Mardi 22 janvier 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 20.

Proposition de loi relative aux articles 91 et 121 de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique - Examen des amendements de séance

Article 2

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous commençons par un amendement n° 7 de M. Gay et des membres de son groupe.

M. Fabien Gay. - Il s'agit, en quelque sorte, d'un amendement d'appel : nous souhaitons débattre de la police de proximité avec le Gouvernement. Chaque groupe doit pouvoir s'exprimer sur le sujet.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Cet amendement n'a pas de lien avec le texte, et doit donc être déclaré irrecevable au titre l'article 45 de la Constitution. Cela ne nous empêche pas d'évoquer cette question dans l'hémicycle - j'en parlerai d'ailleurs dans mon intervention.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vous pourrez en parler en vous exprimant sur l'article 2.

M. Fabien Gay. - Nous le ferons !

L'amendement n° 7 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3, du Règlement du Sénat.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'amendement n° 5 rectifié quater étend le champ d'application du délit d'occupation des halls d'immeuble. Il sanctionne comme un délit le fait d'occuper seul ou à plusieurs les parties communes en empêchant délibérément l'accès des personnes ou en nuisant à la tranquillité des lieux. Pourrait ainsi être sanctionné pénalement le fait pour une personne sans domicile fixe d'occuper un hall d'immeuble... Il s'agit en fait de changer la philosophie de cette infraction. Or, ce n'est pas dans cette optique qu'a été adopté l'article 121 de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), qui visait surtout à faciliter la sanction des occupations en réunion des parties communes. Nous souhaitons que cette proposition de loi aille au bout du processus législatif. Dès lors, il ne paraît pas opportun de revenir sur un dispositif ayant fait l'objet d'un accord en commission mixte paritaire (CMP). Retrait, ou avis défavorable.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 5 rectifié quater.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'amendement n° 6 a déjà été discuté en commission. J'entends les interrogations de nos collègues, mais le contrat de bail n'est pas un contrat comme les autres. Le bail doit respecter un certain nombre de règles fixées par la loi du 6 juillet 1989 relative aux relations entre les bailleurs et les locataires. Ces règles sont d'ordre public. Le contrat de bail s'apparente donc à une situation légale, ce qui permet d'appliquer une loi nouvelle aux contrats en cours. Et le dispositif est déjà doublement encadré. Retrait, ou avis défavorable.

Mme Annie Guillemot. - Je le maintiens.

La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 6.

Articles additionnels après l'article 2 

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Les amendements identiques nos 1 et 10 reprennent l'article 123 de la loi ELAN, censuré par le Conseil constitutionnel, qui prévoit que les huissiers de justice ont accès aux boîtes aux lettres des immeubles d'habitation dans les mêmes conditions que les agents chargés de la distribution du courrier. Ce point a été arbitré en CMP. Je souhaite connaître la position du Gouvernement. Il peut difficilement s'écarter du compromis trouvé, mais il ne nous a pas répondu.

La commission demande l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 1 et 10.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Même avis sur les amendements identiques nos 3 et 12, qui reprennent l'article 152 de la loi ELAN, également censuré par le Conseil constitutionnel, qui permettait aux agents de l'Insee, dans le cadre de leurs missions, d'accéder aux parties communes des immeubles.

La commission demande l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 3 et 12.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Même avis sur les amendements identiques nos 2 et 11, qui reprennent l'article 144 de la loi ELAN, également censuré par le Conseil constitutionnel, qui prévoyait l'accès des agents assermentés du service municipal ou départemental du logement aux parties communes des immeubles.

La commission demande l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 2 et 11.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - L'amendement n° 9 revient sur les dispositions de l'article 55 de la loi ELAN, relatif aux établissements publics fonciers locaux (EPFL). Il permet à toutes communes d'adhérer à un EPFL, précise que l'extension du périmètre d'un EPFL doit être arrêtée par le préfet de région dans un délai de trois mois à compter de la transmission des délibérations des EPCI et communes ayant demandé à adhérer, et supprime l'accord du préfet de région pour les extensions des EPFL.

La loi ELAN a prévu que n'importe quel établissement public de coopération intercommunale (EPCI) pourrait adhérer à un EPFL, et non plus les seuls EPCI dotés de la compétence en matière de programme local de l'habitat. L'objectif était d'inciter les EPCI à adhérer aux EPFL. Cet amendement ouvre la possibilité à toutes les communes d'adhérer aux EPFL, ce qui n'est pas anodin : si certaines communes adhéraient en parallèle de leur EPCI, elles bénéficieraient du droit de siéger au sein de l'assemblée générale de l'EPFL. On risque d'avoir des assemblées pléthoriques...

Par ailleurs, l'amendement revient sur l'accord obtenu en CMP, où nous avions maintenu l'accord du préfet de région sur les extensions des périmètres d'EPFL. Nous souhaitons que la proposition de loi aille au bout du processus législatif. Dès lors, il ne paraît pas opportun de revenir sur des dispositions ayant fait l'objet d'un accord en CMP.

Enfin, cet amendement n'a pas de lien avec les dispositions de la proposition de loi. Je propose donc de constater son irrecevabilité au titre de l'article 45 de la Constitution.

L'amendement n° 9 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3, du Règlement du Sénat.

Intitulé de la proposition de loi

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Mon amendement AFFECO.1 est de coordination. Si nous n'adoptons pas d'amendements en séance, je le retirerai.

L'amendement AFFECO.1  est adopté. La commission émet un avis défavorable à l'amendement n°  4 et déclare l'amendement n° 8 irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution et de l'article 48, alinéa 3, du Règlement du Sénat.

Nomination d'un rapporteur

La commission désigne Mme Dominique Estrosi Sassone en qualité de rapporteur pour la proposition de loi n° 229 (2018-2019) de M. Bruno Gilles visant à améliorer la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux.

La réunion est close à 9 h 35.

Mercredi 23 janvier 2019

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 40

Table ronde sur le thème : « Les effets du titre Ier de la loi EGalim du 30 octobre 2018 sur les négociations commerciales en cours », autour de M. Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA, Mme Véronique Le Floc'h, secrétaire générale de la Coordination rurale, MM. Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne et Baptiste Gatouillat, vice-président de Jeunes agriculteurs

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi EGalim », dont nous avons beaucoup débattu lors de la précédente session, a été promulguée le 30 octobre 2018. Après la phase législative, notre commission s'y intéresse cette fois dans ses fonctions de contrôle.

Elle veillera avant tout à ce que les textes d'application prévus par la loi soient bien pris et que les ordonnances respectent bien le champ d'habilitation donné par le Parlement au Gouvernement. Ce sera le cas lors des débats à venir sur le bilan d'application des lois et lors de la ratification des ordonnances prévues par ladite loi. Mais, et cela est plus novateur, notre commission s'attachera également à suivre les effets de la loi sur les agriculteurs et les industries de l'agroalimentaire d'une part, et, d'autre part, sur l'ensemble des citoyens, qu'ils soient consommateurs, industriels, commerçants, négociants, élus d'une collectivité territoriale ou gérants de restauration collective.

Il paraît essentiel de s'assurer que les mesures adoptées se traduisent effectivement et rapidement par une amélioration du revenu des agriculteurs. La situation est urgente, et aucun droit à l'erreur n'est permis, d'autant que des inquiétudes ont été émises par le Sénat lors des débats sur l'applicabilité de certaines dispositions, sur les contournements potentiels de quelques dispositifs ou sur le bilan global d'une loi sur l'équilibre des exploitations agricoles, notamment au regard des charges induites.

Le titre Ier de la loi est très attendu par le monde agricole et entre progressivement en vigueur.

La première ordonnance sur le relèvement du seuil de revente à perte de 10 % et l'encadrement des promotions a été publiée. Si l'encadrement des promotions en valeur à 34 % est effectif depuis le 1er janvier, la hausse du seuil de revente à perte (SRP) et l'encadrement des promotions en volume pour la majorité des contrats devraient intervenir respectivement le 1er février et le 1er mars d'après le Gouvernement.

L'ordonnance sur la réforme du code de commerce, et notamment les prix abusivement bas, est en cours de finalisation.

Enfin, les contrats entre les producteurs et leurs acheteurs, principalement dans les secteurs où la contractualisation est obligatoire, sont en cours de renégociation pour répondre à l'ensemble des nouvelles dispositions exigées par la loi. Une grande partie d'entre eux, notamment dans les secteurs où la contractualisation est obligatoire, devront être redéfinis avant le 1er avril.

C'est pour analyser dès à présent les réussites et les échecs liés à la mise en place de ces mesures, ainsi que les premiers effets constatés, notamment sur les négociations commerciales en cours, que notre commission organise trois tables rondes avec des représentants des producteurs, des transformateurs et des distributeurs.

Nous recevons aujourd'hui les représentants des quatre principaux syndicats agricoles. Qu'il me soit permis de les remercier tous les quatre d'avoir accepté notre invitation en cette période chargée du fait du calendrier électoral syndical.

Ma question sera finalement assez simple : où en sommes-nous de la mise en place de la loi EGalim, et quels sont les premiers effets de cette loi sur les négociations entre les producteurs et leurs acheteurs ?

M. Patrick Bénézit, secrétaire général adjoint de la FNSEA. - J'insisterai en introduction sur la nécessité de changer les règles mises en place par la grande distribution, qui considère que les prix doivent être les plus bas possible afin de profiter aux consommateurs. On a vu où cela a mené le monde agricole. Selon l'Observatoire de la formation des prix et des marges (OFPM), les coûts de production ne sont plus couverts depuis plusieurs années dans certains secteurs. Sur 100 euros que paye le consommateur, seuls six euros reviennent à l'agriculteur. Il y a donc urgence à réagir.

Notre projet s'articule autour de deux axes. Certaines de nos propositions ont été suivies par le Gouvernement, mais pas toutes. Nous avons souhaité partir des coûts de production pour permettre d'équilibrer les comptes dans les exploitations et stopper toute incitation à la guerre des prix, comme l'encadrement des promotions ou le SRP.

Si la loi est votée, les ordonnances ne sont pas encore entrées en application, notamment concernant les sanctions. En effet, les engagements de la grande distribution ne valent rien s'ils ne sont pas contrôlés par la loi. On ne peut pas dire que les chartes signées par les distributeurs ont été respectées, tant s'en faut. Sans encadrement fort de la réglementation, les distributeurs ne tiendront malheureusement pas leurs promesses.

Les choses évoluent malgré tout dans le bon sens, comme on le voit dans la publicité de certains distributeurs. Cela fait écho à ce que désire la société, qui considère qu'il n'est pas normal que les agriculteurs ne vivent pas de leur métier. Toutefois, nous ne participons toujours pas aux boxes de négociation.

Nous attendons donc avec impatience la mise en oeuvre des dernières ordonnances. Deux d'entre elles sont essentielles pour que le dispositif entre en application, celle du SRP et des promotions et celle concernant les prix abusivement bas, qui est très importante pour nous. Si l'on veut que le producteur détienne un levier de négociation voire de recours vis-à-vis de son acheteur, il est essentiel qu'il puisse attaquer ce dernier pour prix abusivement bas.

Nous comptons beaucoup sur cette ordonnance car elle permet d'écrire ce que la loi aurait dû prescrire sur la fixation des indicateurs de coût de production. Nous avions beaucoup milité pour que ceux-ci soient neutres et indépendants, c'est-à-dire arrêtés par les interprofessions ou, à défaut, par l'OFPM en cas de blocage. Les députés après l'avoir accepté comme le Sénat l'ont refusé en nouvelle lecture. L'OFPM a donc disparu de la rédaction finale. Nous nous en étions fortement émus et avions raison, certaines interprofessions, trois mois après la promulgation de la loi, ayant été incapables de produire des indicateurs de coût de production.

Dans le cas d'Interbev, par exemple, c'est la grande distribution qui refuse des indicateurs permettant de prendre en compte le salaire de l'agriculteur. L'ordonnance est essentielle car nous voulons refaire le match en quelque sorte, à savoir qu'un agriculteur puisse se servir d'indicateurs neutres et indépendants issus de l'OFPM pour attaquer un prix abusivement bas. C'est pourquoi cette dernière ordonnance est pour nous très importante.

Mme Véronique Le Floc'h, secrétaire générale de la Coordination rurale. - En ouvrant les États généraux de l'alimentation, le Président de la République annonçait vouloir améliorer le revenu des agriculteurs, chose difficile à obtenir. Comment résoudre cette problématique avec des solutions uniquement françaises, alors que nos prix font référence à des prix mondiaux ?

Nous nous félicitons que la loi prévoie de tenir compte d'indicateurs de coûts de production et d'inverser la formation des prix. Nous sommes en effet le seul secteur économique dans lequel le vendeur ne décide pas des prix de ses produits.

La seule façon d'y répondre réside dans la contractualisation. Outre le fait que les contrats ne concernent pas tous les producteurs, l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime exclut la référence aux indicateurs de coût de production pour les sociétés coopératives agricoles (SCA). Cela soulève toute une série de questions pour les producteurs de la Coordination rurale, les contrats doubles, bipartites ou tripartites n'ayant pas été mis en avant. Les choses sont compliquées, les productions étant très différentes les unes des autres.

Dans le secteur laitier, les références au coût de production publiées par le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) suivent la méthode COUPROD, définie par l'Institut de l'élevage (IDELE). Celle-ci aboutit à un prix de 396 euros pour 1 000 litres, ce qui, ramené sur les cinq dernières années, donne un coût de production de 422 euros les 1 000 litres. Or ce prix n'apparaît dans les négociations que pour la part concernant les produits de grande consommation français. Cela pèse pour 40 % ou 50 %, voire pour 11 % seulement dans certaines formules. La couverture des coûts de production n'est donc pas encore garantie.

Les producteurs verront-ils leurs revenus augmenter grâce à des déclarations de bonnes intentions qui pourraient venir des industriels et des distributeurs par rapport au relèvement du SRP, sachant que cela ne concerne pas les marques de distributeurs (MDD) ? La question se pose par rapport à l'encadrement des promotions dans le marché tel qu'il est aujourd'hui, puisque le marché favorise la surproduction de certaines marchandises, laquelle à son tour favorise les promotions.

Nous constatons des blocages de la part de l'aval une fois les indicateurs validés par les interprofessions, qui peuvent établir des guides d'utilisation sur la manière de prendre en compte les indicateurs pour la détermination, la révision et la renégociation des prix. En pratique, l'interprofession peut publier des recommandations, mais tout le monde peut les ignorer, y compris ses membres. Il eût, là encore, été judicieux de tenir compte des indicateurs de l'OFPM. Nous sommes en outre limités par le droit de la concurrence.

Nous entendons également mieux rémunérer les agriculteurs. Il faut partager la valeur. C'est une notion à laquelle tient la Coordination rurale : le producteur génère de la valeur, celle-ci étant évidemment définie à partir de son coût de production, le transformateur y apportant une valeur ajoutée qui lui est propre.

S'agissant des prix abusivement bas, il aurait été selon nous judicieux que ceux-ci se rapprochent le plus possible des coûts de production définis par chacune des interprofessions. Nous avons aussi la possibilité, dans chacune de ces interprofessions, de réaliser des courbes de Gauss dans lesquelles on classe les producteurs suivant leurs coûts de production et non par seuils de rupture. Ces derniers sont des chiffres utilisés par les chambres d'agriculture qui constituent des coûts pour lesquels la rémunération du producteur est déduite des prélèvements. Or il faut prendre les coûts de production en y ajoutant une vraie rémunération. On pourrait peut-être ensuite fixer pour chacune des productions la barre à 70 % du coût de production moyen.

Enfin, la Coordination rurale a toujours été en faveur de l'exception « agriculturelle » pour sortir de cette situation où les marchés européens doivent être régulés et protégés.

M. Nicolas Girod, secrétaire national de la Confédération paysanne. - Il nous semble que l'appropriation du nouveau mécanisme de contractualisation inversé est difficile dans les secteurs où la contractualisation n'a pas été rendue obligatoire. C'est un premier point de blocage. Dans ce cas, la contractualisation n'est pas véritablement effective et est déléguée de fait à l'acheteur.

En ce qui concerne le lait, où la contractualisation est obligatoire, nous pointons du doigt la formation verticale des organisations de producteurs (OP), c'est-à-dire des OP liées à un acheteur. Nous avons toujours revendiqué le fait qu'il fallait inciter à l'apparition d'organisations de producteurs transversales, par bassin, par territoire, qui permettraient d'être moins dépendant d'un seul acheteur, avec qui la discussion est forcément faussée. Dans certaines organisations professionnelles, un salarié de l'acheteur est même mis à disposition. Le rapport de force est donc compliqué dans ces conditions.

Nous avons par ailleurs toujours soutenu la rémunération de la montée en gamme. Nous regrettons de constater qu'elle est peu pilotée par les producteurs, même dans les interprofessions. Énormément d'initiatives privées de transformateurs ou de distributeurs se mettent en place avec un cachet certifiant le bien-être animal, un lait équitable ou un lait à l'herbe, mais celles-ci ne viennent pas de l'interprofession. L'appropriation de la montée en gamme se fait par des marques ou des entreprises. Ceci confirme nos doutes quant au risque de retomber dans le même système qu'aujourd'hui.

Cette segmentation privée, au lieu de constituer un moyen d'obtenir de nouvelles parts de marché, devrait plutôt servir à mieux payer les producteurs. C'était l'objectif de la loi. On risque d'avancer encore un peu plus vers une dualité de l'agriculture et de l'alimentation : certaines marques et certains consommateurs auront le choix d'une alimentation de qualité et certains producteurs pourront être sauvés, mais pas sur certains territoires ou dans certaines productions.

Concernant l'élaboration des indicateurs, on constate, notamment chez Interbev, des points de blocage par rapport à la distribution, qui ne veut pas rémunérer le travail des paysans, alors que la revendication se situe à hauteur de deux SMICs. Ceci est inacceptable. L'intervention du médiateur des relations commerciales agricoles n'est pas suffisante. C'est une revendication que nous avions dès le début, un arbitrage public étant nécessaire.

Nous ne constatons pas de changement de mentalité dans les négociations commerciales. Les démarches vertueuses sont relativement minoritaires en nombre et en volume. Une grosse pression s'exerce sur l'agriculture biologique, alors que celle-ci devrait permettre de mieux rémunérer les éleveurs et les paysans. Ceci risque de tirer la totalité du marché vers le bas : une fois les marges de l'agriculture biologique rognées, elles le seront ailleurs !

Selon nous, les effets de la loi risquent d'être quasiment nuls pour les producteurs. Il est bien beau d'instaurer un code de la route mais, sans gendarmes, les distributeurs et les transformateurs ne seront pas suffisamment vertueux. La notion de prix abusivement bas nous paraissait très importante et pouvait être centrale. Le fait qu'elle figure dans une simple ordonnance et qu'il paraisse long et difficile de faire aboutir ces démarches pour des producteurs ou des organisations de producteurs en dit beaucoup.

Nous aurions souhaité que le politique reprenne la main sur l'économique, notamment en matière de transparence. Il faut connaître la valeur de la matière première dans les transactions commerciales entre transformateurs et distributeurs pour pouvoir négocier. La valeur ajoutée de la transformation doit porter sur les capacités de transformation et de marketing, et non servir à exercer une pression sur les producteurs.

S'agissant de la transparence, nous menons en ce moment des actions par rapport à la société Lactalis, prédateur par excellence dans ce domaine. Je possède un certificat de non-dépôt des comptes annuels pour l'exercice clos le 31 décembre 2017 donnés par le tribunal de commerce de Paris pour la société Besnier SA datant du 10 janvier 2019. Il nous semble donc également nécessaire d'avancer de ce point de vue.

M. Baptiste Gatouillat, vice-président de Jeunes agriculteurs. - Notre première démarche, s'agissant de la loi EGalim, était de redonner du revenu aux agriculteurs de tous les secteurs - maraîchers, arboriculteurs, céréaliers, éleveurs, ... - afin d'encadrer l'ensemble des démarches commerciales agricoles. La volonté de notre syndicat a toujours été de pouvoir aider des jeunes à s'installer. Pour ce faire, il faut des prix rémunérateurs et les traiter comme il se doit.

Nous sommes en capacité, sur nos exploitations, d'offrir une alimentation saine, sûre et durable, objectif de la loi que l'on avait déjà atteint avant la parution de la loi. Seuls manquaient des prix rémunérateurs.

La loi ne va pas permettre de dégager demain 15 % de revenus de plus. On a réussi à inverser une logique vieille de 50 ans, dans laquelle les agriculteurs servaient de variable d'ajustement. Y être parvenu après un an et demi de discussions paraît déjà une bonne chose, tout comme le fait que les producteurs reprennent la main sur la construction des prix à travers les interprofessions, même si ce n'est pas parfait. On peut déplorer ce qui n'avance pas, mais il faut aussi mettre en valeur ce qui progresse.

L'objectif de cette loi est aussi de recréer le lien avec le consommateur. Les ordonnances vont entrer en application. On discute de la dernière concernant le prix de cession abusivement bas. Il faut que tous les agriculteurs soient concernés, qu'il s'agisse de transformateurs, de coopératives ou d'intervenants privés. Nos quatre syndicats sont d'accord et ont défendu ardemment ce point de vue ces derniers jours et nous continuerons à le faire.

Le titre I va également avoir un impact sur nos exploitations, mais on ne peut détacher le titre I du titre II, qui permet de valoriser nos productions en respectant certains critères de qualité et de protection de l'environnement. Nous travaillons encore sur ce sujet. Nous avons accepté quelques contraintes supplémentaires à condition que nos prix soient revalorisés.

Une fois que la loi sera appliquée, il est nécessaire que l'État et les industriels respectent leurs engagements et que nous soyons mieux rémunérés. On a donc besoin de contrôles dans les grandes surfaces et chez les transformateurs.

L'importation des matières premières qui ne respecteraient pas les normes européennes figure également dans la loi. On a déjà « mis un pied dans la porte » pour interdire la vente de produits qui n'appliqueraient pas les normes et les standards de production européens. L'ensemble des produits monteront ainsi en gamme. Si on est sur un marché mondial avec un même standard, on peut avoir de la concurrence. Sauf qu'aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Dans la loi, la distorsion de concurrence a été mise en valeur. Nous serons vigilants à ce qu'elle soit appliquée.

Mme Sophie Primas, présidente. - La parole est aux rapporteurs, puis au président du groupe de suivi des États généraux de l'alimentation.

M. Michel Raison, rapporteur. - On peut se féliciter que les syndicats agricoles soient des syndicats constructifs. Tous évoquent des propositions et réclament un suivi.

C'est peut-être la première fois que l'on trouve dans le monde agricole un premier point d'accord entre les syndicats concernant la construction du prix de revient, que tous ont revendiquée, l'OFPM devant prendre le relais en cas d'impossibilité des interprofessions de se mettre d'accord.

L'Assemblée nationale l'a voté en première lecture, le Sénat a voté conforme et, pour la première fois peut-être sous la Ve République, sur ordre du Gouvernement, l'Assemblée nationale a fait échouer la CMP en revenant sur sa parole ! Je tenais à souligner la gravité de cet événement !

Par ailleurs, n'oublions jamais qu'un revenu résulte de la différence entre les charges et les produits. C'est une lapalissade. On ne pourra jamais régler le problème du revenu agricole en parlant seulement du prix. Le prix varie en effet en fonction des quantités, très variables selon les années et une partie des produits proviennent de la PAC.

Nicolas Girod a dit qu'on ne constatait aucun changement de mentalité dans la grande distribution. Chaque année, on modifie la loi mais le problème est moral. Il existe déjà des contournements de la règle en matière d'encadrement des promotions et de SRP grâce aux nouveaux instruments promotionnels (NIP) ou autres systèmes.

Même si vous nous l'avez déjà dit, pensez-vous que l'on ressente une amélioration en matière de prix agricoles ? Vous n'avez pas abordé la question du prix abusivement bas, les ordonnances n'étant pas encore prises. Comment imaginez-vous la façon dont vont être prises ces ordonnances ? Quelles vont en être les conséquences pour les paysans ?

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure. - On sentait bien, lors des débats autour de cette loi, qu'on allait rencontrer un certain nombre de difficultés s'agissant de sa mise en oeuvre. Notre commission s'est très rapidement engagée dans une stratégie de suivi, avec constitution d'un groupe. Nous sommes ici pleinement dans notre rôle de contrôle de l'application de la loi : ceci permettra peut-être de lutter contre la défiance à laquelle nous sommes confrontés en ce moment.

Un des socles de cette démarche me semble résider dans la constitution d'indicateurs de coût de production. Nous avions trouvé un accord en première lecture. L'Assemblée nationale est revenue dessus à notre grande surprise. Les modalités d'élaboration des indicateurs ne peuvent plus s'appuyer sur une intervention de l'OFPM à défaut d'accord interprofessionnel.

Où en sont précisément les négociations ? Certaines interprofessions sont-elles parvenues à élaborer des indicateurs ? Sont-ils bien pris en compte dans les contrats et les formules de prix ? À défaut, comment les producteurs vont-ils construire leur prix à l'avenir ?

M. Daniel Gremillet, président du groupe de suivi des États généraux de l'alimentation. - Notre commission a considéré à l'unanimité qu'il était essentiel de mettre en place un groupe de suivi. On se rend en effet bien compte qu'on est au bout des textes qu'on a pu mettre en oeuvre, sans que cela ne débouche jamais sur une réponse concrète au sujet de l'équilibre nécessaire ou de la reconnaissance de la place du producteur en matière de formation des prix.

On voit que les règles sont déjà contournées, mais on assiste surtout à une confiscation complète de la montée en gamme au bénéfice des distributeurs, les enseignes exigeant des conditions qui n'ont rien de réglementaire et qui imposent aux producteurs des charges supplémentaires. Il faudra donc que le groupe de suivi soit habilité à aller au fond des choses, car certaines pratiques ne vont pas dans le sens de la loi.

Avez-vous aujourd'hui connaissance du nombre de contrats qui ont été signés ? Si c'est le cas, quel est le niveau d'augmentation des prix d'achat ? Pouvez-vous nous en indiquer la répartition dans le chiffre d'affaires ? En effet, n'oublions pas qu'il y a les négociations sur les marques et les négociations sur les marques de distributeur (MDD) qui se déroulent toute l'année. Or parfois les MDD représentent parfois 50 % pour certaines entreprises.

Le groupe de suivi devra faire le point une fois les négociations terminées, mais également durant l'année, compte tenu de l'impact des MDD dans le mix-produit qui permet de rémunérer les producteurs.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je confirme que l'objectif du groupe de travail est de perdurer et de suivre les choses dans le temps.

M. Jean-Marie Janssens. - En décembre dernier, deux ordonnances venaient compléter la loi sur l'alimentation du 30 octobre 2018. Leur objet : le relèvement du seuil de revente à perte des produits alimentaires et l'encadrement des promotions des produits alimentaires dans les grandes surfaces. Ces deux ordonnances seront, à en croire le Gouvernement, appliquées en février et mars 2019.

Ces ordonnances tardives et la date confuse de leur application traduisent selon moi deux réalités regrettables. Tout d'abord, la loi sur l'alimentation marque des avancées du point de vue des consommateurs mais semble limitée en ce qui concerne nos agriculteurs, éleveurs et producteurs eux-mêmes, qui ne voient pas leur situation véritablement évoluer.

En second lieu, l'incertitude qui plane autour de l'application de ces ordonnances prouve que la question du juste revenu de nos professionnels agricoles n'est pas traitée à sa juste mesure en France. L'enjeu est pourtant majeur : aujourd'hui nos éleveurs sont plus que dépendants de la PAC. Les aides européennes versées à la filière bovins-viande sont même supérieures à la rémunération des ventes.

La question est simple : comment feront nos éleveurs le jour où la PAC ne sera plus aussi favorable ? Tout au long de cette année, les négociations pour la période 2021-2027 vont faire l'objet de débats intenses. Il est du devoir de la France d'anticiper une évolution de la PAC et de préparer dès aujourd'hui les conditions durables d'une meilleure rémunération de nos éleveurs.

Il est urgent que les acteurs de l'aval paient la viande à un prix de revient qui assure aux éleveurs une rémunération décente. En pleine élection des chambres d'agriculture, je souhaite connaître la position des principaux syndicats sur ce sujet de première importance.

M. Daniel Dubois. - Certes, la rémunération des agriculteurs dépend en très grande partie du coût de production, mais le problème réside avant tout dans la compétitivité du monde agricole. Si le monde agricole n'est aujourd'hui pas plus compétitif, qu'il subit des normes excessives par rapport à ses concurrents sur un marché mondial, je ne vois pas comment il peut obtenir des prix rémunérateurs.

En huit ans, on a connu trois lois différentes - loi de modernisation, loi d'avenir, loi EGalim - qui ont à peine effleuré le sujet de la compétitivité et ne l'ont jamais améliorée.

Le deuxième enjeu, c'est le débat sociétal : on ne peut affirmer d'un côté qu'il ne faut plus manger de viande et préserver les pâtures pour résoudre les problèmes d'écoulement des eaux sur le territoire ! Cohérence et compétitivité face à l'excès des normes constituent un enjeu majeur. Êtes-vous aujourd'hui capables, face à ce débat sociétal, d'avoir le même discours, de vous battre sur vos valeurs et de communiquer à ce sujet ?

Mme Cécile Cukierman. - Je salue l'initiative qui a permis d'organiser cette table ronde sur le suivi de l'application de la loi EGalim.

Selon vous, la loi suffit-elle ? Laisse-t-on la place à la négociation et à l'inversion des mentalités ? Peut-on vraiment tendre vers la construction d'un juste prix ? La loi peut faire beaucoup, mais elle ne règle pas tout...

Par ailleurs, de quels moyens avez-vous besoin - agents de l'État, contrôle de l'évolution législative - pour répondre à la question du pouvoir d'achat dans le monde agricole ?

M. Joël Labbé. - Je salue également la mise en place du groupe de suivi. C'est un souhait que je formule depuis longtemps.

J'espère que nous entendrons l'ensemble de la représentation syndicale lorsque nous travaillerons sur les orientations budgétaires, quel que soit le résultat des prochaines élections.

La loi EGalim nous laisse aux uns et aux autres un goût d'inachevé. Elle a été « torpillée » par le Conseil constitutionnel, il faut le rappeler, celui-ci ayant complètement dépassé son rôle. Il convient de le dénoncer !

Le Parlement, à l'unanimité, avait soulevé la question de l'intervention de la puissance publique en évoquant le recours à l'OFPM, dans l'intérêt de nos producteurs. L'idée de rémunérer le travail paysan à deux fois le SMIC est une bonne chose. C'est une base sur laquelle on devrait travailler.

Pour ce qui est de la transparence, il convient d'afficher le revenu du producteur de base afin que le consommateur puisse en avoir connaissance.

La Coordination rurale demande une régulation des productions pour éviter la surproduction : ceci va devenir une nécessité. La compétitivité, qui entraîne la surproduction mondiale, ne pourra pas durer. Je crois beaucoup à la relocalisation de l'alimentation. Les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont intéressants de ce point de vue.

L'exception « agriculturelle » deviendra une nécessité planétaire, sur laquelle nous sommes un certain nombre à travailler, tout comme le paiement des services environnementaux, qui reconnaît le travail des paysans au-delà des produits qu'ils fournissent pour l'alimentation.

M. Franck Menonville. - Pourriez-vous nous détailler la situation dans laquelle se déroulent les négociations commerciales, notamment dans les grandes filières ? Où en est l'avancement des négociations en matière d'indicateurs par filière ? Quels sont les blocages et les limites rencontrées ?

Enfin, on ne peut que déplorer l'absence d'ambition de cette loi en matière de compétitivité. Il faudra que notre commission et le groupe de suivi s'attaquent à ce levier essentiel du revenu de nos agriculteurs.

M. Franck Montaugé. - Les exploitations de polyculture-élevage connaissent souvent des difficultés, les revenus tirés de la PAC constituant parfois l'essentiel du résultat - lorsqu'il est positif.

Comment anticipez-vous les évolutions de la PAC ? On nous annonce des réductions de budget de 12 % à 15 % en euros constants. Peut-on penser que les effets de la loi EGalim, qu'on souhaite tous positifs, puissent compenser de telles pertes, alors que les résultats actuels des exploitations sont parfois très faibles ?

Par ailleurs, ne craignez-vous pas que, s'il devait y avoir une remontée de la valeur en faveur des producteurs, une partie ne soit captée par les fournisseurs de matériels et par les prestataires de services ? Le sujet n'a pu être abordé lors des discussions.

Enfin, l'un de vous a estimé que vous aviez des difficultés à identifier la formation de la valeur tout au long de la chaîne, du producteur jusqu'au consommateur. Des technologies de type blockchain permettraient parfaitement de suivre cette répartition de la valeur et son évolution. Ne pensez-vous pas qu'il faut aller vers ce type de technique ?

Mme Françoise Férat. - Malgré l'optimisme du Gouvernement, force est de constater que la mise en oeuvre de la loi semble pour le moins avoir du mal à voir le jour - vous me corrigerez si je me trompe. Les contrôles manquent, ainsi que les moyens. Il convient que chacun des partenaires respecte ses engagements. C'est le fondement même de cette loi.

Il me semble que le constat que nous effectuons ce matin constitue une étape importante. Qu'envisagez-vous pour le faire partager ? Je rejoins en cela la conclusion de mon collègue Daniel Dubois.

M. Henri Cabanel. - Je suis bien sûr très satisfait de l'exercice auquel nous nous livrons ce matin, même s'il arrive un peu tôt. Il me semble qu'un certain recul aurait été nécessaire.

M. Bénézit a mis l'accent sur le fait que lorsqu'un consommateur achète un produit, seulement 6 % du prix revient à l'agriculteur. L'inversion des indicateurs aura-t-elle une incidence sur ces 6 %, même si le revenu de l'agriculteur n'est pas uniquement lié au prix ?

Par ailleurs, toutes les filières sont-elles capables de s'intégrer dans cette nouvelle loi ? Comment les agriculteurs qui ne font pas partie d'une organisation de producteurs arrivent-ils à fixer leurs prix ?

Enfin, l'un de vous a rappelé qu'il fallait recréer le lien entre l'agriculteur et le consommateur au-delà de la communication, qu'il convient d'améliorer. Quelle est la solution pour y parvenir ?

M. Pierre Louault. - Ne craignez-vous pas que, même si on aboutit à un relèvement des prix prenant en compte les coûts de production, ce travail soit mis à mal par la concurrence internationale du fait du manque de normes sur les produits de qualité ? Le poulet français n'occupe aujourd'hui que 60 % du marché français, concurrencé par des produits de plus faible qualité. Quand le maïs français est trop cher, on va chercher du maïs ukrainien produit selon d'autres normes de qualité...

Mme Sophie Primas, présidente. - J'y ajouterai trois questions. Quels moyens avez-vous instaurés pour suivre la mise en place de cette loi ?

Par ailleurs, avez-vous des indications sur ce qui se passe dans des secteurs hors grande distribution comme la restauration ?

Enfin, je suis assez préoccupée par ce qu'a dit M. Girod concernant le risque de baisse des prix sur les produits à valeur ajoutée car c'est un risque que nous avons touché du doigt souvent lors de nos débats sur la loi. Cela fait-il de votre part l'objet d'un suivi particulier ? Pouvez-vous nous donner des exemples précis ? Cela peut soulever des difficultés importantes, que nous n'avons pas manqué de pointer durant les débats

M. Michel Bénézit. - Beaucoup de vos questions ont porté sur le fait de savoir si une loi était nécessaire par rapport au contexte économique global. Oui, une loi est nécessaire. Si on en est là, c'est parce que des lois ont donné la main aux acheteurs. Nous avions souhaité des amendements renforçant les sanctions sur les regroupements à l'achat. La FNSEA et les Jeunes agriculteurs ont saisi l'Autorité de la concurrence à ce sujet. Certains regroupements peuvent en effet représenter jusqu'à 34 % du volume vendu.

Il est donc nécessaire de passer par la réglementation, les contrôles, les sanctions pour que les choses changent. C'est pourquoi le débat que nous avons est quelque peu prématuré. Ce sont dorénavant les producteurs ou leur organisation qui fournissent directement le prix, et non plus l'acheteur, d'où l'importance de ce premier acte, que toutes les organisations de producteurs et les coopératives doivent bien intégrer.

Si une organisation de producteurs ne propose pas à son acheteur un coût de production, la loi et les ordonnances ne peuvent s'appliquer. Ainsi, l'indicateur interprofessionnel a été validé à 396 euros la tonne de lait conventionnel : si l'organisation de producteurs propose 350 euros la tonne, il sera difficile de saisir un juge pour prix abusivement bas. À l'inverse, si l'on propose 396 euros la tonne, que l'acheteur refuse, propose un prix de 300 euros la tonne et que la négociation se finit à 350 euros, celle-ci sera en défaveur du coût de production, et un recours pourra alors s'exercer.

Je ne suis pas sûr que toutes les organisations de producteurs et tous les commerciaux l'aient demandé. Nous ne disposons pas de l'intégralité des retours. En tant que producteurs, nous ne participons pas aux boxes de négociation, comme les industriels ou nos organisations de producteurs. Nous aurons donc un travail à mener avec nos organisations et nos coopératives pour que le prix proposé soit le bon.

La FNSEA a saisi la DGCCRF pour contrôler les enseignes réalisant des promotions supérieures à 34 % en valeur. Depuis le 1er janvier, certains rechignent en effet à appliquer la loi, d'où l'importance des sanctions. On peut regretter ce manque de respect, mais certaines lois ont donné la main à la grande distribution, qui en a abusé.

La FNSEA et les Jeunes agriculteurs ont par ailleurs manifesté au printemps contre les importations créant des distorsions de concurrence - huile de palme, accords commerciaux avec le Canada et l'Amérique du Sud. Certains produits importés sont interdits de production en France. Un amendement a été adopté par le Sénat à ce sujet pour interdire les importations de produits phytosanitaires, vétérinaires, pharmaceutiques, alimentaires, etc. Le Gouvernement l'a accepté. Nous en sommes extrêmement satisfaits. Aujourd'hui, l'importation de 200 000 tonnes de viande en provenance d'Amérique du Sud est illégale. Il serait curieux qu'aucun contrôle ne l'interdise.

Enfin, toute la logique que nous avons développée sur les coûts de production est valable pour toute la montée en gamme. Le prix du lait bio est fixé à 500 euros la tonne. La FNSEA et les Jeunes agriculteurs ont demandé à l'OFPM de produire des indicateurs fiables et indépendants, qu'il s'agisse de produits bio ou autres. Ce qui se passe chez Carrefour, qui propose un lait bio à 87 centimes d'euros est catastrophique, car ce distributeur utilise le bio comme produit d'appel.

Avec le SRP, la grande distribution ne pourra plus descendre aussi bas, mais il est surtout nécessaire que les producteurs de lait bio aient demain les moyens d'attaquer Carrefour pour prix abusivement bas.

Il nous reste très peu de temps pour agir, car le monde agricole ne tiendra pas très longtemps. Plusieurs combats sont à mener. Il y a effectivement les charges et nous avons obtenu récemment le maintien de l'exonération totale du gazole non routier (GNR) et de la mesure concernant les travailleurs occasionnels demandeurs d'emploi (TO-DE) à laquelle vous avez participé. Il faut continuer sur les charges. Il y a aussi la PAC, bien sûr. D'ailleurs, quand on parle d'un lait à 396 euros la tonne, ou à 464 euros la tonne, nous tenons bien sûr compte des 10 milliards d'euros de la PAC. Nous souhaitons enfin engager un véritable travail avec nos organisations de producteurs afin que chacune d'entre elles veille à faire respecter le coût de production.

Mme Véronique Le Floc'h. - Monsieur Gremillet, la montée en gamme a toujours existé : il n'est qu'à considérer la marque Label rouge. Dans ce cadre, le producteur de porc est payé 15 centimes de plus au kilo de porc, cela lui en coûte 10 centimes de plus. À la suite de rendez-vous avec Système U, le prix dans la grande distribution est de 3 euros du kilo. Même par rapport au kilo par carcasse, avec les pertes et les frais de tueries, le rapport est disproportionné.

Quant au non-OGM, il a été développé en Allemagne depuis 2008, avec une compensation de 10 euros pour 1 000 litres. Ceci ne s'est pas répercuté sur le prix moyen payé au producteur et ne couvre pas le surcoût.

Nous avons interpellé Carrefour au sujet du prix abusivement bas du lait bio. Naïvement ou volontairement, ils ont ignoré que ce prix était compris entre 512 euros la tonne et 533 euros la tonne, selon la méthode COUPROD. Pour eux, le coût de production du lait bio est de 460 euros la tonne aux termes de leur contrat tripartite avec la Laiterie de Saint-Denis-de-l'Hôtel (LSDH) et les producteurs. Aux Pays-Bas, les prix sont bien plus élevés. Par ailleurs, par rapport à la loi, on verra les MDD se développer pour être exclues des ordonnances afin de les soustraire au seuil de revente à perte.

Monsieur Janssens, la PAC représente un coût de 9 milliards d'euros. D'autres secteurs de l'économie, comme le tabac ou l'alcool, présentent des coûts totaux de 25 milliards d'euros, soit un coût net de 19 milliards d'euros ! Il existe cependant des voies pour compenser la PAC, comme la valorisation en viande bovine - cinquième quartier, abats, peau. Il y a là de la marge à récupérer dont personne ne parle.

Monsieur Dubois, la Coordination rurale est défavorable aux aides captées par le para-agricole, en amont ou en aval. Si l'on considère les aides aux protéagineux, les semences ont pris 1 euro du kilo. C'est la même chose pour les subventions du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAEA).

Les coûts dans le domaine des bâtiments ou du matériel ont été multipliés par un facteur 3 entre les années 2000 et aujourd'hui. Lorsque j'étais banquière et que je finançais les bâtiments, dans les années 2000, la place-vache revenait à 2 500 euros. Aujourd'hui, elle coûte de 6 500 euros à 10 000 euros. Pour le porc, on a multiplié les coûts par trois. Quelqu'un posait une question sur la compétitivité : le retard de compétitivité est entre autres dû à toutes ces augmentations, notamment celle des bâtiments.

En Bretagne, dans le secteur laitier, 60 % des investissements annuels concernent le matériel, 30 % concernent le bâtiment et 10 % vont à la trésorerie.

Madame Cukierman, s'agissant de l'augmentation de la marge brute et la rentabilité des industriels, j'ai écrit un rapport très illustré qui décrit l'activité laitière au plan mondial, européen et français, en détaillant les retards que nous accumulons en termes d'investissements. J'y décris la très bonne santé financière de nos industriels laitiers. Je m'appuie entre autres sur le rapport de l'OFPM : entre 2001 et 2016, la marge brute de nos industriels a augmenté de 50 %.

J'ai effectué un calcul avec un seuil de rupture de valorisation de la tonne à 800 euros, alors qu'elle est passée d'environ 1 900 euros à 1 350 euros en 2016, pour rechuter un peu en 2017. La valorisation de la France est supérieure à 1 200 euros la tonne, alors qu'en Allemagne, elle est à 750 euros la tonne, entre 700 euros à 750 euros la tonne au Danemark, les Pays-Bas étant à 1 000 euros la tonne.

En 2017, la marge brute des industriels était de 30 %. Elle a augmenté de 50 %. En tenant compte d'une valorisation du seuil de rupture à 880 euros la tonne, on a dix centimes à récupérer sur la marge brute. Ces dix centimes, ajoutés à notre prix de vente, pourraient nous permettre d'obtenir 450 euros la tonne. L'Observatoire financier du Crédit agricole nous montre fort bien la classification des entreprises par rapport à leur diversification et à leur chiffre d'affaires.

Que pourrait-on demander à l'État ? La Coordination rurale, lors de sa conférence de presse de rentrée, il y a quinze jours, a présenté une nouvelle démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) afin que le fournisseur de matières premières agricoles soit pris en compte. Nous allons présenter au salon de l'agriculture les critères qui seront retenus, et nos premiers résultats concernant des entreprises seront publiés au mois d'octobre.

Monsieur Labbé, je ferai un parallèle entre l'exception « agriculturelle » et l'exception culturelle française dans le domaine du cinéma. L'an passé, nous présentions six films aux États-Unis.

S'agissant du programme Prévention santé environnement (PSE), la Coordination rurale considère que les producteurs font déjà leur maximum. Si on veut inclure de nouveaux services, qu'il s'agisse de haies, de talus, ou d'entretien des rivières, on peut récupérer de l'argent sur le budget du ministère de la transition écologique et solidaire, réinsérer des gens de l'économie sociale et solidaire et recréer ce lien social. Les producteurs n'en ont pas le temps. On pourrait aussi prendre sur le budget des agences de l'eau, mais 150 millions d'euros à l'année pour tous les services environnementaux ramenés à chacun des agriculteurs représenteraient seulement deux jours de travail.

L'absence d'augmentation de compétitivité est liée aux investissements. Comment anticiper la baisse de la PAC ? Je rappelle qu'elle représente 25 euros à 30 euros par hectare. On peut quand même espérer pouvoir les récupérer dans le prix du lait ou des céréales.

S'agissant des 6 %, ce chiffre représente la valeur ajoutée. On constate que 30 % reviennent à des produits d'importation. Grâce à la TVA sociale, ces produits pourraient contribuer à financer notre système social.

En novembre 2017, à Lorient, nous dénoncions les importations de soja traité au Roundup et leur impact sur la santé. Dans un de mes rapports, je préconise la sortie de l'OMC, d'étudier le cas de la Norvège et son système de protection, et de s'intéresser, sur le plan local, aux projets alimentaires territoriaux et aux coopératives parties à l'international au lieu de rester chez nous.

M. Nicolas Girod. - Michel Raison a dénoncé le problème moral que constitue la notion de prix bas, alors que certains d'entre vous sont revenus sur la notion de compétitivité. Je pense que nous avons tous une responsabilité en la matière - paysans, consommateurs, citoyens, élus. On ne considère que le prix dans la compétitivité. À ce jeu-là, la France ne sera pas compétitive par rapport au blé ukrainien, à la viande argentine, à du soja, à du mouton néo-zélandais ou à du lait irlandais. Soit l'on continue à chercher à abaisser nos charges à tout prix pour parvenir à un prix qui ne nous rémunérera pas, soit on recherche une compétitivité plus globale, qui pourrait permettre de sortir du cercle infernal des prix bas et répondre aux attentes sociétales en matière environnementale, d'aménagement territorial ou de changement climatique.

Le prix ne peut pas constituer la seule base de la compétitivité. Nos produits ont une valeur parce qu'ils répondent à une attente citoyenne en matière environnementale, climatique ou territoriale. S'ils n'y répondent pas, les consommateurs vont s'en détourner. Je produis du lait pour le Comté AOP. Cette appellation n'est pas forcément compétitive en termes de prix, mais répond à un souci d'aménagement territorial, d'environnement, de montée en gamme.

Vous nous avez interrogés sur la dépréciation qui pourrait porter sur les prix à forte valeur ajoutée. Il en va aussi de notre responsabilité : l'interprofession est-elle capable de chercher à tirer tout le monde vers le haut, sans recherche minimaliste ? Les contraintes sont-elles des atouts pour le futur ? C'est à cette question qu'il nous semble important de répondre pour avancer vers une compétitivité globale répondant mieux aux enjeux sociétaux.

La PAC doit aussi nous servir à répondre à ces enjeux. Pour la Confédération paysanne, la PAC ne doit pas être considérée comme un tiroir-caisse, mais comme un levier de changement et de transition agricole. Si l'on arrive à avancer vers des systèmes plus performants sur le plan environnemental, territorial et social, qui emploient de nombreux paysans, on arrivera à répondre aux attentes citoyennes. Il faut alors espérer que nos productions seront plus attractives pour le consommateur, qui ne cherchera pas à s'en détourner.

On ne peut faire à la fois le choix des volumes et celui de la valeur ajoutée, jouer sur les deux tableaux. La Confédération paysanne défend une dégressivité des aides et un plafonnement, comme les aides à l'actif et aux petites fermes, sur les premiers hectares, ainsi que des aides à la transition agricole, comme les contrats territoriaux d'exploitation (CTE) dans les années 2000. Les CTE étaient un bon moyen d'avancer vers une transition agricole.

Il va de soi qu'on a aussi besoin de la régulation des volumes, que la Confédération paysanne a toujours mise en avant, ainsi que de la répartition, qui nous permettront de compter sur des paysannes et des paysans nombreux. La politique européenne doit aller dans ce sens.

Pour ce qui est des indicateurs interprofessionnels, on demandait, dès le début des État généraux de l'alimentation - ce qui bloque encore aujourd'hui - que les indicateurs de production soit prépondérants par rapport aux indicateurs de marché. C'est aussi un moyen pour les distributeurs et les industriels de passer outre la construction des coûts de production. Le ministère a expliqué à Interbev qu'il pourrait les minorer par des indicateurs de coût de marché. On retombe dès lors dans une gestion du rapport de force entre acheteurs et vendeurs, que nous n'avons pas réussi à atténuer.

S'agissant des contrôles, nous avons entamé un cycle d'actions vis-à-vis de la grande distribution pour marquer notre refus de prix plus bas. On avait également lancé, courant 2015, des plaintes face à l'extorsion des grands industriels laitiers. L'une d'elle est toujours active dans le Finistère concernant Lactalis. Elle a été réactivée la semaine dernière, ainsi que je l'ai déjà dit.

Le pouvoir politique a la responsabilité de remettre sur le devant de la scène ce besoin de transparence, qui n'est pas destiné à mettre à mal l'industrie agroalimentaire française, mais qui traduit un besoin de comprendre les mécanismes et la construction de la valeur ajoutée afin de mieux avancer en matière de répartition. C'est ce qu'on n'arrive pas à faire et qu'on a essayé de nous vendre au cours des États généraux de l'alimentation.

Je fais personnellement mon mea culpa par rapport à ce qui s'est dit durant cette période. Nous avons beaucoup mis la filière Comté en avant : à y regarder de plus près, la filière comporte cependant des régulations des volumes qui n'existent nulle part ailleurs. Il faut donc retravailler là-dessus. Dans la filière Comté, la coopération est encore aux mains des paysans, ce qu'on ne retrouve pas dans d'autres secteurs. Notre cahier est contraignant, mais possède des atouts, et aucun gros industriel ne bloque la négociation. On peut ainsi avancer en toute transparence. On connaît approximativement la quantité de Comté et le prix auquel il est vendu par nos affineurs. La négociation peut s'engager à partir de là.

C'est en cela qu'il faut contraindre le modèle agro-industriel à avancer sur cette nécessaire transparence, afin de pouvoir répartir la valeur qui doit revenir aux paysans.

M. Baptiste Gatouillat. - J'aimerais revenir sur les questions concernant les négociations commerciales.

Nous avons demandé à être invités dans les boxes de négociation pour aider l'ensemble des distributeurs à mieux nous rémunérer. Nous avons essuyé un refus poli au motif que le droit de la concurrence et le code du commerce ne permettaient pas à des représentants syndicaux ou à des producteurs d'être présents. La loi fait parfois bien les choses... En ce sens, les États généraux de l'alimentation devront bien nous servir.

Certains transformateurs nous disent que les négociations commerciales sont plus faciles, mais on ne peut pas exactement dire comment elles se déroulent. Les contrats sont un peu plus avancés que l'année dernière. Un plus grand nombre a été signé par rapport à l'année précédente. Comportent-ils une revalorisation du prix ? Nous l'espérons. Étant donné la communication des grandes surfaces, on peut au moins espérer une négociation à la hausse.

Dans une économie, il existe deux façons d'obtenir des prix : soit on administre et on réglemente, soit on entretient une relation de confiance. Avec les producteurs, cette confiance a disparu progressivement depuis 50 ans. On ne va pas la rétablir d'un seul coup. Nous serons cependant vigilants.

Nous ne sommes pas favorables à une agriculture administrée ni à des prix administrés, mais nous voulons travailler en confiance. On y arrive au niveau local ou avec certains transformateurs et on doit pouvoir faire de même avec les grands marchés sur le plan local, la restauration hors domicile ou l'exportation. La France est un grand pays agricole. Elle a des produits à valoriser au niveau international, avec des standards de qualité qui sont appréciés dans le monde entier. Le savoir-faire français est reconnu, et on doit pouvoir créer de la valeur à l'exportation. C'est là qu'on gagnera en compétitivité.

Nous avons accompli des efforts dans ce domaine mais nous sommes sûrement parvenus au bout. Nous sommes arrivés à produire une alimentation saine, sûre, durable et peu chère, mais on nous demande de faire en sorte qu'elle soit encore plus sûre et encore plus durable. Le prix augmentera donc forcément et pas simplement pour couvrir les charges. C'est cette logique qu'il nous faut arriver à faire entrer dans les boxes de négociation.

Par ailleurs, les ordonnances concernent toute l'alimentation, qu'il s'agisse des grandes marques ou des marques de distributeurs.

Concernant le débat sociétal, les modes alimentaires changent. Il ne faut pas les imposer à tout le monde. Chacun a le droit de manger ce dont il a envie - conventionnel, raisonné, bio, Label rouge. Notre objectif est de fournir une alimentation de qualité qui rémunère le producteur. C'est à nous de la valoriser en termes de communication et de faire en sorte que la valeur ne soit pas accaparée par les industriels. On a « saigné » le conventionnel et on s'attaque maintenant au bio. Le but d'un industriel, d'une grande ou moyenne surface (GMS), une fois que les gens achètent, est de récupérer ses marges. On va ainsi emmener peu à peu la filière bio dans le mur.

Servons-nous de ce que nous avons appris pour éviter de mettre à plat les exploitations bio. Le marché existe. Il faut pouvoir l'approvisionner, le développer dans certains cas. On doit être capable de s'adapter mais on ne peut le faire en six mois. Il faut trois ans minimum pour passer au bio. Il faut ensuite pérenniser les choses. Ne cassons pas cette dynamique !

Pour ce qui est de la PAC, nous n'avons pas envie qu'elle baisse. Nous préférons croire qu'elle doit augmenter afin d'aider l'agriculture. Peut-être est-ce utopique : c'est certainement parce que nous sommes jeunes ! Si l'on doit rendre des services environnementaux et favoriser la biodiversité, on ne pourra pas le faire avec l'argent de la PAC, qui sert à nous garantir un revenu.

Les Jeunes agriculteurs veulent aller de l'avant. Si l'on veut que la PAC soit plus verte, cela relève de l'environnement et de l'écologie. Nous sommes les seuls à favoriser la biodiversité. Ce n'est pas sur les toits de Paris qu'on va planter des haies, ou sur une rocade, mais bien sur des terres agricoles qui servent à produire des aliments de qualité. Si on perd de la production, il faut la remplacer. Nous souscrivons donc tout à fait au paiement des services environnementaux.

En termes de régulation de production, on sait que le système des quotas fonctionne plutôt bien. Les interprofessions doivent être capables d'anticiper les demandes et de réguler elles-mêmes la production. Cela se fait dans certains cas. Je suis planteur de betteraves : je signe un contrat en volume. Si je réalise plus de volume, je n'ai aucune garantie sur le prix. Il faut donc que j'ajuste au mieux ma production. Ce sont des choses qui doivent se développer. C'est ce que nous avons toujours prôné et ce vers quoi on se dirige. Cela prendra du temps, mais on y parviendra.

Pour ce qui est de la captation de valeur, 6 %, c'est le pourcentage qui nous permet de vivre à peu près. Je fais un parallèle avec le monde de la mode : on est capable de faire fabriquer en Chine un t-shirt à un euro, mais on est également capable de le faire fabriquer en France à 100 euros pour une certaine catégorie de la population. L'agriculture française doit pouvoir répondre à celui qui ne peut payer qu'un euro comme à celui qui est capable de dépenser 100 euros. Il s'agit d'une relation de confiance.

C'est ce qui se passe pour la restauration hors foyer ou les circuits courts. Certains parents acceptent de payer la cantine 4 euros au lieu de 3 euros. Chez soi, à ce prix-là, c'est moins évident.

Les collectivités territoriales, l'État, les foyers ont leur part à prendre dans ce marché. Localement, on arrive à faire des efforts. C'est grâce à cela que le lien avec les consommateurs se rétablit. Si le circuit fonctionne bien, on doit pouvoir en tirer de la valeur. La loi est là pour encadrer la démarche. Il sera peut-être nécessaire, dans deux ans, de voter une nouvelle loi pour ajuster les choses.

Certains industriels, comme Métro, qui ont de gros débouchés, commencent à sentir que les choses changent, par exemple en matière de produits sans OGM. Les filières végétales et animales travaillent ensemble pour aller en ce sens et répondre aux objectifs de la loi.

M. Daniel Gremillet. - Quel est l'état des discussions s'agissant du prix réel payé aux producteurs ? Selon la loi, les entreprises ont dû annoncer le prix payé aux producteurs depuis le début de l'année...

Il sera très important, lors de notre prochaine réunion, de connaître la situation par rapport à celle de nos concurrents européens.

M. Patrick Bénézit. - Je répète que nous ne sommes pas dans les boxes de négociation. Nous aimerions d'ailleurs bien y participer en tant qu'organisations professionnelles.

D'après les premiers retours, notamment par rapport au lait, les négociations, sur le marché français - l'exportation n'étant pas concernée, il faut le rappeler - tendent à aller dans le sens du coût de production. Nous ne savons toutefois pas sur quel pourcentage cela va s'appliquer. Le vrai danger est qu'un distributeur respecte les coûts de production à hauteur de 20 % et fasse comme d'habitude pour les 80 % restants. On a quelques bons contrats, comme entre Danone et Leclerc, mais on ne connaît pas le poids que cela peut représenter par rapport au volume total acheté par cette enseigne. Il faut demeurer extrêmement prudent. Il faudra dresser le bilan à la fin des négociations.

M. Daniel Gremillet. - Je l'ai dit, on ne peut faire le bilan des négociations entre distributeurs et entreprises de vente de produits agroalimentaires, les négociations se terminant fin février et concernant moins de 45 % de ce qui est vendu.

Nous sommes le 23 janvier 2019. Selon la loi, les entreprises doivent indiquer les prix auxquels elles vont rémunérer les producteurs en janvier. A-t-on déjà une idée ?

Mme Véronique Le Floc'h. - En matière de production laitière, dans les négociations entre Sodiaal, Savencia et Bel avec des distributeurs comme Intermarché, le chiffre est de 375 euros les 1 000 litres. Il entre dans la constitution du prix uniquement pour la part des produits de grande consommation France. Le prix payé au producteur tourne autour des 330 euros pour le mois de janvier. Si la moyenne des cinq dernières années avait été plus faible que 396 euros la tonne, c'est celle-ci qu'on aurait retenue.

M. Patrick Bénézit. - Ce sont des chiffres partiels. Les négociations ont lieu filière par filière, et nous ne disposons pas de tous les éléments. On connaît seulement les plus belles annonces.

M. Nicolas Girod. - Les prix annoncés pour l'instant restent encore en dessous des coûts de revient. Pour l'instant, la remontée des prix n'est pas effective.

M. Baptiste Gatouillat. - La tendance est à la hausse, mais on est incapable d'en préciser le chiffre. C'est peut-être sur le lait qu'elle sera la plus significative, parce qu'on en parle beaucoup. Pour ce qui est des céréales, les blés remontent un peu sur le marché mondial, l'orge va baisser, et les betteraves vont sûrement remonter. Dans le secteur végétal, les signaux du marché laissent penser que l'année 2019 sera meilleure.

M. Michel Raison, rapporteur. - Un parlementaire qui vote une loi doit la suivre. On verra avec vous si la légère remontée des prix que l'on souhaite est liée à la loi EGalim ou au cours traditionnel du lait. On devra également comparer avec l'Allemagne.

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci pour cette première rencontre. Nous nous retrouverons probablement à la fin du premier semestre pour une deuxième réunion.

Je souhaite à chacun de belles élections professionnelles.

La réunion est close à 11 heures 35.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.