Mardi 23 mars 2021

- Présidence de M. Bernard Jomier, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Audition de représentants d'institutions culturelles internationales demeurées ouvertes

M. Bernard Jomier, président. - Pour nous permettre de formuler des préconisations pertinentes, il nous a paru utile d'observer les mesures qui ont été prises par nos voisins européens à titre de comparaison. Dans un certain nombre de pays, les établissements culturels ont été autorisés à rouvrir leurs portes sous certaines conditions. Nous recevons ce matin des représentants d'institutions culturelles étrangères concernées par ce type de mesures, qu'il s'agisse de salles de spectacles ou de musées : Mme Sarah Bastien, directeur général administratif des six musées de la ville de Gand ; M. Sylvain Bellenger, directeur général du Museo e Real Bosco di Capodimonte à Naples ; M. Aviel Cahn, directeur général du Grand Théâtre de Genève, et vice-président de l'organisation professionnelle des compagnies et festivals d'opéra d'Europe, Opera Europa ; M. Alexandre Chevalier, archéologue préhistorien au muséum des sciences naturelles de Belgique, président de la section belge du Conseil international des musées (ICOM) ; et M. Joan Matabosch, directeur artistique du Teatro Real de Madrid.

Participe également à cette table ronde Mme la professeure Constance Delaugerre, virologue, cheffe de service à l'hôpital Saint-Louis à Paris, qui supervise le concert test qui devrait être organisé à l'AccorHotels Arena à Paris dans quelques semaines ; elle pourra nous apporter son regard de scientifique et nous indiquer dans quelle mesure certaines de ces expériences étrangères pourraient être transposées en France.

Je tiens tout d'abord à vous remercier très chaleureusement d'avoir répondu à notre invitation. Il est très important, pour nous, de recueillir votre témoignage pour mieux comprendre les choix qui ont été faits dans les pays voisins, les raisons qui les ont motivés et la manière dont vos établissements se sont adaptés pour reprendre leurs activités face au risque sanitaire. Sans doute avez-vous mené des études depuis la réouverture pour vous assurer qu'aucun cluster n'est apparu dans vos établissements. Nous serons également très attentifs aux adaptations que vous auriez pu mettre en place à la lumière des premiers enseignements tirés après la réouverture de vos institutions.

Les établissements culturels sont à l'arrêt en France depuis maintenant un an, hormis une courte parenthèse durant l'été et au début de l'automne 2020. Malgré le soutien que leur apportent l'État et les collectivités territoriales, leur situation extrêmement délicate nous pousse à rechercher des solutions permettant d'entrevoir une sortie de crise, même progressive. C'est en effet une grande partie de la richesse et de la diversité culturelles qui caractérise notre pays qui est menacée par la fermeture de ces établissements.

M. Aviel Cahn, directeur général du Grand Théâtre de Genève. - Après la fermeture du printemps dernier, nous avons pu jouer des spectacles avec une jauge limitée de juin à fin octobre, grâce à un protocole qui a très bien fonctionné. Avec la deuxième vague, qui a frappé Genève plus que d'autres régions de Suisse, tous les établissements culturels ont dû fermer et n'ont pas pu rouvrir depuis lors. Nous espérons une réouverture en avril.

L'Union des théâtres suisses, qui regroupe tous les théâtres et les opéras, a organisé un lobbying efficace auprès du Conseil fédéral, bien plus que n'aurait pu le faire chaque théâtre individuellement. Nous avons pu négocier une solution pour faire du vrai théâtre sur scène, avec un régime particulier pour que les solistes puissent se toucher, sans être obligés de rester à deux ou trois mètres les uns des autres.

Depuis la fermeture, nous avons produit des spectacles en ligne. L'Union des théâtres suisses n'a recensé aucun foyer de contamination. Si quelques personnes ont été testées positives, elles ont rarement contaminé d'autres personnes.

Nous avons joué avec un protocole de protection du public très strict, comme celui que M. Matabosch vous décrira, avec la séparation des spectateurs en secteurs isolés, ce qui nous a permis d'éviter toute infection dans le public.

Nous rencontrons de grandes difficultés financières : lorsque nous donnons des spectacles, nous devons faire face aux coûts de production. Le chômage partiel, qui fonctionne en Suisse, s'applique au personnel, mais pas aux artistes. Le coût total du spectacle reste le même, mais nous ne touchons aucun revenu.

La Confédération et les cantons ont mis en place des aides qui devraient couvrir les pertes liées à la covid. Mais c'est administrativement compliqué, notamment parce que chaque niveau pose des conditions différentes. Nous attendons toujours cette aide.

Nous sommes très heureux que la plupart de nos mécènes nous soient restés fidèles et que notre public ait accepté de renoncer au remboursement de leurs billets. Mais il est clair que cette situation ne peut pas durer. Nous espérons donc que la vaccination changera quelque chose pour la saison prochaine.

M. Joan Matabosch, directeur artistique du Teatro Real de Madrid. - En mai-juin dernier, nous avons mis en place un protocole permettant de garantir le retour à l'activité en sécurité pour le personnel, les artistes et le public. Nous avons développé des protocoles spécifiques pour l'orchestre et pour le choeur. Nous avons ainsi pu reprendre notre activité en juillet avec une version mise en scène de La Traviata, comme prévu.

Le protocole réglemente tout : reconfiguration du processus de répétition, interactions sociales et professionnelles, usage des différentes salles du théâtre - salles de répétition et salle principale -, distanciation physique pour chaque activité, ce qui nécessite l'adaptation de la fosse d'orchestre pour maintenir la distance entre les musiciens avec des solutions peu conventionnelles telles que des panneaux de séparation entre les pupitres.

Le protocole prévoit des mesures prophylactiques, mais aussi notre réponse en cas de détection d'un cas de covid. Il est très important de réagir immédiatement pour protéger et tester tous les contacts rapprochés. Nous avons eu quelques cas, mais qui ont été repérés immédiatement, ce qui a entraîné l'isolement de la personne testée positive et de ses proches. Cela freine les incidences immédiatement.

Le fonctionnement du théâtre dépend d'une commission médicale composée de six épidémiologistes des principaux hôpitaux publics de Madrid ; elle se réunit tous les sept à dix jours pour assurer le suivi de la situation et donner des instructions sur les mesures à prendre.

Pour le public, les limitations ont été édictées par la Comunidad de Madrid. Elles changent très souvent, ce qui constitue l'un des problèmes que nous avons à affronter. En juillet, nous ne pouvions accueillir que 50 % de la capacité ordinaire ; maintenant, nous pouvons théoriquement en accueillir davantage, mais selon des conditions qui nous empêchent matériellement d'aller très au-delà. Chacun doit porter un masque et respecter une distance de sécurité avec les personnes qui n'ont pas acheté leur billet en même temps qu'elles.

Les horaires des spectacles ont changé en fonction du couvre-feu. Nous avons ainsi dû donner une représentation de Siegfried de Wagner à 16 heures 30, une heure très inhabituelle pour un spectacle en Espagne...

La possession d'un billet ne donne plus accès à tout le théâtre : à chaque fauteuil correspond un foyer attitré pour l'entracte, dans lequel un nombre limité de personnes peut entrer. Nous essayons autant que possible d'organiser des spectacles sans entracte.

L'entrée et la sortie de la salle sont réglementées : les spectateurs entendent une annonce qui leur donne des instructions pour sortir, par exemple. Parallèlement à la diminution du nombre de places disponibles, nous avons augmenté le nombre de sanitaires pour permettre une désinfection régulière.

Mme Sarah Bastien, directeur général administratif des six musées de la ville de Gand. - La Belgique a été confinée du 14 mars au 18 mai 2020, puis à partir de novembre. En août, il y a eu également plusieurs confinements locaux.

Les lieux culturels sont restés ouverts pour accueillir les groupes d'enfants jusqu'à douze ans. Les cafés et boutiques ont suivi les règles locales ou nationales spécifiques à ces lieux.

Lorsque nous avons eu la possibilité de rouvrir, tous les musées de Flandre, de Wallonie et de Bruxelles ont écrit une lettre commune comportant sept engagements, afin de démontrer que les musées pouvaient être des espaces sûrs, même en temps de covid.

Les musées ne sont ouverts que pour des visites individuelles ou par bulle familiale ; l'entrée est limitée à une personne pour dix mètres carrés, avec des créneaux de visite. Nous pouvons également nous appuyer sur notre expertise dans le domaine de l'événementiel.

Nous avons procédé à une analyse des risques de transmission aérienne et par contact, qui nous a conduits à jouer sur la distance physique, la capacité maximale d'accueil, les capacités de désinfection, le port du masque, la ventilation, le fait d'éviter les contacts. Chaque musée a fait son propre exercice d'analyse des risques et déterminé ses propres mesures personnalisées. Pour illustrer ces mesures, nous vous avons envoyé des photos d'un des musées de Bruges, du musée de l'industrie à Gand, du plan présentant le sens obligatoire de circulation dans le musée des Beaux-Arts de Gand.

Pour que cela fonctionne bien, il est nécessaire de porter la plus grande attention au sentiment des employés, qui doivent se sentir en sécurité. Il est également utile d'échanger des connaissances et des expériences avec les autres musées ; en Flandre, ces échanges sont organisés par l'union des musées de Flandre (FARO) ; la Wallonie et Bruxelles ont leur propre organisation. Ces organisations ont produit des guides recensant les mesures à prendre.

Quelques retours d'expérience : les visiteurs ayant l'habitude d'arriver au début du créneau, il est préférable d'utiliser des créneaux de quinze à vingt minutes plutôt que d'une heure. Beaucoup de nouveautés sont devenues des habitudes pour les visiteurs, ce qui rend les choses plus faciles pour eux-mêmes et pour nos employés.

Les problèmes rencontrés tiennent au coût financier des mesures, à la diminution, voire disparition des visites spontanées, puisqu'il faut acheter son billet à l'avance, et au sentiment de dépossession des données personnelles, du moins lors de la mise en place de ce protocole.

Les statistiques du Groeningemuseum de Bruges montrent que la fréquentation approche les 100 % durant les week-ends ; celles des musées de Gand indiquent qu'ils ont été très fréquentés en juillet, que les visiteurs réagissent à la situation virologique et qu'ils ont respecté les confinements locaux. Durant les vacances scolaires, comme en février, beaucoup de familles avec enfants ont visité les musées, car elles n'ont pas beaucoup d'autres choses à faire...

M. Alexandre Chevalier, président du Conseil international des musées Belgique (ICOM) Wallonie-Bruxelles. - Les mesures en vigueur ont été prises par les musées en concertation avec l'administration compétente en matière de culture en Belgique en s'inspirant du secteur commercial, en prenant souvent des mesures plus strictes au début : les musées ont ainsi ouvert avec un visiteur pour quinze mètres carrés, mais se sont vite conformés à la règle appliquée dans les commerces d'un pour dix mètres carrés.

Il y a sans doute moins de niveaux compétents sur la culture en Belgique qu'en Suisse, mais il faut se féliciter que les musées aient été le seul secteur culturel ayant réussi à se fédérer et à proposer les mêmes normes au niveau national. Depuis leur réouverture en décembre, les seuls lieux culturels ouverts sont les musées : c'est ce qui explique que ma collègue ait mentionné le fait que les visiteurs n'aient pas vraiment d'alternative à s'y rendre.

Les musées ont accusé des pertes durant la fermeture et après la réouverture à cause de la jauge. Celle-ci gagnerait à être corrigée en fonction du volume et non fixée comme aujourd'hui en fonction de la seule surface : ce n'est pas la même chose de visiter le muséum national d'Histoire naturelle de Paris qu'un petit musée intime dont les salles ont 2,5 mètres de hauteur sous plafond. Mais rien n'a été fait dans ce sens pour l'instant.

Aucun cluster n'a été signalé dans les musées belges depuis début décembre. Cela tend à démontrer, soit que les mesures sont efficaces, soit que les volumes sont assez importants pour éviter les contaminations.

Même si l'on craint moins, désormais, la contamination par contact, les musées continuent à désinfecter les surfaces. Les mesures que nous prenons sont identiques à celles qu'avaient prises les musées français pendant leur réouverture. J'ai eu la chance cet été de passer une semaine dans les Cévennes et j'ai visité de nombreux musées de la région. Les musées sont des espaces sûrs pour les employés comme pour les visiteurs. Les espaces de restauration et de vente sont soumis aux règles qui s'appliquent aux espaces commerciaux : les restaurants et les bars sont fermés, mais les magasins et les librairies sont ouverts.

M. Sylvain Bellenger, directeur général du Museo e Real Bosco di Capodimonte. - Le Museo e Real Bosco di Capodimonte de Naples est un musée autonome qui dépend directement du ministère de la culture, sans passer par la surintendance des musées de Naples. Le musée est un bâtiment de 15 000 mètres carrés sur trois étages, répartis en 124 salles. Les plafonds ont tous 6, 7, voire 8 mètres de hauteur. Il se trouve à l'extrémité d'un très grand parc de 134 hectares comportant 17 édifices, dont l'ancienne faisanderie royale, qui sera transformée en centre de vaccination à partir de la fin de la semaine.

Comme il se trouve à 20 minutes du centre de Naples, il n'a pas le même type de fréquentation que le musée national d'archéologie de cette ville, par exemple. Son grand parc reçoit 2 millions de visiteurs par an, tandis que le musée en reçoit 300 000 par an.

Après une fermeture de mars à juin, nous avons rouvert jusqu'en novembre. Le musée a fermé à nouveau le 18 janvier pour rouvrir le 23 février, jusqu'à aujourd'hui, jour où nous sommes fermés a priori jusqu'au 6 avril. Cela a occasionné des pertes considérables.

S'agissant du personnel, nous avons conservé les services essentiels, soit cinquante personnes qui veillent jour et nuit sur les portes et les salles. Le reste du personnel, notamment toute l'administration, est en télétravail.

Nous avons profité de la fermeture pour entreprendre des travaux de restauration des oeuvres et projeter des travaux jusqu'en 2023 ; nous avons numérisé des milliers d'oeuvres d'art et les notices ont été transcrites par les gardiens et le service éducatif - c'est un des points positifs de la fermeture.

Le personnel a reçu des formations en anglais ou en diverses techniques de travail. Les bureaux ont été réorganisés : six nouveaux bureaux ont été ouverts pour obtenir des distances suffisantes entre les personnes. Tout le personnel a été testé à deux reprises. Il devrait être vacciné rapidement grâce à la présence d'un centre de vaccination sur le site.

Il n'y a pas eu de cas de contamination au musée. Douze personnes ont cependant dû être mises en quarantaine, avec tous leurs collègues.

Les écoles étant fermées, les services didactiques n'ont pas fonctionné. Le parc est resté plus longtemps ouvert que le musée, même si, aujourd'hui, les deux sites sont fermés. Les règles ont été les mêmes qu'ailleurs : distanciation, sens unique de circulation, achat des billets exclusivement online avec des réservations limitées à 600 personnes par jour - même si, dans les faits, nous n'avons jamais reçu plus de 200 personnes par jour.

S'agissant de la fréquentation, le musée de Capodimonte s'apparente davantage aux grands musées de province français qu'au Louvre, au musée d'Orsay ou au centre Georges-Pompidou. La réouverture du parc, plus grand parc urbain d'Italie, ne poserait pas de problème pour le public, mais plutôt pour le personnel.

M. Bernard Jomier, président. - Nos interlocuteurs viennent de nous démontrer qu'une voie existe pour éviter un risque trop élevé de transmission de la covid-19 lors d'activités culturelles. Dès lors que les lieux culturels n'ont pas été des clusters, pensez-vous possible, Madame Delaugerre, de travailler sur un risque très faible de transmission, et l'expérience de concert test va-t-elle dans ce sens ?

Mme Constance Delaugerre, cheffe de service à l'hôpital Saint-Louis. - Avant de travailler sur cette expérimentation d'un concert test à l'AccorHotels Arena de Paris, nous avons dressé un état des lieux des protocoles sanitaires dans les lieux culturels, pour évaluer leur adaptation au risque épidémique. Nous avons constaté que les musées, les cinémas et les théâtres, dès lors qu'ils disposaient d'un protocole précis, avec des jauges réduites, l'obligation du port du masque et le respect de la distanciation, avaient tout pour une réouverture rapide, du moins quand l'incidence de la transmission n'est pas aussi forte qu'aujourd'hui.

Avec l'expérience d'un concert test, nous examinons une situation bien différente puisqu'il s'agit d'évaluer le risque de contamination d'un protocole spécifique pour un rassemblement de 5 000 personnes qui se tiennent debout dans l'environnement clos d'une salle de concert, donc sans pouvoir respecter la distanciation. L'étroitesse de la jauge posant un problème économique évident pour les spectacles, nous avons recherché un protocole qui évite la transmission tout en permettant la participation d'un large public. Pour ce faire, nous avons ajouté un dépistage en amont : nous proposons de ne faire participer au concert test que les personnes disposant d'un test négatif de moins de 72 heures, qui ne présentent aucun symptôme et qui ne sont pas vaccinées. Nous ferons entrer la jauge normale, en l'occurrence pour la fosse de quelque 2 000 mètres carrés, en demandant le port du masque chirurgical et en mettant à disposition du gel hydroalcoolique. Les participants au concert seront tirés au sort sur un groupe plus large, puis le risque de transmission sera évalué à 7 jours en comparant, par de nouveaux tests, la situation de ceux qui seront allés au concert avec celle des autres.

L'idée est bien de mesurer l'impact de cette prise de risque particulière qui consiste à participer à un concert dans une salle fermée, certes bien ventilée et disposant d'une hauteur sous plafond de 20 mètres, mais avec des milliers de personnes sans distanciation. L'expérimentation poursuit deux autres objectifs : évaluer le bon port du masque pendant et avant l'événement, que nous allons examiner grâce à des caméras qui enregistrent le positionnement des masques, et mesurer le fonctionnement d'une nouvelle version de l'application TousAntiCovid, qui délivrera un QRcode pour l'entrée dans le lieu et permettra d'avertir les participants si un cas de covid est avéré, et ce via une base nationale, mécanisme qui pourrait servir par la suite à la mise en place d'une sorte de « pass » pour les établissements recevant du public.

Ceux qui travailleront sur le concert ne rentreront pas dans l'expérimentation, mais ils se plieront aux mêmes obligations. Les artistes, qu'on ne peut remplacer, se sont vus proposer une vaccination. Le dépistage en amont est un processus lourd, mais il présente des avantages aussi, en particulier celui de limiter le risque de transmission du virus dans la ville, puisque le concert ne fait s'y déplacer que des personnes négatives. Certes, le test négatif ne garantit pas la non-transmission, puisqu'il peut être négatif en début de contamination avant de devenir positif, il peut avoir été mal réalisé, ou la personne testée peut encore contracter le virus après le test, sans compter que le test antigénique que nous utilisons est moins sensible que le test PCR. Cependant, nous travaillons à réduire le risque tout en nous plaçant dans un cadre réaliste, celui, par exemple, où des tests antigéniques seront en accès libre, et où une sorte de pass pourrait être mis en place pour l'accès aux regroupements qui, aujourd'hui, sont identifiés comme les situations les plus à risques.

M. Roger Karoutchi, rapporteur. - Ces exemples pris chez nos voisins nous montrent que des musées, des théâtres ont rouvert avec un régime distinct de celui des salles de concert ou des festivals, ce qui est important. Cette réouverture a été manifestement complexe, elle a demandé des investissements pour des aménagements, par exemple pour ce qui concerne la ventilation des salles, l'équipement numérique : avez-vous perçu des aides ? Et quelle a été la réaction de l'opinion publique : êtes-vous parvenus à faire en sorte que le public revienne en confiance et se sente serein ?

Ensuite, j'estime que le concert test est un pari très risqué, car, en plaçant 5 000 personnes debout dans un espace clos, il fait l'inverse de ce que les autorités sanitaires recommandent - et ce test ne conduit-il pas à l'idée qu'il faudra bientôt un pass vaccinal ?

M. Alexandre Chevalier. - En Belgique seuls les musées ont rouvert, les autres équipements sont fermés depuis la fin octobre ; les librairies sont restées ouvertes, considérées comme étant « essentielles ». Le débat sur ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas montre que, en réalité, les décisions de fermeture et de réouverture sont politiques. Il y a des considérations sanitaires, bien sûr, mais outre qu'on manque de données précises pour comparer les situations, les mesures de la transmission dans tel ou tel cas, la décision est prise avec une intention politique, par exemple de précaution ou de prudence ; cela explique les différences, par exemple, entre la fermeture des cinémas, alors qu'on y est assis, à distance, et masqué, et l'autorisation d'ouvrir les musées, alors qu'on y circule et qu'on peut s'y parler... Il ne faut donc pas perdre de vue que, en dernier ressort, la décision est politique.

Lors de la réouverture de mai dernier, la fréquentation des musées a dépendu de plusieurs facteurs, en particulier de la taille, de la présence d'un jardin, mais aussi de l'importance du public qu'y représentent habituellement les touristes. Cependant, une partie du public est moins revenue, ressentant probablement l'existence d'un risque - c'est en particulier le cas en ce qui concerne les personnes âgées.

M. Joan Matabosch. - Le facteur décisif me semble la capacité de l'équipement culturel à disposer d'un protocole sanitaire suffisant, très strict - cela est propre à chaque lieu, à son architecture, qui détermine pour beaucoup les adaptations qu'on peut y faire. On me demande souvent comment nous y sommes parvenus au Teatro Real, je transmets volontiers les informations précises sur ce que nous avons fait et on constate alors que ce n'est pas toujours transposable : ce que nous avons fait dans notre grande salle, en changeant la ventilation, en tirant parti des grands espaces, ne sera pas transposable à un théâtre en sous-sol - beaucoup de théâtres de Madrid n'ont pas rouvert parce qu'ils n'ont pu trouver de solution satisfaisante. Au Teatro Real, nous avons en particulier l'avantage de pouvoir configurer la fosse selon trois tailles, la petite permettant déjà de jouer l'essentiel du répertoire classique ; nous avons configuré la fosse dans son format le plus large là où l'on se contentait habituellement du petit format, et pour certains programmes, plus exigeants, comme le Siegfried, de Wagner, nous avons dû placer des musiciens dans les loges latérales... La question est donc pratique plutôt que de principe : on ouvre l'équipement si l'on peut disposer d'un protocole suffisant, mais on reste fermé dans le cas contraire. Ceci a eu des conséquences sur la programmation, nous avons dû annuler des spectacles quand l'adaptation n'était pas possible. Côté fréquentation, le public a suivi : nous vendons l'intégralité des billets mis en vente.

M. Sylvain Bellenger. - La fermeture des frontières a changé la composition du public, il est désormais local puisque les étrangers sont absents depuis un an. Le public local nous demande la réouverture, même s'il y a finalement peu de visiteurs, nous n'avons pas dépassé 200 visiteurs par jour pour une jauge réduite au tiers, contre un millier de visiteurs quotidiens habituellement et des pics de 3 000 à 4 000 visiteurs l'été.

M. Bernard Jomier, président. - Dans ces conditions, n'est-il pas plus coûteux d'ouvrir, que de fermer ?

M. Sylvain Bellenger. - C'est une catastrophe financière dans les deux cas, avec peut-être autant de complications administratives pour chacun. Notre budget a été divisé par deux, nous avons des charges supplémentaires et les soutiens publics ne sont pas à la hauteur.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - La mise en oeuvre du protocole sanitaire est-elle compatible avec une rentabilité économique ?

Mme Sylvie Robert. - L'expérience du concert test va utiliser l'application TousAntiCovid : est-ce une nouvelle application, ou bien celle qui existe déjà ?

M. Michel Laugier. - Le Teatro Real a rouvert avec une jauge moins importante, avez-vous compensé en ajoutant des représentations ?

M. Joan Matabosch. - Nous n'avons pas ajouté de représentations, notre objectif étant surtout de maintenir le plus possible la programmation ; en juillet cependant, nous avons joué davantage que prévu, mais pour rattraper des représentations que nous avions dû reporter. Nous avons annulé des spectacles trop difficiles à concilier avec le protocole, en particulier ceux qui tournent.

L'investissement que nous avons dû faire est certes coûteux, mais quid du coût de la fermeture elle-même ? Lorsqu'un théâtre ferme, il perd les recettes de mécénat, ce qui représente chez nous le quart du budget, à quoi s'ajoutent les locations de salle, représentant 9 % de notre budget... et je ne parle ici que des données chiffrées.

M. Alexandre Chevalier. - La fermeture coûte effectivement très cher, ce qui ne signifie pas qu'il soit rentable de rouvrir... Le montant des pertes pour jauges limitées dépend du modèle d'entreprise, de la part qu'y prend la billetterie, de la structure du personnel, selon que toutes les activités sont réalisées en interne, ou bien que des services ont été externalisés, comme le gardiennage, la scénographie, la médiation culturelle. En réalité, la baisse de l'activité n'est pas toujours bien mesurée. Les aides publiques ont d'abord consisté en 50 millions d'euros apportés par la région wallonne en mai, d'autres ont suivi, elles sont loin de compenser les pertes. Les musées sont tributaires de leur population environnante et des publics ciblés ; les musées très liés au tourisme, comme ceux de Bruges ou le musée Magritte à Bruxelles, ont perdu les trois quarts de leur fréquentation, alors que dans des petits musées plus locaux, elle a pu progresser et concerner des publics différents : des publics locaux redécouvrent ces musées peu éloignés de chez eux, par manque d'autres activités culturelles. Il est intéressant de voir qu'une frange différente de la population « consomme » une culture et un patrimoine auxquels elle n'était pas toujours sensible jusqu'alors.

La question des coûts doit intégrer la chaîne de conséquences liées à la fermeture des lieux culturels, en particulier l'incidence sur la santé mentale - c'est au politique d'intégrer tous ces éléments qui concernent en réalité toute la société.

M. Bernard Jomier, président. - Nous sommes convaincus du bénéfice du maintien des activités culturelles ; notre pays doit trouver les moyens de s'adapter, établissement par établissement, comme vous le faites, au bénéfice de vos concitoyens. L'ouverture des lieux culturels est aussi l'occasion de découvertes, c'est un des points positifs.

Mme Sarah Bastien. - L'ouverture est un avantage pour le bien-être de nos concitoyens, c'est évident. À Gand, nous constatons aussi que le public local vient plus qu'avant : les gens redécouvrent leur propre pays, c'est un avantage, au-delà des questions financières.

M. Sylvain Bellenger. - Je partage cette analyse du poids psychologique de la fermeture, et même si le public est peu nombreux, l'ouverture soulève ce couvercle. La fermeture touche aussi tout un ensemble d'activités liées aux expositions, dans l'emballage, le transport, la médiation, toute cette activité disparait, de même que le mécénat disparait quand nous fermons, cela représente le quart de notre budget à Naples.

Mme Constance Delaugerre. - Il me semble que nous avons une difficulté particulière en France, liée au manque de perspective. Cette absence de perspective dure depuis plusieurs mois alors que nous voyons que, ailleurs, des choses sont possibles, qu'on s'y adapte au risque de transmission. Des études, en particulier celles de l'Institut Pasteur, démontrent que les lieux culturels n'ont pas été des clusters, mais c'est comme si l'on n'en tenait pas compte : aucune date n'est donnée pour leur réouverture, et ce depuis le mois de janvier, alors que, en Italie, le Gouvernement annonce une réouverture pour le 6 avril. La situation est figée, c'est déstabilisant.

C'est pour aider à sortir de cette situation que nous recherchons des données scientifiques propres à faciliter la prise de risques encadrés : c'est le sens du concert test. La fermeture a des effets délétères, avec un impact psychologique certain sur les jeunes en particulier, qui se voient privés de cinéma, de musées... Il n'y a qu'à voir l'engouement pour les galeries d'art qui, elles, peuvent ouvrir en tant que commerces, ou encore le fait que des Français se rendent en Espagne pour aller dans les bars et se détendre. L'impact est également très fort sur les retraités, pour qui les équipements culturels comptent dans la socialisation.

Il y a urgence, j'espère que nous serons soutenus. Avec le concert test nous voulons donner des éléments pour des réouvertures encadrées. Il faut s'adapter tout le temps, nous le faisons en laboratoire, c'est mieux que de ne rien faire et de s'isoler toujours davantage.

Le concert test vise un risque plus élevé que celui qu'on prend au cinéma ou au musée, le port correct du masque est loin d'être garanti, mais la réalisation d'un test grandeur nature nous paraît un moyen de patienter d'ici à ce que la vaccination soit générale. La mise en place d'un pass sanitaire pose des questions difficiles, mais c'est la seule chose, à part la fermeture, que l'on puisse faire avant que le continent européen tout entier ne soit suffisamment vacciné.

Un tel pass est déjà demandé pour prendre l'avion, pour aller à l'hôpital ; nous tentons de voir ce qu'il donnerait lors d'un concert. Les données que nous recueillerons nous aideront à proposer des protocoles qui pourraient être adaptés aux lieux culturels eux-mêmes.

L'application que nous allons utiliser pour le concert test est bien une nouvelle version de TousAntiCovid. Elle intégrera le résultat du test, qu'il soit négatif ou positif. Chacun pourra se présenter avec son smartphone à l'entrée du concert, ou bien une impression papier du résultat. Nous ne forçons pas à l'utilisation de cette application, nous y incitons. Faut-il aller vers un système réservant l'accès aux personnes présentant un test négatif, comme nous le faisons dans le concert test ? Une étude montre que 80 % des jeunes y sont favorables, pour se prémunir contre le risque de transmission.

M. Bernard Jomier, président. - Nous vous remercions de votre participation. Il y a peut-être un blocage français par rapport à plusieurs de nos voisins européens. Vos exemples vont nourrir nos préconisations sur la réouverture d'activités culturelles, dans l'espoir que notre vie culturelle puisse reprendre normalement.

La réunion est close à 10 h 35.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site internet du Sénat.