser qu'il a des informations précises, car il n'est pas un commentateur ni un observateur, mais un responsable politique, auquel nous disons : si vous agissez, vous pouvez compter sur nous, vous pouvez compter sur le CFCM.

Quelles sont les solutions concrètes ? Des activistes se réclament de l'islam et le dévoient - les musulmans sont leurs premières victimes. L'élite française, les politiques, les personnes publiques, alimentent cette vague. Que quelques groupes musulmans qui comprennent mal le texte coranique veuillent semer la terreur, cela est apparu dès les premières décennies de l'islam, mais n'a jamais débordé. Aujourd'hui, on entend des propos ahurissants, attribuant toute la responsabilité à la religion, au motif que les terroristes crient « Allah Akbar ». Hitler affirmait « Gott mit uns », personne n'a songé à attribuer les abominations nazies à la religion.

Les hommes politiques français parlent de l'islam en France, mais ils ne savent pas de quoi ils parlent. Nos aînés, ceux qui ont bâti la Grande Mosquée de Paris, connaissaient mieux le sujet. C'est que la France a été le plus vaste empire musulman sur terre après la Grande-Bretagne ! Mais lorsqu'un peuple méconnaît son passé et ne comprend pas son présent, il ne peut envisager l'avenir. Ce que nous demandons à l'élite française, c'est de relire son histoire, se replonger dans les documents, par exemple à la bibliothèque Sainte-Geneviève toute proche ! On trouve trace, aux Archives nationales, des débats entre intellectuels du XIXè siècle sur la place de l'islam en France. Un des premiers projets de mosquée était prévu dans le quartier Beaujon en 1842, il a été relancé avec l'ambassade du Maroc vers 1880 ; en 1846, la Société orientale proposait de construire, à Paris comme à Marseille, un cimetière, une mosquée et un collège musulmans. Et ce, avec une motivation philanthropique mais aussi politique, car la conquête et la pacification en Algérie avaient aussi une dimension religieuse. Les musulmans étaient alors considérés comme plus proches du christianisme romain que les juifs. Ce fut une réaction négative du ministre de la justice et des cultes qui enterra l'affaire pour une dizaine d'années. Plus tard, aux pires heures de l'histoire, la Grande Mosquée de Paris a été exemplaire : au moment où d'autres livraient les juifs, les musulmans les protégeaient.

Si nous vous demandons de veiller à ce que la parole publique soit un peu plus mesurée, c'est pour éviter une Saint-Barthélémy à la puissance mille. Après le massacre, les vainqueurs se sont installés et les vaincus se sont rangés. D'ici dix à vingt ans, il y aura plus de 8 millions de musulmans. Imaginez, s'ils sont tous fanatisés comme nous porte à le croire la courbe qui se dessine ! En 1982, la marche des beurs était citoyenne. Personne alors, je le répète, ne brandissait l'étendard de l'islam. Elle a été récupérée par des organisations islamiques venues de l'étranger et riches de pétrodollars. Si le Premier ministre considère que c'est une idéologie activiste, militante et politisée qui est en passe de dominer l'Islam, pourquoi ne s'engage-t-il pas à lutter contre elle ? Le CFCM est prêt à lui apporter tout son soutien.

Parmi les musulmans, 95 % se contentent de faire leurs prières sans rien connaître du sunnisme ni du chiisme. Ils constituent l'Islam privé et pacifique. L'amalgame est pourtant là. J'ai entendu un homme politique suggérer qu'il ne fallait pas parler arabe dans les mosquées. C'est une aberration. Il existe des chrétiens arabophones. Aux Batignolles, dans une église protestante, l'homélie est prononcée en éwé une fois par mois : c'est la messe éwéophone. Mieux vaut un arabophone qui prie pour la France qu'un francophone qui la maudit.

Le projet de la Grande Mosquée de Paris n'était pas seulement religieux ; il y avait aussi l'Institut, dépositaire du savoir. La France a perdu de vue la dimension intellectuelle de l'islam. Auparavant, il existait une encyclopédie de l'islam. Votre pays connaît mieux que quiconque la part intellectuelle de notre culture. Je vous invite à organiser des séminaires sur le sujet.

Le CFCM est dévoyé par hold-up. En 2000-2001, on parlait à Bruxelles de construire l'Europe confessionnelle. J'ai soutenu l'idée auprès de tous les présidents. Lors d'une rencontre place Beauvau, on a proposé l'appellation de « Conseil européen du culte musulman » puis celle de « Conseil mondial du culte musulman ». L'organisation devait siéger à Dakar pour que la communauté noire soit représentée. Cheikh Moussa Touré était pressenti comme secrétaire de l'organisation. Le but était de construire l'islam de l'ijtihâd (de la réflexion), pas celui du djihad.

En France, beaucoup d'intellectuels musulmans ne se sentent pas concernés. D'où la volonté du président du CFCM d'élargir notre conseil. Nous souhaitons que vous, les élus, vous preniez la mesure de l'injustice faite à l'islam et que vous y mettiez fin. Aux politiques de couper l'herbe sous le pied de ceux qui dévoient l'islam grâce à l'argent du pétrole et avec la caution du monde occidental. Revenons au vrai sens de l'islam. Le Coran n'est pas seulement religieux. À l'École de médecine, à l'entrée de l'amphithéâtre Bichat, on trouve la statue de Rhazès. Pendant cinq siècles, ses oeuvres ont été le trésor de la bibliothèque de la Sorbonne. Le CFCM sera à vos côtés dès lors que vous accepterez de vous instruire sur l'islam.

Nous avons une position claire sur le voile. Si l'on nous avait écoutés, il n'y aurait pas eu de loi sur le voile. M. Sarkozy et le recteur de la Grande Mosquée étaient d'accord avec nous. Les dirigeants de l'Union des organisations de l'islam de France n'ont pas été assez prudents. Le voile est devenu un symbole pour celles qui le portent et aussi pour ceux qui le contestent. Le voile n'a pourtant rien à voir avec l'islam. Il n'a aucune dimension religieuse. C'est un choix vestimentaire personnel.

Le nouveau président du CFCM souhaite élargir le conseil à la marge de ses statuts en y invitant des femmes. Lorsque nous nous sommes réunis, il y avait dans notre assemblée trois femmes voilées et d'autres non. L'une se plaignait d'être discriminée et de ne pas pouvoir pratiquer pleinement sa religion ; l'autre disait préférer employer des femmes voilées dans son entreprise, par solidarité. À la première, nous avons répondu qu'il ne suffisait pas de porter le voile pour pratiquer l'islam et que c'était la foi qui comptait ; nous avons dit à l'autre qu'il serait plus judicieux de choisir ses employées sur leurs compétences que sur leur voile. Le voile n'est pas un fondement de l'islam. Il faut le déconnecter de l'islam.

Mme Corinne Féret, présidente. - Cette intervention était riche et détaillée. Je vous remercie de votre présence et des documents que vous nous avez fournis. Ils enrichiront nos travaux.

La réunion est close à 13 heures.