Mercredi 29 mai 2019

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 40.

Situation au Venezuela - Audition de M. Lorent Saleh, co-récipiendaire du Prix Sakharov 2017 pour la liberté de l'esprit (décerné à l'Opposition démocratique au Venezuela)

M. Christian Cambon, président. - Nous recevons aujourd'hui M. Lorent Saleh, ancien prisonnier politique vénézuélien et co-récipiendaire du « prix SAKHAROV pour la liberté de l'esprit », attribué en 2017 par le Parlement européen à l'ensemble de l'opposition démocratique vénézuélienne. M. Saleh, vous êtes accompagné de M. Juan Carlos Gutierrez, votre avocat, spécialisé dans les droits de l'homme, ainsi que de Mme Isadora de Zubillaga, que je salue.

M. Saleh, vous êtes, depuis vos jeunes années, opposant politique déterminé au régime chaviste. En 2014, après avoir dénoncé les violences commises par le régime lors des manifestations étudiantes contre le président Maduro, vous avez été arrêté et placé en détention dans une prison souterraine des services de renseignements vénézuéliens. Vous avez survécu là pendant quatre ans, dans des conditions épouvantables, sans qu'un procès se tienne, avant votre libération inespérée en octobre 2018, il y a seulement quelques mois. Nous sommes honorés et émus de votre présence ici. Nous sommes impatients d'écouter votre témoignage, et aussi de recueillir votre point de vue sur ce qui se passe actuellement dans votre pays.

Depuis plusieurs années, le Venezuela est plongé, en effet, dans une crise politique, économique et sociale sans précédent. Cette crise s'est encore aggravée depuis la réélection contestée en mai 2018 du président chaviste Nicolas Maduro et la déclaration de janvier 2019 par laquelle son principal opposant, M. Juan Guaido, se déclare président par intérim du Venezuela, en application de la Constitution et qui a été reconnu comme tel par une partie de la communauté internationale, dont la France.

Après l'échec de la tentative de M. Guaido de rallier l'armée vénézuélienne et de s'emparer du pouvoir le 30 avril dernier, le pays se trouve plus que jamais dans l'impasse. Une crise humanitaire dramatique frappe la population, se traduisant par une émigration massive vers d'autres pays de la région. Nous aurons, à cet égard, le témoignage de plusieurs de nos collègues qui se sont rendus il y a quelques semaines en Colombie. Dans ce contexte, peut-on s'attendre, à votre avis, à ce que les discussions actuellement en cours à Oslo dans le cadre de la médiation initiée par la Norvège puissent aboutir ? Frappé par les sanctions américaines, le Venezuela est dans l'incapacité de relancer son économie. Le régime pourrait-il évoluer et jouer vraiment le jeu de la transition ou va-t-on, une fois de plus, vers l'épreuve de force, malheureusement aux dépenses des populations civiles ?

M. Saleh, vous avez la parole. Je rappelle à tous que cette audition est filmée et retransmise en direct, ainsi qu'en VOD, sur le site internet du Sénat.

M. Lorent Saleh, récipiendaire du Prix Sakharov 2017. - Merci beaucoup de m'ouvrir les portes du Sénat et de me permettre de venir partager avec vous mon expérience. Je dois dire que je me sens assez nerveux, ému car c'est important pour moi d'être arrivée ici, à Paris, c'est le résultat d'années d'efforts, de travail en vue de rendre visible ce qui se passe dans mon pays. Je m'appelle Lorent Saleh, je suis défenseur des droits humains. Il y a sept mois, j'étais encore dans une cellule, torturé par le régime dictatorial dans mon propre pays.

Je voudrais vous parler de ce que signifient la torture et la vie dans un état de terreur, mais c'est difficile pour moi de le faire aujourd'hui, car ma cellule n'est pas vide. Des gens sont constamment séquestrés. Des jeunes, des pères, des mères, des frères, des députés sont prisonniers. Au Venezuela règne un état de terreur, dont le but est de générer la panique de la population civile pour mieux la contrôler.

En 2014, j'ai été arrêté de manière arbitraire à Bogota en Colombie, sans même un mandat d'arrêt. On m'a privé de moyens de communication, emmené à la frontière, frappé, puis j'ai été conduit dans les llanos du Venezuela, et finalement on m'a enfermé dans une cellule de la « tumba » à Caracas, ce qui signifie la « tombe ». C'est un endroit glacial situé à plusieurs mètres sous terre, sous le métro de Caracas, qui a été construit pour torturer les gens. Imaginez qu'ici à Paris, sous le métro, il y ait un cachot où soient enfermés des défenseurs des droits humains, des personnes qui protestent parce qu'elles n'ont rien à manger ! Je n'appartiens à aucun parti politique, je ne fais que défendre les droits humains...Comme moi, des milliers de Vénézuéliens ont été enlevés, séquestrés et soumis à des traitements épouvantables. J'ai été enfermé pendant plus de quatre ans et j'attends encore mon procès, j'attends qu'on me dise pourquoi on m'a fait ça. J'ai rencontré le député Romi qui était là, prisonnier lui aussi. On a vu comment ils ont tué des gens, comment ils les ont amenés à se suicider tellement la torture était dure. Au Venezuela, on vit dans un état de terreur permanent, c'est un terrorisme d'Etat qui est efficace. Cet appareil de répression a été monté grâce à l'appui de Cuba et de la Russie. Les prisonniers politiques au Venezuela sont sous le contrôle des Cubains. Pourquoi nous sentons-nous si seuls ? Au Venezuela, on ne sait plus combien il y a de prisonniers politiques, combien de jeunes ont été assassinés, on a cessé de se le demander. Les gens protestent parce qu'ils n'ont pas à manger, pas d'eau. Les jeunes veulent vivre, ils ne protestent pas pour des raisons idéologiques ou politique. Imaginez un enfant de 9 ans en train de marcher seul vers la Colombie pour trouver de l'argent, de la nourriture ? On a retiré aux enfants de mon pays le droit de rire. Le peuple vénézuélien a une vocation démocratique. Malgré ce qu'elle a subi, l'opposition vénézuélienne n'a jamais envisagé de lutte armée, nous ne croyons pas à la violence pour parvenir à la violence. Le problème est que le régime et les Cubains le savent bien et qu'ils profitent de la disposition pacifique des Vénézuéliens. Les gens sortent pour manifester seulement avec des drapeaux, ils savent qu'on va leur tirer dessus et pourtant ils continuent.

A vrai dire, la situation au Venezuela n'aurait jamais dû en arriver là. On en est là parce que pendant longtemps, la communauté internationale s'est tue, qu'elle a sympathisé avec Chavez et n'a pas voulu voir la situation. Les tyrans grandissent et se renforcent parce que la communauté internationale le leur permet. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas sortir seuls de cette crise. Il est important qu'on nous aide, que l'UE nous aide. Nous luttons contre une organisation criminelle. Il n'y a pas de conflit politique au Venezuela, mais une crise de sécurité, une crise humaine. Des groupes délinquants, des organisations criminelles ont pris le pouvoir et le contrôle des institutions et avec ce pouvoir, ils assujettissent la population. Seuls nous ne pouvons leur faire face. Il s'agit d'une entreprise transnationale, de groupes criminels internationaux qui ont trouvé au Venezuela un espace de protection. Le Venezuela est devenu la capitale du terrorisme de l'Occident, qui se finance avec le narcotrafic, les extorsions la contrebande... Ce sont des assassins retranchés dans le pouvoir et qui sont prêts à continuer à tuer la population civile sans aucun scrupule.

A l'heure où nous parlons, des jeunes sont en train d'être torturés. Qu'est-ce que je peux dire aux familles, qu'est-ce que nous pouvons leur dire ? Comment leur expliquer qu'on ne peut rien faire d'autre que prier ?...

Savez-vous pourquoi on m'a libéré ? On m'a libéré parce que le régime, après avoir arrêté un conseiller municipal élu, qui avait commis le délit de se rendre à l'ONU, l'a torturé, tué et jeté en plein jour dans la rue du dixième étage d'un édifice public, et qu'il avait besoin de détourner l'attention de ce crime. Voilà pourquoi on m'a libéré et mis dans un avion pour l'Espagne, sans aucun droit au retour. Comment appelle-t-on ce type d'agissement ? Ils l'ont assassiné parce qu'il était allé à l'ONU ! Ils sont nombreux ceux qui ont été assassinés sans aucune raison. Messieurs les Sénateurs, sachez que nombreux sont ceux qui sont emprisonnés sans avoir jamais appartenu à aucun parti politique. Plutôt que de raconter, il faut donner des chiffres. Combien de morts encore ? Combien d'enfants encore devront traverser la frontière, combien de personnes seront jetées par la fenêtre ? Qu'avons-nous fait de mal pour mériter cela ? Que devons-nous faire pour qu'enfin, on nous aide ? Qu'en est-il du respect des droits de l'homme, qu'en est-il de la Déclaration universelle ? Pourquoi est-il si difficile de prendre la défense de ce qui est essentiel, élémentaire, comme les droits humains ? Vous n'imaginez pas combien il est difficile de vivre aujourd'hui au Venezuela. De nombreux jeunes doivent fuir. Moi, je voudrais être dans mon pays. Cela ne m'intéresse pas de détenir un passeport espagnol s'il m'est interdit de rentrer dans mon pays. Quelle faute avons-nous donc commise pour ne pas avoir le droit de manger, de nous soigner ?

Pour changer cela, nous avons besoin de l'aide de la France. La violation des droits de l'homme par le régime de Maduro est manifeste et systématique. Pourtant il existe une Déclaration universelle des Droits de l'Homme et une Cour Pénale Internationale. Pourquoi ne fait-on rien ? Aidez-nous. Je ne suis pas venu vous demander des armes, je suis venu vous demander de défendre avec moi les droits de l'homme. S'il y a une violation systématique des droits humains au Venezuela, il faut mener des enquêtes de la Cour Pénale Internationale. Je crois que la France peut nous aider à motiver le reste de l'Europe et le monde entier pour défendre les droits humains au Venezuela.

Je vous suis très reconnaissant des efforts et de l'appui précieux des pays européens, notamment par l'attribution du prix Sakharov, mais je pense que davantage peut être fait. Qui mieux que la France peut montrer la voie à suivre pour la défense des droits de l'homme ? Pour être franc, je ne voudrais pas sortir de cette salle et craindre de prendre mon téléphone, n'avoir aucune réponse à apporter à nos mères, à mes amis vénézuéliens. Aidez-moi à leur annoncer au moins une bonne nouvelle. Je pense qu'il est possible que la CPI soit saisie de ces violations pour que cesse ce drame que mes compatriotes vivent au quotidien. Et je crois qu'il est possible de donner cet espoir à tous mes compatriotes. Merci de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer, c'est une journée que je n'oublierai jamais. Elle restera marquée dans l'histoire des vénézuéliens.

M. Christian Cambon, président. - Merci de votre témoignage qui nous laisse évidement un goût amer. Merci de nous permettre de comprendre la situation dans votre pays. Il faut informer les gouvernements et les parlements européens de ce que vous avez vécu. La force de votre témoignage n'échappe à personne. Le Sénat est à vos côtés, j'ai moi-même rencontré les représentants de M. Juan Guaido et le Président du Sénat est particulièrement attentif à la situation et tente par tous les moyens de faire évoluer les choses.

Alors, que pouvons-nous faire ? Nous sommes des responsables politiques, nous sommes là pour agir auprès de l'opinion publique, auprès du gouvernement, qui n'est pas resté inactif. La France, avec d'autres pays européens, a déjà pris plusieurs initiatives, notamment la création d'un groupe de contact international, qui réunit huit pays européens et quatre pays américains. Nous regrettons que d'autres pays européens ne s'y soient pas associés, notamment l'Italie, Chypre, ou la Slovaquie. L'Europe doit se mobiliser.

Ce groupe de contact tente de favoriser la médiation. Il y en a une qui se déroule en ce moment à Oslo, elle est compliquée car le gouvernement de M. Maduro semble insensible aux demandes qui lui sont présentées, notamment sur les conditions humanitaires que vous décrivez. La France a envoyé près d'un million d'euros, d'autres pays ont apporté leur concours, mais le problème est que l'aide n'entre pas dans le pays.

Nous ne pouvons soutenir une initiative militaire qui risquerait d'aggraver les choses, c'est ce que nous avons fait observer à nos alliés américains. Restent les options de la négociation et la médiation, mais pour discuter il faut être deux et, à cet égard, les choses semblent au point mort. Ce qui est essentiel, c'est de bien comprendre, bien mesurer ce qu'il se passe et il faut que vous continuiez la mission qui est la vôtre, à apporter votre témoignage.

Nous avons d'autres moyens d'influence. Nous avons un dialogue avec la Russie et dans ce cadre, nous pouvons l'interroger sur le rôle qu'elle joue dans cette crise, notamment sur la présence au Venezuela de centaines de miliciens, de soldats russes. Il s'agit là d'un conflit par procuration entre les États-Unis et la Russie qui, au Venezuela, se mesurent une fois de plus. Le rôle des Européens est de faire entendre leur voix. Il faut que votre message pénètre dans les institutions européennes pour faire émerger une position qui soit la plus large possible. Je me rendrai moi-même dans un mois à Chypre et je lui demanderai la raison pour laquelle ce pays a pris la décision de ne pas soutenir l'opposition.

Je voudrais répéter que nous sommes à vos côtés, avec les modestes moyens qui sont les nôtres. Mais le Sénat est aussi une chambre d'écho, votre témoignage ici sera diffusé et entendu par des centaines de millier de personnes.

Il y a cependant une question que je voudrais vous poser. Comment expliquez-vous que dans le contexte épouvantable que vous décrivez, que des personnes continuent à soutenir ce gouvernement ? Comment expliquez-vous que des gens puissent encore croire en Maduro?

M. Lorent Saleh. - Maduro n'a pas le soutien de la population. Ce que vous voyez à la télévision, ce sont des images anciennes ! Maduro n'a jamais tenu d'élections libres. Il n'a pas d'appui populaire. Ce qu'il a, ce sont des armes, c'est la torture. Que feriez-vous si vous étiez affamés, et qu'on vous demandait de sortir et de mettre une chemise rouge en échange de nourriture ? Ces marches de personnes vêtues de chemises rouges, que l'on voit à la télévision, c'est une illusion. C'est la raison pour laquelle les journalistes français, allemands, espagnols ne sont pas acceptés, que les journalistes vénézuéliens sont poursuivis. Non, il n'y a aucun soutien dans la population, je vous le dis du fond du coeur.

M. Jean-Marc Todeschini. - Merci pour votre témoignage. Je veux vous indiquer que je ne soutiens pas le Président Maduro car mes questions, sans cette mise au point préalable, pourraient peut-être vous choquer. Je m'interroge en effet sur la façon d'intervenir, de régler la situation au Venezuela. L'opposition ne reconnaît pas l'élection de Nicolas Maduro qu'elle considère comme illégitime, pourtant une partie de l'opposition a participé aux élections. Le candidat Falcon a reçu plus de 20 % des voix et un candidat issu d'une église évangélique plus de 10 %. L'opposition n'a pas été capable d'adopter une position commune et plus de la moitié de celle-ci n'a pas participé à ces élections, ce qui a contribué à l'élection du Président Maduro avec plus de 60 % des voix. N'était-ce pas une erreur de ne pas participer à cette élection ? N'était-ce pas une façon de légitimer le président Maduro aux yeux de la population ? L'opposition ne porte-t-elle pas une part de responsabilité dans la situation actuelle ? Juan Guaido et une partie de l'opposition souhaiteraient une intervention armée pour renverser le régime. Je crois même qu'ils ont approuvé le projet d'un milliardaire américain, proche du Président Trump, qui voulait créer une armée de 5 000 mercenaires. Cette stratégie a été dénoncée par l'Union européenne et le Secrétaire général des Nations unies. Ne croyez-vous pas qu'en donnant le sentiment de renoncer à résoudre entre Vénézuéliens la crise actuelle, vous transgressez le principe de souveraineté nationale et vous contribuez à fédérer une partie du peuple derrière le Président Maduro ? Est-ce vraiment une bonne stratégie ?

M. Joël Guerriau. - Je voudrais souligner la qualité et l'importance de votre témoignage. Vous êtes plus de 10 % à avoir quitté le Venezuela et vous êtes autant de témoins. Je veux vous remercier pour cette contribution, qui nous permet de mieux comprendre la situation, de contribuer, à notre façon, à la faire connaître et de veiller à ce qu'elle suscite une réaction internationale. Cela dépend beaucoup de la communauté internationale que les choses évoluent dans le bon sens mais celle-ci est diverse avec des positions difficiles à concilier comme celles de la Chine et la Russie qui s'opposent à toute intervention et celle des Etats-Unis dont l'intervention annoncée ne s'est pas concrétisée pour l'instant. Que vont faire les Américains ? Ce qui me préoccupe, ainsi que mes collègues qui ont participé à une mission en Colombie, ce sont les impacts des mouvements de populations sur les autres pays d'Amérique du Sud avec un risque de déstabilisation de ces pays qui ne sont pas très riches et qui se retrouvent confrontés à d'importants afflux importants de populations. La situation humanitaire au-delà du Venezuela est très compliquée et peut conduire à des tensions qui contribueront, selon moi, à renforcer la nécessité d'une intervention au Venezuela. Pour autant, si celle-ci devait être pacifique, on se demande comment elle pourrait aboutir face à un dictateur armé ? Peut-on espérer que les discussions d'Oslo entre Nicolas Maduro et Juan Guaido débouchent sur des actions concrètes ? Peut-on espérer un progrès par la voie diplomatique ? Dans ce contexte, que peut-on attendre de la population du Venezuela elle-même et de la part des militaires ? Tireront-ils sur la population à laquelle ils appartiennent ?

M. Gilbert Roger. - Merci pour ce témoignage poignant. En son temps, j'ai beaucoup participé au retour de la démocratie au Chili et j'ai accueilli personnellement de nombreux réfugiés chiliens emprisonnés et torturés, parmi ceux que l'on avait pu sauver car beaucoup étaient assassinés. Je sais que les choses sont compliquées. L'histoire se répète et dès lors voici mes questions. Comment la communauté internationale peut-elle pu parler avec les Russes, plus qu'avec les Cubains ? C'est peut-être une partie de la clé ! Je crains qu'une intervention militaire américaine reproduise ce qui s'est passé dans d'autres pays d'Amérique latine comme l'Argentine où l'intervention et la libération ont été suivies d'un vide institutionnel. Comment s'y prendre pour qu'une opposition démocratique s'installe au Venezuela ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Merci pour ce témoignage poignant qui en rejoint beaucoup d'autres. Nous avons une communauté française de 4 000 personnes au Venezuela et des élus consulaires qui restent sur place car ils estiment de leur devoir d'aider la population et leurs employés qu'ils nous disent avoir vu dépérir en deux ans. Comment peut-on nourrir une famille dans un pays où le salaire minimum moyen permet d'acheter douze oeufs ? Je veux aussi remercier le Président de la commission d'avoir pris l'initiative de cette audition car pendant des années nous avons assisté à un déni total de la situation au Venezuela. On a vu le pays se détériorer Je me souviens y être allée il y a dix ans et avoir alerté sur la descente aux enfers de ce pays riche. Cette situation de déni est très grave. J'ai vécu en Europe de l'Est et c'était la même chose. Je vous remercie d'avoir parlé du soi-disant soutien de cette dictature par le peuple. L'histoire se répète et nous fermons les yeux. J'ai fait de nombreux messages sur twitter et sur les réseaux sociaux auxquels des trolls ont répondu que tout allait bien. Il y a même un chef de parti en France, M. Mélenchon, qui soutient ce régime. Comment vous aider à faire passer le message que ce que fait ce régime est inacceptable? Il y a sept ou huit ans notre commission avait reçu tous les ambassadeurs d'Amérique latine et à cette occasion, j'avais interpellé l'ambassadeur du Venezuela mais, là encore, déni total. Je suis toujours pour une solution pacifique, j'admire la dignité du peuple vénézuélien mais on ne peut pas laisser des millions de personnes dans cette situation. Je dois dire que pour une fois, je ne serais pas opposée à une intervention américaine avec le soutien des Nations Unies si elle était plus habile que par le passé. On ne peut pas continuer comme ça !

M. Bernard Fournier. - Je dois dire que je suis très ému par votre témoignage. Vous nous avez dit que vous ne pouvez pas vous sortir seuls de cette situation horrible, de cette impasse. Comment peut-on vous aider concrètement ? Qu'attendez-vous concrètement de la France ?

M. Olivier Cadic. - Je m'associe à mes collègues pour vous assurer de notre émotion et de notre soutien. Il y a quatre ans, lors d'un déplacement à Caracas, j'ai ressenti aussi la pression que les gens pouvaient vivre. On parlait beaucoup, à l'époque, de Leopoldo Lopez, figure emblématique emprisonnée - j'ignorais à ce moment-là le nombre de personnes, qui comme vous, étaient emprisonnées. Je suis allé au Panama, au Pérou, en Bolivie pour prendre la mesure de la situation de ces millions de vos compatriotes, réfugiés dans la misère. Votre pays est devenu le repère de tous les trafics, le narcotrafic, la contrebande. Des prisonniers travaillent dans des mines où ils sont exploités. C'est aussi un repère de terroristes, avec désormais l'implantation du Hezbollah. Votre témoignage est très important car il ne s'agit pas d'un pays comme les autres mais d'un repère d'organisations criminelles organisées. L'on ne peut pas dire qu'il suffit d'un vote pour régler la situation ! Je voudrais rendre hommage à Juan Guaido et à tous ceux qui, comme vous, l'entourent et le soutiennent pour le rétablissement de la liberté au Venezuela. Alors que faire aujourd'hui ? Le Sénat pourrait peut-être adopter une résolution pour geler les avoirs des réseaux criminels en Europe, mais encore faudrait-il que cela soit respecté. Il faudrait également s'assurer que les noms des criminels concernés soient bien connus pour qu'ils ne puissent trouver aucun refuge en Europe.

M. Hugues Saury. - Je m'associe évidemment aux propos de mes collègues. Merci pour votre témoignage qui a la force du vécu et qui touche particulièrement ceux d'entre nous dont les parents ont connu l'horreur des camps et des prisons.

Le mois dernier, j'ai eu la chance d'aller en Colombie avec trois de mes collègues. J'ai été frappé par la bienveillance des Colombiens pour l'accueil du 1,5 million de Vénézuéliens - peut-être 3 millions à l'avenir, selon les autorités colombiennes. Comme l'a souligné Joël Guerriau, membre de cette mission, ces flux migratoires pourraient avoir des conséquences sur la stabilité de la Colombie. J'ai également été frappé par l'ouverture des frontières de plusieurs pays d'Amérique latine aux réfugiés vénézuéliens. Quel rôle la Colombie et les autres pays d'Amérique latine peuvent-ils jouer dans la résolution de la crise vénézuélienne ?

M. Ladislas Poniatowski. - Je vous souhaite beaucoup de courage pour la belle et difficile mission que vous menez. Plus vous sensibiliserez de pays et de peuples, plus vous offrirez de perspectives à votre pays. Aujourd'hui, tout est bloqué pour aider le Venezuela ; une intervention militaire sous l'égide de l'ONU est impossible du fait des vetos russe et chinois. Or, sans le feu vert des Nations Unies, toute intervention semble difficile, même si Donald Trump l'a envisagé.

Je suis inquiet quant à la situation humanitaire sur place. Après avoir essuyé plusieurs échecs, l'ONU a refusé d'apporter officiellement son aide. Je m'interroge sur le rôle joué par l'opposition vénézuélienne dans cet échec, puisqu'elle a refusé l'aide au motif que l'émissaire des Nations Unies n'était pas fiable car il discutait avec le gouvernement de Nicolás Maduro. Je ne comprends pas cette position.

L'Union européenne a accordé des aides importantes aux ONG qui, pour agir, doivent obtenir l'aval du pouvoir en place. Seule la tentative de la Croix-Rouge a réussi. Il est stupéfiant de voter des millions d'euros pour une aide humanitaire - ce ne sont pas des armes ! - qui n'arrive pas jusqu'au Venezuela. Il faudrait en informer vos compatriotes.

M. Christian Cambon, président. - Vous mesurez toute l'émotion que votre témoignage a suscitée chez nos collègues.

M. Lorent Saleh. - Je ne suis pas un politique mais un défenseur des droits de l'homme. Mon nom de famille, Saleh, est d'origine palestinienne ; voilà pourquoi je suis ici et non à Washington ! Comme vous, je ne souhaite pas que la situation syrienne, afghane ou irakienne ne se reproduise au Venezuela ; il faut donc agir. Le silence et l'inaction de l'Europe et du monde entier, laissent la Russie et la Chine jouer avec nous comme au chat et à la souris ! Pourquoi ne pas appliquer une recette qui a fait ses preuves par le passé, comme le recours à la Cour pénale internationale (CPI), qui est une alternative à la guerre ? Peut-être d'ailleurs que certaines personnes ne le comprendraient pas et m'accuseraient d'être pro-régime... Pourquoi ne pas nous unir pour présenter à la justice internationale les responsables de crimes contre l'humanité ? Si nous n'agissons pas, ils continueront alors d'agir avec brutalité, et la situation risque d'empirer. Si vous ne voulez pas de nouveaux bombardements russes au Venezuela, ou de porte-avions dans la mer des Caraïbes, il faut s'adresser à la CPI. Ce tribunal doit devenir réalité afin de démontrer aux yeux du monde que nous sommes civilisés, et transmettre un autre message aux jeunes générations. Aujourd'hui, le message qu'ils reçoivent est qu'il faut être suffisamment cruel et pervers, frapper suffisamment de personnes, pour être impuni ; en revanche, voler un pain pour se nourrir peut conduire en prison... Je ne veux pas de la guerre dans mon pays. Je suis fatigué de voir autant de morts autour de moi, mais si nous n'agissons pas, cela continuera.

Je pourrais trouver bien des défauts à la classe politique vénézuélienne, mais en réalité, je l'admire. L'opposition vénézuélienne est divisée aujourd'hui, et Henri Falcón ne la représente pas. Les élections qui se sont tenues dans le pays n'en étaient pas. Pourquoi Leopoldo López était retenu prisonnier ? Pourquoi les principaux responsables politiques sont poursuivis ? Pourquoi les partis d'opposition ont été déclarés illégaux ? Imaginez que le président Macron ignore votre assemblée et crée un Sénat parallèle, qu'il emprisonne le président de cette commission ainsi que plusieurs d'entre vous, qu'il en assassine quelques-uns, qu'il poursuive les autres, qu'il rende plusieurs partis politiques illégaux et convoque de soi-disant élections : comment qualifieriez-vous la situation ? Au Venezuela, on appelle cela la démocratie ! Cela vous semble inconcevable car vous vivez dans un pays démocratique, mais si vous adoptez un point de vue sécuritaire en prétendant que face à vous se trouvent non pas des révolutionnaires romantiques mais des narcotrafiquants, alors la perception est tout autre. Savez-vous pourquoi le gouvernement ne convoque pas d'élections libres au Venezuela ? Car il les perdrait ! L'an dernier, la frustration d'un peuple s'est exprimée, celle d'un peuple qui aspire à la démocratie. Depuis qu'on leur a retiré la démocratie, les Vénézuéliens ne l'ont jamais autant chérie. L'opposition est présente, elle lutte. Juan Guaidó n'est pas le leader d'un parti mais le président de la République bolivarienne du Venezuela ; ce n'est pas un caprice ou choix, mais un mandat constitutionnel qu'il a heureusement assumé. Il a à peine 5 ans de plus que moi, et n'est même pas responsable de ce qui est en train de se passer. Mais il fait face, sans arme, en sachant qu'il peut se faire assassiner d'un jour à l'autre. Cela fait 20 ans que nous combattons ce régime à mains nues, alors que nous pourrions trouver des armes en Colombie, où il est plus facile de trouver un fusil qu'un livre !

Combien de manifestations allons-nous encore devoir conduire ? Ces manifestations pour les droits civiques sont en effet les plus importantes que mon pays ait jamais connues, qu'aucun pays n'ait jamais connues. Dans quel pays les gens se soulèvent-ils ainsi ? Tous les jours des gens sortent par millier pour marcher et manifester avec comme seul objectif l'obtention de plus de droits civiques. Nous ne prendrons pas les armes, même si on continue à nous assassiner. En réalité la seule chose que nous voulons, c'est la tenue d'élections libres. Mais cela pose un certain nombre de questions. Comme par exemple le vote de nos camarades emprisonnés. De plus, pour répondre à votre question, je ne pense pas que l'opposition ait fait une erreur en refusant de participer aux élections. En effet, ce n'étaient pas des élections mais un simulacre d'élections. Quels sont les principes de la démocratie et ceux des élections libres ? Maduro a envoyé la Garde nationale contre l'Assemblée Nationale qui avait été élue ! Ces gardes ont pénétré dans l'Assemblée et donné des coups de crosse aux députés. Ce n'est pas comme cela que l'on respecte la volonté du peuple. D'ailleurs, ce ne sont pas des révolutionnaires romantiques comme je l'entends parfois, mais des narcotrafiquants, ce sont des assassins.

Pour répondre à votre question sur Oslo, je pense qu'en effet il est nécessaire de toujours dialoguer. Je parle ici en tant que citoyen et non pas en tant que représentant du gouvernement de transition. Je parle ici pour vous faire part de ma crainte. Ma crainte c'est que ce qui s'est passé en République dominicaine, à savoir un semblant de dialogue démocratique destiné à donner de l'air à un régime moribond, se produise au Venezuela. Plutôt qu'un dialogue qui mettrait du temps à donner des résultats, d'autant que chaque minute écoulée est précieuse, je pense que ce sont des actions immédiates qui doivent être conduites pour éviter que plus de gens ne meurent. Ces actions immédiates sont complémentaires du processus de dialogue qui a été entamé à Oslo. On peut se réjouir que des canaux de communication existent encore mais pour qu'ils parviennent à donner des résultats, il faut néanmoins avoir un discours clair et continuer à exercer la pression. Et dire aux auteurs de ces crimes qu'ils ne bénéficieront d'aucune impunité. Car ces gens se moquent de tout. Ils se moquent de tout le monde, du pape, même de l'église catholique. Et il n'est pas envisageable qu'ils puissent continuer à le faire.

Ce qui me préoccupe également, c'est le fait que l'avenir de mon pays finisse entre les mains des russes ou des américains. C'est la raison pour laquelle je demande l'aide des pays européens. Ainsi, nous démocrates, pourrons leur opposer notre vision quand ils voudront nous imposer la leur. Montrez-nous que nous ne nous sommes pas trompés. Que les efforts entrepris par mon pays pour être plus démocratique n'ont pas été faits en vain. Mais en attendant qu'ils se mettent d'accord à l'ONU, il nous faut agir. Pendant qu'ils jouent à leur petite guerre froide, nous devons, en Europe, demander l'intervention de la CPI.

C'est la raison d'être de ma présence en France. En France, il est possible de juger des crimes contre l'humanité perpétrés en dehors du territoire français. C'est un mécanisme extraordinaire et précieux que de pouvoir juger de tels crimes. Lorsque je suis arrivé en Espagne, j'ai eu un entretien avec le Président, M. Pedro Sanchez et le Ministre des Affaires étrangères, M. Josep Borrell. Avant même que je ne prenne la parole, ce dernier a déclaré qu'il était contre une intervention militaire. Je lui ai répondu que je n'y étais pas favorable non plus. Mais alors, comment expliquer que dans certains pays d'Europe, en France, en Italie, en Espagne, au Portugal par exemple, des assassins, des narcotrafiquants circulent librement ? Pourquoi peuvent-ils le faire ? Il faut répondre à cela, geler leurs avoirs criminels. Il faut montrer au peuple vénézuélien qu'en Europe, ces criminels qui s'enrichissent sur la mort et la faim des Vénézuéliens, sont poursuivis.

M. Lorent Saleh. - La Colombie. J'ai été arrêté en Colombie. Mais j'ai vu deux peuples frères, notamment lors des tentatives pour faire entrer l'aide humanitaire. Tous les peuples sud-américains nous ont soutenus, nous ont pris dans leurs bras. Peut-être que le rêve de Bolivar n'est pas si loin. La Colombie nous aide comme elle peut, mais ses moyens sont limités. Elle doit gérer les flux de migrants, la guérilla, les narcotrafiquants protégés par le Venezuela. La situation à la frontière est dramatique. Il y a des trafics humains, des trafics d'organes, des réseaux de narcotrafiquants, de mercenaires qui recrutent parmi les plus jeunes. Les femmes sont abusées, par la police, par la guérilla. C'est un drame. La Colombie a vraiment essayé de nous aider, avec une solidarité profonde, comme tous les pays d'Amérique latine. Mais nous sommes trop petits. À Caracas se trouvent la Russie, Cuba, la Syrie, la Turquie...ce n'est pas juste un petit groupe de politiques vénézuéliens qui décide à Caracas.

Nous avons des options, nous travaillons avec le gouvernement de transition. L'opposition travaille de façon unie, mais c'est très difficile, il y a des pressions sur les députés, sur les familles...Pourquoi me torturaient-ils ? Ils voulaient que j'enregistre une vidéo accusant des personnes de l'opposition afin de suscitant la zizanie entre eux. Moi j'ai pu endurer, je ne sais pas comment j'ai fait. Mais combien y parviennent ? Nous demander de nous mettre d'abord d'accord entre nous dans ces conditions, c'est incompréhensible et injuste. Nous avons tout fait, sauf prendre les armes. Bien sûr qu'il y a eu des problèmes au sein de l'opposition, mais c'est déjà très difficile en période démocratique de s'entendre, alors dans ce régime de terreur... Je ne sais pas comment Juan Guaido a fait pour s'opposer si fermement au régime et en même temps proposer une amnistie, je l'admire. Il a su retirer l'étiquette de son parti et se présenter sous le drapeau de son pays. Leopoldo Lopez a réussi à serrer dans ses bras ses anciens tortionnaires, des anciens ministres de Chavez qui nous avaient poursuivis ont rejoint nos rangs. Ce n'est pas facile.

Que pouvons-nous faire ? Il faut agir, ce qui est sur le papier doit devenir des actions. Si vous me le permettez, M. le Président, je vais laisser la parole à Juan Carlos et à Isadora sur ce sujet.

Juan Carlos Gutiérrez.- Je ne vais pas revenir sur les faits, Lorent Saleh vous les a déjà exposés. Ils sont irréfutables, on parle de plus de 15000 Vénézuéliens qui se sont retrouvés dans la même situation, ou plus. Ce sont des crimes contre l'humanité. Par ailleurs, je me rends compte que vous avez déjà une très bonne connaissance, profonde, précise et sans équivoque de la situation et des violations des droits de l'homme et je vous en remercie. L'impunité qui caractérise le comportement du gouvernement depuis 2014 a aggravé ces crimes. Vous les connaissez et je vous en remercie. Nous sommes très heureux d'avoir pu établir un contact avec vous aujourd'hui et nous allons vous présenter maintenant nos demandes très concrètes.

Lorent vous l'a dit : nous avons besoin de soutien. Nous sommes face à une structure criminelle organisée transnationale. Ce n'est pas une question idéologique, un débat politique. Il ne peut pas y avoir d'impunité. C'est pourquoi nous sommes ici. Les Vénézuéliens ont besoin de justice. Avec toute notre humilité, nous demandons au Sénat de se prononcer. Vos collègues, démocratiquement élus, sont dans des geôles ! On ne peut pas oublier le cas du député Juan Requesens, emprisonné sans mandat d'arrêt, torturé ! On ne peut pas oublier que le vice-président du Parlement vénézuélien, Edgar Zambrano, se trouve aujourd'hui emprisonné avec une privation totale de ses droits fondamentaux. Nous avons présenté une demande de protection devant la commission des droits de l'homme ibéro- américaine. Mais nous savons que Nicolas Maduro ne la respectera pas ! C'est pourquoi nous prions le Sénat de faire une déclaration, en exigeant la liberté des députés qui sont persécutés et la fin des persécutions. Certains sont réfugiés dans les ambassades, notamment l'ambassade d'Italie, heureusement, mais tout ceci doit cesser. Ce sont vos collègues parlementaires, je vous prie instamment de vous prononcer en faveur de leur libération !

Mme Isadora Zubillaga. - Plutôt que d'attendre une résolution onusienne, la France doit agir sur le plan diplomatique, dans le cadre européen, car les morts s'accumulent au Venezuela et nous devons éviter cela à tout prix.

Je souhaiterais insister sur trois points.

Premièrement, nous demandons l'ouverture des couloirs humanitaires ; c'est le point le plus important aujourd'hui. Nous y avons contribué avec l'ONU, la Croix-Rouge et l'Église catholique du Venezuela, mais nous avons besoin de l'aide de la France compte tenu de son influence en Europe.

Deuxièmement, nous demandons que des sanctions individuelles pour violation des droits de l'homme et crimes contre l'humanité soient prononcées contre le régime de Nicolás Maduro. Leurs familles sont installées en Europe, et même en France. À titre de comparaison, l'Union européenne n'a sanctionné que 18 personnes, contre 120 personnes au Canada. Cela a un réel effet sur la structure qui soutient Nicolás Maduro.

Enfin, nous demandons des élections libres. Nous avons des échanges à ce sujet, d'Oslo à Ottawa, de Sotchi à Guatemala. Le Groupe international de contact (GIC), créé à l'initiative de l'Union européenne, doit se coordonner avec le Groupe de Lima, actuellement conduit par le Canada, pour permettre l'organisation d'élections le plus tôt possible, en respectant le cadre constitutionnel que nous avons rappelé tout à l'heure : le président Guaidó doit constituer un gouvernement de transition puis convoquer des élections le plus tôt possible. Pour ce faire, l'appui du Sénat, de la France et de l'Union européenne est très important pour nous.

M. Christian Cambon, président. - Bien évidemment, vous avez notre soutien. J'engage mes collègues à attirer l'attention du gouvernement français sur la situation au Venezuela.

En complément, je voudrais faire quelques observations.

Avant toute chose, je veux souligner qu'hier, l'Union européenne a désigné un envoyé spécial pour le Venezuela M. Enrique Iglesias, ce qui devrait favoriser l'unification des positions des Etats membres et donner plus de force à l'Europe pour faire pression dans cette crise.

Au-delà, quelles actions devons-nous mener ?

Tout d'abord, appuyer la médiation qui est en cours à Oslo et dialoguer, dès lors que la solution militaire n'est souhaitée par personne. Nous allons inciter le ministre des affaires étrangères à appuyer cette médiation.

Par ailleurs, vous avez évoqué la Cour pénale internationale. Comme vous le savez, pour que celle-ci puisse être saisie, une condition préalable est que le pays concerné soit signataire du Statut de Rome, ce qui est bien le cas du Venezuela. Ensuite, il y a trois modes de saisine possibles. La première, par le pays lui-même, ce qui paraît peu probable venant de M. Maduro. La deuxième par un pays tiers signataire, ce qui a été fait, vous l'avez rappelé, par cinq pays d'Amérique latine et le Canada. La France, quant à elle, a approuvé cette démarche et il serait souhaitable que l'Union européenne toute entière le fasse. La troisième possibilité est une saisine par le Conseil de sécurité des Nations Unies, mais l'on sait que la Russie opposera son veto, comme elle l'a fait, à onze reprises, pour empêcher que des enquêtes internationales soient menées sur les violations des droits de l'homme et les crimes commis par le régime syrien. On sait, au demeurant, que les procédures devant les tribunaux internationaux sont très longues. Elles n'ont pas pour effet de soulager la souffrance immédiate de la population. Mais il faut que ces procédures soient menées à bien pour que les responsables répondent de leurs crimes odieux.

A mon sens, il faut, comme vous l'avez dit, utiliser à la fois les procédures internationales, la pression politique ainsi que les sanctions. Avec cette réserve, s'agissant de ces dernières, qu'elles pénalisent souvent davantage les populations que les responsables des troubles. L'action internationale doit viser, en revanche, à l'ouverture de couloirs humanitaires permettant de soulager la population. La communauté internationale manifeste sa solidarité à travers l'aide humanitaire, mais le problème est que celle-ci n'arrive pas à ses destinataires, l'armée vénézuélienne bloquant son entrée aux frontières, nous avons tous en tête ces images terribles.

Toutes ces mesures peuvent sembler bien modestes au regard de ce que vous avez enduré et dont vous avez témoigné ici. Cette audition restera parmi celles qui nous ont le plus marqués, comme celle de cette femme yézidie qui était venue nous raconter l'esclavage sexuel qu'elle avait subi pendant plusieurs années. Il faut que vous continuiez à faire connaître votre témoignage dans toutes les instances internationales. Nous avons été touchés par la force de votre témoignage et par votre courage, et avons pris la mesure de cette réalité épouvantable. Soyez sûr de notre détermination à mener toutes les actions que nous pourrons, à aiguillonner notre gouvernement en ce sens. Je rapporterai ce témoignage au président du Sénat qui, je l'ai dit, est très sensible à ce qui se passe au Venezuela. Merci encore pour votre témoignage et soyez assuré qu'il ne restera pas sans suite. Faites part à vos compatriotes du soutien du Sénat et de la République française. Nous ferons notre possible pour que la démocratie, les libertés et les droits de l'homme soient respectés.

La réunion est close à 11 h 20.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.