Mercredi 13 mai 2020

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La téléconférence est ouverte à 16 h 40.

Projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2019 - Audition de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics (en téléconférence)

M. Vincent Éblé, président. - Nous recevons aujourd'hui, par visioconférence, M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, pour évoquer le projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2019. 

Monsieur le ministre, vous nous avez déjà présenté, fin janvier, les premiers éléments relatifs à l'exécution 2019. Les rapports annuels de performance nous ont été transmis par la suite et le projet de loi de règlement a été déposé dès le 2 mai -?contre le 15 mai l'an dernier et le 23 mai il y a deux ans. Nous notons l'effort ainsi réalisé par votre administration, alors même que la période de confinement a affecté son activité. 

L'examen de la loi de règlement constitue une étape dans le «?chaînage vertueux?» des lois de finances, qui doit permettre d'éclairer à l'automne l'examen du prochain projet de loi de finances. Cette année, il sera une référence au regard de ce qui constituait, jusqu'à l'émergence de la crise sanitaire, une année relativement «?normale?» -?pour autant qu'un déficit public de?3 % du PIB puisse être considéré comme normal.... 

Le rapporteur général et les rapporteurs spéciaux vous interrogeront donc sur l'exécution budgétaire de 2019, mais les enseignements de l'année 2019 risquent de les pousser à s'intéresser également aux éléments que vous pourriez avoir sur l'exécution de l'année 2020. Sur cette question, nous avons reçu la semaine dernière Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, et M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, pour ce qui concerne les collectivités territoriales. M. Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques, nous a donné les premiers éléments dont il disposait sur les recettes de l'État. Nous poursuivons par ailleurs un programme d'auditions d'organismes représentatifs -?la Fédération bancaire française, la Fédération française de l'assurance, la Banque de France, le Médiateur du crédit, demain l'Autorité des marchés financiers...?- et d'économistes. 

La crise sanitaire a bouleversé toutes les prévisions budgétaires. Pourrez-vous nous préciser le calendrier du Gouvernement pour le prochain débat d'orientation des finances publiques -?qui doit se tenir avant l'été?-, voire pour la présentation d'un nouveau projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP), qui sera nécessaire afin de donner de la visibilité sur l'évolution du budget de l'État, à l'heure de la reprise espérée de l'économie et de la préparation d'un plan de relance annoncé à maintes reprises?? 

M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. - Il y a quelque chose de saugrenu, voire d'anachronique, à parler de la loi de règlement de 2019, tant les choses ont changé... Mais il me semble important de l'évoquer, car le Sénat et l'Assemblée nationale auront à en débattre. Cet exercice est nécessaire pour le contrôle de l'action gouvernementale et afin d'enrichir notre réflexion pour l'avenir. 

La situation actuelle est cependant très différente de celle de 2019?: le chômage partiel représentait 100 millions d'euros de dépenses publiques en 2019, contre 26 milliards d'euros au cinquième mois de 2020. Les montants ne sont pas du tout du même ordre... En?2019, nous avons perçu 281,3?milliards de recettes fiscales, soit 8 milliards d'euros de plus que ce que prévoyait la dernière loi de finances rectificative (LFR) - les recettes ont été supérieures de 2 milliards d'euros pour l'impôt sur les sociétés, de 1,3 milliard d'euros pour l'impôt sur le revenu et de 3?milliards d'euros pour l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) et le prélèvement forfaitaire unique (PFU) -, grâce à un meilleur recouvrement, à la lutte contre la fraude et au civisme économique. En 2020, nous enregistrons au contraire 43 milliards d'euros de recettes en moins par rapport à la LFI pour les cinq premiers mois de l'année... Ces deux années sont donc difficilement comparables. 

Mais, comme le souligne aussi la Cour des comptes, il y a eu un assainissement des comptes publics durant les trois derniers exercices budgétaires. Le déficit budgétaire était de 3,4 % du PIB lorsque je suis arrivé aux responsabilités, en mai 2017?; il était de 2,9 % fin 2017, après les premières mesures d'économies, de 2,3?% en 2018 et de 2,1 % en 2019, soit un niveau largement inférieur à ce que certains, notamment le rapporteur général, craignaient. Pendant ces trois ans, la croissance avait pourtant ralenti, certes moins en France que dans le reste de l'Europe. Pourtant, le projet de budget pour 2019 a été modifié quelques semaines après son vote en raison de la crise des «?gilets jaunes?» et des annonces du Président de la République à la suite du grand débat. Malgré cela, les comptes ont été tenus sans budget modificatif, et nous avons diminué le niveau de déficit de 1,3 point en trois exercices budgétaires. 

Si les recettes fiscales ont augmenté, les taux d'imposition ont baissé avec la suppression de la taxe d'habitation (TH), la baisse de l'impôt sur les sociétés (IS), la réforme de la fiscalité du patrimoine... 

Nous avons aussi lutté contre la fraude fiscale, en nous inspirant des travaux du Sénat?; je me félicite de ce consensus. 

L'impôt a été également mieux recouvré, grâce au prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, qui a apporté 1,3 milliard d'euros de recettes supplémentaires. La Cour des comptes a salué la sincérité et la qualité des comptes de l'État, mais elle a déploré, à juste titre à mon sens, la complexité de notre fiscalité?: les taxes affectées, les dépenses fiscales, des dispositions dérogatoires compliquées nuisent au principe d'unité budgétaire. Sur ce point, le ministre de l'action et des comptes publics regrette, tant vis-à-vis de ses collègues que du Parlement, la création de ces dispositions qui affectent la sincérité, la simplicité et la lisibilité des comptes. 

Ces résultats valident la stratégie économique et fiscale du Président de la République depuis 2017. Juste avant la pandémie, nous avions le taux de chômage le plus bas depuis vingt ans, le plus grand nombre de créations d'emplois, notamment industriels, dans les territoires les plus touchés - je pense notamment aux Hauts-de-France - le plus grand nombre de créations d'entreprises depuis deux décennies, le meilleur taux de croissance de l'Union européenne, une consommation qui repartait à la hausse et des baisses des impôts sur le capital et sur les entreprises... Ces baisses d'impôts n'ont pas provoqué de diminution des recettes, la courbe de Laffer se trouvant ainsi vérifiée. C'est par l'encouragement de la valeur travail et de la croissance des entreprises que nous avons obtenu plus de recettes fiscales et de cotisations sociales. Cela nous a permis de continuer à baisser les impôts. En 2019, l'Insee et la Cour des comptes ont constaté un recul de la dette. Ce cercle vertueux doit nous inspirer. La solution aux difficultés actuelles ne saurait être en aucun cas la création d'impôts nouveaux, mais plutôt l'encouragement de la croissance, de l'investissement et de la consommation. Par cohérence, le Gouvernement va maintenir les baisses d'impôts, voire en proposer d'autres. Si la Covid-19 n'était pas là, dans une sorte d'utopie ou d'uchronie, sans doute commenterions-nous aujourd'hui les bons chiffres du Gouvernement?! Avec des comptes assainis, le Gouvernement a pu continuer à emprunter plus et à soutenir les salariés et les entreprises. 

Je vous remercie d'avoir noté les efforts consentis par mon administration pour déposer quinze jours plus tôt que l'an dernier le projet de loi de règlement. Utilisons l'examen de ce texte comme un temps de discussion important, qui permettra à l'exécutif de mieux travailler. L'exécution budgétaire est aussi importante que les inscriptions budgétaires, et les parlementaires sont soucieux de débattre des chiffres et de la sincérité du budget. 

J'ai tenu ma promesse?: il n'y a eu aucun décret d'avance en 2019, le pouvoir d'autorisation des dépenses du Parlement a été respecté. C'est la seconde fois en quarante-cinq ans qu'il n'y a pas eu de décret d'avance... 

M. Vincent Éblé, président. - Il n'est pas impossible que certains membres de la commission souhaitent vous interroger sur l'exercice 2020, au lieu de se limiter strictement à un regard rétrospectif sur l'année 2019.

Dans son rapport sur l'exécution 2019, la Cour des comptes renouvelle ses critiques contre les techniques de débudgétisation, notamment via les fonds sans personnalité juridique contrôlés par l'État, dont les comptes ne sont jamais présentés au Parlement. Ainsi, le fonds pour l'innovation dans l'industrie, alimenté par des dividendes, n'a pas réellement de ressources sanctuarisées, d'autant que devaient s'y substituer les recettes provenant de la privatisation d'Aéroports de Paris, reportée voire abandonnée... En tirerez-vous les conséquences dans le projet de loi de finances pour 2021, en supprimant tout simplement ce fonds pour construire, au sein du budget général, une mission budgétaire ou un autre véhicule plus efficace afin de porter les crédits nécessaires à la relance de notre économie?? 

La fiscalité affectée est également un moyen fréquemment utilisé pour contourner les contraintes de l'autorisation budgétaire et pratiquer une forme de débudgétisation. Le plafonnement des recettes au profit du budget de l'État est par ailleurs souvent mal compris, les organismes taxés estimant que leurs contributions doivent être utilisées conformément à leur objet ou que, sinon, il n'a pas lieu d'être. Souscrivez-vous à la recommandation de la Cour des comptes de mieux encadrer la fiscalité affectée?? Ferez-vous de nouvelles propositions dans ce domaine?? 

L'exercice 2019 a été marqué par la suppression de la comptabilité d'analyse des coûts, qui contribuait à donner une vision plus complète des coûts d'une politique en présentant notamment les déversements entre missions. Lorsque cette comptabilité d'analyse des coûts a été supprimée par un décret d'octobre 2018, elle devait être remplacée par une comptabilité analytique remplissant des objectifs similaires. Où en est ce projet de généralisation d'une comptabilité analytique de l'État, au-delà de l'expérimentation qui en est faite??

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je me réjouis qu'il n'y ait pas eu de décret d'avance ni de projet de loi de finances rectificative (PLFR) en 2019, mais cette joie aura été de courte durée, car il y a déjà eu deux PLFR cette année, et il sera encore probablement nécessaire d'adapter les dispositifs, peut-être par exemple sur le chômage partiel, même s'il y a un léger retour d'activité, et sans parler encore de relance. Avez-vous prévu un PLFR pour juin?? Concernera-t-il les dispositifs actuels ou prévoyez-vous de nouvelles mesures?? Comprendra-t-il un volet de relance?? 

Vous vous êtes réjoui de la bonne tenue des comptes, mais nous en avons une vision un peu différente... Depuis 2017, nos voisins ont réduit leur endettement de 5 points de?PIB, alors que le nôtre reste au niveau élevé de 98,1 % selon le projet de loi de règlement. Nous avons choisi, contrairement à nos voisins, même d'Europe du Sud - sauf l'Italie - le recours au déficit et à l'endettement. De ce fait, l'Allemagne a beaucoup plus de marges de manoeuvre dans la crise actuelle. Je craignais précédemment que nous en ayons moins, dans l'hypothèse d'un choc pétrolier - c'est actuellement le contraire - ou d'un krach boursier. Ne regrettez-vous pas vos choix, notamment celui de ne pas «?avoir réparé la toiture pendant que le soleil brillait?», selon la formule de John Kennedy reprise par Christine Lagarde au FMI?? Nous avons un peu trop profité de l'élasticité des recettes pour ne pas faire d'efforts... 

Les ministères de l'intérieur et des outre-mer ont connu une croissance de leur masse salariale supérieure à 3?%. La hausse de la masse salariale du ministère de l'intérieur est supérieure de près de 150?millions d'euros à ce qui était prévu en loi de finances, soit un écart de près de 1 %. Disposez-vous d'éléments explicatifs?? S'agit-il par exemple du versement de primes?? 

Au contraire, seulement 18,4?% des crédits de paiement ouverts en LFI pour le plan «?France Très haut débit?» ont été consommés. Or la situation actuelle montre toute l'importance du télétravail ou de l'enseignement à distance, tandis que le directeur général des finances publiques nous a fait part de ses difficultés à mettre en oeuvre le télétravail. Nous avons besoin d'équipements pour accéder au très haut débit, et cette très faible consommation des crédits est regrettable. 

M. Gérald Darmanin, ministre. - J'ai fait mienne votre critique sur la débudgétisation. 

Le fonds pour l'innovation dans l'industrie devait être abondé par les privatisations de la Française des jeux et d'Aéroports de Paris. Il appartient au ministre de l'économie et des finances, créateur et ordonnateur du fonds, de décider s'il faut le rebudgétiser au travers de missions particulières ou s'il doit continuer à être alimenté par des recettes de dividendes. Il a promis qu'il améliorerait les choses pour 2021, notamment avec le plan «?batteries?». Il présentera sa stratégie. Ce fonds finance aussi le programme d'investissements d'avenir. 

Ce n'est pas moi qui pèche sur la fiscalité affectée, mais plutôt le Parlement...

M. Vincent Éblé, président. - Ce n'est pas faux... 

M. Gérald Darmanin, ministre. - Cette fiscalité affectée serait pédagogique, dit-on?; ce n'est pas évident... On ne peut pas affecter tous les crédits par rapport aux recettes?: la culture ne peut pas payer pour la culture, ni l'éducation pour l'éducation. Personne ne voudra taxer les enfants?! Mais recourir à ce type de fiscalité a parfois été un réflexe... Il faut mieux encadrer, et même parfois supprimer, certains dispositifs de fiscalité affectée. Nous avons supprimé et rebudgétisé certaines petites taxes depuis 2017, parfois des «?contributions volontaires obligatoires?», curiosité lexicale des finances publiques?! Nous avons pu voir, avec la taxe sur les farines, qu'il était difficile de toucher à ces taxes. Mais nous avons supprimé les petites taxes, les remplaçant par des lignes budgétaires de 200?millions à 300 millions d'euros. Il faudra faire de même pour les taxes moyennes et grosses. Ces taxes sont d'autant moins comprises qu'elles sont plafonnées et que le surplus revient au budget de l'État. Mais invente-t-on un tuyau pour les dépenses?? Celles-ci doivent-elles correspondre obligatoirement aux recettes?? Si l'on continue ainsi, on ne fera pas d'économies?; or les dépenses publiques s'élèvent actuellement à 61 % du PIB... 

La fiscalité affectée marche dans un sens mais pas dans l'autre. Ainsi, on a demandé au budget général de l'État de compenser l'effondrement des recettes des amendes des radars dû à la destruction de ceux-ci, alors qu'elles profitaient aux départements, à la Sécurité routière et à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf). Mais lorsqu'il y a trop de recettes, on n'est pas content que l'État récupère le surplus... Les parlementaires autorisent les crédits et donnent un avis sur les politiques publiques, or si la fiscalité est affectée, vous ne décidez plus de grand-chose... Le ministre de l'action et des comptes publics, lui, est favorable à ce que l'on rebudgétise au maximum.

Le ministère des armées est précurseur en matière de comptabilité analytique?; il présentera ses travaux lors de l'examen du prochain budget. De nombreux ministères ont également été sensibilisés, mais le Covid-19 a freiné la généralisation du dispositif. 

Mieux vaut un PLFR qu'un décret d'avance, monsieur le rapporteur général?! Je vous remercie des débats constructifs que nous avons eus lors de la discussion des deux derniers PLFR et des compromis obtenus. La tentation était grande, pour le Gouvernement, de faire des décrets d'avance, mais nous avons préféré avoir recours à un PLFR, avec une autorisation parlementaire explicite. 

Nous déposerons un troisième PLFR fin juin ou début juillet. À l'exception de quelques mesures, nous ne serons plus dans l'urgence, mais dans la résilience, en vue d'accompagner certains secteurs toujours fermés ou dont les conditions sanitaires de réouverture sont difficiles, comme le tourisme, la restauration, les activités sportives ou culturelles. Nous annoncerons aussi des mesures en faveur des collectivités territoriales - je m'y suis engagé. 

Le plan de relance, troisième étape après l'urgence et la résilience, ne sera pas contenu dans ce PLFR. Nous aurons une grande concertation nationale, en lien avec les collectivités territoriales. Les choix n'ont pas encore été faits, car nous ne connaissons pas encore l'ampleur de la crise, nous ne savons pas s'il y aura un reconfinement, à combien se monteront les pertes de recettes et quelles seront les conditions de reprise d'activité... Le Premier ministre donnera prochainement des précisions. 

La majorité sénatoriale aurait pu davantage nous encourager à faire plus d'économies pour réduire l'endettement, mais vous avez voté contre nos mesures d'économies portant sur la politique du logement ou les contrats aidés... 

La comparaison avec d'autres pays n'est pas totalement juste, car nous avons rendu notre dette plus sincère, en reprenant la dette de la SNCF et en mettant fin au statut des cheminots. Nous avons ainsi comptabilisé plusieurs milliards d'euros dans la dette. Sans cette opération de vérité des chiffres, nous aurions pu réduire la dette à peu de frais. Mais nous sommes fiers de cette sincérité. L'Allemagne fait mieux que la France car elle a mieux tenu ses comptes. Avant la crise financière, Allemagne et France avaient toutes deux une dette d'environ 60 % du PIB. En 2017, après avoir eu un taux d'endettement proche de 90 %, l'Allemagne était redescendue à 65?%, mais la France est restée à 90 %. Nous pourrions plutôt nous comparer avec l'Italie ou l'Espagne?; nous avons fait mieux qu'elles. 

La France a pu emprunter beaucoup, rapidement, sans être attaquée, grâce à l'euro, n'en déplaise aux eurosceptiques. L'euro a sauvé les économies européennes. Voyez les déclarations du responsable du budget britannique?: il n'est pas si simple de vivre tout seul... 

Vous avez raison concernant les 150 millions d'euros de dépenses supplémentaires du ministère de l'intérieur. Le protocole de décembre 2018, obtenu après un accord entre les syndicats et l'État, revalorise les salaires de la gendarmerie et de la police. Une grande partie du stock d'heures supplémentaires a été payée. Les mouvements sociaux et le G?7 mouvementé ont aussi imposé de mobiliser davantage d'effectifs. Tout cela explique ce dépassement. Le ministre de l'intérieur en est conscient. 

La sous-consommation des crédits pour le plan «?France Très haut débit?» n'est pas due à un manque d'argent ni à des retards de l'État, mais à des retards opérationnels dans l'exécution des contrats pour des chantiers très lourds. La mise en oeuvre de la loi de programmation de la justice n'a pas non plus atteint le niveau prévisionnel des dépenses. Ce n'est pas dû à une économie de fonds publics mais à la difficulté, pour les collectivités locales, de libérer du foncier pour construire des prisons... 

M. Vincent Delahaye. - Je salue la sincérité du budget et la bonne tenue des recettes, mais je serai plus critique sur les dépenses. Certes, vous avez pu profiter de taux bas pour faire des économies sur les intérêts de la dette. Si la dette finançait de l'investissement, ce serait positif, mais la majorité de cette dette paie le fonctionnement d'aujourd'hui en tirant des traites sur les générations futures - et il en est ainsi depuis longtemps... 

Quel est le montant de l'investissement de l'État dans un budget de 400 milliards d'euros?? 

Vous n'avez pas répondu sur la LPFP. Lorsque nous débattrons du budget nécessaire pour financer la relance, il faudra un projet de programmation des finances publiques pour savoir comment revenir à une situation plus habituelle des finances publiques. Il faudrait une LPFP avant le plan de relance économique. 

Olivier Dussopt a annoncé une révision des niches fiscales en fonction de leur vertu écologique. Pensez-vous aller un peu plus loin?? J'y serais favorable, afin notamment de supprimer des niches inefficaces. 

M. Yvon Collin. - Merci d'avoir développé votre analyse de la loi de règlement. La loi de finances rectificative du 25?avril reposait sur l'hypothèse d'une récession limitée à 8 % en?2020. Cela suppose un rebond de la consommation, porté par la désépargne des Français. Les Français ont beaucoup épargné. Quels leviers utiliser pour les inciter à consommer davantage?? 

Les collectivités territoriales sont inquiètes de la baisse des recettes fiscales et de la hausse des dépenses. Les dépenses liées à la crise pourraient-elles être passées en section d'investissement pour ne pas grever les dépenses de fonctionnement ou dans un budget annexe «?spécial Covid-19?»?? 

La réforme de la taxe d'habitation se poursuivra, malgré l'impact de la crise sanitaire sur les finances publiques. Le Gouvernement l'a confirmé, allant jusqu'à évoquer un possible effet d'aubaine. La substitution d'une part de TVA à la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) dans un contexte de forte épargne et de chute de la consommation pourrait avoir de fortes incidences pour les départements.

Mme Sylvie Vermeillet. - Je suis rapporteur spécial du compte d'affectation spéciale (CAS) «?Pensions?». Le niveau de la retraite unitaire moyenne des fonctionnaires baisse depuis 2010, notamment pour les catégories B et C, en raison du durcissement des conditions de durée d'assurance et d'âge. Pouvez-vous me communiquer l'actualisation de ces données pour 2019?? 

Dans la perspective de la future réforme des retraites, à moins que celle-ci ne soit définitivement enterrée, la situation des personnels actifs de la fonction publique?-principalement les policiers, les militaires et le personnel hospitalier?- pourrait-elle être favorablement révisée?? 

Je me permets de vous faire part d'une inquiétude de mon collègue Nuihau Laurey sur la Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, qui fait office de caisse nationale d'assurance vieillesse, maladie, des affaires familiales et d'Urssaf. La crise économique et le report de paiement des cotisations ont un impact immédiat sur sa trésorerie. Si aucune nouvelle source de liquidités n'est identifiée d'ici à juillet, les prestations sociales en Polynésie ne pourront plus être honorées - pensions de retraite, remboursements d'assurance maladie, dotations de fonctionnement des hôpitaux, allocations familiales, etc. Le président de la Polynésie française vous a demandé un emprunt, à l'instar des décisions prises pour la Nouvelle-Calédonie. Lui répondrez-vous favorablement, pour une application d'ici à juillet?? 

M. Arnaud Bazin. - Vous avez évoqué un effort en matière de sincérité des comptes, mais l'exécution budgétaire de la prime d'activité a encore été dépassée en 2019, de plus de 800 millions d'euros, pour atteindre 9,5?milliards d'euros. Certes, il y avait une urgence qui a abouti à la réforme du dispositif, mais comment expliquer cette sous-budgétisation récurrente?? Quelles actions prévoyez-vous pour rendre le budget plus sincère?? 

Au titre de 2020, 9,9?milliards d'euros sont inscrits pour la prime d'activité. Cette prévision tient-elle toujours ou prévoyez-vous un nouveau dépassement?? 

Une prime exceptionnelle de 150?euros, plus 100?euros par enfant à charge, est prévue pour les familles les plus en difficulté. Ces aides seront-elles financées sur l'enveloppe de 880 millions d'euros identifiée dans le PLFR?2 au titre de la mission «?Solidarité, insertion et égalité des chances?»?? Si oui, cette enveloppe devra probablement être complétée pour tenir compte des besoins au titre de l'aide de solidarité et de l'aide aux étudiants précaires. Comment assurer l'intégralité du financement, qui augmentera jusqu'à 1,1 milliard d'euros?? Des mouvements budgétaires sont-ils prévus?? Les caisses d'allocations familiales (CAF), déjà fort sollicitées, trouveront-elles les moyens d'assurer cette prestation dans un délai raisonnable?? 

Les dépenses pour l'aide alimentaire, financées par la mission «?Solidarité, insertion et égalité des chances?» -?dont je suis rapporteur spécial avec M. Éric Bocquet?-, se sont élevées à 58 millions d'euros, soit un dépassement de plus de 7 millions d'euros par rapport aux crédits inscrits en LFI, probablement à cause des dépenses déclarées inéligibles et écartées du champ des demandes de remboursement auprès de l'Union européenne au titre du Fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD). La France va-t-elle pouvoir récupérer la totalité de ces fonds européens ou le budget national devra-t-il financer ce manque à gagner??

En 2020, de nombreux compatriotes seront de plus en plus en difficulté. Les associations d'aide alimentaire sont extrêmement sollicitées. Avant la crise, cette aide profitait à 5 millions de personnes?; désormais, ce sont 8 millions de personnes qui y ont recours, selon Christelle Dubos. Le Gouvernement a annoncé une enveloppe de 39 millions d'euros pour ces associations?: est-elle déjà parvenue aux associations?? Où est-ce pris dans le budget de l'État?? D'autres aides financières seront-elles débloquées sur les plans national et européen??

M. Roger Karoutchi. - Avez-vous l'impression, pour le budget 2019, que les mesures d'urgence de 10?milliards d'euros décidées à la suite du mouvement des «?gilets jaunes?» ont atteint leur objectif?? Certains ont critiqué des mesures précipitées, coûteuses, qui n'auraient pas eu les effets escomptés. Qu'en est-il?? 

Rapporteur spécial de la mission «?Avances à l'audiovisuel public?», j'observe désespérément la capacité du secteur à faire quelques économies. Vous aviez envisagé soit la suppression de la redevance audiovisuelle, soit son réajustement avec la disparition de la taxe d'habitation. Votre réflexion a-t-elle avancé sur ce sujet?? 

M. Charles Guené. - Rapporteur spécial de la mission «?Relations avec les collectivités territoriales?», je constate un décalage régulier entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement s'agissant des subventions d'investissement. Cela rend difficile le suivi de l'investissement local, d'autant que les indicateurs de performance sont peu adaptés. Seule la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) fait l'objet d'un suivi. Ne faudrait-il pas mettre un peu d'ordre pour le prochain PLF?? 

Pour l'exécution 2020, avez-vous eu beaucoup de demandes d'avance sur TVA de la part des collectivités territoriales, et si oui, pour quelles sommes?? Envisagez-vous de rendre le fonds de compensation de la TVA (FCTVA) plus contemporain, ou serait-ce un projet farfelu?? 

Vous avez envoyé aux préfets des directives pour un engagement plus rapide de la?DETR, de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et de la dotation de soutien à l'investissement des départements (DSID). Quels sont les niveaux d'engagement actuels?? 

N'aurions-nous pas intérêt à trouver un dispositif de neutralisation pour les indices synthétiques, qui seront bouleversés par la réforme de la TH?? Ne faut-il pas laisser de côté l'idée de revenir sur les impôts économiques, afin que les collectivités ne soient pas perturbées dans la vision de leurs ressources?? 

M. Thierry Carcenac. - Je ne doutais pas que vous seriez content du travail effectué en présentant la loi de règlement?; c'est normal pour un ministre... 

Après les mesures d'urgence consécutives à la crise des «?gilets jaunes?», nous allons arriver à une situation budgétaire plus préoccupante avec une crise sanitaire, économique et, à terme, sociale.

Vous avez indiqué fermement qu'il n'y aurait pas de création d'impôts nouveaux. Il y a quelques jours, M.?Raymond Soubie, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, préconisait de créer quelques recettes nouvelles en matière de solidarité. Certes, nous n'en sommes qu'à l'exécution du budget, mais cela nous permettrait d'examiner le PLF 2021 en disposant d'éléments différents. 

Avec M.?Claude Nougein, je suis rapporteur spécial de la mission «?Gestion du patrimoine immobilier de l'État?». Le programme 348 « Rénovation des cités administratives » démarre lentement. Comment, dans le cadre de la relance, aller plus rapidement vers la transition environnementale?? Cela permettrait de faire des économies. 

Vous avez évoqué la fraude fiscale et avez mis en oeuvre du data mining. Mais j'ai cru comprendre que, en 2019, vous avez eu des difficultés à recruter du personnel spécialisé en informatique pour s'en charger. 

Nous affectons de plus en plus de TVA - 31,2 milliards d'euros cette année - à la Sécurité sociale, ce qui va poser des problèmes. Qu'en sera-t-il à l'avenir?? Peut-on savoir ce qui passe globalement du budget de l'État au budget de la Sécurité sociale??

Mme Christine Lavarde- La Cour des comptes vous demandait un report partiel des crédits du compte de commerce «?Opérations commerciales des domaines?». Vous lui avez répondu avec un non-report de 51?millions d'euros sur 124 millions d'euros. Quelles pourraient être les «?dépenses exceptionnelles?» pour lesquelles vous indiquez vouloir conserver un montant prudentiel de trésorerie dans l'exposé des motifs du projet de loi de règlement?? 

Pour être éligible au quatrième appel d'offres du Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP), il n'est plus forcément nécessaire d'atteindre la cible de rendement de 1 euro d'économie pour 1 euro investi dès trois ans prévue dans les trois premiers appels d'offres. Pourquoi un tel assouplissement ?

Dans le prochain projet de loi de finances, irez-vous dans le sens de la Cour des comptes, qui demande la suppression du compte d'affectation spéciale «?Services nationaux de transports conventionnés de voyageurs?» dans sa note d'exécution budgétaire?? 

M. Claude Raynal. - Monsieur le ministre, que ce soit au Sénat ou en visioconférence, vous êtes toujours aussi satisfait de votre propre travail. Mais vous oubliez de mentionner quelques éléments. Lors de votre arrivée aux affaires, la croissance était de 2,3 %, alors qu'en 2012, vos amis de l'époque nous avaient laissé une croissance de 0,2 %. En outre, il y a eu trois points de déficit public récupérés sous Nicolas Sarkozy, un peu plus de deux points sous François Hollande et à peine un point depuis que vous êtes en fonction. Et je suppose que vos déclarations sur le refus de l'impôt s'adressaient d'abord à votre propre majorité, au sein de laquelle les propositions fiscales foisonnent... 

La DETR est le seul indicateur pertinent de la mission «?Relations avec les collectivités territoriales?». Les autres sont très généraux et évasifs. Pourrait-on améliorer cela à l'avenir??

Avez-vous eu beaucoup de demandes d'acomptes sur le FCTVA pour 2020?? Avez-vous une idée du montant déjà mobilisé au titre d'avances??

Les projets qui relèvent de la DSIL et de la DETR sont engagés de longue date, pour des montants fixés lors de l'acceptation des dossiers. Du fait de la crise, les collectivités territoriales devront payer un peu plus cher les prestations. Envisagez-vous de laisser un peu de liberté aux préfets, évidemment à enveloppe globale inchangée, si des adaptations s'imposent?? 

M. Philippe Dallier. - L'an dernier, le report de la réforme des aides personnalisées au logement (APL) vous a amené à mobiliser 627 millions de crédits supplémentaires en loi de finances rectificative. Pour autant, les charges à payer de la mission « Cohésion des territoires », principalement au titre des aides au logement, augmentent de 273 millions d'euros. En 2020, la réforme du calcul des aides au logement est reportée sine die. Or, dans les deux premiers projets de loi de finances rectificative, vous ne corrigez pas le tir. La dette due au titre des aides au logement indiquée dans le compte général de l'État pourrait ainsi augmenter encore, d'autant que la dégradation de la situation économique et sociale pourrait conduire à une hausse importante du nombre d'allocataires.

La dette relative aux frais de gestion des APL qui est mentionnée dans le compte général de l'État -?elle était de 137?millions d'euros en 2017, de 229 millions d'euros en 2018 et de 664 millions d'euros en 2019?-, se cumule-t-elle avec celle que je viens d'évoquer??

M. Jean-François Husson. - Les enjeux écologiques me tenant particulièrement à coeur, je regrette l'intégration de la prime à la conversion dans le programme 174. Cette prime, qui n'est donc plus financée par les recettes du malus automobile, a été sensiblement rabotée au mois de juillet?2019, dans une logique purement comptable?: elle coûtait trop cher à l'État parce qu'elle fonctionnait trop bien?! Quel bilan tirez-vous de l'opération??

En 2019, la France, qui ne respectait pas un certain nombre de normes en matière de pollution atmosphérique, a été condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne au paiement d'astreintes. Où en est-on?? Quel est le montant des pénalités??

L'accident de l'usine Lubrizol et la crise pandémique actuelle montrent que la culture de l'anticipation du risque reste imparfaite dans notre pays. Aucune leçon ne semble avoir été tirée. Comment justifiez-vous que les crédits consacrés à la prévention des risques naturels, technologiques ou nucléaires aient diminué dans le projet de loi de finances pour 2020?? Que comptez-vous faire en loi de finances pour 2021 pour y remédier et mieux préparer l'avenir??

M. Jean Bizet. - Je souhaite vous faire part de ma grande inquiétude sur l'avenir de l'euro, en raison d'abord du récent avis de la Cour de Karlsruhe et surtout de la divergence croissante entre l'Allemagne et la France. Nous traînons le péché originel de la création de la monnaie unique?: Helmut Kohl et François Mitterrand ont pris une décision politique avant d'opérer un minimum de convergences, comme le souhaitait Jacques Delors. 

Que comptez-vous faire pour éviter une fracture franco-allemande, que je sens de plus en plus irrémédiable, et une relégation de la France dans les pays de l'Europe du Sud, avec l'émergence possible d'un euro à deux vitesses??

M. Jean-Marc Gabouty. - Rapporteur spécial des crédits du compte d'affectation spéciale dont relèvent les amendes de police et les amendes de radars, je suis réservé sur la fiscalité affectée, qui met en difficulté les missions concernées lorsque la source fiscale se tarit. Imaginez quelle sera la situation pour 2020 de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), qui est financée par la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, par le compte d'affectation spéciale dont je suis rapporteur spécial et par une redevance sur les recettes des sociétés d'autoroutes?! Seriez-vous favorable à une simplification et à une réduction de la fiscalité affectée??

M. Gérald Darmanin, ministre. - Dans le budget exécuté en 2019, il y avait 12,4 milliards d'euros de dépenses d'investissement et 53,5?milliards d'euros de dépenses de fonctionnement, soit 600 millions d'euros de plus en investissements et 600?millions d'euros de moins en fonctionnement par rapport à 2018. Il ne m'appartient pas de répondre sur une loi de programmation des finances publiques. À l'automne dernier, alors qu'il n'y avait pas encore le Covid-19, M.?le Premier ministre avait évoqué les incertitudes liées au Brexit ou au débat sur les retraites. À titre personnel, je souhaite une telle loi, mais la question est prématurée aujourd'hui. En revanche, le débat sur l'orientation des finances publiques qui était prévu pour la fin du mois de juin ne sera pas reporté?; nous pourrons aborder le sujet à cette occasion. 

Je me suis engagé à construire un budget « vert » pour que le Parlement puisse contrôler les dépenses et les recettes du point de vue non seulement comptable, mais également de l'efficacité des politiques publiques en matière d'environnement. Comme l'a montré le rapport de l'Inspection générale des finances (IGF), il est difficile d'établir clairement si une dépense est polluante ou non. La construction d'une ligne de chemin de fer, qui permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre mais a des conséquences sur la biodiversité, ou celle d'une centrale nucléaire, qui réduit les émissions de CO2 mais produit des déchets, sont-elles, ou non, des dépenses polluantes?? Les dépenses fiscales, notamment celles qui relèvent du logement, de l'artificialisation des sols ou de la politique de la ville -?cela déplaira sans nul doute à un certain nombre de parlementaires et de responsables politiques?-, sont néfastes pour l'environnement. Tout est affaire de choix politiques.

M.?Collin a évoqué le rebond de la consommation. Nombre de Français ont effectivement plus épargné que d'habitude. Il y a eu de l'épargne forcée -?de nombreux magasins étaient fermés pendant le confinement?-, mais aussi beaucoup d'épargne de précaution, par peur de l'avenir. Nous devons lutter contre l'absence de confiance. À mon sens, le grand problème que nous connaissons aujourd'hui, c'est celui du manque de confiance. Il faut convaincre les entrepreneurs d'investir, les investisseurs de venir dans notre pays et nos concitoyens de consommer. Nous devons montrer aux Français et aux entreprises qu'ils peuvent avoir confiance dans notre économie. Nous avons été confrontés aux mêmes problèmes, certes à plus petite échelle, lors de la crise des « gilets jaunes ». Pendant plusieurs mois, les mesures très fortes que le Gouvernement avait prises pour augmenter le pouvoir d'achat des Français avaient abouti à une hausse non de la consommation, mais de l'épargne, comme si nos concitoyens ne croyaient pas que les impôts allaient continuer à baisser. Puis il y a eu un déblocage, et nous avons eu des recettes fiscales très importantes, notamment au titre de la TVA. L'économie n'est pas qu'une science dure?; c'est aussi une science comportementale. Nous devons donner confiance. Et, encore une fois, le choix du Gouvernement n'est pas d'augmenter les impôts ou de reporter les baisses prévues.

En 2020 et en 2021, les collectivités locales vont connaître des difficultés liées aux baisses de recettes. Mais 70?% des recettes des collectivités locales ne sont pas liées à l'activité économique?; c'est le cas de la taxe d'habitation, de la taxe foncière et des dotations de l'État. En revanche, 30?% des recettes seront touchées. Pour certaines collectivités, la loi a prévu un plancher. Si les recettes de TVA s'écroulent, les régions percevront toujours des recettes à un niveau plancher, l'année de référence étant 2017. De même, la réforme de la taxe d'habitation prévoit un plancher et une année de référence. Cela garantit des recettes aux départements, notamment aux plus pauvres d'entre eux, en évitant une augmentation des taux qui réduirait encore la compétitivité de l'économie territoriale sans régler les problèmes sociaux. Le député Jean-René Cazeneuve doit rendre son rapport dans quelques semaines. Nous réfléchissons, dans le respect de l'autonomie financière des collectivités territoriales, à la possibilité de compensations de pertes de recettes qui n'étaient pas prévues par la loi. Les droits de mutation vont connaître un effondrement, ce qui aura des répercussions sur les finances des départements, des communes et des intercommunalités. Le Gouvernement envisage de proposer au Parlement -?en 2009, personne n'a fait cela?- de compenser ces pertes de recettes. Je ne suis pas du tout favorable au tour de passe-passe qui consisterait à faire comme si toutes les dépenses des collectivités -?je pense par exemple aux achats de gel hydroalcoolique ou aux salaires des agents recrutés pour veiller à la distanciation sociale dans les cantines?- étaient de l'investissement?! Nous préférons travailler sur la compensation d'une partie des pertes de recettes des collectivités locales -?le Premier ministre fera peut-être demain une annonce pour les collectivités touristiques?- et sur la discussion comptable. Nous avons proposé aux collectivités locales et aux associations d'élus de faire soit un budget annexe, soit un compte dédié. Nous sommes en train de parvenir à un consensus.

Je vous fournirai bien volontiers les données du compte d'affectation spéciale «?Pensions?». 

Nos amis de Polynésie française ont raison de se poser des questions. La République française n'a évidemment pas l'intention de laisser tomber les gouvernements autonomes du Pacifique?; je vous renvoie aux mesures qui ont été prises en faveur de la Nouvelle-Calédonie dans le deuxième projet de loi de finances rectificative. Mais nous devons aussi respecter l'autonomie de ces territoires?: les questions sociales relèvent de la «?souveraineté?» du gouvernement polynésien. Nous avons proposé que la Polynésie française puisse, à l'instar de la Nouvelle-Calédonie, bénéficier de prêts. La solidarité nationale serait ainsi maintenue tout en garantissant l'autonomie de compétences du gouvernement autonome de M. Fritch, qui mène actuellement des réformes sociales courageuses. Le Gouvernement proposera donc au travers du troisième projet de loi de finances rectificative une aide pour la Polynésie française à peu près équivalente à celle qui existe pour la Nouvelle-Calédonie.

M. Bazin m'a interrogé sur la prime d'activité. En 2019, la reprise économique a été beaucoup plus forte que dans nos prévisions. Or cette prime, versée automatiquement, s'applique entre 0,5?SMIC et 1,3?SMIC. Les millions d'euros supplémentaires tiennent non à une sous-évaluation de la part du Gouvernement, mais à la forte baisse du chômage en 2019. Au demeurant, le Parlement pourrait légitimement s'interroger sur un système dans lequel la reprise d'activité conduit à la fois à réduire les dépenses sociales, puisqu'il y a moins d'allocations chômage à verser, et à les augmenter via la prime d'activité?! Mais ce mécanisme permet effectivement d'aider ceux qui travaillent. À ce stade, je ne peux pas vous communiquer les chiffres de la prime d'activité pour 2020, mais nous sommes passés de 3 milliards d'euros à presque 10 milliards d'euros en trois ans?!

Selon vous, les 880?millions d'euros prévus au titre de la prime sociale ne seront pas suffisants. Pour ma part, je n'en sais rien. Ce que je sais en revanche, c'est qu'une enveloppe de 1,7 milliard d'euros est consacrée aux dépenses imprévisibles et accidentelles. Nous aurons donc la possibilité de mobiliser si nécessaire des crédits supplémentaires sans déposer de nouveau projet de loi de finances rectificative ni prendre des décrets d'avance.

Je répondrai sur les fonds européens après m'être concerté avec Mme de Montchalin.

M.?Karoutchi s'est interrogé sur l'efficacité des mesures adoptées à la suite du mouvement des « gilets jaunes ». Il appartient au Parlement d'évaluer l'action gouvernementale. À mes yeux, les décisions qui ont été prises, parfois de manière très rapide, ont été exécutées avec une grande dextérité par l'administration française, notamment par les services qui sont sous mon autorité. Cela a permis d'améliorer le pouvoir d'achat de nos concitoyens. L'augmentation de 100?euros du SMIC a été immédiate, et nous en avons eu la traduction budgétaire. La baisse de l'impôt sur le revenu -?je vois que l'aile droite de l'hémicycle est désormais très favorable au prélèvement à la source, qui a permis des recettes supplémentaires sans augmentation des impôts?- aide nos concitoyens, en particulier les plus modestes, puisque le dispositif est ciblé sur les deux premières tranches. Je pense donc que ces mesures ont démontré leur efficacité.

Ma conviction sur l'audiovisuel public n'a pas changé. Son mode de financement, qui était sans doute adapté aux circonstances voilà quinze ou vingt ans, doit évoluer. D'abord, comment ferons-nous pour adresser un courrier aux redevables alors que la taxe d'habitation est supprimée?? Surtout, beaucoup de nos concitoyens regardent aujourd'hui la télévision sans téléviseur. Nous devons continuer à réfléchir sur le sujet. Le ministre de la culture y travaille. Je fais confiance aux responsables de l'audiovisuel public pour prendre les décisions courageuses qui s'imposent.

Chacun regrette les décalages entre crédits de paiement et autorisations d'engagement auxquels M.?Guené a fait référence. Il est difficile de savoir comment les sommes allouées au titre de la DSIL et de la DETR seront dépensées. Si les années électorales ne sont déjà pas très bonnes pour l'investissement en temps normal, que dire de celles où les scrutins ne se tiennent pas à des dates fixes?? La décision, prise après avis du conseil scientifique, du Président de la République et du Premier ministre de permettre aux quelque 30 000 conseils municipaux élus au premier tour de se réunir pour élire les maires permettra sans doute de débloquer certains dossiers.

Monsieur Raynal, je n'ai pas autorité sur les préfets s'agissant des dotations d'investissement. Mais M. Lecornu a indiqué que l'enveloppe globale serait maintenue et qu'il serait fait preuve de souplesse. Le Gouvernement souhaite que les parlementaires soient associés aux décisions relatives à la DSIL et à la DETR.

À ma connaissance, les collectivités locales qui avaient demandé des avances de fiscalité sont au nombre de vingt et une, pour un montant total de 18 millions d'euros. J'ai autorisé des avances. Nous sommes à quasiment 50?milliards d'euros de trésorerie pour les collectivités locales.

L'idée de Nicolas Sarkozy relative au FCTVA avait bien fonctionné en 2009. Cela suppose, je le rappelle, une délibération du conseil municipal ou de la collectivité concernée. Cette mesure est réclamée par l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF). Cela représente tout de même 6 milliards d'euros d'imputation budgétaire, mais il est vrai qu'une telle mesure aide l'investissement local. Pourquoi pas?? Nous y travaillons.

C'est le moment, me dites-vous, de laisser les collectivités locales tranquilles. C'est le moment, vous répondrai-je, d'aider les entreprises. Le président de l'AMF ne souhaite pas que l'on touche aux impôts de production. La décision est entre les mains du Président de la République. Nous avons indiqué plusieurs fois que ces impôts grevaient la compétitivité des entreprises, notamment dans les territoires les plus industriels. Au moment où nous voulons favoriser la réindustrialisation et la relocalisation des activités sur nos territoires, il va falloir faire un choix de politique économique?!

Monsieur Carcenac, il m'arrive d'avoir des désaccords avec d'anciens conseillers de Nicolas Sarkozy, en l'occurrence M. Soubie. Je ne suis favorable ni à la sur-fiscalité ni même à l'idéologie fiscale. Dans ma région, l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) provoquait la fuite des gens qui avaient du capital de l'autre côté de la frontière, tandis que nous conservions le chômage?! Le Président de la République a eu le courage de supprimer, conformément à ses engagements de campagne, cet impôt totalement idéologique?; mon ancienne famille politique ne l'avait pas fait, à mon grand regret. Au demeurant, les recettes de l'impôt sur la fortune immobilière sont plus importantes que ce qui était envisagé dans projet de loi de finances de 2019. C'est tout de même intéressant?: plus on baisse l'impôt, plus les recettes augmentent. Je fais un pari?: si un gouvernement un peu idéologue rétablissait demain l'ISF, vous verriez les recettes s'effondrer au bout de deux ans?!

Vous avez évoqué l'immobilier de l'État. Nous avons mis beaucoup d'argent, notamment sur les cités administratives. Les remarques de la Cour des comptes étaient justes. J'ai demandé au nouveau directeur de l'immobilier de l'État, M. Resplandy-Bernard, d'appliquer ses préconisations.

Je n'ai pas connaissance de difficultés de recrutement pour l'équipe de data scientists?; l'effectif actuel correspond à ce qui était prévu. D'ailleurs, dans le projet de loi de finances pour 2020, nous avons augmenté les effectifs et les crédits.

Madame Lavarde, les critères d'éligibilité au FTAP n'ont pas changé. Nous partons évidemment du principe qu'il faut toujours faire des économies d'efficience.

Contrairement à MM. Carcenac et Raynal, je ne pense pas que la solution de chaque problème réside dans la création d'un nouvel impôt?; nos cultures politiques sont assez différentes. M. Raynal aime à procéder à des rappels quasiment préhistoriques, certainement nécessaires, pour savoir qui de M. Sarkozy ou de M. Hollande a créé le plus de problèmes de son point de vue. J'imagine que si son candidat n'a pu se représenter, c'est qu'il devait avoir un très bon bilan en matière, entre autres, de finances publiques?! 

Monsieur Dallier, les frais de gestion des APL étaient de 333 millions d'euros en 2019 et de 339 millions d'euros en 2018. Cela inclut la dette finale. Nous pourrons vous apporter des réponses plus précises.

J'ai du mal à suivre le raisonnement de M. Husson. La simple lecture des documents budgétaires montre que nous n'avons pas fait d'économies budgétaires sur les primes de conversion. Le dispositif a très bien marché, manifestement trop bien par rapport aux imputations comptables, mais il n'y a pas d'économies sur le budget de l'écologie, qui connaît même son augmentation la plus importante depuis la création du ministère de l'environnement, sous Valéry Giscard d'Estaing. Et je ne pense pas qu'une catastrophe comme celle de Lubrizol soit liée à des problèmes budgétaires?! 

La question de M. Bizet sur l'avenir de l'euro est quasiment philosophique. Encore une fois, c'est l'euro qui nous a protégés d'attaques sur les marchés financiers. Que se serait-il passé sans l'euro?? À mon avis, nous aurions été confrontés à des problèmes très importants. Nos différences de fiscalité, de politiques de relance, de politiques sociales peuvent-elles faire exploser l'euro?? C'est un risque. Des réponses européennes sont en train d'être mises en place?; la Banque centrale européenne a fait un travail formidable sous la pression des États, et M. Breton va annoncer un grand plan de relance. Nous devons continuer à discuter avec nos amis allemands. Nos politiques budgétaires et fiscales doivent être à peu près similaires. Comme l'a observé M. le ministre de l'économie et des finances, lorsque l'Italie met 2 % de son PIB dans la relance et l'Allemagne 4 % dans le soutien à son économie, on peut s'interroger. Les Européens ont le devoir de faire en sorte que cette grande construction, qui nous a apporté tant de protections, n'explose pas. 

Monsieur Gabouty, je regrette également la multiplication des taxes affectées, qui relèvent dans la plupart des cas d'une fausse bonne idée. Nous sommes d'une manière générale favorables à la simplification. Nous avons avancé dans cette voie, parfois avec votre soutien, parfois malgré vos réticences. Faut-il aller plus loin?? Le rapporteur général de l'Assemblée nationale souhaite déposer une proposition de loi organique tendant à changer le fonctionnement du budget de l'État, en revoyant la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, sujet sur lequel travaille également votre commission. Le ministère de l'action et des comptes publics sera favorable à toute simplification proposée par le Parlement.

M. Vincent Éblé, président. - Monsieur le ministre, je vous remercie d'avoir répondu, comme à votre habitude, de manière assez exhaustive aux interrogations de mes collègues.

Proposition de loi tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d'une menace ou d'une crise sanitaire majeure - Nomination d'un rapporteur (en téléconférence)

La commission désigne M.?Claude Nougein rapporteur de la proposition de loi n° 402 (2019-2020) tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d'une menace ou d'une crise sanitaire majeure, présentée par M. Jean-François Husson et plusieurs de ses collègues.

Proposition de loi portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs - Nomination d'un rapporteur (en téléconférence)

La commission désigne M.?Jérôme Bascher rapporteur de la proposition de loi n° 312 (2019-2020) portant création d'un fonds d'urgence pour les Français de l'étranger victimes de catastrophes naturelles ou d'événements politiques majeurs, présentée par M. Ronan Le Gleut et plusieurs de ses collègues.

Projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19 - Demande de saisine et désignation d'un rapporteur pour avis

La commission demande à se saisir pour avis du projet de loi n° 2907 (A.N. XVe lég.) portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19, dont l'article 3 pourrait lui être délégué au fond par la commission des lois. Elle désigne M. Albéric de Montgolfier rapporteur pour avis. 

La téléconférence est close à 18 h 35.

Jeudi 14 mai 2020

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La téléconférence est ouverte à 14 h 35.

Audition de M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) (en téléconférence)

M. Vincent Éblé, président. - Nous recevons, par visioconférence, M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), pour la traditionnelle audition sur son rapport annuel d'activité.

Cette audition prend cette année une tournure particulière, dès lors qu'elle intervient au milieu d'une crise sanitaire sans précédent, aux effets multiples sur les marchés financiers. La crise a conduit l'AMF à prendre différentes initiatives pour préserver le bon fonctionnement des marchés, accompagner les acteurs et protéger les épargnants. Pour ne prendre qu'un exemple, les ventes à découvert ont ainsi été interdites jusqu'au 18 mai 2020.

Nous attendons donc de cette audition, au-delà du traditionnel bilan de l'activité de l'AMF, un éclairage sur l'impact de la crise sanitaire dans toutes les dimensions qui relèvent de votre compétence. Par ailleurs, même si ce sujet est moins sur le devant de l'actualité, nous souhaiterions également que vous nous donniez des informations concernant l'incidence du Brexit sur les places financières, s'agissant en particulier des chambres de compensation.

M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers. - Merci de me consacrer quelques instants durant cette période chargée. J'évoquerai certains éléments majeurs de l'année 2019 qui vont encore rythmer l'année 2020, puis surtout l'action de l'AMF durant les événements récents et les défis à venir.

Les événements dramatiques récents ont renvoyé au second plan les sujets de 2019 qui, loin d'avoir disparu, vont mobiliser nos énergies en 2020, en leur donnant une coloration différente. J'en citerai quatre principaux.

Le développement de la finance durable est en bonne voie, et l'AMF y contribue significativement. Elle a mis en place une commission climat et finance durable, qui se révèle d'excellent conseil. L'année dernière, nous avons publié un rapport sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans les sociétés cotées. Nous avons finalisé une première doctrine sur la commercialisation des produits se revendiquant d'investissement socialement responsable (ISR) selon des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), auxquels nous demandons des engagements mesurables et significatifs. Nul doute que le rebond économique attendu fournira une opportunité exceptionnelle pour progresser dans ces domaines.

Pour encadrer la finance digitale, nous avons pris les mesures d'application prévues par la loi « Pacte » afin d'enregistrer et d'agréer les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) et de viser les offres de jetons, communément appelées ICO (Initial Coin Offering). Nous luttons aussi pour que les technologies de registres distribués puissent se déployer dans les domaines des opérations de marché traditionnelles ; cela nécessite une évolution des textes européens.

En 2019, nous avions préparé une sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne, et traité une cinquantaine de dossiers de relocalisation. Finalement, il y a eu un accord et donc une période de transition - qui ne semble pas très fructueuse à ce stade. Nous préparons tous les scénarios, notamment en matière d'équivalence et de substance à assurer dans les entités relocalisées, dans la perspective de la finalisation du nouveau cadre régissant les échanges financiers entre l'Union européenne et le Royaume-Uni.

Nous faisons preuve de toute la vigilance requise du superviseur. L'année 2019 fut exceptionnelle dans la lutte contre les offres toxiques ou frauduleuses, la lutte contre le blanchiment et la prévention contre le financement du terrorisme. Nous faisons une analyse sectorielle des risques et des lignes directrices pour intégrer les dispositions issues de la cinquième directive anti-blanchiment. La commission des sanctions a conclu sur quelques dossiers emblématiques. Cette vigilance sera encore plus nécessaire en 2020, dans un contexte troublé propice aux débordements de tous genres.

La crise sanitaire, partie de Wuhan, est devenue une crise financière mondiale durant la dernière semaine de février, lorsqu'il est apparu qu'elle ne pourrait être circonscrite mais toucherait tous les centres économiques mondiaux et déclencherait une crise économique sans précédent, sans qu'on puisse anticiper ni sa durée, ni son ampleur.

Notre action s'est déployée dans nos quatre domaines de responsabilité traditionnels : les marchés et leurs infrastructures, les émetteurs, la gestion d'actifs et les épargnants. Pour la comprendre, il faut la mettre dans la perspective d'une conviction qui anime l'AMF : malgré les difficultés opérationnelles, il faut garder les marchés ouverts, car ils jouent un rôle essentiel pour assurer le financement de l'économie durant la crise puis, demain, pour financer la reprise de l'activité. Les marchés et leurs infrastructures ont traversé une période de grandes turbulences : de façon inédite, toutes les classes d'actifs ont baissé durant la première quinzaine de mars. Personne n'a été épargné, même si l'ampleur du choc et le rebond ultérieur ont varié selon les classes d'actifs. On le voit en comparant l'évolution globale de l'indice SBF 120 et celui de sa composante bancaire, à laquelle nous portons une attention particulière compte tenu de son caractère systémique.

Nous nous sommes mobilisés sur quatre actions. Nous avons vérifié le bon fonctionnement des « coupe-circuits » dans ces périodes de grande volatilité. Ils ont été déclenchés très fréquemment - plus de trois mille fois le 16 mars sur Euronext notamment. Nous avons précisé dans quelles conditions pouvaient être passés des ordres durant le confinement, hors des locaux professionnels, afin de conserver une transparence et une capacité d'audit de qualité sur les opérations conclues. Nous faisons un suivi rapproché de la robustesse de la compensation centrale et de l'apurement des suspens chez le dépositaire central. Enfin, une interdiction des ventes à découvert - en fait, une restriction des positions courtes nettes - a été décidée et s'achèvera le 18 mai. Le sujet fait traditionnellement controverse : certains y voient une mesure inefficace, voire contreproductive, qui limite la liquidité des marchés et la capacité d'acheter des valeurs, d'autres considèrent que c'est une mesure indispensable qui aurait dû être déclenchée plus tôt, voire devrait être permanente.

Le rôle de l'AMF n'est pas de revisiter la réglementation arrêtée par les co-législateurs européens, qui a encadré ces ventes à découvert et permis aux autorités nationales et à l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) de prendre, dans des circonstances exceptionnelles, des mesures de restriction.

Au sein du collège de l'AMF, nous avons estimé que dans un marché uniformément orienté à la baisse avec des incertitudes considérables sur l'ampleur future de cette baisse, les ventes à découvert apportaient peu à la formation des prix, mais que leur montée en puissance, sur la première quinzaine de mars, pouvait avoir une influence pro-cyclique malvenue. Nous avions la capacité réglementaire de l'éviter, nous devions donc l'utiliser. Pourquoi cette mesure n'a-t-elle pas été prise au niveau européen ? La crise affectait tout le continent, et il aurait été logique d'avoir la réponse commune forte que les textes prévoient. L'ESMA en avait les moyens à l'échelle communautaire. Mais faute de réponse commune, six pays - la France, l'Italie, l'Espagne, la Belgique, la Grèce et l'Autriche - y ont eu recours au niveau national. Cette mesure exceptionnelle n'a pas vocation à perdurer lorsque les volumes et la volatilité se régulariseront et que le marché deviendra plus sélectif. L'abandon de cette interdiction serait une bonne nouvelle, synonyme de normalisation du marché. Nous prendrons notre décision en fonction du comportement des marchés d'ici la fin de la semaine, en concertation avec les autres pays ayant mis en oeuvre ces restrictions.

Les émetteurs sont le coeur de l'écosystème financier, car les marchés sont là d'abord pour contribuer à leur financement. L'information qu'ils donnent permet la bonne formation des prix. Nous les avons accompagnés sur la communication financière et l'organisation de leurs assemblées générales.

La communication financière est particulièrement importante dans des périodes de bouleversements profonds, propices aux informations privilégiées et aux fausses rumeurs. Les investisseurs ont besoin de perspectives et de guidances actualisées. Tout en étant conscients de la difficulté de l'exercice, nous avons fortement incité les émetteurs à communiquer au marché leurs analyses de l'impact du Covid-19 sur leurs activités et leur situation financière.

Quant à nos publications périodiques, nous avons décliné avec l'Autorité des normes comptables (ANC) et l'ESMA l'approche comptable des pertes attendues pour le système bancaire de l'International Financial Reporting Standards. Nous avons précisé le recours aux indicateurs alternatifs de performance dans le cadre de l'arrêté trimestriel, facultatif dans nos pays. Dans les prochains jours, l'AMF fera une communication sur l'arrêté semestriel, coordonnée avec l'ANC et l'ESMA. L'enjeu de l'arrêté semestriel est majeur pour assurer une reprise sur des bases claires et fiables.

La faculté de tenir les assemblées générales (AG) à huis clos a permis de clôturer l'exercice 2019 dans les délais. Cela n'en constitue pas moins un défi pour le maintien d'un dialogue actionnarial de qualité. Il y a une dizaine de jours, l'AMF a fait des propositions sur la question de l'activisme. Nous avons également accompagné les émetteurs, les teneurs de comptes-conservateurs et les investisseurs dans la mise en place de ces AG à huis clos en diffusant des bonnes pratiques et en rappelant les principes fondamentaux. Parmi ces bonnes pratiques, citons l'importance d'une communication claire, précise et accessible sur les modalités de tenue d'une AG ; la création d'une adresse électronique dédiée permettant aux actionnaires de poser leurs questions ; le traitement des questions écrites des actionnaires, y compris au-delà la date-limite réglementaire ; la retransmission en direct de l'AG sur le site internet de l'émetteur, puis son maintien en libre accès. Ces retransmissions ont connu un succès inattendu, avec un nombre de connexions largement supérieur au nombre d'actionnaires physiquement présents les années précédentes.

L'AMF a néanmoins dû faire des rappels au règlement : le confinement et les problèmes opérationnels, notamment pour les titres au nominatif, ne devaient pas conduire à méconnaitre le droit pour tout actionnaire d'exprimer son vote en AG et le principe fondamental de l'égalité des actionnaires. Nous allons tirer les enseignements de ces AG afin, le cas échéant, d'identifier des pratiques vertueuses pour l'avenir, de les intégrer dans un cadre normal, et de préciser si d'autres conditions doivent être imposées en cas de huis clos.

Nous comptons en France dix mille fonds de gestion d'actifs, qui gèrent un peu moins de 2 trillions d'euros, soit 11 % des fonds européens. Ces fonds recouvrent une très grande diversité d'objectifs de gestion. Au cours de cette période, l'industrie de la gestion a fait face à deux principaux défis, qui se sont parfois conjugués : le défi des valorisations et celui de la liquidité. La chute des valorisations a été brutale, avec parfois une absence de valorisation fiable en l'absence de marché actif ; c'est le cas notamment des participations dans des sociétés non cotées, de la partie courte de la courbe des taux, ainsi que de l'obligataire mal noté. La liquidité des fonds a également pu être délicate. Nous avons ainsi assisté à des retraits importants, ainsi qu'à des appels de marge destinés à couvrir l'évolution des positions sur instruments dérivés. L'industrie de la gestion d'actifs a cependant surmonté ces difficultés sans problème majeur. S'agissant des fonds français, les seuls retraits significatifs ont été observés sur les fonds monétaires : en quelques semaines, et au-delà des retraits habituels de fin de trimestre, ces retraits ont atteint 50 milliards d'euros, soit 13,5 % des encours. Ces retraits, qui ont été essentiellement le fait d'entreprises et non d'institutionnels, ont pu être satisfaits. Les assurances données sur l'accès au crédit - via notamment le prêt garanti par l'État (PGE) - et la réouverture du marché obligataire primaire à la suite des annonces de la Banque centrale européenne (BCE), ont permis de stopper ce mouvement de retrait ; la collecte a même été légèrement positive en fin de période. Mais le suivi des fonds ouverts mobilise encore largement les équipes de l'AMF. Un débat nourri est en cours au niveau international, notamment européen, sur les bons outils pour faire face au stress de liquidité et assurer l'égalité de traitement entre les porteurs.

Les épargnants ont été désemparés par ces chocs : ils ont vu la valeur de leur épargne se réduire brutalement et ont parfois subi la disparition des dividendes. Certains ont pu être tentés par des placements alternatifs et des offres frauduleuses ont fleuri. Mais l'AMF a multiplié les alertes, bien relayées par les médias.

Du point de vue de l'AMF, les enjeux de ces prochains mois sont multiples. Tout d'abord, la sphère financière a subi un choc en mars, mais d'éventuelles répliques sont possibles et nous devons rester vigilants sur la question de la stabilité financière. En absorbant la crise de mars, le système financier a montré sa robustesse et les mesures prises, monétaires et budgétaires, ont été efficaces. Mais nous restons très fragiles face à la survenance de défauts significatifs, à l'aggravation de tensions géopolitiques - un Brexit mal géré par exemple -, à une révision à la baisse des perspectives économiques, ou encore à l'apparition de doutes des marchés sur les réponses monétaires et budgétaires à la disposition des autorités publiques.

Le second défi est celui des fonds propres des entreprises. Comme je l'ai écrit au Président de la République, en introduction du rapport annuel, le recours à la dette ne peut pas, seul, couvrir les besoins de financement, surtout lorsqu'une partie de ces besoins correspond à des pertes d'exploitation : il faut alors revoir en profondeur le positionnement de l'entreprise. Notre capacité à mobiliser des fonds propres au-delà des ressources publiques est l'une des clés du rebond. Nous devons mobiliser tous les moyens possibles, en termes d'instruments comme en termes d'investisseurs.

Dans ce paysage, n'oublions pas les investisseurs particuliers : depuis novembre, 500 000 nouveaux investisseurs ont investi en bourse. Les particuliers peuvent participer à l'effort de renforcement des fonds propres des entreprises. Mais ces apports en fonds propres ne pourront s'effectuer que si la situation de l'entreprise et ses projets de développement sont présentés de manière claire et fiable. Les comptes semestriels seront une base majeure. Or leur établissement, à un moment où planent encore de nombreuses incertitudes, est un défi : comment faire des tests pertinents de dépréciation des survaleurs ? Comment présenter l'impact sur les comptes de la crise sanitaire ? L'écosystème de la communication financière s'est mobilisé ces dernières semaines afin d'assurer le bon équilibre entre la permanence des méthodes et leur adaptation aux circonstances exceptionnelles. Des communications sur ces sujets interviendront dans les prochains jours de la part des différentes autorités, dont l'AMF.

M. Vincent Éblé, président. - Merci de vos propos. Comment expliquer l'absence de coordination au plan européen sur des questions aussi importantes que les dispositifs de coupe-circuit et l'interdiction des ventes à découvert ?

Le renforcement de la taxe sur les transactions financières et sa déclinaison au niveau européen figurent en bonne place parmi les mesures susceptibles de financer les plans de relance. Quel regard portez-vous sur la taxe française ? Où en sont les négociations européennes ?

M. Robert Ophèle. - La taxe sur les transactions financières permet de lever une ressource, mais sa création peut conduire à transférer de l'activité d'un secteur taxé vers un secteur non taxé. L'efficacité d'une telle taxe est d'autant plus forte que son application est uniforme et harmonisée en Europe. Or aujourd'hui, cette taxe ne concerne pas l'ensemble de l'Union : elle présente donc peu de perspectives fructueuses. Sa pertinence dépendra aussi de nos relations avec le Royaume-Uni demain, selon qu'il y aura ou non équivalence et liberté de localisation des transactions. Pour que la taxe soit efficace, il faut que son périmètre soit européen, avec une intégration cohérente du Royaume-Uni.

La coordination européenne est un sujet compliqué, car les réglementations font l'objet de déclinaisons nationales. Dans certains cas, la coordination est forte, car les textes le permettent - c'est le cas pour les ventes à découvert. L'heure de vérité arrive au moment du vote ; on constate qu'il n'y a pas de majorité en Europe pour instaurer une telle restriction. On remarque néanmoins que les États qui l'ont mis en oeuvre ont un poids économique supérieur à leur poids relatif en nombre de votes. Ce sujet suscite des débats passionnés. Certaines autorités considèrent que cette restriction n'a pas lieu d'être ; d'autres ne se sentent pas concernées, en raison du faible développement de leur marché national. L'AMF souhaite que les règles européennes ne soient pas prises sous la forme de directives, qui conduisent à une harmonisation minimale et des réglementations différentes selon les pays ; nous préférons l'édiction de règlements d'application immédiate, qui permettent une véritable harmonisation des réponses en cas de crise.

M. Éric Bocquet. - La City reste, et restera, la première place financière européenne. La sortie du Royaume-Uni de l'Union renforce-t-elle le poids stratégique, économique et financier de sa place financière ? Votre rapport pointe notamment le nombre important de créations de sociétés de gestion, qui en est peut-être le signe. Par ailleurs, 40 % de vos requêtes d'assistance internationale ont été adressées au régulateur britannique. Y a-t-il un lien entre ces deux événements ?

Vous avez adressé de nombreuses requêtes à différents pays - je pense à la Suisse, au Luxembourg ou aux États-Unis. Avez-vous obtenu autant de réponses ? Certains pays ont-ils refusé de répondre ?

L'AMF est une autorité publique indépendante, mais il est surprenant de constater que son financement est assuré par une contribution des personnes soumises à son contrôle. Elle doit aussi reverser à l'État les éventuels excédents qu'elle produit. Quel est votre point de vue sur ce mode de financement ?

Votre prédécesseur estimait, dans une interview en 2017, que l'AMF devrait réduire drastiquement ses dépenses et diminuer ses actions de régulation si son budget n'était pas relevé en 2018. Qu'en est-il aujourd'hui ? Le budget de l'AMF est lié au fonctionnement du marché : il pourrait donc baisser. Avez-vous pu vous doter de toutes les ressources informatiques nécessaires pour appréhender les flux des marchés financiers ? Avez-vous suffisamment de salariés ? Vous avez engagé une réforme digitale, ce qui me paraît nécessaire, mais vous pointez dans votre rapport des « procédures insuffisantes », des « conflits d'intérêts mal encadrés » et des « dysfonctionnements récurrents ».

Les marchés financiers, ce sont aussi le trading haute fréquence, le shadow banking, les cryptomonnaies, les marchés financiers actuellement dopés à l'argent public... Comment appréhender ces facteurs de risques ?

Le collège de l'AMF est composé de seize membres, dont sept ont eu un parcours professionnel, au moins en partie, au sein de grandes banques. Existe-t-il une procédure de déport pour éviter les conflits d'intérêts ?

M. Yvon Collin. - Vous avez rappelé, en le regrettant, que la gestion du risque pour les actifs faisait l'objet d'approches différentes selon les pays. L'ESMA, avec laquelle vous travaillez, a-t-elle, selon vous, failli ? Ou ne dispose-t-elle pas des moyens d'intervenir pour mieux coordonner les positions des différents pays ?

Pendant le confinement, alors que la quasi-totalité de vos salariés étaient en télétravail, avez-vous pu exercer vos contrôles de façon satisfaisante ? Vous avez constaté que les assemblées générales d'actionnaires étaient davantage fréquentées durant cette période que lorsque la présence physique est exigée. Est-ce une piste d'avenir ?

Une partie des Français s'est réfugiée sur le Livret A, mais on a aussi observé une augmentation des souscriptions à des produits investis en actions et l'apparition de nouveaux investisseurs. Quel est leur profil ? Ces arrivées opportunistes présentent-elles un risque pour un marché déjà très volatile ou pour les investisseurs eux-mêmes, peu rompus aux activités boursières ?

M. Jérôme Bascher. - On annonçait déjà une correction des marchés avant la crise du Covid-19. Dès lors, quelle part des événements des deux derniers mois sur les marchés financiers estimez-vous résulter de la crise sanitaire, et quelle part traduirait une telle correction ?

Les fonds activistes prennent une place considérable dans les entreprises cotées les plus intéressantes. La baisse de la valorisation de certaines entreprises, parfois stratégiques, pourrait permettre leur prise de contrôle. Êtes-vous attentif à ce sujet, en lien avec l'intelligence économique et le ministère de l'économie et des finances ? Vous avez souligné la faiblesse des fonds propres des entreprises françaises : certains PGE pourraient-ils être transformés en quasi-fonds propres, ce qui permettrait à des banques d'entrer dans des conseils d'administration et de s'engager ainsi sur le long terme ?

M. Jean Bizet. - Le groupe « subsidiarité » de notre commission des affaires européennes s'est intéressé cette semaine au délai de convocation des sociétés coopératives européennes, qui a été porté de six mois à un an. Nous n'avons pas exercé notre droit de saisine au titre de l'article 88-6 de la Constitution quant au défaut de subsidiarité, cette mesure ne suscitant aucune inquiétude.

Avez-vous tout mis en oeuvre pour assurer que la sortie de nos amis britanniques de l'Union se fera dans les meilleures conditions ? Y a-t-il eu des avancées, notamment au sujet des chambres de compensation ?

L'ESMA s'inquiète des tensions sur le marché des Collaterized Loan Obligations (CLO), ces obligations adossées à des prêts. Les banques utilisent ces instruments de titrisation pour se refinancer en revendant des dettes a priori peu liquides qu'elles détiennent sur leurs clients. Or il est fort probable que la crise entraîne une augmentation des impayés et des faillites. L'AMF exerce-t-elle une surveillance particulière sur ce type de marchés ?

Enfin, j'ai été surpris de constater que les marchés n'avaient guère réagi au récent arrêt de la cour constitutionnelle fédérale allemande, avant l'annonce courageuse faite hier par la chancelière Merkel au Bundestag. Comment l'expliquez-vous ? Doit-on s'attendre à des réactions plus désordonnées dans les mois qui viennent ?

M. Michel Canevet. - Je veux vous interroger sur la responsabilité sociétale des entreprises, sujet qui intéresse notre délégation aux entreprises. Estimez-vous que les entreprises vont faire une pause dans leurs démarches en la matière, ou au contraire profiter de cette crise pour repenser leur modèle de développement ?

Avez-vous des informations sur la révision de la directive relative au reporting extra-financier, annoncée par la Commission le 11 décembre 2019 ? Une extension des obligations d'information - notamment la déclaration de performance extra-financière - aux entreprises de 250 à 500 salariés est-elle possible ?

Vous avez évoqué la finance durable comme un axe-clé de votre action en 2019. La crise sanitaire va-t-elle changer quelque chose à cette orientation structurante ?

Les cadres de reporting sont aujourd'hui très divers ; leur harmonisation est un enjeu important, que la Commission a confié au Groupe consultatif européen sur l'information financière (Efrag). Pouvez-vous faire le point sur cette démarche ?

Enfin, il convient d'éviter la prédation d'entreprises fragilisées par des intérêts étrangers. La transformation d'une partie des PGE en fonds propres peut-elle être envisagée ? Des dispositifs d'obligations convertibles pourraient-ils être mis en place par les régions pour les entreprises territorialement stratégiques ?

M. Jean-François Rapin. - On vous a trouvé très discret sur l'arrêt du tribunal constitutionnel fédéral allemand. L'escarmouche entre la Cour de Karlsruhe et le gouvernement allemand est un vrai sujet. Si l'on voulait faire fuir les capitaux d'Europe, en particulier vers le Royaume-Uni, on ne s'y prendrait pas autrement ! Pensez-vous que cet arrêt aura un grand retentissement ? À quelles réponses peut-on s'attendre sur les marchés financiers ?

M. Pascal Savoldelli. - Vous plaidez pour un renforcement massif des fonds propres des entreprises et suggérez une réorientation du modèle de croissance de notre société. Quelle en serait la nature ?

Dans la foulée de l'ouverture de l'actionnariat de la Française des Jeux, un important investissement en bourse aurait eu lieu pendant le confinement, en mars et avril. Comment de tels investissements pourront-ils être réorientés vers la consommation et le financement de l'économie ? Comment peuvent-ils permettre une relance, ou du moins compenser les chocs ?

M. Claude Raynal. - Une théorie économique suggère que, quand survient une crise, deux lames se suivent : une correction des excès du marché, puis la prise en compte de l'économie réelle. Attendez-vous une seconde lame ?

Depuis mes années d'études, il y a quarante ans, j'entends dire que les fonds propres des entreprises françaises sont insuffisants et doivent être renforcés. Les actionnaires, peu désireux de voir diluer leur participation, n'ont pas une grande appétence pour le sujet. Quels outils pourraient être mis en place pour favoriser le placement de l'épargne des Français dans les fonds propres des entreprises ?

M. Robert Ophèle. - Les recettes de l'AMF proviennent, pour l'essentiel, de contributions encadrées précisément dans la loi ; des décrets fixent certains curseurs au sein de ce cadre. Ni l'AMF, ni les assujettis ne décident de leurs contributions - à l'exception des contributions dites « volontaires », qui s'élèvent à environ 6 millions d'euros, alors que les contributions obligatoires représentent entre 105 et 110 millions d'euros. Ces dernières devraient diminuer d'une dizaine de millions d'euros du fait de la crise. Ce cadre général comporte en outre un plafond, fixé chaque année en loi de finances : si les contributions perçues par l'AMF dépassent ce plafond, elle reverse la différence au budget de l'État. Il est possible que les contributions que nous recevrons dans les prochaines années soient inférieures au plafond, ce qui nous poserait un problème financier ; nous en discutons avec les services de l'État qui préparent les cadrages budgétaires.

Ce mécanisme a des avantages et des inconvénients. Je ne connais pas de superviseur qui dira avoir suffisamment de moyens pour assurer l'ensemble de ses missions ! La France est loin d'être le pays qui consacre le plus de moyens à la supervision des opérations financières. Ces limites nous poussent à nous concentrer là où nous pensons que les risques sont les plus significatifs. Nous ne pouvons pas faire moins ; nous avons une perspective de croissance modérée.

Les seize membres du collège de l'AMF ont des expertises très diverses. Les règles de déontologie sont extrêmement strictes : la moindre possibilité de conflit d'intérêts entraîne le retrait de la personne concernée.

Nous avons pu assurer l'essentiel de nos missions, à 98 % en télétravail, dans une période où ces missions étaient particulièrement lourdes. Certaines auditions préalables à des sanctions ont dû être reportées, comme cela a été le cas dans les juridictions. En tout état de cause, les contrôles sur les anomalies détectées seront diligentés dès que la situation le permettra, ce qui ne devrait plus tarder.

Concernant le Brexit, il faut presque tout reprendre à zéro. Le Parlement a adopté des règles qui se seraient appliquées en l'absence d'accord - mais un accord a été trouvé. À l'issue de la période de transition, au 1er janvier prochain, à défaut d'extension, nous nous trouverons dans un régime qui n'a pas encore été défini... En matière financière, il n'est pas question de conventions ou accords : des décisions souveraines doivent être prises, par l'Union européenne et le Royaume-Uni, sur l'équivalence ou non des acteurs et des plateformes installés dans l'autre zone. Cet exercice, conduit par la Commission, est encore loin d'avoir abouti. Les premières analyses doivent être conclues fin juin. Il faudra probablement rebâtir certaines règles dans l'urgence d'ici à la fin de l'année. Le Gouvernement a d'ailleurs sollicité une habilitation à prendre par ordonnance certaines de ces mesures.

Les chambres de compensation représentent un enjeu important. Il faut décider si l'obligation de compensation s'appliquera indifféremment, que la chambre de compensation soit localisée au Royaume-Uni ou dans l'Union. Sans accord, l'effet de falaise pourrait être très fort au 1er janvier prochain. Cela étant, la nouvelle réglementation européenne dite « Emir 2.2 » doit permettre de traiter le cas des chambres de compensation installées dans des pays tiers et d'adapter leur supervision en fonction de leur importance pour l'Europe. Ce sujet demandera probablement une mise en oeuvre progressive dont l'objectif est bien de retrouver une forme de souveraineté européenne dans ces domaines sensibles.

L'AMF coopère beaucoup avec les autorités équivalentes des pays tiers, en particulier avec la Financial Conduct Authority (FCA) britannique, qui reçoit environ la moitié de nos demandes de coopération. En effet, la moitié des transactions sur les valeurs françaises sont réalisées sur des plateformes localisées aujourd'hui au Royaume-Uni. Peut-être reviendront-elles à partir de l'année prochaine dans l'Union, voire en France... Ces autorités répondent avec une célérité variable, mais de manière systématique, car ces démarches s'inscrivent dans un protocole conclu au sein de l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV).

J'en viens aux questions relatives aux fonds propres des entreprises. Les banques qui leur ont octroyé des PGE ne vont pas transformer ces prêts en fonds propres : elles n'auraient pas elles-mêmes les fonds propres nécessaires pour nourrir cet investissement. Il va falloir faire feu de tout bois et utiliser d'autres instruments : les obligations convertibles, les prêts participatifs ou encore des augmentations de capital permettant de rembourser les PGE. Le problème sera la gestion de masse des PGE de montant modeste accordés aux entreprises de petite taille ; leur transition vers des fonds propres sera opérationnellement très complexe.

Entre la mi-mars et la mi-avril, 500 000 particuliers sont devenus actionnaires pour la première fois, notamment à l'occasion de l'ouverture du capital de la Française des Jeux. Ils sont plus jeunes que la moyenne des actionnaires ; on remarque aussi qu'ils ne sont pas sortis du marché sitôt après y être entrés. La Française des Jeux a offert des mécanismes d'incitation à la détention de long terme de ses titres. Ces nouveaux actionnaires, aujourd'hui, ne sont pas perdants, malgré la forte chute boursière de la plupart des titres. Cela peut être source d'optimisme. Les placements boursiers sont toujours risqués, il peut y avoir des variations très fortes de valeur, mais la liquidité est toujours assurée : c'est ce que nous avons observé.

Vous avez évoqué le risque d'une deuxième lame, mais rien n'est fatal. Les événements de mars sur les marchés ne sont clairement pas une correction technique de valeurs excessives mais bien une chute liée à la prise en compte d'un changement total de l'environnement économique. Les deuxièmes lames sont possibles en présence de certains faits déclencheurs ; parmi eux, les éventuelles conséquences de l'arrêt du tribunal constitutionnel fédéral allemand. L'incertitude demeure, mais on peut espérer que la BCE restera libre d'apporter des réponses à tel ou tel facteur de crise. Si oui, les conséquences sur les marchés resteront limitées ; elles ne sont en tout cas pas nulles, au vu des écarts de coûts de financement entre pays. Les réponses apportées par les autorités allemandes elles-mêmes peuvent toutefois rassurer ; cela pourrait en fin de compte renforcer le cadre européen plutôt qu'accentuer le repli national. La réponse politique aussi est prise en compte par les marchés.

La coordination est extrêmement forte au sein de l'ESMA. Son conseil, où je représente l'AMF, se réunit en téléconférence toutes les semaines, depuis deux mois, pour discuter des problèmes rencontrés et imaginer des réponses coordonnées. Les échanges sont aussi approfondis au niveau des services. Le problème récurrent est l'application cohérente des décisions, face à l'hétérogénéité des textes nationaux. Même quand des textes européens existent, des désaccords de fond subsistent entre les États membres : dans les cas où une décision commune aurait pu être prise et déclinée à l'échelle européenne, il n'a pas été possible de trouver une majorité pour ce faire. Ainsi, six États ont décidé de réduire la capacité de vendre à découvert ; vingt-et-un étaient d'un autre avis. L'harmonisation peut aller dans les deux sens ! Nous avons considéré qu'il valait mieux mettre en place des restrictions à l'échelle nationale plutôt que de se résigner à une inaction homogène au niveau européen.

La RSE représente une occasion formidable, qu'il convient de lier à la nécessité de renforcer les fonds propres des entreprises. En effet, un tel renforcement se fait toujours autour d'un choix stratégique. On a l'occasion de renforcer l'orientation des entreprises vers des modèles de développement responsables qui respecteraient, à moyen terme, les objectifs fixés. Des leviers d'action existent.

La question des CLO occupe une place importante dans les débats internationaux, mais ces outils restent très marginaux dans l'Union européenne : c'est un phénomène essentiellement américain.

Je veux enfin répondre aux questions relatives aux fonds activistes. Certains intérêts voient dans la crise actuelle l'occasion de prendre le contrôle de diverses entreprises. Quand de tels fonds s'intéressent à une entreprise, c'est signe qu'il y a de la valeur, une possibilité de développement. Nous souhaitons renforcer la transparence dans ces domaines. C'est pourquoi nous proposons, dans notre rapport, de suivre l'exemple de la plupart des autres grands pays européens en abaissant de 5 % à 3 % le seuil de déclaration obligatoire d'une prise de participation ; ce serait une information utile pour tout le monde, en particulier pour les décideurs politiques qui souhaitent mobiliser des fonds quasi souverains ou soumettre certaines opérations à des autorisations particulières. Pour autant, le cadre réglementaire est globalement satisfaisant ; nous ne souhaitons pas d'évolution majeure dans ce domaine.

M. Vincent Éblé, président. - Je vous pose une question de la part de notre rapporteur général, Albéric de Montgolfier, que des difficultés techniques empêchent d'intervenir dans cette téléconférence. Certains fonds largement souscrits par les particuliers dans le cadre de contrats d'assurance vie, comme ceux gérés par H2O Asset Management, semblent avoir connu des vagues de décollecte sans précédent, après avoir enregistré des pertes considérables. Confirmez-vous ce phénomène ? Des décollectes importantes se produisent-elles encore ? Pour éviter aux fonds de devoir réaliser des ventes forcées dans de mauvaises conditions de prix, il existe en droit français des mécanismes de plafonnement provisoire et de suspension des rachats. A-t-il été envisagé de les mobiliser ? Ces fonds sont-ils trop complexes pour être commercialisés auprès du grand public ?

M. Robert Ophèle. - La société de gestion que vous citez est une filiale localisée au Royaume-Uni d'un groupe français. De tels fonds sont risqués ; ils ne s'en cachent pas. À l'exception des fonds monétaires, nous n'avons pas constaté de vagues de décollecte significatives sur des fonds de taille importante. Les décollectes que vous évoquez sont intervenues en mai et juin 2019. De manière générale, dans les fonds ouverts, particulièrement ceux qui investissent dans des produits risqués ou peu liquides, il peut y avoir des retraits importants. Les sociétés de gestion sont donc soumises à des contraintes de liquidité assez lourdes afin de pouvoir assurer à tout moment des remboursements significatifs. Certains outils permettent de gérer les problèmes qui peuvent se poser : les gates, qui permettent d'échelonner les remboursements ; les side pockets, qui consistent à couper le fonds en deux, en plaçant la part non liquide d'un actif dans une enveloppe spécifique, gérée en extinction. On dispose, en France, de presque tous les outils pour gérer un problème de liquidité dans l'intérêt des porteurs et assurer une égalité de traitement entre eux. Ce point fait l'objet d'un examen conjoint à l'échelle européenne pour tous les fonds importants qui investissent dans les obligations d'entreprise ou dans l'immobilier, où la liquidité peut s'avérer problématique. Toujours est-il que ces outils et ces règles de gestion interne adaptées n'ont pas eu à jouer de façon significative au cours des derniers mois.

M. Vincent Éblé, président. - Je vous remercie.

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