Mardi 19 mai 2020

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Urgence économique dans les outre-mer - Table ronde sur le transport aérien

M. Michel Magras, président. - Nous abordons aujourd'hui la seconde partie de notre étude sur l'urgence économique dans les outre-mer, avec une série d'auditions axées sur des thématiques sectorielles, que nous espérons aussi fructueuse que la précédente. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour cette table ronde consacrée au transport aérien.

Je rappelle que, depuis deux mois, avec nos rapporteurs Stéphane Artano, Viviane Artigalas et Nassimah Dindar, nous avons travaillé en vue de faire des propositions au Gouvernement dans le contexte créé par la crise du Covid-19.

Le 14 mai dernier, nous avons achevé notre première partie avec l'audition de la ministre des outre-mer, Mme Annick Girardin, qui a notamment présenté le plan Tourisme du Gouvernement, adopté le matin même, et a souligné l'importance des transports aériens pour permettre la reprise économique.

La relance du tourisme dans les territoires ultramarins implique en effet qu'un certain nombre de vols puissent reprendre et que les services aéroportuaires soient opérationnels. Les compagnies aériennes qui desservent nos territoires sont directement concernées, mais nous savons aussi qu'elles sont terriblement fragilisées par la crise actuelle. Certaines d'entre elles sont même menacées de disparaître ou envisagent des restructurations et nous avons bien en tête la pétition de Corsair, diffusée il y a quelques semaines. La ministre a notamment indiqué que des instructions avaient été données aux préfets pour vérifier que chaque compagnie aérienne, dans chaque bassin océanique, a bien utilisé tous les dispositifs mis en place par l'État. Vous pourrez nous confirmer si cette démarche a bien été faite ou si elle est en cours, afin que nous puissions mesurer l'engagement de l'État. Vous pourrez nous dire si vous attendez d'autres mesures de la part de l'État ?

Nous sommes particulièrement préoccupés par la situation des compagnies aériennes régionales, car, en tant qu'ultramarins, nous en connaissons l'importance vitale pour la desserte et l'approvisionnement des îles. C'est pourquoi les compagnies qui desservent les territoires comptent souvent parmi leurs actionnaires des collectivités. Comment se présentent les soutiens de ce côté-là ?

Comme vous le savez, le Premier ministre a annoncé qu'il allait, dès cet été, « ouvrir les destinations ultramarines à l'ensemble des Français de l'Hexagone », mais, en même temps, il est prévu de maintenir des quatorzaines strictes ce qui nous paraît contradictoire. Comment faire pour, à la fois, rassurer les populations face à l'importation du virus et permettre aux acteurs du secteur touristique au sens large - compagnies aériennes, hôtellerie, restauration, activités de loisirs, location de véhicule, agences de voyages - de reprendre leurs activités ?

Vous l'avez compris, à nos yeux, la thématique du transport aérien est primordiale pour envisager la reprise des économies locales et nous avons beaucoup d'interrogations à ce sujet. C'est ce que nous voudrions partager avec vous, en étant à l'écoute de vos préoccupations.

Comme vous êtes très nombreux, je propose à chacun d'entre vous de faire d'abord une présentation générale de sa compagnie - ou de son groupement - en précisant ses spécificités, notamment au niveau de la desserte régionale ; les effets humains et financiers de la crise sur celle-ci ; les soutiens que vous avez reçus à ce stade de la part de l'État, des collectivités territoriales, de la Banque publique d'investissement (BPI), ou autres. Ensuite, les trois rapporteurs poseront leurs questions. Vous y répondrez à tour de rôle, en fonction des caractéristiques de votre situation. Les autres sénateurs vous poseront des questions complémentaires pour un dernier échange.

Je vous rappelle que notre table ronde est diffusée en direct sur Public Sénat.

M. Benoît Olano, président-directeur général d'Air Saint-Pierre. - Nous sommes certainement la plus petite compagnie représentée aujourd'hui puisque nous ne comptons que 49 salariés. Nous sommes les seuls à desservir Saint-Pierre-et-Miquelon dans le cadre d'une délégation de service public signée avec l'État. Notre seule destination commerciale est le Canada, mais nous assurons également des missions de sécurité civile, comme les évacuations sanitaires. Vous vous en doutez, nos moyens sont très réduits.

Pendant la crise, l'État nous a demandé de maintenir un minimum d'activité pour assurer les missions de sécurité civile, telles que les évacuations vers Halifax, ainsi qu'une forme de continuité territoriale. Aussi, nous n'avons perçu aucune recette pendant deux mois, alors que nous avons continué à supporter des charges. De plus, les aides de l'État ne sont pas vraiment adaptées à notre situation.

M. Éric Kourry, président du groupe GAI. - Notre groupe est exclusivement régional, puisque nous opérons seulement sur les Antilles, la Guyane et le bassin caribéen. Il assure la desserte de 25 destinations dans les outre-mer, mais également Saint-Domingue, Porto Rico, la Barbade, Sainte-Lucie... Nous employons 300 salariés, et 600 à 700 personnes au total si l'on inclut le personnel de nos sous-traitants aux escales. Nous transportons environ 500 000 passagers par an.

Depuis le 20 mars dernier, notre flotte est clouée au sol dans sa quasi-totalité, ce qui nous a conduits à mettre l'entreprise « sous cloche ». Nous effectuons trois à quatre rotations par semaine, contre 400 en temps normal, soit 1 % de l'activité habituelle, alors que nous supportons la quasi-totalité de nos charges fixes et environ 50 % de la masse salariale. En effet, notre salariat étant constitué en grande partie de pilotes et d'ingénieurs, avec des salaires assez élevés, les règles d'indemnisation de l'activité partielle, telles qu'elles ont été fixées, nous pénalisent.

Comme mon prédécesseur, je suis aussi tenu d'assurer des obligations de service public, comme l'approvisionnement de l'intérieur de la Guyane, ce qui n'apporte aucune recette, puisque nous sommes rémunérés au passager transporté.

Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour sauvegarder la compagnie en demandant des reports de charges fiscales et sociales et d'échéances d'emprunt, mais cela ne couvre pas les charges.

Aujourd'hui, chaque jour qui passe nous coûte 150 000 euros, déduction faite du chômage partiel remboursé. La situation est catastrophique. Nous avons bien entamé des négociations pour bénéficier d'un prêt garanti par l'État (PGE), mais, compte tenu de nos pertes, nous ne dégagerons jamais suffisamment de marges pour le rembourser en cinq ans - tout le monde le sait bien. Aussi suis-je très pessimiste pour l'avenir.

Permettez-moi d'ajouter que je trouve inacceptable la situation qui nous est imposée par les autorités. Alors que la loi sur l'état d'urgence sanitaire n'a pas interdit l'activité de transport aérien au sein de l'Union européenne (UE), le préfet a interdit par arrêté le vol de nos avions entre Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, considérant sans doute que nos territoires ne faisaient pas partie de l'UE. Il estime que l'offre d'Air France est suffisante. C'est incompréhensible et je compte sur vous, Mesdames et Messieurs les sénateurs, pour nous aider à sortir de cette impasse.

M. Bertrand Magras, gérant de Saint-Barth Commuter. - Nous sommes la plus ancienne compagnie de la région, où je rappelle que plus de 140 compagnies ont disparu depuis 1980.

Notre flotte est composée de cinq petits avions. Le premier pôle de notre activité comprend les lignes régulières, vers Saint-Martin, Juliana et la Guadeloupe par exemple. Le deuxième pôle est composé des vols à la demande, avec les charters privés, les affrètements et les vols médicaux. Enfin, notre troisième pôle consiste en une petite activité cargo. Nous assurons environ 9 000 vols par an, transportant quelque 40 000 passagers, avec un effectif d'un peu moins de 30 salariés en équivalent-temps plein (ETP).

Pour nous, la crise arrive au pire moment possible car le tourisme, notamment en provenance des États-Unis, est au plus haut en mars-avril. Ma trésorerie a été divisée par trois depuis janvier et j'envisage de supprimer de 15 % à 20 % des effectifs. Je rencontre exactement les mêmes problèmes que mes prédécesseurs en ce qui concerne le recours à l'activité partielle.

Je suis également en négociation pour obtenir un prêt garanti par l'État (PGE). Enfin, je souligne que nous avons obtenu une remise gracieuse de la redevance d'occupation du domaine public de la part de la collectivité de Saint-Barthélemy.

M. Dominique Dufour, secrétaire général d'Air Austral. - Nous sommes établis à La Réunion depuis plus de quarante ans. Nous assurons la desserte de plus de dix destinations : la métropole, avec des vols pour Paris et Marseille, mais également Mayotte, Madagascar, les Seychelles, l'île Maurice, Madras en Inde ou la Thaïlande. Nous étions sur le point de mettre en place une liaison vers Canton, en Chine, mais la crise sanitaire a mis ce projet en suspens. Nous employons 1 000 salariés et transportons 1,3 million de passagers par an, pour un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros.

La crise a, en fait, démarré dès janvier pour nous, qui sommes très connectés au marché asiatique. Depuis fin mars, nous n'assurons qu'environ 5 % de notre programme de base, avec deux vols par semaine pour Paris et du fret d'urgence pour Mayotte.

Nous avons sollicité au maximum tous les dispositifs offerts par l'État, comme le chômage partiel et les reports de charges fiscales et sociales, mais nous militons plutôt pour une exonération. Enfin, grâce au soutien de notre actionnaire principal, la Sematra, société d'économie mixte réunissant les acteurs publics de l'île, nous avons pu lever un PGE, qui assure notre survie à court terme.

Mais nous n'avons aucune visibilité sur le retour à la normale, que l'on nous annonce très progressif. C'est tout l'enjeu.

M. Didier Tappero, directeur général d'Air Calin. - Notre compagnie, qui repose sur un actionnariat public, est basée en Nouvelle-Calédonie. Nous assurons trois types de destination : les collectivités du Pacifique sud, comme Wallis-et-Futuna et la Polynésie française ; l'Asie ; les autres pays de la zone Pacifique que sont l'Australie, la Nouvelle-Zélande, les îles Fidji et le Vanuatu.

En mars, l'arrêt a été brutal, même si nous avons maintenu une petite activité de rapatriement de et vers l'Australie et le Japon. Nous essayons d'ailleurs de nous faire rembourser ces vols par l'État et la collectivité.

Avant la crise, notre situation économique était saine, ce qui nous permet de tenir sur nos fonds propres. Notre situation est particulière en ce qui concerne le recours au chômage partiel, puisque l'indemnité est plafonnée à 800 euros par mois en Nouvelle-Calédonie. On est donc loin du compte pour nos salariés, notamment les pilotes et les ingénieurs. Nous en appelons donc à la solidarité nationale pour que notre système d'indemnisation du chômage partiel soit aligné sur celui de la métropole.

Comme Dominique Dufour, je pense qu'une période critique nous attend au moment du redémarrage. Si la plupart de nos vols sont en dessous d'un taux de 80 % de remplissage, nous serons déficitaires et nous aurons besoin d'être soutenus à ce moment-là. Nous ne pourrons pas nous en sortir seuls.

M. Marc Rochet, vice-président du conseil d'administration d'Air Caraïbes et président de French bee. - Je représente Air Caraïbes, Air Caraïbes Atlantique et French bee, qui sont trois compagnies privées, filiales du groupe Dubreuil, dirigé par M. Jean-Paul Dubreuil. Chacune d'entre elles a ses missions propres : Air Caraïbes a une activité régionale importante dans les îles des Caraïbes en plus du long-courrier ; Air Caraïbes Atlantique est le vecteur long-courrier et French bee est une compagnie start-up qui dessert La Réunion, San Francisco et Tahiti depuis deux ans.

Ces compagnies emploient un total de 1 500 personnes, pour 700 millions d'euros de chiffre d'affaires, avec douze Airbus, dont sept A350. Nous avons fait le choix de moderniser nos moyens : il nous reste cinq A330 qui seront remplacés par des commandes d'A350. Nous utilisons également trois ATR pour les dessertes régionales. Notre actionnariat est privé, il se partage entre la famille Dubreuil et le personnel.

Nous travaillions au départ d'Orly, aéroport qui a été fermé le 31 mars. Nous avons, depuis lors, rencontré beaucoup de difficultés à opérer entre les aéroports, les régulations et les décisions étant peu coordonnées, dans des conditions économiques qui se détériorent très vite. Certains de nos vols sont partis à vide pour rapatrier des compatriotes, mais cette activité n'est pas tenable longtemps. De plus, nous sentions nos personnels stressés par les conditions sanitaires et de navigation ainsi que par les contraintes qui pesaient sur nos vols. Un soir, par exemple, un de nos avions volant de Paris aux Antilles a perdu le contrôle de l'espace aérien américain, qui couvre les trois quarts de l'Atlantique nord, car le virus venait d'être détecté dans les locaux de la Federal Aviation Administration à New York !

Nous nous sommes donc arrêtés. Nous avons mis nos personnels en activité partielle. Or, les pilotes et les ingénieurs ont des salaires élevés et, si l'allocation décidée par l'État est généreuse, elle ne suffit pas. De plus, nous devons payer nos navigants selon des avantages indemnitaires qui découlent de décisions empilées depuis 1954, par lesquelles nous sommes aujourd'hui coincés. Nous avons réduit tous les coûts possibles, jusqu'à diviser nos dépenses par quatre ; nous sommes une compagnie robuste, capable d'encaisser cet arrêt pour deux ou trois mois.

Nous ne sommes pas pour autant restés inactifs : nous nous sommes lancés dans l'utilisation de nos Airbus long-courriers passagers pour le cargo en parvenant à transporter jusqu'à 20 tonnes de fret par vol. Nous assurons ainsi douze vols par semaine vers les outre-mer - Cayenne, La Réunion, Pointe-à-Pitre ou Fort-de-France - ainsi qu'un vol quotidien pour aller chercher 20 tonnes de masques en Chine. Nous avons également engagé des programmes courageux de réduction de coûts avec nos personnels afin d'être plus performants demain, car, à la reprise, il n'y aura pas le même trafic et les clients voudront payer moins cher. Les prix vont baisser et, pour survivre, les entreprises devront diminuer leurs coûts.

En ce qui concerne l'avenir proche, nous insistons pour disposer d'une vision. Nous avons ainsi signé une lettre ouverte pour qu'Orly rouvre le 26 juin, au début des grands mouvements de l'été en outre-mer, un mois et demi après le déconfinement, en souhaitant contribuer à réduire la cacophonie qui règne en la matière. Nous avons défini un programme de reprise en réduisant nos vols de moitié et nous serons prêts pour le 26 ou le 28, voire le 21 juin. Il ne s'agit pas non plus de submerger les outre-mer !

Le groupe Dubreuil a demandé un PGE et devrait l'obtenir. Reste qu'il s'agit d'un prêt, avec des délais de remboursement trop courts, voire franchement illusoires : une partie des sommes engagées ne sera sans doute jamais remboursée, il serait préférable de l'assumer objectivement. L'argent public est sacré, son engagement doit être justifié, chacun doit faire des efforts et nous devons redémarrer. Si nous devions passer l'été sans voler, le transport aérien français pourrait disparaître.

M. Michel Monvoisin, président-directeur général d'Air Tahiti Nui. - Air Tahiti Nui est une société anonyme d'économie mixte créée en 1998 et détenue à 85 % par la collectivité territoriale. Sa mission principale est le tourisme : nous desservons Tokyo, la Nouvelle-Zélande, Los Angeles ainsi que Paris, au titre de la continuité territoriale. Avec 270 millions d'euros de chiffre d'affaires, nous sommes la première entreprise de Polynésie, et le deuxième employeur, avec 800 salariés. Nous transportons 500 000 passagers par an, dont 75 % de touristes.

Aujourd'hui, nous assurons à peine 5 % de notre programme de vol, avec un vol passagers tous les dix jours et quelques vols cargo vers Paris, pour assurer la continuité territoriale, quelques vols cargo vers la Chine pour du fret sanitaire et vers la Nouvelle-Zélande pour l'approvisionnement du pays. Nous devons cependant assurer le paiement d'importantes charges fixes : nous avons renouvelé notre flotte en 2018, avec quatre 787-900 dont il faut payer les traites. En Polynésie, le chômage partiel n'existe pas, nous versons donc les salaires depuis le 21 mars, le jour où nous avons cessé de voler. Notre demande de PGE est en cours d'instruction, nous n'avons pas de raison de penser que nous ne l'obtiendrons pas. Cependant, il s'agit d'un prêt qu'il faudra rembourser.

Nous avons radicalement réduit nos charges avec la collaboration du personnel qui a accepté une diminution de 30 % de ses rémunérations sous la forme de congés sans solde. Pour les navigants, dont une partie des émoluments repose sur des heures de vol, cela représente une baisse allant jusqu'à 50 %. La situation est donc tendue et nous espérons redémarrer fin juin. Toutefois, les règles qui imposent quatorze jours de quarantaine nous compliquent la tâche : le séjour moyen des Américains, nos principaux visiteurs, est de dix jours, nous tentons donc de convaincre nos interlocuteurs que cette quatorzaine n'est pas une bonne idée.

M. Pascal de Izaguirre, président-directeur général de Corsair. - Corsair a quarante ans et est présente depuis trente ans dans les Antilles et à La Réunion, qui représentent les deux tiers de notre chiffre d'affaires. Celui-ci dépasse 450 millions d'euros pour 1,2 million de passagers transportés et 1 200 salariés. Nous utilisons trois 747 et quatre A330. Cette crise intervient pour nous au plus mauvais moment, alors que nous avons lancé un plan de modernisation de notre flotte pour passer à dix Airbus A330, dont la moitié de Néo entièrement neufs, déjà commandés. Dans cette perspective, les trois 747 ne seront pas remis en service. Corsair emploie beaucoup de personnel antillais et réunionnais et fait vivre tout un écosystème de sous-traitants en outre-mer comme en métropole.

Nous modernisons notre flotte avec la volonté de renforcer notre programme de vol vers les Antilles et La Réunion : en diminuant la capacité des avions, nous entendons augmenter la fréquence des vols. Depuis Orly, nous proposons à notre clientèle d'outre-mer des connexions vers l'Afrique et le Canada. Nous avions le projet d'ouvrir une liaison avec New York en juin, qui a bien entendu été reporté. Nous sommes également très actifs dans le fret, en osmose avec l'écosystème des exportateurs des Antilles et de La Réunion et nous participons enfin au programme d'évacuations sanitaires.

Nous sommes totalement à l'arrêt depuis le 26 mars, nous n'assurons aucune desserte des outre-mer ou de l'international, à l'exception de certains vols pour le ministère des affaires étrangères afin de rapatrier des ressortissants français. Nous avons également développé le fret en transformant nos avions en cargo et nous assurons dans cette configuration de nombreux vols vers la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane ainsi que vers la Chine et le Vietnam. Cela nous garantit un peu d'activité, qui reste dérisoire par rapport à ce que nous faisions auparavant et la quasi-totalité de nos personnels est en activité partielle.

Avant la crise, la situation de trésorerie de Corsair était satisfaisante, et nous vivons depuis sur cette réserve. Nos dépenses ont baissé, mais certaines restent. Il faut préparer la reprise et assurer la pérennité de la compagnie en traversant l'hiver pour faire la soudure jusqu'à l'été prochain, période à laquelle nous espérons retrouver un niveau d'activité proche de la normale.

Nous subissons en outre une menace supplémentaire sur notre trésorerie : le règlement européen sur le droit des passagers aériens n°261/2004 oblige les compagnies à rembourser les passagers dont les billets ont été annulés. Malgré la pression des États, Bruxelles a maintenu cette position. Pour notre compagnie, cela représente plusieurs dizaines de millions d'euros. Air France a exprimé sa volonté de procéder à ce remboursement à partir du 15 mai et une saisine de l'UFC-Que Choisir a été déposée aujourd'hui à ce sujet. Cela représentera une ponction supplémentaire et un soutien de l'État est nécessaire, en plus de notre politique résolue de réduction des dépenses et des discussions que nous menons avec nos personnels pour faire baisser les coûts fixes. Nous avons bénéficié de reports de charges, de taxes et de redevances, mais il faudra davantage au plan structurel. Enfin, nous sommes candidats à un PGE, les discussions se poursuivent et rien n'est assuré.

Avant la crise, notre situation était saine, nous n'étions pas endettés et nous ne bénéficions d'aucune aide publique ou de défiscalisation. Nous sommes aujourd'hui préoccupés par le redémarrage : nous l'avions prévu à partir du 12 juin, mais cette perspective s'éloigne, j'ai donc également signé le courrier demandant la réouverture d'Orly au 26 juin. Nous avons pu échanger hier avec les ministres Mme Annick Girardin et M. Jean-Baptiste Djebbari, mais nous n'avons pas obtenu de réponse.

Le programme de reprise que nous envisageons sera moindre et donnera la priorité à La Réunion et aux Antilles - Martinique et Guadeloupe - dans des conditions sanitaires encore indéterminées, avec une très grande incertitude concernant les liaisons internationales. L'entreprise est mobilisée pour reprendre, en priorité vers les outre-mer avec un programme tenant compte des préoccupations des populations et des décideurs ultramarins.

M. Jean-Michel Mathieu, directeur général Caraïbes, océan Indien et Amérique latine d'Air France KLM. - La situation d'Air France est similaire à celle de nos collègues : notre compagnie réalise moins de 5 % de ses vols sur l'ensemble de son réseau par rapport à la situation avant la crise sanitaire.

Tout d'abord, nous avons assuré des vols de rapatriement, pour plus de 270 000 passagers, dont 150 000 Français et 45 000 ressortissants de l'Union européenne, en coordination avec le ministère des affaires étrangères. Ce n'est pas facile car les restrictions imposées par les différents pays changent et nous contraignent à modifier nos programmes au dernier moment.

Ensuite, nous assurons également la continuité territoriale avec l'outre-mer, pour les passagers comme pour le cargo, vers La Réunion, Fort-de-France, Pointe-à-Pitre et Cayenne. Nous avons en outre maintenu un réseau régional avec une fréquence entre Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Cayenne. À ce sujet, comme les autres compagnies, Air France souhaite reprendre les dessertes de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France. Notre fréquence hebdomadaire est insuffisante, même dans le contexte actuel, et le taux de remplissage actuel de nos avions ne permet pas de renforcer nos finances, il s'agit surtout d'un effort de continuité territoriale au niveau régional, que nous sommes fiers d'assurer. Enfin, nous effectuons la liaison entre Paris et Tokyo-Narita pour assurer une correspondance avec nos partenaires d'Air Calin. Ce n'est pas toujours facile : les restrictions, les quarantaines, les limitations du nombre de passagers changent régulièrement ou sont prolongées, nous obligeant à débarquer beaucoup de clients qui se retournent ensuite contre nous.

Grâce au Gouvernement, Air France a bénéficié d'un soutien : c'est heureux, car, à défaut, le groupe perdrait 25 millions d'euros par jour. La très grande majorité de nos personnels est en activité partielle à 80 % ; nous bénéficions d'un report de taxes et de redevances et nous avons obtenu un PGE. Comme mes collègues l'ont dit, c'est appréciable, car cela nous permet de survivre, mais la question de l'après reste posée : il faudra payer ces charges reportées et rembourser ces prêts. Au vu des niveaux de rentabilité de nos compagnies, cela constituera un défi majeur.

Notre compagnie souhaite participer le plus vite possible à la reprise. Nous comprenons les contraintes sanitaires et nous espérons obtenir des clarifications sur les règles et les restrictions afin d'adapter notre programme de vols. Il est important de bien placer le curseur entre protection sanitaire et développement économique, car il serait catastrophique de passer tout l'été avec un tel niveau d'activité.

M. Jean-François Dominiak, président du Syndicat des compagnies aériennes autonomes (Scara). - Je préside le Scara, dont certains des adhérents ultramarins, en particulier Air Calédonie et Air Tahiti, ne participent pas à cette audition. Il s'agit de transporteurs locaux importants, qui connaissent une situation catastrophique alors même qu'ils assurent aussi la continuité territoriale, qui repose, dans leurs archipels d'opération, uniquement sur l'aérien.

Je suis également directeur général d'ASL Airlines France, qui opère une ligne directe entre Roissy et Saint -Pierre-et-Miquelon ; nous attendons de connaître les mesures de quarantaine mises en place pour relancer cette activité. Nous assurons aujourd'hui des vols ponctuels pour La Poste vers les outre-mer, en particulier vers La Réunion, et nous continuons à voler en cargo de nuit en express européen. En revanche, nos vols réguliers et nos charters courts et moyens courriers sont cloués au sol.

Les demandes du Scara portent sur différents points. Dans cette crise, les moratoires sur les charges sont bienvenus à court terme, mais des exonérations de taxes seraient préférables. En outre, les charges régaliennes dont nous supportons le coût, comme la sûreté, devraient peut-être revenir à l'État. Enfin, nous avons besoin de clarifications sur le chômage partiel des navigants dans la durée : ce n'est sans doute pas demain que le transport aérien reprendra de la vigueur.

En ce qui concerne les mesures structurelles, nous souhaitons la mise en oeuvre d'un plan de restructuration de l'industrie, avec la mise en oeuvre d'un fonds similaire à celui qui a été accordé au groupe Air France, par souci d'équité. Il nous semble important que de telles mesures bénéficient à tous, parce que nous devrons tous entreprendre des restructurations importantes après la crise, pour lesquelles des fonds publics seront nécessaires.

Au-delà, encore, nous avons sollicité la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) pour qu'elle prévoie de véritables assises du transport aérien afin de traiter les problèmes qui sont connus et toujours plus criants aujourd'hui concernant, notamment, la gestion des aéroports de Paris, les caisses uniques, etc. Nous avons adressé des questions, nous attendons des réponses à court, moyen et long termes et nous souhaitons entamer les discussions au plus vite.

M. Alain Battisti, président de la Fédération nationale de l'aviation marchande (FNAM). - Notre organisation rassemble 95 % de l'emploi salarié français dans le secteur en comptant les compagnies aériennes, les aéroports, les assistants d'escale, les hélicoptéristes, ainsi que la Fédération des drones.

Nous partageons ce qui a déjà été dit. Face aux difficultés de trésorerie à court terme, accorder des prêts pour financer des pertes sans espoir de remboursement, c'est un peu vain. La question fondamentale est celle du redémarrage : je viens de faire un point téléphonique avec le secrétaire d'État, M. Jean-Baptiste Djebbari, comme chaque jour, et selon les dernières informations, l'espace Schengen rouvrirait le 15 juin, avec des incertitudes mais les grands axes internationaux, en particulier les États-Unis et le Canada, repartiraient progressivement à partir du 15 ou du 18 juin. Les procédures de distanciation dans les avions feront l'objet de recommandations de l'Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA), qui seront connues demain ou après-demain et qui seraient pragmatiques, prévoyant en particulier une distanciation liée aux possibilités en fonction des remplissages.

Sur le plan économique, la situation de tous les secteurs de la filière est dramatique. L'avenir du transport aérien se jouera sur la compétitivité et sur la productivité. Les Assises nationales du transport aérien en 2019 ont été un échec retentissant. Nous devons reposer ces questions pour sortir de la crise en nous appuyant sur un référentiel simplifié, de manière que nos conditions d'exploitation soient plus proches de celles des grands opérateurs européens. En effet, la compétition va être d'une extrême rudesse : les grandes compagnies low cost vont envahir le marché français en jouant des règles plus souples de leurs pays d'origine. Contrairement au Royaume-Uni ou à l'Allemagne, nous n'avons pas restructuré le secteur, et nous sommes toujours bloqués par l'environnement réglementaire. La sortie de crise sera donc très dangereuse, avec des risques très élevés et de grandes difficultés à venir. À terme, il faut craindre un amoindrissement de la concurrence sur les dessertes de la « France XXL », avec un risque d'augmentation des tarifs, ainsi que des situations sociales difficiles pour les entreprises, quelle que soit leur taille, et pour leurs salariés.

S'ajoute à cela la contrainte supplémentaire de l'environnement. Les compagnies sont engagées dans ce domaine depuis de nombreuses années, elles versent des contributions volontaires, l'empreinte carbone des avions a été divisée par deux en trente ans, mais nous devons rester prudents : la tentation est grande de poser des conditions en la matière au redémarrage de l'activité. Or ajouter des contraintes à court terme serait mortifère !

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie, monsieur le président, pour ces nouvelles récentes sur la réouverture de l'espace Schengen - même si les compagnies régionales de la Caraïbe n'en font pas partie - et celle des grands axes vers les États-Unis et le Canada, ainsi que pour les informations sur les protocoles pratiques qui seront mis en place. Je note aussi que, comme votre prédécesseur, vous souhaitez que les Assises soient remises sur le métier. Vous nous alertez, enfin, sur la rudesse de la compétition qui va naître, sur l'amoindrissement de la concurrence et sur le risque d'écroulement social. Votre référence à l'environnement est aussi particulièrement appréciée.

Je donne à présent la parole à nos trois rapporteurs. Stéphane Artano reviendra sur les mesures d'urgence, Viviane Artigalas sur les conditions de reprise de l'activité et Nassimah Dindar, sur le modèle d'avenir.

M. Stéphane Artano, rapporteur. - Je vous remercie à mon tour pour ces présentations très complètes. J'ai trois questions à vous poser, qui seront suivies de deux questions plus précises que j'adresserai à la compagnie Air Saint-Pierre qui évolue dans un environnement régional un peu particulier.

Le sauvetage de vos compagnies paraît indispensable, et votre présence aujourd'hui en atteste, compte tenu de leur rôle stratégique pour la continuité territoriale et le développement économique des outre-mer. Quel poids vos compagnies ont-elles dans l'emploi sur les territoires ? Quelles seraient les conséquences si l'une d'entre elles disparaissait ?

L'accompagnement des compagnies aériennes ultramarines par l'État vous paraît-il suffisant ? Loin de critiquer la puissance publique, ma question tend à obtenir une vision objective de ce qui est mis en oeuvre. J'ai notamment entendu parler tout à l'heure des PGE. Certaines compagnies ultramarines ont-elles eu des difficultés à en obtenir ? La compagnie Corsair, par exemple, a indiqué que le critère de fonds propres posait problème.

Le dispositif d'activité partielle a-t-il été largement utilisé par vos compagnies ? Jusqu'à quand devrait-il être maintenu pour les salariés du transport aérien ?

Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Nous partageons tous le souhait de voir vos activités reprendre dès que possible. D'après vous, quel sera le calendrier de reprise dans votre secteur ? M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État chargé des transports, a annoncé la possible réouverture d'Orly pour le 26 juin. Cette échéance vous semble-t-elle pertinente ? Compte tenu de votre rôle stratégique pour la desserte des territoires ultramarins, quelles sont les lignes à rouvrir en priorité ? Et dans quelles conditions ? Le Gouvernement a annoncé que la distanciation physique serait différente dans les avions que dans les trains.

Nous avons déjà interrogé les ministres en charge des outre-mer et du tourisme sur la quatorzaine obligatoire, que l'avis du Conseil d'État semble d'ailleurs supprimer. Le secrétaire d'État a évoqué hier à l'Assemblée nationale des couloirs sanitaires, avec des quatorzaines partagées, moitié en métropole, moitié outre-mer, ou vice-versa, suivant le sens du trajet. Cela impliquerait un parcours sécurisé, y compris à bord des avions. Quelles mesures sanitaires proposez-vous dans cette optique ?

Vos avions sont-ils adaptés pour des vols cargos ? Y a-t-il des risques de rupture des chaînes d'approvisionnement entre les outre-mer et l'Hexagone ? Le prix du fret a-t-il effectivement augmenté, comme on nous l'a dit ?

Mme Nassimah Dindar, rapporteure. - Je tiens à vous remercier pour vos exposés très intéressants.

La crise peut être fatale à l'ensemble des compagnies aériennes, qu'elles soient nationales ou régionales. La règlementation européenne sur le remboursement du billet d'avion crée une difficulté supplémentaire. Comment pensez-vous que l'État puisse accompagner la mise en oeuvre de cette mesure imposée par Bruxelles ?

Nous pensions que le prix des billets d'avion risquait d'augmenter fortement après la crise. Certains d'entre vous nous ont rassurés affirmant que, sur l'ensemble des compagnies aériennes, ils allaient plutôt baisser. Cela n'ira pas sans difficulté pour les compagnies qui opèrent des vols long-courriers vers les territoires ultramarins. Qu'attendez-vous des aides de l'État pour compenser cette baisse des recettes ?

Vos activités dans les DOM et celles du secteur touristique sont en grande partie liées, même si les vols cargo ont aussi leur importance. Allez-vous vous concentrer sur la clientèle hexagonale sachant que pendant sans doute encore une bonne année, les étrangers ne vont plus venir dans les DOM ?

Enfin, la crise souligne de manière criante la nécessité de changer de modèle dans la gestion aéroportuaire. Nous devons penser au monde aéroportuaire d'après. Comment voyez-vous cette imbrication, et comment pouvons-nous vous aider ? Les parlementaires que nous sommes peuvent relayer les pistes novatrices qui ont été évoquées. En tous cas, nous soutenons votre secteur, capital pour la desserte des outre-mer.

M. Michel Magras, président. - Notre rapport fera la synthèse de vos propositions et nous adresserons des préconisations au Gouvernement afin de faire bouger les choses.

M. Benoît Olano. - M. Stéphane Artano connaît bien notre société, étant lui aussi de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Vous nous interrogez sur l'accompagnement de l'État. Nous avons obtenu un PGE, mais, comme l'ont dit mes collègues, c'est une charge supplémentaire. Il permet simplement de gagner un peu de temps, en reportant le problème aux années suivantes. À Saint-Pierre-et-Miquelon, beaucoup des possibilités offertes par le Gouvernement n'étaient pas applicables. Les mesures de soutien n'ont pas été adaptées à notre structure ou à notre mode de fonctionnement. En effet, nous n'avons aucune activité dans l'espace Schengen...

Le calendrier de la reprise d'activité dépendra du maintien ou non, d'une quatorzaine outre-mer. Elle met un frein à toute activité. Nous n'effectuons que des vols internationaux, et le Canada a imposé lui aussi des restrictions à l'arrivée. De plus, la distanciation physique, dans nos ATR, sera difficile.

Avec quelque 6 000 habitants, Saint-Pierre-et-Miquelon est une toute petite communauté, qui se trouve divisée entre les partisans de la quatorzaine et ses opposants. Nous avons eu un cas, mais il est guéri, et nous n'en avons plus aucun. Certains veulent que l'archipel reste fermé pendant des mois.

Enfin, n'étant pas dans l'espace Schengen, la règle du remboursement des billets ne nous concerne pas. Pour l'instant, nous ne proposons que des avoirs. C'est le règlement du ministère des Transports canadien qui s'applique.

M. Michel Monvoisin. - La disparition d'Air Tahiti Nui serait un sinistre majeur pour l'économie polynésienne : il n'y aurait plus de desserte de l'Asie ni de la Nouvelle-Zélande. Même pour Los Angeles, où nous avons jusqu'à quatorze vols par semaine, aucune compagnie française ne pourrait nous remplacer, faute de disposer sur place d'une base suffisante. Air France en a bien une, qu'elle a héritée d'UTA, et opère trois vols par semaine depuis des années, mais sans avoir l'intention d'aller au-delà. Nous ne serions donc pas remplacés - et nous transportons 50 % des touristes vers la Polynésie.

La particularité des PGE, pour nous, est que ceux-ci reviennent à financer des pertes futures en payant aujourd'hui les salaires de gens qui ne travaillent pas. Lors de la reprise, nous aurons besoin de trésorerie. Comme cela a été dit, ce sera un « bain de sang ». Nous serons en concurrence non seulement entre compagnies aériennes, mais entre destinations. Les Maldives, qui avaient une clientèle essentiellement européenne, viennent de signer un contrat avec une société de marketing pour s'attaquer au marché nord-américain.

Notre société bénéficie des fonds publics. On peut donc imaginer que la collectivité va nous aider. Elle le souhaite mais ne le peut pas. Pourquoi ? Parce que nous sommes une société d'économie mixte locale. Pour procéder à une augmentation de capital, il faudrait changer la loi organique portant statut de la Polynésie et le code des collectivités territoriales. La seule intervention possible de la Polynésie pour Air Tahiti Nui, qui a d'ailleurs été votée à l'Assemblée, consiste à nous apporter des comptes courants associés. Mais la loi stipule qu'un compte courant associé doit être remboursé en deux ans. Autant dire que cela ne nous arrange pas vraiment, car la reprise sera longue.

Nous estimons qu'Air Tahiti Nui devrait être classée comme entreprise stratégique et bénéficier, comme Air France, d'un prêt direct de l'État ou d'une augmentation de capital par l'État ou l'un de ses satellites, ce qui permettrait au pays de faire à son tour une augmentation de capital, car nous aurons besoin de fonds propres. Nous sommes entrés dans la crise avec une trésorerie saine, sur laquelle nous vivons depuis deux mois. Nous pouvons tenir encore un moment, mais à force de payer des charges fixes, et notamment les salaires, la trésorerie va finir par s'épuiser, et elle nous manquera lors de la relance.

M. Éric Kourry. - Vous nous demandez d'esquisser un plan de redémarrage. Je suis bien incapable de le faire aujourd'hui. Il m'est impossible de définir actuellement mon besoin de trésorerie, ne serait-ce que pour la banque ! En Guadeloupe et en Martinique, où le virus ne circule pas, on nous interdit de voler, tout en parlant de relance économique... Les entreprises de Guadeloupe et Martinique m'appellent tous les jours pour savoir quand on pourra redémarrer l'activité : actuellement, un directeur d'une société en Guadeloupe ne peut pas aller voir ses salariés en Martinique. Nous vivons une situation dramatique. Et tout se passe comme si, depuis quelques jours, la Martinique ne faisait plus partie de l'Europe...

M. Didier Tappero. - Nous sommes dans une petite collectivité du Pacifique sud, où le rôle du transport aérien est essentiel pour l'économie. La création d'Air Calédonie International résulte d'ailleurs du fait que les autres transporteurs, qui faisaient leur travail en fonction de leurs intérêts propres, ne servaient pas particulièrement les intérêts de la Nouvelle-Calédonie, que ce soit en matière de régularité de transport, d'échanges commerciaux ou de développement touristique.

La Nouvelle-Calédonie compte 300 000 habitants. J'espère que la compagnie sera aidée par son actionnaire - c'est plus une question de moyens que de volonté. Pour autant, pour une petite structure comme la nôtre, le soutien de l'État est absolument nécessaire. Il y a aussi un intérêt stratégique à la présence des avions français dans cette région du monde, où l'influence chinoise ne fait que croître : des capitaux chinois sont investis dans les pays du Pacifique sud, et notre pays voisin, le Vanuatu, va être restructuré à l'aide de capitaux étrangers. Il faut prendre en compte le lien nécessaire avec la métropole pour les échanges économiques futurs. Je vous renvoie, d'ailleurs, à l'intervention du président de la République sur l'axe indopacifique.

M. Jean-François Dominiak. - Si Air Tahiti Nui et Air Calédonie disparaissaient, ce serait un retour à l'âge de pierre, puisque ce sont les seuls transporteurs sur place. Un soutien extrêmement important doit leur être apporté. Il faudra, de toute façon, un fonds de soutien, dont le montant et les modalités restent à définir. On ne sait pas trop où l'on va, certes, mais nous sommes sûrs qu'il va falloir y aller. Il faudra donc rapidement se mettre autour de la table pour savoir de quoi on a besoin, comment on peut le faire et quelles modalités mettre en place.

Dès aujourd'hui, nous pourrions commencer à revoir la gestion des aéroports. Avec ADP, par exemple, on ne sait plus si on est dans un contrat de régulation économique ou pas. La problématique de la double caisse est fondamentale : il y a là des centaines de millions d'euros annuels qui peuvent aussi servir à la communauté du transport aérien. Sur des mesures aussi ciblées, nous pourrions avancer très vite. Sur le reste, il faut une solution d'ici quelques mois.

M. Bertrand Magras. - Il y a une destination que nous sommes les seuls à desservir, c'est Grand-Case. Supprimer cette desserte serait catastrophique. Nombre de professionnels exercent leur activité sur les deux îles et comptent beaucoup sur cette liaison pour leurs aller-retour quotidiens. Sur le plan social, l'accès aux services publics comme la santé ou la justice, pour les habitants de Saint-Barthélemy, impose de se rendre à Saint-Martin. Ce serait donc un véritable retour en arrière.

Pour moi, l'accompagnement de l'État n'est pas à la hauteur. Je suis même très inquiet, parce que je ne sens pas une réelle volonté de l'exécutif de sauver le transport aérien. Lors des différentes réunions téléphoniques et en visioconférence que nous avons eues avec la direction du transport aérien ou des membres du cabinet du secrétaire d'État aux transports, la seule mesure évoquée qui soit spécifique au transport aérien était le moratoire sur certaines taxes. En somme, on nous permet de payer plus tard des taxes sur les billets d'avion, mais nous ne pourrons pas les payer tant que personne ne voyagera ! Lorsque la possibilité d'une aide directe a été évoquée, conformément à l'article 107 du Traité sur le fonctionnement de l'UE, elle a tout simplement été écartée.

Quand j'entends le ministre Bruno Le Maire expliquer qu'il faut arrêter les trajets de moins de deux heures et demie, ou lorsque j'écoute l'audition de la direction d'Air France au Sénat, le 22 avril dernier, lors de laquelle toutes les questions posées à M. Ben Smith concernaient la transition énergétique, je suis très inquiet. Je trouve profondément injuste de taper sur les compagnies aériennes en permanence, après le réel bashing qui a eu lieu au nom d'un prétendu Green Deal.

En ce qui concerne les PGE, nous n'avons pas rencontré de difficultés particulières dans nos premiers échanges avec la banque, qui n'a toutefois pas encore formellement accepté notre dossier. Le stock de prêts qui devra être remboursé est considérable. Si notre petite compagnie obtenait un PGE d'un montant correspondant au quart de son chiffre d'affaires annuel, avec un remboursement étalé sur cinq ans, cela correspondrait à une augmentation de 10 % des frais fixes ! Quand on sait combien sont modestes les marges d'une compagnie aérienne, on comprend que cela revient à creuser sa tombe. J'ajoute qu'il existe une incertitude sur le taux appliqué. Si l'on rembourse le prêt au bout d'un an, une commission de 0,25 % sera prélevée par la BPI ; au-delà, le remboursement sera soumis à un taux défini à ce moment-là. Clairement, l'État devrait prévoir des aides directes.

L'activité partielle doit être maintenue, comme votre délégation l'a d'ailleurs recommandé dans le cadre des 20 propositions rendues publiées la semaine dernière. La question principale demeure le retour de l'activité et les mesures sanitaires. Imposer une quatorzaine n'est pas possible : nous ne pouvons pas demander à un touriste américain, qui vient en moyenne pour quinze jours, de rester confiné pendant la plus grande partie de son séjour.

J'espère que l'activité régionale va reprendre le plus vite possible. J'ai bon espoir que de bonnes nouvelles seront annoncées prochainement à ce sujet.

M. Dominique Dufour. - Si Air Austral n'existait plus, ce serait une vraie catastrophe pour l'ensemble des territoires français de l'océan Indien. D'abord, parce que nous sommes un outil de projection de ces territoires : nous permettons aux voyageurs de La Réunion de se rendre dans tout l'océan Indien, et notamment à Mayotte. Ce serait une catastrophe économique : Air Austral, basée à La Réunion, emploie 1 000 personnes directement, avec un impact induit de plus de 3 000 emplois locaux.

Le PGE est complexe à obtenir, mais vital dans les circonstances actuelles. Cela dit, ce n'est qu'un prêt, qu'il faut rembourser. Le dispositif d'activité partielle est aussi très important, et il est absolument nécessaire qu'il soit prolongé jusqu'à la fin de l'année car chacun sait que la reprise du trafic sera progressive. Pour l'instant, nous subissons une gestion du trafic encadrée, voire administrée. Il serait donc anormal que nous ne puissions pas continuer à bénéficier de cette aide précieuse.

Qu'il s'agisse de fret, de trafic de passagers ou de développement du tourisme, tout est lié à la question de la quatorzaine qui est un véritable frein au voyage.

Avec La Réunion, le nombre de vols hebdomadaires a été divisé par dix, passant de plus de trente à trois. Dans les avions, le nombre de passagers est limité, pour des raisons qu'on peut comprendre, et ceux-ci sont tenus de faire une quarantaine à l'arrivée. Il est vrai que ces mesures ont protégé le territoire. Mais nous n'avons aucune visibilité sur la fin de cette mesure. C'est cela qui nous pose problème.

Le Premier ministre a dit dans sa dernière allocution que les Français devaient voyager et faire du tourisme en France et en outre-mer. On suppose qu'en juillet et en août prochain cela sera possible en métropole. Quid des outre-mer ? Pour voyager en juillet prochain, le voyageur doit acheter son billet maintenant.

J'ai entendu que l'ouverture des liaisons sur les grands axes internationaux pourrait intervenir vers le 15 juin prochain. Tant mieux, cela donne une perspective. On peut supposer que les liaisons entre la France et les États-Unis seront rouvertes, avec des protocoles de part et d'autre, passant probablement par la prise de température et le port du masque, mais probablement pas la distanciation à bord, ni une quatorzaine à l'arrivée. Cela relancera le trafic. Et je vous parle de deux destinations, la France, où 0,25 % de la population est réputée atteinte du Covid-19, et les États-Unis, avec 0,46 % de la population réputée touchée. Entre la France métropolitaine et La Réunion, les chiffres sont de 0,25 % et 0,04 %. Pourtant, il y aura probablement encore, le 15 juin, une quatorzaine. Aussi nous demandons qu'une réflexion soit menée sur ce problème, afin qu'on puisse savoir à quel moment une autre solution sera trouvée : tests au départ, couloirs sanitaires... Certes, les tests ne sont pas fiables à 100 %, mais nous ne pouvons pas nous cantonner dans une posture d'attente : il faut substituer à la quatorzaine des mesures plus fluides tout en étant respectueuses de la santé des territoires.

M. Michel Magras, président. - Lorsque nous l'avons auditionnée, la ministre nous a dit que, dans la situation de crise que nous vivons, certaines vérités avaient une durée de vie de quelques heures, voire d'un jour ! C'est une situation très difficile pour vous qui gérez sur le long terme et devez prendre des décisions importantes d'accepter cela... Pourtant, personne ne sait à quoi s'en tenir exactement.

M. Eric Kourry, président du groupe GAI. - Je voudrais insister sur le risque de disparition d'Air Antilles. Depuis sept ans, nous avons tissé un réseau avec 26 destinations qui relient nos îles à l'ensemble des Caraïbes. Nous sommes la seule compagnie à avoir autant investi pour désenclaver ces îles. Sept ans d'efforts sont en train de disparaître. Je crains que ce travail soit mis à mal par la crise et par les difficultés de reprise d'activité. Nous sommes le transporteur de la collectivité territoriale de Guyane et nous avons fait notre devoir en effectuant du fret entre Cayenne et les communes de Guyane. Mais nous ne percevons aucune compensation puisque que notre modèle est basé sur le « transporteur passager » et nous subissons d'importants coûts. C'est une situation catastrophique. Nous arrivons au bout du chemin.

M. Jean-Michel Mathieu, directeur général Caraïbes-océan Indien et Amérique latine. - Je tenais à donner quelques précisions sur le poids d'Air France dans les DROM : nous y avons plus de 500 salariés, la contribution à l'économie est de plus de 600 millions d'euros. Nous voulons continuer à assurer notre rôle dans ces économies locales. Nous sommes par ailleurs un acteur majeur en matière de cargo. Je tiens à souligner qu'Air France s'est engagé, pour toute activité cargo sur des vols classiques avec passagers, à maintenir les prix d'avant crise pour nos clients réguliers. Nous n'avons pas fait jouer le mécanisme de l'offre et de la demande : nous avons garanti une stabilité des prix malgré l'effondrement de l'offre. Nous avons également remplacé, assez rapidement, des vols passagers en vols cargo. Ce sont des opérations beaucoup plus chères et nous avons dû répercuter ce surcoût dans le prix. Cependant, même pour ces vols, les prix ont été plafonnés pour les équipements sanitaires et le fret alimentaire. Nous avons assuré pendant la crise une double mission de rapatriement des Français à l'étranger et de continuité territoriale. Nous avons, je pense, réalisé un bon équilibre entre surcoûts liés au transport cargo et jeu de l'offre et de la demande.

Mme Victoire Jasmin- Je suis stupéfaite de la méconnaissance de la diversité des territoires par nos autorités. Je compte sur les rapporteurs pour mettre en évidence ces difficultés spécifiques en termes de maillage territorial et international.

Une logique sanitaire s'est imposée dès le début. Nous n'avons pas eu en outre-mer un grand nombre de décès et beaucoup de personnes sont aujourd'hui guéries. Mais nous ne connaissons pas les conséquences pour l'avenir. S'agissant des entreprises, d'importants problèmes vont se poser. Ces difficultés seront irréversibles si elles ne sont pas anticipées. Beaucoup d'entre vous avez contracté des PGE mais vous n'êtes pas sûrs de retrouver rapidement votre clientèle à cause de la quatorzaine.

Nous avons eu hier en Guadeloupe une réunion avec le préfet, les présidents des exécutifs locaux, des EPCI et les parlementaires. Le Conseil constitutionnel a rendu une décision sur le sujet : ou bien les personnes font leur quatorzaine à domicile ou bien ils la passent dans un lieu dédié. Nous avions été alertés sur les questions économiques, et notamment sur le tourisme et le transport aérien, par le président de la FEDOM M. Jean-Pierre Philibert. Il faut permettre à l'activité économique de reprendre, c'est capital pour les emplois directs dans le secteur aérien mais aussi pour tous les emplois indirects dans nos territoires. Il faudra faire remonter toutes les doléances des compagnies aériennes. Il y a eu l'année dernière une mission d'information sur le transport aérien mais les problèmes ne se posaient pas de la même manière, les contraintes n'étaient pas les mêmes. Par ailleurs, je ne comprends pas la décision du préfet sur le refus d'autorisation de vol entre la Guadeloupe et la Martinique.

Concernant les remboursements, nous devons aussi faire de la pédagogie pour inviter les personnes à accepter des avoirs plutôt que des remboursements immédiats qui risquent de mettre encore plus en difficultés les entreprises. Il faut davantage de communication de la part du Gouvernement pour éclairer les usagers.

Mme Catherine Conconne. - Vous le savez, il m'arrive très souvent au Sénat de hurler ma douleur face aux réalités que nous vivons. Celle de la vie en outre-mer et les réponses que nous avons sont très en deçà de nos réalités. J'ai eu l'occasion, il y a quelques mois, de dire que mon territoire, la Martinique, n'était pas la France. Quel émoi cela a soulevé ! C'est tout juste si je n'avais pas cassé les bras de Marianne parce que j'avais dit cela. On a pris les choses au premier degré en disant que j'étais peut être une séparatiste. Non ! J'exprimais ma douleur ! J'exprimais le fait de dire que mon île n'est pas la France. La preuve : si un parisien aujourd'hui souhaite aller à Bordeaux ou à Marseille pour rejoindre sa famille, il va prendre le TGV ou sa voiture et y aller. Moi, si je veux aller voir un parent aujourd'hui ou si je suis cheffe d'entreprise ayant une activité en Guadeloupe, ce n'est pas possible de me déplacer.

La distorsion dans le service public qui est rendu à des compatriotes qui ne sont pas dans l'Hexagone me permet de dire que nous ne sommes pas la France. Cette réalité-là que nous vivons en ce moment avec vous a été réveillée par une crise qui aura eu au moins le petit avantage d'enlever le fard que nous mettons dans nos relations avec le pouvoir central.

Face à nos demandes, face à une réalité qui est criante, chaque année on a droit à un petit peu de poudre de perlimpinpin par-ci par-là. Nous sommes très loin des réalités. Il m'arrive tellement souvent de me demander ce que je fais là...

Face à nous, nous avons des murs d'incompréhension, des réalités qui ne sont pas abordées et j'ai presque perdu espoir qu'un jour cela sera mieux appréhendé. Avec nos propositions d'une boîte à outils adaptée aux réalités, nous passons en permanence pour des personnes qui demandent, qui réclament. Nous avons des réalités qui doivent être prises en compte. En quelques jours, il y a eu dix mille interprétations de réalités institutionnelles pour répondre à la situation de M. Kourry. Il y a des choses que je ne comprends pas. Pourquoi Air Antilles ne peut-il pas reprendre ces vols ? Quelle est la vraie raison ? Il faut laisser l'économie reprendre. Je ne comprends pas ces problèmes. Cette crise, je le répète, va être un désastre pour nos économies. Nous dépendons du tourisme, de relations qui nous obligent à voyager. Nous dépendons d'un certain nombre de réalités, avec la nécessité de surveiller, chaque année, si l'alinéa numéro tant du code des impôts ne va pas tout faire écrouler. Nous sommes épuisés de passer notre temps à tout surveiller comme le lait sur le feu pour que l'économie ne s'effondre pas du jour au lendemain. Encore une fois, si nous devons trouver un seul avantage à cette crise, c'est qu'on a pu enlever la poussière qu'on passe notre temps à mettre sous le tapis pour ne pas affronter les réalités. Je vous fais part d'une anecdote : j'ai voulu rentrer dans l'Hexagone dans les jours qui viennent car j'avais plusieurs rendez-vous programmés avec des ministères sur des sujets importants. Le billet d'avion était proposé à 8 500 euros ! Je refuse de faire un aller-retour pour Paris à ce tarif avec, en plus, une liste d'attente interminable, sans certitude de voyager. C'est inconcevable !

Je vais terminer sur une interpellation : que pouvons-nous faire pour vous de manière concrète et rapide ? Il y aura le rapport de la délégation, c'est très bien et merci pour cette initiative prise par le président. Mais là aujourd'hui, Monsieur Éric Kourry, j'ai envie de vous aider, d'écrire dans les minutes qui suivent au préfet Stanislas Cazelles, ancien conseiller outre-mer du Président Emmanuel Macron. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Je me tiens à votre disposition et je suis sûre que mon collègue sur le territoire, le sénateur Maurice Antiste, va partager ma vision, en attendant le rapport de la délégation. Je comprends les contraintes dans la mesure où il y a tellement de choses à couvrir. Que peut-on faire aujourd'hui pour vous aider, pour renforcer votre offensive et pour dire que cela ne peut pas durer ?

Plus que jamais, ces temps-là nous appellent à l'expression de nuances. La politique qui consiste à affirmer être à 100 % social ou à 100 % économique ne tient plus. Personnellement, j'ai mon coeur à gauche mais je suis très consciente des réalités économiques. Il faut comprendre que je puisse crier pour dire qu'il faut peut-être aller ouvrir les frontières afin que les professionnels du secteur touristique puissent avoir un peu d'oxygène car nous allons vers un effondrement du secteur. Si tout s'effondre, de quels budgets disposerons-nous pour payer le Pôle emploi, le RSA, tout le désastre de la non-activité qui nous coûte déjà si chère. Je me tiens à votre disposition pour ce qui concerne les problématiques liées spécifiquement à la Martinique et la liaison avec la Guadeloupe.

Nous avons une réunion hebdomadaire, chaque jeudi, avec le préfet en espérant qu'elle se tienne même si c'est férié. En tout état de cause, nous plaiderons votre cause avec détermination pour ne pas être simplement spectateur du désastre économique qui va nous tomber dessus avec des dommages collatéraux qui dureront des années, en attendant la prochaine crise.

Je vous souhaite bon courage, ne lâchez pas. De toute façon, nous sommes là à vos côtés pour passer le mauvais cap et pouvoir ouvrir de nouvelles perspectives. La réouverture d'Orly est une nécessité ! Nous ne pouvons pas priver les compagnies aériennes comme Corsair ou Air Caraïbes de vols. En ce sens, un premier courrier va être envoyé au Gouvernement pour soutenir cette ouverture d'Orly et insister à nouveau sur le fait que nous sommes déterminés à vos côtés. Nous ne devons pas être des spectateurs inactifs à regarder ce qui se fait en se tenant les bras croisés.

M. Michel Magras, président. - Merci, chère collègue pour ce plaidoyer. Je veux juste rappeler que le Sénat diffuse cette visioconférence en direct et sera également accessible en VOD a posteriori. La délégation avec les moyens qui sont les siens fait remonter toutes les informations aussi vite que possible mais il appartient également à chacun dans sa circonscription de veiller à faire remonter les besoins de nos territoires.

M. Guillaume Arnell. - Monsieur le président, chers collègues, je salue également les représentants des compagnies aériennes. Je souhaite faire quelques remarques et j'aurais ensuite une question spécifique.

En premier lieu, je souhaite affirmer l'importance du réseau régional. C'est un clin d'oeil à la fois à Bertrand Magras, à Éric Kourry et Marc Rochet puisque nos territoires sont particulièrement dépendants de cette desserte. Il faut impérativement que vous puissiez avoir les moyens de vos ambitions. Je veux simplement rappeler que par le passé nous avons eu une série de compagnies aériennes qui n'ont pas pu survivre et aujourd'hui alors que nous avons trois compagnies qui fonctionnent et assurent un service de qualité, il est impératif pour nos territoires qu'elles puissent se maintenir.

Je veux aussi attirer l'attention particulière de Monsieur Kourry. Je n'ai pas toujours été d'accord avec vous mais aujourd'hui je comprends votre colère et la partage. À ce jour, il n'est pas normal qu'il n'y ait pas de desserte des compagnies régionales sur la Martinique. Il me semble, sauf interprétation erronée de ma part, qu'il pourrait s'agir d'un excès de pouvoir de la part de notre préfet. D'ailleurs, je suis habitué à certaine prise de position de sa part. Je me tourne vers ma collègue Catherine Conconne car la situation concerne aussi le territoire de la Martinique. À moins qu'il ne s'agisse simplement d'une solidarité du corps préfectoral mais il faudrait aussi que le préfet de la Martinique fasse entendre sa voix sur cette question. Il me semble que ce n'est pas aux préfets de définir si la desserte est suffisante ou non Il faudrait peut-être, même si nous sommes en situation de crise sanitaire, que le client puisse avoir le choix de son déplacement.

Enfin, je voulais soulever une question propre au responsable Corsair pour qu'il puisse nous répondre en direct. Sauf erreur de ma part, Monsieur Bruno Le Maire a admis une aide pour Corsair mais à condition que son partenaire allemand participe également à cet effort. Qu'en est-il aujourd'hui de ce partenaire allemand ? Au départ, on nous a dit que ce partenaire ne souhaitait pas injecter des fonds en raison de la crise.

M. Antoine Karam. - Je ne souhaite pas que cette réunion se transforme en mur des lamentations. Mais force est de constater que les carences que la Délégation aux outre-mer pointe sont toujours d'actualité. Nous prêchons souvent dans le désert dans notre propre hémicycle du Sénat. Cela fait des décennies et voire plus, Catherine Conconne l'a bien dit, que nous rappelons que les outre-mer donnent à la France et à l'Europe sa dimension mondiale tant par notre espace géographique que nos espaces maritimes et terrestres. En ce qui concerne la Guyane, nous sommes victimes de trois difficultés.

Tout d'abord, l'enclavement entre la Guyane et la France hexagonale. Air Caraïbes qui nous dessert cinq à six fois par semaine pour les raisons que nous savons n'est plus en mesure de venir. Air France vient une ou deux fois par semaine. Nous sommes maintenant doublement confinés sur notre territoire.

Cerise sur le gâteau, la liaison que nous avions avec le Brésil est supprimée jusqu'à la fin de l'année puisque la seule petite compagnie, Air Azul, ne viendra pas en Guyane avant la fin de l'année.

Reste Air Guyane, consortium avec Air Antilles express. J'ai entendu le vibrant plaidoyer de mon ami Éric Kourry qui nous dit, malgré son optimisme à toute épreuve, qu'il va mourir car il s'agit d'une petite compagnie qui ne pèse pas lourd dans l'ensemble des compagnies de France hexagonale et de l'Europe. Ce sont ces compagnies qui désenclavent nos territoires. Douze communes sur vingt-quatre en Guyane n'ont pas d'accès aux autres territoires car nous ne disposons pas de route. Il faut user de la pirogue, de l'hélicoptère ou de l'avion. D'ailleurs, le président de la collectivité territoriale de Guyane vient de réquisitionner Air Guyane, dans des conditions assez rocambolesques, pour réaliser le transfert aérien deux ou trois fois par semaine. Cependant, comme ce sont des avions de petite taille, ils ne transportent que cinq ou six personnes maximum afin de respecter la distanciation sociale. Le Gouvernement doit entendre la voix de ces compagnies qui sont certes petites mais qui demeurent indispensables à la continuité territoriale et intra-territoriale. Sans cela nous allons vers une grande détresse et nous ne pourrons jamais remonter la pente.

Je tenais à dire que je partage les positions de ceux qui se sont exprimés avant moi. Il faut absolument que, fort de cette réunion et du rapport qui sera fait, nous puissions insister sur la reprise au plus vite de la continuité territoriale entre l'Hexagone et nos territoires mais aussi souligner l'importance de l'aide à nos petites compagnies qui sont en Antilles ou en Guyane pour qu'elles puissent survivre et continuer à servir les populations de nos territoires. C'est un véritable plaidoyer que je fais.

M. Michel Magras, président. - Est-ce que les représentants des compagnies aériennes souhaitent réagir ?

Mme Victoire Jasmin. - Je voulais excuser M. Victorin Lurel qui ne peut pas intervenir pour des raisons de connexion. Tous deux nous allons travailler avec M. Kourry. Nous sommes directement concernés à la Martinique puisque c'est Air Antilles qui assure les liaisons avec notre environnement caribéen. Nous devons tout faire pour protéger et sauvegarder cette compagnie.

M. Pascal de Izaguirre, président directeur général de Corsair. - Monsieur le président et vous tous parlementaires, je tenais tout particulièrement à vous remercier vivement pour l'intérêt que vous nous manifestez et votre soutien car nous avons vraiment besoin de vous. C'est normal que l'État ait aidé Air France car il y a un enjeu national, mais je crois qu'il ne faut pas oublier les autres compagnies. Chacune contribue à la vitalité économique, sociale de la métropole et des départements d'outre-mer ; nous faisons tous oeuvre d'utilité publique quand nous desservons les outre-mer. Nous maintenons un lien social, nous favorisons l'activité économique. Il n'y a pas de plan sectoriel pour le transport aérien ; il y en a un pour le tourisme, l'aéronautique, le secteur automobile... Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas réussi à nous « accrocher » aux plans sectoriels du tourisme ou de l'aéronautique. Notre situation est assez dramatique : ne volant pas, nous n'avons pas de recettes et notre avenir est sombre. Nous avons besoin d'aides de l'État comme dans les autres pays. Je crois que la survie des compagnies qui sont invitées ici est une nécessité publique.

Pour répondre à la question sur Corsair, j'ai écouté la position de M. Bruno Le Maire. C'est vrai que j'ai deux actionnaires, l'un ne fera rien et l'autre, le groupe TUI premier groupe touristique mondial est lui-même très affecté par la crise, ses activités étant arrêtées et ses hôtels étant fermés. Le groupe TUI a demandé le soutien du gouvernement allemand à travers la banque publique d'investissement allemande pour obtenir une aide 1,8 milliard d'euros qui lui a été accordée. Nous continuons à avoir des discussions difficiles avec nos actionnaires. Dans l'hypothèse où les actionnaires ne contribueraient pas, cela signifierait-il que nous ne devons pas attendre d'aides de l'État sous forme de prêt garantie ou autre ? C'est une réelle inquiétude. Je suis très honnête avec vous, le management fait tout pour pérenniser la compagnie mais on ne peut s'en sortir sans aide et on ne sait pas comment celle-ci va se débloquer. Je tenais à vous remercier toutes et tous pour l'intérêt et le soutien que vous nous manifestez. Je remercie tout particulièrement l'ensemble des parlementaires qui ont signé la pétition en faveur de Corsair.

M. Marc Rochet, président des compagnies Air Caraïbes et French bee. - Nous souhaitons tous redémarrer dans des conditions claires et transparentes. Je souhaiterais formuler comme mes autres collègues opérateurs, deux voeux. Le premier de mes voeux est celui d'une parole de l'État simplifiée et unique. On ne peut pas avoir tous les jours des responsables publics et des préfets qui se contredisent et changent de plans. On ne peut pas continuer dans cette cacophonie, elle est déstabilisante pour les clients et pour les populations. Nous sommes tous maintenant tributaires de BFM TV ou d'autres radios pour être tenu au courant des dernières annonces. Dans notre pays qui se veut de tradition de haute administration, dans notre pays d'élus, il doit y avoir une simplification et une clarté de la parole publique. J'avais cru comprendre que les propos du Premier ministre dans sa dernière intervention étaient assez précis. On s'aperçoit cependant que la cacophonie reprend. Mesdames et Messieurs les sénateurs, nous comptons sur vous.

Mon deuxième voeu, c'est l'optimisme car si nous continuons à nous faire peur, nous n'en sortirons jamais. On fera durer la crise par le stress et les restrictions diverses et variées. Il y aura des entreprises qui fermeront. Ce sont des hommes et des femmes qui vont perdre leur travail. On sait tous le rôle du transport aérien dans les outre-mer, il est indiscutable au plan économique mais surtout en raison de la possibilité offerte de se déplacer. Donc je formule le voeu d'être optimiste, de se fixer un objectif de redémarrage de nos activités avec une date précise, sachant qu'elles ne seront pas les mêmes au niveau régional et pour les long-courriers.

Ayons la vision et l'ambition de faire quelque chose qui pousse à sortir de la crise. Quand nous avons demandé à sortir de la crise pour fin juin, Madame la sénatrice l'a d'ailleurs évoqué, il s'agissait d'un horizon raisonnable. Nous souhaitons reprendre l'activité pour le 26 juin, permettre aux gens de réserver, de planifier leurs vols, de se rassurer et de baisser le niveau de stress des populations. Si la crise, d'ici le 26 juin, est repartie vers le pire des scénarios, nous ajusterons nos plans. Aujourd'hui on ne fait rien, et si on continue comme ça, rien ne redémarrera. Et là ce sera dramatique.

Donc, je formule deux voeux, d'une part, l'unicité et respect de la parole de l'autorité publique, et d'autre part, une vision d'avenir à un mois ou un mois et demie.

M. Michel Monvoisin. - Je vais être bref. Je constate que tous les opérateurs sont sur la même longueur d'onde. Je rebondis sur les paroles de mon collègue de Corsair en parlant des aides des États et tout particulièrement de l'État fédéral nord-américain qui a attribué 50 milliards de dollars pour les compagnies aériennes et 30 % de cette aide sont des subventions directes. Autrement dit nous aurons face à nous deux compagnies américaines qui desservent la Polynésie et qui auront des tarifs de « prédation » sur lesquels on ne pourra pas s'aligner. Je suppose que Marc Rochet est d'accord avec moi, lui qui est face à ces compagnies sur San Francisco. Ils ont touché des subventions et non des prêts. À nous on parle de prêts. Mme Annick Girardin a dit qu'elle nous aiderait mais on sait que le budget est à Bercy et j'espère que vous nous aiderez en convaincant Bercy. Je vous en remercie par avance.

M. Stéphane Artano, rapporteur. - Je voudrais m'adresser à Air Saint-Pierre qui évolue à Saint-Pierre-et-Miquelon dans un contexte régional nord-américain et avec l'Europe avec les vols directs entre juin et septembre entre Paris et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Au-delà de la considération de la quatorzaine qui d'après le Gouvernement va évoluer dans les semaines à venir en fonction des avis scientifiques, si on prend la baisse d'activité de 65 % sur les derniers mois, est-ce que le maintien des vols directs entre Saint-Pierre et Paris est soutenable pour la compagnie, sans soutien financier extérieur ?

Quelles seraient les conséquences financières pour Air Saint-Pierre si les vols directs avec Paris étaient suspendus cet été ? Enfin, qui doit prendre la décision de réaliser ou non ces vols directs et à quelle échéance une telle décision doit être prise pour ne pas compromettre les vols directs entre Saint-Pierre et Paris ?

M. Benoît Olano. - Notre situation est paradoxale. Comme toutes les compagnies, nous avons des difficultés financières mais le volet direct Paris Saint-Pierre fait l'objet d'une délégation de service public (DSP) séparée de notre DSP à l'international. On fonctionne sur une DSP à l'international avec 440 vols à l'année sur le Canada et une DSP avec Paris qui représente 12 vols saisonniers. Ne pas faire de vols n'aurait en réalité pas d'intérêt pour Air Saint-Pierre parce que l'économie générée serait une économie pour l'État : ce serait une subvention qu'il n'aurait pas à payer. Elle ne peut pas être reversée sur la DSP avec le Canada, où nous sommes en difficulté. L'enveloppe déjà budgétisée était de 400 à 500 000 euros. Pour nous, ce ne pourra pas être une économie.

Quant à savoir qui doit décider, c'est le Gouvernement qui impose la quatorzaine et qui doit trouver des mesures sanitaires alternatives. Dès ces mesures mises en place, c'est à lui de décider si ces vols doivent avoir lieu ou non. La décision aurait dû être déjà prise la semaine dernière. Le premier vol est prévu pour le 23 juin, c'est à dire dans un mois. Pour que les gens puissent s'organiser, il faut décider très vite.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie d'avoir exprimé votre point de vue et d'avoir proposé des solutions. J'ajouterai quelques mots en conclusion.

Je retiens plusieurs éléments de cette table ronde. Le soutien apporté par l'État n'est pas forcement adapté à nos territoires et pas toujours à la hauteur : le moratoire sur les charges n'est d'ailleurs pas la bonne solution car c'est une dette que l'on crée et que l'on doit payer un jour ou l'autre. La sortie de crise n'offre actuellement aucune lisibilité ni visibilité sur la façon de s'en sortir et la réouverture d'Orly est une nécessité absolue. Je note également que les prix dans le transport aérien seront maintenus, voire pourraient diminuer. Quant au PGE, vous l'avez tous utilisé et je n'ai pas noté dans vos interventions la frilosité des banques que nous avons l'habitude d'observer. Sur le remboursement des billets d'avion il y a de réels questionnements. Je comprends aussi que la compétition entre compagnies sera très rude. Il ne faudrait pas que la France soit la dernière à décider quand le reste du monde aura déjà pris de l'avance. Vous avez demandé que les Assises du transport aérien soient relancées car elles ont été un échec. Vous attendez également la création d'un Fonds de soutien pour les compagnies.

J'ai noté que le réseau Caraïbes est particulièrement en danger. Bien entendu je voudrais dire aussi que nous comprenons parfaitement l'aide à Air France mais nous avons toujours soutenu, en tant que sénateurs, la totalité des compagnies à l'échelon ultramarin.

Il me reste à vous dire qu'en tant que parlementaire, et je parle au nom de tous, nous avons l'habitude de faire entendre nos voix pour défendre les outre-mer.

Je voudrais vous rassurer car nous ferons au mieux pour relayer tout ce que vous avez pu nous dire et je partage l'avis selon lequel on a assisté ces derniers mois à une cacophonie avec des décisions qui manquaient de clarté. On nous explique que finalement ce ne sont pas les élus qui décident mais l'exécutif au plan national.

Je pense avoir fait le tour des sujets. N'hésitez pas à nous faire parvenir des propositions que nous pourrions défendre. La délégation veillera à rendre compte de cette réunion. Et nous ferons des préconisations sur ce qui a été dit.

Mercredi 20 mai 2020

- Présidence de M. Michel Magras, président -

Étude sur l'urgence économique en outre-mer - Audition de MM. Frédéric Lavenir, président et Matthieu Barrier, directeur adjoint du réseau de l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE)

M. Michel Magras, président. - Monsieur le président, mes chers collègues, Mesdames, Messieurs. Dans le cadre de l'étude de notre délégation sur l'urgence économique dans les outre-mer, nous accueillons cet après-midi M. Frédéric Lavenir, président de l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), accompagné de M. Matthieu Barrier, directeur adjoint du réseau, et de Mme Alice Rosado, directrice des relations institutionnelles et du plaidoyer.

Je rappelle que, pour mener cette étude, notre délégation a désigné trois rapporteurs, M. Stéphane Artano, Mmes Viviane Artigalas et Nassimah Dindar en vue de dresser un état des lieux de la situation économique des outre-mer et de formuler des propositions. Un point d'étape a été établi le 14 mai après l'audition de la ministre des outre-mer.

Nous avons commencé hier la deuxième partie de l'étude par une nouvelle série d'auditions axées sur des thématiques plus sectorielles. Nous espérons qu'elle sera aussi fructueuse que la précédente. Nous avons organisé une table ronde extrêmement dense, longue et éclairante, sur la situation très préoccupante du transport aérien, qui a réuni onze représentants de compagnies ou de syndicats aériens. La vidéo de cette table ronde est accessible en VOD sur le site du Sénat. Nous allons la diffuser largement, car il faut absolument faire remonter au Gouvernement les témoignages alarmants de ces dirigeants.

Monsieur le président, vous avez été destinataire d'une trame préparée par nos rapporteurs, auxquels je laisserai donc le soin de présenter leurs questions après mon propos introductif. Puis vous aurez la parole pour leur répondre. Nous aurons ensuite un temps d'échanges avec nos autres collègues.

Nous connaissons tous l'ADIE, dont la mission est de permettre à des personnes qui n'ont pas accès au système bancaire traditionnel ou aux aides d'une manière générale de créer leur propre entreprise grâce au microcrédit accompagné.

Votre association est très présente dans les outre-mer où elle réalise près d'un tiers de ses activités. En 2019, vous aviez l'ambitieux objectif, Monsieur le président, de doubler la part des outre-mer dans votre bilan en trois ans. Vous pourrez dresser le bilan au 20 mai 2020 alors que sévit une des plus graves crises économiques qu'ait connue notre pays. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre plaidoyer pour une relance inclusive.

L'ADIE soutient précisément les entrepreneurs à faible revenu et n'ayant pas accès au crédit bancaire dans nos territoires, qui sont parmi les plus fragiles de notre pays. Nous connaissons également l'importance que vous accordez à l'entrepreneuriat féminin dont la délégation avait salué le dynamisme dans le cadre d'un grand colloque que nous avons organisé au Sénat en 2019.

Vous avez su développer avec vos partenaires un réseau important. J'ai d'ailleurs noté dans votre plaidoyer que vous demandiez un soutien massif de l'ensemble de vos partenaires à l'ADIE. Celui-ci est indispensable pour assurer le financement des prêts d'honneur dans le cadre de la relance. M. Bertrand Willocquet, directeur du département Trois Océans de l'Agence française de développement (AFD), que nous avons auditionné le 30 avril, a salué les résultats remarquables que vous avez obtenus ces dernières années et a évoqué le soutien de l'Agence au microcrédit dans nos territoires. Face aux très grandes difficultés économiques et sociales dans lesquelles nos territoires sont plongés, nous sommes nombreux à penser que vous pouvez apporter des solutions pragmatiques et adaptées à leurs spécificités, compte tenu de leur enclavement ou leur insularité. Je cède sans plus tarder la parole à nos deux rapporteurs présents qui vont vous poser leurs questions.

M. Stéphane Artano, rapporteur. - Monsieur le président, je vous en remercie. Ma première intervention concernera les dispositifs d'urgence. J'assurerai également une seconde intervention en remplacement de Mme Nassimah Dindar qui s'excuse de ne pas pouvoir être présente parmi nous. Celle-ci concernera la stratégie d'avenir pour les outre-mer.

Tout d'abord, j'aimerais aborder avec vous trois thématiques relatives aux entreprises exclues des dispositifs d'urgence. L'ADIE soutient les entrepreneurs à faibles revenus qui n'ont pas accès au crédit bancaire. Quelles actions avez-vous engagées pour vos clients depuis le début de la crise et avec quels résultats si vous avez déjà pu en tirer des enseignements ? Quel constat faites-vous des mesures d'urgence du Gouvernement dans les outre-mer, notamment l'impact du fonds de solidarité ? Les entreprises s'étant vues refuser des prêts PGE se sont-elles tournées vers l'ADIE ? Les PME constituent l'essentiel de vos clients, soit 80 % de très petites entreprises en outre-mer. Sont-elles encore plus nombreuses dans ce contexte à vous solliciter ? Comment avez-vous adapté votre dispositif de crédit et de trésorerie à la situation de chaque territoire, dans les DROM-COM ainsi qu'en Nouvelle-Calédonie, selon les différents statuts qui existent en outre-mer ? Selon vous, comment les services de l'État et les collectivités territoriales agissent-ils sur le plan économique au niveau local dans ce contexte si particulier ?

M. Michel Magras, président. - Cher collègue, je vous remercie. Je passe la parole à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Je vous remercie d'être présent. Je souhaite vous interroger sur le redémarrage des économies. Toutes les auditions menées jusqu'à présent montrent que nous nous situons dans une phase où il est absolument vital que l'économie, quelle qu'elle soit, redémarre et particulièrement dans les territoires d'outre-mer. Dans la perspective de cette reprise économique postérieure au confinement, l'ADIE a annoncé un plan de relance en faveur des entrepreneurs individuels. Pouvez-vous en détailler les mesures, plus particulièrement pour les outre-mer ? Le secteur informel est très important à Mayotte et ce territoire demeure aujourd'hui en confinement, malgré certaines informations sur la réouverture de quelques petits commerces. Cette situation n'est pas tenable. Quelles aides pouvez-vous apporter à ces entreprises particulièrement vitales pour les populations ? Enfin, mon troisième point concerne les types d'accompagnement spécifiques que vous pouvez proposer pour aider au redémarrage des activités des personnes que vous suivez, notamment celles qui se situent sous le seuil de pauvreté.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie, chère collègue. Je redonne la parole à M. Stéphane Artano pour intervenir au nom de Mme Nassimah Dindar.

M. Stéphane Artano, rapporteur. - Je vous en remercie, Monsieur le président. Le premier sujet est le suivant. Votre action permet le soutien à la création d'entreprises. Comment envisagez-vous l'avenir des petites entreprises pour qu'elles puissent continuer à se créer, compte tenu des perspectives difficiles qui s'annoncent pour les outre-mer ? Le deuxième point concerne le domaine de la microfinance. Quelles sont les secteurs qu'il faudrait soutenir en priorité pour accompagner ces territoires ? Avez-vous notamment des propositions à exprimer au sujet de la résorption de la fracture numérique ou électronique ? Enfin, les ressources de l'ADIE sont fortement impactées par la crise. De quels types de réserves de financement disposez-vous ? Sur quels financements ou refinancements de prêts comptez-vous de la part des partenaires publics que sont l'État, Bpifrance, les régions mais également des partenaires privés que sont les banques et les assurances ?

M. Michel Magras, président. - Merci, cher collègue. Monsieur le président, je vous cède la parole pour un tour d'horizon. Vous pouvez également faire intervenir vos deux collègues si vous le souhaitez. Nous compléterons votre intervention par les questions posées au fur et à mesure de son avancée.

M. Frédéric Lavenir, président de l'ADIE. - Je vous remercie, Monsieur le président. Les questions sont très nombreuses. Je vais m'efforcer d'être bref pour laisser place à un échange. Bien évidemment, nous sommes à votre disposition aujourd'hui et ultérieurement pour vous apporter tous les éléments complémentaires qui seraient nécessaires à votre réflexion.

Vous connaissez très bien l'ADIE, les uns et les autres, comme je l'ai bien perçu à travers vos propos. Je ne vous décrirai donc pas notre association. Je souligne combien notre action est adaptée aux enjeux de la crise que nous connaissons dans la période actuelle. Nous avons accordé l'an passé un peu plus de 8 500 microcrédits dans les outre-mer, dans un contexte où la croissance et le développement de nos activités en outre-mer ont été extrêmement rapides. Je dois dire que nous avons été assez fortement soutenus par la plupart des collectivités ultramarines et par l'État. Je propose de vous donner quelques chiffres.

Nous avions accordé dans les outre-mer un peu plus de 34 millions d'euros de crédits en 2017 et près de 45 millions d'euros de crédits en 2019, ce qui témoigne d'une évolution très rapide et très forte. J'en viens à quelques éléments sur la composition des personnes que nous accompagnons en outre-mer. Elles se répartissent entre 55 % de femmes et 45 % d'hommes. La parité n'est pas atteinte, mais dans un sens inhabituel, qui est inversé. Près de 40 % de nos clients n'ont aucun diplôme, ce qui donne une indication de la typologie de cette population. 50 % des clients habitent en zone rurale, dont 10 % en terre coutumière. Nous y sommes donc très présents. 24 % résident dans les quartiers relevant de la politique de la ville. Le centrage sur les populations en situation sociale d'éloignement, et souvent d'exclusion, est extrêmement fort. Ce sont précisément ces populations qui sont fortement atteintes par la crise. Il est très facile de l'estimer à travers la composition des activités des personnes que nous accompagnons.

Dans les outre-mer, l'essentiel des activités se situe dans le secteur du commerce ambulant, les services à la personne et l'agriculture, peut-être un peu moins touchée. Il va de soi que toutes les activités liées aux transports et aux services, auxquelles j'ajouterai la restauration et l'hôtellerie qui représentent une part importante, ont été fortement impactées - et pour la plupart, pratiquement arrêtées. Cette situation est bien connue. À travers ces quelques mots généraux de présentation, je souhaite souligner combien les personnes avec lesquelles nous sommes quotidiennement en contact dans les outre-mer sont probablement parmi les plus vulnérables, et donc les plus fortement touchées par la crise. Ces propos m'amènent à commencer à répondre plus précisément aux questions qui ont été posées.

Tout d'abord, je reviendrai sur les actions que nous avons menées. La première démarche que nous avons engagée est très simple et n'est pas d'ordre technique, mais elle est évidente. Nous avons pris contact avec les entrepreneurs que nous accompagnons, nos clients. Nous les avons tous appelés et nous avons réussi à les joindre presque tous, soit 9 300 personnes dans les outre-mer. Cette démarche nous a ensuite permis d'effectuer plusieurs actions. Notre priorité réside dans le contact. Selon notre expérience en métropole et en outre-mer, les personnes en situation de solitude, d'exclusion ou de difficultés dans leur activité sont extrêmement satisfaites de recevoir un appel destiné à prendre de leurs nouvelles et à réfléchir à ce qu'il est possible de faire. Ces contacts ont parfois été réitérés, puisque nous poursuivons ces appels, engagés dès le deuxième jour de la mise en confinement. Nous avons mobilisé la totalité de nos moyens, aussi bien dans les outre-mer qu'en métropole, pour contacter les clients dès cette date.

Au-delà de ce contact humain, nous avons bien évidemment apporté davantage à nos clients, du conseil, un appui technique et opérationnel pour l'accès au dispositif d'aides publiques et de report de charges, mais aussi pour la gestion de la situation de crise. Nous avons évoqué avec eux leur situation financière et réalisé 5 500 reports d'échéances pour les crédits en cours. Nous avons mis en place un dispositif de prêts de secours destiné à couvrir des situations d'urgence de trésorerie. Enfin, nous avons poursuivi cette démarche d'accompagnement tout au long de ces deux mois, selon des rythmes adaptés à la situation de chaque territoire. Certains d'entre eux étaient entrés un peu plus tôt dans le confinement et en sont sortis plus tôt. Malheureusement, le cas de Mayotte est le plus difficile aujourd'hui, compte tenu de la virulence de l'épidémie et de la situation sanitaire. Nous poursuivons encore cette démarche à l'heure actuelle. À ce jour, à l'exception de Mayotte, toutes nos antennes d'outre-mer ont rouvert, parfois dès fin avril, ce qui est notamment le cas de l'antenne de Polynésie dont le confinement et la réouverture ont été plus précoces. Les autres agences ont rouvert en présentiel le 12 mai, à l'exception de Mayotte.

L'un des sujets que nous connaissons tous, particulièrement mis en évidence durant la crise, est la violence de la fracture numérique. Les populations exposées aux plus grandes difficultés se trouvent encore plus pénalisées durant les périodes où, pour des raisons sanitaires incontournables, le contact humain devient difficile, voire impossible. Par conséquent, le recours au digital devient une obligation. Le fait de ne pas pouvoir y accéder est un handicap supplémentaire. Conscients de ces difficultés, nous avons mis en place un dispositif qui nous permet de gérer par téléphone les procédures administratives de certaines personnes ayant des droits et qui ne sont pas en mesure de les faire valoir elles-mêmes. Par ailleurs, au-delà des mesures d'accompagnement individuel mises en place depuis deux mois pour gérer ces problématiques financières, nous avons offert aux entrepreneurs que nous accompagnons un ensemble de services de formation et de sensibilisation aux problématiques d'actualité à travers l'organisation de webinaires, de newsletters, de tutoriels et de conseils téléphoniques. L'un des enjeux concernait la manière de maintenir l'activité durant le confinement, ce qui est parfois possible, mais suppose de modifier la manière de travailler. À titre d'exemple, les personnes qui exercent des activités de petite restauration peuvent les poursuivre, même en cas de fermeture des salles. Nous avons également abordé la question de la préparation de la reprise d'activité et la gestion de la trésorerie.

Nous avons pu mettre en oeuvre ces dispositifs dans un contexte d'extrême impact de la crise. Nous avons pris note de ces échanges. Nous avons réalisé une synthèse de la situation, en particulier dans les outre-mer. Je propose de vous faire part de quelques chiffres relevés à l'occasion de ces entretiens auprès de totalité de nos 10 000 clients. Ces données concernent exclusivement les outre-mer, à la différence des chiffres figurant dans notre plaidoyer. Celui-ci est beaucoup plus large, puisqu'il concerne l'ensemble du pays.

80 % des entrepreneurs ultramarins accompagnés par l'ADIE ont dû cesser totalement leur activité. Les baisses de chiffre d'affaires sont massives, aussi bien aux Antilles qu'en Guyane, à La Réunion ou à Mayotte. Cette tendance est un peu moins accentuée en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. À ce jour, nous ne disposons pas d'implantation à Saint-Pierre-et-Miquelon. Suite à la mission menée sur ce territoire, nous avons prévu d'y ouvrir l'accès au crédit à distance, mais ce dispositif n'est pas encore mis en place.

Je précise que le travail de synthèse des entretiens a été mené jusqu'à la fin du mois de mars ou au début du mois d'avril. À cette époque, 42 % des entrepreneurs interrogés ne pensaient pas avoir accès au fonds de solidarité. Je ne suis pas à même d'actualiser ce chiffre, car nous n'avons pas réalisé de nouvelle synthèse. Toutefois, je ne pense pas me tromper en affirmant que ce nombre de personnes exclues des dispositifs s'est très fortement réduit pendant le mois d'avril. Ce constat concerne les outre-mer et la métropole, sous la très forte réserve du travail informel. Pour les entrepreneurs, le dispositif du fonds de solidarité a bénéficié de deux extensions successives courant avril et début mai. De nombreux entrepreneurs sont passés à côté de l'échéance du mois de mars. En revanche, les droits ont été élargis le mois suivant de manière tout à fait satisfaisante. Désormais, la couverture théorique et réelle du fonds de garantie est relativement satisfaisante. La grande majorité des très petites entreprises est couverte, ce qui n'était pas le cas au début du mois d'avril.

Toutefois, il convient d'exprimer un certain nombre de réserves. D'une part, le secteur informel, auprès duquel nous sommes très présents, est un enjeu majeur. D'autre part, le droit théorique n'est pas le droit réel. Les personnes qui ne sont pas à l'aise avec l'outil digital en raison de problématiques de réseau, d'équipements ou d'usage rencontrent des difficultés d'accès au droit, car elles ne sont pas en mesure de gérer des procédures, même simples, sur Internet. Cette fracture numérique est donc la deuxième grande limite. Enfin, les aides du fonds de solidarité ont été calibrées de façon à permettre de vivre pendant la période de confinement, durant laquelle le revenu s'est brutalement interrompu. Le fonds de solidarité a permis de payer les charges qui n'ont pas été annulées, reportées ou annulées, et tout simplement de vivre. En revanche, ce dispositif n'est pas formaté pour permettre le redémarrage. Il s'agit du grand sujet sur lequel nous devons engager des échanges.

Je propose également de vous dire quelques mots sur le PGE. Nos clients en sont généralement très éloignés. Plus de la moitié des personnes qui ont répondu à notre étude n'en connaissaient même pas l'existence. Pour l'autre moitié, la quasi-totalité n'avait pas accès de facto à ce dispositif, puisque 70 % des personnes qui connaissaient ce prêt se sont vus opposer un refus par leur banquier. Sans doute certaines d'entre elles devraient avoir accès à ce dispositif. Pour autant, je crois que l'on ne peut pas reprocher au PGE de ne pas servir à un usage pour lequel il n'est pas fait. C'est au microcrédit de faire ce travail. Cela valait pour la période d'urgence, même s'il ne s'agissait pas du sujet prioritaire, et cela vaudra pour la période de relance. Il ne faut pas chercher à utiliser un outil adapté aux PME, aux petites entreprises et aux entreprises de taille variable à des travailleurs indépendants et des micro-entrepreneurs pour des raisons opérationnelles, administratives et pratiques. Le dispositif n'est pas calibré pour cet usage. En sens inverse, s'il était adapté à cet usage, il serait beaucoup moins adapté aux PME, aux petites entreprises et aux entreprises de taille variable qui ont également besoin d'être soutenues. En tout cas, le PGE a très peu concerné nos clients. En métropole, 6 à 7 % de nos clients en ont bénéficié.

M. Matthieu Barrier, directeur adjoint du réseau. - Ce taux avoisine 7 % dans les outre-mer.

M. Frédéric Lavenir. - C'est donc marginal. Par ailleurs, je crois avoir déjà répondu en partie à la question de l'adaptation du dispositif de l'ADIE. Nous nous sommes rapprochés plus que jamais de nos clients. Nous sommes reconnus pour notre proximité avec eux et l'accompagnement individuel que nous assurons en matière de formation et de conseil. Celui-ci est toujours apprécié. En tout cas, nous y apportons une très grande attention. Notre capacité à financer des activités de très petite taille, hors normes, et des personnes hors système est également reconnue. Nous avons donc mis en oeuvre notre savoir-faire, mais nous sommes allés plus loin que d'habitude à la rencontre des entrepreneurs. Nous les avons appelés et nous sommes allés à leur contact. Habituellement, nous menons cette démarche lors du lancement de projets, mais elle s'inscrit dans une relation bilatérale où les clients sont proactifs. En l'occurrence, nous sommes allés chercher les clients, ce qui constitue la principale innovation, indépendamment de l'adaptation de notre offre financière au travers des rééchelonnements systématiques sur demande et des prêts de trésorerie. Enfin, nous avons mis en place un dispositif destiné à la relance. Celui-ci ne concerne plus la période de crise sanitaire et de confinement durant laquelle les activités étaient arrêtées. Son objectif consiste à regarder l'avenir et nous interroger sur les actions à entreprendre. D'un côté, les clients touchés violemment par cette crise doivent pouvoir repartir. De l'autre, nous devons continuer à susciter des créations d'activités dans des économies qui, très probablement, seront globalement impactées par la crise économique issue de l'épidémie.

Votre deuxième préoccupation concerne le redémarrage des économies. Pour les entrepreneurs, il s'agit d'un sujet personnel avant même d'être un sujet macroéconomique. Nous sommes frappés par leur anxiété lors de nos échanges. Ils ont pu survivre grâce au fonds de solidarité et aux différents dispositifs de report de charges. Nous les avons aidés modestement en leur proposant un accompagnement pour tenir durant cette période, mais ils sont angoissés par l'avenir. D'une part, leur activité est bien souvent un projet de vie dans lequel ils se sont énormément investis. Le fait qu'elle soit brisée est extrêmement douloureux. D'autre part, le redémarrage est dans la plupart des cas une nouvelle création sur le plan économique. Il n'y a plus de clients, plus de stock, plus d'essence dans le réservoir.

Ces entrepreneurs doivent recommencer à zéro, même si cela n'est pas tout à fait zéro, puisqu'ils font face au passif psychologique de la crise ainsi qu'au passif financier des dettes qui n'ont pas systématiquement été reportées, et encore moins annulées. Il peut s'agir de dettes de loyer, de dettes résultant d'un crédit ou encore de dettes d'électricité. Ce passif fait la différence avec la création à partir de zéro. Enfin, la plupart de ces entreprises ont été créées dans le contexte macroéconomique d'avant la crise. Il va falloir repartir dans un contexte plus difficile, plus heurté. Les contraintes sanitaires vont engendrer des coûts supplémentaires pour ces très petites activités. Dans de nombreux cas, le redémarrage est une épreuve et un obstacle que beaucoup ont le sentiment de ne pas être en mesure de franchir. En tout cas, ils pensent ne pas pouvoir y parvenir seuls.

Le plan de relance repose sur l'ADIE et ses partenaires, qu'il s'agisse de collectivités, de partenaires bancaires ou d'entreprises, et sur l'action publique de l'État et des territoires dont les actions à caractère universel ne sont pas spécifiquement liées à tel ou tel réseau. L'ADIE a immédiatement mis en place un dispositif de relance au travers d'une offre d'accompagnement dédiée, qui correspond au prolongement et à la poursuite d'un effort de présence individuelle. Notre association a également institué un dispositif de conseils adaptés à la période que nous connaissons. Ceux-ci concernent la réorientation du modèle économique dans un contexte de confinement, la relance et l'adaptation de l'offre financière. Ce redémarrage d'activité est effectué avec un passif. Certes, l'ADIE peut faire bénéficier les entrepreneurs de microcrédits, mais ils doivent pouvoir le rembourser en évitant le risque de surendettement. Par conséquent, la question centrale est celle des fonds propres.

Lorsqu'un entrepreneur doit redémarrer son activité avec un passif, il doit remettre les compteurs à zéro et avoir les moyens de repartir grâce aux fonds propres ou aux quasi fonds propres. Nous sommes en mesure d'apporter ces quasi fonds propres pour autant que nous puissions nous appuyer sur des partenariats avec les collectivités territoriales. Dans notre langage et celui des personnes que nous accompagnons, il s'agit de prêts d'honneur : des prêts à taux zéro, sans intérêts et sans garantie, faisant l'objet d'un important différé de remboursement qui permet de disposer pendant toute la période de redémarrage de fonds qui ne seront pas remboursables et permettront de gérer la reprise. Sur ces fonds propres, en fonction de la situation financière de chacun, vient se greffer du microcrédit qui permet de compléter le plan de financement pour le redémarrage de l'activité. Nous avons besoin de l'appui de nos partenaires pour mettre en place ces prêts d'honneur. Il s'agit de la première demande que nous formulons.

Nous avons mis en place un prêt d'honneur de relance dont le montant peut atteindre 10 000 euros et dont le remboursement est différé de vingt-quatre mois. Cette mise de fonds sans intérêts et sans garantie permet de borner la période de redémarrage. Nous avons évalué à environ 23 millions d'euros nos besoins pour le financement des entrepreneurs ultramarins qui nous sollicitent. Il s'agit d'une estimation, puisque nous sommes au début du processus. Il n'est pas exclu que ce montant soit plus important, ce qui serait positif puisqu'il serait synonyme d'une forte relance, mais il n'est pas exclu qu'il soit finalement inférieur à cette estimation. Nous avons adressé des demandes de participation à ce fonds aux collectivités territoriales ainsi qu'au ministère des outre-mer, avec lequel nous avons engagé des discussions depuis quelques semaines, mais également à l'AFD et, plus largement, à nos partenaires bancaires. Ce périmètre est plus large que les outre-mer qui pourront bien sûr bénéficier de la collecte. Certains partenaires ont d'ores et déjà commencé à y contribuer. Une partie de leur contribution sera consacrée aux outre-mer.

M. Matthieu Barrier. - Nous avons déjà obtenu un accord de Saint-Martin, pour un montant de 500 000 euros. Nous y démarrons notre activité. Nous avons peu de clients, mais ces ressources vont nous permettre d'accorder un prêt d'honneur à tous ceux qui en ont besoin et, le cas échéant, de traiter les demandes d'entrepreneurs qui auraient des difficultés lors du redémarrage. Nous disposons également d'autres pistes intéressantes, même si aucun accord n'est encore bouclé. Nous avons de bonnes nouvelles en Martinique. Nous espérons pouvoir les confirmer bientôt. En Guadeloupe, nous avons eu des échanges avec M. Olivier Serva, président de la délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale. Les collectivités territoriales sont conscientes que le tissu des toutes petites entreprises est encore plus vital dans chacune des régions d'outre-mer qu'en métropole. Nous ne pouvons pas laisser ces 12 000 personnes de côté. Si elles devaient cesser leur activité, elles n'auraient d'autre solution que de s'inscrire au chômage, voire au RSA, ce qui aurait un coût social énorme pour ces régions. Nous avons eu des échanges très précieux avec nos partenaires et nous espérons pouvoir doter ce fonds pour atteindre 23 millions d'euros, ce qui représente une partie des besoins de nos créateurs d'entreprises, selon une hypothèse plutôt basse.

Tout appui est bienvenu. Aller jusqu'au bout est toujours un défi. Nous avons conscience des difficultés de la situation et de l'importance de la relance dans les outre-mer.

M. Frédéric Lavenir. - Je propose maintenant d'aborder le secteur informel dont vous avez mentionné les difficultés particulières. Traditionnellement, il ne fait pas partie du périmètre des droits ouverts dans le cadre des politiques publiques. À cet égard, l'ADIE a pris une large avance. Depuis toujours, nous rencontrons dans les banlieues et les campagnes de métropole ou d'outre-mer de très nombreux entrepreneurs qui, pour toutes sortes de raisons, ne s'inscrivent pas dans un univers formalisé. Cette situation est très fréquente dans les outre-mer. Si nous avions exclu toute intervention auprès de ces entrepreneurs, nous aurions éliminé un grand nombre de situations qui relèvent de nos missions. Nous avons toujours suivi des logiques d'accompagnement en accordant des financements avant la formalisation. Nous avons assumé depuis très longtemps notre capacité à financer les personnes en situation non déclarée afin de les accompagner progressivement vers la formalisation, qui est à la fois un devoir et une opportunité. Elle ouvre en effet la possibilité de développer les activités, d'accroître le niveau des revenus et de créer un potentiel de croissance qui ne serait pas envisageable dans le cadre informel.

Notre longue expérience nous amène à être particulièrement sensibles à ces enjeux. D'une certaine manière, cela tombe bien. Il y a quelques mois, nous avons été retenus par le programme « 100 % Inclusion » (PIC) pour gérer un projet que nous avons intitulé « Tremplin », avec l'appui des subventions de l'État. Nous l'avons structuré à partir de notre expérience. Ce projet consiste à accompagner des travailleurs indépendants en situation non déclarée vers l'immatriculation et l'entrée dans le secteur formel. Cette démarche est antérieure à l'épidémie. À notre connaissance, l'État assume pour la première fois de financer un programme destiné à soutenir des acteurs en situation informelle. Pour nous, il s'agit d'une grande victoire et d'une grande joie. La réalité est enfin considérée telle qu'elle est, et non pas telle qu'elle devrait être.

Le programme Tremplin, déjà financé avant l'épidémie, concerne un certain nombre de territoires en métropole comme en outre-mer. La Martinique, la Guadeloupe et Mayotte figurant parmi les territoires sélectionnés. Notre objectif dans le cadre du programme consiste à former plus de 700 personnes en deux ans sur les territoires d'expérimentation et à atteindre un taux de 40 % d'immatriculations au terme du parcours. Dans les territoires ultramarins, l'objectif porte sur 450 personnes. Le démarrage était prévu en septembre prochain. Nous avons mobilisé les agences dans les territoires concernés, dont deux agences à Mayotte ainsi qu'une permanence hebdomadaire. À Mayotte, cette organisation est déjà définie. J'espère que la sortie du confinement interviendra suffisamment tôt pour que le projet puisse démarrer comme prévu en septembre. Même s'il est décalé, nous sommes déjà dans cette logique.

Pour autant, cela n'est pas suffisant. Seuls quelques territoires ont été sélectionnés. Le dispositif, même s'il est subventionné par l'État, ne comporte pas de prime au départ alors que cela nous paraît nécessaire pour maximiser les chances des bénéficiaires. Nous militons pour tirer profit de cette période de crise et de la nécessité du redémarrage des activités pour accélérer et renforcer le programme de sortie de l'informel. Nous souhaitons son extension aux territoires qui ne sont pas concernés par le programme Tremplin et la création d'une prime au démarrage. Cela se vérifie particulièrement dans les outre-mer. Les personnes éligibles à cette prime seraient celles qui relèvent du secteur informel et qui accepteraient l'accompagnement vers le secteur formel dans le cadre du programme. Nous pourrons vous en communiquer le contenu.

Sur le plan juridique, l'absence de statut d'autoentrepreneur à Mayotte a posé problème. Fort heureusement, ce statut est instauré depuis un mois, ce qui constitue un grand progrès et permettra d'optimiser un certain nombre de démarches. Des droits sociaux pourraient également être ouverts, mais ce sujet est beaucoup plus vaste.

Vous avez soulevé la question de l'accompagnement spécifique des personnes se situant sous le seuil de pauvreté. J'ai déjà détaillé au cours de cette présentation l'essentiel de nos missions. Les personnes dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté ne font l'objet d'aucun dispositif spécifique, car ce sont les missions mêmes de l'ADIE que d'accompagner ces personnes. En métropole, cette situation concerne la moitié de nos clients au moment où ils rejoignent l'ADIE. Dans les outre-mer, cette proportion doit être supérieure et avoisiner peut-être 70 ou 80 %.

M. Matthieu Barrier. - Je confirme que ce taux est nettement supérieur à celui de l'hexagone.

M. Frédéric Lavenir. - Au total, la plupart de nos clients sont situés sous le seuil de pauvreté. Les actions de l'ADIE ne sont pas absolument corrélées au seuil de pauvreté. En revanche, elles sont relativement liées à cet aspect. C'est à l'égard des personnes confrontées aux plus grandes difficultés que notre action d'accompagnement est la plus importante. Nous renforçons notre accompagnement auprès des personnes qui ont des difficultés avec l'écrit, par exemple. J'ai d'ailleurs évoqué tout à l'heure la problématique de la fracture numérique.

M. Matthieu Barrier. - Ces personnes sont également celles qui relèvent du secteur informel. Il existe un lien avec le niveau de formation et la capacité à se repérer dans l'environnement administratif. Ces personnes sont souvent issues d'une immigration plus ou moins récente aux Antilles et en Guyane. Elles rencontrent des difficultés de non-accès au dispositif d'aides sociales. Elles ont tendance à rester de façon persistante dans le secteur informel, où elles exercent des activités intracommunautaires. Il ne s'agit pas de professionnels du travail au noir, mais de personnes qui n'arrivent pas à passer le cap pour structurer une activité. Dans 100 % des cas, elles se situent sous le seuil de pauvreté.

M. Frédéric Lavenir. - J'ai proposé de vous envoyer des informations détaillées sur le programme Tremplin, qui comprend une dimension d'accompagnement très importante dans le domaine que Matthieu Barrier vient d'évoquer. Il est structuré de façon à permettre à ce public d'être plus à l'aise avec l'écrit, les chiffres et les procédures administratives.

J'en viens à la responsabilité de la puissance publique dans le plan de relance. Au-delà de l'accompagnement sous la forme du microcrédit, des prêts d'honneur et des quasi-fonds propres menés par l'ADIE, il est indispensable de doter les entrepreneurs de véritables fonds propres. La mise en place d'un dispositif de primes de relance permettrait à la plupart des personnes concernées de sortir des situations difficiles. Il s'agit du coeur de notre plaidoyer pour une relance inclusive.

Les personnes dont nous parlons en outre-mer comme en métropole n'ont pas accès aux prêts participatifs et aux fonds propres que Bpifrance va probablement chercher à susciter dans les fonds de gestion. Ces dispositifs sont absolument hors champ. La seule manière d'apporter des fonds propres à ces travailleurs indépendants à faibles revenus, tout particulièrement dans les outre-mer, consiste à leur accorder une prime de relance, qui constitue la finalisation logique du fonds de solidarité. À la suite de certains ajustements, ce dernier a pu couvrir les besoins de survie des travailleurs indépendants durant la période du confinement. Toutefois, leur activité ne redémarre pas le jour de la sortie du confinement. Ils n'ont pas droit de percevoir des allocations chômage et n'ont pas d'épargne. À la différence des salariés qui peuvent bénéficier du chômage partiel ou ont la possibilité de retrouver leur emploi, ils ne possèdent rien et ont besoin de moyens de vivre le temps de relancer leur activité. Ils ont des dettes à payer et doivent racheter des stocks. Ils ont besoin de faire le plein d'essence et de retrouver des clients. Or ils n'auront pas de clients durant la première semaine, et quelques clients seulement durant les semaines suivantes. Il faut donc pouvoir leur apporter des financements durant cette période.

L'arrêt brutal du fonds de solidarité à l'issue du confinement est un non-sens pour les non-salariés et pour les travailleurs indépendants, particulièrement dans les outre-mer où se concentrent les situations les plus délicates. Nous plaidons avec conviction pour la nécessité absolue de prolonger le fonds de solidarité pour les travailleurs indépendants à faibles revenus, même s'il ne s'agit pas de couvrir la totalité de cette population, puisque certaines personnes ont de l'épargne. Nous avons proposé que cette prolongation porte sur un montant de 3 000 euros. Il reste probablement à préciser les conditions de revenus et de chiffre d'affaires maximal des bénéficiaires.

Concernant la formalisation des activités, la prolongation du dispositif pourrait être conçue de telle sorte que les personnes en situation informelle puissent bénéficier du programme spécifique. Il faut pouvoir donner droit à cette aide à toutes les personnes du secteur informel qui le justifient. Ce dispositif est équitable, socialement efficace. Cette crise dramatique aura permis de leur donner l'opportunité d'intégrer le secteur formel.

Votre troisième point concerne les stratégies d'avenir. Outre le plan de relance déjà évoqué, je propose d'aborder la question de l'accompagnement aux nouvelles créations d'activité. À cet égard, nous pouvons formuler un certain nombre de propositions à caractère général ainsi qu'une proposition spécifique aux outre-mer. Parmi les propositions à caractère général, citons le rétablissement de l'ACRE (Aide aux créateurs et repreneurs d'entreprise). Le Gouvernement a décidé de supprimer le régime spécifique d'exonérations dégressives de cotisations sociales sur trois ans dont bénéficiaient les micro-entrepreneurs. Nous nous sommes opposés à cette décision. Jusqu'à fin 2018, ce dispositif était réservé aux créateurs d'entreprises éloignés de l'emploi. Nous n'avions jamais demandé son élargissement. Il a été élargi, puis la rigueur budgétaire a conduit le gouvernement à le réduire. Le rétablissement de ce système nous paraît nécessaire pour relancer la création d'entreprises.

Par ailleurs, nous nous exprimons en faveur d'un pacte pour l'inclusion par le travail indépendant, une relance inclusive, qui permettra de financer son développement. Enfin, je souhaite évoquer une problématique spécifique aux régions d'outre-mer. En octobre 2019, le président de la République a annoncé à La Réunion que le plafond du microcrédit, actuellement fixé à 12 000 euros, serait porté à 15 000 euros dans l'ensemble des outre-mer, comme il l'a été à titre expérimental et avec succès à Mayotte. Aujourd'hui, 20 % des prêts à Mayotte concernent des montants de 12 000 à 15 000 euros. Un cinquième des entreprises auxquelles nous apportons un soutien financier n'auraient pas pu être créées si ce plafond dérogatoire de 15 000 euros n'avait pas été institué. Cela permet d'appréhender les possibilités qu'ouvrirait l'augmentation du plafond dans tous les territoires d'outre-mer en dehors de Mayotte. Le président de la République l'a annoncé en octobre 2019. Nous sommes en mai 2020, et ce dispositif n'est toujours pas mis en place. Il s'agit d'une anomalie administrative dont nous pouvons craindre qu'elle perdure longtemps. Si nous voulons faciliter la création de nouvelles entreprises, il faut appliquer cette décision.

L'ADIE est elle-même fortement impactée par la crise. L'association est financièrement robuste. Elle a été gérée prudemment et n'a pas besoin de demander aux pouvoirs publics des aides d'urgence. Elle est en mesure d'assumer ses missions et de faire face à cette situation. En revanche, ses besoins sont considérables pour l'avenir. Le coût du risque, qui se traduit par le nombre de défauts de paiement va fortement s'accroître dans les outre-mer comme en métropole. Notre activité sera fortement réduite par rapport aux prévisions initiales. Les revenus d'autofinancement vont diminuer. Enfin, les mesures d'accompagnement ont un coût. En conséquence, l'ADIE va consommer ses réserves durant les deux années à venir. En termes de fonctionnement, elle aura besoin de l'appui des collectivités. Nous pourrons assurer nos missions et pérenniser notre accompagnement à condition de bénéficier de cet appui de la part de nos partenaires, tout particulièrement dans les outre-mer au-delà du financement des fonds de prêts d'honneur, qui relève de l'urgence.

Enfin, vous vous interrogez sur les secteurs à soutenir. Il ne nous semble pas pertinent d'en dresser la liste précise. Nos clients relèvent de toutes sortes de secteurs : le commerce, l'artisanat, l'agriculture, la restauration, l'hôtellerie et les transports... Ils sont représentés dans les régions d'outre-mer à des degrés divers. Presque tous ces secteurs ont été impactés par la crise. Au-delà de l'approche sectorielle, nous devons mener une approche sociale et porter toute l'attention nécessaire à la spécificité des besoins de ces populations. Nous avons longuement évoqué l'adaptation des produits financiers et la capacité à les proposer de façon proactive aux personnes qui en ont besoin sans nous contenter de les mettre à disposition derrière un guichet.

J'espère avoir répondu à vos interrogations. Nous sommes à votre disposition pour répondre à d'autres questions que cette présentation générale pourrait laisser ouvertes.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie, Monsieur le président, pour cette présentation précise et rigoureuse. Vous avez expliqué de façon très pédagogique vos missions auprès des personnes les plus vulnérables et votre désir de les accompagner Vous avez longuement évoqué le fonds de solidarité. La première version du dispositif nous avait également alertés. Nous sommes nombreux à être montés au créneau car en l'absence de modification, 80 % des entreprises ultramarines n'auraient pas été éligibles au deuxième volet du fonds de solidarité. Vous avez également fait part d'une proposition de moratoire sur les charges. Ce dispositif n'est pas la meilleure solution puisqu'un moratoire reste un endettement qu'il faut rembourser tôt ou tard. Enfin, j'ai bien noté votre programme Tremplin. Certains collègues souhaitent peut-être prendre la parole.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - L'assouplissement du fonds de solidarité est-il rétroactif ?

M. Frédéric Lavenir. - Ceux qui étaient exclus au mois de mars n'ont pas perçu la somme de façon rétroactive.

Mme Alice Rosado, directrice des relations institutionnelles et du plaidoyer. - Les calendriers de demande de l'aide ne permettaient pas de la solliciter de façon rétroactive.

Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Nous avions exprimé cette demande au sein de la commission des Affaires économiques, mais nous n'avons pas été entendus. Par ailleurs, vous avez évoqué l'angoisse des petits entrepreneurs par rapport au redémarrage. Avez-vous de la visibilité sur le nombre de clients qui pourraient ne pas redémarrer leur activité dans les outre-mer ?

M. Frédéric Lavenir. - Je peux répondre à cette question au travers des quelques éléments que je vous ai communiqués.

M. Matthieu Barrier. - Pour l'instant, ces personnes ne sont pas dans une situation extrême de radiation de leur activité. Celles qui ont complètement arrêté leur activité sont peu nombreuses. La plupart espèrent la redémarrer. Nos équipes de salariés et de bénévoles poursuivent leurs démarches téléphoniques auprès de cette population de 12 000 personnes. Nous pouvons mettre en place des outils financiers dans l'attente d'éventuelles dotations du fonds et proposer des prêts de relance aux clients qui s'affirment capables de redémarrer leur activité, mais qui ont besoin de 3 000 euros pour reconstituer leurs stocks. Ces processus d'intervention sont très rapides, mais si l'enveloppe de 23 millions d'euros n'est pas distribuée en septembre, il sera trop tard. Nous en avons besoin dès à présent.

Près de 50 % des clients ne savent pas encore à quoi s'en tenir et restent encore sous l'effet de la sidération. J'ai ainsi dialogué avec une personne dont l'activité concerne la réparation de hottes pour les restaurants, dont la date de reprise n'est pas encore fixée. Dès lors que les restaurateurs auront repris leur activité, ils ne vont pas accorder la priorité à ce type de travaux, puisqu'ils vont devoir reconstituer leur trésorerie. Nous allons donc aider cette personne à envisager le développement de services spécifiques lui permettant de générer immédiatement du chiffre d'affaires. Nous allons trouver des solutions pour la réorientation temporaire de son activité. Si cette personne a besoin de matériel spécifique pour se lancer dans la réparation de chaudières, par exemple, nous étudierons son besoin de financement. Pour l'instant, les entrepreneurs n'ont pas baissé les bras. Ils ont l'espoir qu'avec la fin du confinement, leur activité pourra être relancée. Une grande partie des personnes que nous accompagnons, et tout particulièrement dans les régions d'outre-mer, ont très peu d'alternatives et vont rechercher une solution. Notre priorité consiste à les contacter pour connaître leur situation durant ces premières semaines de sortie du confinement. Nous espérons « limiter la casse ».

Enfin, je souhaite donner une note positive. La capacité de résilience de ces populations est peut-être un peu plus importante dans les régions d'outre-mer. Elles ont besoin d'être accompagnées et soutenues financièrement pour y parvenir et ont déjà vécu des périodes de blocage économique et social pendant plusieurs semaines, notamment à Mayotte. Nous avions d'ailleurs obtenu un soutien financier très rapide de l'État et de la Caisse des dépôts, ce qui a permis aux bénéficiaires de redémarrer leur activité et de rembourser leurs prêts un an plus tard. Nous sommes persuadés qu'il est possible d'éviter la catastrophe.

M. Frédéric Lavenir. - Pour ces entrepreneurs qui ont beaucoup d'énergie et peu d'alternatives, l'instant de vérité aura lieu dans quelques semaines ou quelques mois. Ils sont nombreux à devoir faire évoluer leur modèle et rechercher d'autres clients particuliers pour redévelopper leur activité. Cependant, cette démarche prendra du temps et nécessitera des investissements, dans la création d'un site Internet par exemple. Une fois ces investissements chiffrés, un certain nombre d'entrepreneurs n'auront pas d'autre solution que de trouver des fonds propres et des prêts d'honneur, mais pourraient y renoncer s'ils sont confrontés à des difficultés - non liées à des liquidations ou des faillites, mais au non-redémarrage des activités. Il faudra quelques semaines ou quelques mois pour évaluer la capacité des nouvelles entreprises à générer un revenu suffisant. Je rappelle que de nombreux clients percevaient les minima sociaux et, dans certains cas, sont encore en partie dans cette situation. Ils n'ont pas envie de baisser les bras, mais s'ils ne sont pas soutenus, ils finiront par se heurter à la réalité. Il faut absolument éviter cette situation.

M. Michel Magras, président. - Je vous remercie pour cette intervention. Je souscris à votre propos sur la résilience des populations dans les territoires d'outre-mer. Elle caractérise nos vies d'îliens qui ont connu des cyclones, des tremblements de terre, de grands épisodes de grève et qui ont, à chaque fois, à faire redémarrer l'économie. Toutefois, la situation actuelle est exceptionnelle, et même inédite. Il faudra mobiliser tous les moyens et votre action est indispensable.

M. Dominique Théophile. - Lors de la dernière rencontre avec Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer, au mois de septembre, nous avons évoqué le projet Sprinter qui prévoit de doubler l'activité de l'ADIE en outre-mer afin d'atteindre 15 000 bénéficiaires en 2022. L'épidémie va-t-elle modifier l'enveloppe de 1,8 million d'euros annoncée lors de la signature du plan ainsi que le contenu du projet ?

M. Frédéric Lavenir. - Il est probable que le Covid-19 aura un impact sur le calendrier de nos réalisations. Certaines d'entre elles n'ont pas pu être mises en oeuvre et seront décalées. Nos ambitions sont maintenues, même si certains rééchelonnements sont nécessaires. Il n'y a pas de raisons que le projet soit plus coûteux. En revanche, la crise nous conduit à réaliser des interventions qualitatives imprévues auprès de nos clients. Elle a un impact sur notre modèle économique. Les besoins de nos clients se sont accrus depuis l'épidémie. Dans ce contexte, nous aurons nous-mêmes des besoins supplémentaires en outre-mer.

M. Matthieu Barrier. - Le montant de 1,8 million d'euros accordé il y a un an par le ministère des outre-mer constitue la première tranche d'un plan de doublement de l'activité du microcrédit sur trois ans. Nous devrions retomber sur nos pieds durant cette période, durant laquelle nous prévoyons une très forte demande et une très forte activité. Nous mobilisons notre réseau d'outre-mer pour compenser ces deux mois de crise. Nous finalisons actuellement le deuxième volet de cette convention. Les aides du ministère des outre-mer à l'ADIE représentent un montant global de 3,3 millions d'euros. Le planning prévu est maintenu. La signature de la convention devrait intervenir dans les jours à venir. Le ministère nous a assuré de son soutien dans les termes prévus avant la crise. Ce plan nécessitera des recrutements et des formations que nous n'avons pas pu mettre en oeuvre au cours des deux derniers mois. Enfin, nous avons sollicité la participation du ministère des outre-mer à l'enveloppe globale de 23 millions d'euros dont nous avons besoin pour financer le plan de relance.

M. Michel Magras, président. - Avant cette audition, j'ai eu l'occasion de discuter avec les services du ministère des outre-mer à propos de certains amendements. Sans vouloir prendre position sur la politique du Gouvernement, celui-ci semble tenté de reporter les calendriers prévus dans tous les secteurs. La semaine prochaine nous organiserons une table ronde relative au bâtiment et au logement social, secteurs pour lesquels nous avons besoin d'engagements précis.

Il me reste à vous exprimer tous mes remerciements pour la qualité de ces échanges. Votre rôle dans les outre-mer est crucial. Nous sommes conscients du travail considérable que vous réalisez. Sachez que vous pouvez compter sur notre soutien. Nous serons à votre écoute pour vous aider à disposer des moyens de poursuivre votre travail remarquable.

M. Frédéric Lavenir. - Je vous remercie, Monsieur le président.