Mardi 4 mai 2021

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 14 h 50.

Projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales - Examen des projets d'amendements au texte de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

M. Claude Raynal, président. - Notre commission avait examiné pour avis le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, le mardi 13 avril dernier. Parmi les 15 amendements adoptés par notre commission, une très large partie a été reprise par la commission des affaires étrangères.

Nous avions donné mandat au rapporteur pour redéposer les amendements non retenus en séance, mais les modifications apportées par la commission des affaires étrangères dans son texte de commission requièrent quelques ajustements de nos propres amendements.

Aussi le rapporteur, M. Jean-Claude Requier, souhaite-t-il, avant le délai limite fixé à ce jeudi 6 mai à 12 heures, présenter les amendements de séance qu'il pourrait déposer au nom de notre commission.

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - S'agissant de la trajectoire budgétaire, notre commission avait estimé que la portée du texte était très limitée, dans la mesure où la programmation proposée s'arrêtait en 2022. Nous avions adopté un amendement prévoyant une hausse annuelle des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement », de 500 millions d'euros par an, après 2022 et ce jusqu'en 2025. Cette augmentation permettait ainsi de proposer une trajectoire crédible, et de stabiliser d'ici à 2025 notre aide publique au développement (APD) à 0,55 % de notre revenu national brut (RNB). Nous n'avons pas été suivis par la commission des affaires étrangères qui a adopté une trajectoire plus ambitieuse, grâce à deux amendements. L'un prévoit une hausse annuelle de 817 millions d'euros des crédits de la mission après 2022. L'autre a pour objet de doubler la part de la taxe sur les transactions financières (TTF) affectée au développement. Je vous rappelle que la hausse de la part de la TTF affectée au fonds de solidarité pour le développement (FSD) se traduit nécessairement par une réduction de cette recette pour le budget général de l'État.

Il me semble possible de trouver un compromis. Les rapporteurs des affaires étrangères pourraient être prêts à accepter de fixer la hausse annuelle des crédits de la mission à 500 millions d'euros plutôt qu'à 817 millions d'euros, à condition de maintenir la disposition relative à l'affectation de la TTF. Par conséquent, l'amendement n°  11 modifie les crédits de la mission « Aide publique au développement » en ce sens. De plus, nous partageons l'avis de la commission des affaires étrangères sur la nécessité de prolonger la programmation jusqu'en 2025.

Les amendements n°  12 et n°  13 sont identiques à ceux que nous avions adoptés, mais qui n'ont pas été retenus par la commission saisie au fond.

L'amendement n°  14 modifie la rédaction d'une demande de rapport prévue à l'article 8 du projet de loi. Je vous propose que le rapport remis au Parlement sur les experts techniques internationaux soit transmis par le Gouvernement, et non par Expertise France. Cette modification a été suggérée en séance à l'Assemblée nationale, par le ministre Le Drian. De plus, je vous propose de simplifier la rédaction de l'objet du rapport.

L'amendement n°  15 est un amendement de coordination tirant les conséquences de l'adoption de notre amendement à l'article 9, qui visait à recentrer les missions de la commission d'évaluation.

Enfin, l'amendement n°  16 est un amendement de coordination avec celui sur la trajectoire des crédits, que nous avions déjà adopté.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je tiens à saluer le travail méticuleux qui a été accompli par le rapporteur pour avis pour trouver un compromis. Nous devons être attentifs aux ambitions internationales de coopération et de développement de la France.

Dans le débat que nous avons eu précédemment, notre commission avait mis l'accent sur les enjeux financiers de ce texte, en proposant pour sa part une hausse de 500 millions d'euros supplémentaires par an des crédits de la mission, jusqu'en 2025, soit un effort déjà inédit jusqu'à ce jour.

Il faut trouver une voie juste entre l'ambition nourrie par la France en matière d'aide au développement et l'obligation de bien gérer l'argent public.

Il ne faut pas oublier qu'à fiscalité constante, la proposition de doubler la part des recettes de TTF affectée au fonds se fera forcément au détriment du financement d'autres dépenses publiques.

Je partage la vision développée par Jean-Claude Requier, car elle concilie ambition et raison. Ne cédons pas à la facilité ! Nous devons non seulement envoyer un message à nos partenaires, mais aussi assumer nos responsabilités en matière de finances publiques.

EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR

Article 1er

L'amendement n°  11 est adopté.

L'amendement n°  12 est adopté.

Article 1er

Auteur

Avis de la commission

M. REQUIER

11

Adopté

M. REQUIER

12

Adopté

Article 2

L'amendement n°  13 est adopté.

Article 2

Auteur

Avis de la commission

M. REQUIER

13

Adopté

Article 8

L'amendement n°  14 est adopté.

Article 8

Auteur

Avis de la commission

M. REQUIER

14

Adopté

Article 9

L'amendement n°  15 est adopté.

Article 9

Auteur

Avis de la commission

M. REQUIER

15

Adopté

Rapport annexé

L'amendement n°  16 est adopté.

Rapport annexé

Auteur

Avis de la commission

M. REQUIER

16

Adopté

M. Jean-Claude Requier, rapporteur pour avis. - J'ajoute que nous votons une augmentation des crédits, alors que d'autres pays privilégient les restrictions. Le Royaume-Uni a ainsi diminué ses crédits de développement en les faisant passer de 0,7 % à 0,5 % de son RNB, soit une diminution de 4 milliards d'euros.

Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Charles Guené rapporteur sur la proposition de loi n° 531 (2020-2021) d'urgence visant à apporter une réponse solidaire et juste face à la crise, présentée par Mmes Raymonde Poncet Monge, Sophie Taillé-Polian et plusieurs de leurs collègues.

Rapport d'étape du comité - Audition de M. Benoît Coeuré, président du comité chargé de veiller au suivi de la mise en oeuvre et à l'évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l'épidémie de covid-19

M. Claude Raynal, président. - Nous avons le plaisir de recevoir M. Benoît Coeuré, président du comité de suivi des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l'épidémie de covid-19. Ce comité a été créé dès le premier collectif budgétaire pour 2020 et s'est depuis réuni deux fois par mois afin de suivre la mise en oeuvre des principaux dispositifs de soutien aux entreprises et à l'emploi.

Le rapporteur général, notre collègue Sylvie Vermeillet et moi-même sommes membres du comité, son secrétariat étant assuré par France Stratégie et l'Inspection générale des finances (IGF).

Le 19 avril dernier, le comité a rendu un rapport d'étape sur le suivi des principales mesures de soutien mentionnées à l'article 6 de la loi de finances rectificative du 23 mars 2020.

Le rapport est construit autour de trois axes principaux, que vous nous détaillerez. Ils correspondent, dans un premier temps, à l'évaluation des dispositifs en eux-mêmes et des principales masses financières engagées ou garanties par l'État ; dans un deuxième temps, à une comparaison de la résistance de notre économie avec celle d'autres pays ; et, enfin, à la question essentielle du niveau de recours par les entreprises à ces différents dispositifs. Ce document veut offrir une source d'informations large, dans la plus grande neutralité possible.

Dans votre avant-propos, vous évoquez les difficultés méthodologiques auxquelles le comité s'est trouvé confronté : l'absence de situation contrefactuelle ou de groupe de contrôle pour mesurer la portée des mesures, l'évolution constante des dispositifs au fil de la crise ou encore l'absence de recul vis-à-vis de celle-ci.

J'ajouterai à ces considérations techniques, une considération plus politique : n'y a-t-il pas un paradoxe à évaluer l'efficience économique de la politique du « quoi qu'il en coûte » ? En effet, il me semble que cette approche évacue a priori toute considération d'efficience de la dépense au regard des objectifs poursuivis : il s'agit d'éviter coûte que coûte les faillites, la destruction d'emplois et la perte de valeur ajoutée de nos entreprises. Monsieur le président, ne considérez-vous pas qu'il serait désormais nécessaire d'enrichir l'analyse par une évaluation de l'efficience des différents dispositifs de soutien, en prenant mieux en compte leurs conséquences sur le solde public ? Si cela ne fait pas partie du mandat du comité, il me semble qu'un regard croisé sur les dispositifs et leurs conséquences sur les finances publiques est désormais indispensable.

Cependant, comme vous le rappelez dans votre avant-propos, « ce rapport est technique. Il relève du suivi plus que de l'évaluation ». Je vous laisse donc nous présenter les constats que le comité a pu réaliser sur la situation des entreprises et de l'emploi.

M. Benoît Coeuré, président du comité de suivi des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l'épidémie de covid-19. - Je remercie les sénateurs, membres du comité, pour leur contribution active. Ce rapport ne les engage pas, mais j'espère qu'il reflète leur travail. Je vous en présenterai rapidement les conclusions, de manière forcément sélective, puisque le document est long de 330 pages.

J'attends beaucoup de la discussion que nous aurons, ensuite, pour guider la prochaine phase de travail du comité, à savoir la rédaction du rapport final qui comportera un avis du comité et une évaluation de l'efficience du dispositif, et qui doit être publié au mois de juillet prochain. Vous pourrez aussi nous éclairer sur le rôle futur du comité.

Par ailleurs, je vous donnerai tous les éléments d'orientation sur le rôle futur de ce comité d'évaluation et de suivi des mesures de soutien d'urgence aux entreprises, qui s'est transformé, depuis le 1er avril, en un comité d'évaluation du plan de relance.

La méthode choisie par le Parlement pour évaluer les mesures d'urgence est tout à fait originale. Je crois pouvoir le dire, la richesse et la qualité de ce rapport sont sans égales en Europe, grâce à une méthodologie pluraliste et au choix de faire appel à une approche rigoureuse des données. L'équipe assurant le secrétariat du comité à France Stratégie et à l'Inspection générale des finances a constitué une base de données qui rassemble les 3,7 millions d'entreprises ayant bénéficié des mesures et les données individuelles collectées par l'Insee et la Banque de France sur la population des entreprises. Ce travail pourra faire école et être utilisé pour évaluer d'autres dispositifs.

Les éléments de comparaison sont très importants parce qu'ils nous livrent un premier diagnostic sur l'efficacité des mesures, y compris d'ailleurs en termes de coût. Vous m'avez interrogé sur l'efficience des mesures au regard de leur coût pour le solde public. C'est un domaine pour lequel la comparaison internationale peut nous éclairer.

Quand on compare l'impact macroéconomique, en 2020, de la crise du covid en France, dans les grands pays européens et aux États-Unis, on s'aperçoit que la France occupe une position médiane, aussi bien pour ce qui concerne l'emploi que le PIB et le solde public. La crise a été beaucoup moins destructrice pour le tissu économique que la crise financière de 2009, notamment grâce aux mesures de soutien dont ce rapport fait l'objet, mais aussi aux mesures de soutien aux ménages et à la politique monétaire qui a été menée. En effet, l'investissement des entreprises s'est replié, mais dans des proportions comparables à celles du repli de l'activité, alors que l'investissement a tendance à surréagir au repli de l'activité. Par ailleurs, l'ajustement de l'emploi a été relativement contenu, ce qui est évidemment à mettre sur le compte de l'activité partielle, qui n'existait pas en 2009.

Pour compléter ce diagnostic macroéconomique, j'évoquerai des éléments un peu plus inquiétants. Certes, en 2020, le repli du PIB a été comparable, en France, à celui des autres pays européens. Toutefois, on observe des éléments d'alerte concernant la situation de la profitabilité des entreprises, notamment l'évolution de leur taux de marge, qui s'est replié de près de 4 points entre 2019 et 2020, contre 1 point en Allemagne. Même si les entreprises ont bénéficié deux fois, en 2019, du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), bénéficiant ainsi d'un taux de marge particulièrement élevé, l'impact de la crise du covid est à cet égard beaucoup plus fort en France qu'en Allemagne. En la matière, les comparaisons avec le Royaume-Uni, l'Allemagne et même l'Italie sont préoccupantes.

L'endettement des entreprises françaises est également préoccupant. Alors qu'elles possédaient un taux d'endettement beaucoup plus élevé que dans les autres pays européens, elles ont continué à s'endetter pendant la crise. Certes, une très grande partie des emprunts souscrits n'ont pas été dépensés et ont été placés par les entreprises sous forme de placements de trésorerie. L'augmentation de la dette des sociétés non financières en 2020 a été d'environ 217 milliards d'euros. L'augmentation de la dette nette, une fois déduits les placements de trésorerie, n'est plus que de 17 milliards d'euros. Ainsi, 200 milliards d'euros, notamment de prêts garantis par l'État (PGE), ont été placés sur les comptes des entreprises. Bien évidemment, cela ne signifie pas que le PGE n'a servi à rien. Il a offert une garantie de liquidités permettant d'assurer la continuité de l'ensemble des financements des entreprises. C'est un filet de sécurité, un instrument de précaution qui a été utile en tant que tel. Pour autant, ne nous réjouissons pas trop vite de l'augmentation de la trésorerie des entreprises. Si la plupart d'entre elles sont aujourd'hui dans une situation de surliquidités qui fait qu'elles n'auront pas de difficultés à investir en sortie de crise, certaines poches d'activité, dans certains secteurs, devront certainement faire face à des tensions de trésorerie, parfois combinées à des tensions concernant la solvabilité des entreprises ayant accumulé des dettes fiscales et sociales qu'il faudra bien rembourser un jour.

Ainsi, au niveau macroéconomique, les entreprises françaises sont dans une situation de trésorerie très confortable. Il s'agit de comprendre dans quel secteur des situations de tensions de trésorerie ou de solvabilité pourraient apparaître et nécessiter des mesures de soutien public.

S'agissant des mesures de soutien aux entreprises, la France occupe également une position médiane. Ce rapport abuse un peu du mot « médian », qui apparaît 70 fois ! Mais cela montre que le diagnostic est finalement assez mesuré. La France n'a pas à être honteuse de ce qu'elle a fait : elle a pris des mesures efficaces, sans être le pays ayant le plus soutenu les entreprises pendant la crise, ce que l'on peut considérer positivement en termes d'impact sur les finances publiques.

Dans les tableaux que je vous ai transmis, vous pouvez observer les mesures de liquidités, pour ce qui concerne les montants annoncés, mais aussi les montants mobilisés. En Allemagne, notamment, les montants annoncés n'ont pas toujours été déboursés. Il n'existe malheureusement pas d'appareil statistique européen permettant d'établir une comparaison rigoureuse. Nous l'avons réalisée ici grâce aux données des organisations internationales et du réseau de la direction générale du Trésor à l'étranger. Nous en avons conclu à une position médiane de la France.

Par conséquent, le dispositif mis en place en France est relativement équilibré : il ne repose pas de manière disproportionnée sur une mesure plutôt que sur une autre. Certains pays ont adopté une mesure phare. Je pense notamment au Royaume-Uni, qui a mis en place l'activité partielle. En France, nous n'avons pas mis tous nos oeufs dans le même panier. À mes yeux, il s'agit d'un élément positif, puisque cela a permis de répondre aux besoins très divers des entreprises.

S'agissant de la dynamique de ces mesures au cours de la crise, on note un satisfecit général. Aussi bien le fonds de solidarité que l'activité partielle, les prêts garantis ou les reports de charges ont été mis en place de manière rapide et efficace par les administrations et les opérateurs, tels que Bpifrance et les administrations de la sécurité sociale.

Autre satisfecit, les mesures, relativement simples, étaient de portée universelle, ce qui a permis d'assurer leur large accès, en évitant les problèmes d'information et de compréhension.

Toutefois, au cours du temps, les dispositifs se sont complexifiés. Je pense plus particulièrement au fonds de solidarité, qui avait été calibré initialement de manière très restrictive en termes de montant. Ce fonds a donc été élargi à de nouveaux secteurs et les plafonds ont été relevés, ce qui a créé de la complexité, avec des coûts d'entrée pour les entreprises et la nécessité d'un contrôle. Ainsi, la direction générale des finances publiques (DGFiP) a mis en place un dispositif de contrôle très complet, aussi bien en amont qu'en aval, pour éviter des demandes indues et identifier d'éventuels cas de fraude.

Pour ce qui concerne l'activité partielle, la direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a mis en place un dispositif de contrôle, ce qui a engendré des délais pour les déboursements.

On est donc passé d'un système très simple et très rapide à un système plus complexe, sans doute mieux ciblé économiquement.

L'essentiel du rapport d'étape ne concernant que l'année 2020, celui-ci n'évoque pas la dernière version du fonds de solidarité, notamment la mesure des coûts fixes. Cet aspect figurera bien évidemment dans le rapport final. Je ne fais pas un gros pari en anticipant le même type de diagnostic, à savoir complexité, délais de décaissement et peut-être découragement de certaines entreprises. C'est le prix à payer d'une approche économiquement plus complexe.

On observe également un resserrement progressif s'agissant de l'accès au fonds de solidarité, ce qui est assez logique si l'on considère l'évolution des confinements. Le PGE est monté en puissance très rapidement puis a plafonné, les besoins étant satisfaits. Le dispositif de l'activité partielle est cyclique, puisqu'il s'adapte aux différentes situations de confinement, ce qui constitue un point positif de flexibilité. À l'opposé, le fonds de solidarité monte en puissance beaucoup plus lentement, notamment parce qu'il a été calibré au début de manière beaucoup plus restrictive. Avec l'évolution des types de confinement, on observe un resserrement de l'utilisation des dispositifs sur le fonds de solidarité et sur un secteur particulier, celui de l'hébergement et de la restauration.

J'ai ajouté, à la fin de ma présentation écrite, un certain nombre de cartes issues d'une note de France Stratégie, qui a utilisé les données collectées pour le comité. Il s'agit d'évaluer, de manière très détaillée, l'impact de la crise sur les territoires. Le taux de recours aux aides varie fortement selon les zones d'emplois. On observe ainsi une concentration des recours dans l'est de la France et même à la frontière est de la France : zones montagneuses, Savoie, Grand Est, région PACA et Corse. Toutefois, l'Île-de-France est également concernée par un recours aigu à l'activité partielle.

Ces éléments pourront être approfondis dans le rapport final, dans la mesure où ils ne reflètent pas forcément l'attention politique ou médiatique dont ont fait l'objet ces dispositifs au moment de leur mise en place. On se souvient en effet d'une mobilisation particulière en faveur des régions montagneuses et de l'écosystème lié aux stations de ski, qui a conduit à la création de dispositifs spécifiques au sein du fonds de solidarité. On observe également que l'Île-de-France, qui a été une région particulièrement atteinte du fait de l'importance de l'hôtellerie et de la restauration, ainsi que du tourisme international, n'a pas fait l'objet d'une mobilisation identique. La carte que nous présentons n'est donc pas forcément celle que nous aurions dessinée à l'époque.

Le taux de recours n'est expliqué qu'en partie par la structure sectorielle. Les degrés de recours aux dispositifs ne sont liés qu'en faible partie à la spécialisation sectorielle de chaque zone d'emploi. Après correction des effets sectoriels, on observe des zones de sur-recours ou de sous-recours. Nous avons transmis ces données au député Jean-Noël Barrot, qui s'est vu confier une mission spécifique sur ces aspects territoriaux.

Nous avons essayé d'appréhender l'efficacité des mesures prises. C'est très difficile, dans la mesure où il s'agit d'une crise tout à fait exceptionnelle, que les dispositifs sont universels, qu'ils ont évolué et que nous n'avons que peu de recul. On cherche donc à atteindre une cible mouvante !

Nous nous sommes efforcés, d'une part, de comprendre pourquoi les entreprises avaient recouru ou non aux dispositifs et, d'autre part, d'identifier d'éventuels effets d'aubaine.

Le non-recours se concentre sur les petites entreprises. Toutefois, celles-ci représentent une part importante des déboursements, les versements en leur faveur représentant une part supérieure à leur part dans l'emploi.

L'analyse du montant reçu par salarié selon la taille de l'entreprise montre que les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) ont été bien servies : pour elles, le montant reçu par salarié est plus important que pour les grandes entreprises. Ce résultat est évidemment très partiel, mais il tord le cou d'emblée à l'idée reçue selon laquelle, notamment pour le PGE, ces dispositifs auraient surtout bénéficié aux grandes entreprises.

Nous avons aussi regardé quelles entreprises avaient recouru à un, deux, trois ou quatre dispositifs, en fonction de la taille des entreprises. On voit que le recours à plusieurs dispositifs est finalement assez rare, et que le recours à trois ou quatre dispositifs est très minoritaire. Les entreprises ont donc bien été sélectives dans leur accès aux dispositifs : elles ne sont pas allées à tous les guichets par précaution, et elles ont utilisé le dispositif qui répondait le plus à leurs besoins.

Nous avons enfin essayé de relier l'usage des dispositifs avec l'intensité du choc économique, en exploitant les données de TVA, qui nous permettent de suivre l'évolution du chiffre d'affaires des entreprises en 2020. Nous avons constaté que les mesures ont principalement bénéficié aux entreprises ayant déclaré une baisse de leur chiffre d'affaires, et ont été peu utilisées par les entreprises qui déclarent une hausse de leur chiffre d'affaires.

Bref, il semble bien que les dispositifs aient été utilisés par les entreprises qui en avaient besoin, c'est-à-dire par celles qui avaient le plus été impactées par la crise. Pour l'instant, il s'agit de résultats bruts, qui seront bientôt complétés par des études beaucoup plus sophistiquées, réalisées par la direction générale du Trésor, la Banque de France et l'Insee, sur la base des mêmes données qui permettent de mesurer l'intensité du choc économique entreprise par entreprise et de relier l'usage des mesures à l'intensité du choc. L'étude du Trésor est déjà sortie ; celles de la Banque de France et de l'Insee sont en cours de réalisation.

On trouve aussi que le taux de recours au dispositif est plus élevé pour les entreprises dont la santé financière est intermédiaire. En d'autres termes, les entreprises qui étaient en très bonne santé financière avant la crise ont peu utilisé les dispositifs : il n'y a pas eu d'effet d'aubaine à cet égard. De manière un peu plus mystérieuse, on constate que les dispositifs ont été peu utilisés par les entreprises qui allaient très mal avant la crise. Il est vrai que nous nous fondons sur les bilans fin 2018. Sans doute y a-t-il dans cette catégorie des entreprises qui en réalité ne sont plus en activité, alors même que leur numéro SIREN serait encore actif. Certaines, aussi, sont peut-être en procédure de sauvegarde ou judiciaire.

Dernier élément, dans ce faisceau d'indices quelque peu impressionniste : quand on lie le recours, ou le non-recours, à la situation financière des entreprises, on voit que deux tiers des cas de non-recours concernent des entreprises qui étaient en très bonne situation financière avant la crise, ou des entreprises dont le chiffre d'affaires n'a pas baissé en 2020, c'est-à-dire dire qui ont été relativement épargnées par la crise. En d'autres termes, la majorité des non-recours sont volontaires, au lieu d'être liés à un problème d'information. Nous avons regardé de près le cas des entreprises dites zombies : leur recours aux dispositifs n'a pas été plus important. Autrement dit, les dispositifs n'ont pas servi à maintenir en vie des entreprises qui n'arrivaient plus à couvrir leurs charges financières et qui auraient dû, dans des circonstances normales, entrer dans des procédures de sauvegarde ou de faillite, changer d'activité ou redresser leur activité.

Il nous reste à affiner tous ces diagnostics pour le rapport final. Nous nous intéresserons de beaucoup plus près à la situation financière des entreprises à la sortie de la crise. Nous ne disposons pas de l'information nécessaire pour identifier les entreprises qui, au sortir des mesures de restrictions sanitaires, seraient insolvables ou auraient des problèmes de liquidités. En effet, les données de trésorerie qui sont aujourd'hui disponibles le sont à un niveau relativement macro-économique, et nous n'avons pas de données fines sur la situation de trésorerie des entreprises par secteur, par entreprise et par territoire. La Banque de France travaille sur ce point et devrait pouvoir nous fournir ces données, indispensables si l'on veut raisonner sur la situation de la solvabilité des entreprises en sortie de crise. Pour l'heure, nous connaissons très bien leur passif, puisqu'on sait quelle était leur situation financière avant la crise, combien elles ont pris de PGE, combien elles ont accumulé de reports de charges fiscales et sociales, mais on connaît moins leur actif financier. Au niveau macro-économique, la trésorerie des entreprises s'est accrue d'environ 200 milliards d'euros. C'est beaucoup, mais notre but n'est pas de nous concentrer sur les bonnes nouvelles ! Bien sûr, nous ne sommes pas seuls à travailler sur ce sujet : chaque banque se penche dessus, avec ses clients, les services de l'État y travaillent aussi au niveau territorial, tout comme les fédérations bancaires.

L'équipe qui travaille pour ce comité essaiera, d'ici au mois de juillet, d'affiner la compréhension des trajectoires des entreprises en fonction du recours aux mesures. J'ai présenté de premiers éléments sur l'évolution du chiffre d'affaires des entreprises en 2020 en fonction de leur recours aux mesures. Nous pourrons le faire de manière plus fine, notamment en regardant les trajectoires d'emploi et les trajectoires de masses salariales des entreprises qui ont recouru, ou non, aux mesures. Cela nous permettra un meilleur diagnostic sur l'efficacité du dispositif.

M. Claude Raynal, président. - Merci pour ces documents et cette présentation, très utile pour nos réflexions. Le rapport indique que l'aide restait, au 31 décembre, concentrée sur les TPE. Mais vous avez rappelé que la doctrine d'intervention du fonds de solidarité a changé à partir du mois de janvier pour aller vers une prise en charge des coûts fixes d'entreprises de taille plus importante. Dès lors, pensez-vous que l'aide restera essentiellement concentrée sur les petites entreprises ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Merci pour la clarté de cette présentation, et aussi pour la dynamique que vous imprimez aux réunions du comité de suivi, qui sont toujours instructives. Le Parlement y est bien représenté, avec Claude Raynal, Sylvie Vermeillet et moi-même pour le Sénat.

Lors de notre dernière séance, j'avais appelé l'attention sur l'évolution de la garantie de l'État accordée à la Caisse centrale de réassurance. En effet, nombre d'entreprises font face à des réductions de couverture. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir rester attentif à ce sujet pour la suite de nos travaux.

Votre rapport final sera rendu public au début de l'été, en juillet. On pensait au début que la crise sanitaire serait l'affaire de quelques mois, au plus d'un gros trimestre. Or elle dépasse allègrement un an, ce qui devrait pousser à faire évoluer de nouveau les règles du fond de solidarité, comme le laissent entendre les dernières déclarations de Bruno Le Maire. Dès lors, sur quels sujets votre rapport pourra-t-il apporter en juillet des conclusions ? Il faudra sans doute, d'une manière ou d'une autre, poursuivre le travail, peut-être au niveau du Parlement, puisque, comme prévu dans la loi de finances initiale pour 2021, votre comité devra se transformer en un comité consacré à la relance.

Vous avez évoqué les entreprises qui n'ont pas eu recours aux aides. Certains cas peuvent surprendre, lorsqu'il s'agit du secteur de l'hébergement et de la restauration, notamment au vu de la médiatisation de ce secteur. Comment pensez-vous poursuivre l'analyse, soit avec les données dont on disposera jusqu'en juillet, soit peut-être avec des modèles économétriques ? Ne faudra-t-il pas aller un peu plus loin, d'ailleurs, en sondant les entreprises ? De quelle manière ?

Enfin, les PGE sont une mesure à la fois forte et assez emblématique du soutien public apporté aux entreprises. Ce dispositif est efficace, mais je constate un décalage. En effet, il a été imaginé au début de la crise ; à l'époque, on pensait que ce serait peut-être l'affaire d'un gros trimestre. Mais comme le phénomène dure, un certain nombre de secteurs d'activité ou d'entreprises risquent de se retrouver dans l'impasse, dans l'incapacité de rembourser leurs PGE. Quelles solutions identifiez-vous à ce stade ? Nous devons aussi porter une attention particulière au respect d'une forme de justice et d'équité entre les acteurs.

Mme Sylvie Vermeillet. - Merci pour cet exposé et ces informations, qui nous aident à ajuster nos positions, et à préparer la suite. Je pense que chacun aurait eu intérêt à ce que les différentes aides consenties par l'État - PGE, reports de charges, fonds de soutien - soient comptabilisées à part dans les comptes des entreprises. Le travail de ce comité serait beaucoup plus simple ! Puis, on se demande si le report des charges sociales ou les PGE ne se convertiront pas en abandons de créances, ce qui change la lisibilité du bilan d'une entreprise... Il n'aurait pas été très compliqué de mettre en place une comptabilité à part. Cela nous aiderait à avoir une appréciation fiable sur les entreprises qui ont bénéficié, ou non, des aides. D'ailleurs, je ne souhaite pas que ce comité s'arrête : au contraire, il faut utiliser ses avancées, pour se préparer à l'augmentation des problèmes d'endettement des entreprises et des risques de faillite. Avons-nous déjà une estimation du nombre d'emplois qui seraient concernés, en fonction des aides consenties ?

Vous avez bien caractérisé les secteurs d'activité et la géographie des entreprises. Tous ces constats sont valables avec un arrêt de l'activité. Avec la reprise, nous devrons faire face à d'autres dispositions, et notamment à la hausse du coût des matières premières, qui m'inquiète beaucoup, car elle risque de déstabiliser notre économie, mais sans doute pas de la même façon que l'arrêt de l'activité a pu pénaliser certaines entreprises.

M. Benoît Coeuré. - Je me suis peut-être mal exprimé, mais on ne peut pas dire qu'il y ait une concentration des aides sur les PME. Celles-ci ont été bien servies par les dispositifs, comme le montre bien la mesure de l'intensité du soutien reçu par salarié, mais beaucoup d'entreprises de taille intermédiaire (ETI), et même de grandes entreprises, en ont bénéficié aussi. L'activité partielle est un dispositif universel. Certes, le fonds de solidarité était initialement très spécialisé sur les TPE et les PME, mais son usage a été élargi. Les reports de charges sociales sont aussi utilisés plutôt par des PME. Et le PGE, essentiellement par les entreprises les plus grandes. S'il y a une intensité plus grande pour les PME, il n'y a pas d'exclusivité.

Dans les travaux du comité, nous avons essayé d'introduire un peu de qualitatif. Nous avons donc conduit des entretiens avec des chefs d'entreprise, sur l'accès aux dispositifs et les difficultés rencontrées dans leur mise en oeuvre, mais aussi pour comprendre les critères de choix des chefs d'entreprise. Un élément de ressenti qui ne se voit pas forcément dans les chiffres est que, s'il est reconnu que ces dispositifs ont bien couvert les PME, malgré des exceptions, il y a une sorte d'insatisfaction des ETI, moins bien servies puisqu'aucun dispositif ne s'adresse spécifiquement à elles. Il est possible que, dans les mois qui nous restent, nous apportions une attention plus grande à la situation des ETI, pour savoir si elles ont été bien ciblées. À vrai dire, je n'en suis pas sûr...

Vous avez évoqué la Caisse centrale de réassurance, mais nous n'avions pas encore les données. Nous nous pencherons sur le sujet avant la publication du rapport. Outre l'affinement des questions méthodologiques, nous aurons à porter de plus en plus d'attention aux questions de sortie des dispositifs, qui sont désormais dans le débat public. Le comité n'a pas de rôle politique, et ce n'est pas à nous de décider, mais nous pouvons jouer un rôle d'information - tout comme sur la situation financière des entreprises en sortie de crise. Nous devons aussi nous concentrer sur la transition entre les mesures d'urgence et les mesures de relance. Les mesures d'urgence ont été conçues dans le court terme et se sont installées dans le paysage, parce que la crise dure beaucoup plus longtemps que prévu. Il n'en reste pas moins qu'elles ont vocation à être temporaires. Le plan de relance, lui, est conçu sur le long terme, avec des investissements pour soutenir le tissu productif français. Il est vrai que l'activité partielle de longue durée s'inscrit dans le plan de relance, alors qu'elle est très complémentaire des mesures d'urgence...

Il y a une zone grise entre la logique des aides d'urgence et la logique du plan de relance, qui est plutôt de long terme : l'enjeu est de trouver la meilleure manière de soutenir l'économie en sortie de crise. Il serait utile de réaliser une étude plus fine pour étudier, secteur par secteur, les conséquences de la crise sur le tissu productif, et déterminer si le meilleur moyen pour aider au mieux les entreprises consiste à transformer les mesures d'urgence ou à utiliser le plan de relance. Nous pouvons aider à éclairer le Gouvernement sur point.

En ce qui concerne la capacité des entreprises à rembourser les PGE, je pense qu'il n'y a pas de problème au niveau macroéconomique, car la trésorerie des entreprises est abondante. Elles auront dans l'ensemble les moyens de reprendre leur activité normalement, d'investir et de rembourser leurs dettes : 95 % des entreprises fonctionnent d'ailleurs déjà normalement. Certes, certaines entreprises seront en détresse, et dans ce cas un accompagnement de l'État sera nécessaire, mais cela relève de mesures ciblées, sans qu'il y ait besoin d'un plan massif pour solvabiliser les entreprises. Tout donne à penser aussi que la reprise sera forte à l'été, comme elle l'est déjà en Chine ou aux États-Unis, dès que les mesures de confinement seront levées, même si l'on ne peut pas exclure des reconfinements. Cela bénéficiera aux entreprises exportatrices comme l'aéronautique ou l'automobile, et l'économie profitera du surcroît d'épargne des ménages. Il faut évidemment veiller à éviter que certaines entreprises ne se retrouvent alors face à un mur de dettes. Enfin, il est vrai que les prix des matières premières augmentent, mais c'est lié à la reprise économique et les entreprises vont vite bénéficier de la hausse de la consommation des ménages et des exportations. Je suis donc moins inquiet que vous.

M. Antoine Lefèvre. - Vous avez déjà répondu en grande partie à plusieurs de mes interrogations. Nous devons être attentifs à l'endettement dans les secteurs de l'hôtellerie et de la restauration, car on peut craindre un grand nombre de faillites. Certaines entreprises avaient déjà accumulé des dettes avant la crise et sont fragiles. Par ailleurs, certains dispositifs d'aides publiques étaient particulièrement complexes. Avez-vous une estimation de la fraude ? Enfin, avez-vous des montants précis sur la répartition des PGE en fonction des territoires ?

M. Pascal Savoldelli. - Merci pour la qualité de votre diagnostic et pour votre optimisme. Vous avez évoqué la possibilité qu'une partie des PGE serve à soutenir la trésorerie des entreprises : envisagez-vous une transformation du PGE en fonds propres ? Si oui, dans quelles proportions ? À quelles fins ?

Quelle est aussi la rémunération des banques : s'agit-il bien de prêts distribués à prix coûtant ? Vous indiquez aussi dans votre rapport que la DGFiP souligne que ses moyens humains et informatiques limités ne lui permettent pas d'assurer l'homogénéité ni l'exhaustivité du recensement s'agissant du report des charges fiscales. Voilà qui rejoint les analyses du groupe CRCE lors de l'examen du projet de loi de finances ! Le 4 mars 2021, on notait des reports et des délais pour 112 000 entreprises pour un montant de 3,4 milliards d'euros. Quelles seraient vos préconisations ?

M. Didier Rambaud. - Même si les dispositifs de soutien public fonctionnent plutôt bien dans l'ensemble, nous avons, en tant que parlementaires, des remontées des entreprises qui souffrent, car elles figurent dans ce qu'on appelle « les trous dans la raquette » - événementiel, salles de sport, etc. Quelle est votre analyse à leur égard ?

Le secteur de la montagne a été très touché par la crise. Les aides prévues, notamment par la Caisse des dépôts et consignations, sont-elles suffisantes selon vous ?

Enfin, si l'an dernier on craignait, dans une perspective alarmiste, la perte de 900 000 emplois, celle-ci s'est élevée finalement à 300 000. Quelles sont vos prévisions pour 2021 et 2022 ?

M. Christian Bilhac. - On se plaint volontiers des lourdeurs administratives en France. On ne peut donc que se réjouir de la mise en place de dispositifs d'aides aux entreprises simples, adaptés et réactifs ! Mais il y a eu des effets d'aubaine et 19 % des aides ont bénéficié à des entreprises dont le chiffre d'affaires a augmenté. Des entreprises ont donc profité des PGE pour réaliser des opérations financières ou renforcer leur trésorerie.

Il n'y a pas si longtemps, les percepteurs des impôts transmettaient, de manière journalière, au trésorier-payeur général (TPG) du département les données de l'impôt, si bien que nous connaissions les chiffres rapidement. Aujourd'hui, les directeurs départementaux des finances publiques ont remplacé les TPG et la transmission des données a été informatisée. Pourtant on manque de données récentes : nous sommes en 2021, mais les chiffres disponibles ne nous permettent que de comparer la situation économique entre le quatrième trimestre de 2019 et le quatrième trimestre de 2020... Apparemment, à l'époque du papier et de la calculatrice, on parvenait à avoir des données plus récentes qu'à l'ère de l'informatique...

Mme Isabelle Briquet. - Le taux de non-recours semble limité, mais vous montrez aussi, dans votre rapport, qu'une part substantielle des aides a bénéficié aux entreprises qui n'étaient pas les plus touchées. Or, ce sont les TPE-PME qui ont le plus besoin d'être aidées. Finalement, la conditionnalité des aides ne permettrait-elle d'être plus efficace, en permettant de viser les TPE-PME, tout en étant plus économe pour nos finances publiques ?

M. Benoît Coeuré. - Notre rapport présente les dispositifs mis en place par la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle pour lutter contre la fraude aux dispositifs d'activité partielle, et par la DGFiP pour lutter contre la fraude au fonds de solidarité : fin mars, les contrôles a priori des agents de la DGFiP ont conduit à rejeter 1,7 million de demandes et à éviter le versement d'aides indues pour un montant de 5,9 milliards d'euros, même si ces chiffres ne recouvrent pas uniquement des cas de fraude. Dans le cadre des contrôles a posteriori, 92 000 versements ont été identifiés comme litigieux, dont 42 000 ont été jugés infondés par la DGFiP, donnant parfois lieu à des déclarations au titre de l'article 40, pour un montant de 60 millions d'euros.

La répartition des PGE en fonction des territoires figure dans notre rapport. La difficulté est que les PGE sont distribués au niveau des groupes, non des territoires. Nous avons donc dû faire des hypothèses qui ne correspondent pas forcément à l'utilisation réelle des fonds par les entreprises.

La trésorerie issue des PGE n'est pas un fonds propre, mais simplement un encours de trésorerie provenant d'une banque et placé. Il est désormais disponible soit pour rembourser le PGE - c'est déjà le cas pour certaines entreprises -, soit comme liquidités permettant de financer la reprise. Le Gouvernement a d'ailleurs précisé, la semaine dernière, que ces montants pouvaient être utilisés pour rembourser des crédits fournisseurs.

La rémunération des banques est-elle excessive ? Il faut distinguer le taux d'intérêt appliqué sur le PGE, qui est le plus bas d'Europe, et la commission d'engagement de la banque, pour laquelle nous n'avons pas observé de plainte majeure. Dans une perspective européenne, les commissions des banques françaises ne me paraissent donc pas particulièrement importantes.

Concernant la DGFiP, qui gère les deux comités chargés des fonds de solidarité et des reports de charge fiscale, nous avons bénéficié d'une information très détaillée et utilisable en temps réel sur le fonds de solidarité. La difficile accessibilité aux informations sur les reports de charge fiscale est due à des procédures particulières ainsi qu'à l'absence de dispositif informatique pour consolider les demandes de report. Néanmoins, en termes quantitatifs, les reports de charges sociales sont beaucoup plus importants que les reports de charges fiscales.

Pour répondre à M. Rambaud, de nombreux « trous dans la raquette » ont été comblés en 2020, notamment en distinguant les secteurs affectés directement et indirectement. Nous n'avons pas fait l'inventaire des sous-secteurs qui restent mal couverts, notamment parce qu'il est difficile de consolider l'ensemble des mesures : le comité est compétent pour certaines mesures tandis que d'autres sont gérées par les ministères concernés. C'est, par exemple, le cas du secteur de la montagne. Je n'ai pas les éléments me permettant d'apprécier l'intervention de la Caisse des dépôts et consignations dans les activités de la montagne.

En matière de suppression d'emplois, le comité n'a pas travaillé sur ce sujet et n'a donc pas effectué de prévision.

Concernant les effets d'aubaine, il est vrai que 19 % des aides ont été versées à des entreprises dont le chiffre d'affaires augmentait - nous estimons qu'il s'agit d'une proportion faible. Plus fondamentalement, face à cette crise sans précédent, le choix a été fait de mettre en place un système universel facile d'accès permettant de ne laisser personne au bord de la route. Ce ne fut pas le cas pour le fonds de solidarité, mais le processus a été corrigé à la fin de l'année 2020. Le Gouvernement et le Parlement ont préféré prendre le risque d'aider des entreprises n'en ayant pas besoin plutôt que celui de ne pas aider des entreprises nécessiteuses. Introduire une conditionnalité dans ces aides en mars 2020 aurait effectivement été un frein au déboursement rapide. Aussi, s'agissant de dispositifs d'urgence mis en place au coeur de la crise, il me semble que le choix a été le bon. Il en irait différemment si ces aides avaient vocation à être pérennisées.

Enfin, vous me faites remarquer que les chiffres du rapport datent de la fin 2020. Pardonnez-moi, mais vos commentaires me semblent assez injustes. Durant cette crise, l'ensemble des administrations statistiques a fait preuve d'une inventivité sans précédent pour suivre en temps réel l'impact de la crise. Je pense, par exemple, aux publications de l'Insee sur la consommation des ménages grâce à l'utilisation des données des cartes de crédit et de déplacements. Au contraire de ce qui s'est passé en 2008 et 2009, la crise a été suivie semaine après semaine. Dès le début de l'année 2021, nous avons pu apporter un diagnostic sur la manière dont les aides sont utilisées en fonction de l'évolution du chiffre d'affaires des entreprises sur l'année écoulée, ce qui me semble être un progrès.

Il est vrai que d'autres données nous échappent, à l'instar des données de bilan des entreprises sur leur profitabilité, l'actif et le passif, qui ne sont publiées une seule fois par an. Ce rapport s'appuie donc, pour l'essentiel, sur des données de bilan qui datent de la fin 2018. En revanche, nous avons bénéficié quasiment en temps réel des données concernant le recours aux dispositifs et celles qui sont relatives à la TVA et à l'emploi. Pour le suivi des dispositifs, les données figurant dans le rapport datent de la fin du mois de mars 2021, mais la confrontation de la situation individuelle des entreprises repose sur les chiffres de fin septembre 2020. Les données seront mises à jour dans le rapport final.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie d'être venu nous présenter ce pré-rapport déjà très complet. Nous ne manquerons pas de vous solliciter de nouveau au moment de la parution du rapport définitif.

La réunion est close à 16 h 25.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 5 mai 2021

La réunion est ouverte à 9 h 35.

Mise en oeuvre du plan relatif à l'érosion de la base d'imposition et au transfert de bénéfices (dit BEPS ») et négociations pour répondre aux défis fiscaux soulevés par la numérisation de l'économie - Audition de M. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE

M. Claude Raynal, président. - Nous recevons ce matin M. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Près de quatre années se sont écoulées depuis votre dernière audition par notre commission, en juin 2017, quelques jours après la signature de la convention multilatérale pour la mise en oeuvre des dispositions du projet dit « BEPS » relatif à l'érosion de la base d'imposition et au transfert de bénéfices.

Le temps est désormais venu d'apprécier les apports concrets à la lutte contre la fraude fiscale résultant de cette démarche, initiée par le G20 et rassemblant plus de 125 pays. L'OCDE a d'ailleurs publié en juillet dernier un rapport dressant un premier bilan des différentes actions du plan BEPS. Pour assurer l'effectivité des nouvelles règles prévues, il importe en effet que toutes les parties les appliquent correctement.

Surtout, des négociations se poursuivent sous l'égide de l'OCDE afin de réformer les règles du système fiscal international, autour de deux piliers : le premier vise à ajuster les règles fiscales aux réalités économiques et aux nouveaux équilibres mondiaux du XXIe siècle, au-delà des solutions nationales définies, parmi lesquelles la taxe sur les services numériques que notre pays a adoptée en 2019 ; le second pilier propose d'introduire une règle d'imposition mondiale minimale des bénéfices. Après un constat de blocage en fin d'année 2020, il semble, avec le changement d'administration américaine, qu'un accord soit désormais à portée de main. Quel est l'état d'avancement de ces deux projets ? Quel est le calendrier envisagé ? Quels sont les sujets qui sous-tendent les propositions du président Biden, notamment sur le taux minimum d'imposition des multinationales ?

M. Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscale de l'OCDE. - S'agissant de l'application du projet BEPS, l'OCDE a proposé en 2012 au G20 de lancer une action pour rénover la fiscalité des entreprises. Cette initiative s'inscrivait à la suite des premiers efforts qui avaient émergé au sein du G20 pour mettre fin notamment au secret bancaire et organiser la coopération fiscale. C'est ainsi qu'en 2015, les quinze actions du projet BEPS ont été publiées, dans un cadre inclusif qui réunit 139 pays et juridictions. Ce projet est désormais appliqué de manière très large, par l'ensemble de ces pays. Sur les quinze actions, quatre constituent des standards minimaux, soumis à un examen par les pairs. Ce projet a véritablement modifié les rapports entre les pays et la planification fiscale agressive des entreprises.

L'action 5 relative à la lutte contre les pratiques fiscales dommageables a conduit au démantèlement ou à l'amendement de 295 régimes dans 80 pays du monde : la France a ainsi modifié son régime des brevets prévu à l'article 39 terdecies du code général des impôts. Un suivi des exigences de localisation de substance dans les juridictions sans fiscalité a également été mis en place afin d'éviter les « coquilles vides ». C'est également dans le cadre de cette action 5 que 35 000 échanges automatiques de renseignements de rescrits fiscaux (rulings) sont intervenus. On sait en effet que certains pays voisins de la France étaient très actifs dans la délivrance de rescrits fiscaux extrêmement favorables aux entreprises et secrets ; désormais, plus aucun pays ne peut délivrer de rescrit fiscal ayant un impact sur la base fiscale d'un autre pays sans le notifier à ce dernier. Les pratiques dommageables, les « petites ententes entre amis » sont donc terminées et l'échange automatique de renseignements a permis de nettoyer l'environnement fiscal international de ces pratiques-là.

Dans le cadre du projet BEPS, il y avait également des mesures relatives au changement des conventions fiscales, pour améliorer la sécurité juridique, mieux définir l'établissement stable et lutter contre les dispositifs hybrides (action 2). Une convention fiscale multilatérale visant à modifier les conventions fiscales sans passer par la renégociation et la ratification de toutes les conventions bilatérales a été négociée au cours de l'année 2016 ; elle est aujourd'hui en vigueur, signée par 95 pays, ratifiée par 63 pays, dont 31 membres de l'OCDE, y compris la France. Sur les 3 500 conventions fiscales existantes, 650 ont déjà été modifiées et 1 800 autres devraient l'être lorsque tous les pays auront ratifié la convention multilatérale. Celle-ci a même été signée et ratifiée par les Pays-Bas, le Luxembourg, l'île Maurice, ou la Barbade, des pays utilisés pour faire du « treaty shopping » (chalandage fiscal)... L'utilisation des conventions fiscales pour commettre des abus a donc été fortement limitée et les recettes fiscales des pays ont été consolidées.

L'action 13 prévoit l'échange de renseignements sur les affaires fiscales des entreprises, avec l'idée de mettre les administrations fiscales sur un pied d'égalité avec les groupes multinationaux. Les administrations fiscales ont désormais connaissance de la planification fiscale de ces entreprises au niveau mondial, et pas seulement des interactions entre les filiales présentes sur leur territoire et les filiales présentes dans un autre territoire. C'est ainsi que 93 pays ont mis en place des obligations de reporting pays par pays ; la France envoie des renseignements à 65 pays et en reçoit de 81 pays. L'OCDE a en outre mis en place le programme ICAP (International compliance assurance program) sur la conformité internationale des entreprises qui permet une analyse des risques et des contrôles fiscaux coordonnés entre 19 administrations fiscales nationales, dont la France. Ce programme fonctionne bien, avec un nombre croissant de pays qui souhaitent le rejoindre.

L'action 2 relative au démantèlement des produits hybrides a été mise en place par 32 pays.

L'action 3 renforce la lutte contre la délocalisation des profits dans des juridictions à faible fiscalité ; c'est l'équivalent de l'article 209 B du code général des impôts français. La France n'a pas modifié son article de loi, mais 49 pays ont modifié leur dispositif de sociétés étrangères contrôlées.

L'action 4 relative à la limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunt a été appliquée par plus de 90 pays. Les changements de définition de l'établissement stable, pour rendre les abus moins faciles, voire impossibles, ont été adoptés par 45 pays, dont la France qui n'a pas émis de réserve sur ce point.

L'action 14 est relative au renforcement de l'élimination de la double imposition et à la sécurité juridique des entreprises.

L'action 11 vise à mieux connaître la planification fiscale des entreprises multinationales par la collecte de données. Avant le projet BEPS, il n'y avait pas de statistiques relatives aux multinationales dans la comptabilité de l'impôt sur les sociétés.

Enfin, l'action 1 prévoit de nouvelles règles en matière de TVA applicables aux entreprises de l'économie numérique. Le premier défi de l'économique numérique et de la vente à distance est en effet d'abord en termes de consommation. En effet, jusqu'en 2015, il n'y avait pas de règles claires sur l'assujettissement à la TVA des ventes de biens à distance ou des prestations de services en ligne. Le standard proposé est aujourd'hui appliqué par plus de 70 pays, dont ceux de l'Union européenne et 40 pays vont prochainement l'appliquer. Pour la seule année 2015, 15 milliards d'euros d'impôts ont été collectés dans l'Union européenne du fait de cette mesure.

Combien le projet BEPS a-t-il rapporté ? Hélas, je ne peux pas vous donner une réponse précise. Autrefois, nous ne collections pas les données, nous sommes en train de le faire, mais cela prend beaucoup de temps et nous avons en général ces données deux à trois ans après les faits. Néanmoins, notre estimation du gain en 2015 était de l'ordre de 240 milliards à 250 milliards d'euros, et nous pensons que toutes ces mesures ont eu un impact significatif.

Nos travaux ont changé profondément la donne en renforçant les souverainetés fiscales par la coopération internationale. Nous avons cherché à mettre en place une régulation fiscale de la mondialisation.

Nous ne sommes pas allés jusqu'au bout parce qu'en matière de prix de transfert, par exemple, tous les États ont été extrêmement conservateurs, notamment les États-Unis. Nous n'avons donc pas pu modifier la possibilité pour les entreprises de localiser la création de valeur incorporelle, qui constitue l'essentiel de la création de valeur contemporaine - celle-ci n'étant plus dans les usines - et est donc extrêmement facile à localiser dans des juridictions à faible fiscalité. Or les règles de prix de transfert telles qu'elles ont été élaborées il y a près d'un siècle ne permettent pas de lutter efficacement contre ce risque.

En outre, en matière d'économie numérique, il y avait une très grande frustration, le progrès en matière de TVA - pourtant le plus important - étant passé sous les écrans radar. Cette frustration avait provoqué un questionnement sur la définition d'établissement stable dans un monde numérique pour que les pays puissent récupérer de la matière taxable sur les GAFA. Sur ce point, le projet BEPS a échoué, notamment parce que l'administration américaine de l'époque avait refusé de négocier, conduisant d'autres pays, dont la France en leadership, à prendre des mesures unilatérales pour compenser cet échec. Les conventions fiscales interdisant de changer la définition de l'établissement stable sauf accord de l'autre pays, et ne permettant pas non plus de changer les règles de prix de transfert, déterminées à leur article 9, les pays ont donc dû utiliser ce que l'on appelle des taxes sur les services numériques - donc des taxes sur les transactions et le chiffre d'affaires, peu appréciées d'un point de vue économique, mais politiquement sans doute inévitables. C'est en tout cas ce qu'ont considéré la France, le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne, la Hongrie, l'Autriche, l'Indonésie, le Canada et d'autres pays qui les ont mises en place ou vont le faire.

En 2017, les États-Unis ont conduit une réforme fiscale paradoxale, puisqu'ils ont financé la baisse drastique de 35 % à 21 % de leur impôt sur les sociétés - cohérente avec l'approche républicaine - en élargissant la base fiscale, et pour ce faire en appliquant le projet BEPS. Ce faisant, ils se sont tournés vers l'OCDE en disant : nous voulons appliquer les mesures de limitation de la déduction des intérêts, mais aussi changer les règles de prix de transfert, qui sont inefficaces ; enfin, nous reconnaissons qu'il faudrait donner davantage d'imposition aux pays de marché, comme les Français le réclament sur les entreprises du numérique, mais nous voulons le faire sur toutes les entreprises.

Les négociations ont donc repris autour de deux idées. D'abord l'idée d'un nouveau lien, ou nexus, - c'est-à-dire une extension de la définition de l'établissement stable pour récupérer les services numériques - et de nouvelles règles d'allocation des profits, ce qui a occasionné un débat entre pays. Tandis que les pays européens, pour simplifier, voulaient limiter cela aux entreprises numériques, les États-Unis et la Chine le refusent, avec l'idée de de récupérer une partie du profit résiduel des autres entreprises, comme LVMH qui font des affaires chez eux, mais qui, du fait des règles de transfert, n'y génèrent que 3 % de leurs profits.

La discussion a été bloquée pendant deux ou trois ans sur ce sujet, mais un autre sujet a émergé : dans le cadre de leur réforme de l'impôt sur les sociétés en 2017, et en prolongement de l'action 3 du BEPS qui vise à renforcer la lutte contre la délocalisation des profits dans les paradis fiscaux, les États-Unis ont introduit le principe d'un impôt minimum sur les profits réalisés par leurs entreprises à l'étranger, le GILTI. Cela ne veut pas dire « coupable » en anglais, mais un peu quand même... Ce sont les initiales de Global intangible low-taxed income, cela désigne en français les incorporels qui ont été sous-taxés. Toutes les entreprises américaines réalisant des profits hors États-Unis taxés en moyenne en dessous de 10,5 % doivent verser aux États-Unis la différence. C'est contraire au principe de territorialité que connaissent la France et la plupart des pays du monde, selon lequel les profits réalisés à l'étranger ne sont pas taxés dans le pays du siège. Pour les États-Unis, ils ne le sont pas, sauf s'ils ont été sous-taxés à l'étranger : c'est un filet de sécurité.

L'Allemagne, la France et quelques autres ont indiqué qu'ils aimeraient faire de même. Cela n'était pas mûr dans le cadre de l'action 3, mais cela peut l'être désormais. Nous avons donc développé des blueprints sur les piliers 1 et 2 ; il n'y a pas eu d'accord parce que les États-Unis ont joué un peu « au chat et à la souris ». Sur le champ d'application, fortement débattu, nous avons proposé un compromis en octobre 2019, selon lequel seraient concernées les entreprises numériques, mais aussi les entreprises qui vendent au consommateur final sur les marchés, ce qui devait refléter à la fois la position des Européens et des Américains. À la dernière minute, le 5 décembre 2019, le secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin, a proposé que cette solution soit optionnelle pour les entreprises, ce qui était inacceptable pour les partenaires des États-Unis. Malgré ce froid à la fin de l'année 2019, nous avons essayé de maintenir le projet en vie en proposant deux blueprints sur chacun des piliers.

Comme vous l'avez indiqué en introduction, Monsieur le Président, la nouvelle administration Biden a relancé ces discussions. Le président Biden a fait de la fiscalité un sujet majeur de sa présidence avec un discours extrêmement puissant sur la contribution des plus riches et des entreprises les plus profitables au plan de financement des infrastructures américaines, qui représente plus de 2 000 milliards de dollars. Le président Biden propose ainsi de durcir le dispositif d'imposition minimum (« GILTI ») en portant le taux du seuil de 10,5 % à 21 %, sachant que le taux moyen d'impôt sur les sociétés serait porté de 21 % à 28 %. Mais, plus important, même si beaucoup se focalisent sur le taux, il propose d'aligner la base du GILTI sur le blueprint de l'OCDE et d'apprécier le taux effectif d'imposition des entreprises américaines à l'étranger non plus en moyenne, mais pays par pays. Aujourd'hui, si une entreprise américaine a la moitié de son profit en France, taxé à 30 %, et l'autre moitié de son profit aux îles Caïmans, taxé à 0 %, on considère que son taux effectif moyen extérieur est de 15 % : demain, si la réforme est adoptée par le Congrès avant le 30 septembre prochain - puisque c'est l'échéance pour utiliser une procédure à la majorité simple - elle ne sera pas surtaxée pour son profit en France à 30 %, mais elle devra verser aux États-Unis 21 % de ses profits réalisés aux îles Caïmans.

On voit que ce changement de base tue l'utilisation des paradis fiscaux ou des juridictions à faible fiscalité. Le président Biden en a fait une priorité absolue et il souhaite que le reste du monde puisse aller dans cette direction, aussi près que possible de 21 %. Comme c'est conforme au blueprint du pilier 2 et que nous sommes proche d'un accord, le président Biden a indiqué qu'il était prêt à changer les règles dites de nexus, donc la possibilité d'être taxé même sans présence physique, et d'allocation des profits, afin d'allouer un pourcentage du profit résiduel des entreprises au pays de marché. Il propose un champ d'application qui ne se limite pas aux entreprises du numérique, mais qui implique les plus grandes et les plus profitables des entreprises mondiales, avec des seuils très élevés, ce qui va au-delà de notre champ d'application initial du pilier 1, mais aboutit à des montants similaires, de l'ordre de 400 milliards à 600 milliards de dollars. C'est donc une proposition sérieuse qui a l'avantage d'être largement bipartisane et donc susceptible d'être traduite en droit interne américain, y compris pour la ratification d'une convention multilatérale, qui serait nécessaire pour cette solution.

Les chances de succès n'ont jamais été aussi élevées : il y a un vrai désir de part et d'autre de conclure ce dossier et beaucoup d'appétit sur le pilier 2, notamment après le covid, car les États vont devoir collecter plus d'impôts et il ne sera pas acceptable que les entreprises qui ont été aidées puissent localiser leur profit dans des paradis fiscaux. Mettre d'accord 139 pays sur un pied d'égalité n'est pas facile, mais le succès est possible, avec notamment, en cas d'échec, le spectre de mesures de rétorsion commerciales si les pays maintenaient leurs taxes nationales sur les services numériques, des taxes par défaut.

Voici donc l'état d'avancement de nos travaux : au cours des six dernières années, la fiscalité internationale a changé en profondeur. Tandis qu'il y a dix ans, la planification fiscale agressive des entreprises était la norme acceptée par les États et par l'opinion publique, nous avons assisté à un revirement de la perception et des moyens des administrations fiscales et nous pouvons espérer la fin de ces années curieuses où les entreprises pouvaient bénéficier de la globalisation sans en supporter aucune charge.

M. Claude Raynal, président. - Comme à chaque fois que nous vous entendons, nous sommes étonnés de votre capacité à simplifier une question d'une grande complexité.

À la fin de votre intervention, vous m'avez rassuré sur la capacité du système américain à maintenir un accord après les élections ; la période républicaine récente nous a montré que les accords internationaux ne tenaient que tant que les Américains le décidaient... L'accord global de l'échiquier politique américain sur ce sujet est une bonne nouvelle dont nous n'avions pas connaissance.

On peut se féliciter de voir nos amis américains aller dans le sens de propositions anciennes portées par une partie des Européens, comme concernant les échanges de renseignements, qui faisaient l'objet d'un grand scepticisme à leurs débuts, mais qui ont permis des évolutions considérables. J'ai cependant tendance à considérer que lorsque les Américains proposent quelque chose, ce sont eux qui y gagnent le plus. J'aimerais donc avoir votre appréciation sur la motivation précise des États-Unis dans cette affaire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Les négociations s'opéraient jusqu'à présent de façon parallèle sur les piliers 1 et 2. La simultanéité des changements de réglementation constitue cependant un point important pour la France, dans la mesure où les évaluations des conséquences pour les recettes fiscales varient fortement entre les deux piliers, le premier étant plutôt neutre. La France pourrait en revanche récupérer une part importante d'assiette grâce à un taux minimal d'imposition.

Concernant le pilier 1 relatif aux droits d'imposition, les États-Unis ont récemment proposé une évolution sensible des critères d'assujettissement, en passant d'une approche par modèle d'affaires, reposant sur des critères complexes pour qualifier un modèle d'affaires dit numérique, à une approche plus simple, mais de nature purement comptable, en retenant les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à 750 millions d'euros. S'il s'agit d'un facteur de simplification, cette proposition revient en partie sur l'objectif initial du premier pilier d'appréhender en priorité les entreprises proposant des services numériques ou étant en relation étroite avec le consommateur. En effet, le modèle économique des entreprises excédant le seuil de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires mondial peut être très différent. Comment cette proposition a-t-elle été reçue ? Vous semble-t-elle cohérente avec l'objectif des négociations ? Quelles seraient ses conséquences sur les entreprises concernées ?

S'agissant du pilier 2, l'attention se concentre sur la question du taux minimal retenu, proposé initialement à 12,5 % et désormais envisagé à 21 %. Pour autant, tout dépend de l'assiette commune à partir de laquelle le taux est appliqué. Il s'agit donc d'un enjeu majeur, en particulier pour la France qui a traditionnellement le recours à des crédits d'impôt pour encourager notamment la recherche et développement. Qu'en est-il des discussions sur ce point ? Quel pourrait être l'agrégat retenu ?

Enfin, pour financer le plan de relance européen, de nouvelles ressources propres sont recherchées, parmi lesquelles une redevance numérique. La Commission européenne a ouvert une consultation à ce sujet, en amont d'une proposition attendue d'ici l'été. Plusieurs inconnues subsistent encore, notamment sur le caractère subsidiaire ou complémentaire à un accord international d'une telle solution. Il pourrait, par exemple, être envisagé de n'appréhender que les entreprises réalisant un chiffre d'affaires mondial inférieur à 750 millions d'euros.

Vous présentez souvent la solution proposée par l'OCDE comme un moyen de mettre un terme à la prolifération de taxes régionales, voire nationales. Dès lors, quel regard portez-vous sur le projet de redevance numérique européenne ? Où en est-on d'une solution internationale, qui serait plus logique et efficace ?

M. Pascal Saint-Amans. - Le président Raynal m'interrogeait sur les motivations américaines. Les États-Unis ont, je crois, compris, comme tous les pays du monde et malgré le lobbying de leurs entreprises, que le modèle économique fondé sur le reaganisme et le thatchérisme était épuisé. La crise de 2008 a montré que l'effacement des frontières sans régulation avait accru les inégalités et n'était plus soutenable. Le changement de doctrine de l'OCDE et du Fonds monétaire international (FMI) illustre cette évolution.

Dans ce contexte, l'administration Biden agit dans le prolongement de la réforme intervenue en 2017 s'agissant des bases fiscales, et qui reprenait des actions de BEPS. Sa motivation est politique pour ce qui concerne le pilier 2 et l'idée de remonter le taux d'impôt sur les sociétés à 28 %, de fixer un impôt minimum à 21 % et d'instaurer une appréciation pays par pays. En revanche, le cadre d'un impôt minimum est bipartisan. La proposition américaine sur le champ d'application du pilier 1, qui ne comprendrait pas seulement les services numériques, est soutenue par les Républicains comme par les Démocrates. Du reste, le ranking member (le chef de l'opposition) de la commission des finances du Sénat n'a pas critiqué la proposition américaine sur son champ.

Je ne crois cependant pas qu'il faille nourrir des inquiétudes sur les négociations : à la différence de la récupération des informations bancaires des citoyens américains, les États-Unis ne prendront pas de mesure unilatérale sur le sujet. La secrétaire d'État au Trésor Janet Yellen comme Joe Biden souhaitent établir une paix fiscale avec leurs alliés et les pays du G20.

La proposition américaine sur le pilier 1 va au-delà de 750 millions de chiffre d'affaires puisqu'elle concerne seulement les plus grandes entreprises du monde, les plus profitables. Le seuil fait encore l'objet de négociations, mais il pourrait s'établir autour de 20 milliards d'euros de chiffre d'affaires mondial. La proposition porterait donc sur une centaine d'entreprises qui concentrent les profits réalisés à l'échelle mondiale et sont les symboles de l'hyper concentration de la richesse créée par la mondialisation. Le pilier 1 ne concernerait donc que les vainqueurs de la mondialisation, soit des entreprises majoritairement américaines, mais aussi quelques entreprises françaises, allemandes, chinoises et japonaises.

L'impact budgétaire d'une telle proposition devrait être positif pour la France. Quand on regarde les entreprises qui feraient partie de ce champ, on retrouve d'ailleurs les grandes entreprises américaines du numérique - Apple, Microsoft, Google, Facebook. Aussi, la proposition américaine, bien que limitée, a du sens : pourquoi exclure des entreprises tout aussi profitables d'une réallocation de leurs profits dans les pays de marché ? Elle apparaît également plus simple, dans la mesure où son périmètre évite de segmenter les champs d'activité. En outre, les administrations fiscales sont en mesure de gérer l'imposition et les comptes d'une centaine d'entreprises ; cela serait moins aisé pour les 450 entreprises qui réalisent un chiffre d'affaires mondial supérieur à 750 millions d'euros.

S'agissant du pilier 2, aucun taux minimal n'a fait l'objet d'un accord. L'administration Biden souhaite, je le rappelle, une base pays par pays. Le taux avancé par Bruno Le Maire se fonde sur le taux minimal appliqué en Irlande - 12,5 % - alors que celui des États-Unis s'établit à 10,5 %. Si les États-Unis appliquaient un taux de 21 % avec une logique pays par pays, alors nous pourrions sûrement nous montrer plus ambitieux et un taux minimal de 12,5 % ne serait plus tabou, malgré les propos tenus par le ministre des finances irlandais.

Vous avez raison, la base d'imposition constitue un point essentiel. Nous avons travaillé, dans le cadre du blueprint, sur une base commune. Se pose effectivement la question des amortissements ou encore des crédits d'impôt : qu'exempter de l'impôt minimum ? Notre proposition exclut les actifs à l'étranger et une partie de la substance, s'il y a des vraies activités de recherche et développement dans le pays. Il faudrait prendre en compte ces activités pour que les pays puissent continuer à avoir, par exemple, un crédit d'impôt recherche. Cela répond aux préoccupations de la France et de la Chine notamment.

Un accord mondial n'est envisageable d'ici le mois d'octobre qu'en l'absence de mesure unilatérale à l'instar de la taxe numérique française. L'Union européenne travaille effectivement à une proposition de ressources propres numériques - pour un objectif de rendement d'environ 17 milliards d'euros -, mais le commissaire européen Paolo Gentiloni a conscience qu'elle ne doit pas aller à rebours des recommandations de l'OCDE. Ses déclarations me semblent rassurantes : cette taxe supplémentaire s'appliquerait avec un taux faible et une base large. Elle ne serait ainsi pas ciblée sur les entreprises américaines de services numériques, ce qui avait conduit aux mesures de rétorsion américaines en application de la section 301. Je suis convaincu que la Commission européenne ne prendrait pas le risque que les États membres rejettent sa proposition.

M. Claude Raynal, président. - Comme président du groupe interparlementaire d'amitié France-Chine, je m'intéresse particulièrement à ces questions économiques. L'OCDE possède une tradition de discussion avec la Chine. Quelle est la vision de la Chine sur la proposition américaine, alors que les deux pays entretiennent depuis plusieurs années une relation difficile ?

M. Éric Bocquet. - Il était important d'évoquer l'administration Biden. Un vent nouveau souffle à l'Ouest, mais s'il ne s'agit pas d'un grand soir fiscal... La proposition américaine constitue une réponse pragmatique à des difficultés économiques et sociales. Une bataille va s'engager sur la taxation des multinationales, et pas seulement des entreprises numériques, avec un enjeu de plusieurs centaines de milliards de dollars. Elle se tiendra au Congrès, mais également entre les États à l'échelle mondiale. Le taux minimal de 21 % représente un point important. Il faut nous attendre à une réaction de l'Irlande, qui applique un taux de 12,5 %, et des Pays-Bas. La France gagnerait à s'engager dans le débat.

Un grand quotidien du soir a récemment enquêté sur 140 000 sociétés basées au Luxembourg et a révélé que 55 000 étaient offshore, avec les actifs s'élevant à 6 500 milliards d'euros. Le Luxembourg demeure un acteur clé de l'évasion fiscale en Europe, alors que ni la France ni l'Union européenne ne le considèrent comme tel, comme le montre la convention fiscale dont nous avons débattu cet été. Du reste, le Gouvernement n'a pas réagi à ces révélations...

En tant que spécialiste des systèmes fiscaux internationaux, quelle est votre appréciation de cette enquête et des révélations qu'elle comporte ? Ce travail ne démontre-t-il pas que le modèle des conventions bilatérales entre États est désormais un peu inadapté, voire dépassé ? N'est-il pas temps de privilégier une démarche multilatérale pérenne sous l'égide du FMI, de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou, pourquoi pas, d'un organisme encore à inventer ?

Enfin, je m'interroge sur l'ambiguïté du gouvernement français dans le cadre des récentes négociations sur la directive européenne visant à imposer la publication, pays par pays, des données fiscales et financières des entreprises. La France a en effet tenté de faire en sorte que l'on ne publie pas les résultats pays par pays, mais de manière agrégée, et de promouvoir la mise en place d'un différé de six années pour la publication desdites données. Selon vous, quelles répercussions la position officielle de la France aura-t-elle ?

M. Vincent Segouin. - J'ai bien compris que le projet en cours de négociations visait avant tout ces cent entreprises à travers le monde qui ont un seuil de chiffre d'affaires supérieur à 20 milliards d'euros : quid des sociétés qui sont ciblées par la taxe sur les services numériques au niveau national ? Seconde question, la Chine est-elle prête à échanger des renseignements avec les administrations fiscales et acceptera-t-elle d'appliquer le taux minimum d'imposition de 21 % sur ses propres entreprises ?

M. Gérard Longuet. - Je m'interroge sur les motivations américaines. Elles reposeraient sur une observation de bon sens, à savoir que la crise de 2008 a démontré que le succès de la mondialisation n'excluait pas une nécessaire régulation. Cette vision est-elle vraiment commune aux deux principaux courants politiques du pays ?

Je souhaite également savoir si l'attitude relativement pragmatique des États-Unis, qui tend à faciliter la mise en oeuvre d'une régulation fiscale internationale, ne résulte pas d'un souhait d'élargir l'assiette de leurs ressources - après avoir affiché une baisse spectaculaire de leur taux d'imposition - pour rééquilibrer leurs finances publiques, mais bien d'une préoccupation légitime.

Selon vous, quelles marges de manoeuvre subsistera-t-il à un État-nation en matière de politique fiscale, dès lors que la réglementation portant sur les grandes entreprises affectera inéluctablement, par capillarité, le comportement des plus petites entreprises ? Vous avez évoqué le crédit d'impôt recherche : de quelle latitude disposeront les parlementaires demain pour fixer le mode de calcul de cet impôt dans un système parfaitement mondialisé et dominé par la plus grande puissance économique actuelle, les États-Unis ?

M. Thierry Cozic. - L'arrivée de l'administration Biden a permis de faire avancer sensiblement les négociations actuelles sur la taxe sur les géants du numérique et l'impôt minimum sur les sociétés au sein de l'OCDE. La nouvelle secrétaire d'État au Trésor a notamment avancé des propositions rejoignant certaines positions françaises et allemandes.

Néanmoins, le système de taxation des GAFAM mis en avant par les Américains paraît un peu plus simple que celui que l'OCDE suggère : il repose notamment sur l'idée qu'il faut distinguer, parmi les revenus des entreprises, ceux qui relèvent des activités numériques de ceux qui proviennent des échanges physiques.

Dans le même temps, un constat s'impose : entre avril 2020 et mars 2021, les profits cumulés des GAFAM atteignent plus de 242 milliards de dollars, en hausse de 44 % sur une année. On sait aussi que, pour être imposable, une entreprise doit disposer d'un cycle complet de production dans un pays donné, dit « établissement stable », ce qui signifie qu'il faut qu'elle ait des bureaux, des locaux et des salariés sur le territoire. Ce n'est évidemment pas le cas des GAFAM ni des entreprises numériques : dans un tel cadre, qu'envisagez-vous pour que l'on puisse taxer de manière efficace les géants du numérique ?

M. Claude Raynal, président. - Notre collègue Jérôme Bascher, qui assiste à notre réunion par visioconférence mais rencontre un problème technique, m'a autorisé à poser sa question à sa place : selon vous, dans quels délais pourrions-nous disposer d'un régime de taxation minimale abouti ?

M. Charles Guené. - Le plan de relance européen est actuellement en cours d'élaboration : il est notamment prévu que son financement repose, non pas sur des contingents européens, mais sur de nouvelles taxations comme, par exemple, une taxe sur le plastique non recyclé ou sur les opérations financières. On sait bien que l'instauration de ces impôts communs n'est pas pour demain, mais j'aimerais savoir s'ils ont une utilité, selon vous, et comment ils sont perçus hors d'Europe.

M. Victorin Lurel. - Disposez-vous d'une estimation actualisée des écarts de taxation entre les entreprises numériques et les entreprises « classiques » ? A-t-on une idée précise de l'effort qu'il conviendrait de fournir pour mettre en place cet impôt minimum ?

M. Pascal Saint-Amans. - Tout d'abord, puisque certaines de vos questions ont porté sur la Chine, je tiens à préciser que, même si l'OCDE ne comporte que 37 États membres, elle a mis en place deux organisations, le Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales et le Cadre inclusif sur le projet BEPS, qui rassemblent des pays bien au-delà des seuls membres de l'OCDE.

Le Forum mondial, qui regroupe 162 pays - dont la Chine -, vise la fin du secret bancaire. Je rappelle que les échanges depuis la fin du secret bancaire ont porté sur 10 000 milliards d'euros d'actifs pour 84 millions de comptes répertoriés en 2019, et 107 milliards d'euros d'impôts collectés. Par ailleurs, la Chine joue un rôle important au sein du Cadre inclusif : elle a adopté une position extrêmement constructive au cours de ces cinq dernières années de négociations. Elle a indiqué son soutien au pilier 1 et à son émergence, et des inquiétudes au sujet du pilier 2, et notamment le souci qu'il ne l'empêche pas de prendre les mesures de soutien à la recherche nécessaires pour transformer son économie.

M. Bocquet a mentionné les différences de stratégies entre pays européens. Les positions diffèrent bien sûr, mais il faut attendre de voir ce vers quoi les négociations actuelles vont tendre. Il a évoqué le cas de l'Irlande : le ministre des finances irlandais a récemment ouvert la porte à un ralliement au pilier 2, tout en rappelant que son pays restait attaché au taux de 12,5 % qui est celui de leur impôt sur les sociétés. Les Pays-Bas, très longtemps considérés comme le modèle d'une planification fiscale agressive, ont décidé de changer de politique il y a environ quatre ans : aujourd'hui, ils soutiennent totalement le pilier 2.

Reste à savoir si l'Union européenne sera capable d'élaborer ce pilier 2, car on le sait, en matière fiscale, le droit de l'Union européenne impose que les décisions soient prises à l'unanimité. Pour que les États-Unis puissent avancer sereinement, avec le soutien du reste du monde, il faudra que l'Europe puisse agir et, donc, que les grands pays que sont l'Allemagne, la France, l'Italie ou l'Espagne, très favorables au pilier 2, appuient cette évolution et parviennent à infléchir la position de plus petits pays qui y sont opposés, comme l'Irlande ou la plupart des pays de l'Est de l'Europe.

Puisque vous me demandez de réagir au sujet du projet OpenLux et de l'excellent travail du journal Le Monde, je trouve que le Luxembourg fait presque figure d'arroseur arrosé, dans la mesure où ce pays est plutôt en avance par rapport aux autres en ce qui concerne la transparence de ses bénéficiaires effectifs, après avoir mis en place un registre public. C'est à partir de ces données publiques que les journalistes ont révélé certaines insuffisances, qui seraient probablement plus prononcées dans d'autres États européens.

Cela étant, le Luxembourg a toujours défendu des politiques très attractives en matière de fiscalité, et certaines personnes physiques continuent d'utiliser ces politiques à des fins d'évasion fiscale. Cet aspect n'a jamais fait l'objet de travaux internationaux : peut-être serait-il utile d'engager des études sur le sujet.

Sur la publication des données fiscales des entreprises, pays par pays, et sur la directive communautaire, je travaille pour l'OCDE et non pour l'Union européenne : tout ce que je peux vous dire à cet égard, c'est que le reporting pays par pays échangé entre les administrations fiscales correspond à l'action 13 du projet BEPS, et que les États-Unis et le Japon avaient conditionné leur accord au fait que la publication de ces données reste confidentielle. Quant à la directive européenne, elle est pétrie de bonnes intentions mais oublie peut-être ces engagements internationaux. En tant qu'Européens, nous avons parfois tendance à pointer du doigt les États-Unis en raison de leur unilatéralisme, mais il faut aussi parfois savoir reconnaître ses propres erreurs.

Pour répondre à M. Segouin, le pilier 1 vise en effet des entreprises dont le seuil de chiffre d'affaires serait très élevé, supérieur à 10 milliards, 15 milliards ou 20 milliards d'euros. Son champ d'application concernerait certes un nombre limité de sociétés, mais il faut avoir en tête que les Européens souhaitent avant tout renforcer les droits d'imposition sur des entreprises qui font des profits sur leur territoire, et non récupérer l'intégralité des profits accumulés. L'enjeu est de faire en sorte qu'une partie de cette rente résiduelle revienne aux pays, dans la mesure où les règles actuelles en matière de prix de transfert ne le permettent pas.

Pour une petite entreprise transnationale, réalisant 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires, par exemple, et un profit résiduel de 350 millions, on obtient, avec un taux d'imposition de 20 %, un montant de 70 millions d'euros à répartir entre 200 pays... Finalement, c'est un mécanisme très lourd pour récupérer peu. Mieux vaut donc viser les très grandes entreprises. Les GAFA ont réalisé 240 milliards de dollars de profits au premier trimestre... Il est vrai que l'on créerait une petite distorsion entre ces sociétés et les autres, mais est-il intéressant de créer une usine à gaz en visant toutes les entreprises, sans gagner beaucoup ? En fait, certaines entreprises cumulent les profits et deviennent plus profitables : cet effet boule de neige justifie que l'on se focalise sur elles.

La logique de l'administration Trump était d'élargir la base fiscale pour financer la baisse des taux d'imposition. La logique de l'administration Biden est d'augmenter le taux, en continuant à élargir la base d'imposition. Elle n'accepte plus de laisser aux entreprises des instruments leur permettant de réduire leur base fiscale. Le dispositif « GILTI » laisse la possibilité aux entreprises américaines, si elles réalisent des profits dans un pays plus taxé que les États-Unis, comme la France, de les délocaliser dans des juridictions à faible fiscalité. L'administration Biden entend mettre fin à cette possibilité-là et à cette planification fiscale agressive pour financer son plan d'infrastructures. Avant la mise en oeuvre de BEPS, les entreprises américaines ne payaient rien en Europe, car leurs profits partaient en Irlande pour être défiscalisés grâce à des produits hybrides, puis aux Bermudes où ils n'étaient pas taxés, et tant qu'ils n'étaient pas distribués, ils n'étaient pas imposés aux États-Unis, ce qui fait que le taux effectif d'imposition était proche de zéro. Désormais ces profits sont taxés en Europe, du fait des mesures permettant de lutter contre les produits hybrides, de limiter la déduction des intérêts ou de définir de manière plus stricte la notion d'établissement stable. L'Irlande a d'ailleurs vu ses recettes d'impôts sur les sociétés augmenter ; les profits ne vont plus aux Bermudes non plus et sont rapatriés aux États-Unis. La question est désormais de savoir s'ils y seront davantage taxés. La réponse est probablement « oui », même s'il est encore trop tôt pour savoir si ce taux sera de 21 %, comme le souhaite le président Biden.

En ce qui concerne les ressources propres européennes, la taxe sur le numérique devrait se transformer en une taxe avec une assiette large et un taux très faible, pour éviter les perturbations économiques. D'autres ressources sont envisagées comme une taxe sur le plastique ou sur le carbone : 70 % des émissions de carbone ne font l'objet d'aucun prix dans le monde, cela doit changer si l'on veut lutter contre le réchauffement climatique, mais le sujet est très sensible politiquement...

Vous m'avez interrogé aussi sur l'écart entre le taux nominal d'imposition et le taux effectif. On n'a pas de données sur ce qui serait le taux effectif des entreprises du numérique par rapport aux autres entreprises, d'autant que la réforme fiscale américaine a changé la donne. Il est vrai toutefois, malgré les avancées de BEPS, que les grandes entreprises ont des taux effectifs plus faibles, grâce à leur possibilité d'utiliser certaines niches fiscales.

En ce qui concerne la mise en oeuvre d'un impôt minimum, il faudra attendre que les États-Unis adoptent leur législation pour savoir quel taux est retenu. Dès le mois de juillet, un accord devrait être trouvé sur le pilier 2 ; un accord sur le taux interviendrait sans doute plus tard, en octobre. Il existe déjà des modèles de législation prêts afin que les pays puissent le mettre en oeuvre facilement. Les dispositions relatives au pilier 2 ne dépendent pas d'une convention multilatérale pour être applicables et les pays peuvent les appliquer directement, même si une directive sera nécessaire en Europe. Cela signifie que l'application pourrait intervenir au 1er janvier 2023, pour laisser le temps aux parlements de se prononcer et aux États de modifier leur législation.

M. Claude Raynal, président. - On constate que le climat a changé fortement en quelques années sur ces sujets : il y a peu encore, nous ne pouvions qu'être dubitatifs sur notre capacité à avancer sur ces questions. L'OCDE, qui était considérée comme un simple forum de pays, a montré sa capacité à accompagner ces avancées. J'espère que ce projet ira à son terme et que nous n'aurons pas à vous auditionner dans quatre ans sur le même sujet... Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Programme de stabilité 2021-2027 et plan national pour la reprise et la résilience (PNRR) - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous en venons maintenant à la communication du rapporteur général sur le programme de stabilité 2021-2027. Nous avons procédé à l'audition du ministre des comptes publics Olivier Dussopt le jour même de sa présentation en Conseil des ministres et le rapporteur général vous a transmis son analyse pendant la suspension des travaux parlementaires en séance publique. Depuis, le plan national pour la reprise et la résilience (PNRR) a été présenté et nous avons également pu interroger le ministre sur ce point. Le rapporteur général a souhaité présenter ses analyses devant la commission pour qu'elles puissent donner lieu à un débat.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Le Conseil des ministres a adopté, le 14 avril dernier, le projet de programme de stabilité pour les années 2021 à 2027. Celui-ci présente la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement ainsi que le scénario macroéconomique sous-jacent.

Ce projet revêt cette année une importance toute particulière, dans un contexte marqué par le prolongement des contraintes sanitaires et une hausse inédite de l'endettement public. Il lève par ailleurs en partie le voile sur la stratégie budgétaire de la majorité pour le prochain quinquennat, à la suite de la remise du rapport de la commission sur l'avenir des finances publiques.

En dépit de la suspension de nos travaux, je vous ai transmis une analyse de ce projet sous la forme d'une communication, que vous avez reçue mardi 20 avril dernier. Je vais vous en résumer ce matin les principaux éléments. Nous pourrons également aborder dans nos échanges le plan national pour la reprise et la résilience que nous avons reçu depuis.

Le PNRR n'apporte presque rien de nouveau par rapport au plan de relance que nous avons examiné à l'automne dernier. Ses priorités sont celles du plan de relance. Les montants sont différents parce que le PNRR indique, pour chaque ligne budgétaire, la part qui sera cofinancée par l'Europe via la facilité pour la reprise et la résilience. Toutefois, le véritable enjeu sera plutôt la rapidité de mise en oeuvre des projets, et ce dans l'ensemble des territoires. Le rythme est actuellement insuffisant, comme j'ai pu le constater en rencontrant des entrepreneurs et leurs représentants.

Le PNRR prévoit aussi des réformes, qui là encore ne sont pas nouvelles puisqu'il s'agit de dispositifs déjà votés et mis en oeuvre, ou en tout cas prévus dans des projets de loi en cours ou annoncés.

Il n'y a pas eu, contrairement à ce qui s'est passé dans d'autres pays, de véritable consultation du Parlement, des collectivités et des acteurs économiques sur le PNRR lui-même. Celui-ci dresse ainsi une liste des consultations de collectivités et d'acteurs économiques mais il s'agit plutôt des modalités de mise en oeuvre du plan de relance que de sa définition et des montants budgétaires, qui étaient arrêtés dès le mois de septembre. Je le regrette.

Venons-en maintenant au programme de stabilité. Celui-ci est marqué par une révision à la baisse de l'hypothèse de croissance pour 2021, ramenée de 6 % à 5 %. Il s'agit d'un scénario raisonnable au regard des dernières prévisions publiées depuis le resserrement des contraintes sanitaires. En dépit de la prolongation de la crise, le montant consacré au plan de relance n'est pas modifié. La stratégie française - et plus globalement européenne - diverge sur ce point de la stratégie américaine, marquée par une forte hausse du soutien budgétaire.

Cela peut conduire à s'interroger sur le risque d'un décrochage européen. Par exemple, le FMI estime désormais que la crise se traduira par une perte durable de capacité productive de l'ordre de 2,5 % du PIB en France, tandis que les États-Unis dépasseraient dès 2022 le niveau de production anticipé avant la crise !

Cela n'est sans doute pas étranger à l'annonce d'un « deuxième temps de la relance » par le Président de la République vendredi dernier dans la presse. Cette annonce aux contours encore imprécis laisse penser que le projet de programme de stabilité pourrait déjà être obsolète... En tout état de cause et comme je viens de le dire, il est impératif que la montée en charge des mesures déjà adoptées soit aussi rapide que possible.

Passons maintenant à la trajectoire budgétaire 2022-2027 proposée par le Gouvernement, qui constitue la véritable nouveauté de ce programme de stabilité.

Au cours du prochain quinquennat, la normalisation de la situation économique et sanitaire conduirait à amorcer un redressement des comptes publics, dans l'objectif de ramener le déficit public sous le seuil de 3 % du PIB en 2027.

Si le seuil de déficit public de 3 % du PIB ne doit pas constituer un « totem » sur le plan politique, il s'agit du niveau qui garantit de stabiliser l'endettement dans les principaux scénarios macroéconomiques élaborés pour la France par les grandes institutions internationales et les instituts de conjoncture. Il me semble donc pertinent.

Ce redressement reposerait exclusivement sur un effort de maîtrise de la dépense. La croissance de la dépense publique primaire - c'est-à-dire hors charge de la dette - devrait être contenue à 0,4 % par an, ce qui n'a été réalisé qu'à deux reprises en 20 ans. Concrètement, les économies à réaliser au cours du prochain quinquennat pour respecter la trajectoire gouvernementale atteindraient 65 milliards d'euros.

Il peut être noté que cette estimation est toutefois entourée d'incertitudes importantes.

D'un côté, le scénario de remontée des taux du Gouvernement tend vraisemblablement à majorer les économies nécessaires. En effet, il retient l'hypothèse très prudente d'une remontée rapide des taux pour construire la trajectoire budgétaire proposée. À titre d'illustration, retenir une charge de la dette conforme aux prévisions de la Commission européenne diviserait par deux les économies nécessaires sur la dépense primaire.

D'un autre côté, les hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement pourraient, à l'inverse, minorer l'effort nécessaire. En particulier, le Gouvernement considère que la crise n'aura aucun impact sur la croissance potentielle et que la maîtrise de la dépense ne pèsera pas sur la croissance effective.

Si le scénario gouvernemental suppose la mise en oeuvre d'un effort d'économies inédit, le Gouvernement se garde bien d'indiquer comment il entend atteindre son objectif de maîtrise de la dépense, au risque de fragiliser la crédibilité de la trajectoire proposée.

Si la piste d'une réforme des retraites est évoquée, elle produirait l'essentiel de ses effets sur les finances publiques au-delà du prochain quinquennat.

Dans ce contexte, je m'interroge sur le choix du Gouvernement de se concentrer actuellement sur la réforme de la gouvernance des finances publiques, plutôt que sur la mise en place de véritables revues de dépenses. Compte tenu de l'ampleur du défi à venir, il apparaît, en effet, indispensable d'engager sans tarder les travaux nécessaires pour identifier les gisements d'économies susceptibles d'être mobilisés au début du prochain quinquennat.

Je regrette également que le programme de stabilité reste muet sur la question du financement des dépenses d'avenir. Il faut être vigilant sur ce point, car lors de la précédente crise, le redressement des comptes publics avait pesé sur les dépenses d'avenir dans les pays du sud de l'Europe, au détriment de la croissance potentielle. Réalisés dans l'urgence, les efforts d'économies entrepris avaient fragilisé l'investissement public.

Si la France n'a pas connu de baisse drastique de ses dépenses d'avenir analogue à celle observée dans l'Europe du Sud, un effet d'éviction au profit des dépenses courantes peut néanmoins être observé sur longue période. Ainsi, la part des dépenses publiques utiles à la croissance dans la richesse nationale a eu tendance à diminuer au cours des 20 dernières années, alors que la dépense publique globale suivait la trajectoire inverse.

Pour la France, le défi du prochain quinquennat sera donc de concilier maîtrise de la dépense publique courante et hausse des dépenses d'avenir, en particulier dans le domaine de la transition écologique. Car la maîtrise de la dette publique ne saurait avoir pour contrepartie une hausse de la dette climatique !

Consciente de la nécessité d'articuler ces différentes contraintes, la commission présidée par Jean Arthuis a d'ailleurs proposé que la future norme de dépenses comporte un plancher pluriannuel de dépenses d'avenir, transverse aux administrations. Je n'en retrouve malheureusement pas la trace dans ce programme de stabilité.

Quelle que soit l'option qui sera finalement retenue, il me paraît en tout état de cause indispensable d'engager, dès à présent et parallèlement aux mesures d'économies qui devront être prises, un travail de définition de la nature et de la trajectoire des dépenses d'avenir, afin de les protéger des efforts à réaliser.

Mais plutôt que d'avancer sur ce front, le Gouvernement s'obstine à imaginer un traitement spécifique pour la « dette covid ». Après avoir d'abord proposé un « cantonnement », la solution finalement retenue serait celle d'un « isolement », qui n'impliquerait pas l'affectation de recettes publiques à une caisse d'amortissement dédiée. Selon les indications du programme de stabilité, cet isolement serait assuré par la création d'un programme budgétaire ouvert sur la mission « Engagements financiers de l'État » et doté de 140 milliards d'euros d'autorisations d'engagement, en vue d'un abondement de la Caisse de la dette publique dans les années à venir. Les crédits de paiement seraient décidés année après année, en fonction de la « dynamique de la croissance ».

La création d'un programme doté uniquement d'autorisations d'engagement, tel que proposé par le Gouvernement, constituerait une pratique inhabituelle, qui soulève des interrogations fortes. Source de complexité, elle rendrait le budget de l'État difficilement lisible, puisque la mission « Engagements financiers de l'État » pourrait alors devenir la première mission du budget général en termes d'autorisations d'engagement.

Si le Gouvernement tenait absolument à trouver une solution permettant de distinguer politiquement une « dette covid » dont il ne serait pas responsable, cela pourrait prendre une forme beaucoup plus simple consistant à identifier cette dernière au sein des documents budgétaires. Pour conclure, il me semble donc que l'inventivité de Bercy gagnerait à être mise au service de projets présentant un véritable intérêt pour nos finances publiques -recherche de gisements d'économies, identification des dépenses d'avenir, etc.

M. Vincent Delahaye. - Je regrette que le programme de stabilité s'inscrive dans la continuité des programmes annoncés depuis 40 ans : ceux-ci mettaient l'accent sur la maîtrise de la dépense publique, mais celle-ci n'a jamais cessé d'augmenter plus vite que l'inflation et que la population ! En définitive, on nous demande de faire des efforts par rapport à une tendance d'augmentation qui est très forte... Or, c'est cette tendance qu'il conviendrait de casser si l'on veut redresser nos finances publiques. Le programme de stabilité ne me semble pas de nature à le faire. Il importe surtout de diminuer les dépenses publiques improductives, de fonctionnement, et d'augmenter plutôt les dépenses d'investissement, à rebours de ce qui a été fait ces dernières années. Il est vrai que comme les dépenses publiques entrent dans le calcul du PIB, plus on dépense, plus la croissance semble forte. Mais en réalité, cela contribue à détruire la croissance.

Le plan de relance devrait contenir des mesures exceptionnelles en faveur de l'investissement. Or, dans le PNRR, 7,5 milliards d'euros sont consacrés aux politiques en faveur de la sauvegarde de l'emploi, des jeunes, du handicap et de la formation professionnelle. Quelle est la part dans cette somme de dépenses pérennes ?

M. Jérôme Bascher. - Selon l'Insee, le rythme de croissance au premier trimestre 2021 a été décevant. Cela ne compromet-il pas le scénario du programme de stabilité ? En outre, un nouveau plan de relance semble déjà annoncé. N'examinons-nous pas un projet fictif ?

M. Stéphane Sautarel. - On observe un décrochage en matière d'investissement depuis plusieurs années. Le programme du Gouvernement ne semble pas de nature à inverser la tendance. De même, comment définit-on les dépenses d'avenir ? On voit que le plan proposé ne contient pas que des dépenses d'investissement. Le scénario macroéconomique retenu semble hypothétique. Il est pourtant essentiel que notre programme soit crédible si l'on veut que nos partenaires aient confiance dans notre volonté de respecter nos engagements.

M. Rémi Féraud. - Notre rapporteur a bien montré la fragilité du scénario gouvernemental. Un nouveau plan est d'ailleurs d'ores et déjà annoncé. Cela pose aussi une question démocratique : le PNRR ou le plan de relance mériterait un vrai débat parlementaire, et non une simple discussion en commission...

Nous voulons tous mettre l'accent sur l'investissement et les dépenses d'avenir. Cela dit, la critique est facile mais il est beaucoup plus difficile de proposer des pistes alternatives... La notion de « maîtrise des dépenses publiques » est floue. D'ailleurs, je constate, selon les chiffres fournis par notre rapporteur général, que c'est au cours du quinquennat précédent que les dépenses publiques ont été le plus maîtrisées...

M. Philippe Dallier. - Les dépenses ont continué à augmenter !

M. Rémi Féraud. - ... et le coût politique a été considérable. Pourtant, en effet, elles ont continué à augmenter. Si l'on veut baisser les dépenses de fonctionnement, comme le propose M. Delahaye, il faut dire lesquelles ! Personne ne croit au plan présenté par M. Dussopt, qui constitue plus une déclaration d'intention, sans actions précises. Les ultra-riches et les grandes entreprises ont été les gagnants de la mondialisation. Peut-être pourraient-ils être mis à contribution pour financer la reprise et les investissements de demain, sans accentuer la pression fiscale sur les classes moyennes.

Mme Christine Lavarde. - Cet après-midi, on débattra des contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Mais on a l'impression qu'ils recyclent, pour partie, un certain nombre de mesures déjà annoncées auparavant dans d'autres dispositifs. Avez-vous une idée du volume de crédits correspondant à des mesures déjà annoncées qui sont recyclées dans ce cadre ?

M. Philippe Dallier. - L'hypothèse retenue par le Gouvernement sur l'évolution de la charge de la dette est plus prudente que le consensus. Tant mieux, car vu notre endettement, nous sommes à la merci d'une remontée des taux. En revanche, son hypothèse sur la croissance est peut-être optimiste, mais nous avons davantage de leviers pour agir à cet égard, du moins si l'on prend les bonnes mesures... Le Gouvernement n'explique guère comment il entend maîtriser les dépenses publiques, mais chacun sait qu'une élection présidentielle approche ! On va perdre un an... Dans tous les cas, le nouveau Président de la République aura des décisions fortes à prendre, car l'homéopathie ne suffira pas !

M. Claude Raynal, président. - Le Gouvernement table sur 65 milliards d'économies, mais est-ce bien crédible alors que peu de mesures concrètes sont annoncées et que l'effort est considérable... On sait à quel point réaliser de telles économies est difficile. Il n'en demeure pas moins que nous devrons trouver des solutions.

Un facteur déterminant sera l'évolution des taux d'intérêt. Il faut reconnaître l'incertitude en la matière : si l'on prend les projections sur la base desquelles notre commission a débattu ces six dernières années, jamais les hypothèses alarmistes quant à l'évolution des taux d'intérêt ne se sont réalisées ! La vérité est que la charge de la dette restera contenue au cours des prochaines années, car les taux d'intérêt sont très faibles : nous pouvons ainsi racheter à moindre coût la dette que nous avions émise avec des taux plus élevés voilà quelques années. Nous disposons donc d'une marge de manoeuvre à moyen terme, même si nul ne sait quelle sera l'évolution à long terme. Quoi qu'il en soit, si l'on considère qu'atteindre l'objectif de 65 milliards d'économies n'est pas crédible en jouant uniquement sur les dépenses, alors il faut sortir de l'ambiguïté et dire comment on entend combler le déficit : il est trop facile de dire que la gauche veut taxer et que la droite s'y oppose ! C'est caricatural et cela ne résout pas le problème. Chacun doit proposer des solutions et nous devons en discuter, le plus vite possible, et sans attendre l'élection présidentielle.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Monsieur Delahaye a raison : à vouloir reporter sans cesse la question des économies, on se tire une balle dans le pied ! Nous devons faire des arbitrages. Alors que l'on discute beaucoup de la sécurité aujourd'hui, on entend de nombreuses personnes regretter les suppressions de postes dans la police liées à la révision générale des politiques publiques (RGPP). Notre modèle social repose sur des prestations très élevées mais nous aurons à faire face au vieillissement de la population et à financer, de manière publique ou privée - il faudra en débattre -, la prise en charge de la dépendance.

Il en va de même de la définition des dépenses d'avenir. Il y a quelques années, je n'y aurais pas inclus les dépenses de formation et d'éducation, mais vu l'évolution du marché du travail et les lacunes de certaines formations initiales, qui ne débouchent pas sur des perspectives d'emploi, il devient indispensable de développer la formation continue et les passerelles, si l'on veut éviter que les jeunes se dressent contre leurs aînés qui auront eu la chance de pouvoir mener leur carrière au sein de la même entreprise. Il est donc indispensable que nous débattions des choix collectifs que nous voulons, avec conviction, sincérité et sans tabou.

M. Vincent Delahaye. - Quelle est la part des dépenses pérennes, dans le plan de relance, en ce qui concerne les dépenses en faveur de l'emploi, de la formation professionnelle ou du handicap ?

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je n'ai pas la réponse à l'heure actuelle, nous essaierons d'y voir plus clair.

Monsieur Bascher, les prévisions de croissance du Gouvernement pour 2021 me semblent prudentes. L'acquis de croissance à l'issue du premier trimestre s'élève à 4 % environ. Si le déconfinement intervient, on peut s'attendre à une reprise forte.

Monsieur Sautarel a raison de poser la question du décrochage des investissements ; cela mérite un débat public. De même, la question de la confiance est cruciale dans une société où la défiance à l'égard des institutions, quelles qu'elles soient, n'a jamais été aussi forte. Mais pour restaurer le pacte de confiance, la première étape est de rétablir les relations entre le Parlement et le Gouvernement. Comme l'a souligné M. Féraud, les décisions sont mieux acceptées si elles sont précédées d'un débat parlementaire que si elles tombent d'en haut, sans discussion, en contournant le Parlement. Avec ce quinquennat, le fossé entre le Gouvernement et le Parlement, et le Sénat notamment, s'est accru. Rétablir la confiance suppose de parler à tout le monde. Les 35 000 élus locaux doivent aussi être associés et entendus.

Madame Lavarde, il n'est pas évident de faire la part des nouvelles mesures et de celles qui sont recyclées. Les annonces se multiplient : au niveau local, par exemple, entre les « territoires d'industrie », la refonte des dispositifs de formation, les nouveaux contrats de relance et de transition écologique (CRTE), etc. Il devient difficile de s'y retrouver... Les crédits du plan de relance sont dans les mains de sous-préfets à la relance. Ce n'est pas un gage d'efficacité. On crée un échelon administratif supplémentaire alors qu'il conviendrait au contraire de simplifier. La fluidité des relations entre les collectivités et les services de l'État est essentielle pour la réussite du plan. Les CRTE ne s'accompagnent pas de nouveaux crédits et consistent en une réorganisation des sommes disponibles.

Monsieur Dallier, on peut reconnaître que le Gouvernement a plutôt été prudent sur ses hypothèses de taux d'intérêt et sur l'évolution de la charge de la dette. Mieux vaut être trop prudent que l'inverse ! Il est temps d'accélérer le déploiement des mesures de relance si l'on veut éviter le décrochage face à des pays où la croissance est déjà repartie fortement et qui sont moins endettés.

Nous devrons effectivement débattre des économies à réaliser et de la manière d'y parvenir, sans tabou. Il y a urgence. Certains ne manquent pas de poser la question des recettes... Pour ma part, j'avais proposé, lors de l'examen du projet de loi de finances, d'instituer des prélèvements exceptionnels sur ceux qui ont bénéficié de la crise, comme le secteur du numérique. Là encore, il ne doit pas y avoir de sujets tabous. En tout cas, il faudra faire des arbitrages et mieux vaut débattre de ces sujets avant l'élection présidentielle qu'après, si l'on ne veut pas se réveiller avec la gueule de bois et connaître à nouveau ce que l'on a vécu. N'oublions pas qu'il n'y a pas si longtemps, Paris ressemblait à un camp retranché et que l'Arc de Triomphe a été dégradé. On ne doit pas faire comme si cela était anodin. Les problèmes n'ont pas été réglés. La crise sociale perdure. Derrière les enjeux financiers se cachent des réalités humaines. Il faut les concilier.

La commission autorise la publication de la communication de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sous la forme d'un rapport d'information.

Bilan annuel de l'application des lois - Communication

M. Claude Raynal, président. - Il me revient de faire le bilan annuel de l'application des lois, pour les lois promulguées lors de la session 2019-2020 et examinées au fond par notre commission. Pour cette période, trois quarts des mesures renvoyant à un texte réglementaire sont concentrées dans la loi de finances initiale pour 2020, qui prévoyait à elle seule 125 mesures d'application, le quart restant relevant des trois premières lois de finances rectificatives pour 2020 adoptées dans le contexte de la crise sanitaire. Les autres lois examinées par notre commission étaient d'application directe.

D'un point de vue statistique, il est regrettable de constater que le taux de mise en application globale baisse, avec 76 % de mesures prises cette année, contre 88 % l'an dernier.

Cela semble en partie dû au grand nombre de mesures prévues pour entrer en vigueur à une date différée, au-delà de la période de contrôle, qui s'arrête au 31 mars 2021. 18 mesures de la loi de finances pour 2020 ont ainsi une application différée, comme la nouvelle procédure d'autoliquidation de la TVA qui doit s'appliquer seulement au 1er janvier 2022, ou encore les 7 mesures d'application nécessaires à la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation qui ne doit entrer en vigueur qu'en 2026.

Cependant, ceci n'explique pas tout. Le taux de mise en application décevant résulte aussi du fait qu'un grand nombre d'arrêtés n'ont pas été pris : si 93 % des décrets prévus par la loi de finances pour 2020 ont été pris, c'est le cas de seulement 60 % des arrêtés.

Par ailleurs, un peu plus de la moitié des textes réglementaires ont été publiés avant le délai de 6 mois prescrit par la circulaire du Premier ministre du 29 février 2008. Si ce n'était le cas que de 31 % d'entre eux lors du dernier contrôle, ce délai reste trop important.

Au-delà de ce constat global, on peut néanmoins se réjouir que les deux premières lois de finances rectificatives pour 2020 ont été totalement appliquées et assez rapidement, puisqu'une majorité des textes d'application ont été pris dans les 3 mois. Cela concerne les mesures urgentes à destination des entreprises et des ménages comme la mise en place de prêts garantis par l'État, d'avances remboursables et de prêts bonifiés, l'activité partielle ou le versement des primes exceptionnelles à certains agents publics. En revanche, certaines dispositions de la troisième loi de finances rectificative restent en attente de mise en application, comme le soutien en faveur de la presse et de l'audiovisuel ou les engagements des grandes entreprises à capitaux publics en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre, ainsi que l'ajustement de la trajectoire de suppression du tarif réduit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) au titre du gazole non routier.

Parmi les mesures d'application qui devraient encore être prises, je souhaite relever l'article 147 de la loi de finances pour 2020 qui porte l'essentiel des mesures de transposition du paquet TVA sur le commerce électronique. Dans le contexte de crise sanitaire, la Commission européenne a permis de reporter l'entrée en vigueur des mesures au 1er juillet 2021. Cependant, le décret et l'arrêté prévus n'ont toujours pas été pris, ce qui limite la capacité des acteurs à anticiper l'entrée en vigueur de la réforme. Saisie sur le sujet, l'administration fiscale n'a pas apporté de précision sur la parution de ces textes.

Pour ce qui concerne les lois antérieures à la session 2019-2020, il faut malheureusement constater que le retard d'application a été peu comblé.

Certes, on peut se réjouir que des modifications aient été apportées au livre des procédures fiscales dans la dernière loi de finances, pour permettre l'application d'un des deux articles de la loi relative à la lutte contre la fraude qui ne l'étaient pas encore. Il s'agit des articles octroyant aux agents des douanes et aux agents des impôts un droit de communication des données de connexion pour les besoins des enquêtes portant sur les délits douaniers et fiscaux les plus graves. Cependant, des décrets en Conseil d'État sont toujours attendus et là aussi une accélération m'apparaît nécessaire.

Mais surtout, comme nous l'avions relevé l'an passé déjà, il n'est pas acceptable que des mesures prévues par la loi restent inappliquées depuis des années, certaines depuis presque 10 ans !

Par exemple, les textes concernant le régime des redevances pour l'obtention de certificats sanitaires en matière agricole prévus par la loi de finances pour 2012 ne sont toujours pas pris au motif que des négociations avec certaines professions seraient encore en cours. Ou encore, le décret attendu au titre de l'article 134 de cette même loi de finances pour 2012 qui portait sur le régime de licences de vente du tabac dans les départements d'outre-mer. L'entrée en vigueur de cette disposition a été repoussée d'année en année, jusqu'au 30 juin 2019, et depuis il ne s'est rien passé. Le rapporteur général, par amendement, avait proposé la suppression de ce dispositif. Ces deux points avaient déjà fait l'objet d'interpellations du Gouvernement l'an passé, sans autre suite. Un bilan me semble impératif pour statuer sur ces mesures inappliquées depuis tant d'années. Suite aux remarques que nous avions formulées l'an passé, je note que deux mesures d'application concernant respectivement, les tarifs de redevances de certificats sanitaires et les conditions d'accès du public aux informations réglementées des sociétés cotées, qui s'avéraient superflues, ont heureusement fait l'objet d'une abrogation.

En ce qui concerne les ordonnances, deux nouvelles ordonnances étaient attendues au titre de la session 2019-2020. L'une, relative à la centralisation des trésoreries publiques, a été publiée, dans un délai que le Parlement avait judicieusement réduit de 12 à 6 mois, l'autre reste à prendre, le Gouvernement ayant prévu un délai de publication de 18 mois à compter de la promulgation de la loi de finances pour 2020. Il s'agit d'une ordonnance relative à l'unification des modes de recouvrement de certains impôts et amendes. Le Sénat avait contesté la méthode de passer par une ordonnance pour une telle réforme, puisque le champ d'habilitation est en effet extrêmement large, et va au-delà d'un simple travail de codification et de coordination. Il est regrettable que le Parlement n'y ait pas été associé. Reste que 9 ordonnances déjà prises sont en attente de ratification, dont 7 d'entre elles ont été publiées il y a plus de cinq ans.

Enfin, le nombre de dispositions prévoyant la remise d'un rapport connaît une très forte croissance avec 55 demandes de rapports cette année, contre 24 l'an passé, et 36 il y a deux ans. On constate pourtant qu'à peine plus du tiers des rapports attendus ont été remis lors de la session écoulée. Le nombre foisonnant de demandes de rapports dans les projets de lois en cours d'examen devant notre assemblée apparaît inversement proportionnel au respect par le Gouvernement de ses obligations.

J'en viens pour finir à trois recommandations qui me semblent découler des constats précédents.

Tout d'abord, le Gouvernement fournit un suivi de la publication des décrets, mais non des arrêtés, qui sont pourtant essentiels dans un certain nombre de cas pour l'application des mesures. Une meilleure information serait utile. À titre d'illustration, c'est un arrêté qui doit fixer les conditions d'application de l'article 66 de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, lequel oblige certaines entreprises dans lesquelles l'État détient une participation à tenir des engagements climatiques. Cet arrêté n'a toujours pas été pris, l'administration mettant en avant certaines difficultés, en particulier pour passer d'un budget carbone établi par secteur à une trajectoire individuelle par entreprise ;

Ensuite, un certain nombre de mesures d'application dépendent de décisions de la Commission européenne. Ainsi, deux mesures de soutien en faveur des médias adoptées dans le cadre de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 dépendent directement de son approbation. Celle relative au crédit d'impôt au titre du premier abonnement à une publication ou à un service de presse en ligne devrait être publiée prochainement, la Commission européenne venant de l'approuver mi-avril. Celle relative à l'investissement dans les programmes et la création audiovisuels n'a fait l'objet d'aucune décision. Ces mesures sont pourtant attendues. Le « feu vert » européen n'est pas obligatoirement acquis : la Commission n'avait ainsi pas donné son accord à l'application de taux bonifiés en Corse, au titre du crédit d'impôt recherche (CIR) ou du crédit d'impôt innovation (CII), pourtant prévus par l'article 150 de la loi de finances pour 2019, considérant que l'aide ainsi accordée dépasserait l'intensité maximale de 25 % permise pour les activités de développement expérimental menées par les entreprises de toute taille. Ces dispositions ont été abrogées par la dernière loi de finances.

Aussi, là encore, une meilleure information du Parlement sur l'avancement des demandes formulées auprès de la Commission européenne serait utile.

Dernière recommandation : nous devons continuer de nous interroger sur les demandes de rapports, lorsque l'on constate qu'à peine plus du tiers des rapports sont remis. Il faut bien sûr continuer à demander les informations indispensables pour l'exercice de notre contrôle parlementaire, mais un resserrement du nombre de rapports sur les informations réellement manquantes permettrait un meilleur suivi des délais de remise et de leur qualité. En effet, même lorsqu'ils sont remis, certains rapports le sont avec un tel retard que leur utilité s'en trouve amoindrie, à l'instar du rapport concernant l'exécution des autorisations de garantie accordées en loi de finances, prévu à l'article 24 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Ce rapport a été remis le 2 avril 2021 pour l'exercice 2019, alors qu'il devait l'être avant le 1er juin 2020. Je regrette ce retard qui ne permet pas de prendre en compte son contenu lors des discussions relatives à la loi de règlement de l'année ni lors de la préparation du budget qui suit. La qualité des informations dans d'autres rapports laisse également à désirer, comme nous l'avions indiqué l'an passé.

En conclusion, je vous indique qu'un point précis sur toutes les mesures suivies par notre commission sera établi dans le rapport d'application des lois, après une réunion avec la secrétaire générale du gouvernement la semaine prochaine et un débat avec le Gouvernement au mois de juin.

La réunion est close à 12 heures.