Mardi 20 février 2018

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 18 heures.

Loi de programmation militaire 2019-2025 - Audition de Mme Florence Parly, ministre des Armées

M. Christian Cambon, président. - Madame la ministre, nous sommes heureux de vous accueillir aujourd'hui sur la loi de programmation militaire 2019-2025, la LPM.

Mme Florence Parly, ministre des armées. - Voilà huit mois que j'ai la responsabilité du ministère des armées. Pendant ces huit mois, j'ai rencontré nos services, nos forces et leurs familles. Je me suis rendue, avec certains d'entre vous, sur le terrain d'opérations extérieures, comme dans les régiments ou auprès des soldats de Sentinelle.

Au cours de ces huit mois, j'ai entendu un appel - toujours le même -, un appel sans équivoque : « cela ne peut plus durer », « on ne peut pas sans cesse demander plus en donnant toujours moins. » Ce projet de loi de programmation militaire est une forme de réponse à cet appel.

Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis huit mois, nous avons appris à nous connaître, à travailler ensemble. Monsieur le président, vous avez innové en demandant l'organisation d'un débat, dans l'hémicycle, sur la revue stratégique de défense et de sécurité nationale. Je souhaite encore développer les liens de confiance qui se sont tissés entre nous dans le cadre du travail que nous allons mener conjointement pour l'examen du projet de LPM, qui est très important pour le ministère des armées.

Nous avons passé beaucoup de temps à discuter, ensemble, des sujets budgétaires. On dit que les bons comptes font les bons amis, mais nos relations ont dépassé ce stade ! Nous avons passé du temps sur le projet de loi de finances pour 2018, qui était la première étape de remontée en puissance de notre effort militaire, avec une progression de 1,8 milliard d'euros du budget de la mission Défense. À mes côtés, vous avez été très attentifs à la manière dont l'exécution de l'année 2017 se dénouerait, ce dont je vous remercie. Je ne regrette pas de m'être battue pour les dégels de crédit que le ministère des armées a finalement obtenus en fin d'année, après un premier dégel de 1,2 milliard d'euros. Nous n'aurions peut-être parié sur cette réussite, monsieur le président, mais, finalement, nous l'avons obtenue, et ce fut un travail d'équipe.

M. Christian Cambon, président. - Nous nous sommes bien battus, tous ensemble !

Mme Florence Parly, ministre. - Le temps de la gestion est maintenant terminé. Nous entrons dans l'ère de la construction, de la vision, de l'ambition. J'ai présenté, le 8 février dernier, en conseil des ministres, le présent projet de loi de programmation militaire, qui couvre la période 2019-2025. Ce texte marque le renouveau de nos armées et met fin au grand écart croissant qui pèse sur notre défense depuis tant d'années, avec, d'un côté, des budgets toujours plus contraints, des effectifs toujours plus réduits, des programmes retardés, voire arrêtés et, de l'autre, un besoin et un engagement sans cesse croissants de nos armées, en opérations extérieures comme sur le territoire national. Notre défense a été particulièrement sollicitée au cours des dernières années.

Face à des demandes si opposées et à des signaux si contradictoires, peu auraient tenu. Nos forces armées, elles, ont tenu. Elles ont accompli leur mission. Elles sont intervenues partout où c'était nécessaire, au Sahel, en République centrafricaine, au Levant. Elles ont également réussi à relever le défi de l'opération Sentinelle, pour se battre contre le terrorisme et assurer la sécurité au quotidien de nos concitoyens.

Nos armées ont donc toujours répondu présentes. Elles l'ont fait avec rigueur, efficacité et talent. Je veux à nouveau leur rendre hommage.

Mais ces tendances contraires n'avaient que trop duré. Le Président de la République a donc été extrêmement clair : les armées devaient retrouver les moyens d'accomplir leur mission. Le chef de l'État m'a chargée de lancer une revue stratégique de défense et de sécurité nationale. Ce document, dont les conclusions ont été approuvées en octobre dernier, a permis une analyse fine, précise, de la situation internationale et de l'évolution des conflits.

En bref, le monde dans lequel nous évoluons est imprévisible, plus instable, plus violent. Les conflits ont définitivement changé de visage : ils sont plus déséquilibrés, plus numériques et plus durs. La menace terroriste ne perd rien de son intensité, malgré la défaite de Daech sur le terrain. Les grandes puissances continuent de s'armer et d'affirmer leur autorité par tous les moyens. Les attaques cyber sont de plus en plus nombreuses, plus vastes et plus difficiles à parer.

Dans ce monde et face à ces guerres nouvelles, la France doit tenir son rang. Elle doit faire entendre sa voix. Elle doit être en mesure d'intervenir partout où ses intérêts sont menacés, partout où la stabilité internationale est en jeu. Il fallait une réaction forte et rapide.

Ce projet de loi de programmation militaire a été élaboré dans un délai exceptionnellement court, puisque six mois seulement se sont écoulés depuis le lancement des travaux de programmation et trois mois à peine depuis le dépôt des conclusions de la revue stratégique.

Le texte est désormais entre vos mains et celles de vos collègues députés. Le calendrier, tel qu'il a été fixé, devrait permettre son adoption définitive autour du 14 juillet prochain, cette date ayant évidemment une valeur symbolique très forte. Il se sera alors écoulé moins de dix mois entre la conception et l'adoption du projet de loi ! Par comparaison, ce délai avait été de dix-huit mois pour la LPM 2009-2014 et de quinze mois pour la LPM 2014-2019. Pour parvenir à cet objectif, tous les services du ministère ont été mobilisés.

C'est une loi de programmation de renouveau. Le Président de la République avait fixé un cap clair : consacrer 2 % de notre richesse nationale à l'effort de défense d'ici à 2025. Concrètement, la France investira dans sa défense 198 milliards d'euros entre 2019 et 2023 et 295 milliards d'euros entre 2019 et 2025, période de programmation des besoins couverte par cette LPM.

Ce projet de loi est sincère. Je l'affirme la tête haute et je veux y insister, parce que je tiens beaucoup à cette sincérité. De fait, ce texte ne se fonde que sur des crédits budgétaires « en dur » et ne prend en compte aucune recette exceptionnelle hypothétique, liée à telle ou telle conditionnalité, dont la non-réalisation viendrait perturber l'équilibre de la LPM.

En ce qui concerne la provision pour les opérations extérieures, sujet qui nous a tous beaucoup occupés, je rappelle que son montant, fixé à 450 millions d'euros dans la précédente LPM, s'était avéré extrêmement bas par rapport à la réalité des engagements. C'est la raison pour laquelle, dès la loi de finances pour 2018, nous avons revu cette provision à la hausse, à 650 millions d'euros. Toutefois, il fallait aller plus loin : la LPM prévoit de la porter à 1,1 milliard d'euros dès l'année 2020.

Au-delà de cette augmentation significative, une indication forte de méthode a été inscrite dans la présente LPM, qui prévoit que, si cette provision n'était pas entièrement dépensée, les crédits seraient conservés au bénéfice du ministère des armées. En sens inverse, il est également écrit noir sur blanc que, si son montant devait ne pas suffire, l'éventuel surcoût ferait l'objet d'un financement interministériel. Ces éléments de sincérisation me paraissent importants.

Ce texte marque également une rupture avec les réductions d'effectifs engagées dans le cadre des précédentes lois de programmation militaire, réductions certes interrompues dès 2015, avec une première révision à la hausse, et de premières créations d'emplois en 2016, qui se sont poursuivies en 2018. La LPM 2019-2025 prévoit quant à elle 6 000 créations de postes. Il s'agit donc d'une loi de rupture, avec laquelle nous souhaitons pouvoir cueillir les fruits de la remontée en puissance de nos armées.

Comment avons-nous travaillé ? Nous avons d'abord examiné ce que serait une ambition à l'horizon 2030 pour des armées capables d'agir et de l'emporter sur tous les terrains, face à tous les assauts. Cette ambition a été validée par le Président de la République lors d'un conseil de défense qui s'est tenu au mois de novembre 2017. À partir de cette ambition, qui consiste à disposer d'un modèle d'armée complet et équilibré, capable de remplir ses missions de manière « soutenable » dans la durée - le terme est important -, nous avons travaillé de manière à traiter l'ensemble des fonctions stratégiques de notre outil de défense : la dissuasion, la protection, la connaissance et l'anticipation, la prévention et, bien sûr, l'intervention.

Le projet de loi de programmation se déploie autour de quatre axes. En premier lieu, c'est « une LPM à hauteur d'homme ». Les précédentes LPM se focalisaient principalement sur les gros équipements. Pour ma part, je suis très fière que les femmes et les hommes de nos armées, civils comme militaires, soient placés au coeur de cette loi de programmation. Le premier chapitre leur est consacré, ce n'est pas un hasard, mais une volonté. Il s'agit d'assurer l'amélioration de la condition du personnel, les conditions de vie des familles, des conditions de formation, de préparation opérationnelle et d'entraînement.

Ainsi, nos soldats se verront dotés de nouveaux treillis ignifugés, équipements que nos armées attendent depuis longtemps, sans que les promesses aient jusqu'à présent pu être tenues. 23 000 premiers treillis seront livrés en 2019. 100 % du personnel en OPEX en seront équipés dès 2020, et l'intégralité de nos forces dès 2025. De même, 55 000 gilets pare-balles du dernier standard seront livrés sur la période couverte par la LPM, dont 25 000, soit presque la moitié, dès l'année prochaine. 100 % des militaires de la garde nationale en seront équipés dès 2019. Nous leur devions cette reconnaissance et cette marque de respect.

C'est volontairement que j'insiste sur ces petits équipements, qui font le quotidien des soldats et définissent l'exercice de leur engagement. C'est aussi le déficit de petits équipements qui, trop longtemps, a fait la honte des décideurs publics face à nos armées.

Ce projet de loi de programmation militaire porte aussi un engagement, celui du Plan famille, que je vous ai présenté au mois d'octobre dernier et dont la plupart des mesures entrent en application cette année : places en crèches, prêt spécifique d'aide à l'accès à la propriété, élargissement de l'offre de prestations sociales pendant l'absence en mission... La LPM prolongera le Plan famille, avec 528 millions d'euros pour poursuivre l'effort dans la durée.

Deuxième axe, le renouvellement des capacités opérationnelles. Pour que nos forces puissent agir pleinement et pour garantir le succès de nos opérations, il faut aussi renouveler nos capacités opérationnelles. Équipements étaient vieillissants et parfois devenus inadaptés, impasses capacitaires faisaient planer des dangers sur notre supériorité opérationnelle. Cette LPM répare le présent et prépare l'avenir. Les matériels les plus anciens, particulièrement usés au cours des dernières années en raison de l'intensité de nos engagements, seront les premiers à être remplacés. Le programme Scorpion sera accéléré et 50 % des nouveaux blindés - Griffon, Jaguar ou véhicules blindés multi-rôles légers - seront livrés d'ici à 2025.

La marine nationale recevra de nouveaux sous-marins nucléaires d'attaque ainsi que de nouvelles frégates. Les quatre premiers SNA Barracuda, les trois dernières frégates multi-missions et les deux premières frégates de taille intermédiaire seront livrées d'ici à 2025.

Contrairement à ce que l'on peut lire ici ou là, l'armée de l'air ne sera pas en reste. Dans la période couverte par la LPM, elle connaîtra l'arrivée de 6 drones Reaper armés, du premier système de drone Male européen et d'avions de chasse, en l'occurrence 28 nouveaux Rafale et 55 Mirage 2000D rénovés. L'armée de l'air bénéficiera aussi des 12 premiers avions ravitailleurs de nouvelle génération MRTT, qui étaient très attendus et qui seront livrés d'ici à 2023. Grâce à cette accélération des programmes, nos armées bénéficieront d'équipements plus modernes, plus adaptés, pour combler un certain nombre de manques capacitaires devenus critiques.

En outre, nous avons décidé d'augmenter le nombre des commandes d'avions ravitailleurs, puisque nous allons porter notre cible de 12 à 15. De même, pour la marine nationale, nous avons élevé notre cible de bateaux patrouilleurs de 17 à 19, dont 11 livrés d'ici à 2025, contre 4 dans le schéma antérieur. Là encore, il s'agit de remédier à des situations extrêmement dommageables, en particulier en outre-mer.

Aucune impasse n'a donc été faite et les trois armées verront leurs capacités renforcées et renouvelées. Enfin, ce projet de loi de programmation militaire respecte un autre engagement du Président de la République, puisqu'il lance le renouvellement des deux composantes de notre dissuasion nucléaire.

Le troisième axe du texte consiste à garantir notre autonomie stratégique et à faire émerger une autonomie stratégique européenne. Garantir notre autonomie stratégique, c'est s'assurer que la France fera toujours entendre sa voix et sera capable de l'emporter quel que soit le terrain, l'adversaire ou les conditions.

Pour anticiper les menaces et les évolutions géopolitiques, nous faisons porter prioritairement nos efforts sur le renseignement. Ainsi, nous avons prévu que 1 500 nouveaux postes, sur les 6 000 que j'ai annoncés tout à l'heure, seraient créés au profit des services de renseignement, et nous investirons en faveur de celui-ci 4,6 milliards d'euros au cours de la période. Ces investissements se traduiront par des drones, des avions de guerre électronique ou encore des satellites.

Avec cette LPM, nous serons également efficaces sur les nouveaux terrains, tels que la lutte dans le cyberespace. Pour ce faire, nous avons prévu d'investir 1,6 milliard d'euros et de recruter plus de 1 000 cybercombattants supplémentaires d'ici à 2025. Le renseignement et la lutte cyber sont deux priorités très marquées, aussi bien en effectifs qu'en investissements.

La France est la plus grande armée d'Europe. Elle est la deuxième armée du monde libre. Avec cette LPM, la France conforte sa place. C'était une nécessité. Cependant, nos voisins européens sont confrontés aux mêmes menaces et aux mêmes dangers que nous. Forts de notre position de leader en Europe, nous pourrons, grâce à cette LPM, porter des coopérations autour de projets stratégiques à dimension européenne. Je pense à notre politique spatiale ou à notre groupe aéronaval. Ces éléments différenciants doivent permettre d'attirer des partenariats de la part de nos alliés.

L'Europe ne se construira pas sur de bonnes intentions et à coup de traités, de directives ou de règlements, mais autour de projets et de coopérations très concrètes, militaires, industrielles,... C'est ce que nous avons évoqué au cours de la conférence de Munich le week-end dernier. La notion d'autonomie stratégique européenne ne peut pas être un concept : elle doit se construire par l'exemple !

Ce projet de loi de programmation militaire comporte un certain nombre d'éléments différenciants. Par exemple, nous avons prévu des crédits pour financer des études en faveur d'un nouveau porte-avions. De tels éléments doivent favoriser l'émergence d'une autonomie stratégique, non seulement française, mais aussi européenne.

Quatrième axe, l'innovation. Ce n'est pas un sujet gadget ni un supplément d'âme, mais une nécessité absolue au moment où le numérique est partout et change les usages et les modes de combats. Il faut absolument prendre en compte cet enjeu.

Beaucoup a été fait au cours des derniers mois, mais ce n'est qu'un début. Je pense en particulier au fonds Definvest, que nous avons créé en lien avec Bpifrance et la direction générale de l'armement, la DGA. Nous avons aussi lancé des partenariats d'innovation, comme le partenariat Artemis.

Le présent projet de loi va accélérer ce mouvement. L'accent a été fortement mis sur la recherche et le développement. Dans la loi de finances pour 2018, les crédits consacrés aux études et à l'innovation s'élevaient à 730 millions d'euros. Ils passeront à 1 milliard d'euros dès 2022, soit une augmentation de près d'un tiers. Nous allons également prévoir des crédits importants pour préparer les grands programmes d'armement qui structureront les trente ou quarante prochaines années : 1,8 milliard d'euros par an en moyenne seront alloués aux études, pour concevoir aussi bien le successeur du porte-avions Charles-de-Gaulle que le futur char de combat ou le système de combat aérien du futur.

Cette LPM n'est pas seulement un texte de sincérité ou d'ambition : elle est aussi un texte de responsabilité. En effet, comme l'a déclaré le Président de la République lors de ses voeux aux armées, si la Nation consent à accorder des moyens exceptionnels à nos armées, nous devons nous montrer à la hauteur et garantir que chaque euro investi sera bien employé.

Pour ce faire, il faut aussi que le ministère des armées poursuive sa modernisation. Le terme « modernisation » s'inscrit dans un contexte très différent de celui dans lequel il était précédemment utilisé. Les précédentes LPM traduisaient une modernisation sous contrainte. Cette fois, la modernisation est choisie et voulue. Cela change profondément le sens des 14 chantiers sont inscrits dans le Plan action publique 2022, visant à poursuivre la transformation et la modernisation du ministère. La DGA sera transformée pour conduire plus efficacement les programmes d'armement au service de nos armées, nous permettre d'innover davantage et plus vite, renforcer la coopération internationale, en particulier européenne, en matière d'équipement, qu'il s'agisse, d'ailleurs, de coopération ou d'exportation.

Nous allons également créer une direction générale du numérique, qui veillera à la numérisation de l'ensemble de notre ministère, et nous mènerons jusqu'au bout la réforme du maintien en condition opérationnelle aéronautique, que j'ai eu l'occasion de présenter voilà quelques semaines. Nous lancerons également la réforme du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres. La LPM 2019-2025 marque une remontée en puissance. J'aborde l'examen de ce projet de loi avec beaucoup de confiance, mais aussi d'enthousiasme. Et je connais l'engagement et la volonté de votre commission pour assurer l'avenir de notre défense.

M. Christian Cambon, président. - Je vous remercie de cette présentation. Le texte va globalement dans le bon sens, même si, comme toujours, le diable se niche dans les détails. En particulier, la hauteur des marches à franchir sur les années 2023 à 2025 peut poser question.

Je veux saluer nos collègues membres de la commission des finances, Dominique de Legge, rapporteur spécial, et Michel Canevet. Je précise qu'un certain nombre de nos collègues participent par ailleurs à l'audition, en ce moment même, de M. le ministre de l'intérieur par la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure.

M. Cédric Perrin. - Madame la ministre, je veux vous féliciter pour les dégels que vous avez réussi à obtenir pour l'année 2018. C'était une attente forte. L'action commune a été fructueuse.

À l'automne dernier, le Sénat a adopté un amendement à l'article 14 du projet de loi de programmation des finances publiques, visant à préserver les dépenses du ministère des armées. Cet amendement a été rejeté par l'Assemblée nationale, et l'article 14 est devenu l'article 17 de la loi promulguée, qui dispose que le montant de restes à payer « ne peut excéder, pour chacune des années 2018 à 2022, le niveau atteint fin 2017 ».

Comment cet article s'articule-t-il avec l'affirmation contenue dans le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire, selon laquelle « cette disposition programmatique de la loi de programmation des finances publiques ne contraindra pas les investissements du ministère des armées » ? C'est un sujet d'inquiétude pour nous, comme probablement pour vous-même.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Globalement, je crois que ce texte répond à toutes les demandes et à tous les besoins, notamment en matière d'équipement. La date de livraison pose question, mais elle dépendra évidemment des budgets votés précédemment.

Je veux vous féliciter, madame la ministre, pour l'intérêt particulier que vous portez aux ressources humaines. Nous connaissons votre attachement à inclure les familles. Cette LPM est à hauteur d'homme - et de femme -.

Enfin, je veux vous féliciter pour la communication très positive qui a été faite autour de ce projet de loi : avant même sa sortie, ceux qui s'intéressent à nos armées avaient à son sujet un a priori très positif. Nous l'abordons avec beaucoup de bienveillance.

Cela dit, je veux vous poser une question très pragmatique : l'augmentation des crédits qui la caractérise est bienvenue, notamment s'agissant du renouvellement des équipements, mais contraste avec des réductions d'effectifs et les stabilisations des budgets qui touchent les autres ministères.

L'abondement d'un budget se traduit généralement par une coupe ailleurs. Dès lors, est-il raisonnable de prévoir aujourd'hui une telle hausse de crédits à partir de 2023 ?

M. Jean-Marie Bockel. - Je fais miennes les remarques positives de mes collègues.

Dans la revue stratégique, il est indiqué que, « compte tenu du format actuel des armées, il en résulte un dépassement des contrats opérationnels et des difficultés lourdes en matière d'entraînement et de soutien. » Vous ne serez donc pas étonnée, madame la ministre, que je m'interroge non pas sur la sincérité - je vous ai bien entendue -, mais sur la faisabilité du dimensionnement, sur toute la durée de la période de programmation, des contrats opérationnels présentés dans le rapport annexé à la LPM, qui n'ont été modifiés qu'à la marge. La LPM prévoit que le contrat opérationnel comporte trois théâtres d'opérations extérieurs durables, avec, de plus, la capacité d'assumer le rôle de nation cadre et d'être contributeur majeur au sein d'une coalition.

Bien sûr, l'arbitrage financier ne nous a pas échappé, mais est-ce soutenable ? Peut-on envisager, dans l'environnement stratégique actuel, l'impossibilité d'ouvrir un nouveau théâtre d'intervention extérieur sauf fermeture d'une OPEX en cours ?

J'ai évoqué à plusieurs reprises la question du soutien aux exportations, le Soutex, qui représente 6,6 % des effectifs supplémentaires prévus par la prochaine loi de programmation. Selon le chef d'état-major de l'armée de l'air, M. le général Lanata, le volume d'activité du Soutex équivaudrait à celui de l'activité chasse dans l'opération Barkhane, soit 10 % de l'activité de l'armée de l'air.

Pour tenir compte des difficultés de la période précédente, 400 postes supplémentaires ont été prévus, notamment au niveau de la DGA. Cela suffira-t-il compte tenu du « contrat du siècle » australien ou des besoins du Rafale ? Cet aspect n'est pas très médiatique, mais il est important.

M. Jean-Marc Todeschini. - La mise en place du service national universel est aujourd'hui devant nous. Faute d'informations précises, il est difficile d'en évaluer le coût. Au passage, on peut regretter qu'aucun parlementaire ne siège dans la commission chargée de remettre au Président de la République un rapport sur le sujet.

Quoi qu'il en soit, le ticket d'entrée dans le système du service national universel atteindra certainement quelques milliards d'euros. Sur cinq ans, le coût sera certainement largement supérieur.

La loi de programmation militaire précise que la création des 6 000 postes se fera indépendamment du service national universel. Or le ministère des armées prendra naturellement sa part dans la création de celui-ci. Il ressort même des premières auditions que Jean-Marie Bockel et moi-même avons menées que cette part pourrait s'élever à 30 %.

Madame la ministre, vous avez évoqué un budget sincère. Tant mieux, mais pouvez-vous nous garantir que l'effort supplémentaire de 1,7 milliard d'euros ne sera pas amputé du coût de la part du service national universel qui restera à la charge du ministère des armées ? Cette part sera-t-elle bien financée en dehors de la LPM ?

M. Christian Cambon, président. - Compte tenu de l'incertitude qui prévaut sur le service national universel, nous partageons tous cette préoccupation.

M. Pascal Allizard. - Je vous remercie, madame la ministre, pour la grande clarté de votre exposé. Notre a priori favorable sur le projet de loi de programmation militaire n'empêche nullement certaines interrogations, notamment quant à sa soutenabilité budgétaire dans le temps. Mon collègue Michel Boutant, avec lequel je co-rapporte pour avis le programme 144 « environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense », étant retenu par la présidence de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure, je me permets de vous demander en son nom quelques précisions sur le recrutement annoncé de 1 500 postes destinés au renseignement. À quel niveau d'effectifs de départ est attaché cet objectif ? S'agissant des services directement rattachés à votre ministère, à quel rythme seront effectués ces recrutements ? Comment est-il prévu de résoudre la difficulté de recruter certains profils très spécialisés de contractuels de haut niveau ? Est-il envisagé d'assouplir les modalités de rémunération pour améliorer l'attractivité des postes proposés ? Je vous interrogerais, quant à moi, sur les programmes d'équipements conduits au titre de la fonction « connaissance et anticipation » : quel sera leur montant ? À quel rythme seront-ils réalisés ? Des coopérations avec nos alliés sont-elles prévues dans ce cadre ? Envisagez-vous enfin des acquisitions sur étagère et, le cas échéant, pour quel montant ?

M. Olivier Cadic. - Les cyberattaques apparaissent toujours plus nombreuses et dangereuses; le Pentagone a indiqué à cet égard que les fake news constituaient la principale menace de guerre hybride. À cet effet, le projet de loi de programmation militaire prévoit d'y consacrer 1 500 postes supplémentaires entre 2019 et 2025 pour atteindre un effectif de 4 000 emplois à la fin de la période. Vous nous avez toutefois cité le nombre de mille lors de votre présentation. Par ailleurs, à la lecture du document budgétaire, il est difficile d'identifier cette fonction, répartie entre différents services (État-major des armées, direction générale de l'armement, direction générale de la sécurité extérieure, etc.). Comment ces recrutements s'articuleront-ils entre ces entités ? Quel en sera le rythme ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial de la commission des finances. - Je remercie la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de m'avoir associé à cette audition. Le projet de loi de programmation militaire que vous nous avez présenté possède deux atouts principaux à mes yeux : l'absence de financement par des recettes exceptionnelles et la qualité de son volet sur la condition militaire ; j'y vois un écho à mon récent rapport relatif à l'immobilier. Je m'interroge cependant sur les dispositions du rapport annexé relatives au porte-avion, qui indiquent qu'au cours de la période 2019-2025, des études seront initiées pour définir les modalités de réalisation d'un nouveau bâtiment. Quand sera prise la décision de lancer ce chantier, afin d'éviter que la France ne se retrouve privée de porte-avion au retrait du Charles-De-Gaulle ? À cet effet, des crédits seront-ils alloués à ce projet dès la loi de programmation militaire à venir ?

Mme Florence Parly, ministre. - S'agissant des restes à payer, si la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 était appliquée à la lettre, il serait inutile de discuter plus avant du présent projet de loi de programmation militaire, tant ils entreraient en contradiction. Pour éviter ce biais, le rapport annexé, qui a la même portée normative que le texte lui-même, précise que la disposition de la loi précitée du 22 janvier 2018 relative aux restes à payer ne contraindra pas les investissements du ministère des armées.

Il m'est plus difficile de répondre à Mme Conway-Mouret s'agissant des arbitrages budgétaires entre ministères. Si je ne suis plus en charge des finances publiques, je suis solidaire d'un Gouvernement, qui poursuit le double objectif de consacrer, à échéance 2025, 2 % du produit intérieur brut (PIB) de la France à la défense et d'améliorer structurellement la situation des finances publiques, au regard notamment des règles européennes en matière de déficit. Dans ce contexte de maîtrise budgétaire, le projet de loi de programmation militaire représente un effort exigeant, qui témoigne de la volonté gouvernementale de donner aux armées les moyens d'exercer leurs missions. Quant au fait que cet effort soit plus concentré à partir de 2023, voyons plutôt le verre à moitié plein qu'à moitié vide ! De fait, les moyens croissent dès 2018, avec des rythmes d'augmentation annuels très significatifs. M. Jean-Jacques Bridey, président de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale, me faisait remarquer lors d'une récente audition que, sans l'augmentation de crédits réalisée sur la dernière année d'application de la loi de programmation militaire 2014-2019, les objectifs annoncés dans le présent projet de loi de programmation militaire auraient été difficiles à atteindre. Tout est donc affaire d'appréciation... Je sais d'ailleurs que vous serez vigilants quant à l'effectivité de ces dotations, soumises au principe de l'annualité budgétaire. Nous avons, en outre, prévu de dresser en 2021 un premier bilan d'exécution, qui nous permettra également de définir plus précisément les réalisations de la seconde période de mise en oeuvre de la loi de programmation. Qui sait en effet quel sera le PIB de la France en 2025 ? Il conviendra donc d'ajuster à mi-parcours, de façon à atteindre à échéance notre objectif de 2% du PIB.

Vous m'avez interrogée, monsieur Bockel, sur les contrats opérationnels et l'absence, dans le projet de loi de programmation militaire, de changement de vision s'agissant du nombre de théâtres d'OPEX ou de coalitions dans lesquelles la France jouerait un rôle de nation cadre. Notre objectif, comme le soulignait la revue stratégique de défense et de sécurité nationale menée en 2017, est d'insister sur la fonction préventive de notre activité de défense, en agissant en amont des crises pour éviter leur survenance ou, à tout le moins, en maîtriser les effets. En conséquence, nous avons choisi de ne pas augmenter le nombre de théâtres d'opérations, tout en prévoyant, compte tenu du fait que, déjà, les contrats opérationnels de chacune des armées ne sont pas respectés, de faire évoluer ces contrats au cours de la période d'application de la prochaine loi de programmation militaire.

Ces dernières années, les opérations d'exportation ont constitué de beaux succès, avec un impact très positif pour nos industries. Elles ont néanmoins pour corolaire une implication lourde de nos armées : certes, elles reçoivent un dédommagement financier des industriels, mais les personnels en charge de cette mission ne sont, de fait, pas présents sur d'autres tâches. Le projet de loi de programmation militaire prévoit, en conséquence, d'augmenter leurs effectifs à hauteur de 400 postes.

Monsieur Todeschini, vous souhaitiez des précisions sur le service national universel. Je ne puis guère vous en donner car le sujet ne concerne nullement le présent texte. Je vous renvoie aux voeux du Président de la République aux armées et à l'engagement selon lequel le service national universel n'a pas vocation à émarger sur les moyens de la défense. Nous en connaîtrons prochainement plus précisément les modalités, mais, quoi qu'il en soit, je protégerai les moyens alloués à prochaine loi de programmation. Nous participerons bien sûr au projet, dont la dimension interministérielle est évidente, mais aucunement seuls.

M. Allizard m'a interrogée sur les objectifs en matière de recrutement : nous atteindrons 274 936 emplois au sein du ministère à échéance 2025, soit 6 000 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires par rapport à 2018. Le rythme de recrutement est défini à l'article 5 du projet de loi de programmation : 500 emplois seront créés en 2018, 450 en 2019, puis 300 en 2020 comme en 2021, 450 en 2022 et 1 500 par an entre 2023 et 2025. Pour ce qui concerne plus spécifiquement les 1 500 créations de postes destinées au renseignement, que nous souhaitons privilégier en priorité compte tenu de la longueur des formations, des discussions auront prochainement lieu avec le ministère de l'action et des comptes publics pour envisager les moyens de rendre plus attractives les rémunérations proposées. Monsieur Cadic, les 1 500 créations de postes pour le cyber-renseignement se partagent entre près de 1 100 postes de cyber-combattants et 400 dans le renseignement numérique. Quant au rythme de recrutement et à la ventilation des nouveaux effectifs entre les différentes entités, le sujet est sensible et n'a pas, à ce jour, été tranché. Nous en reparlerons dans le cadre des prochains projets de loi de finances.

Le porte-avions Charles-De-Gaulle sera retiré du service actif à l'horizon 2040 ; il convient donc de réfléchir dès aujourd'hui à son remplacement. Au cours de la période couverte par la prochaine loi de programmation militaire, des études seront menées afin de préciser les caractéristiques d'un futur porte-avions et du calendrier associé. A ce stade, la possibilité de disposer d'un second porte-avions avant le retrait du service du Charles de Gaulle, est ouverte.

S'agissant enfin, pour répondre à M. Allizard, si nous avons par le passé réalisé des acquisitions sur étagère - je pense notamment au remplacement du Famas -, aucun programme de ce type n'est aujourd'hui prévu, ce qui ne signifie pas qu'il faille se priver de cette opportunité.

M. Gérard Poadja. - Le projet de loi de programmation militaire a pour ambition de renouveler les capacités opérationnelles et les équipements des armées et je me réjouis de la modernisation annoncée de notre défense. Je m'inquiète toutefois - je m'en suis ouvert à Geneviève Darrieussecq en décembre dernier - des moyens très insuffisants alloués à la surveillance de la zone économique exclusive (ZEE) de Nouvelle-Calédonie, qui représente 15 % de la surface de la ZEE française et se trouve la cible fréquente des pirates asiatiques qui pillent ses ressources naturelles. Outre la base aéronavale de Tontouta, nous ne disposons que de deux patrouilleurs P400 coûteux à entretenir et à bout de souffle. C'est très insuffisant ! Apporterez-vous une vigilance particulière au renouvellement des matériels affectés à la surveillance de cette zone ?

M. François Patriat. - Votre projet met en cohérence les missions confiées aux armées, dans le cadre de conflits toujours plus violents, avec les moyens qui leur sont dévolus. Il offre également à la France, avec l'objectif de 2 % du PIB destinés à sa défense, la possibilité de construire une autonomie stratégique à l'échelle européenne. S'agissant de la défense européenne, il me semble que l'une de ses principales lacunes réside dans la multiplication des armes utilisées : nous avons dix-sept types de chars lourds de combat, contre un seul aux États-Unis ! Cette dispersion est aussi coûteuse qu'inefficace.

M. Yannick Vaugrenard. - Comme mon collègue François Patriat, je m'interroge sur l'avenir de l'Europe de la défense, que votre texte promeut. Vous semblez présupposer que l'implication des États membres se renforcera à l'avenir sur les questions de défense. Quels éléments vous font envisager une telle évolution ? Comment, par ailleurs, inciter les pays européens à s'engager plus avant pour la sécurité du continent africain ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. - J'ai bien compris que l'expression « en même temps » était au coeur de la doctrine politique du Président de la République... Alors, est-il possible de rechercher l'autonomie stratégique de la France et, en même temps, de renforcer l'Europe de la défense ? Cette dernière n'est-elle pas d'ailleurs compromise par le Brexit et le flou entretenu par la nouvelle coalition gouvernementale allemande sur les questions militaires ?

M. Philippe Paul. - Je m'interroge, comme Dominique de Legge, sur le calendrier de remplacement du porte-avion Charles-De-Gaulle. Selon les spécialistes, il faudrait trois ans pour réaliser les études préalables et six à huit ans pour construire un bâtiment. Dès lors, pourquoi ne mentionner qu'un remplacement en 2040 et non pas avant ? Vous envisagez, en outre, un possible retour à une permanence de porte-avion en alerte. Cela signifie-t-il que la construction de deux nouveaux bâtiments pourrait être programmée ? Un porte-avion coûte 500 millions d'euros par année de fabrication, auxquels il convient d'ajouter environ 3 milliards d'euros pour l'achat de Rafales et d'Hawkeye...

M. Hugues Saury. - Vous nous avez pleinement rassurés s'agissant de l'application, par votre ministère, de l'article 14 de la loi de programmation des finances publique pour les années 2018 à 2022 relatif aux restes à payer. Alors que le monde s'arme massivement, l'effort de la France sera-t-il suffisant pour tenir son rang ? Est-il à la hauteur de celui réalisé par les autres nations ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je regrette de ne pas vous avoir entendue sur les réservistes, bien que l'homme ait été placé au coeur de ce texte. Par ailleurs, s'agissant de la défense européenne, j'aimerais vous faire partager une anecdote vécue à l'assemblée parlementaire de l'OTAN. À ma question portant sur le renforcement de la défense européenne parallèlement à l'alliance atlantique, Jens Stoltenberg, son secrétaire générale, a fait remarquer qu'après le Brexit, la défense de l'Europe serait assurée à 75 % par des pays qui n'en étaient pas membres. Que pensez-vous de cette réflexion ?

M. Ladislas Poniatowski. - Si la majorité sénatoriale approuvera globalement votre projet de loi de programmation militaire, celui-ci n'est pas exempt de quelques faiblesses. Je pense notamment à l'absence d'ambition concernant les OPEX. Alors que depuis deux ans, les sommes qui y sont consacrées chaque année dépassent le milliard d'euros, vous ne prévoyez que 650 millions d'euros par an pour 2019. Certes, l'enveloppe est supérieure aux 450 millions d'euros annuels actuels et s'établira à 1,1 milliard d'euros en 2020, mais elle demeure insuffisante ! En outre, les augmentations annoncées sont inscrites sur les exercices budgétaires sur lesquels vous risquez de ne plus être aux affaires. Quelles seront les conséquences de cette frilosité sur les OPEX, alors que, comme le remarquait très justement Jean-Marie Bockel, nous ne savons nullement ce à quoi nous allons être confrontés dans les années à venir ? Avez-vous notamment prévu de désengager la France de certains théâtres d'opération ?

M. Jacques Le Nay. - Un projet de loi de programmation militaire à hauteur d'homme, comme vous le revendiquez, doit prendre en considération le moral des troupes, fortement affecté par les dysfonctionnements à répétition du système de paie Louvois depuis son installation en 2011. Les problèmes liés au recouvrement des trop perçus seront-ils soldés à l'occasion du passage au nouveau logiciel Source Solde ?

Mme Florence Parly, ministre. - Monsieur Poadja, la ZEE de Nouvelle-Calédonie est effectivement victime de campagnes de pêche illicite, malgré les nombreuses interceptions aériennes et maritimes réalisées ces deux dernières années. Après la tempête Irma, j'ai souhaité qu'une réponse urgence soit apportée aux carences en matière de patrouilleurs et, dès 2019, un bâtiment dit « patrouilleur léger guyanais » (PLG) sera livré aux Antilles. Le présent projet de loi de programmation militaire prévoit, pour sa part, six nouveaux patrouilleurs pour les territoires d'outre-mer, dont deux destinés à la Nouvelle-Calédonie.

Je partage votre analyse, monsieur Patriat, sur la situation européenne peu rationnelle en matière d'équipements militaires, qui conduit à des problèmes d'interopérabilité et, surtout, montre la faible consolidation de l'industrie européenne de défense, alors qu'un tel phénomène est à l'oeuvre ailleurs. En Russie et en Asie, de nouveaux acteurs émergent, qui rend d'autant plus nécessaire de renforcer notre industrie. Il convient donc de renforcer les coopérations sur les programmes d'équipement comme avec l'Allemagne pour les chars de combat, les systèmes d'artillerie et les avions de patrouille maritime. Nous travaillons également avec l'Italie concernant les pétroliers ravitailleurs et avec l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie sur le drone moyenne altitude longue endurance (MALE). Il est, en outre, nécessaire de structurer nos industries, sur le modèle de la fusion des groupes français Nexter et allemand Krauss-Maffei-Wegmann (KMW). Je me suis ainsi rendue récemment à Rome au sujet du rapprochement en cours entre l'italien Fincantieri et le français Naval Group. Face à la puissance américaine, nous devrions également assumer d'appliquer un principe de préférence européenne pour les programmes d'équipement. Mais de nombreux États continuent à acheter américain au détriment de nos industries, ainsi de l'achat récent, par la Suède, de missiles Patriot. La diversité des matériels utilisés en Europe doit être réduite en travaillant sur des programmes d'équipement communs, qui pourraient être favorisés, malgré les réticences de certains, avec la mise en oeuvre, en 2019, du fond européen de défense. Je crois, quoi qu'il en soit, que les États européens, confrontés pour beaucoup au terrorisme, ont pris conscience du nécessaire renforcement de la défense européenne. Il est évident pour chacun que les États-Unis, partenaires majeurs, ne peuvent pas pour autant toujours intervenir.

Mme Garriaud-Maylam a évoqué les relations entre l'Europe de la défense et l'OTAN. Il n'existe selon moi ni contradiction ni opposition : une Europe de la défense forte ne pourra que conforter l'efficacité de l'alliance atlantique. Parler d'effet d'éviction à cet égard, comme je l'ai récemment entendu lors de réunions de l'OTAN à Bruxelles et à Munich, constitue une erreur ! La croissance des dépenses militaires de la France en vue d'atteindre 2 % du PIB va d'ailleurs dans le sens des demandes de l'OTAN à ses membres et James Mattis, secrétaire à la défense des États-Unis, est favorable à cet objectif. Le Brexit ne doit pas faire oublier la puissance de l'armée britannique, avec laquelle nous souhaitons continuer à collaborer pour la défense de l'Europe, intention réciproque comme Theresa May l'a récemment indiqué à Emmanuel Macron. Nos attentes en matière d'exportation dans le cadre des programmes communs d'équipement sont effectivement élevées ; nous serons donc attentifs aux positions de la coalition allemande en la matière.

Pour ce qui concerne le prochain porte-avions, il s'agit de se donner les moyens, en menant les études adéquates, de savoir s'il convient ou non de lancer la production d'un nouveau bâtiment sans attendre arrêt du Charles-De-Gaulle, afin d'assurer la continuité de notre présence en mer et de prévoir une période de recouvrement entre les deux bâtiments. À terme, peut-être, un nouveau projet pourrait être lancé.

Les statistiques publiées par l'OTAN pour l'année 2016 montrent que les dépenses militaires des pays de l'alliance atlantique ont, en moyenne, progressé de 4,3 %. Elles atteignaient par exemple 1,2 % du PIB en Allemagne, 1,79 % en France, 1,19 % en Italie et 2,17 % en Grande-Bretagne. L'Allemagne prévoit d'augmenter ses dépenses de 1,2 à 1,5 milliard d'euros supplémentaires par an d'ici 2021. La France n'a donc pas à rougir de ses perspectives en la matière sur la même période : 1,8 milliard d'euros en 2018, puis 1,7 milliard d'euros en 2019, 2020 et 2021. La Grande-Bretagne, en revanche, confrontée au coût du Brexit et à l'achat coûteux d'appareils F-35 américains, pourrait voir passer ses dépenses de défense sous le seuil de 2 % du PIB.

Monsieur Poniatowski, nous ignorons effectivement ce que l'avenir nous réserve. En conséquence, pour les OPEX, nous devons travailler sous forme de provisions. Le passé nous a néanmoins appris qu'une dotation de 450 millions d'euros par an était insuffisante. Mais 1,1 milliard d'euros correspondra-t-il aux besoins à partir de 2020 ? Nul ne le sait, c'est pourquoi nous avons prévu que des financements interministériels viennent, le cas échéant, compléter cette enveloppe.

Enfin, monsieur Le Nay, nous travaillons actuellement à la mise en place du nouveau logiciel de paie Source Solde, qui remplacera le système Louvois. Il sera effectif dès que le bon fonctionnement en sera assuré, afin d'éviter les erreurs du passé. Dans cette attente, nous réglons les derniers trop perçus, tandis que Louvois s'est sensiblement amélioré : 97 % des soldes versées cet automne étaient sans erreur, 98 % en décembre.

M. Christian Cambon, président. - Merci, madame la ministre, pour les réponses que vous avez apportées à nos interrogations. Les principes sur lesquels repose le projet de loi de programmation militaires correspondent à nos attentes et je ne doute pas que votre texte recevra du Sénat un accueil favorable. Nos rapporteurs vont maintenant l'étudier en détail. J'insiste sur l'importance de la sincérité de vos engagements pour la période allant au-delà de 2022 ; notre commission y apportera son soutien vigilant lors de la discussion du projet de loi.

La réunion est close à 19 h 45.

Mercredi 21 février 2018

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

OPEX - Audition du Général Grégoire de Saint-Quentin, sous-chef opérations à l'état-major des armées

M. Christian Cambon, président. - Général, la commission vous a connu pendant l'opération Serval, au Mali, puis commandant des opérations spéciales (G-COS). C'est un grand plaisir de vous retrouver sous-chef d'état-major Opérations de l'état-major des armées, c'est-à-dire auprès du CEMA pour planifier et conduire toutes les opérations des armées.

Nos questions sont nombreuses, en particulier sur Chammal et Barkhane, au moment où le Sénat s'apprête à examiner la loi de programmation militaire. Avec la chute de Mossoul et Raqqa, la défaite de Daech, le contexte de l'opération Chammal a radicalement changé : finalement nos objectifs politiques sont atteints. De quelle façon le dispositif militaire français va-t-il se réorienter - je rappelle qu'outre ses avions de chasse basés principalement à H5 en Jordanie, l'armée française est présente en formation et en appui artillerie des forces irakiennes, ainsi que dans le Kurdistan irakien. Où en sommes-nous aujourd'hui et où allons-nous ? Nos partenaires engagés sur ces théâtres ont des intérêts qui divergent ou interrogent, en particulier les Turcs. La Russie mène le jeu politique. Américains et Russes se trouvent parfois face à face. Enfin, il faut évoquer la Syrie, pour lequel le ministre des Affaires étrangères a lancé hier un cri d'alarme sur la situation humanitaire. Dans ce contexte illisible et instable, que va devenir Chammal ?

Pour l'opération Barkhane, nous avons tous en tête les opérations de la semaine dernière, où les forces spéciales françaises ont porté un nouveau « coup significatif » aux djihadistes. Malgré ces succès de nos forces sur le terrain, l'issue ne paraît pas évidente : sans solution politique peut-on espérer la réelle stabilisation du Mali, alors que l'insécurité se propage vers le centre du pays ? Barkhane est évidemment impuissante à faire surgir une solution politique, alors que la mise en oeuvre des accords d'Alger est au point mort. Quelle est votre analyse de chef militaire fin connaisseur de la situation politique malienne ? En étant provocateur, je pourrais vous demander : Barkhane est-elle prise au piège d'une absence de solution politique ? Je rappelle que cette opération coûte à la France 600 millions d'euros par an et que 19 soldats français sont morts au Mali depuis 2013, sans parler des blessés.

Les missions de Barkhane sont gigantesques : lutter contre le terrorisme dans un territoire grand comme l'Europe, faire émerger la force conjointe G5 Sahel, former les forces armées maliennes, soutenir la MINUSMA.... Faut-il se recentrer pour être plus efficace ? Comment ? Où en sont vos discussions avec l'autorité politique sur ce point ? Une mission de notre commission se rendra en mars auprès de nos forces armées engagées dans l'opération Barkhane pour se faire notre propre idée.

Je souhaitais enfin vous interroger sur les 800 militaires français de l'opération Daman, participation française à la FINUL, au Liban. Cette mission s'exerce depuis près de 40 ans du Litani, au Nord, à la « Blue Line », au Sud, ligne de démarcation entre Israël et le Liban, fixée par les Nations unies. Les tensions régionales ne font que s'accroître : que se passerait-il pour la FINUL si elle était prise dans une flambée de violence : est-ce possible, quelle est votre appréciation de situation ?

Au total, près de 30 000 soldats français sont en opération intérieure et extérieure. Les contrats opérationnels fixés en 2013 sont dépassés d'un tiers. La nouvelle loi de programmation militaire a choisi de ne pas les augmenter : on reste à trois théâtres d'opérations extérieures durables, et à une contribution majeure au sein d'une coalition.

C'est évidemment pour des raisons financières. Est-il réaliste, dans le contexte géostratégique décrit par la revue stratégique, de prévoir une LPM qui ne donne aucune nouvelle marge de manoeuvre d'engagement des armées au Chef des armées ? Est-ce à dire qu'on exclut d'emblée l'ouverture de tout nouveau théâtre pendant toute la période de programmation, ou bien est-ce qu'on escompte pouvoir se désengager et dans ce cas : quel serait alors le terrain d'opération concerné ?

Général Grégoire de Saint-Quentin. - Comme vous l'avez indiqué, nos deux principales opérations extérieures sont Barkhane et Chammal.

L'opération Chammal est aujourd'hui à un tournant. En effet, si l'on n'est pas encore tout à fait à la fin de cette mission, on peut constater la fin du protoétat de Daech. Pour Barkhane, nous sommes actuellement dans une situation importante d'un point de vue politique. Une période électorale va s'ouvrir, pour les présidentielles en juillet. Or, ce sont souvent des périodes riches en évènements et mouvements.

En ce qui concerne notre déploiement, nous avons actuellement 15 000 militaires en opération : au Sahel, dans le cadre de l'opération Sentinelle, au Levant, dans la FINUL et en République Centrafricaine. A cela s'ajoute notre marine nationale qui est déployée en permanence dans le Golfe de Guinée, dans l'Océan indien, en Méditerranée et bien sûr en océan Atlantique pour assurer le soutien et la protection de la Dissuasion. Au total, avec nos forces prépositionnées à travers le monde, ce sont 26 000 militaires français qui sont en posture opérationnelle.

Nous sommes actuellement dans une phase importante de la mission Barkhane. En près de 5 ans, la situation a profondément évolué. Le potentiel militaire des groupes terroristes est désormais réduit. Grâce à un effort soutenu en renseignement, nous avons ainsi pu les atteindre dans leurs sanctuaires. Toutefois, l'insécurité s'est déplacée dans les zones où elle n'était pas présente il y a cinq ans. Les terroristes cherchent à attiser le conflit, en s'appuyant sur les différents groupes ethniques et en jouant sur les frustrations locales, singulièrement dans le centre du Mali.

Parallèlement, le rôle de la force Barkhane s'est étoffé :

- Nous restons la première force capable de marquer des points significatifs contre les groupes terroristes, comme nous l'avons fait la semaine dernière en attaquant simultanément 3 objectifs distincts et en mettant hors de combat des chefs d'éléments armés qui terrorisent la population dans leurs zones d'influences. Ce sont des avancées significatives, pour peu que l'on arrive à faire revenir l'État, donc un minimum de sécurité et de développement dans ces zones. Actuellement, nous concentrons nos efforts sur la boucle du Niger élargie - de Gao à Menaka. Pour mettre fin à l'emprise des terroristes, nous devons à tout prix inscrire nos opérations dans la durée. Le climat et le terrain rendent cette présence prolongée exigeante pour les hommes et, plus encore, pour les équipements. C'est à chaque fois un défi pour nos maintenanciers que de remettre en état les matériels avant leur réengagement.

- Par ailleurs, Barkhane accompagne la montée en puissance de la force conjointe G5 Sahel, qui est devenue la matrice de la coopération régionale en matière de sécurité. Barkhane se coordonne avec les postes de commandement de cette force, prépare ses unités avant l'engagement et appuie les actions de cette dernière dans les zones transfrontalières. Deux actions communes ont été menées avec la force conjointe depuis que celle-ci a déclaré sa capacité opérationnelle initiale. La première du 27 octobre au 13 novembre, la seconde du 15 au 25 janvier. Une troisième est en cours de préparation, mais il n'est pas sûr qu'il soit nécessaire que Barkhane y participe. Le but recherché par toutes les parties prenantes est bien de permettre à cette force de s'autonomiser, et de progressivement mener à bien ses propres opérations. C'est une dynamique positive où Barkhane joue alors un rôle de réassurance.

- Enfin, le troisième rôle de Barkhane est de contribuer au retour de l'Etat et du développement là où elle agit. Avec l' « Alliance Sahel » constituée par les principaux bailleurs de fonds, la communauté internationale dispose d'un outil qui permet d'engager des actions très significatives au niveau local à partir du moment où l'administration est présente sur le terrain. La plus grande difficulté résulte dans la mise en cohérence de l'action de nombreux acteurs : forces de sécurité, administrations, acteurs du développement bi et multilatéraux. Pour figurer ce que doit être la synchronisation des efforts, nous avons organisé la semaine dernière à l'état-major des armées un « war game » réunissant l'ensemble des acteurs et administrations françaises concernés par la stabilisation du Sahel. Ce « jeu » sur carte a permis à chacun de prendre conscience des contraintes s'exerçant sur les autres, puis de chercher à mieux synchroniser les actions entre elles afin de gagner en efficacité. Ce fut une première étape très utile ; cet exercice facilitera la convergence des acteurs sur le terrain.

Au-delà de l'action de Barkhane, je voudrais souligner deux enjeux majeurs pour les mois qui viennent :

Au centre, le retour de la stabilité sera déterminant pour stopper l'insécurité rampante dans cette région qui menace désormais les voisins du Mali ainsi que la bonne tenue des élections de juillet. A cet égard, le nouveau Premier ministre malien, Soumeylou Boubèye Maiga, a annoncé récemment un plan d'action global prévoyant le déploiement de 4 000 hommes ainsi que des investissements dans des projets de gouvernance et de développement pour initier une nouvelle dynamique face aux groupes armés.

Au nord du Mali, le déterminant majeur reste la mise en oeuvre des accords de paix et de réconciliation. Le blocage actuel bénéficie en premier lieu aux groupes terroristes qui en profitent pour reprendre en main les différentes communautés et noyauter les groupes signataires (GAS). Une nouvelle fracture s'est mise en place de façon progressive entre les GAS, indépendamment de leur plate-forme d'origine : ceux qui sont indifférents, voire poreux, aux groupes terroristes et ceux qui s'y opposent. Cette dérive est la conséquence directe de la non application de l'accord de Paix. Il faut revenir à l'esprit de cet accord et le mettre en application de façon ferme et pragmatique. Le Conseil de sécurité de l'ONU s'est d'ailleurs prononcé récemment pour l'imposition de sanctions aux organisations et personnalités faisant de l'obstruction.

En ce qui concerne l'opération Chammal au Levant, la France intervient dans le cadre de la coalition contre Daech. L'emprise territoriale de Daech a diminué de 97% en trois ans, permettant aux Irakiens d'annoncer la victoire sur le califat. Il faut se réjouir de l'importance de ce succès et de la fin du protoétat islamique. Cependant, l'organisation n'est pas encore totalement vaincue. En Syrie, Daech résiste dans la moyenne vallée de l'Euphrate. Près de la frontière avec l'Irak, il a été battu à l'ouest du fleuve par les forces prorégimes et à l'est par les forces démocratiques syriennes - forces créées en 2015 autour des Kurdes et fédérant plusieurs tribus arabes, appuyées par la coalition. Les efforts doivent se poursuivre dans la poche de Dachicha, où Daech profite de la porosité de la frontière avec l'Irak. Il garde encore la possibilité de mener des attaques terroristes meurtrières- comme il y a 15 jours à Bagdad. Daech est en cours de mutation d'une organisation paraétatique à une organisation clandestine. Il conserve une remarquable faculté d'adaptation aux évolutions récentes et la mobilisation autour d'autres points de focalisation du conflit syrien (Ghouta orientale, Afrin) pourrait lui permettre de relever la tête.

En Irak, Daech a basculé dans la clandestinité. Les forces de sécurité irakiennes (FSI) continuent toutefois de mettre à jour des caches d'armes, témoignant d'une capacité résiduelle importante de cellules isolées. On constate d'ailleurs un nombre d'attaques croissant contre les civils et les forces de police, aussi bien dans le Nord que dans l'Anbar.

L'action de la France se poursuit sur les deux volets de son engagement initial : l'appui-feu et la formation des forces de sécurité irakiennes. Nos actions d'appui-feu ont diminué à mesure que la fin de Daech se précise et que la montée en puissance des forces irakiennes leur permet de prendre en compte l'ensemble des menaces par elles-mêmes. Nous avons d'ailleurs commencé à désengager un certain nombre de moyens du théâtre.

Les actions de formation devraient se poursuivre au même rythme mais ce sera au gouvernement irakien de dire ce qu'il attend de ses partenaires. Il est probable que les choses se préciseront après les élections législatives qui doivent se tenir le 12 mai.

M. Christian Cambon, président. - La loi de programmation militaire ne prévoit pas de marge de manoeuvre pour de nouveaux engagements. Les contrats opérationnels auraient-ils dû être augmentés ?

Général Grégoire de Saint-Quentin. - La mission Chammal est fortement consommatrice de moyens. Le fait que Daech soit en passe d'être totalement vaincu et que les Irakiens agissent désormais en autonome nous permet déjà de pouvoir en rapatrier une partie. On peut espérer aller plus loin dans le désengagement à la fin de Daech en Syrie et récupérer ainsi de la marge de manoeuvre supplémentaire. Ce sera probablement également fonction de l'évolution des enjeux de sécurité dans la région.

M. Cédric Perrin. - Quel est l'état du MCO pour les opérations Barkhane et Chammal ? L'opération Chammal est fortement consommatrice de crédits et de munitions militaires. Avez-vous l'intention d'y déployer le LRU qui a montré son efficacité dans la mission Barkhane ? Actuellement, c'est le CAESAR qui est déployé. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le déploiement du HK 416 ? Quel apport représente-t-il pour nos forces ?

M. Bernard Cazeau. - Quand on analyse la loi de programmation militaire, on se rend compte que la problématique posée par les crédits des OPEX est majeure. Or, la participation des pays de l'Union européenne aux opérations est très faible, voire insuffisante dans la lutte contre Daech et le terrorisme. Si mes chiffres sont exacts, il y a ainsi 400 militaires néerlandais, 200 Suédois, quelques cadres militaires allemands, un peu de soutien aux troupes par les Espagnols et les Anglais. Peut-on espérer de nos partenaires européens une augmentation de leur participation budgétaire ? Il faut bien avoir conscience qu'en luttant contre Daech, nous défendons l'Europe.

M. Olivier Cigolotti. - Quelle est l'efficacité de la MINUSMA ? Le conseil de sécurité de l'ONU a créé cette mission multidimensionnelle des Nations unies pour aider à la fois les autorités maliennes à stabiliser le pays, à faire appliquer la feuille de route et les accords de paix. L'action de la MINUSMA est-elle à hauteur des engagements budgétaires ? Son engagement militaire est-il efficace aux côtés des forces sur le terrain ? Il y a quelques mois, les autorités maliennes ont demandé des moyens supplémentaires pour la MINUSMA, afin d'améliorer son efficacité.

M. Jean-Marc Todeschini. - Vous avez évoqué tout à l'heure l'opération Sentinelle. Est-ce que le spectre de la réserve militaire va évoluer notamment au niveau des OPEX ?

M. Yannick Vaugrenard. - Je souhaite revenir sur les forces françaises au Mali. On sait que dans ce cadre-là, l'état d'esprit de la population est important. N'y-a-t-il pas un risque, qu'après avoir répondu à l'appel à l'aide du Mali, la France, avec le temps, soit perçue comme une armée occupante ?

Est-ce que la force conjointe G5 Sahel est apte à prendre un jour - et quand - le relais de la France ?

M. Jean-Marie Bockel. - Au Mali, nous sommes dans une situation où nous avons le sentiment d'avoir fait ce qu'il fallait faire. Mais dans la durée, il y a beaucoup d'éléments qui risquent de nous échapper. Même si nous connaissons tous les efforts qui ont été faits par le G5 Sahel, toutes les conditions ne sont pas encore réunies pour passer le relais. Le Mali reste un maillon faible. Certaines régions maliennes sont en train d'échapper à tout contrôle. En ce qui concerne l'accord de paix avec les populations du Nord, on a l'impression que c'est un éternel recommencement. Y-a-t-il une vraie volonté politique, de part et d'autre, de reconstruire le Mali ?

M. Ladislas Poniatowski. - Le tableau que vous avez dressé de Barkhane n'est pas très rassurant. Ma question porte sur le désengagement de Barkhane. J'ai d'ailleurs posé la même question à la Ministre hier, qui ne m'a pas complètement répondu. Nous savons que même si les crédits pour les opérations extérieures ont été augmentés à 650 millions d'euros, cela ne sera pas suffisant. L'option d'un désengagement est-elle à l'étude ?

M. Alain Cazabonne. - Le Mali aura-t-il les moyens d'assurer sa sécurité ? Nous savons que dans des pays confrontés à des problèmes similaires, une solution durable de sécurité ne peut être apportée que par le pays lui-même. Est-ce un problème de moyens militaires, de formation ? On craint un désengagement éventuel de la France, qu'en est-il de l'Union européenne, elle-même absente ?

M. Gilbert Roger. - Vous avez évoqué la coalition en Irak et, de fait, en Syrie. La tentation de retrait américain ne va-t-elle pas nous poser des choix compliqués à faire dans le cadre de la loi de programmation militaire ? Est-ce que cela peut nous contraindre à devoir mettre plus de moyens ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Qu'en est-il du rôle de l'Algérie ? Nous savons que de nombreux terroristes se trouvent au nord du Mali. Certes, l'on peut regretter le manque d'engagement de nos partenaires européens. Mais, qu'en est-il de l'engagement de l'Algérie dans la lutte contre le terrorisme ?

Par ailleurs, j'étais à Bamako il y a quelques mois. Notre attaché de défense signalait qu'il faudra encore beaucoup de temps avant que l'armée malienne soit formée pour pouvoir défendre convenablement le pays. En outre, certains des pays voisins estiment que les Maliens ne font pas suffisamment d'efforts en termes de sécurité.

Général Grégoire de Saint-Quentin. - Le LRU est une excellente arme qui permet des tirs précis à une grande distance - au-delà de 70 km et qui, dans notre arsenal, s'inscrit bien entre l'appui aérien et l'appui de l'artillerie classique. Nous avons pris la décision de ne pas le déployer dans l'opération Chammal et de privilégier le CAESAR. L'efficacité de ce dernier est éclatante. Il est en effet très précis pour un outil qui n'est pas doté de munitions à guidage terminal. Le LRU n'a pas été déployé, car nous ne jugions pas nécessaire d'augmenter notre capacité de frappe. Rappelons qu'après les Américains, nous sommes le pays de la coalition qui a déployé le spectre de moyens le plus large.

Le HK 416 est adopté d'emploi par le 1er RPIMa depuis 2006. Ce n'est pas un hasard. C'est une arme très aboutie, car elle a l'ergonomie du M16, qui bénéficie de 40 ans d'évolution et d'innovation, tout en adoptant un mécanisme particulièrement fiable, limitant les risques d'incidents de tir de manière très significative, quel que soit le terrain d'engagement - sable, jungle.

L'une des problématiques de l'emploi en opération du matériel est l'augmentation de la consommation du potentiel des machines. Un équipement déployé à Barkhane pendant un an correspond en termes de potentiel consommé à une utilisation pendant trois ans en France. Il faut adapter le MCO à la réalité de notre armée d'emploi. Notre Ministre s'est particulièrement saisie de ce sujet, notamment pour le MCO aéronautique.

A cela s'ajoute la problématique de l'obsolescence de certains de nos équipements comme le KC135, le VAB ou les patrouilleurs légers. Plus un équipement est vieux, plus il casse et plus il coûte cher à entretenir. Un effort va être fait dans la LPM pour remplacer rapidement cette gamme de matériels. Ce sera une très bonne chose pour faire baisser le coût de la maintenance et amènera une meilleure protection de nos hommes (programme Scorpion), face aux risques des engins explosifs improvisés.

La France est-elle une armée occupante au Mali ? Je crois qu'il faut faire très attention aux termes employés. Notre histoire nous a appris ce que veut dire être occupé par une armée étrangère et employer un tel terme pour définir Barkhane est très dur à entendre. Depuis cinq ans, à l'appel des autorités maliennes, nous payons le prix du sang au Sahel pour la stabilité de cette région et pour protéger la population des conséquences du conflit alors qu'elle est en proie à l'arbitraire des groupes armés et de leur violence indiscriminée, notamment par l'usage des mines. Cette réalité n'est pas celle d'une armée occupante. Toutefois, je partage votre point de vue sur le fait que la présence d'une force étrangère dans un pays peut toujours faire l'objet de tentatives d'instrumentalisation par des parties au conflit ou par leurs soutiens. Nous devons être particulièrement vigilants sur ce point.

En ce qui concerne la participation européenne, je ne suis pas sûr qu'il n'y ait que 150 Allemands au Sahel. Ils sont plus près de 800 dans la MINUSMA. Certes, nos principaux partenaires européens ne sont pas autant représentés que nous, mais leur participation est en progression. L'Italie a annoncé l'envoi de plus de 450 personnels au Niger pour aider à la lutte contre les réseaux d'immigration clandestine. Il y a également un soutien financier important à la force G5 Sahel. Le Royaume-Uni met prochainement à notre disposition trois hélicoptères de transport lourd. De manière générale, il y a une prise de conscience que la stabilité du Sahel n'est pas une marotte française et que l'inaction aurait un impact direct sur la sécurité de l'Europe. Il faut d'ailleurs considérer les contributions de nos voisins européens, en capacités opérationnelles, de formation ou de financement à travers tout l'éventail des forces qui sont présentes au Sahel : la MINUSMA, Barkhane, EUTM, la force G5 Sahel, les armées nationales. Elles partagent toutes le même but : la stabilité du Sahel. Le vrai défi est qu'elles agissent de façon coordonnée. Il me semble que c'est le rôle de la France, qui a la plus forte empreinte avec Barkhane, d'essayer de fédérer les efforts et nous réunirons prochainement un certain nombre de mes homologues pour examiner avec eux comment nous pouvons être plus efficaces sur le terrain.

S'agissant du désengagement, c'est évidemment l'objectif à terme. Nous sommes là pour mettre les groupes terroristes à la portée des forces locales afin que celles-ci puissent durablement assurer la stabilité de leur pays respectifs sans intervention étrangère. C'est une mission qui demande du temps mais qui nécessite également d'adapter en continu la Force, dans son organisation comme dans ses modes d'action, à un environnement en constante évolution. C'est une réflexion permanente, partagée entre les états-majors à Paris et le théâtre.

L'armée malienne s'est déjà beaucoup restructurée mais elle doit le faire sous la pression des opérations, ce qui n'est jamais facile. Elle connait de lourdes pertes et il faut continuer à la soutenir. La France est fortement engagée dans cette tâche. Par un soutien direct et multidimensionnel de Barkhane sur le terrain mais aussi par un partenariat bilatéral des Eléments Français au Sénégal. Nous devons persévérer dans cette voie qui est la seule à même de permettre au Mali de préserver par lui-même son intégrité territoriale et sa souveraineté.

L'exemple de l'armée irakienne qui n'avait pas tenu le choc devant l'arrivée de Daesh à Mossoul en 2014 et a aujourd'hui reconquis la quasi-totalité de son pays avec le soutien de la coalition internationale est un bon exemple de ce qui peut fonctionner à partir du moment où les capacités militaires et le leadership sont en place.

En ce qui concerne Chammal, l'armée américaine ne se retire pas à proprement parler, mais elle prend en compte la fin des opérations contre Daech, le fait que les Irakiens prennent en main leur propre sécurité et la situation en Afghanistan. Les généraux américains sont conscients que ce qui a permis l'émergence de Daech, c'est le retrait précipité des instructeurs américains d'Irak en 2011.

Chacun sait que l'Algérie est un grand pays de l'espace Sahélo-Saharien qui a un rôle très important à jouer en matière de lutte contre le terrorisme dans cette région. Elle a beaucoup d'atout pour cela : ses capacités militaires et de renseignement, sa position géographique mais aussi la richesse de son expérience en la matière. C'est pour cela que nous pensons que nous devons intensifier le dialogue au niveau opérationnel entre le commandement de Barkhane et les autorités militaires algériennes de la zone. Cela viendra utilement compléter les facilités logistiques que l'Algérie accorde à l'opération Barkhane et qui sont très appréciables.

M. Christian Cambon, président. - La MINUSMA coûte un peu plus d'un milliard d'euros par an. Plus de 80% des dépenses sont consacrées à sa propre sécurisation.

Général Grégoire de Saint-Quentin. - Je constate que la MINUSMA est critiquée à la fois par ceux qui pensent qu'elle en fait trop et par ceux qui considèrent qu'elle n'en fait pas assez ! Il y a d'un côté les tenants d'une certaine vision du maintien de la Paix tel qu'il a été élaboré il y a plus de 50 ans mais qui trouve de moins en moins d'écho dans le monde dérégulé dans lequel nous vivons. Et de l'autre côté, ceux qui pensent qu'elle est inefficace sans voir son rôle fondamental de maillage du terrain dans des zones qui, sans elle, seraient complétement oubliées. La réalité c'est qu'il y a une véritable complémentarité des différentes opérations et que, comme je l'indiquais tout à l'heure, nous devons aller plus loin dans les synergies. Barkhane a besoin de la MINUSMA et je pense que l'inverse est vrai également. Enfin, avant de porter le fer contre l'efficacité de cette Force, je pense qu'il faut d'abord considérer les moyens qui lui sont donnés ainsi que leur restriction d'emploi (caveats). Toutes choses qui dépendent en premier lieu de la volonté et de l'appréciation de chacune des nations contributrices.

L'opération au Liban est le plus vieux déploiement opérationnel français. Elle a commencé en 1978. La situation est actuellement compliquée par la fin des opérations en Syrie et on vient de voir avec l'échange armé entre les Forces Pro Régime et Israël que la tension peut monter rapidement dans la région. Toutefois, la FINUL jouera le rôle qui lui a été confié par le mandat de l'ONU. La présence de la France dans la région et au Liban est importante. Tout le monde sait que c'est la France qui arme la force de réserve, même si depuis 2016, il y a également une compagnie finlandaise. Ce rôle est significatif pour les pays de la région.

M. Christian Cambon, président. - N'y-a-t-il pas une crainte d'une flambée de violence, plaçant la FINUL au milieu des hostilités ?

Général Grégoire de Saint-Quentin. - C'est toujours possible, toutefois, cela ne me semble pas être l'intérêt des forces en présence.

M. Christian Cambon, président. - Mon Général, nous vous remercions pour cette audition. Je conclurai cette dernière en affirmant notre solidarité et notre soutien à l'ensemble de nos troupes. Nous savons qu'elles interviennent dans des conditions difficiles, instables, où leur sécurité est en jeu. C'est pour l'ensemble de ces raisons que les débats autour de la LPM sont importants.

Loi de programmation militaire 2019-2025 - Audition de M. Eric Trappier, président du Conseil des Industries de Défense Françaises (CIDEF)

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le président, ce n'est pas le président de ce fleuron qu'est Dassault que nous recevons aujourd'hui, mais plutôt le nouveau président du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), puisque vous venez d'être désigné à sa tête il y a seulement quelques semaines.

Cette présidence, vous la prenez à un moment clé, puisque le Parlement va débattre de la LPM dans les semaines qui viennent, l'Assemblée nationale très vite et le Sénat un peu plus tard.

La LPM doit définir le cadre de nos efforts de défense pour les années à venir.

Nous avons bien évidemment souhaité vous entendre assez tôt dans le travail que nous menons. Nous avons auditionné hier la ministre de la défense. Il y a donc une complémentarité évidente dans ce programme.

Nous ne pouvons en effet négliger l'importance de la base industrielle et technologique de défense (BITD), qui fournit à la fois nos forces armées et constitue l'élément indispensable de notre indépendance nationale, ainsi qu'un atout considérable pour notre économie. Vous nous direz ce que cela représente, à un moment où les problèmes d'emplois sont toujours présents à notre esprit.

Cette base est également essentielle pour nos capacités d'innovation, notre potentiel d'exportation et pour le rayonnement international de la France. C'est aussi par ce biais que nous entretenons des relations privilégiées avec nombre de pays dans le monde.

Nous avons bien conscience du caractère stratégique de la BITD. C'est pourquoi nous voulions vous entendre sur l'avis des industriels à la veille de la LPM.

Le Gouvernement qualifie ce projet de « LPM de renouveau ». Vous nous direz si c'est un point de vue que vous partagez. Est-ce un nouveau départ ou, comme le disent certaines critiques, une manière de tenter de combler les manques créés par une sous-budgétisation récurrente qui, en l'espace d'une vingtaine d'années, a éreinté nos armées ?

Je vous propose de répondre à trois questions, avant que nos collègues prennent le relais pour vous interroger.

Tout d'abord, l'accélération de l'investissement est-elle plus que marginale et, surtout, l'industrie a-t-elle la capacité de livrer plus rapidement, compte tenu des retards accumulés ?

Par ailleurs, les crédits dédiés à l'innovation ne sont-ils pas un peu les parents pauvres de cette LPM, dans un secteur pourtant ultra-concurrentiel au contenu technologique très fort ? Le milliard d'euros prévu en 2022 est-il suffisant pour « rester dans la course » face à l'intense concurrence des autres pays ?

Enfin, comment comprenez-vous l'évolution annoncée des « restes à payer », notamment au vu de l'article 17 de la loi de programmation des finances publiques, qui les plafonne à leur niveau de 2017 ? La ministre nous a apporté hier soir des éléments de réponse. Il nous intéresse de savoir ce qu'en pensent les industriels.

M. Éric Trappier, président du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF). - Merci de me recevoir et de me donner la parole.

Ainsi que vous l'avez dit, ce secteur est d'importance stratégique, aussi bien en termes de défense qu'en termes de capacité technologique et industrielle.

Il est bon de rappeler en premier lieu quelques grands sujets avant d'échanger ensuite librement.

L'industrie de la défense représente environ 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires, dont 50 % à l'exportation. Près de 2 milliards d'euros sont consacrés à la recherche et au développement, dont 0,7 milliard d'euros financés par l'industrie.

Ce secteur représente environ 200 000 emplois directs, et fait vivre un certain nombre de régions grâce aux emplois indirects. Le taux de qualification est important, 50 % de ces emplois étant des emplois d'ingénieurs.

L'industrie de défense est implantée dans toutes les régions, où elle est souvent le principal employeur industriel.

C'est aussi un élément important de réduction du déficit de la balance commerciale. Le solde de l'industrie de défense est dans ce domaine largement positif et récurrent, à plus de 3,5 milliards d'euros.

Enfin, le secteur n'est pas simplement fait de grands industriels comme Airbus, Naval Group, Safran, Thales ou Dassault, mais aussi d'un tissu d'ETI et de PME qui représentant environ 4 000 sociétés identifiées par la DGA comme partie prenante de ce tissu industriel stratégique.

La LPM 2019-2025 est la bienvenue et est accueillie favorablement par l'ensemble des industriels que je représente - groupement naval (GICAN), groupement terrestre (GICAT) et groupement aéronautique (GIFAS), que je préside par ailleurs.

La précédente LPM avait été qualifiée de « LPM de survie », avec un décalage de nombreux programmes et le maintien d'un certain nombre d'études amont, toutefois de manière insuffisante selon nous à l'époque.

Cette nouvelle loi marque l'ambition de la France de demeurer la nation référente en Europe dans le domaine de la défense.

Cette LPM fait suite à la revue stratégique de défense, qui a eu lieu de manière extrêmement rapide et à laquelle l'industrie a aussi contribué. Je tiens à saluer mon prédécesseur, Hervé Guillou, d'y avoir largement participé avec les autres acteurs du secteur.

Je me félicite de voir que cette LPM pose l'autonomie stratégique comme un axe majeur de la stratégie de défense du pays, et reconnait la place de l'industrie dans l'outil de défense.

L'effort fait sur les acquisitions, destiné à combler les trous capacitaires et à renouveler les capacités opérationnelles, va assurer l'activité de nombreux acteurs de la BITD et leur donner la visibilité essentielle à l'investissement dans l'outil de production, dans les bureaux d'études et pour leur politique de recrutement de jeunes talents.

Nous sommes des industries à longs cycles et il est important de respecter autant que possible la programmation, car les changements dans le domaine industriel sont peu aisés à réaliser dès lors qu'il existe des décalages non programmés. Il faut ensuite les rattraper, ce qui peut poser problème.

Cette visibilité est importante aussi bien pour nos usines de production, qui créent principalement l'emploi, mais aussi pour nos bureaux d'études et pour la préparation du futur.

La montée progressive à un milliard d'euros des études amont est évidemment accueillie favorablement. Nous le demandions depuis une dizaine d'années. Elle va permettre de préparer l'avenir, dans un contexte marqué notamment par l'arrivée des nouvelles technologies, souvent tirées par des acteurs se situant en dehors du champ de la défense comme le numérique et les nouveaux matériaux, ou encore la robotique, autant de nouvelles technologies qu'il va falloir appréhender dans la préparation et la conduite des programmes du futur.

Le contexte a aussi été marqué par l'émergence et le renforcement de certaines industries étrangères concurrentes. On pense bien évidemment aux États-Unis, qui restent la principale puissance au niveau mondial. D'autres sont toutefois en train de monter en puissance. La Russie comble progressivement son retard, et l'on voit se développer certaines industries en Asie.

C'est vrai dans le domaine militaire, mais on le voit aussi dans le cyberespace ou dans l'espace exo-atmosphérique, où la concurrence va se renforcer. Ainsi, nos amis américains reviennent en force dans le domaine des lanceurs spatiaux.

Il s'agit aussi d'un contexte de menaces renouvelées. Mon prédécesseur a dû vous en parler. Il va falloir faire face, dans le futur, à de nouvelles menaces sous-marines ou au déni d'accès dans le domaine aérien, avec la dissémination des systèmes d'armes de type S-300 et S-400, certains pays désirant interdire le survol de leur territoire par nos avions de combat.

Cette progression des études amont doit contribuer à la politique de préparation du futur. Je me suis exprimé à ce sujet. Ce que souhaitent les industriels - tout comme, je pense, la DGA - c'est une politique de démonstrateurs ambitieuse. Il faut que se mette en place les boucles entre les industriels qui en amont maitrisent la technologie, les opérationnelles qui ont un besoin en fonction de leur perception de la menace et cela avec les arbitrages de la DGA.

Le démonstrateur permet cette boucle d'itération entre industriels, étatiques et opérationnels et limite les risques dans le cadre de développements ambitieux, puisqu'on valide à un moment donné - par exemple en vol pour les avions - un certain nombre de concepts nouveaux.

Cette politique permettra également de démontrer le niveau de maitrise de nouvelles technologies pour éviter une perte de compétences ou un décrochage technologique. Plusieurs domaines peuvent justifier, en effet, le lancement de démonstrateurs ambitieux afin de rattraper plusieurs années de sous-investissement. A titre illustratif, je citerai :

- la numérisation (connectivité, intelligence artificielle, big data,...) et ses contraintes attachées de cybersécurité ;

- l'hyper vélocité ;

- la furtivité ;

- les systèmes autonomes, les drones (combat, surveillance, saturation des défenses ennemies etc.),

- l'alerte spatiale, la surveillance de l'espace ;

- l'acoustique,

- l'optimisation énergétique pour plateformes navales.

La mise en oeuvre d'une politique de démonstrateurs pourra également favoriser le dialogue avec les opérationnels pour mieux comprendre leurs besoins, tester l'apport de nouvelles technologies, réfléchir au combat du futur. Une telle démarche bâtie de façon pérenne doit faciliter l'émergence d'une culture commune, permettre un fonctionnement en boucle courte en validant ou infirmant rapidement des solutions et éviter des impasses.

Cette politique de démonstrateur permettra aussi de faciliter l'intégration des nouveaux acteurs technologiques, la base industrielle devant s'élargir dont des start up en organisant le dialogue avec les maîtres d'oeuvre intégrateurs et tout ceci au bénéfice des armées.

Elle permettra aussi de militariser les technologies développées par le secteur civil. Je vous rappelle qu'un grand nombre d'industries de défense sont duales, et que leur développement est issu de technologies civiles. C'est ce qui permet à la BITD française d'être compétitive. Cette militarisation des technologies peut concerner certains domaines comme le numérique ou l'énergie par exemple.

J'ajoute que ces développements technologiques permettront à la base industrielle de préserver son savoir-faire et de l'exporter car, sans l'exportation, l'équilibre n'est pas possible.

Le grand enjeu technologique et opérationnel repose avant tout sur la dissuasion nucléaire. La volonté de renouvellement des deux composantes a été affichée par le Président de la République. Des efforts vont donc être réalisés en matière de sous-marin, de missiles et d'avions pour prendre en compte le déni d'accès.

Il va falloir évaluer de manière réaliste les menaces à contrer dans une vingtaine d'années.

J'ajoute que les avancées technologiques réalisées pour la dissuasion irriguent de manière générale la capacité à développer des équipements dans le conventionnel, et que ces technologies serviront dans le développement de nombreux systèmes.

Conserver notre capacité à être une nation cadre nous obligera à développer des systèmes d'information et de communication robustes et interopérables pour le futur, afin de donner son autonomie stratégique non seulement à la France, mais aussi à l'Europe, et être capable d'interopérabilité avec nos grands partenaires.

La capacité d'entrer en premier, qui reste une demande forte de nos armées et contribue à l'autonomie stratégique, nécessitera d'augmenter les capacités de nos systèmes.

Les axes d'efforts ont été tracés. En dehors du nucléaire, un des grands domaines sera le système de combat aérien du futur, annoncé par le Président de la République, en coopération avec les Allemands. On verra si d'autres pays peuvent s'y joindre. Il faudra également à cette occasion évoquer l'axe franco-britannique, qui constitue un sujet important.

Il ne s'agit pas simplement de faire l'avion, il faut aussi réaliser le grand système qui permettra l'interopérabilité entre les différents acteurs de ces domaines au sein des forces françaises ou européennes.

Le futur porte-avions est également en projet majeur. Un certain nombre d'arbitrages technologiques dimensionnant seront à prendre, en particulier pour les catapultes électromagnétiques, ou la propulsion.

La composante de coercition sera articulée autour du char en ce qui concerne l'armement terrestre et l'artillerie du futur. Ils permettront de surclasser les adversaires que nous aurons en face de nous dans les années à venir.

Il est par ailleurs fondamental que l'Europe conserve un pied stratégique dans le spatial en restant autonome. Il sera important de veiller qu'un certain nombre de satellites d'observation puissent voir le jour dans le futur pour alimenter cette veille de l'espace et identifier les menaces dans ce domaine.

Enfin, les systèmes d'information devront non seulement être capables de gérer et d'intégrer les différentes plateformes terrestres, navales et aériennes, gérer l'intégration de drones mais aussi être résistants aux menaces cybers.

Le numérique et l'intelligence artificielle seront des points fondamentaux à développer dans nos futurs systèmes, tout en garantissant l'interopérabilité issue de la volonté de nos armées de coopérer avec d'autres pays.

Au-delà de l'évolution budgétaire, nous estimons que des efforts doivent être poursuivis dans quatre domaines, l'exportation, la coopération, la compétitivité des produits et l'innovation. La LPM marque le renforcement d'un certain nombre d'effectifs à cette fin.

L'exportation - je suis bien placé pour le savoir - n'est pas une science exacte. L'obtention de contrats n'étant jamais acquise, il est fondamental que l'industrie et les pouvoirs publics travaillent la main dans la main pour obtenir des succès dans ce domaine.

L'effort doit par ailleurs porter sur la coopération. L'important pour nous n'est pas le choix des pays avec lesquels nous allons coopérer, mais la solidité de leur engagement. Une fois que la coopération aura débuté, elle s'installera pour 50 ans au moins. Il est fondamental de savoir qui sont les pays qui s'engagent à coopérer sur le long terme, le partage du travail rendant quasiment irréversible la manière de faire.

Il faut que cette coopération soit efficace. Si l'on veut exporter, les produits doivent non seulement être performants, mais aussi compétitifs. La coopération doit donc être basée sur l'intérêt commun et non sur l'intérêt individuel de chaque pays, les retours géographiques grevant très souvent la compétitivité des produits que l'on développe.

Une nouvelle forme de coopération doit être étudiée. Les démonstrateurs, on l'a vu avec le nEURON, peuvent permettre d'être plus efficace dans le futur.

On doit noter que l'Europe a pris des initiatives fondamentales en 2017, au-delà même de la coopération structurée permanente, comme la mise en place du Fonds européen de défense, qui permettra à la Commission d'abonder des programmes décidés en coopération, dont le drone de surveillance décidé par quatre pays, pour lequel les trois grands industriels que sont Airbus, Leonardo et Dassault Aviation coopèrent.

Ce fonds doit être considéré comme un élément susceptible d'améliorer la coopération en Europe et non de se substituer aux efforts des États. Néanmoins, l'effort de 500 millions d'euros durant les premières années, puis d'un peu plus d'un milliard ensuite, est notable et nouveau. Nous espérons que le Parlement européen émettra un vote favorable à ces dispositifs dans les jours qui viennent.

Tout ceci permet d'avoir une vision pour 2030, ce que nous souhaitions. Nous serons attentifs à la réalisation, l'important étant maintenant de suivre la mise en oeuvre de la LPM.

Un bémol s'agissant du franco-britannique. Indépendamment et au-delà du Brexit, nos amis d'outre-Manche nous semblent quelque peu dans l'embarras au plan budgétaire. On aurait souhaité que le traité de Lancaster House puisse permettre de poursuivre une coopération que les industriels appellent vivement de leurs voeux. Je pense à MBDA, qui est principalement franco-britannique. L'absence de nouveaux projets structurants, voire une relation stratégique compliquée par le Brexit risquent de poser problème.

Je ne m'exprimerai pas sur le processus d'acquisition. Néanmoins, pour répondre aux questions du président, je pense que nous pouvons aller plus vite à condition de partager avec les pouvoirs publics - principalement la DGA - des ambitions communes et que nous les respections.

C'est faisable s'il existe un plan et si chacun est prêt à réaliser des efforts. On ne peut cependant pas décaler les programmes régulièrement dans le temps et réclamer des industriels des efforts. Il faut savoir tenir ses engagements de part et d'autre. Les industriels prendront leurs responsabilités. Nous souhaitons que les pouvoirs publics, quitte à opérer des arbitrages, s'engagent à respecter les contraintes de temps, ce qui nous permettra d'optimiser la gestion de nos équipes de développement et industrielles ; à nous en retour de tenir les coûts, les performances et les délais.

L'industrie, comme les militaires, gère aussi des hommes, des ingénieurs, des ouvriers, des compagnons, des techniciens. Il est important de pouvoir manager les compétences de l'ensemble de ces femmes et hommes qui contribuent à l'effort de défense au travers de nos industries, au service des armées.

Quant au MCO aéronautique, nous prendrons là aussi nos responsabilités et accompagnerons cette volonté de réforme et d'amélioration en matière de fiabilité et de disponibilité des matériels, en espérant travailler de la manière la plus intégrée dans ce domaine. C'est ce que nous faisons déjà à l'exportation, avec nos partenaires, pour améliorer la disponibilité.

Aux Émirats arabes unis, la disponibilité des Mirage 2000 est de 85 % du parc. Il suffit de trouver les bons accords entre la puissance publique et l'industrie pour arriver à ces taux de disponibilité.

En matière de développement, on peut toujours promettre d'aller plus vite. Nos systèmes sont toutefois de plus en plus complexes. C'est pourquoi nous plaidons en faveur des démonstrateurs, afin de mieux s'engager sur la base d'une levée de risques technologiques, sous réserve d'engagements budgétaires stables.

S'agissant de l'innovation, le milliard d'euros consacré à la R&T nous satisfait pourvu qu'il soit redistribué en grande partie à l'industrie.

Enfin, concernant les restes à payer, nous y sommes attentifs, mais il n'y a pas d'alerte particulière, puisqu'on a cru comprendre que la limitation à 50 milliards d'euros ne s'appliquerait pas aux investissements de défense.

M. Christian Cambon, président. - C'est ce que la ministre a dit hier soir. Monsieur Perrin y est très attentif.

Merci pour ce panorama très complet et utile. Le Parlement - et singulièrement le Sénat - seront très attentifs aux engagements budgétaires. On a vécu avec difficulté ces gels de crédits qui conduisent à des procédures absurdes consistant, sur les trois derniers jours de l'année, à engager des centaines de millions d'euros, ce qui n'est pas un signe de maturité budgétaire ni politique.

Les questions qui ont été posées hier soir à la ministre ont mis l'accent sur le fait que, les dernières années de la LPM - 2023, 2024, 2025 - nécessiteront un assez gros effort, la remise à niveau du nucléaire devant être également prévue. Nous souhaitons donc obtenir des engagements financiers pour reconstituer ce modèle d'armée complète que nous souhaitons, et qui manque tellement à celles et ceux que nous exposons au quotidien, qui ont besoin de matériels renouvelés et renforcés.

Quant aux coopérations européennes, nous avons interpellé nos collègues britanniques. Malheureusement, les réponses sont assez prudentes. Pour simplifier, on a l'impression que nos amis allemands ont beaucoup de moyens et peu de volonté politique sur ce sujet. On attend de voir ce que la nouvelle coalition va donner. À l'inverse, nos amis britanniques réaffirment leur volonté de coopération. En ont-ils les moyens ? C'est un autre sujet.

La parole est aux commissaires.

M. Cédric Perrin. - Monsieur le président, merci pour vos propos. L'intérêt de cette commission, c'est de pouvoir traiter l'action sur le terrain, puis le volet industriel, qui m'intéresse personnellement beaucoup, étant élu de la région la plus industrielle de France.

Vous avez largement mis en situation le poids de l'industrie de la défense dans l'économie française : 200 000 emplois, une contribution significative à la balance commerciale, beaucoup de petites, moyennes et plus grosses entreprises qui contribuent à beaucoup d'emplois. Il est important de traiter ce sujet. Avec Hélène Conway-Mouret, dans le cadre du programme 146, nous y prêtons une attention toute particulière. Je souhaite continuer à défendre ardemment l'industrie française !

De ce point de vue, tout ce que vous venez de dire est très intéressant. Je continue à penser qu'il faut que nous ayons une vision prospective des choses, qu'on puisse dire à nos entreprises quels seront les programmes qui seront réalisés dans les dix prochaines années, afin qu'elles puissent répondre aux appels d'offres, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui pour un certain nombre d'entre elles. Je pense en particulier au remplacement du P4, par exemple, qui n'a absolument pas été anticipé, et qui fait qu'on se retrouve aujourd'hui avec un VT4 partiellement français.

Vous avez indiqué que les études amont, qui sont pour l'instant à 720 millions d'euros, monteront à un milliard d'euros. Je continue à penser avec certains ici que cette montée est bien trop lente.

Certes, le budget est là, mais la capacité à capter l'innovation et à avoir un système à la française identique à celui de l'agence américaine pour les projets de recherche avancée de défense (DARPA) ne correspond pas à notre état d'esprit. Il nous faut faire évoluer les mentalités et faire admettre que, si l'on souhaite innover, il faut accepter quelques échecs en la matière.

Le Président a établi une comparaison avec les Allemands, qui consacrent beaucoup d'argent à leur budget de défense. Ils y voient cependant pour l'essentiel une contribution à l'effort industriel et à l'innovation de leurs PME dans le secteur de la défense. On voit d'ailleurs de nouvelles entreprises y accéder, et c'est très étonnant. Je pense qu'il existe aujourd'hui une véritable volonté des Allemands de soutenir leur défense pour redevenir une puissance à part entière dans le domaine de la défense.

Par ailleurs, le CIDEF a-t-il détecté dans la LPM des trous dans le tableau des équipements qui figure au rapport annexe de l'article 2 ? Pensez-vous que le rythme d'accroissement annoncé dans ce document soit cohérent ?

Enfin, ne manque-t-il pas des équipements dans cette LPM qui se veut porteuse d'un modèle d'armée complet ?

M. Jean-Marie Bockel. - Monsieur le président, vous avez dit que la dimension militaire spatiale monte en puissance. Cela peut-il amener les Européens - donc les Français - à des développements industriels significatifs ou est-ce marginal ?

Par ailleurs, plusieurs d'entre nous siègent à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. J'ai été amené l'an dernier à faire un rapport dans ce cadre sur les industries de défense face à la puissance américaine et à sa capacité de rassemblement.

Il serait intéressant de connaître votre sentiment au sujet de ces travaux théoriques, que je me permettrai de vous communiquer. Y a-t-il un espoir, ou rien ne change-t-il vraiment ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Monsieur le président, ces dernières années, le Rafale a remporté un certain nombre de marchés à l'exportation, ce dont nous nous félicitons tous. Hier, la ministre nous a annoncé qu'un lot de 28 Rafale serait livré après 2023. J'aimerais savoir ce qu'il en est du calendrier de livraison actuelle.

Une seconde chaîne de montage serait-elle envisagée, compte tenu des marchés emportés à l'étranger et si d'autres marchés, comme la Belgique, devaient voir le jour ?

Par ailleurs, la LPM continue à dédier une partie assez substantielle de ses crédits à la recherche et au développement pour les études amont. Quels sont les domaines, hors nucléaire et porte-avions, qui feront l'objet de ces études dans les années qui viennent ?

Quelles évolutions voyez-vous, à l'ère post-Rafale, en matière de recherche au niveau européen, alors qu'on parle déjà d'un avion franco-allemand ? Cela fait-il déjà partie de vos projets ?

Enfin, la LPM est très ambitieuse en matière de future coopération européenne. Partagez-vous cette ambition ?

M. Ladislas Poniatowski. - Je confirme qu'auprès des parlementaires britanniques, nous avons rencontré des collègues qui ont envie de continuer une coopération privilégiée malgré le Brexit. Ils n'en ont toutefois peut-être pas les moyens. Comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, le traité de Lancaster « bat de l'aile » concernant un certain nombre de projets.

Ma question porte précisément sur un sujet qui peut concerner les Britanniques : où en est la France en matière de démonstrateurs de drones de combat ? Qui sont nos actuels et futurs concurrents sur ce créneau ?

M. Christian Cambon, président. - Monsieur le Président, vous avez la parole.

M. Éric Trappier. - Tout d'abord, y a-t-il des trous dans la LPM ? Il est difficile d'y répondre, car l'exhaustivité est délicate, et ce n'est pas un exercice qui nous est demandé.

On a identifié que, pour les hélicoptères, les choses allaient lentement. L'hélicoptère léger a été décalé. C'est un sujet de préoccupation, mais cela fait partie des équilibres qui ont été décidés et que l'on respecte.

On constate aussi le remplacement de matériels terrestres. Des choix ont été opérés dans un certain nombre de domaines.

Dans la marine, les frégates légères devront être développées. Le plus gros enjeu portera cependant sur le renouvellement de la dissuasion et la poursuite à venir des livraisons de sous-marins nucléaires d'attaque (SNA), qui sont liés en termes de préparation de l'avenir.

Ces enjeux vont « driver » la filière. Dans le domaine aéronautique, on est dans le rattrapage des décalages, des ravitailleurs, des livraisons de certains types d'appareils dont l'A400M.

Il faut insister sur ce qu'a dit le sénateur Perrin : la DARPA draine des milliards, alors que nous nous satisfaisons d'un milliard d'euros pour tout le monde, et encore, avec une montée en puissance qu'il va falloir surveiller pour arriver à des chiffres ronds. La France ayant moins d'argent, il nous faut être plus intelligent.

Nous sommes capables d'être bien meilleurs que les Américains, je veux le dire haut et fort, non pas en termes de volumes - car les États-Unis nous surclassent - mais en termes d'efficacité.

Le nEURON est, de ce point de vue, un bon exemple. Il est réalisé par six pays européens, et leurs industriels sous maitrise d'oeuvre Dassault Aviation. Environ 400 millions d'euros, dont 200 millions d'euros pour la France, ont été nécessaires pour réaliser un drone de combat furtif, apprécié par la DGA. Les Américains, pour un modèle identique, auraient dépensé au minimum dix fois plus.

Il faut en effet, de ce point de vue, réconcilier la percée technologique avec les capacités militaires de demain. Or le drone de combat ne remplacera pas les avions de combat. Les deux sont complémentaires. La France doit donc être fière de ce qu'elle est capable de faire - et c'est vrai d'un grand nombre d'équipements où l'on sait être efficace. C'est pourquoi, dans le cadre de coopération, il ne faut pas que la méthode de coopération se retourne contre notre efficacité industrielle. D'où l'importance qu'elle repose sur des règles claires fondées sur l'optimisation des compétences dans le cadre d'une maîtrise d'oeuvre légitime fondée sur les savoir-faire et la capitalisation des expériences.

L'espace est un sujet de préoccupations qui n'est pas seulement lié au militaire.

La dissuasion nucléaire oblige à préparer la future génération de missiles qui est en cours. L'inquiétude que peuvent avoir les Européens, les Français étant un peu petits pour répondre à ces problématiques, concerne l'accès à l'espace par le biais de lanceurs traditionnels, voire de lanceurs qui permettent d'abaisser les coûts en réutilisant un certain nombre d'étages de propulsion, possibilité que vient de démontrer Space X. J'aimerais bien qu'on le fasse aussi en France. On a pour ce faire une génération à préparer.

Les Chinois investissent également énormément dans l'espace. Américains et Chinois préparent le suborbital, avec des avions capables d'aller dans un premier temps nettoyer l'espace de tous les déchets qui s'y trouvent et, dans un second temps, de prendre possession d'un satellite par exemple, ce qui n'est pas une bonne chose pour ceux qui l'ont lancé.

Cette bataille est en train de s'engager, et je pense que la France ne peut répondre seule à ce sujet. Or, l'Europe est très divisée en la matière : les Italiens ont leur logique, les Allemands la leur. Les français également. C'est à l'Agence Spatiale Européenne de mener les réflexions.

La course aux satellites est aussi fondamentale. En France, Thales et Airbus sont les deux grands industriels capables de concevoir, chacun de leur côté ou ensemble, des satellites qui répondent à des problématiques de surveillance environnementale ou militaire.

Il est fondamental que ces filières soient alimentées par des programmes et des développements futurs. Là aussi, les démonstrateurs seront les bienvenus.

Pour ce qui est du Rafale, les 28 avions dont vous avez parlé ont été décalés par la précédente LPM. L'armée de l'air en avait besoin, la marine ayant été pratiquement servie en totalité. Ce décalage a été réalisé pour des raisons purement budgétaires. Le pari de l'export a été fait et tenu. Il faut s'en réjouir parce que vous savez que l'on ne peut s'arrêter de produire pour recommencer trois ou quatre ans après.

On retrouve ces 28 avions dans la LPM. On nous a demandé de ne reprendre les livraisons qu'à partir de 2022, ce qui ne nous pose pas de problème dans la mesure où les exportations actuelles courent jusqu'à 2021.

À partir de 2022, en l'absence d'exportations nouvelles, il nous faudrait livrer, à cadence 1, les 28 avions et les 30 avions complémentaires annoncés comme faisant partie de la vision 2030, qui feront l'objet d'une commande autour de 2023 pour aller vers le format souhaité de 225 avions demandés par les militaires.

Ce ne sont pas les industriels qui ont voulu exporter au détriment de la livraison aux armées françaises, mais bien le pouvoir politique français qui a décidé un décalage pour des raisons budgétaires. Les militaires nous reprochent de servir l'exportation avant eux. Nous n'y pouvons cependant rien. Si on nous demande de servir les Français en premier, on sera les plus heureux du monde. Dans le domaine de la défense, on existe d'abord pour fournir ce que nous produisons à nos forces armées.

Ceci nous permet d'équilibrer les choses de façon compétitive - car il faut rappeler que les matériels français sont compétitifs. Un Rafale, fabriqué à 200 ou 300 exemplaires après exportation, est moins cher qu'un F-35, fabriqué à plus de 4 000 exemplaires !

S'agissant de la coopération européenne, dans un certain nombre de domaines, comme le nEURON, il s'agit d'une préfiguration de ce qu'on peut faire en Europe.

La volonté du Président de la République est d'abord d'établir une feuille de route pour 2018 avec l'Allemagne. Il va nous falloir travailler avec la nouvelle coalition qui devrait prochainement se mettre en place et savoir comment elle conçoit le sujet, du futur système de combat aérien, particulièrement stratégique pour l'avenir de l'autonomie européenne.

Deuxièmement, les allemands ont envie d'alimenter en priorité leur industrie, comme tout pays souhaite le faire. Attention cependant que la pression qui pourrait être mise ne soit pas contraire avec l'absolue nécessité d'une coopération efficace et compétitive que j'évoquais tout à l'heure.

Troisièmement, si l'on veut réaliser des produits qui comblent les besoins des armées, tant l'armée française que le marché de l'exportation, il faut fabriquer des matériels performants et compétitifs. La compétence de la future équipe franco-allemande doit être bien identifiée, afin qu'elle soit capable de réaliser ce type de développement ambitieux.

On avait commencé une coopération entre Français et Britanniques, car il faut reconnaître que, d'un point de vue des capacités militaires, technologiques et industrielles les Britanniques sont plus avancés que les Allemands dans le domaine de l'aéronautique de combat. C'est pourquoi ce rapprochement avait été organisé pour les drones de combat dans le cadre de Lancaster House. On va devoir changer notre fusil d'épaule. Il ne faudrait toutefois pas qu'on ait à recommencer de tels changements...Je vous rappelle que notre industrie est une industrie de hautes technologies qui a besoin de stabilité et de durée.

Il faut que ces engagements se fassent sur du très long terme et résistent à tout ce qui peut arriver, qu'il s'agisse d'élections, qui sont récurrentes, mais aussi d'événements comme le Brexit.

Oui, il faut faire ce que l'on peut entre Européens, dans le cadre de règles qui assurent la puissance et la compétitivité.

Dassault Aviation a entamé des discussions avec Airbus dans le cadre des annonces faites lors du sommet Franco-Allemand du 13 juillet. Antérieurement nous avons travaillé durant dix ans avec BAE Systems. La France a réitéré, à plusieurs reprises sa volonté de réaliser des démonstrateurs de drones de combat (UCAV). Il avait été décidé par les deux gouvernements français et Britanniques du lancement d'un démonstrateur opérationnel à la fin de l'année dernière. Ce lancement n'est pas venu pour les raisons que vous avez identifiées. Les industriels outre-Manche poussent pour poursuivre cette coopération avec les Français. L'impulsion politique qui existait du temps des travaillistes et qui s'est poursuivie avec les conservateurs a été fortement freinée par le Brexit.

Je pense que la volonté britannique est de rester arrimée au continent européen et en particulier aux Français, un certain questionnement se faisant toutefois jour actuellement. Je crois qu'il faut essayer de conserver ce lien à la fois opérationnel et industriel avec nos amis Britanniques.

D'autres pays réalisent-ils des UCAV ? C'est le cas de la Chine. Quand tout le monde en fera, l'Europe devra alors se résoudre à acheter sur étagère aux Etats-Unis. Ce serait une défaite technologique et capacitaire alors que nous possédons les compétences nécessaires pour le réaliser comme l'illustre le nEUROn.

Je pense qu'il est nécessaire de lancer un tel projet. Cette réalisation ne doit pas être opposée aux avions de combat, ni considérée comme un grand système. On a attendu le dernier moment pour dire qu'on avait besoin de drones de surveillance et on en a acheté sur étagère aux Américains parce que nous n'avions pas pris la décision de le lancer. D'où l'initiative prise il y a deux ans de réaliser un drone de surveillance à quatre Européens, voire peut-être plus demain. Cela intervient cependant tardivement alors que tant le Reaper américain et que le Heron israélien se sont imposés dans nombre de pays européens.

Il faut savoir anticiper et trouver des partenaires. Les Allemands y sont peut-être prêts, les Anglais vont peut-être y venir. Je pense toutefois qu'il faut le faire prioritairement dans le cadre d'une coopération européenne.

M. Ladislas Poniatowski. - Et pourquoi pas seuls ?

M. Éric Trappier. - Dassault sait le faire seul, avec ses collègues traditionnels que sont Thales et Safran, mais c'est une question politique - bien qu'également budgétaire.

Par ailleurs, il n'existe qu'une seule chaîne de montage du Rafale. En ce moment, on a doublé la cadence de fabrication pour pouvoir servir l'exportation. Si on nous avait demandé de livrer la France au même moment, on aurait pu encore augmenter la cadence. Ce n'est pas un problème.

Dans le cadre d'une coopération industrielle avec l'Inde ou la Belgique, on saurait aussi faire faire des pièces de Rafale, d'avions civils ou d'équipements dans lesquels nos groupes sont engagés.

M. Christian Cambon, président. - Merci pour l'ensemble de ces éléments.

J'aimerais, m'adressant au président de Dassault, qu'après les trois journées d'immersion dans les trois armes, nous puissions aller visiter la chaîne d'assemblage de Mérignac. On y parlerait davantage du Rafale. On a en effet le sentiment que le F-35 séduit beaucoup de pays européens.

La ministre disait hier soir qu'il serait bon, pour l'Europe de la défense, que tout le monde achète le même matériel. Ce n'est pas vraiment le cas, et cela ne s'annonce pas aussi favorable que les marchés que vous arrivez à conquérir bien plus loin. Il serait pourtant rationnel d'avoir des voisins proches qui se fournissent en matériels français et européens.

C'est un autre sujet que celui de la LPM.

Je ne peux m'empêcher de vous poser une question. On a senti, à Toulon, dans le discours du Président de la République, un appel du pied en direction des industriels pour qu'ils consentent de meilleurs prix. Ne vous êtes-vous pas senti visé ?

M. Éric Trappier. - Pas du tout ! Si je me compare à mes concurrents, cela ne fait aucun doute ! Une marge opérationnelle d'une société comme Dassault est bien inférieure à celle d'une société comme Lockheed, tant s'en faut ! On ne se sent donc pas visé, dès lors que nos matériels sont à l'heure et remplissent les besoins opérationnels de nos armées.

Je pense que le Président de la République souhaite que tout le monde fasse des efforts. On y est d'autant plus préparés que l'on a des perspectives. On ne peut demander à des industriels de faire des efforts si on leur ôte toute perspective. Dès lors, ils se recroquevillent sur eux-mêmes et ne savent plus où ils vont.

En outre, il faut que ces perspectives deviennent des contrats et soit tenues. Enfin, nous avions besoin de nous élargir. C'est chose faite avec l'exportation et cela nous donne une assiette un peu plus large. C'est vrai pour nous, comme pour Naval Group.

Un mot à propos de la problématique du F-35 : l'Amérique demande aux Européens d'acheter du matériel américain s'ils veulent travailler avec elle.

M. Christian Cambon, président. - C'est ce qu'on entend dans toutes les réunions de l'OTAN !

M. Éric Trappier. - C'est proprement scandaleux ! On n'a jamais vu cela.

J'ai fait partie, lorsque j'étais jeune ingénieur, des groupes d'interopérabilité. On soutenait nos officiels en tant qu'industriels pour trouver les normes et les bons matériels pour assurer l'interopérabilité. On est passé d'une Amérique qui prônait l'interopérabilité dans l'OTAN à une Amérique qui veut à présent intégrer les armées européennes dans l'armée américaine. Les Américains ont compris que plus ils mettent d'argent dans leur industrie, mieux c'est pour l'Amérique.

On ne le comprend pas toujours en France et en Europe, mais le développement économique, en parallèle de la capacité de défense, est un des atouts de l'Amérique. Il faut bien dire que, dans le domaine de la défense, ils sont extrêmement protectionnistes - comme dans d'autres domaines d'ailleurs.

Le problème est de convaincre nos amis européens de faire le choix de matériels européens. Ne parlons pas de prix ! Les Pays-Bas ont décidé d'acquérir 37 F-35, alors que cet avion n'avait même pas encore volé. Pour le même budget, ils auraient pu avoir à l'époque 85 Rafale. C'est proprement incroyable - et ils conseillent aux Belges d'acheter américain !

Quand il s'est agi de changer leurs avions gouvernementaux, ils n'ont même pas fait d'appel d'offres. Ils ont acquis des appareils Gulfstream américains et non des Falcon français. Pour eux, ce n'est pas la qualité du matériel qui compte, mais le fait d'acheter américain.

Les Américains estiment que l'Europe de la défense est une bonne chose, mais qu'elle ne doit pas leur nuire. Ils nous conseillent de jouer dans la petite cour et de leur laisser celle des grands !

M. Ladislas Poniatowski. - L'OTAN est une grande machine commerciale !

M. Éric Trappier. - En effet. Il suffit de ne pas être naïf.

L'Europe n'est pas simplement un espoir, mais une possibilité. On peut cependant aussi échouer. Il ne faut donc pas manquer le tournant.

Les Américains reconnaissent qu'ils s'occupent davantage de la zone Ouest du Pacifique que de l'Europe. Nos menaces sont ici. Il faut donc, sans se fâcher, arriver à discuter avec les Américains, qui sont de grands alliés. Unis, on n'en sera que plus forts. Oui à la construction de l'Europe ! En entendant, la France joue un rôle particulier dans la capacité de défense, avec ses militaires et ses industriels. Il ne faut donc pas lâcher la proie pour l'ombre.

M. Christian Cambon, président. - Merci de ce langage clair. Il sera utile de vous rendre visite.

M. Éric Trappier. - Avec grand plaisir !

Nomination de rapporteurs

La commission nomme rapporteurs :

Mme Hélène Conway-Mouret sur le projet de loi n° 468 (2016-2017) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale du Nigéria relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces ;

M. Joël Guerriau sur le projet de loi n° 597 (2016-2017) autorisant la ratification de la convention n° 184 de l'Organisation internationale du travail relative à la sécurité et la santé dans l'agriculture ;

M. Olivier Cadic sur le projet de loi n° 303 (2017-2018) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre concernant l'amélioration de la viabilité des routes nationales 20, 320 et 22 entre Tarascon-sur-Ariège et la frontière franco-andorrane (sous réserve de sa transmission) ;

M. René Danesi sur le projet de loi n° 390 (AN - XVe législature) autorisant l'approbation de l'accord-cadre sur la coopération sanitaire transfrontalière entre le Gouvernement de la République française et le Conseil fédéral suisse et de l'accord-cadre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg sur la coopération sanitaire transfrontalière (sous réserve de sa transmission) ;

M. Richard Yung sur le projet de loi n° 323 (AN - XVe législature) autorisant l'approbation de la convention d'extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Cambodge (sous réserve de sa transmission).

La réunion est close à 12 h 10.