Mardi 28 novembre 2017

- Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office -

La réunion est ouverte à 9 h 15.

Rencontre avec des parlementaires russes sur la politique énergétique

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - J'accueille aujourd'hui avec chaleur et amitié votre délégation russe, composée notamment de parlementaires membres de la Douma et du Conseil de la Fédération ainsi que de représentants de l'entreprise Rosatom. J'ai eu l'occasion de me rendre à plusieurs reprises à Moscou parce que j'exerce parallèlement la responsabilité de président du groupe d'amitié France-Russie au Sénat et mon interlocuteur habituel est évidemment le Conseil de la fédération. Je voudrais saluer la qualité de la délégation et son engagement, puisque vous avez un programme extrêmement dense : vous avez visité hier le centre de stockage en couches géologiques profondes de Bure et vous serez demain au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Notre ancien collègue député Christian Bataille, que je remercie pour sa présence aujourd'hui, avait lui-même accueilli une délégation de parlementaires russes pour un exercice similaire en juillet 2014.

Notre réunion d'échanges sur les grandes orientations de la politique énergétique de la France et de la Russie, notamment en matière nucléaire, abordera ce matin successivement trois thèmes :

- M. Gennady Skyar, membre du comité de l'énergie de la Douma, nous présentera la stratégie énergétique russe à moyen et long terme, en insistant sur la part du nucléaire dans la production d'électricité, puis mon collègue et ami, le sénateur Bruno Sido, qui m'a précédé dans les fonctions de président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques présentera les principales caractéristiques de la stratégie énergétique française, contenues notamment dans la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte ;

- M. Alexey Dmitrienko traitera ensuite du cadre législatif russe sur le nucléaire avant de laisser la parole à notre ancien collègue député Christian Bataille, qui présentera le cadre législatif de la gestion des déchets radioactifs en France, dont nous savons tous qu'il en est l'architecte et, enfin, M. Vladimir Panov nous présentera un aperçu de la gestion des déchets en Russie ;

- Enfin, Mme Émilie Cariou, qui est députée de mon département, la Meuse, et qui va bientôt nous rejoindre, interviendra sur un aspect extrêmement important, le rôle de la transparence et de la participation de la société civile dans la sûreté nucléaire en France.

Je cède maintenant la parole à M. Gennady Skyar, sans plus tarder parce que notre programme est chargé.

M. Gennady Skyar, membre du comité de l'énergie de la Douma. - Je vous remercie de votre accueil. La Russie continue d'attacher la plus grande importance au développement du nucléaire en tant que source sécurisée d'énergie. Quelques mots sur le nucléaire en général: 450 centrales nucléaires fonctionnent dans le monde et assurent 11 % de l'électricité du bouquet énergétique mondial. Certains pays continuent d'utiliser avec succès les centrales nucléaires et des pays novices rejoignent la « communauté nucléaire ». L'argument important en faveur du développement du nucléaire, c'est la sécurité et l'indépendance énergétique. Sous la réserve de gros investissements, les charges d'exploitation des centrales nucléaires sont moins importantes que d'autres sources énergétiques. Le nucléaire permet, de plus, de bénéficier d'un bilan à bas niveau de gaz carbonique, d'être source de puissance et de garantir l'alimentation en électricité à long terme. Selon les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sur le développement du nucléaire à l'horizon 2030, on attend une grande croissance de la production d'électricité par les centrales nucléaires. De nouvelles centrales nucléaires sont construites régulièrement en Chine, en Corée du Sud, au Japon, en Suède etc. Pour la part de l'électricité nucléaire dans leur mix énergétique, la Russie, les États-Unis, l'Inde, la France et la Finlande sont bien positionnés. D'autres pays construisent ou vont également construire de nouvelles centrales : la Hongrie, la Slovaquie, la Turquie, l'Iran, les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite, l'Égypte...

En Russie, on dénombre dix centrales nucléaires et cinq en construction, dont une centrale nucléaire flottante et une dotée d'un réacteur de la génération dite « trois plus », qui tient compte de toutes les améliorations dans le domaine de la sécurité nucléaire, avec par exemple un démarrage à froid. En ce qui concerne le réacteur à neutrons rapides BN-800, celui-ci est en fonctionnement depuis août 2016 et déjà connecté au réseau énergétique.

La Russie est leader sur le marché mondial pour la construction et la vente de centrales et de technologies nucléaires. Notre pays compte la deuxième plus grande réserve d'uranium au monde et se situe à la cinquième place dans le monde en termes de volume d'extraction. Quant à la production d'énergie nucléaire, la Russie occupe la quatrième place et assure 40 % du marché mondial dans le domaine des services d'enrichissement et 17 % du marché du combustible nucléaire. Pour assurer son extension sur les marchés mondiaux, la Russie travaille en continu dans trois domaines, à savoir la modernisation des technologies existantes, la mise en oeuvre de technologies nouvelles pour les marchés de l'énergie et la création de technologies nouvelles hors secteur énergétique. Sur ce dernier point, il faut dire que la Russie tient aussi une place importante dans le domaine de la médecine nucléaire.

Le développement du nucléaire est majeur pour la sécurité énergétique mais d'autres facteurs, économiques, socio-économiques ou politiques, sont aussi importants. Par exemple, la sûreté nucléaire reste un objectif essentiel.

L'entreprise d'État Rosatom joue un rôle majeur pour la « fermeture » du cycle du combustible. Elle met aussi en oeuvre le développement de réacteurs à neutrons rapides. La fermeture du cycle de combustible grâce à ces réacteurs a beaucoup d'avantages, dont ceux, d'une part, d'éviter les accidents radiologiques graves exigeant l'évacuation de la population, d'autre part, de trouver des solutions au problème du combustible nucléaire usé, ce qui est étroitement lié à l'acceptabilité politique du nucléaire par l'opinion publique en général et par les populations locales en particulier.

Face à l'enjeu de la limitation des émissions de gaz à effet de serre, l'énergie nucléaire constitue une solution possible : dernièrement, je me suis déplacé en Allemagne et ai pu constater que l'opinion publique change en Allemagne et redevient plus positive vis-à-vis de l'énergie nucléaire du fait de son bilan carbone favorable.

Quelques mots sur les réacteurs nucléaires modulaires de petite et de moyenne puissance, qui font l'objet d'une attention particulière dans le monde depuis quelques années. Il existe une cinquantaine de concepteurs de ce type de réacteurs aux États-Unis, en Russie, en Argentine et en Chine. Rosatom s'est lancé dans leur construction car la stratégie énergétique de la Russie à l'horizon 2035 suppose la mise en place de tels équipements. La création d'une gamme de réacteurs de petite et de moyenne puissance apparaît comme l'un des domaines stratégiques du programme de développement et de modernisation technologique de Rosatom. Même l'AIEA étudie les supports juridiques des cycles de vie des centrales nucléaires modulaires transportables sans rechargement sur le site. Et la Russie est très favorable à ce type de centrale.

Par ailleurs, Rosatom a pris la décision d'implanter une centrale flottante, qui peut aussi être utilisée pour le dessalement de l'eau. La durée de vie de cette centrale est de quarante ans et on prévoit de la mettre en service en 2019. Il est clair qu'après la réalisation en Russie de cette centrale pilote, nous attendons que les centrales nucléaires flottantes soient des produits demandés dans le cadre du commerce international.

Maintenant, quelques mots sur les projets internationaux de Rosatom, parmi lesquels on peut citer le projet ITER de fusion thermonucléaire, grand sujet de coopération internationale. Nous voulons poursuivre notre coopération dans le domaine de ces technologies, du système électronucléaire aux composants et aux réacteurs. Dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides, la coopération franco-russe est très bonne, avec notamment la coopération entre Rosatom et le CEA : il faut continuer à travailler en amont des projets. Nous avons également quelques projets de coopération dans le domaine de l'ingénierie, de l'exploitation, de la gestion des déchets nucléaires. Il est très important de soutenir les initiatives scientifiques permettant de prolonger la durée de vie des centrales nucléaires, d'où un besoin de coopération au plus haut niveau entre experts. C'est un domaine où nous sommes forts, donc je pense qu'il y a toutes les conditions nécessaires pour que cette coopération bilatérale entre la France et la Russie dans le domaine du nucléaire civil perdure malgré toutes les difficultés auxquelles nous faisons face aujourd'hui. La Russie commence à travailler avec des pays tiers, mais l'expérience de nos partenaires français et de nos experts pourra garantir le succès de la réalisation de projets d'envergure. Il faudrait travailler sur l'élaboration d'une coopération interparlementaire forte et que nous, les députés, puissions apporter une contribution concrète à la coopération entre nos experts, que ce soit à l'AIEA ou dans les entreprises françaises, dont nous avons visité des centres hier, avec des projets très intéressants, qui ont un grand besoin de soutien. J'espère que tout se passera au mieux, nous serons toujours là pour vous et pour la coopération dans notre travail. Je vous remercie, chers collègues, de votre attention.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - C'est nous qui vous remercions de votre intervention brillante et très prometteuse sur les perspectives du nucléaire dans votre pays. Je donne la parole à notre collègue le sénateur Bruno Sido, qui va vous présenter la politique française en la matière et je voudrais saluer l'arrivée de Mme Émilie Cariou, qui interviendra, elle, en fin de réunion, sur la transparence et la participation de la société civile, conditions de réussite de la sûreté nucléaire.

M. Bruno Sido, sénateur. - Je voudrais remercier tout d'abord M. Gennady Skyar pour son riche exposé sur la stratégie énergétique russe à moyen et long terme, qui a mis l'accent de manière très intéressante sur la part du nucléaire dans la production électrique et c'est avec grand plaisir que je vous présente, à mon tour, les grandes orientations de la politique énergétique française.

J'indiquerai, à titre liminaire, que l'objectif de diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES) reste clairement la priorité principale qui guide la politique énergétique française, surtout après la COP21. L'élection du nouveau Président de la République n'a pas modifié cette priorité. Les émissions de GES dues à la production et à l'utilisation d'énergie représentent 78 % des émissions totales de la France et ont baissé de 17 % en 25 ans. Cette tendance reste à amplifier mais pour comprendre selon quelles modalités et selon quel calendrier, car là est la question, il faut en revenir à notre « mix énergétique », ou « bouquet énergétique », c'est-à-dire la répartition des différentes sources d'énergies primaires consommées pour la production des différents types d'énergies.

La consommation d'énergie sur le territoire national - dont l'électricité représente le quart, pas plus, pas moins - repose sur les sources suivantes : combustibles fossiles, 68,2 % - dont pétrole 45,7 %, gaz naturel 20,1 %, charbon 2,4 % - énergie nucléaire, 19 % et, enfin, énergies renouvelables, avec 12,8 % - dont biomasse-déchets 8,8 %, hydraulique 2,6 %, éolien 0,9 % et solaire 0,3 %. Le charbon est donc devenu une part très négligeable de notre mix énergétique après avoir longtemps constitué la principale source d'énergie en France, car notre sous-sol en est plutôt riche. À l'inverse, nos réserves pétrolières et nos réserves de gaz naturel étaient et sont toujours modestes, comme c'est d'ailleurs le cas de la plupart des pays de l'Union européenne, ce qui nous distingue fortement de la Russie.

Face à la problématique traditionnelle de dépendance énergétique, nous avons fait le choix de développer notre industrie nucléaire, avec l'idée centrale de renforcer notre indépendance nationale, sur le fondement d'un programme militaire et d'un programme civil.

Cette industrie été mise en place dans les années 1960 et 1970, faisant suite à la décision prise, dès 1958, d'enrichir l'uranium sur le territoire national. Avec 58 réacteurs répartis sur 19 sites, l'industrie nucléaire est progressivement devenue la principale source de production d'électricité en France, avec 72,3 % de la production d'électricité et 19 % de la consommation totale d'énergie.

Le cadre européen de notre politique énergétique mérite d'être rapidement évoqué. En vue de mettre en place une politique européenne commune de l'énergie plus soutenable et durable et de lutter contre le changement climatique, le paquet « climat-énergie » a été adopté en décembre 2008 et a fixé l'objectif « 20-20-20 » ou « 3x20 » visant d'ici à 2020 à :

- faire passer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen à 20 % ;

- réduire de 20 % les émissions de CO2 des pays de l'Union ;

- accroître l'efficacité énergétique de 20 %.

Ce plan d'action est au coeur de la politique énergétique de l'Union européenne et il a été renforcé en 2014 avec un accord qui engage les pays de l'Union européenne à diminuer leurs émissions de GES d'au moins 40 % en 2030 par rapport au niveau de 1990, à porter la part des énergies renouvelables à 27 % et, enfin, à porter l'efficacité énergétique à 27 %. Pour atteindre ces objectifs, les États membres restent libres de leur mix énergétique. Cependant, la répartition des mix énergétiques nationaux entre combustibles fossiles, énergie nucléaire et énergies renouvelables se pose particulièrement en Europe dans la mesure où plusieurs pays ont choisi de renoncer progressivement au nucléaire et exercent une pression indirecte envers leurs partenaires dans ce sens.

Dans la période récente, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour une croissance verte (LTECV) a fixé différents objectifs nationaux en matière de politique énergétique, qui vont encore plus loin que les objectifs fixés par l'Union européenne. Parmi eux :

- réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 ;

- réduire la consommation énergétique de 20 % en 2030, puis de 50 % en 2050 ;

- réduire la consommation énergétique primaire des énergies fossiles de 30 % en 2030 ;

- porter la part des énergies renouvelables à 32 % de la consommation d'énergie en 2030 et à 40 % de la production d'électricité ;

- enfin, réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025.

La politique conduite en 2017 par le nouveau Gouvernement français s'inscrit dans la continuité de cette loi de 2015. Publié en juillet 2017, le nouveau « plan climat » renforce encore les ambitions françaises en matière énergétique, avec l'idée de permettre à la France de devenir « le n° 1 de l'économie verte » en doublant ses efforts de recherche publique dans le domaine de la transition énergétique d'ici 2020. Il prévoit aussi de faire de la rénovation thermique une priorité nationale, d'arrêter la vente de véhicules alimentés par des hydrocarbures et de sortir progressivement de la production d'hydrocarbure d'ici à 2040.

Il y a quelques semaines, le 7 novembre, Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire, a expliqué que l'objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025 ne pourra pas être atteint.

Cet objectif a été repoussé par réalisme car il présente un risque de multiplication par deux des émissions de CO2, et ce même en portant la part des énergies renouvelables de 13 à 34 % sur la période. Il faut reconnaître qu'en dépit de la volonté de nos gouvernements, l'actuel comme le précédent, qui vise à abaisser la part du nucléaire dans le mix énergétique français, nous n'avons pas encore arbitré les modalités concrètes de cet objectif et la fermeture progressive de nos centrales nucléaires n'a pas encore été planifiée.

Notre Gouvernement travaille désormais sur des échéances plus lointaines de diminution à 50 % de la part du nucléaire dans la production d'électricité, comme 2030 ou 2035, ce qui se rapproche de la doctrine de l'OPECST en la matière. Nous avons ainsi publié en 2011 avec mon collègue et ami Christian Bataille, au nom de l'OPECST, un rapport sur l'avenir de la filière nucléaire dont je vous recommande la lecture, qui proposait d'inscrire l'avenir de la filière nucléaire dans une « trajectoire raisonnée » jusqu'à la fin du XXIe siècle, à savoir une réduction de la part de l'énergie nucléaire à un niveau de 50 à 60 % de la production totale actuelle vers 2050. Notre Gouvernement gagnerait beaucoup à s'inspirer de ce scénario.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Cher collègue, nous vous remercions de cette intervention qui a le mérite de faire le point sur la politique énergétique française, ce qui intéresse évidemment les membres de la délégation russe et, par ailleurs, de rappeler nos convictions telles qu'elles ont été exprimées par l'Office et, ce, d'une façon constante. Je me tourne vers les parlementaires ici présents et leur demande s'ils souhaitent interroger chacun des intervenants sur leur communication.

Mme Natalia Pouzyreff, députée. - Je suis membre du groupe d'amitié France-Russie et du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), mais ma question porte plutôt sur le mix énergétique de la Russie. Effectivement, j'ai été interpellée par le fait que, dans votre production d'électricité, 65 % provient encore du charbon et je voudrais revenir sur les projections que vous pouvez partager avec nous concernant, soit l'augmentation de la part du nucléaire, soit l'utilisation de nouveaux types d'énergie. Comment envisagez-vous donc de réduire la part du charbon dans le mix énergétique de la Russie et que pensez-vous de l'accord de Paris et des trajectoires que la France a initiées pour favoriser les énergies bas carbone ?

M. Gennady Skyar. - Je vous remercie pour cette question et tiens à attirer votre attention sur le fait qu'en Russie la composition du mix énergétique ne changera pas dans les prochaines années. La Russie va continuer à travailler sur toutes les sources d'énergie. Selon nos évaluations, les besoins en électricité augmenteront en Russie, or nous sommes membres de l'accord de Paris et nous aimerions baisser les rejets de CO2 bien évidemment, mais notre difficulté est liée aux zones où sont implantées nos centrales à charbon. Il s'agit de la partie centrale de la Russie, où il serait difficile de les fermer rapidement. Nous sommes toutefois en train de discuter de cette possibilité, car il est clair qu'il faut remplacer les centrales classiques à charbon par des centrales à gaz.

Deuxièmement, l'énergie propre se développe et on note la croissance du développement de cette source : on travaille ainsi sur des centrales éoliennes, des panneaux solaires... Et Rosatom, en charge du développement du programme nucléaire de la Russie, est un leader en Russie quant au développement des centrales éoliennes. Mais malheureusement, cela conservera un caractère limité, c'est-à-dire que le pourcentage de cette part d'énergie ne sera pas très important, tandis que le gaz russe sera utilisé en tant que source d'énergie, notamment pour l'industrie chimique et pétrochimique, permettant une baisse des rejets carboniques.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je remercie M. Gennady Skyar pour la clarté de sa réponse, qui n'est peut-être pas complètement satisfaisante pour celle qui a posé la question. Je me permettrai d'intervenir vers Bruno Sido et surtout vers notre intervenant russe : je souhaiterais poser une question sur le cycle fermé afin de savoir quel est le calendrier et l'état d'avancement en Russie en la matière et où en est la coopération avec la France sur ce point. Les centrales en cycle fermé offrent, en effet, des perspectives nouvelles quant à la gestion du cycle du combustible.

M. Gennady Skyar. - Je vous remercie de votre question. J'ai dit, dans ma présentation, que nous attachons une grande importance au développement des réacteurs à neutrons rapides (RNR). Or, pour résoudre le problème de la fermeture du cycle du combustible, ce sont avant tout les RNR qui sont des projets clés. Grâce aux réacteurs de ce type, on améliore le taux de combustion, ce qui permet de réduire la partie nocive parce qu'on brûle plus d'actinides. Et donc, comme je l'ai dit tout à l'heure, la Russie a pris la décision de développer ces types de réacteurs.

Nous espérons beaucoup que le projet Astrid, développé actuellement en France, soit une opportunité intéressante pour la coopération entre les spécialistes de nos pays. Nos experts russes sont impressionnés par les échanges qu'ils ont avec leurs collègues français et par les travaux menés en France, dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je vous remercie, au nom de l'Office parlementaire, de ce témoignage d'intérêt, notamment pour la coopération sur le projet Astrid. Je vous propose d'aborder le deuxième point de l'ordre du jour, qui a trait à la gestion des déchets radioactifs et au cycle du combustible. Je vais donner la parole à M. Alexey Dmitrienko, membre du comité de la politique économique du Conseil de la Fédération, pour qu'il nous présente la législation russe encadrant le secteur nucléaire.

M. Alexey Dmitrienko, membre du comité de la politique économique du Conseil de la Fédération. - Je vais présenter en quelques mots la législation russe dans le domaine de l'énergie nucléaire. Celle-ci fait partie intégrante de la législation générale de la Fédération de Russie, qui comprend les lois fédérales, les actes législatifs ainsi que les normes et règlements.

Au niveau organisationnel, il est inscrit dans notre constitution que l'énergie nucléaire et les matières fissiles relèvent du gouvernement de la Fédération de Russie. Sur le plan législatif, les normes sont donc fixées au niveau de l'État fédéral, tout comme les droits et responsabilités des fonctionnaires, des organismes, et des pouvoirs publics dans ce domaine.

En la matière, les composantes principales du droit sont, d'une part, la loi fédérale sur l'utilisation de l'énergie nucléaire, d'autre part, la loi fédérale sur la radioprotection de la population. Ces lois fédérales définissent les normes en matière de sûreté, de sécurité, et de radioprotection de la population et de l'environnement.

Les actes principaux relatifs à l'utilisation de l'énergie nucléaire comprennent la loi fédérale sur la gestion des déchets radioactifs. L'objectif de cette loi est de mettre fin à l'accumulation des problèmes dans la gestion des déchets radioactifs, et de gérer la transition vers l'enfouissement sécurisé de ces derniers sur le territoire de la Fédération de Russie. Elle concerne les déchets historiques, aussi bien que les déchets en cours de production.

Par ailleurs, la loi fédérale sur la corporation d'État Rosatom couvre tout ce qui concerne cette dernière. Elle définit les objectifs de sa création, ses fonctions et la gestion de son activité. Elle concerne la mise en oeuvre et la liquidation, le cas échéant, de la corporation d'État. Elle définit également les modalités d'organisation du secteur électronucléaire. Un décret présidentiel et un décret gouvernemental précisent certaines des dispositions de la loi.

Il existe également une loi sur l'utilisation de l'énergie nucléaire. Ce qui est important pour l'énergie atomique, c'est le contrôle d'État et la surveillance. Au niveau fédéral, ce contrôle est réalisé sur la base de la loi sur la protection des droits des personnes physiques et des organismes. La loi précise par ailleurs le rôle du contrôle au niveau municipal et régional. Le mécanisme de délivrance des autorisations est aussi spécifié dans la loi sur l'utilisation de l'énergie nucléaire.

Le document principal sur la régulation dans le domaine du nucléaire, est la loi fédérale sur la régulation. En fait, cette loi permet de spécifier la standardisation des matériels et des matériaux utilisés dans le nucléaire. Les conditions imposées à ces matériels et matériaux sont plus strictes et plus sévères que pour d'autres industries dans le pays. Une loi fédérale porte sur la standardisation dans la Fédération de Russie.

Il existe également beaucoup de lois et actes réglementaires sur les achats de Rosatom. Les corporations d'État doivent suivre strictement la loi sur les achats, applicable à toutes les industries russes. Il existe également une loi fédérale sur le système contractuel relatif aux achats de produits, travaux et services. Les activités de Rosatom sont régies par cette loi fédérale.

La loi fédérale couvre aussi les aspects de protection de la population et de l'environnement. Ce dernier point est particulièrement d'actualité en 2017, puisque la Russie l'a déclarée année de l'écologie. On peut citer, sur cet aspect, la loi fédérale sur la corporation d'État Rosatom, qui décrit les règles d'utilisation de l'énergie nucléaire pour protéger l'environnement. Par ailleurs, la loi fédérale relative à la protection de l'environnement définit les exigences fondamentales dans ce domaine. La construction et l'implantation des sites nucléaires sont régies par la loi fédérale sur la sécurité des sites industriels de production.

N'oublions pas la loi fédérale sur la protection radiologique de la population, qui définit les responsabilités des pouvoirs publics en matière de radioprotection de la population. Quant à la loi fédérale sur la sécurité industrielle des sites de production, elle définit les normes pour les ouvrages ou constructions dans le domaine de l'énergie nucléaire. Enfin, la loi fédérale intitulée statut disciplinaire du personnel des organisations exploitant des unités ou des sites présentant des risques radiologiques fixe les normes de sécurité au travail pour les travailleurs du nucléaire, ce qui est très important sur les sites à risque.

Pour conclure, je souligne que la législation russe dans le domaine de l'énergie nucléaire, est précisée et complétée par les décrets gouvernementaux et présidentiels, les standards et les normes russes dans ce domaine. Ces différents actes législatifs et réglementaires sont actualisés en fonction des défis de notre temps.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je crois que cette présentation donnera lieu à des questions, destinées à compléter les explications fournies. Mais je propose d'entendre immédiatement M. Christian Bataille, qui apportera un éclairage sur la législation dans notre pays. Il est vrai qu'il s'identifie totalement au combat mené pour doter notre pays d'une législation opérationnelle en matière de gestion des déchets nucléaires. Sa loi de 1991 demeure la pierre angulaire et la fondation du système français en ce domaine.

M. Christian Bataille, député honoraire, ancien vice-président de l'Office. - Je vous remercie de ces propos flatteurs, Monsieur le Président Longuet. À mes collègues parlementaires français, je veux dire mon plaisir de revenir parmi eux très momentanément, et exprimer mes amitiés à la délégation de parlementaires russes, que j'avais accueillie, au nom de l'Office, voici trois ans. La composition de cette délégation était différente, mais nous avions échangé sur les mêmes sujets.

Mon propos d'aujourd'hui illustrera la complémentarité des décisions du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. La Constitution donne à l'exécutif des pouvoirs forts, mais l'intervention du pouvoir législatif, pour encadrer par la loi l'action du Gouvernement, est indispensable.

Je vais me reporter loin en arrière. En 1989, le Gouvernement français était en panne de solution pour le stockage des déchets de haute activité. La culture nucléaire française avait été jusqu'alors plutôt de nature autoritaire. La création d'un parc de centrales nucléaires avait été décidée par le Gouvernement seul. À l'époque, ce dernier butait sur la définition d'un laboratoire de recherche sur le stockage des déchets.

Pour ces raisons, le Premier ministre de l'époque, Michel Rocard, a arrêté la campagne d'exploration gouvernementale en cours et a demandé à notre Office parlementaire de réaliser un rapport sur la question. L'Office m'a désigné pour cela. J'étais à l'époque un jeune député. J'ai publié, un an plus tard, un rapport sur la stratégie de gestion des déchets radioactifs de haute activité. Ce rapport conserve toute son actualité. Il peut toujours être consulté sur le site de l'Office. Il a débouché sur la loi qu'évoquait le président Gérard Longuet, celle du 30 décembre 1991.

Les recommandations de ce rapport ont servi de base à cette loi, qui a été déterminante. Elle a notamment défini trois axes de recherche, ouvrant la voie à l'avenir. J'insiste bien sur les trois voies de recherche même si, bien entendu, c'est le stockage profond qui fait débat aujourd'hui. La loi avait notamment encouragé les recherches, par le CEA et des équipes universitaires, sur la réduction de la radioactivité à long terme, par le processus de séparation-transmutation. Ces recherches sont toujours en cours, même si on n'a pas débouché sur la volatilisation des déchets. Il a fallu, dans le même temps, entreprendre des études pour le stockage géologique profond. Le troisième axe était l'entreposage en surface, qui était déjà largement entamé.

La loi a également créé une commission indépendante, constituée de scientifiques de haut niveau : la Commission nationale d'évaluation qui, dans sa deuxième version, continue de remettre annuellement un rapport. Elle prévoyait aussi la création d'un ou de plusieurs laboratoires souterrains. En tant que rapporteur parlementaire, je n'avais pas lésiné : j'avais recommandé deux ou trois laboratoires. Finalement, le Gouvernement a décidé d'un seul laboratoire, sur le site qui s'avérait le plus prometteur. Par ailleurs, la loi a transformé l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), qui était une sous-direction du CEA, en établissement public autonome. Je veux rappeler que l'ANDRA est un outil du Gouvernement, et traduit sa volonté. Ce n'est pas un outil parlementaire. Enfin, la loi de 1991 prévoyait un rendez-vous législatif, quinze ans plus tard, destiné à faire le point sur l'avancement des recherches, et à décider des solutions à mettre en oeuvre.

Pendant cette période de quinze ans, de 1991 à 2005, le Parlement a continué à s'intéresser à la question, à la suivre au travers de plusieurs rapports de l'Office parlementaire. Le sénateur Bruno Sido a fait allusion à l'un d'eux. J'ai contribué à plusieurs de ces rapports. J'ajoute, mais ce n'est pas le sujet aujourd'hui, qu'entre temps, j'avais été chargé par le gouvernement du Premier ministre, Édouard Balladur - j'étais d'ailleurs le seul parlementaire d'opposition chargé de mission - d'un rapport de médiation pour le laboratoire, que je suis allé remettre dans le bureau de M. Gérard Longuet, alors ministre de l'industrie.

Tout cela a conduit à la loi du 28 juin 2006, relative à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs, quinze ans plus tard, conformément à ce qu'avait prévu la première loi. Bien sûr, j'ai participé activement à ce débat.

La loi de 2006 prenait acte des résultats des recherches sur les trois axes décrits à l'instant : séparation-transmutation, stockage profond, et entreposage en surface. Elle a également institué un plan national pour la gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), qui continue à être réalisé. Juste avant la fin de la précédente législature, j'ai remis le troisième rapport d'évaluation du PNGMDR, chacun de ces plans étant évalué par l'Office parlementaire. Cette loi prévoit également l'obligation, pour les producteurs de déchets radioactifs, de sécuriser les sommes nécessaires au financement du démantèlement de leurs installations, et à la gestion de leurs déchets radioactifs. Cette deuxième loi, très positive, ouvrait la voie à la suite.

Cette suite s'est concrétisée, dix ans plus tard, par la loi du 25 juillet 2016, venue du Sénat, à l'initiative du président Gérard Longuet, qui a déposé une proposition de loi pour définir la notion de réversibilité. Ce terme figurait dans tous les rapports, mais n'était pas inscrit dans la loi. Il s'agit de la capacité, donnée aux producteurs de déchets, de les reprendre dans un éventuel stockage si, pour une raison scientifique, les progrès permettaient de les réduire d'une autre façon, et de leur donner un autre destin que le stockage. La réversibilité a donc été inscrite, et votée par les députés et sénateurs.

Cette loi a aussi prévu que l'exploitation du stockage commencerait par une phase industrielle pilote, ayant pour objectif de démontrer la sûreté de l'installation par des essais en grandeur réelle, amplifiant les résultats du laboratoire de Bure, que vous avez visité hier. L'autorisation de poursuivre l'exploitation du centre de stockage sera donnée vers 2025, après un examen approfondi des résultats de cette phase pilote, et un nouveau rendez-vous parlementaire.

Quelles seront les toutes prochaines étapes ? Vous avez pu constater que le Parlement a largement oeuvré, que le Gouvernement ne s'est pas contenté d'observer, mais est quand même resté en position d'attente. Je dirais que la balle est maintenant dans le camp de l'exécutif. Le projet de stockage géologique profond est un grand projet d'infrastructure, sans doute en la matière le plus grand d'Europe. D'ici 2019, l'ANDRA devra déposer le dossier de demande d'autorisation de création du futur stockage. Il s'agit d'un document très technique, mais on n'imagine pas que l'ANDRA procède à cet acte fondateur sans que le Gouvernement lui ouvre la porte.

Je suis convaincu que le processus que nous avons suivi pour préparer ce projet, les garanties apportées sur le plan scientifique par plus de vingt-cinq années de recherches, et l'organisation mise en place pour le suivi de sa sûreté, nous permettront de disposer d'un centre de stockage offrant les meilleures garanties en termes de sûreté.

Le Parlement français joue un rôle essentiel, depuis un quart de siècle, dans la définition de la politique de gestion des matières et déchets radioactifs. Les députés et sénateurs de l'Office ont assuré, malgré les changements successifs de majorité et les aléas de la démocratie, la continuité du suivi de ce dossier, et ont toujours veillé à ce que les engagements pris devant les citoyens soient bien respectés.

Je dirais, pour résumer cette phase législative, que la main du législateur n'a pas tremblé pour voter les lois nécessaires. Je considère que l'intervention du Parlement dans un tel dossier d'importance nationale est essentielle, parce qu'elle représente une des manières fondamentales de prendre en compte la dimension sociétale de la question du traitement des déchets radioactifs.

Pour conclure, je formulerai trois considérations qui me paraissent majeures. La première porte sur la durée. Je vous ai raconté presque une épopée, qui commence en 1989, voici presque trente ans. La durée est la première caractéristique des dossiers touchant au nucléaire en général, avec une échelle de temps de quarante-cinq à cinquante ans. Si l'on considère le délai qui devra encore s'écouler avant que le premier colis de déchets ne descende dans le centre de stockage, soit sans doute encore une dizaine d'années, vous voyez que nous sommes à quarante ans, qui seront peut-être dépassés.

La deuxième caractéristique importante de ce dossier concerne le dépassement des clivages politiciens, et le dialogue continu avec les interlocuteurs de terrain. L'Assemblée nationale et le Sénat, qu'ils aient eu des majorités de droite ou de gauche, à tour de rôle, n'ont pas varié, malgré les pressions extérieures des milieux associatifs, et de milieux politiques très minoritaires.

Enfin, je termine par ma dernière considération, en revenant à l'observation que je faisais tout à l'heure sur les hésitations de l'exécutif. La fermeté des législateurs doit être maintenant relayée par la détermination du pouvoir exécutif, qui devra prendre désormais des décisions, pour conduire à bon port ce dossier fondamental, décisif pour la politique énergétique de notre pays.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je remercie Christian Bataille pour sa présentation extrêmement claire, qui insiste sur ces trois caractéristiques de la gestion des déchets nucléaires dans notre pays : la continuité dans le temps, qui n'est pas une caractéristique si fréquente dans les grandes politiques industrielles ou scientifiques ; le caractère trans-courants, il y a des opposants, mais il y a un corps central de parlementaires de gauche et de droite assez convaincus de la nécessité du projet ; in fine, il l'a dit avec malice, si les parlementaires ont voté avec clarté, de façon continue, l'exécutif a souvent eu la tentation de laisser à d'autres le soin de régler les problèmes. Je rajouterai de la malice à la sienne en notant qu'au fond, on sait bien qu'il faut régler la situation des déchets existants. À partir du moment où l'on a trouvé des parlementaires qui acceptent de prendre leurs responsabilités, il y a un tel soulagement chez leurs collègues qu'ils les encouragent à prolonger leur action, pour être certains de ne pas être un jour sollicités. Je dis cela, évidemment, en plaisantant, et laisse la parole à Monsieur Vladimir Panov, qui va nous présenter la situation dans son beau pays.

M. Vladimir Panov, vice-président du comité pour l'écologie et la protection de l'environnement de la Douma. - Je voudrais élargir un peu le spectre des questions abordées aujourd'hui. À la Douma, je suis également le président du groupe de travail qui traite des questions de gestion des déchets, qui sont pleinement inclus dans notre cadre législatif. Je voudrais attirer avant tout votre attention sur la loi n°107 de la Fédération de Russie, relative à la protection de l'environnement, qui sert de base aux relations entre la société civile russe et le domaine de l'énergie nucléaire. Je pense qu'aujourd'hui nous pouvons dire, avec certitude, que nous approchons de grands changements dans ce domaine.

Vous savez que la législation repose en premier lieu sur quelques notions de principe, mais que nous constatons souvent - je pense que cela doit aussi être le cas en France - des vides juridiques qui nous empêchent de régler les questions fondamentales. Nous avons ainsi plusieurs notions de base dans notre loi. Les premières concernent le dommage à l'environnement, la contamination de l'environnement, l'impact négatif sur l'environnement, les dommages cumulés à l'environnement, et les indices normatifs d'impact sur l'environnement.

Je ne sais pas si vous avez remarqué que toutes ces notions sont très proches. Mais leur application, dans notre cadre législatif, conduit à des retombées différentes. Par exemple, quand on parle de dommages à l'environnement, il s'agit des changements dans l'environnement liés à l'impact négatif sur l'environnement résultant d'une contamination. Si on parle de contamination, il s'agit des retombées des déchets nucléaires dans l'environnement, qui peuvent l'impacter de façon négative. Toutes ces notions sont liées entre elles, et, de temps en temps, il faut revenir sur ces notions, pour les expliciter.

Nous comprenons très bien que chaque activité humaine peut, d'une manière ou d'une autre, impacter l'environnement et le contaminer. Le plus important est de tracer une ligne rouge, et de dire que jusqu'à cette ligne rouge, les conséquences sont acceptables pour la société, et au-delà de cette ligne rouge, inacceptables. Si l'on parle de ligne rouge, nous voyons que plusieurs des notions énumérées ci-dessus sont négatives alors que, pour d'autres, il demeure une incertitude sur l'acceptabilité. Par conséquent, je pense qu'en regardant ces cinq notions, nous pouvons déjà conclure qu'il faut absolument apporter des correctifs dans la législation. La Douma travaille sur ces aspects.

Nous avons deux mécanismes qui nous permettent de réguler la protection de l'environnement. Ce sont, d'une part, les coûts liés à l'impact négatif environnemental inclus dans le budget, et d'autre part, le mécanisme des frais de dédommagement. Si vous étudiez les exemples que je vais citer, vous comprendrez que l'environnement concerne seulement l'eau et l'atmosphère. Les lois adoptées dans ce domaine, notamment en 2002, montrent une réelle absence de mécanisme de calcul.

Par exemple, l'une des questions sur lesquelles nous travaillons aujourd'hui concerne les exportations de charbon. Si l'on regarde ces exportations, on peut constater que ce sont les zones portuaires qui servent de points de passage clés pour ces exportations. La question de l'impact environnemental est donc cruciale dans ces zones, où le charbon est rejeté constamment dans l'atmosphère, sous forme de poudre de charbon qui se diffuse dans les zones habitées. Nous ne disposons absolument d'aucune méthode ou moyen de calcul de cet impact. Même nos agences de surveillance, spécialisées sur la question, n'arrivent pas à élaborer les mécanismes qui permettraient de calculer les rejets de cette poudre de charbon dans l'atmosphère. On essaie de faire le nécessaire pour limiter les dégâts, mais nous n'avons pas encore de méthodologie de calcul, pour mesurer l'impact environnemental de ces exportations.

Je voudrais également partager avec vous quelques chiffres. Nous avons fait réaliser des campagnes d'évaluation de l'impact environnemental. Ainsi, sur l'année 2012, nous n'avons réussi à évaluer que 7,7 % de l'impact environnemental. Nous n'avons pas le budget nécessaire pour enrayer ces tendances. Il faudrait vraiment apporter des correctifs de fond, pour pouvoir y faire face.

Sur la base de cette législation, nous essayerons de traiter le problème. En ce qui concerne la situation actuelle, liée à la gestion des rejets atmosphériques, nous sommes au tout début de ce processus. Si l'on regarde les statistiques, nous avons par exemple 100 milliards de tonnes de déchets sur le territoire national, et chaque année nous générons 3,5 milliards de tonnes de déchets supplémentaires. Je parle bien du volume annuel. Nous essayons d'acheminer ces déchets vers les centres de stockage dispersés sur le territoire national mais, encore une fois, nous sommes vraiment au tout début de ce de ce processus.

Il existe cependant une obligation qui s'impose aux entreprises et agences pour gérer le retraitement de leurs déchets. Si elles ne le font pas, elles doivent payer une contribution au budget fédéral, pour qu'on puisse les gérer ensuite à un autre niveau.

À présent, je voudrais évoquer le niveau législatif. Si l'on parle de déchets solides, en ce qui concerne le stockage il n'y a pas trop de problèmes. Par contre, les aspects de recyclage et de décontamination ne sont, pour l'instant, toujours pas réglés. Nous allons apporter au mois de décembre trente amendements à notre législation pour essayer de corriger ces manques.

Nous avons besoin de normes spécifiques pour traiter les déchets radiologiques, aussi bien sur les aspects de stockage, de recyclage, que de décontamination. En ce qui concerne les déchets radioactifs, nous avons fait, sur le plan du stockage, un travail colossal, grâce à une importante contribution de Rosatom. Si l'on parle des déchets radioactifs, je pense que c'est peut-être la seule catégorie de déchets pour laquelle la gestion fonctionne bien, et pour laquelle tout est prévu dans la législation russe.

Nous avons également le système d'État de suivi et de comptabilité. C'est un système commun. Quand il s'agit de déchets et de matériaux nucléaires, la situation est un peu plus complexe. Nous essayons de tout contrôler le mieux possible.

Si on parle de changement dans la structure législative, nous avons bien sûr, d'une part, l'héritage du démantèlement de l'Union soviétique, d'autre part, une deuxième période où nous continuons à accumuler les déchets radiologiques. Avant, il n'y avait aucune politique de retraitement ou de décontamination des déchets. La seule chose prévue était le stockage des déchets nucléaires.

Désormais nous avons une gestion unifiée, avec un système très transparent et, je dirais, plus efficace. Nous avons un opérateur national unique NO RAO, qui est responsable du stockage de ces déchets. Il faut évoquer aussi la participation du secteur privé, qui travaille avec des licences et suit des procédures strictes. À l'entrée et à la sortie des installations sous contrôle de l'État, tous les acteurs, y compris privés, peuvent opérer sur le marché, et donc participer à ce système de retraitement de déchets.

Je voudrais également m'arrêter sur les investissements pour le stockage de ces déchets. Nous avons un fonds de réserve, qui nous permet d'élaborer les programmes d'investissement, pour assurer la réalisation des infrastructures nécessaires à la gestion des déchets radiologiques et nucléaires.

Dans la période de 2008 à 2015, un programme fédéral a été doté d'un budget de 141 milliards de roubles. Nous prévoyons de nouveaux investissements, à partir de l'année prochaine, à hauteur de 577 milliards de roubles. Vous voyez quel est le développement du système d'isolation définitive des déchets en Russie. Parfois, nous sommes conduits à prolonger certains calendriers de réalisation.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Nous vous remercions d'avoir réussi à traiter un sujet aussi vaste en un temps aussi limité. Permettez-moi d'exprimer un voeu personnel, c'est que nous puissions approfondir et comparer nos solutions, parce que manifestement vous êtes très engagé et très impliqué, mais je reste un petit peu sur ma faim. Je ne suis pas certain d'avoir tout évalué et tout compris, mais j'ai confiance dans notre coopération internationale. Par ailleurs étant président au Sénat du groupe d'amitié France-Russie, le sujet mériterait un séminaire qui soit dédié à cette seule confrontation.

Mme Natalia Pouzyreff, députée. - Monsieur Alexey Dmitrienko a bien expliqué que les lois fédérales russes, tout comme les lois nationales françaises, sont là pour jeter la base de ce qui doit être fait en matière de sûreté nucléaire. Sur ce point, je n'exprimerai aucun doute sur le fait que, dans nos deux pays, le sujet soit pris avec le plus grand sérieux, la plus grande rigueur, et que les lois soient là pour protéger nos pays, et nous prémunir de tout accident majeur.

En revanche, là où l'on peut certainement faire des progrès, aussi bien en Russie qu'en France, c'est sur la garantie que l'on peut apporter quant à la transparence sur l'information en matière de sûreté nucléaire. Je sais que ma collègue Émilie Cariou va en parler tout à l'heure.

Pour rebondir sur les propos de M. Gennady Sklyar, qui appelait à une coopération renforcée entre parlementaires, je voulais aller dans le même sens, et, en partant d'un cas particulier, celui de l'incident ou de l'anomalie qui a été détectée à propos du Ruthénium dans la région de l'Oural ou aux alentours de Tcheliabinsk, vous dire qu'en tant que citoyenne française, et en tant que députée, membre du Haut-Commissariat à la transparence et à l'information sur la sûreté nucléaire, je ne me sens pas suffisamment bien informée, tout d'abord par mes autorités.

Il ne s'agit donc pas de jeter un blâme sur qui que ce soit, mais de dire qu'entre parlementaires, nous devons être très exigeants, et j'en appelle donc à une coopération renforcée. Je pense que les liens existent très certainement entre nos autorités de sûreté nucléaire, mais je voulais vous proposer que nous ayons des échanges peut-être un peu plus organisés sur ce sujet de la communication que nous devons apporter, en toute transparence, à notre population.

M. Pierre Médevielle, sénateur. - En matière de sécurité nucléaire, il est évident que le traitement des déchets représente un sujet très important, indépendamment des choix qui ont été faits par les pays dotés de nucléaire civil ou militaire.

J'ai participé à un voyage à Taïwan, dans le cadre d'une mission sur le traitement des déchets, puisque ce pays a fait le choix, pour des raisons que vous comprendrez aisément, d'arrêter toutes ses centrales. Il est évident que le prix du démantèlement et du traitement des déchets représente un problème que nous avons essayé d'aider à résoudre. De même, en France, le passage à 50 % d'électricité nucléaire n'est pas sans poser de problème. Il va falloir, d'un côté, construire de nouveaux réacteurs et, de l'autre, en démanteler, à un prix qui a été sous-évalué, enfin traiter les déchets.

Tout cela pose évidemment le problème de la sécurité nucléaire et du financement de celle-ci. Je rapporte, depuis quatre ans, sur les crédits alloués à des agences comme l'Autorité de sûreté nucléaire ou l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Ces budgets sont extrêmement tendus, puisque nos agences sont soumises, avec l'arrêt de certaines centrales et la construction de nouvelles, à une multiplication de leurs tâches. Les lignes budgétaires ne suivent pas forcément cet accroissement.

Nous allons devoir, dans un avenir assez proche, repenser totalement le financement de la sûreté nucléaire. Le modèle d'une taxe sur les opérateurs paraît satisfaisant, à condition que la taxe soit intégralement reversée, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui. Nous avons une réflexion à conduire à ce sujet. Je voudrais savoir si, en Fédération de Russie, les crédits alloués à la sécurité nucléaire sont suffisants, et si les agences chargées de la sûreté sont indépendantes. C'est un vaste sujet qui fait partie des domaines régaliens de l'État, dans lequel nous aurons besoin de coopération internationale, pour nous améliorer et valoriser nos recherches.

M. Julien Aubert, député. - Sur le rôle du Parlement sur le sujet nucléaire, j'ai une position peut-être un peu différente de celle de mes collègues. D'énormes efforts ont été faits pour accroître la compréhension, par les citoyens, des dangers attachés à l'activité nucléaire, et la compréhension du cycle. Je porte un regard relativement sceptique sur l'intérêt de la démarche, pour la simple et bonne raison que nous avons mis en place des commissions, censées expliquer comment fonctionnent les centrales et quels sont les dangers liés. En réalité, ce sont très largement des professionnels du sujet qui y participent. Ce n'est pas le citoyen lambda qui pousse la porte pour venir comprendre comment cela fonctionne.

On s'aperçoit aussi, au fur à mesure que la société civile s'empare du sujet, que la notion de ligne rouge mentionnée par l'un de vos collègues n'est pas que scientifique : il y a le risque, et le sentiment par rapport à ce risque. On entre dans des considérations qui sont beaucoup moins objectives, qui peuvent même devenir très subjectives. Or, par définition, quand vous agitez la peur sur un phénomène opaque, il est assez facile d'encourager un débat sans fin sur ce qu'on pourrait faire pour, sans cesse, faire reculer le risque.

Je donne un exemple : il y a une vingtaine de minutes on a appris que des militants de Greenpeace étaient rentrés dans une centrale nucléaire, pour la deuxième ou troisième fois ce mois-ci, au motif que certaines parties des installations ne sont pas suffisamment protégées. Il y a une confusion dans le débat public entre ce qui peut relever de la sûreté nucléaire, c'est-à-dire du fonctionnement du réacteur lui-même, et de la sécurité des installations, et notamment de la protection des piscines. Cette confusion n'aide pas forcément toujours à avoir un débat rationnel.

Même sur les déchets nucléaires, sujet de consensus puisque, que l'on soit pour ou contre l'installation, de toute manière il faut gérer les déchets en aval de celle-ci, vous avez quand même une résistance forte susceptible de s'organiser, par exemple autour de la zone de Bure, où nous sommes en train effectivement de concevoir, comme l'a très bien dit Christian Bataille, ce grand projet scientifique et géologique sur lequel la France a peut-être, aussi, des choses à apporter à d'autres pays.

Peut-être que, sur le démantèlement, nous ne sommes pas forcément aussi avancés. Nous avons provisionné financièrement, mais un débat existe sur le montant de ces provisions pour savoir si elles sont suffisamment conséquentes. Tout dépend, évidemment, de la durée du démantèlement et de ce que nous décidons de faire de nos centrales actuelles. Encore très récemment, on a revu l'horizon 2025 pour baisser la part du nucléaire à cinquante pourcent. Évidemment, si vous dites que l'objectif est reporté en 2050 ou 2060, vous n'aurez pas exactement le même calcul d'investissement pour les réacteurs.

Peut-être que sur le démantèlement nous sommes en retard, mais sur l'entreposage et le stockage profond nous sommes en avance, grâce à de jeunes parlementaires, qui ont défriché le sujet. Simplement, on voit qu'on se heurte quand même à une forme d'opposition radicale sur le sujet.

Il est également vrai, de mon point de vue, que les débats sur le sujet du nucléaire au Parlement sont à la fois satisfaisants, parce qu'on en discute, et insatisfaisants parce que la maîtrise technique fait parfois défaut et qu'on a tendance à se retrancher derrière l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire. Même sur l'évolution du parc, l'exécutif se retranche derrière la décision de celle-ci d'autoriser, ou non, la prolongation des réacteurs. Ainsi, sur un sujet éminemment politique et souverain, celui de l'indépendance énergétique de la France, le débat peut parfois se limiter à agiter la peur, ou à se retrancher derrière des avis purement techniques.

J'ajoute que nous manquons peut-être d'une réflexion sur le financement. À partir du moment où l'on génère du sur-financement pour protéger, pour sécuriser, il y a forcément une évolution de l'équilibre économique de la filière, sur laquelle nous avons une pensée fragmentée, parce qu'on a une Autorité de sûreté nucléaire qui est évidemment là pour s'occuper de sûreté et pas pour regarder le coût attaché. À côté de cela, on a une filière qui essaie de vivre et qui doit évidemment boucler les fins de mois, et prévoir des plans de financement et d'investissement.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - À cet instant, je voudrais faire une proposition qui est d'attendre l'intervention de Mme Émilie Cariou, beaucoup des questions, très pertinentes et très politiques, posées par M. Julien Aubert étant, en réalité, traitées par celle-ci dans son intervention. Madame Pouzyreff, j'ai bien compris votre question. Au fond, il faudrait que nous balayons devant notre porte, parce que nous-mêmes, nos autorités, nos responsables français, n'ont pas assez communiqué sur cette affaire du Ruthénium. C'est le rôle de l'Office parlementaire et de ses membres d'interpeller les autorités françaises compétentes, et de les rappeler au devoir de coopération internationale. Nous savons tous, et depuis longtemps, que les frontières sont des limites politiques, non des obstacles culturels, scientifiques, ou environnementaux.

Je vais peut-être demander à un de nos amis russes, s'il a envie de répondre à la question de M. Pierre Médevielle sur le niveau du financement. Le plus vraisemblable est que vous répondrez qu'il est conséquent, mais pas suffisant. Je vais quand même laisser M. Gennady Sklyar répondre, s'il le souhaite, à cette question sur les moyens financiers de la gestion des déchets sur le long terme.

Une observation m'a frappé dans l'intervention de M. Vladimir Panov, c'est que les déchets changeaient de propriétaire lorsqu'ils étaient stockés. Nous avons fait, en France, un choix différent, parce qu'on considère que le déchet doit rester propriété de celui qui l'a produit, en espérant que ce dernier génère un chiffre d'affaires suffisant pour financer la gestion durable de la sécurité de l'entreposage du déchet. Sur ces questions de financement de la gestion des déchets, voulez-vous intervenir ?

M. Gennady Sklyar. - Je voudrais reformuler la question. Je pense que le plus important, c'est le résultat. Comparons ce qui s'est passé en Russie avant 2011, avec un modèle qui n'était peut-être pas équilibré, faute de ligne directrice unique, avec seulement des politiques au niveau local, avec la situation d'aujourd'hui, où nous avons une gestion centralisée, accompagnée des investissements nécessaires.

J'espère que vous avez vu que notre travail était assez planifié, si bien que nous connaissons les ressources nécessaires pour régler ces problèmes. Donc, je ne peux pas dire qu'aujourd'hui en Russie il n'y a pas de financement, ou que le financement est insuffisant pour la gestion des déchets. Je pense que le problème porte plus sur la régulation, avec le recensement et l'évaluation des déchets, etc. Je vous prie de m'excusez si je n'ai pas été assez clair sur ce point.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je crois que c'est un élément complémentaire utile.

Mme Sonia Krimi, députée. Députée de la Manche, j'ai une usine de traitement de combustibles nucléaires dans ma circonscription, et la centrale de Flamanville n'est pas très loin. Je vais commencer par féliciter tous les intervenants, parce que vous avez fait le choix du traitement des combustibles nucléaires. Ce n'est pas le cas de beaucoup d'autres pays.

J'aimerais revenir sur ce que M. Julien Aubert a précisé concernant les peurs. Bien évidemment, quand on ne connaît pas, on a peur. J'ai travaillé pendant trois ans dans cette usine, avant de devenir parlementaire. J'y suis également arrivée avec des peurs, avec des petites blagues sur le fait que je deviendrais radioactive.

Des gens de tous les jours travaillent dans ces usines-là sans être des experts pointus de la question nucléaire. Mais ils côtoient, par milliers, cette industrie, et se sentent concernés. Dans toutes les régions de France, on a des installations nucléaires. Dire que le débat français est opaque, qu'on ne sait rien, qu'on ne nous dit rien, qu'on a une fronde systématique, je pense que ce n'est pas totalement vrai. L'ASN, l'IRSN, l'ANDRA, tous ces organismes existent en France. Ils sont forts et peuvent entrer dans ces usines.

Personnellement, je suis docteur en gestion, non ingénieur nucléaire. Pourtant, je comprends très bien le dernier rapport de l'ASN sur le couvercle du réacteur de Flamanville. Il n'est pas nécessaire d'avoir fait de longues études pour comprendre réellement ces rapports.

J'ai une question pour M. Vladimir Panov sur la coopération internationale. Nous avons besoin d'une meilleure coopération entre parlementaires, au nom de cette solidarité sur un sujet qui concerne tout le monde. J'ai vu beaucoup de points d'interrogations sur la partie traitement des combustibles nucléaires dans votre présentation. Je me pose une question beaucoup plus technique : des travaux et des calculs sont-ils en cours pour maîtriser la radioactivité de ces déchets ? En travaillant à La Hague, j'ai vu des ingénieurs qui effectuent des calculs très précis sur la radioactivité de nos combustibles nucléaires.

M. Vladimir Panov. - Je vais essayer de répondre. Sur la dernière diapositive, j'ai montré nos prévisions pour la période allant jusqu'en 2025, pour le développement de systèmes d'isolation définitive des déchets et la préparation des infrastructures.

Je ne dirai pas que tout est fait ou que tout est déjà réglé, mais que nous avons simplement suffisamment de financements pour résoudre ces problèmes. Mais si on s'arrête sur l'expertise française, sur le laboratoire que nous avons visité hier par exemple, c'est vraiment un très bon exemple de gestion des déchets. En Fédération de Russie, nous essayons de suivre votre expertise, en parallèle.

Je pense que tous les pays du monde, pas seulement la France et la Russie, devraient unir leurs efforts pour avancer ensemble. Je voudrais revenir au début de ma présentation, quand j'ai parlé des vides juridiques qui existent dans notre législation. Je pense qu'il serait très intéressant aussi de travailler ensemble sur ce sujet, parce que ce n'est pas seulement une question de terminologie, ce sont des choix moraux.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je vous suggère d'entendre Mme Émilie Cariou, d'autant que le sujet de son intervention est au coeur de votre réflexion sur le nucléaire et la société.

Mme Émilie Cariou, députée. - Je tiens, en préambule, à remercier nos collègues parlementaires russes qui nous font l'honneur de leur présence ici à Paris, dans le but d'un échange que nous espérons fructueux sur le long terme, sur notre rôle au regard de la gestion du nucléaire, vis-à-vis des citoyens de nos États respectifs, que nous représentons par le mandat qui nous a été accordé. Je tiens également à préciser que c'est un honneur pour moi d'intervenir, juste après les éminents parlementaires français qui m'encadrent, et qui, par leur expertise, ont contribué au cadre législatif français en matière nucléaire, que nous appliquons aujourd'hui.

Je vais vous présenter le rôle de la transparence et de la participation de la société civile dans la sûreté nucléaire en France. En France, comme dans beaucoup de pays, l'industrie nucléaire est née des applications militaires de l'atome. Il n'est donc pas surprenant que les scientifiques et les ingénieurs qui ont contribué à sa création n'aient pas beaucoup communiqué sur leurs activités. Cette culture du secret, solidement ancrée, a perduré pendant plusieurs décennies, malgré la création d'une filière nucléaire civile indépendante à partir des années 1960.

Ce n'est qu'en 2006, qu'une loi est venue affirmer l'importance de la transparence et de la participation du public en matière de sûreté nucléaire. Il s'agit de la loi du 13 juin 2006, relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite loi TSN. Cette même loi a donné au système français de sécurité nucléaire un fondement législatif qui n'existait pas jusqu'alors, et a créé l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, qui est une autorité administrative indépendante, responsable du contrôle des activités nucléaires civiles.

L'Office parlementaire n'avait pas été directement impliqué dans l'élaboration de cette loi mais ses deux rapporteurs au Sénat, MM. Henri Revol et Bruno Sido, en étaient membres et un rapport au Gouvernement du précédent président de l'OPECST, M. Jean-Yves Le Déaut, intitulé « La longue marche vers la transparence », en a inspiré les principales dispositions. La même année, cette volonté du législateur d'imposer la transparence dans les activités nucléaires, a été prolongée, pour la gestion des déchets radioactifs, par la loi du 28 juin 2006 mentionnée par M. Christian Bataille. Ces deux lois ont institué plusieurs instances d'information et de concertation qui jouent aujourd'hui un rôle essentiel dans la transparence des activités nucléaires et la participation du public en France.

En premier lieu, je pense aux commissions locales d'information (CLI), dont je suis moi-même membre dans ma circonscription de la Meuse. M. Julien Aubert a mentionné que ces commissions attirent aujourd'hui essentiellement des personnes qui sont expertes. Mais, à travers ces experts, on dispose d'un relais qui infuse dans toute la société civile via les réseaux associatifs. Je pense qu'aujourd'hui, et notamment avec Internet, on peut trouver des masses d'information qui émanent de ces commissions mais aussi de tous les rapports qui sont rendus public, qu'a mentionnés ma collègue Sonia Krimi. Ces commissions sont créées auprès de chaque site d'installations nucléaires. Elles sont chargées d'une mission de suivi, d'information et de concertation avec les collectivités locales et la population, en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. Elles sont composées de représentants des collectivités locales, de parlementaires élus dans le département, de représentants d'associations de protection de l'environnement ou d'intérêts économiques, d'organisations syndicales de salariés et de professions médicales ainsi que de personnalités qualifiées. Ces commissions locales d'information reçoivent les informations nécessaires de la part de l'exploitant et de l'Autorité de sûreté nucléaire. Elles peuvent faire réaliser des expertises. Elles peuvent aussi faire procéder à des mesures relatives aux rejets des installations dans l'environnement. Les trente-cinq commissions sont fédérées au sein d'une association nationale, l'ANCCLI, qui comprend elle-même de nombreuses instances internes de travail, un comité scientifique, des groupes permanents et des groupes de travail transfrontaliers.

En deuxième lieu, la loi du 13 juin 2006 a créé le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Ce comité pluraliste est composé de parlementaires, de représentants des commissions locales, dont nous venons de parler, d'associations de protection de l'environnement, de responsables d'activités nucléaires, d'autres organisations syndicales, de personnalités qualifiées et de représentants de l'Autorité de sûreté nucléaire, et aussi de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, ainsi que des services compétents de l'État. Ce Haut comité est une instance d'information, de concertation, et de débats sur les risques liés aux activités nucléaires, leur impact sur la santé des personnes, sur l'environnement, et sur la sécurité nucléaire. Comme les CLI au niveau local, le HCTISN joue un rôle important de concertation au plan national ; par exemple, il a récemment créé un groupe de travail consacré à l'organisation de la transparence sur le processus de décision pour la poursuite du fonctionnement des réacteurs au-delà de quarante ans.

En troisième lieu, comme indiqué par M. Christian Bataille, la loi du 28 juin 2006 a prescrit l'élaboration d'un plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, qui est révisé tous les trois ans. Le groupe de travail chargé de l'élaboration de ce plan comprend notamment des associations de protection de l'environnement, des experts, des industriels, les autorités de contrôle ainsi que les producteurs et gestionnaires de déchets radioactifs. Son fonctionnement satisfaisant a, par la suite, inspiré la création d'autres groupes de travail pluralistes, comme le comité national chargé du suivi du plan national de gestion des risques liés au radon.

En quatrième lieu, la loi de 2006 impose aux exploitants des installations nucléaires de rendre publiques des informations en matière de sécurité nucléaire et de radioprotection et doivent également rendre publiques les informations relatives aux incidents et aux accidents en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, aux rejets dans l'environnement, et aux déchets radioactifs entreposés sur le site.

En cinquième lieu, l'Autorité de sûreté nucléaire rend publics tous les incidents affectant les installations nucléaires ainsi que tous les éléments motivant ses décisions. De même, son appui technique, constitué par l'IRSN, rend publics les résultats finaux des travaux relatifs à la surveillance radiologique de l'environnement et de la santé et, en accord avec l'ASN, les avis qu'il transmet à cette dernière. En tant qu'élue de la Meuse, qui va accueillir le futur centre de stockage des déchets nucléaires, j'en prends régulièrement connaissance. Bien évidemment, moi non plus je ne suis pas ingénieure dans le domaine nucléaire, mais avec les traductions qu'on peut en avoir à travers les différentes associations qui travaillent aujourd'hui sur ces sujets, notamment à leur vulgarisation dans l'opinion publique, mais aussi à travers la presse qui s'empare systématiquement de ces rapports, je pense qu'on a quand même accru l'information du public, même si des efforts seront bien évidemment toujours à fournir en ce sens.

À ces dispositions de transparence et participation du public, spécifiques aux installations nucléaires, s'ajoutent celles qui existent pour toutes les grandes opérations publiques. Par exemple, un débat public avait été organisé par la Commission nationale du débat public, en 2005, sur les principes de gestion des déchets radioactifs puis, en 2013 sur la construction du centre de stockage géologique profond.

Le Parlement contribue également à la transparence sur la sûreté nucléaire, notamment au travers des auditions publiques contradictoires initiées par l'Office parlementaire, qui permettent de confronter les points de vue. Par exemple, le 16 mars 2011, quelques jours seulement après l'accident survenu dans la centrale nucléaire de Fukushima au Japon, consécutif au tremblement de terre et au tsunami qui ont frappé ce pays le 11 mars 2011, l'Office parlementaire a organisé une audition rassemblant tous les acteurs de la filière nucléaire pour informer le public sur la situation de la sûreté des installations en France.

La transparence et la participation du public constituent des éléments indispensables pour assurer une sûreté nucléaire efficace, ainsi que pour la confiance des citoyens français dans celle-ci. Les différentes dispositions mises en place en France, notamment depuis les lois de 2006, ont permis de franchir un pas décisif dans ce domaine. Mais rien n'étant jamais acquis, il faut continuer à améliorer le dispositif et rendre toujours plus audibles pour le grand public les travaux de recherche et de contrôle des installations nucléaires. Récemment, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dite loi TECV, a encore renforcé la transparence et l'information des citoyens, par exemple en donnant autorité aux commissions locales d'information, de demander à visiter une installation en fonctionnement normal, ou après un incident significatif. Donc vous voyez qu'aujourd'hui la société civile a les moyens, via une série d'organisations, de demander des comptes aux industries nucléaires en France.

Il convient, bien évidemment, de continuer ce processus vertueux pour la sûreté nucléaire. C'est l'un des objectifs primordiaux de l'Office parlementaire que nous représentons ici. D'ailleurs cela a été l'une des raisons pour lesquelles l'Office parlementaire a été fondé. Cet Office, dans sa nouvelle configuration, va s'employer bien évidemment à réaliser cet objectif dans les prochaines années.

M. Pierre Médevielle, sénateur. - Pour compléter les propos de de ma collègue, à l'occasion d'une audition organisée par l'OPECST voici deux ans, nous avons constaté que nous avions franchi un pas, puisqu'un fabricant avait falsifié ses résultats. Il s'agissait de générateurs de vapeur dont l'acier contenait trop de carbone, ce qui pouvait conduire à un doute quant à leur résistance à de très hautes températures.

Cette situation nécessitera la mise en place d'un service de gendarmes de la norme du nucléaire, dont les postes sont financés, puisque l'ASN et l'IRSN vont effectuer des contrôles un peu partout, chez les fabricants de ces équipements. On est donc bien au coeur de la transparence. Je crois que la France a bien réagi, en se dotant de moyens supplémentaires, même s'ils sont toujours insuffisants. On en revient aux problèmes de financement de la sécurité nucléaire, qui demeureront au coeur des débats et qui restent à repenser, comme je le disais dans mon intervention précédente. Je crois que nous devons au public des informations, la sécurité nucléaire étant presque du domaine régalien. Quand on voit les accidents qui ont lieu ailleurs dans le monde, nous devons nous doter de tous les moyens nécessaires. Je ne sais pas si, en Fédération de Russie, vous avez le même type de structures de contrôle et de financement de la sûreté ?

Mme Émilie Cariou, députée. - Juste une précision pour nos collègues russes : l'IRSN, aujourd'hui, est financé par un système de taxes affectées, mais qui est plafonné budgétairement, à l'égal de toutes nos taxes affectées, pour éviter l'inflation budgétaire de toute une série d'agences et d'organisations de l'État. C'est vrai que je partage les inquiétudes de mon collègue sur le financement de nos autorités de sûreté et de l'IRSN. J'avais moi-même déposé un amendement au projet de loi de finances, pour justement augmenter le plafond de cette fameuse taxe. Cet amendement n'a pas été adopté, mais je pense que nous allons avoir ce débat à nouveau, parce que les tâches qui nous attendent sont vraiment très grandes, notamment parce qu'on a prolongé les centrales, et qu'on est obligé de mener de ce fait un certain nombre de travaux.

M. Pierre Médevielle, sénateur. - Pour compléter en deux secondes, c'est vrai que cette taxe sur l'opérateur parait être un bon système de financement. De mémoire, la taxe prélevée sur EDF est à peu près de 600 millions d'euros, et seulement 230 millions sont reversés à la sûreté nucléaire, ce qui est un peu dommage.

M. Gennady Sklyar. - La semaine dernière, à Moscou, s'est tenu un forum très important avec beaucoup de spécialistes dans le domaine de l'écologie et de l'environnement. À cette occasion, nous avons visité le centre de surveillance qui contrôle l'état de l'environnement. Il s'agit d'une surveillance très précise quant à la situation radiologique sur le territoire russe. Entre autres, nous avons discuté de la façon dont l'opinion publique doit avoir accès à ce type d'informations. Mes collègues peuvent compléter mes propos.

M. Alexey Dmitrienko. - Je tiens à ajouter qu'en dehors des fonctions de surveillance et de contrôle assurées au niveau fédéral, auprès de Rosatom, existe un conseil de surveillance dont l'objectif principal est de donner accès à l'information au grand public. Depuis un an, au cours de 2017, nous avons organisé des réunions, des forums, et des actions dont l'objectif principal est l'accessibilité de l'information pour la société civile.

M. Vladimir Panov. - L'article 42 de la Constitution de la Fédération de Russie, relatif au droit de l'environnement, prescrit que si un citoyen s'adresse aux pouvoirs publics, il a un droit à l'information. Il suffit d'envoyer une demande à l'Autorité de sûreté et de contrôle, pour obtenir une réponse exhaustive. Si la question concerne, par exemple, le sol, on doit vous fournir les résultats d'une expertise. Nos autorités de sûreté pratiquent les expertises indépendantes. Voilà ce qui assure la transparence.

Aujourd'hui, il reste à mettre en oeuvre tout un système de surveillance et de monitoring. Ce dernier existe déjà sur le territoire de Moscou. Les informations sur les changements ou défauts sont transparentes, et affichées en temps réel, ce qui permet de réagir à ces écarts sans délai.

M. Alexandre Gorbatchev, conseiller nucléaire de l'ambassade de France en Fédération de Russie. - Juste pour compléter les réponses données par nos collègues russes, des organismes équivalents à l'ASN et à l'IRSN existent également en Fédération de Russie. Avec leurs équivalents, ils se connaissent très bien et se voient souvent. Par exemple, une ou deux fois par an, des inspections croisées sont organisées. Les experts et les inspecteurs français accompagnent leurs collègues russes, pour visiter les centrales et autres installations nucléaires de base en Russie, ou inversement. Ils parlent de sujets techniques et de financement. Je n'ai pas entendu de cri d'alarme du côté russe, sur le manque de financement, mais je suis sûr que des échanges existent aussi sur ces sujets.

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Si vous me permettez, à cet instant, il m'appartient de vous proposer, non pas une synthèse, mais peut-être une ouverture, en vue d'un échange permanent et constant. Notre pays, la France, a une tradition nucléaire très ancienne. Nous sommes dans le centenaire des grandes découvertes de Mme Marie Curie. Il y a une évidence forte, c'est que nous sommes, depuis vingt ans, en France, dans une rupture culturelle considérable et à un tournant, que nous sommes heureusement en train de prendre.

En France, le nucléaire est né de la politique avec deux considérations, d'ailleurs parfaitement légitimes : l'autorité militaire et l'indépendance nationale. Assez curieusement, sur ces deux axes, il y a eu une alliance politique assez constante entre les courants les plus attachés à l'indépendance nationale, je pense à la famille gaulliste en particulier, et, en France, l'extrême gauche communiste. Cette alliance s'est doublée d'un soutien des ingénieurs, ainsi que de la culture industrielle et scientifique. Entre 1940 et 1990, il y a eu à peu près cinquante ans sans état d'âme, pour développer à la fois, sur le plan militaire, la force de frappe, et l'indépendance énergétique, avec des gouvernements qui étaient d'origines très différentes. Évidemment, en France, on pense au général de Gaulle, mais il faut savoir qu'en réalité, c'est Pierre Mendès France qui a lancé la politique d'indépendance stratégique nucléaire militaire, après les accords de Genève qui ont mis fin à la guerre d'Indochine.

De la même façon, sur le plan de l'indépendance énergétique, le programme des centrales nucléaires a évidemment été souhaité par le général de Gaulle, et par son Premier ministre, Pierre Messmer. Il a été accéléré par les Présidents Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing. Mais il y a une complicité objective entre la volonté politique d'indépendance, la volonté industrielle des filières et le mouvement syndicaliste et politique très présent au sein d'EDF, qui souhaitait le développement de cet outil donnant, à EDF, une force particulière.

Il y avait donc une convergence singulière, qui a consolidé le système, en ayant à l'égard des questions de sécurité, reconnaissons-le, une attitude que je ne pourrais qualifier de désinvolte mais qui n'en faisait pas une préoccupation absolue, tout comme l'idée de rendre compte au grand public n'était pas une préoccupation principale des promoteurs du projet.

Les raisons militaires pour les uns, et d'indépendance énergétique pour les autres, étaient tellement fortes qu'elles devaient balayer toutes les objections. Il faut savoir que le premier organisme de contrôle du nucléaire était le bureau des ingénieurs des mines en poste à Châlons-sur-Saône, parce que la principale unité de fabrication était dans leur ressort. C'est une affaire qui était contrôlée par un ingénieur perdu dans une petite préfecture de province. Il n'y avait absolument pas l'idée que cela puisse être un débat national

Il est évident que tout a changé après l'affaire ukrainienne et tout a changé aussi, reconnaissons-le, avec la liberté médiatique. Je rappelle que, en France avant 1986, les télévisions appartenaient à l'État. Les radios ne sont devenues libres qu'à partir de 1982. Apparu voici vingt ans, le numérique, qui donne à chacun l'accès à toutes les informations, s'est maintenant généralisé. Le climat n'est donc plus du tout le même. Nous avons deux cultures qui coexistent. La culture de l'indépendance nationale et de l'avantage stratégique n'a pas disparu, pour dire la vérité j'en suis un petit peu adepte, mais l'obligation de transparence que vous avez évoquée est devenue une évidence.

Pour avoir, avec d'autres, accepté le principe de l'étude sur le stockage en couche géologique profonde sur mon territoire, je me suis rendu compte que la condition incontournable du succès de ce projet, c'est que la transparence soit un devoir absolu. C'est un service que l'on rend à tous les acteurs, parce que cela oblige les scientifiques, les techniciens, les industriels, et les financiers à se poser de véritables questions. Quand j'ai découvert, en tant que ministre de l'industrie, qu'il avait fallu attendre 1989 pour avoir une commission, et 1991 pour avoir une loi sur les déchets radioactifs, alors que nous avions déjà sans doute plus de cinquante réacteurs, j'ai été très surpris.

Ce qui a assez bien réussi, jusqu'à présent, c'est que cette singulière convergence, que j'ai évoquée pour créer cette culture du nucléaire en France, a évolué progressivement vers une acceptation de la transparence. Je pense que la loi de 1991, comme celle de 2006, montrent à l'opinion que tout le monde joue la transparence. Cela ne veut pas dire que l'on soit cru. La bonne volonté n'est pas suffisante pour emporter l'adhésion de ceux qui ont des objections philosophiques, presque métaphysiques ou religieuses, contre le nucléaire.

Les Français avaient, vis-à-vis de la science, un respect religieux. Aujourd'hui commence à se créer une culture du dialogue, où ce ne sont pas des dogmes révélés qui s'imposent. C'est une attitude de confiance à l'égard des scientifiques qui acceptent de prendre en considération l'opinion comme un partenaire majeur. Je crois que ce que nous voulons, à l'Office parlementaire, c'est obliger ceux qui savent à prendre le temps d'expliquer à ceux qui ne savent pas. Ceux qui ne savent pas sont plus nombreux. Ils n'ont pas tous envie de savoir d'ailleurs, parce que beaucoup de gens font confiance, et par conséquent n'ont pas d'états d'âme.

Je constate que le message de la filière nucléaire se renforce lorsqu'il diffuse sa culture en dehors des croyants du nucléaire, c'est-à-dire ceux qui sont absolument persuadés que le nucléaire est la solution absolue, et que la science peut tout régler. La science peut régler énormément de choses, mais elle le fait à son rythme, parfois avec des tentatives qui ne sont pas abouties, ou ne vont pas dans la bonne direction. La réussite de cet esprit de dialogue, c'est d'intéresser des gens qui ne sont pas des croyants du nucléaire à considérer qu'un débat loyal est engagé. Cette transparence n'interdit pas des opposants déterminés qui n'acceptent aucun dialogue.

Mais je voudrais conclure par une note positive. Tout à l'heure, Christian Bataille a évoqué, je crois, au sujet de la loi sur la réversibilité, l'idée de la période industrielle expérimentale pour le stockage en couche géologique profonde. Cette période expérimentale, de nature industrielle, en grandeur nature, est le résultat du débat public qui a eu lieu, de mémoire, en 2012 ou 2013. Ce débat public, rendu obligatoire par la loi, avait pour objet d'examiner les travaux sur le projet de stockage en couche géologique profonde.

En apparence, ce débat avait échoué, chaque réunion publique se déroulant dans un désordre épouvantable, avec parfois même des violences, pour interdire tout échange. Mais les opposants étaient pris au piège de la modernité. La liberté numérique a permis de multiplier, à côté des « réunions de préau » comme on dit en France, les échanges numériques, qui ont montré qu'il y avait des milliers de gens, géographiquement concernés ou pas, capables de poser toute une série de questions, tout à fait pertinentes. L'idée de la période industrielle expérimentale, que les parlementaires ont introduite dans la loi, vient de ce débat. Cela constitue ma réponse à Julien Aubert. Il ne faut pas désespérer du débat.

Le débat public sur les sujets nucléaires, ressemble à une machine à vapeur, c'est-à-dire qu'il y a beaucoup de bruit et de fumée, mais pas beaucoup de puissance. Cette dernière permet néanmoins de rassurer l'opinion, et surtout d'obliger les scientifiques à faire cet effort de modestie. Si l'on n'est pas compris par tout le monde, on n'est compris par personne. Ce que nous avons gagné ces vingt dernières années, c'est que l'opinion publique, constituée de gens incompétents comme moi, soit respectée par les scientifiques, qui font l'effort de leur parler. Mais une fois qu'on leur a parlé, quand ils sont convaincus, ils font avancer le dialogue. C'est la raison pour laquelle, sur cette affaire, je suis plutôt confiant en notre capacité à maintenir, et même à consolider la confiance. Celle-ci ne naît pas simplement de la compétence scientifique, qui mérite tout le respect, mais de ce que les scientifiques acceptent de parler à ceux qui ne savent pas et de les convaincre, plutôt que de leur dire : « puisque vous ne savez rien, suivez les instructions ». Cet effort est long, il est coûteux, d'où les problèmes de financement, mais il garantit la pérennité.

C'est la raison pour laquelle, et ce sera ma vraie conclusion, le nucléaire est profondément lié, comme d'ailleurs le progrès scientifique, à la démocratie, à la liberté d'expression, et à la liberté d'échange. La société doit s'approprier le savoir, et ceux qui savent ont le devoir de faire partager leurs connaissances, avec des mots adaptés au plus grand nombre, pour avoir la certitude d'être soutenus durablement par le corps social.

Merci, en tous les cas, de venir chez nous en France pour rencontrer l'Office parlementaire et les autres parlementaires présents et merci pour cette coopération, dont je sens qu'elle sera durable. Elle l'est puisque nous sommes dans le centenaire de la première guerre mondiale. Vous permettrez aux élus de l'Est que nous sommes, Bruno Sido, Émilie Cariou et moi-même, et aux gens du Nord qui ont été envahis, de remercier le sacrifice de la Russie qui nous a permis, en 1914, de garder notre liberté.

M. Nikolay Martianov, conseiller auprès du directeur général de Rosatom. - En quelques mots, je voudrais remercier également, au nom de notre délégation, nos collègues français et le président de l'Office parlementaire. Je pense que la discussion a été dense et vivante. Nous vous attendons maintenant à Moscou.

La réunion est close à 11 h 15.

Jeudi 30 novembre 2017

-Présidence de M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office-

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Communication de M. Bruno Sido, sénateur, sur sa mission en Russie du 2 au 8 avril 2017 sur le thème du changement climatique

M. Bruno Sido, sénateur. - Je suis, aujourd'hui, chargé de vous rendre compte de la mission qu'une délégation de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a faite en Russie au printemps dernier, Cette délégation était composée de deux députés et d'un sénateur : Jean-Yves Le Déaut, alors président de l'Office, Anne-Yvonne Le Dain, alors vice-présidente, et votre serviteur, en tant que premier vice-président.

Cette mission s'est déroulée du 2 au 8 avril 2017, à l'invitation du Conseil de la Fédération qui, au sein du parlement russe bicaméral, est l'équivalent du Sénat. Elle avait pour objet d'évoquer le rôle des parlements et de la communauté des experts dans le processus de décision en matière de changement climatique, ainsi que l'apport de l'innovation et de l'évaluation scientifique et technologique à la mise en oeuvre de l'accord de Paris issu de la COP21.

Je vous rappelle que l'Office a apporté son expertise lors de la COP21 en organisant, le 9 novembre 2015, une journée entière d'auditions publiques sur ce thème. Cette manifestation, qui a donné lieu à la publication d'un rapport, dont il existe une version intégralement traduite en anglais, avait réuni nos partenaires habituels du réseau de l'EPTA ainsi que des présidents ou membres des commissions compétentes d'une trentaine d'autres parlements européens.

Plus récemment, l'Office a actualisé et prolongé sa contribution à la réflexion collective sur la lutte contre le changement climatique en organisant, le 24 novembre 2016, une nouvelle journée d'auditions publiques. Nous avons pu partir en Russie avec le nouveau rapport qui en est résulté.

Cette mission s'inscrivait dans un contexte international bien particulier.

La Russie a ratifié, en 2004, le Protocole de Kyoto de 1997. Elle s'était alors engagée à réduire de 11 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. En pratique, du fait de la profonde mutation économique engagée après 1989 et de la chute des activités industrielles, ses émissions se sont réduites de 30 %. Elles ont encore diminué de 5 % entre 2013 et 2014, à la différence de celles des autres grands pays développés.

Alors que la Chine et les États-Unis ne sont pas parties au protocole de Kyoto et que le Canada l'a quitté, l'un de nos interlocuteurs a souligné que l'Union européenne et la Russie lui paraissaient bien seules à consentir un effort substantiel, parfois contre leurs propres intérêts commerciaux.

Dans le cadre de l'accord de Paris du 12 décembre 2015, la Russie a accepté de s'engager sur un objectif d'une baisse de ses émissions de gaz à effet de serre de 70 % par rapport à 1990.

Toutefois, lorsque nous nous y sommes rendus, la Russie était le seul grand pays qui n'avait pas encore ratifié l'accord de Paris. Au mois d'avril dernier, le président Donald Trump n'avait pas encore décidé d'en retirer les États-Unis.

Un autre élément de contexte international important est le régime de sanctions appliqué à la Russie par l'Union européenne, à la suite du conflit en Ukraine. Ces sanctions limitent considérablement les possibilités d'échanges économiques, mais aussi de coopération scientifique entre la France et la Russie. C'est aussi l'une des raisons pour laquelle nos interlocuteurs étaient particulièrement heureux d'accueillir notre délégation, car les occasions d'échanges franco-russes se sont raréfiées ces derniers temps.

Notre mission a débuté par un déplacement dans la région de Stavropol, qui se situe dans le district fédéral du Caucase du Nord, entre la mer Noire et la mer Caspienne. L'objectif était d'avoir une illustration de l'impact du changement climatique dans l'une des composantes de la très vaste Fédération de Russie. Nous y avons eu des échanges avec les élus de la Douma locale et les représentants de la région au Conseil de la Fédération, ainsi qu'avec des scientifiques membres de l'université de Stavropol.

Nous avons ensuite regagné la capitale, où nous avons visité des laboratoires de l'université de Moscou et avons été accueillis au Conseil de la Fédération pour un séminaire auquel participaient des membres des commissions compétentes, des représentants des ministères concernés et des experts scientifiques.

Parmi les propos que nous ont tenus nos divers interlocuteurs, je vais vous présenter les éléments qui m'ont paru les plus intéressants, en les regroupant sous trois chapitres différents : les manifestations du changement climatique en Russie ; les politiques publiques et les évolutions du cadre légal et réglementaire ; les questions d'organisation et de coopération scientifiques et technologiques.

Sur les manifestations du changement climatique en Russie :

Nous avons eu confirmation de la diversité des manifestations du changement climatique sur le très vaste territoire de la Fédération de Russie, qui s'étend sur 17,9 millions de kilomètres carrés - alors que celui des États-Unis est de 9,6 millions de kilomètres carrés et celui de la Chine de 9,5 millions de kilomètres carrés.

La hausse tendancielle des températures est confirmée : la Russie a connu, en 2016, la plus forte canicule de toute son histoire. Mais ce réchauffement n'a pas que de mauvais côtés, selon certains de nos interlocuteurs, notamment à Stavropol. Car dans un pays où les hivers sont habituellement rigoureux, il en résulte une extension de la période de végétation et une augmentation des volumes de la production agricole et forestière. On sait aussi tout l'intérêt que le recul de la banquise présente pour le commerce maritime international, à travers le « passage du Nord-Est », ou pour l'exploitation des ressources de l'Arctique.

De manière paradoxale, la Russie a par ailleurs connu des hivers anormalement froids au début du XXIe siècle, en raison de certaines perturbations de la circulation atmosphérique. Quand l'anticyclone de la mer de Barents se trouve plus puissant que la normale, il en résulte une forte baisse des températures sur le continent. Ce phénomène serait lié à la réduction de la banquise.

Toutefois, le changement climatique se traduit aussi par des phénomènes de sécheresse et d'incendies de plus en plus fréquents. La forêt recouvre 46 % de la surface du pays, qui représente 20 % de l'espace forestier mondial.

La taïga constitue potentiellement un puits de carbone, et l'un de nos interlocuteurs s'est félicité que ce rôle essentiel des forêts ait été pleinement reconnu par l'accord de Paris alors qu'il n'avait été que partiellement pris en compte par le protocole de Kyoto.

Depuis le début des années 1990, les feux de forêts se multiplient, dans un contexte de baisse des financements des services de lutte contre l'incendie. Au total, si l'on tient compte également des coupes, la forêt russe diminue en superficie mais s'accroît en volume, par un effet de densification. Une amplification de son rôle de puits de carbone dépend clairement d'une reprise de l'investissement dans les services de lutte contre l'incendie.

D'autres phénomènes climatiques extrêmes nous ont aussi été rapportés. Les rivages de la mer Noire ont connu, en 2012, une submersion qui a provoqué la mort de 170 personnes, ce qui en fait la pire inondation survenue en Europe au cours des trente dernières années. La hausse des températures moyennes en surface de la mer Noire, qui est de 2 degrés par rapport à leur niveau historique, explique cette amplification des phénomènes de type cyclonique.

Sur les politiques publiques et les évolutions du cadre légal et réglementaire :

2017 a été déclaré par Vladimir Poutine année de l'écologie et tout un train de mesures systématiques a été annoncé. Le gouvernement Medvedev avait déjà lancé, en 2008, un premier plan pour la transition écologique, qui n'a pas eu les résultats escomptés. Un nouveau Plan national pour l'adaptation au changement climatique est en cours d'élaboration, en 2017-2018, pour une adoption prévue en 2019.

Ce plan s'appuie sur un dispositif à trois niveaux : celui de l'État central, celui des régions, qui devront élaborer leurs propres plans, et celui des grandes entreprises industrielles et de transport.

Le cadre législatif et réglementaire est en train d'être mis à jour en conséquence. Les normes pour les émissions de gaz à effet de serre ont été rendues plus sévères.

Une loi très importante vient d'être adoptée pour le traitement des déchets, afin d'en réduire le volume et d'organiser leur tri et leur recyclage. Cette démarche semble assez nouvelle pour les entreprises, les collectivités et les citoyens russes.

Par ailleurs, la Russie a étendu, au cours des dernières années, ses territoires protégés, dont la surface a doublé en 5 ans, et qui représentent désormais 12 % du territoire.

En ce qui concerne sa politique de transition énergétique, la Russie, qui dispose des plus importantes réserves d'hydrocarbures de la planète, s'est engagée dans une stratégie bas carbone jusqu'en 2050.

Tout d'abord, par une relance de sa filière nucléaire, qui présente des atouts technologiques remarquables, avec le développement de réacteurs de la quatrième génération, très sécurisés.

Les investissements dans les énergies renouvelables apparaissent encore modestes au regard de leur immense potentiel sur le territoire russe. L'hydroélectricité est la plus développée et est notamment utilisée dans sa dimension de stockage de l'énergie pour la production électrique.

L'un des principaux leviers de la transition réside dans l'amélioration de l'efficacité énergétique, avec un objectif de baisse de la consommation d'énergie par habitant. Un rouble investi dans ce secteur permettrait d'en économiser deux ou trois. L'objectif serait d'investir six milliards de roubles chaque année jusqu'en 2035, soit un investissement total de l'ordre de 300 milliards de roubles, représentant 2 à 3 % du PIB annuel.

Ces politiques font sentir leurs effets. Le découplage entre la hausse du PIB et celle des gaz à effet de serre est devenu une réalité : entre 1998 et 2015, le PIB a été multiplié par deux alors que la hausse des émissions a été limitée à 2 %. La Russie se rapproche, sur ce point, de la norme européenne, même si elle a encore 10 ans de retard sur l'Union. Les principaux facteurs de la baisse tendancielle des émissions de gaz à effet de serre en Russie sont les changements économiques intervenus depuis 1990, l'amélioration de l'efficacité énergétique et des hivers moins froids, qui allègent considérablement les besoins de chauffage des bâtiments.

Sur les questions d'organisation et de coopération scientifiques et technologiques :

Au cours de notre mission, nous avons eu écho d'un projet de réforme du réseau de l'Académie des sciences, qui est le lieu où est assurée une forme d'interdisciplinarité mais qui semble, au dire de plusieurs de nos interlocuteurs, traversée par un conflit de générations.

Une agence pour le financement de la recherche a été créée en 2013, pour permettre aux autorités politiques de faire des choix et de rendre des arbitrages stratégiques. Depuis l'époque soviétique, la Russie s'inscrit dans une tradition scientifique positiviste qui facilite, encore aujourd'hui, l'exercice d'une action politique de planification et de contrôle.

La communauté des géophysiciens est très forte en Russie mais a longtemps été plutôt sceptique quant à l'origine anthropique du changement climatique.

On observe aussi une absence de consensus sur le changement climatique dans la société russe, avec un niveau de connaissance et de compréhension qui a été estimé très bas par l'un de nos interlocuteurs. La Russie souffrirait d'un manque de pertinence de son dispositif d'éducation à l'écologie et d'une faiblesse de la formation des cadres à ces problématiques.

D'une manière générale, nos interlocuteurs se sont montrés très désireux de coopération avec les scientifiques européens en général, et français plus particulièrement.

Le suivi scientifique du changement climatique ne peut être assuré que dans le cadre d'une coopération mondiale et dans une approche transdisciplinaire. La climatologie apparaît comme une science nouvelle, à l'interface de toutes les disciplines. La recherche fondamentale est très importante pour expliquer et anticiper les phénomènes extrêmes.

Les académies des sciences de France et de Russie ont une tradition de coopération depuis leur création mais qui se trouve, aujourd'hui, freinée par les sanctions de l'Union européenne contre la Russie.

En ce qui concerne les échanges de technologies, ce régime de sanctions apparaît également comme un obstacle, selon nos interlocuteurs. Dans la zone arctique, la Russie travaille ainsi davantage avec les Chinois et les Japonais qu'avec les Européens.

Sur une base volontaire, la Russie apporte une aide technologique à certains pays en voie de développement pour lutter contre le changement climatique. Par exemple, aux petits États insulaires du Pacifique.

Pour conclure, je souligne qu'au cours de notre mission, plusieurs de nos interlocuteurs nous ont confirmé l'intention des autorités russes de ratifier l'accord de Paris mais sans nous donner d'échéance précise. Il nous a été répété que la Russie ratifiera quand elle s'estimera prête au niveau national. Cette position officielle a été récemment réaffirmée lors de la COP23 qui s'est tenue à Bonn. Je vous remercie de votre attention.

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - C'est nous qui te remercions d'avoir animé cette délégation de l'Office en déplacement à l'étranger et de nous en rendre compte aujourd'hui.

Après t'avoir écouté, mon sentiment est que beaucoup de choses se passent actuellement et que la Russie continue de tenir à sa singularité culturelle, tout en se rendant compte qu'il faudra bien qu'elle évolue. Chacun sait, aujourd'hui, que le changement climatique est bien réel et les Russes ne font pas exception. J'ai bien noté, également, leur position consistant à dire aux pays membres de l'Union européenne : « tant que vous nous soumettrez à des sanctions économiques, nous n'aurons pas envie de vous être agréables. Nous travaillons de notre côté, et dans les directions qui nous sont propres ». Notamment, les Russes misent beaucoup sur l'énergie nucléaire, du moins pour la partie européenne de leur territoire car, au-delà de l'Oural, la population et les activités économiques ne sont pas assez denses pour que cette source d'énergie soit adaptée. Les énergies renouvelables, qu'il s'agisse de la biomasse, du solaire ou de l'éolien, apparaissent encore relativement peu développées.

Par ailleurs, les Russes ne voient pas que des inconvénients au changement climatique. La fonte de la banquise favorise le trafic maritime au Nord de la Sibérie. Ils sont aussi partagés et ne reconnaissent pas tous le caractère anthropique de ce changement.

Mme Catherine Procaccia, sénatrice, vice-présidente. - Ont-ils mesuré les conséquences du changement climatique sur l'agriculture ?

M. Bruno Sido, sénateur. - Elles sont pour partie favorables, dans la mesure où la durée de la période de végétation s'accroît et où les dégâts dus au gel diminuent. Cette année, les récoltes de céréales en Russie et en Ukraine ont été considérables, entraînant un bouleversement du marché mondial qui a fait baisser les prix. Il est difficile de dire jusqu'où cette tendance peut se prolonger. Toutefois, ces deux pays ne savent pas très bien stocker leurs récoltes céréalières, qui subissent des pertes de 10 % à 20 %, et manquent de moyens logistiques pour les exporter. Il leur faudrait davantage de silos, de ports, de voies ferrées et de camions. On observe, par ailleurs, des conséquences défavorables du changement climatique sur la production agricole, avec des phénomènes de canicule et de sécheresse.

Mme Émilie Cariou, députée. - Merci pour cette présentation intéressante. Vous avez évoqué les ressources énergétiques prédominantes en Russie, qui sont fossiles ou nucléaires, et le peu d'appétence de ce pays pour le développement des formes d'énergies plus respectueuses de l'environnement. Qu'en est-il des centrales à charbon ? Avez-vous senti une volonté de développer la recherche et d'aller vers de nouvelles sources d'énergie ?

M. Bruno Sido, sénateur. - Je ne l'ai pas vraiment senti. Les Russes n'excluent rien et développent tous les types d'énergies renouvelables, ne serait-ce que pour démontrer qu'ils en ont les capacités technologiques. Mais 80 % de la production électrique en Russie provient du charbon. Ils ont la volonté de moderniser leurs centrales à charbon, avec des systèmes de filtres, afin qu'elles soient davantage « propres », abstraction faite des émissions de CO2 qui sont inhérentes à cette source d'énergie.

Les Russes croient beaucoup à l'énergie nucléaire. Ils ferment les vieilles centrales, du type Tchernobyl, et développent des réacteurs à neutrons rapides ultra sécurisés. Les Russes sont ainsi les seuls à pouvoir transmuter les actinides mineurs et à pouvoir utiliser le plutonium et l'uranium appauvri, dont ils disposent en quantité. Nous avons eu l'occasion de rencontrer des scientifiques très pointus dans ce domaine, qui est l'un de ceux dans lesquels les Russes sont en avance.

M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Les échanges que nous avons eus mardi dernier avec la délégation de parlementaires russes qui est venue nous rendre visite confirment le grand intérêt qu'ils portent à la filière nucléaire, qu'ils voient comme une énergie d'avenir. Pour les énergies renouvelables, la Russie a un atout majeur avec son parc de barrages hydroélectriques, qui lui confère une capacité de production électrique très importante.

M. Bruno Sido, sénateur. - Il ne faut toutefois pas oublier que l'hydroélectricité présente un aspect fortement cyclique, surtout en Russie où tout est gelé pendant les hivers particulièrement longs et les barrages qui ne se remettent à fonctionner qu'au moment de la débâcle.

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Tu as évoqué notamment les réacteurs à neutrons rapides. J'ai été frappé, comme Stéphane Piednoir, par le fait que nos interlocuteurs russes de mardi dernier nous ont présenté le cycle fermé de l'uranium comme une possibilité opérationnelle. J'en ai parlé hier avec le président d'EDF, qui s'est montré dubitatif. L'OPECST pourrait peut-être s'engager sur ce sujet et auditionner les acteurs français et européens du cycle fermé de l'uranium, pour autant qu'ils existent.

M. Bruno Sido, sénateur. - J'ai également bien écouté nos visiteurs russes, c'était passionnant. Et je crois au cycle fermé, à la complémentarité des centrales actuelles avec des centrales à neutrons rapides pour essayer de fermer au mieux le cycle de l'uranium, même si ce dernier ne pourra jamais l'être complètement. Il y a des actinides mineurs, en particulier l'américium, qui est très dangereux, que l'on ne sait pas trop casser. Les réacteurs à neutrons rapides permettent de brûler le plutonium et d'obtenir des isotopes moins militaires et moins radioactifs, qui constituent un combustible pour les centrales. Pour fermer complètement le cycle, il faudrait réussir la transmutation. À cet égard, je regrette la fermeture de Superphénix, qui était le seul endroit, en France, où l'on travaillait sur la transmutation.

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Ce sont les problèmes liés au sodium utilisé pour le refroidissement de Superphénix qui ont été déterminants dans la décision de le fermer. Mais il faudrait que l'OPECST fasse le point sur les perspectives qu'ouvre, ou que n'ouvre pas, le projet Astrid, qui est une piste de recherche intéressante.

Audition de M. Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France et sur l'activité de l'Autorité en 2016

M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je voudrais remercier les collègues présents et les membres de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui participent pour la dixième fois consécutive à la présentation, prévue par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, du rapport annuel de l'Autorité sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France.

Notre collègue député Cédric Villani, premier vice-président, qui nous rejoindra plus tard, a eu l'occasion de vous rencontrer, M. Pierre-Franck Chevet, avec la direction de l'ASN, en septembre dernier. Il était accompagné de notre collègue Émilie Cariou, référente nucléaire parmi les députés membres de l'Office. Cela me réjouit car elle est députée de la Meuse, ce qui nous donne une grande proximité en dépit de nos différences. Je salue Bruno Sido, pour les mêmes raisons de proximité géographique, et précise que nous sommes très impliqués dans le sujet des déchets nucléaires, bien connu de notre collègue député Christophe Bouillon, président du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA).

Vous avez, M. Pierre-Franck Chevet, une responsabilité considérable : le nucléaire est une aventure française qui nous donne un bénéfice stratégique, mais qui repose cependant sur la confiance que nos compatriotes et, plus largement, les Européens, peuvent placer dans l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire. Cette question de la confiance est majeure. Et nous venons de très loin, puisqu'il s'agissait d'un système clos, avec des personnes compétentes et motivées, qui estimaient ne pas avoir à rendre de compte. La création de l'ASN a permis de familiariser l'opinion, et d'éviter le double écueil de l'enfermement de l'information, qui était la tendance française jusqu'aux années 1980, et du commerce de la peur, un commerce profitable pour ceux qui la vendent, mais qui ne fait pas progresser la société et nous prive d'opportunités.

L'ASN est donc un partenaire essentiel de cette aventure intellectuelle, industrielle et, accessoirement, économique, qu'il convient de poursuivre de mon point de vue, mais dans des conditions de confiance. Les sujets qui pourraient ébranler cette confiance, sans être innombrables, sont suffisamment sérieux pour que nous disposions d'une autorité indépendante et compétente, qui vienne rendre des comptes devant l'Office.

M. Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). - Je vous remercie de ces mots d'accueil, et je suis heureux de m'exprimer devant vous. La loi a prévu que l'ASN vienne rendre compte de l'état de la sûreté nucléaire en France devant le Parlement tous les ans. Mais au-delà de ce rendez-vous prévu par la loi, nous avons participé à de très nombreuses auditions et travaux de l'OPECST. Nous sommes donc un client fidèle et un client heureux, car le législateur a su bâtir un cadre réglementaire robuste en matière de sécurité nucléaire.

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - J'en profite à cet égard pour saluer l'action de Bruno Sido et de Jean-Yves Le Déaut !

M. Pierre-Franck Chevet. - Ce cadre réglementaire français, auquel vous avez grandement contribué, fait référence en Europe. Les directives européennes s'en inspirent très largement, que ce soit sur la sûreté, la radioprotection ou les déchets. De nombreux défis continuent à se poser. Et nous continuerons à travailler à vos côtés sur ces sujets.

Je vous présenterai le rapport annuel de l'ASN sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, que je n'ai pas pu vous présenter en avril, comme je le fais traditionnellement, en raison des élections et du renouvellement des instances parlementaires. L'ASN est une autorité administrative indépendante. Cela signifie qu'elle est indépendante par rapport à ceux qui définissent la politique énergétique : le gouvernement, les exploitants, les organisations non gouvernementales (ONG), etc. En revanche, nous devons rendre des comptes au public, principal bénéficiaire de notre action, et au Parlement, ce qui est tout à fait légitime. Quand on pense au nucléaire, chacun pense immédiatement aux grosses installations, comme les réacteurs nucléaires d'EDF, l'usine de retraitement de La Hague, ou le projet de centre industriel de stockage géologique, appelé Cigéo.

Mais en réalité, le champ d'application des rayonnements ionisants, dont nous devons contrôler la sûreté d'utilisation, est beaucoup plus large. Ils sont ainsi très utilisés en matière médicale, depuis les gammagraphies des poumons, avec de faibles doses, jusqu'à la radiothérapie, utilisée pour tuer des cellules cancéreuses, avec des doses plus importantes. Le dernier accident majeur dans le domaine de la radiothérapie a eu lieu à Épinal, en 2005, faisant plusieurs morts, et laissant plusieurs dizaines de personnes avec des handicaps lourds, suite à une erreur dans l'application d'un traitement. Depuis lors, nous contrôlons cette activité, et les choses se sont améliorées. Les milieux professionnels ont été sensibilisés. Malgré tout, le risque d'accident existe, et nous restons extrêmement vigilants. On compte encore entre cinq et dix incidents dits de niveau 2 par an en la matière, ce qui signifie que la radiothérapie est mal ciblée, et tue des tissus sains au lieu de tuer la tumeur, ce qui peut avoir des conséquences à terme pour la santé des personnes.

Les sources radioactives sont aussi utilisées dans les chantiers où l'on emploie, pour contrôler l'état des soudures, des gammagraphes, instruments petits mais puissants, qui permettent de faire des radiographies des tuyaux. L'ASN avait déjà en charge le contrôle de la protection des travailleurs qui utilisent ces instruments sur les chantiers. La loi sur la transition énergétique nous a confié la mission de contrôler les aspects de sécurité, c'est-à-dire la protection contre les actes de malveillance. Ces petits instruments peuvent, en effet, entraîner des dégâts considérables s'ils tombent entre de mauvaises mains. Pour nous, c'est un premier pas dans le domaine de la sécurité, sachant que, contrairement à la plupart des autres pays, ce n'est pas l'Autorité de sûreté nucléaire qui, sur les autres sujets, est en charge des contrôles de sécurité et de protection contre les actes de malveillance. Nous terminerons la rédaction des derniers textes dans le courant de l'année 2018.

J'en viens à la surveillance des grosses installations : les réacteurs, les centres de recherche, etc. On en compte 150 en France, ce qui représente l'un des plus gros parcs nucléaires au monde. Globalement, la sûreté de ces grosses exploitations est satisfaisante, même si, ponctuellement, des problèmes peuvent survenir dans certaines installations. Ainsi, l'ASN a dû placer, avant l'été, la centrale de Belleville-sur-Loire sous surveillance renforcée. Toutefois, si l'on met de côté ces difficultés ponctuelles, la sûreté d'exploitation de ces grosses installations semble satisfaisante. L'actualité a été marquée par un certain nombre d'incidents de niveau 2. Il faut savoir, toutefois, que la découverte de ces incidents est le fruit d'une démarche volontariste pour trouver d'éventuelles anomalies. Cette démarche a payé. En matière de sûreté, lorsque l'on trouve des anomalies, c'est plutôt une bonne chose, parce que cela permet de les corriger, et, in fine, d'accroître la sécurité.

Néanmoins, à moyen terme, le contexte est préoccupant, car les grands industriels, comme EDF ou Areva, connaissent des difficultés économiques et financières, alors que des défis sans précédents se présentent. Tout d'abord, la question de la prolongation, ou non, du parc de réacteurs d'EDF au-delà de 40 ans est posée. Derrière cette question simple, il faut mener une évaluation technique poussée, d'abord pour apprécier si les réacteurs sont conformes aux plans initiaux - les incidents survenus ces derniers temps ont montré que la situation n'était pas toujours simple, ensuite pour évaluer le vieillissement des réacteurs depuis leur construction et, enfin, pour déterminer ce qui peut être fait pour améliorer le niveau de sûreté ces installations, si l'on prolonge leur vie au-delà de 40 ans. Cette dernière question est particulièrement complexe d'un point de vue technique. Nous nous prononcerons vraisemblablement en 2020, puis édicterons une prescription, qui s'imposera aux exploitants en 2021. Plus de la moitié des 58 réacteurs sont ainsi concernés par cette échéance des 40 ans.

Les mêmes questions se posent pour les installations liées au cycle du combustible, ou pour les structures de recherche du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui ont été construites au même moment. Nous devons ici nous prononcer sur une cinquantaine de dossiers.

Le troisième défi est celui de « l'après-Fukushima ». Une première série de mesures a déjà été mise en oeuvre sur l'ensemble des réacteurs et des installations nucléaires. Par exemple, des moteurs diesels ont été ajoutés, pour garantir l'alimentation électrique. Depuis, l'ASN a décidé de durcir les mesures, pour faire face à tout type d'agression. Ainsi, les moteurs diesels devront être installés dans des bunkers protégés. Les travaux ont commencé, mais le chantier durera encore cinq ou dix ans.

Un autre sujet concerne la construction des installations nouvelles. Il faut reconnaître que les chantiers en cours, comme l'EPR, le réacteur Jules Horowitz, ou ITER, ont pris du retard, et rencontrent des difficultés. Il s'agit surtout de difficultés d'ordre industriel, qui ne touchent pas la sûreté, à l'exception de la cuve de l'EPR. La France n'ayant pas construit de telles installations depuis des années, il n'est pas anormal qu'une phase de réapprentissage soit nécessaire. Cela prend du temps.

Il y a quelques semaines, nous avons rendu un avis positif sur l'EPR, sous réserve de changer le couvercle de la cuve avant 2024. Surtout, on a trouvé un grand nombre de documents ayant fait l'objet d'une pratique s'apparentant à de la falsification, même si j'emploie ce terme avec prudence, car il renvoie à une qualification pénale, et je ne suis pas compétent pour la définir. Ces documents portent sur les caractéristiques physiques ou mécaniques, essentielles pour la sûreté, de pièces importantes dans les réacteurs. Or, cette pratique de falsification a eu cours pendant près de 50 ans. Nous avons imposé à Areva de vérifier, sous notre contrôle et celui d'EDF, tous les dossiers de fabrication. C'est un travail long et minutieux. Il devrait être terminé à la fin de l'année 2018. Il faut relire plus de deux millions de pages, et nous sommes à mi-chemin. À ce stade, un seul cas posant des problèmes pour la sûreté a été décelé : le réacteur de Fessenheim 2, sur lequel une anomalie technique a été détectée.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Merci d'aborder la question de cette falsification de manière aussi ouverte. Pourquoi n'a-t-elle pas été détectée plus tôt ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Quand les résultats n'étaient pas conformes à ce qui était attendu, si les équipes estimaient l'écart sans gravité, elles rédigeaient un autre document, qui, lui, comportait les bonnes valeurs. Mais les documents originaux étaient conservés ailleurs.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - Et lorsqu'ils n'ont pas été conservés ?

M. Pierre-Franck Chevet. - C'est parce que l'on a pu accéder à ces documents, conservés hors de portée des inspections, que l'on a pu déceler la falsification. Il se peut, en effet, que certains documents aient disparu. Je demanderai aux exploitants de faire des contrôles sur pièces, mais cela ne pourra se faire que dans quelques mois, lorsque nous aurons une vision plus claire de la typologie des falsifications, pour cibler les contrôles et viser juste.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - Avez-vous entamé une procédure en justice ? Les faits sont graves.

M. Pierre-Franck Chevet. - L'ASN ne peut pas porter plainte directement, mais nous avons fait un signalement à la justice, et lui avons transmis tous nos documents. Des associations ont porté plainte. Une enquête est en cours sur ces pratiques inadmissibles.

Pour conclure sur ce point, les industriels ont moins de moyens, et plus de défis à relever, en matière de sûreté. Cette situation crée un contexte préoccupant à moyen terme pour la sûreté. Il faut rapidement mettre en adéquation les moyens et les investissements requis. Les recapitalisations prévues vont dans le bon sens, à cet égard.

Quelques mots sur les déchets : l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) a déposé un « dossier d'options de sûreté » (DOS) dans le cadre du projet Cigéo, dossier sur lequel nous devons prendre position. Les travaux d'exploration géologique de la zone de Bure ont été correctement réalisés, et confirment le caractère approprié de l'argile pour le futur stockage. Reste, néanmoins, à traiter la question, qui n'est pas neutre, des déchets bitumineux.

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Ce sont des déchets de moyenne activité à vie longue.

M. Pierre-Franck Chevet. - Tout à fait, les déchets de moyenne activité à vie longue encapsulés dans une matrice en bitume posent deux difficultés. D'une part, il s'agit souvent de déchets anciens, issus principalement du CEA. Leur contenu radioactif est incertain. D'autre part, à partir d'une certaine température, le bitume peut créer des risques d'incendie, ce qui est compliqué dans les ouvrages sous-terrain. Je citerai pour mémoire le précédent de STOCAMINE, en Alsace, qui ne concernait pas des déchets nucléaires, mais des déchets ultimes, stockés dans d'anciennes mines de potasse. Nous émettons donc une réserve sur les déchets radioactifs bitumeux, compte tenu de leur dangerosité potentielle. Deux options sont possibles : sécuriser davantage Cigéo, ou prétraiter ces déchets, pour diminuer fortement leur potentiel calorifique, avant de les introduire dans le stockage. Pour l'instant, nous préférons la solution du prétraitement.

La demande d'autorisation de création de Cigéo est prévue pour 2019. Il s'agira d'un rendez-vous très complexe, aussi bien sur le plan technique que sociétal. On s'imagine souvent qu'un entreposage de long terme est tout aussi efficace qu'un entreposage souterrain, voire davantage. Ce n'est pas vrai, car les déchets en question ont une durée de vie de plusieurs centaines de milliers d'années. Le principe d'un stockage géologique souterrain, en profondeur, constitue, pour l'instant, la seule solution raisonnable et responsable. Certes, le Parlement a décidé, dans la loi sur les déchets, que le stockage de Cigéo devait être réversible pendant une centaine d'années, la science pouvant dans le futur nous apporter d'autres moyens pour traiter ces déchets. Mais cela ne signifie pas, pour autant, qu'il faille les entreposer pendant cent ans. Je le répète, entreposer ces déchets sur le long terme ne serait pas une solution responsable.

Autre sujet, les autorités européennes ont travaillé, suite à Fukushima, sur les conséquences des accidents, notamment en ce qui concerne les mesures de protection. À l'unanimité, elles ont décidé d'élargir les plans d'urgence, notamment autour des centrales nucléaires. Cette mesure a été approuvée par le Gouvernement en 2016. Reste maintenant à déployer cette stratégie de protection étendue sur l'ensemble du territoire. Les commissions locales d'information, autour des installations, devront se mobiliser sur ces questions. Elles auront également besoin de moyens pour faire face aux extensions de périmètre, surtout à partir de 2018.

Face à l'ensemble de ces enjeux, nous réfléchissons aux moyens d'optimiser notre action, pour la rendre plus efficace.

M. Olivier Gupta, directeur général de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). - Quelques mots sur la manière dont nous adaptons notre contrôle dans ce contexte. Bien sûr, nous ne partons pas de rien, et nous appuyons notre action sur un certain nombre de piliers.

M. Pierre-Franck Chevet a évoqué, tout à l'heure, le cadre que la loi nous a donné pour exercer nos deux missions que sont le contrôle de la sureté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que l'information du public.

On parle souvent des décisions de l'ASN, mais il est important aussi de se pencher sur le processus de prise de décision. Nous nous attachons à ce qu'il soit à la fois rigoureux, collectif, et ouvert. Rigoureux, parce qu'une décision sur un sujet aussi complexe doit respecter un certain nombre de procédures. Collectif, parce qu'au-delà de la collégialité voulue par le législateur, les décisions sont préparées au sein des services de l'ASN, par des personnes qui pèsent ensemble les différentes options, et leurs conséquences. Par ailleurs, nous faisons appel à l'expertise de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et à celle des groupes permanents d'experts, placés auprès de nous. Ouvert, parce que nous informons, et consultons le public directement, sur notre site internet, mais aussi indirectement, via les commissions locales d'information.

Par ailleurs, nous sommes, évidemment, insérés dans des réseaux d'autorités internationales, puisque les enjeux de sûreté dépassent les frontières. Nous avons construit des relations de confiance avec nos homologues étrangers, ce qui nous permet de discuter avec eux de sujets difficiles. Je pense, par exemple, au phénomène de ségrégation de carbone, qu'il s'agisse de la cuve du réacteur EPR, ou d'autres grands composants. Autre exemple, nous entamons un travail dans le cadre de l'Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d'Europe de l'Ouest (WENRA, en anglais Western European Nuclear Regulators Association), sur les améliorations de sûreté raisonnablement envisageables pour la poursuite d'exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans.

Qu'en est-il maintenant des ressources dont nous disposons ? Jusqu'à présent, nous avons obtenu les moyens nécessaires pour l'exercice de nos missions. Nous mesurons l'effort qui a été fait pour le contrôle du nucléaire, puisque cinquante emplois ont été créés entre 2015 et 2017. Nous avons identifié des besoins pour les trois années à venir, à hauteur d'environ quinze postes. Il s'agit notamment de constituer une équipe dédiée à la prévention du risque de falsification. Nous avons, d'ores et déjà, engagé un travail pour renforcer l'efficience du contrôle. Par exemple, nous avons mis en place une classification des installations, au regard de leurs enjeux. Nous avons aussi, dans le domaine du nucléaire de proximité, développé un dispositif de télédéclaration.

J'en viens maintenant plus directement à ce qui constitue notre réflexion stratégique pour les années à venir. Nous nous préparons à cette situation d'enjeux sans précédent. Nous avons travaillé, tout au long de l'année, sur un plan stratégique, et une politique de contrôle, y compris avec une phase d'écoute des parties prenantes : exploitants, ONG, administrations, etc.

Notre maître-mot de cette politique de contrôle est l'approche graduée, en fonction des enjeux. Il s'agit de focaliser le contrôle sur les actions qui produisent le plus grand bénéfice pour la protection des personnes et de l'environnement. Deux paramètres sont à prendre en compte pour définir les enjeux : les risques intrinsèques d'une activité, et l'appréciation de la manière dont l'exploitant exerce ses responsabilités.

Dans les domaines où les installations sont jugées prioritaires, il s'agit de renforcer notre contrôle, avec des dispositifs tels que la surveillance renforcée. Lorsque les enjeux sont faibles, il s'agit de réduire explicitement notre contrôle. Nous mettons en oeuvre cette approche graduée, aussi bien dans le domaine des installations nucléaires de base, que dans le domaine du nucléaire de proximité. Nous avons déjà commencé à le faire en 2017, avec une mission pilotée par M. Philippe Chaumet-Riffaud.

Je mettrai également en avant trois autres éléments. Premièrement, nous continuons à privilégier une approche fondée sur le dialogue technique avec les exploitants. La réglementation française sur les installations nucléaires de base fixe essentiellement des objectifs, mais peu de prescriptions quant aux moyens, à la différence de ce qui se pratique aux États-Unis. Nos décisions sont fondamentalement fondées sur une appréciation technique des situations, qui inclut également les aspects organisationnels et humains. Deuxièmement, nous mettrons en place des évolutions en matière de contrôle, en particulier pour faire face aux risques de fraude, par exemple en développant des inspections chez les fournisseurs. Plus largement, nous renforcerons, sur un plan qualitatif, la présence de l'ASN sur le terrain. Troisièmement, nous poursuivrons notre implication au niveau international, en particulier sur le plan européen, avec deux objectifs : promouvoir une harmonisation par le haut, et bénéficier de l'expérience étrangère. Nous avons réussi à faire émerger une doctrine de sûreté au niveau européen, largement inspirée de l'approche française. Nous continuerons dans cette voie.

Au total l'ASN s'appuie sur un socle que vous avez contribué à mettre en place, reconnu sur le plan international.

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Cigéo interroge, à travers la question des déchets à vie longue enveloppés dans du bitume. Quel est le point de vue de l'ANDRA ? Par ailleurs, quels sont les moyens humains dont dispose l'ASN, et quelle est la carrière d'un contrôleur ? L'aspect humain n'est pas complètement négligeable dans l'autorité intellectuelle et morale de l'ASN.

M. Pierre-Franck Chevet. - Nous sommes 500 à l'ASN, et notre appui technique, l'IRSN, met à la disposition de notre action environ 500 personnes. Nous sommes donc 1 000 en France pour assurer le contrôle du parc industriel nucléaire, effectif très raisonnable, par rapport à ce qui se constate à l'étranger. La plupart des inspecteurs de l'ASN sont des ingénieurs.

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Sont-ils contractuels ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Non, la plupart d'entre eux sont fonctionnaires. Ils bénéficient d'une formation de six à neuf mois, lors de leur recrutement, pour avoir le droit d'inspecter, dans les différents domaines que nous contrôlons. La règle, qui nous convient, est de rester en poste quatre, voire cinq ans, puis de partir ailleurs. Certes, on peut penser que l'on perd alors l'investissement de la formation, mais la plupart d'entre eux reviennent. Les nouvelles expériences professionnelles qu'ils ont acquises constituent, ainsi, une source de rafraîchissement et d'enrichissement pour l'ASN. Je pense, par exemple, au domaine des installations classiques non nucléaires : les sites classés Seveso, les sites chimiques, etc.

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Comment votre implantation sur le territoire est-elle organisée ?

M. Pierre-Franck Chevet. - L'ASN est l'une des rares agences à disposer d'un réseau sur le terrain, composé de onze offices régionaux. En France, contrairement aux États-Unis, nous n'avons pas pris le parti de créer des inspecteurs résidents, c'est-à-dire en poste fixe dans une centrale ou une installation, ce pour des raisons d'indépendance.

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Ces ingénieurs, fonctionnaires de l'État, peuvent-ils être détachés chez EDF, Areva, ou au CEA ?

M. Pierre-Franck Chevet. - La loi nous interdit d'aller travailler dans les structures que nous avons contrôlées, pendant une période de latence de deux ou trois ans.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - Notre collègue députée Émilie Cariou, référente de l'OPECST pour le nucléaire à l'Assemblée nationale, et moi-même, avons plaisir à retrouver MM. Pierre-Franck Chevet et Olivier Gupta, que nous avons déjà auditionnés de manière informelle, il y a peu. Je vous remercie, messieurs, du soin que vous apportez à la qualité de nos échanges. Je vous avais interrogés alors notamment sur la nature des risques liés aux activités nucléaires sur le plateau de Saclay, leur incidence sur les projets d'aménagement, tels la future ligne 18 du métro, ou l'exposition universelle. Vous m'avez adressé, en réponse, une note très détaillée, montrant notamment la subtilité et la complexité de ces questions. Je vous remercie de vos réponses précises.

Je rappelle que le président de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a été auditionné très récemment par la commission du développement durable de l'Assemblée nationale sur des sujets liés, et sur la détection de ruthénium en Europe et en France, audition à laquelle les membres de l'OPECST étaient conviés. Vous-mêmes avez été entendus, le mois dernier, par nos collègues de la même commission du développement durable, notamment sur les questions de sécurité physique des piscines d'entreposage des combustibles usés, sur la planification de l'arrêt de certains réacteurs, ou encore sur la gouvernance de la sûreté nucléaire, dans la perspective d'une mission d'information sur la sûreté nucléaire, évoquée par la présidente Mme Barbara Pompili. Les enjeux sont complexes ; nous devrons avoir un dialogue exigeant.

Émilie Cariou et moi-même avons demandé, il y a un peu plus d'un mois, au Premier ministre Édouard Philippe, un rapport d'inspection sur les conditions d'intrusion de militants de Greenpeace sur le site de Cattenom. Le sujet reste d'actualité, puisqu'une nouvelle intrusion s'est produite récemment sur le site de Cruas-Meysse, en Ardèche. Nous venons de recevoir une réponse du Premier ministre, laquelle conduira à auditionner prochainement le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), et le commandement spécialisé pour la sûreté nucléaire, sur le risque d'une attaque malveillante, qui ne relève cependant pas de la compétence de l'ASN.

Où en sont les installations nucléaires du Tricastin, qui seront redémarrées très prochainement ? La situation est-elle entièrement sous contrôle ? Quelles procédures seront mises en place pour éviter que les falsifications, dont vous avez parlé, se reproduisent ?

M. Pierre-Franck Chevet. - L'ASN n'a pas la responsabilité des questions de sécurité à proprement parler, sauf pour les sources radioactives en vertu de la loi de transition énergétique. À l'étranger, la gestion des forces d'intervention relève certes toujours du ministère de l'intérieur, mais les autorités de sûreté nucléaire sont cependant compétentes en matière de sécurité, compétence qui s'étend à la conception technique de l'installation, pour faire face aux risques d'intrusion.

Nous réalisons des revues de conformité, afin de vérifier que les installations ont été construites comme elles auraient dû l'être. C'est un prérequis systématique aux prolongations au-delà de 40 ans. Une telle revue a été réalisée pour le site du Tricastin, qui se trouve au droit d'une portion du canal de Donzère-Mondragon, plutôt sous le niveau des eaux du canal. En revérifiant l'état de la digue, nous nous sommes rendu compte qu'elle ne pourrait résister à un séisme. La perspective d'un scénario de type Fukushima a motivé la décision d'arrêter les quatre réacteurs et les installations d'Areva sur place. Nous avons constaté l'efficacité des travaux réalisés sur la digue par EDF, mais attendons l'avis de l'IRSN avant d'autoriser le redémarrage de l'activité du site. Je précise que nous avons demandé des travaux destinés à adapter la digue à un séisme dit « majoré de sécurité ». En effet, après Fukushima, nous avions déjà demandé à toutes les centrales de se doter de protections accrues contre les séismes. Des travaux complémentaires de renforcement seront sans doute nécessaires, dans les années à venir, pour que la centrale soit au niveau post-Fukushima, ce qui n'empêchera toutefois pas de la faire redémarrer, dans les prochains jours, si les avis attendus vont dans ce sens.

Contre les risques de falsifications, il faut plus de présence sur le terrain aux moments sensibles, par exemple lorsque sont consignés les résultats des mesures. Nous pouvons dépêcher, à cet effet, du personnel de l'ASN, ou des organismes que nous agréons. Sur le site du Creusot, les mesures ont été faites par un laboratoire interne, ce qui ne veut pas dire que les falsifications sont de son fait. On peut imaginer confier davantage de contrôles à des laboratoires tiers agréés.

M. Christophe Bouillon, député. - Je précise que je ne m'exprime pas ici en tant que président du conseil d'administration de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), fonction non exécutive. Vous avez indiqué un plan de charge important : prolongations, Cigéo, démantèlements... Dans les trois ou quatre ans à venir, vos avis seront très attendus, et des décisions importantes devront être prises. Vous semblez satisfait des moyens dont vous disposez, mais comment envisagez-vous de répondre à toutes ces nouvelles demandes ? Le plan stratégique dont parle M. Olivier Gupta est-il adapté à cette montée en charge ?

Quel suivi faites-vous des avis que vous émettez ?

L'exigence d'information du public est forte, et nous sommes à l'ère de l'open data : l'information est largement disponible. De plus, chaque mot compte, et des confusions sont parfois entretenues, entre sécurité et sûreté par exemple. Vos avis et recommandations sont très techniques, et c'est normal, mais ils sont rendus publics. Comment contribuez-vous à les rendre compréhensibles par le plus grand nombre ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Nous avons reçu le renfort de cinquante personnes de l'administration d'État, soit 10 % de nos effectifs, ce qui n'est pas négligeable, et nous en attendons quinze autres. Nous pensons ainsi pouvoir remplir nos missions. Ce n'est pas tant une affaire de quantité. Les avis que nous rendons exigent des expertises de très haut niveau. Un bémol toutefois : l'avis public que nous rendons, chaque année, sur nos moyens et ceux de l'IRSN est calculé à politique énergétique constante. Si un EPR ou un nouveau modèle de réacteur est lancé, nous reverrons notre copie. Mais je le redis, compte tenu du contexte budgétaire, nous sommes très bien traités.

Toutes nos grandes décisions sont publiées sur Internet. La pédagogie reste une chose difficile dans ce domaine. Le problème de la cuve de l'EPR est un sujet d'une grande complexité, dont la compréhension exige des connaissances pointues. Nous avons donc engagé un cycle d'information et de formation, essentiellement à l'attention de l'association nationale des commissions locales d'information (ANCLI), commissions qui ont participé au groupe permanent d'experts sur la cuve de l'EPR. Certaines de nos initiatives reçoivent, à l'inverse, peu d'écho, de sorte que les consultations n'apportent rien. Certaines bonnes remarques, s'agissant des falsifications par exemple, sont venues du public, mais plus de 90 % des 13 000 contributions reçues à propos de la cuve de l'EPR disaient « j'aime le nucléaire » ou « je n'aime pas le nucléaire », ce qui ne nous a pas permis d'orienter notre décision. Nous accentuerons notre effort de pédagogie sur les sujets importants, et l'allègerons sur ceux appelant moins de commentaires du public.

Mme Émilie Cariou, députée. - L'arrêt simultané de plusieurs réacteurs peut créer des difficultés d'approvisionnement en électricité. Quid des moyens d'approvisionnement alternatifs ? À propos des écarts de conformité ou des fraudes que vous avez constatés, vous avez parlé de suivi, ne peut-on intervenir en amont, notamment par l'entremise de laboratoires agréés ?

Membre de la commission des finances, j'ai déposé un amendement pour rehausser le plafond de la taxe affectée à l'IRSN. Il n'a pas été adopté. Face à l'augmentation des enjeux auxquels l'ASN est confrontée, la même question me semble pouvoir se poser. En 2014, l'ASN avait préconisé de mettre en place des contributions directement assises sur les grands exploitants, sous le contrôle du Parlement. Cette solution n'avait pas été retenue. L'architecture actuelle du financement de l'ASN vous semble-t-elle toujours adaptée ? Sinon, à combien estimez-vous les carences financières, notamment au regard des coûts du démantèlement et du grand carénage, ainsi que des multiples mises en conformité ?

Le 10 octobre 2017, l'ASN a rendu son avis sur l'anomalie de la composition de l'acier, du fond et du couvercle de la cuve du réacteur EPR de Flamanville. Elle considère que l'anomalie n'est pas de nature à remettre en cause la mise en service de la cuve, sous réserve de la réalisation de certains contrôles spécifiques, lors de l'exploitation de l'installation. Or, dans le même temps, elle prévient que la faisabilité technique du contrôle de la cuve n'est pas acquise : c'est contradictoire et préoccupant ! La protection du public n'implique-t-elle pas d'attendre la mise au point de contrôles, avant d'autoriser la mise en service ?

Nous sommes inquiets pour la capacité financière des acteurs économiques du cycle nucléaire à faire face aux travaux d'amélioration, de sécurisation et de prolongation. Comment vos recommandations sont-elles relayées, en termes d'obligations comptables chez ces acteurs économiques ? Qui vérifie la faisabilité financière de la mise en oeuvre de ces recommandations ?

Sur les déchets bitumineux, vous avez rendu votre avis, l'IRSN aussi, des experts vont confronter leurs points de vue, mais ce problème a un impact sur le programme Cigéo.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - En effet, comment garantir qu'il n'y aura pas de risque de combustion spontanée ? Partagez-vous notre conviction que, sur ce programme, la première urgence est de mettre en place une expertise indépendante, avec des experts étrangers ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Sur l'arrêt simultané de plusieurs réacteurs, j'avais passé le message suivant lors du précédent débat sur la transition énergétique, que je formulerai à nouveau, si un tel débat se renouvelait, car c'est un point central :

La France a pris le parti de construire un parc de réacteurs standardisés. Ce fut un bon choix économique et, en termes de sûreté, il est assez facile dans ce cas de mettre en place une réparation en cas de besoin et de la déployer sur l'ensemble du parc. Toutefois, cela ne fonctionne que si les anomalies sont détectées à un stade suffisamment précoce. Sinon, nous pouvons en effet être amenés à demander, assez brutalement, en l'absence de signes avant-coureurs avant la détection, l'arrêt simultané de plusieurs réacteurs. Ainsi, l'hiver dernier, nous avons demandé l'arrêt de douze réacteurs, en raison de problèmes d'excès de carbone. Le délai n'était pas d'une semaine, mais de deux ou trois mois. Néanmoins, comme les températures ont été assez rigoureuses en janvier et en février, nous sommes passés très près d'un problème majeur d'équilibre du réseau. En clair, nous avons failli devoir organiser des coupures de courant tournantes, ce qui est tout de même un stade très avancé !

De même, au cours des derniers mois, des évènements classés au niveau deux ont concerné quatre réacteurs, mais le temps était plus doux. Bref, notre système électrique doit être dimensionné pour faire face à ce genre d'événement. Comment y parvenir ? Je ne suis pas en charge de la politique énergétique, mais cela peut consister à réserver des capacités d'effacement supplémentaires chez les grands consommateurs, ou à s'assurer de capacités de production supplémentaires en France ou à l'étranger. Il faut des marges.

Sur les falsifications, nous avons bien en tête l'intervention de laboratoires agréés en amont, à la réception des matériaux et matériels. On pense spontanément au cas du Creusot, et à des gros équipements, mais, à l'étranger, on a vu des cas concernant des objets beaucoup plus petits : cartes informatiques, petite robinetterie, etc.

Sur le financement, j'ai évoqué les moyens humains, qui constituent l'essentiel de nos besoins. Nous sommes à peu près satisfaits de ce que nous avons obtenu, sauf changement de la politique énergétique. En revanche, le fait que notre financement repose sur une base uniquement budgétaire est un vrai sujet. Une taxe affectée, sous le contrôle du Parlement, permettrait un meilleur ajustement, à la hausse comme à la baisse, en fonction des besoins.

La décision sur la cuve de l'EPR est un bon exemple de décision complexe. L'anomalie, sérieuse, d'excès de carbone dans la cuve, réduit la robustesse de celle-ci. Les calculs montrent qu'elle peut tout de même être utilisée, mais la marge est moins importante. Or, la marge sert à faire face, après la mise en service, à des dégradations qu'on ne connaît pas : corrosions, vibrations, etc. Il faut donc faire la mise en service, pour détecter ces éventuelles dégradations. Sur le fond de la cuve, le contrôle est possible. Pour le couvercle, nous ne savons pas l'effectuer. Il sera très long à développer, mais n'insultons pas l'avenir ! En tous cas, nous avons demandé que le couvercle soit changé d'ici à 2024, car nous ne voulons pas que le temps joue en défaveur de la sûreté.

II n'y a pas de système d'obligations comptables spécifiques. La loi prévoit que la gestion du démantèlement et des déchets fasse l'objet d'une provision, mais il n'y a pas d'obligation de provisions pour tous les investissements, souhaités ou envisagés. Au-delà des recapitalisations prévues ou en cours, il est évident que les questions de tarifs jouent un rôle crucial.

Pour Cigéo, la question est de savoir si un incendie peut se déclencher. Pour s'assurer que non, il faudrait séparer les colis par une telle distance que, sur le plan industriel, cela ne fonctionnerait pas. Au-delà de la probabilité technique, il y a le scénario d'actes de malveillance. Comme cette station doit être exploitée pendant une centaine d'années, éliminer la possibilité de tels actes est difficile. Il y a donc, d'une part, la sûreté, et de l'autre, la sécurité.

Mme Angèle Préville, sénatrice. - Le stockage des déchets bitumineux m'inquiète : leur contenu radioactif n'est pas entièrement déterminé, et l'enrobage dans le bitume à base d'hydrocarbure crée un risque de combustion.

Allez-vous, par ailleurs, porter plainte contre les falsifications ? Ceux qui ont falsifié n'ont sans doute pas mesuré l'impact que cela pouvait avoir. Le défaut d'information de la population pose problème, à tous les niveaux car il faut réussir à établir une relation de confiance avec nos concitoyens.

J'ai entendu dire que des déchets radioactifs auraient été largués en mer, peut-être près de nos côtes. On parle aussi de containers largués dans la Méditerranée. Avez-vous connaissance de cela ?

L'accident de Tchernobyl a contaminé le territoire français. Le nuage est resté pendant quelques jours au-dessus de la France, et il y a eu des pluies. La carte des contaminations est en tâches de léopard. Des mesures sont-elles effectuées ? Existe-t-il en France des endroits où cela pourrait poser problème pour la santé ?

À Tchernobyl et à Fukushima, les accidents ont abouti à la fusion du coeur. Des protections supplémentaires ont-elles été prévues ?

Vous avez évoqué le temps long. Dans des milliers d'années, quand tout aura disparu sous l'effet d'une période glaciaire qui aura tout broyé sur notre territoire, une chose montrera que nous avons été présents sur la Terre, c'est le stockage Cigéo !

M. Pierre-Franck Chevet. - Sur les déchets bitumineux, une analyse internationale est en cours. Je n'anticipe pas sur sa conclusion, mais c'est un enjeu majeur, car les incendies dans un ouvrage souterrain sont vraiment compliqués à gérer.

Nous n'avons pas la faculté juridique de porter plainte dans le cadre de notre mission, mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons effectué un signalement au Procureur de la République au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, et transmis toutes nos informations à la justice, qui a, par ailleurs, été saisie par plusieurs associations. Une instruction est donc en cours.

La forge du Creusot ne fabriquait pas que pour le nucléaire, et la chaîne de sous-traitance était assez complexe. Dans ces conditions, la conscience que peuvent avoir les opérateurs de base de l'enjeu que constitue la sûreté du produit final est une vraie question. Plus la chaîne est longue, plus il faut réfléchir à la meilleure manière de faire comprendre, à chaque niveau, la nécessité des critères draconiens imposés par le nucléaire.

Je n'ai jamais entendu parler de largages en mer. Mais peut-être qu'on nous cache tout !

L'IRSN a effectué un gros travail de cartographie des impacts de l'accident de Tchernobyl, effectivement en tâches de léopard, et qui s'amenuisent avec le temps. Il y a des traces, évidemment, mais je ne connais pas d'endroits où les valeurs mesurées nécessitent de mettre en place des contre-mesures de restriction.

Je me félicite que la réflexion sur les réacteurs du futur ait été lancée dès les années 1990 en France. Cela a conduit à la mise au point de l'EPR. L'idée était de changer l'ordre de grandeur de probabilité des accidents graves, en diminuant la probabilité d'une fusion du coeur, et en faisant en sorte que, si elle se produisait, il n'y ait pas de conséquences à l'extérieur, d'où la mise en place, sous la cuve de l'EPR, d'un récupérateur de coeur fondu. Sur les gros réacteurs de ce type, sinon, quand le coeur fond, il traverse la cuve. Il fallait donc imaginer un système qui le récupère avant qu'il n'atteigne le béton, qu'il peut traverser.

Les réacteurs existants n'ont pas de récupérateur de coeur, et ne disposent pas de beaucoup de place sous la cuve. Aussi, demandons-nous à EDF d'imaginer un substitut, dont l'effet soit aussi d'empêcher le coeur fondu d'atteindre le béton. Les discussions techniques sont complexes. Une solution serait d'injecter du béton à la composition chimique particulière, entre la cuve et le socle. Encore faut-il arrêter cette composition chimique.

M. Claude de Ganay, député. - Je suis à l'origine d'une loi sanctionnant sévèrement les intrusions dans les centrales nucléaires et j'ai saisi, à plusieurs reprises, le Gouvernement, en m'étonnant qu'il n'y ait pas de suites judiciaires aux intrusions.

Il y a un mois, l'IRSN a, par ailleurs, révélé la présence de ruthénium 106 dans l'atmosphère, manifestement en provenance de Russie. Comment êtes-vous associés à son travail sur cette question ?

M. Pierre-Franck Chevet. - L'IRSN nous a associés très tôt à ses premiers calculs. Notre rôle principal était de dire s'il y avait un risque en France. Les analyses nous ont montré qu'il n'y avait pas de raison de mettre en place des contrôles, même si certaines importations ont été soumises à vérification. On aurait trouvé des traces de césium sur des champignons venant de Russie, ce qui n'est pas cohérent avec les scénarios sur lesquels nous travaillons, qui évoquent plutôt un incident significatif dans une usine de retraitement. Et on n'a pas retrouvé de ruthénium.

Mme Florence Lassarade, sénatrice. - Je souhaite vous interroger sur le circuit de distribution de l'iode : sa fabrication, sa stabilité, et la précocité de sa distribution. Les populations concernées sont définies très étroitement. Et des transports sont effectués par voie ferrée. Pouvez-vous nous rassurer sur ce sujet ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Je ne suis pas payé pour rassurer, mais pour contrôler ! Cette année, comme la précédente, des comprimés d'iode ont été distribués de manière préventive autour des centrales nucléaires, car c'est là que l'iode peut avoir un effet bénéfique. Ces comprimés ont une date de péremption, même s'ils sont d'une grande stabilité, et ils font donc régulièrement l'objet d'une nouvelle distribution. L'idée est d'en profiter pour communiquer sur ce qu'est un accident. Le périmètre de dix kilomètres va évoluer. Nous avons des stocks régionaux, susceptibles d'être mobilisés pour couvrir des zones plus larges. Après tout, les rejets peuvent partir dans une direction, plutôt qu'une autre.

Mme Florence Lassarade, sénatrice. - Après Tchernobyl, il y a eu une explosion des cancers de la thyroïde, bien au-delà des dix ou vingt kilomètres du périmètre.

M. Pierre-Franck Chevet. - La position des autorités de sûreté européenne est qu'il faut prendre des mesures fortes dans une zone de vingt kilomètres - c'est la zone d'évacuation de Fukushima - et réfléchir à d'autres mesures, pour un périmètre de cent kilomètres. Mais en France, cela couvre presque tout le territoire.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - Les intrusions soulèvent la question de la sécurité, qui peut faire consensus, mais aussi celle du statut des lanceurs d'alerte, moins consensuelle. Sur ce point, l'audition du SGDSN sera intéressante. Lutter contre les actes malveillants est plus difficile que d'assurer la sûreté.

Je vous remercie pour vos réponses. Je tiens à la disposition de tous celle que vous m'avez adressée concernant le plateau de Saclay. La transparence est mère de confiance.

Enfin, que pensez-vous de la réglementation française et européenne sur les déchets radioactifs issus d'autres activités que les centrales nucléaires, comme les matériaux présentant une radioactivité naturelle renforcée désignés sous les acronymes « NORM » (Naturally Occuring Radioactive Materials) ou « TENORM » (Technologically Enhanced Naturaly Occuring Radioactive Materials) ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Une directive européenne, dite « Basic safety standard », est en cours de transposition. La question sous-jacente est celle des seuils de libération. À partir de quel seuil considère-t-on qu'un matériau est, ou non, radioactif ? C'est un sujet complexe. En France, on n'a pas défini de seuil de libération ; je ne parle pas des matériaux naturellement radioactifs. Tout matériau en provenance d'une centrale nucléaire est considéré comme radioactif, et envoyé dans un centre de traitement adapté, en fonction de sa dangerosité. Ainsi, la traçabilité est assurée. Cette démarche est couronnée de succès depuis trente ans.

Dans les années 1990, ce principe n'existait pas. Régulièrement, des matériaux radioactifs étaient détectés par les portiques de détection dans les décharges classiques. L'incident n'était souvent pas grave, mais en l'absence de traçabilité, on n'était jamais sûr d'avoir totalement circonscrit le problème, ni d'avoir détecté tous les matériaux susceptibles d'avoir été contaminés.

Toutefois, le dispositif actuel a ses limites. Ainsi, à Grenoble, lors du démantèlement d'un réacteur, on a trouvé une dalle en béton faiblement radioactive. Cette dalle aurait dû rejoindre le centre de l'ANDRA dans le centre de la France. Mais est-il judicieux de faire traverser la France en camion à une telle dalle, pas dangereuse, mais néanmoins légèrement radioactive ? Ou bien faut-il laisser la dalle sur place, grevant un terrain proche du centre-ville d'une servitude, ou encore créer un centre de stockage à proximité ? Nous croyons qu'un débat public est justifié dans de tels cas, car les enjeux sont multiples : sécurité, santé, urbanisme, aménagement du territoire, etc.

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Notre Office a eu l'occasion d'auditionner le directeur général de l'IRSN sur les déchets radioactifs de très faible activité. Votre réponse me fait penser aux demandes de certaines associations ou d'élus, inquiets du devenir d'anciens sites d'exploitation d'uranium. Certains souhaitent transporter les déchets à travers toute la France. Ce sont des milliers de tonnes. Cette idée ne semble pas raisonnable

M. Roland Courteau, sénateur. - Menez-vous des campagnes d'information et de sensibilisation sur la sûreté nucléaire, la radioactivité, et le fonctionnement des centrales nucléaires ? Dans ce cas, quel public ciblez-vous ? Y associez-vous les collectivités territoriales ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Notre mission est de protéger les personnes et l'environnement des risques liés aux activités nucléaires. Toutes nos interventions, y compris cette audition, contribuent à l'information du public. Notre site Internet comporte de nombreuses informations. Les personnes intéressées peuvent avoir accès à maintes informations en ligne. Nous avons mis en place, autour des installations nucléaires, des commissions locales d'information. C'est un dispositif qui fait référence en Europe. Toutes les personnes intéressées (élus, ONG, syndicats, etc.) peuvent participer aux réunions de ces commissions, financées par l'État et les conseils départementaux. L'État leur donne aussi des moyens pour mener des contre-expertises, si elles le souhaitent. Notre dispositif vise-t-il le grand public ? Il est en tout cas adapté à toutes les personnes intéressées et qui souhaitent s'informer. L'ASN a organisé, avec l'IRSN, une exposition sur la radioactivité, qui peut être présentée localement, à la demande des élus. L'information est accessible, mais il est vrai que le sujet est parfois complexe.

M. Roland Courteau, sénateur. - Associez-vous les établissements scolaires, et les collectivités territoriales ?

M. Pierre-Franck Chevet. - Au niveau local. Comme nous élargissons les périmètres d'intervention autour des installations de dix à vingt kilomètres, plus de monde sera concerné.

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Mon expérience d'élu, dans une région qui abrite quatre centres de production et le projet Cigéo, me rend dubitatif à l'égard de cette extension de périmètre. En France, il est aujourd'hui devenu à peu près impossible de créer un nouveau site de production nucléaire, tout comme il est à peu près impossible de supprimer des sites existants, qui sont en général assez bien acceptés, en dépit de certaines oppositions, par la majorité de la population environnante, car ces sites ont un intérêt économique, et constituent une vitrine technologique pour leur région. Les populations qui ne sont pas directement concernées, elles, sont plutôt hostiles, et il semble probable que les pouvoirs publics éviteront de créer de nouvelles centrales à l'avenir. À cet égard, l'élargissement du périmètre ne sera sans doute pas neutre. Les nouvelles populations visées vont se poser beaucoup de questions. Il faudra de la pédagogie.

Merci, Monsieur le président, pour vos réponses et votre disponibilité. Nous vous avons écouté avec attention, et nous relaierons vos propos, et votre action dans nos commissions respectives.

Communication de M. Gérard Longuet, sénateur, président, sur la saisine de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques à l'Assemblée nationale sur la question du renouvellement de l'autorisation du glyphosate par les instances européennes

M. Gérard Longuet, sénateur, président. - Lors de notre réunion constitutive du 9 novembre dernier, nous avions évoqué la part que pourrait prendre l'Office dans le débat autour du renouvellement, pour cinq ans, de l'autorisation d'utiliser la substance glyphosate en Europe, après avoir été saisis par Mme Sabine Thillaye, présidente de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, puis par M. Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques, d'une demande d'étude sur l'indépendance et l'objectivité des agences européennes chargées d'évaluer la dangerosité des substances mises sur le marché.

Avec les quatre députés et sénateurs désignés comme membres du groupe de travail, Philippe Bolo, Anne Genetet, Pierre Médevielle et Pierre Ouzoulias, nous sommes convenus que l'Office n'a pas vocation à se prononcer sur la dangerosité du glyphosate mais pourrait utilement examiner la méthodologie de l'évaluation scientifique et technique mise en oeuvre par ces agences, ainsi que la compréhension qu'en a l'opinion publique. Je rappelle que l'Office n'a aucun pouvoir d'enquête ni de contrainte à l'encontre de l'Union européenne et de ses agences, mais que cela ne nous empêche pas d'avancer avec sérieux et rigueur. C'est le sens de la lettre que nous nous apprêtons à faire parvenir aujourd'hui, Cédric Villani et moi-même, aux présidents des deux commissions qui nous ont saisis.

M. Cédric Villani, député, premier vice-président. - Je souscris aux propos du président Longuet et suis heureux que nous ayons pu être saisis de ce sujet avec la célérité qui s'imposait, tout en ayant la faculté de bien préciser les termes de la saisine.

La réunion est close à 11 h 35.