Jeudi 18 novembre 2021

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 8 h 35.

Politique étrangère et de défense - Activités de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (AP-OSCE) au second semestre 2021 - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Notre réunion de ce matin est consacrée à l'activité de la délégation sénatoriale à l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE), au second semestre 2021, qui est rattachée à notre commission car elle traite de sujets d'intérêt pour l'Union européenne. Nous allons d'abord entendre Pascal Allizard, que je félicite pour sa réélection au sein de cette Assemblée comme vice-président, et sa reconduction dans sa fonction de représentant spécial pour les affaires méditerranéennes. Nous entendrons ensuite Jean-Yves Leconte, qui a participé à deux missions d'observation électorales récemment, au titre de l'AP-OSCE en Moldavie et en Ouzbékistan.

M. Pascal Allizard. - Je vais vous présenter les activités de notre délégation - composée de cinq sénateurs - auprès de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE au cours du second semestre 2021.

Je rappelle que l'assemblée parlementaire, créée par la charte de Paris de 1990, est l'institution la plus ancienne de l'organisation dédiée à la sécurité et à la coopération, héritière et légataire de l'Acte final de la conférence d'Helsinki de 1975.

Dans un monde lourd de tensions et de menaces, qui est bien différent de celui de la « détente » qui prévalait alors à l'issue de la « guerre froide », cette assemblée, par l'ampleur de la zone concernée, est le plus vaste lieu de dialogue interparlementaire, si l'on excepte l'Union interpalementaire dont l'objet est tout autre.

Couvrant en effet une région géographique qui s'étend de Vancouver à Vladivostok, l'OSCE est la plus importante organisation de sécurité régionale au monde : elle réunit des représentants de 57 États d'Europe occidentale et orientale, d'Europe du Sud-Est, d'Asie centrale et d'Amérique du Nord. Elle s'étend même au-delà, puisqu'elle entretient des relations avec des pays dits « partenaires pour la coopération », cinq en Asie-Pacifique (Afghanistan, Australie, Japon, Corée du Sud, Thaïlande) et six en Méditerranée (Maroc, Algérie, Tunisie, Égypte, Jordanie, Israël - représenté à l'Assemblée parlementaire par la Knesset mais aussi par le Conseil national palestinien).

L'Assemblée parlementaire de l'OSCE tient normalement trois sessions plénières annuelles, dont l'une consacrée notamment au renouvellement de ses instances.

Celle-ci s'est déroulée du 30 juin au 6 juillet : elle a procédé à l'élection de son bureau. Un président britannique, Lord Bowness, avait pris la suite en 2020 du président géorgien George Tsereteli. Cette année, a été élue une présidente suédoise, Margarete Cederfelt, députée et première vice-présidente de la délégation de son pays.

L'assemblée se réunit en plénière mais aussi au sein de trois commissions, correspondant chacune à l'une des « dimensions » de l'OSCE : la commission des affaires politiques et de sécurité, présidée par un Américain, membre de la Chambre des Représentants, Richard Hudson ; la commission des affaires économiques, de la science, de la technologie et de l'environnement, présidée par un député espagnol, des îles Baléares, Père Joan Pons ; et la commission des droits de l'homme, dont notre collègue députée Sereine Mauborgne, présidente de la délégation française, a été élue présidente lors de cette session d'été à Vienne.

Mon propre mandat de vice-président de l'assemblée parlementaire a été renouvelé, comme l'a rappelé à l'instant notre président, de même que mon mandat de représentant spécial pour les affaires méditerranéennes. La particularité de cette session plénière de juillet fut son caractère hybride, à la fois en présentiel à Vienne, où je me suis rendu pour la réunion de la commission permanente, et en visioconférence. La session d'automne, initialement prévue à Dublin, s'est finalement tenue, les 3 et 4 novembre derniers, entièrement à distance. Il faut espérer que nous puissions revenir, pour les prochaines réunions, prévues en février à Vienne puis en mai à Birmingham, à des réunions entièrement en présentiel. En effet, le « distanciel » présente des difficultés : les réunions de l'AP-OSCE sont des réunions internationales, multilingues et le truchement de l'interprétariat s'ajoute aux barrières physiques des écrans et aux aléas techniques.

La séance plénière de juillet a été marquée par ce qu'il faut bien nommer en termes parlementaires une certaine obstruction, à base de demandes de suspensions, en provenance d'une délégation (russe) qui a multiplié les incidents de séance, pour faire en sorte que ne soit pas soumise au vote une motion portant sur la situation (déjà problématique à l'époque) en Biélorussie, ce qui advint. Le débat de fond prévu sur ce sujet d'actualité a donc dû hélas céder le pas devant les considérations de procédure.

Les discussions dans une telle enceinte sont nécessairement traversées par les urgences et les tensions internationales, lesquelles ne manquent pas, comme vous le savez. La présidente Cederfelt et le bureau ont néanmoins tiré les conséquences de ce précédent en approfondissant et en accélérant la réflexion entamée lors du mandat précédent, afin de préciser, de codifier et d'écrire un certain nombre de règles, qui sans être excessivement contraignantes, permettraient de mieux organiser, équilibrer et cadrer les débats. Ce n'est pas chose facile dans une assemblée qui doit prendre des décisions de cette nature par consensus, afin qu'elles soient correctement appliquées.

Ainsi, la réunion plénière du 4 novembre, entièrement consacrée à l'Afghanistan, s'est déroulée dans une certaine sérénité de travail, ce qui n'a pas empêché l'expression des très vives préoccupations de l'assemblée, partagées par les membres de notre délégation française, quant aux conséquences de la situation dans ce pays, au regard de la crise humanitaire, pour la sécurité et la stabilité de l'ensemble de la région. Les défis à relever sont immenses et nous incitent à tenter de faire évoluer le modèle même de coopération incarné par l'OSCE, en le rendant plus réactif, plus agile, plus attentif aux besoins concrets des populations. Tel est précisément le sens de notre action au sein d'une assemblée telle que celle-ci.

C'est la même approche, orientée vers ce qui nous rassemble, pour relever les défis communs auxquels nous faisons face, que j'ai voulu commencer à mettre en oeuvre, lors de la réunion du Forum méditerranéen que j'ai présidée le 4 novembre dernier, avant la plénière.

Pour obtenir des résultats, une telle approche doit être, quand c'est possible, préparée et mûrie en lien, et en bonne intelligence avec les organes exécutifs de l'OSCE, chacun restant dans son rôle. C'est pourquoi je m'étais rendu préalablement à Vienne, les 13 et 14 octobre précédents, pour participer à la Conférence du groupe des partenaires méditerranéens de l'OSCE, organisée par la présidence polonaise du groupe sur le thème « La voie de la résilience : la sortie de la crise de la Covid-19 et la sécurité au sein de l'OSCE et de la région méditerranéenne ».

Pendant cette conférence, j'avais tenu à rencontrer les acteurs-clés du groupe des partenaires méditerranéens. Ces rencontres ont permis d'aborder quelques sujets relativement consensuels : la sortie de la crise de la covid-19, la lutte contre la criminalité organisée transnationale, le développement durable, la lutte contre le changement climatique. Ces échanges m'ont aussi révélé l'ampleur des attentes de nos partenaires, en recherche de projets concrets - mais nous pouvons aussi parler de financements - dans ces domaines, y compris, pour ne prendre qu'un seul exemple, une coopération renforcée en matière vaccinale.

La conférence de Vienne d'octobre dernier était divisée en deux volets : un segment politique dit « de haut niveau », auquel ont participé - en visioconférence - plusieurs ministres de divers États membres, et intitulé « Sécurité et coopération dans la région Méditerranée en période de pandémie de covid-19 » et une session plus opérationnelle, consacrée au renforcement de la coopération pour lutter contre le crime transnational et la traite des êtres humains, encore plus dégradés par la pandémie, en présence d'acteurs impliqués dans ces actions.

Le groupe des partenaires méditerranéens de l'OSCE, tout comme le Forum méditerranéen, qui en est le pendant parlementaire, constitue à cet égard une plateforme exceptionnelle, pour échanger sur des thèmes d'intérêt commun, face aux crises que la région méditerranéenne traverse actuellement. Les parlementaires des pays membres et des quelques pays partenaires qui ont pu y participer, ont appelé à un accroissement de la coopération en matière sanitaire, humanitaire et sécuritaire.

C'est, au fond, un plaidoyer en faveur de la diplomatie parlementaire, en complément et en renforcement de la diplomatie traditionnelle, qui s'est ainsi exprimé, pour stimuler l'action des États membres, et de l'organisation dans son ensemble. Je suis sûr que l'ensemble des membres de la délégation et de cette commission entendront cet appel et je le relaierai sans relâche.

Une autre mission importante de l'AP-OSCE est la participation de ses membres aux missions d'observation électorale, que nous avons déjà évoquées ici, il y a quelques mois, à propos de la Bulgarie. Celles-ci se sont effectuées, au cours du présent semestre, hors de l'Union européenne, mais dans son voisinage, en Moldavie, où s'est rendu Jean-Yves Leconte - il nous en parlera dans quelques minutes -, et dans sa zone plus large de partenariat, en Ouzbékistan, où il s'est également rendu, avec notre collègue Valérie Boyer. Je voudrais en dire quelques mots.

Là aussi, il y a complémentarité avec l'action et les valeurs de l'Union européenne, donc avec notre commission des affaires européennes, puisque le Conseil de coopération UE-Ouzbékistan, qui vient de se réunir à Bruxelles le 16 novembre, a fait état de « sérieux progrès » dans les négociations sur l'accord bilatéral de partenariat de coopération renforcé. En avril dernier, l'UE avait déjà inscrit l'Ouzbékistan comme bénéficiaire de son système de préférences généralisées.

L'Ouzbékistan est en effet le pays le plus peuplé de l'Asie centrale, avec quelque 35 millions d'habitants, en forte croissance démographique, et représente la deuxième économie de la région, en pleine expansion, avec une croissance de l'ordre de 5 % en 2021. C'est aussi le seul à avoir des frontières avec tous les pays de la région, dont une frontière commune avec l'Afghanistan.

La question afghane est évidemment stratégique pour Tachkent. L'importance de ce pays pour la stabilité régionale, mais aussi la nécessité de renforcer nos échanges avec lui, que ce soit au niveau de l'OSCE, de l'UE ou de la France, sur les plans sécuritaire, mais aussi économique et politique, sautent aux yeux.

Je rappelle que la France fut la première puissance occidentale à organiser, dès 1994, une visite d'État dans ce pays, qui fut aussi le premier à prendre son indépendance, il y a trente ans.

Tel est le sens de la politique dite « multivectorielle » que mène l'Ouzbékistan, qui consiste à diversifier ses partenariats afin d'éviter un tête-à-tête pesant avec les puissances régionales.

Des progrès significatifs ont été faits ces dernières années pour apaiser les relations entre l'Ouzbékistan et ses voisins, après 25 ans d'autarcie, et le pays cherche maintenant à se positionner comme tête de pont d'une politique d'ouverture et de bon voisinage.

Membre fondateur de la Communauté des États indépendants (CEI), l'Ouzbékistan est membre observateur du Conseil turcique depuis 2018, et observateur auprès de l'Union économique eurasiatique (UEE). Il est par ailleurs membre de l'Organisation de coopération de Shanghaï. La politique « multivectorielle » est une réalité.

Sur le plan économique, des réformes sont en cours pour libéraliser plusieurs secteurs, stimuler les initiatives privées et attirer les investissements étrangers, avec l'appui de bailleurs internationaux, dont l'Agence française de développement, et avec l'aide de l'UE. Le commerce extérieur avec la France notamment est dynamique et une grande entreprise française vient de signer un important contrat pour gérer l'eau et le chauffage de la capitale. Nous vendons aussi une quantité non négligeable d'Airbus à la compagnie aérienne nationale.

Outre ses ressources naturelles, minières et énergétiques, et la culture du coton, ce pays axe fortement son développement économique sur le tourisme. Il est vrai qu'il dispose aussi d'un patrimoine remarquable, classé au patrimoine mondial de l'Unesco.

La mort du président Karimov en septembre 2016, chef de l'État depuis l'indépendance du pays, a ouvert une période de transition politique. L'ancien Premier ministre Chavkat Mirziyoyev lui a succédé le 4 décembre 2016. Longtemps replié sur lui-même, l'Ouzbékistan a mis en oeuvre depuis cinq ans plus de réformes qu'au cours de ses 25 premières années d'indépendance.

L'élection présidentielle du 24 octobre dernier était la première élection présidentielle véritablement pluraliste. Notre collègue nous en parlera dans quelques minutes.

L'OSCE a déployé pas moins de 250 observateurs pour l'élection présidentielle du 24 octobre, pour laquelle chacun des principaux partis présentait un candidat, et plus de 21 millions d'électeurs étaient inscrits sur les listes électorales.

Sans dévoiler les observations que nous livrera Jean-Yves Leconte dans un instant, je signale que les observations qui ont été formulées sont contrastées. La délégation française était composée de nos collègues députés Aude Bono-Vandorme, François Jolivet, Didier Paris ainsi que de nos deux collègues sénateurs Valérie Boyer et Jean-Yves Leconte.

Simplement et en conclusion, Monsieur le président, ces missions d'observation se font avec des observateurs de long terme qui arrivent plusieurs semaines avant l'élection et qui cherchent à mesurer l'environnement politique, économique, social de l'élection ainsi qu'avec des observateurs de court terme, que sont les élus. Il est bon que des parlementaires expérimentés puissent participer assez régulièrement à ces missions et apporter à ces pays - qui sont en demande de ces observations - un regard extérieur dans une logique de progrès. En effet, il est bon selon moi que des parlementaires aguerris puissent apporter leur expérience et leur vécu d'élu.

Une autre mission d'observation électorale part prochainement au Kirghizistan, voisin oriental de l'Ouzbékistan, qui n'a pas de frontière avec l'Afghanistan, mais borde la Chine, pour observer les élections législatives anticipées dans ce pays, moins peuplé, peut-être moins doté en ressources naturelles, mais plus pluraliste et plus instable que l'Ouzbékistan. Cela crée beaucoup d'incertitudes.

Pour ma part, je participerai à la réunion du bureau de l'AP-OSCE le 1er décembre prochain à Stockholm et maintiendrai le dialogue nécessaire et utile entre l'assemblée parlementaire et la branche exécutive de l'organisation, en participant à la conférence ministérielle du 2 décembre, à laquelle j'ai été invité en tant que vice-président de l'AP-OSCE. Cette conférence ministérielle de fin d'année est toujours l'occasion de réunir les deux branches de l'OSCE : la branche exécutive et la branche parlementaire. Ce sera aussi pour moi l'occasion de rencontrer directement la représentante de l'opposition biélorusse qui est exilée actuellement. Je vous rendrai compte de cet entretien lors du prochain compte rendu.

Telles sont les observations que je tenais à vous partager, dans l'attente de celles de Jean-Yves Leconte sur son expérience en Ouzbékistan et en Moldavie. Je salue également Valérie Boyer qui n'est pas membre de notre commission mais qui est membre de la délégation sénatoriale à l'AP-OSCE. Je vous remercie de lui avoir permis de participer à la réunion puisqu'elle a fait partie de la mission d'observation.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci. Le président du Sénat, Gérard Larcher, a reçue ici au Palais du Luxembourg l'opposante biélorusse, et m'avait permis d'assister à l'entretien. C'était un moment unique. C'est une femme jeune, volontaire et courageuse : sa vie est en jeu du matin au soir, et elle subit des pressions très fortes.

M. Pascal Allizard. - Je suis allé en Biélorussie dans le cadre d'une réunion statutaire de l'OSCE et je peux vous dire une chose : c'est un pays qui n'a absolument pas évolué. Contrairement à d'autres pays d'ex-URSS, celui-ci est resté tel qu'il existait il y a trente ans. La plupart des pays ont complétement changé ; ce n'est pas le cas de la Biélorussie. Quand on s'intéresse aux problématiques de défense, de dissuasion nucléaire, la question bélarusse est très importante. J'ai eu l'occasion d'y faire une mission un peu particulière, avec l'armée de l'air, et j'ai pu constater le déploiement massif de missiles sur cette zone. Le Bélarus est une tête de pont de la Russie. Face à ce constat, l'Allemagne, les pays baltes, le nord de l'Angleterre ainsi que l'Écosse peuvent légitimement se sentir eux aussi menacés. Sur ces sujets, la notion « d'allié ultime » doit rester extrêmement prégnante.

Politique étrangère et de défense - Mission d'observation électorale de l'AP-OSCE en Moldavie du 9 au 12 juillet 2021 - Communication

M. Jean-Yves Leconte. - J'évoquerai à la fois l'observation en Moldavie, et rapidement celle en Ouzbékistan. Valérie Boyer voudra certainement compléter mes propos à ce dernier sujet.

Je tiens tout d'abord à rappeler que la révolution biélorusse était au départ une révolution des femmes : de nombreuses femmes s'étaient mobilisées dans ce mouvement. Si le gouvernement biélorusse n'a pas évolué depuis trente ans, la société biélorusse a quant à elle bel et bien changé. C'est aussi ce qui explique l'incompréhension de la Russie, l'année dernière, concernant ce qui se passait dans ce pays. C'est un véritable enjeu aujourd'hui que de répondre à ces nouvelles attentes.

Pour revenir à l'AP-OSCE, je tiens à souligner que c'était un honneur pour moi de rejoindre cette délégation. En effet, comme l'a rappelé Pascal Allizard, l'OSCE est l'un des enfants de la conférence d'Helsinki, qui est elle-même la plus belle concrétisation de l'offre politique de Willy Brandt, pour la détente. La conférence d'Helsinki eut en effet un rôle déterminant pour initier le dialogue entre l'Ouest et l'Est et, in fine participer aux événements de 1989. Il importe pour moi de faire vivre cet esprit. Désormais, j'aurais tendance à dire que cet esprit « Helsinki » doit « passer de l'Atlantique au Pacifique ». C'est aussi notre rôle, en tant que parlementaire délégataire de l'AP-OSCE, que d'essayer de le faire.

J'ai rejoint cette délégation en septembre 2020, et depuis lors, les conférences et réunions ont toujours été organisées en format « distanciel ». C'était très frustrant : quand vous conjuguez le fait que vous ne connaissez pas vos homologues, avec parfois des postures nationales et des langues différentes, ce n'est pas un dialogue mais une suite de monologues qui se trament au cours de ces rencontres en visioconférence. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas nous targuer de remplir correctement nos missions, si nous continuons de travailler de la sorte en « distanciel ». Ainsi, il faut revenir le plus vite possible en « présentiel ».

Je ne connais pour ainsi dire pas mes homologues à l'AP-OSCE. C'est pourquoi j'ai profité de ma venue en Russie au mois d'octobre pour rencontrer la délégation russe de l'Assemblée.

M. Pascal Allizard. - Sur ce point, je partage votre analyse. Je préciserais toutefois que la tenue des réunions de l'AP-OSCE, en présence ou en visioconférence, dépend surtout de la volonté des pays d'accueil.

M. Jean-François Rapin, présidentJe comprends tout à fait cela. J'ai moi-même pris la présidence de cette commission, alors que nous devions réaliser les réunions en visioconférences et je sais à quel point cela n'est pas chose aisée.

M. Jean-Yves Leconte. - Quant à la Moldavie et à la mission que j'ai menée avec Guy Teissier, l'élection que nous avons observée se tenait dans un contexte très particulier. Ces élections législatives anticipées ont été provoquées par le conflit de longue date opposant les deux principaux leaders moldaves, Igor Dodon et Maia Sandu. Celui-là, ancien président moldave, avait perdu les élections de novembre 2020. Il est le leader du Parti des socialistes de la République de Moldavie. Celle-ci avait été première ministre durant quelques mois, avant d'être mise en minorité. Elle s'était illustrée par sa lutte sans merci contre la corruption et les oligarques.

En 2016, ces deux leaders se sont affrontés à l'occasion des élections présidentielles, à l'issue desquelles Igor Dodon l'a emporté. Pour gagner des voix, ce dernier insistait sur sa proximité avec la Russie et donc sa capacité à gérer le problème de la Transnistrie, qui pollue la situation moldave depuis son indépendance. Pourtant, durant son mandat, Igor Dodon n'est pas parvenu à faire évoluer la situation. Maia Sandu mettait de son côté en avant trois objectifs : rapprocher la Moldavie de l'Union européenne, lutter contre la corruption et l'économie oligarchique et asseoir l'indépendance de la justice.

À l'automne 2020, Maia Sandu, ayant obtenu 36 % au premier tour, avait battu le président sortant Igor Dodon avec 58 % des voix. Cela traduisait la volonté du peuple moldave de tourner la page de ces années d'hésitation entre un rapprochement avec la Russie ou avec l'Union européenne et en quelque sorte, de choisir la même voie que celle empruntée par l'Ukraine quelques années auparavant.

Il existait une forte volonté de la population d'aller dans cette direction et de soutenir Maia Sandu, leader du Parti Action Solidarité. La diaspora moldave s'est en grande partie mobilisée autour de cette candidate. Près de 15 % des électeurs vivent hors de Moldavie. Nous avions constaté le même phénomène en Roumanie lors de l'élection du président Basescu, où la bascule s'était faite avec les Roumains vivant à l'étranger. En tant que représentant des Français de l'étranger, je ne préfère pas me trouver dans cette situation-là. Nous avons en effet une chance, dans notre pays : les Français de l'étranger votent comme les Français habitant en France.

Un nombre important de Moldaves vivent au sein de l'UE, en raison notamment de la forte détention de la double nationalité roumaine (30 %). Ces Moldaves-Roumains peuvent travailler au sein de l'UE et portent ainsi l'évolution de leur pays dans un sens pro-européen. C'est ce qui a fait la force de Maia Sandu.

Après l'élection présidentielle organisée à l'autonome 2020, le Parlement a décidé de placer les services de renseignement sous le contrôle du Parlement et non plus de l'exécutif. Cela a provoqué pendant six mois des blocages et un conflit qui ont entraîné la tenue d'élections législatives anticipées. Ces dernières ont confirmé la volonté forte de la population moldave de s'orienter vers l'UE, d'en finir avec la corruption et l'économie oligarchique et d'assurer l'indépendance de la justice.

La situation géographique de la Moldavie, entre l'Ukraine - en conflit avec la Russie -, l'UE et la Transnistrie, qui se dit pro-russe, explique également ces évolutions. La Transnistrie vit en effet sous « perfusion » du gaz, fourni à cette dernière par Gazprom, société russe connue principalement pour l'extraction, le traitement et le transport de gaz naturel. Les autorités de Transnistrie facturent ensuite ce gaz à la Moldavie. C'est de ces ressources que les autorités transnitriennes vivent. Ainsi, la situation en Transnistrie favorise la corruption. Igor Dodon, alors président de Moldavie, a lui aussi alimenté ce système économique oligarchique. C'est désormais un enjeu pour Maia Sandu que de trouver une solution à cette situation qui respecte les attentes de chacun.

En Moldavie, la langue russe et la langue roumaine cohabitent : tous les bulletins de vote sont bilingues. Pourtant, à l'issue des élections, un seul parti reçoit significativement les votes à la fois des roumanophones et à la fois des russophones ; c'est celui d'Igor Dodon. Un enjeu de son élection, consiste donc, pour Maia Sandu, à réunifier les citoyens moldaves russophones autour de sa politique. C'est à l'évidence possible dans la dynamique actuelle.

L'élection que nous avons observée s'est correctement déroulée. La procédure électorale était inspirée de celle que nous avons vue en Ouzbékistan ou en Ukraine. On retrouve la même forme d'organisation dans ces pays, avec la mise en place d'un bulletin unique pour tous les partis sur lequel le votant doit cocher la case de celui qu'il choisit. Ces bulletins sont comptés et identifiés par les bureaux de vote. Un nombre de bulletins très précis est assigné à chaque bureau de vote. Finalement, on ne contrôle pas vraiment la remise des bulletins dans l'urne mais c'est un processus qui est ni plus ni moins bon que le nôtre ; il est simplement différent. Globalement, c'est un système très bien organisé, avec des observateurs des différents partis motivés, qui n'hésitent pas à formuler des remarques. C'est un processus électoral et un environnement pour lesquels je n'ai rien constaté de préoccupant.

J'ajoute que la Moldavie devrait être particulièrement chère à nos coeurs : dans chaque bureau de vote, trois ou quatre personnes en charge de sa tenue étaient francophones ! Ce pays héberge l'une des plus grandes alliances françaises d'Europe. La présence française y est très forte et sa présence économique n'y est pas non plus ridicule compte tenu de la taille du pays.

La Moldavie connaît un véritable exode de sa population. Un tiers de cette dernière détient un passeport européen et beaucoup partent de Moldavie pour venir travailler en Europe. La jeunesse s'en va : c'est l'un des grands enjeux auxquels le pays doit actuellement faire face. Cette situation est comparable à celle de nombreux pays des Balkans : s'il n'y a pas de perspectives européennes dans le pays concerné, la jeunesse décide de la créer elle-même.

Vous connaissez mon attachement à l'UE, à son élargissement et à la constitution d'une Europe fédérale. La population moldave témoigne d'une volonté claire d'intégrer l'UE et d'une absence de doute concernant cette dernière. Des réponses sont attendues. Cette donnée mérite d'être sue, pour ne pas décevoir plus tard les populations qui espèrent une telle intégration. Il y a dix ans j'aurais été enthousiasmé par un tel engouement ; aujourd'hui je me sens presque mal à l'aise par rapport à notre capacité à y répondre.

J'en viens à l'Ouzbékistan. Je rappelle que les missions d'observation électorale réalisées dans le cadre de l'OSCE permettent d'approcher au plus près l'organisation d'un pays, d'une manière tout à fait différente des rencontres officielles avec des responsables politiques. Quand de telles missions sont réalisées dans le cadre de l'OSCE, des observateurs de long terme - par région - préparent les missions des observateurs de court terme. Ces derniers sont soit des parlementaires, soit des personnes directement envoyées par les États membres de l'OSCE. Un questionnaire est à leur disposition pour les aider dans leurs travaux d'observation. Chaque question a son importance. Des statistiques sont ensuite établies sur la centaine de bureaux de vote étudiés pour révéler les potentielles difficultés existantes. Ce traitement statistique est indispensable et permet d'avoir une photographie immédiate du déroulement des élections.

Sur l'Ouzbékistan, deux points peuvent être relevés. Tout d'abord, c'était la première fois que les élections y étaient observées : l'organisation des élections n'était pas parfaite. On a pu constater à plusieurs reprises des bureaux de vote qui affichaient des taux de participation de 60 % alors que guère plus de 20 % de la liste électorale avait fait l'objet d'un émargement. On a également constaté que certains observateurs n'étaient pas particulièrement attentifs à la bonne tenue des élections. Cependant, par rapport à sa situation antérieure, il est indéniable que l'Ouzbékistan se trouve sur la bonne voie. Le pays s'inscrit en ce sens dans une dynamique positive.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci. Madame Boyer, souhaitez-vous apporter des éléments complémentaires ou contradictoires à ce qui vient d'être dit ?

Mme Valérie Boyer. - Merci beaucoup. Je serai brève. Je voudrais d'abord vous remercier de votre confiance. C'était ma première mission au titre de l'AP-OSCE et je l'ai trouvée passionnante.

Je n'étais jamais allée en Ouzbékistan. Ce voyage représentait aussi pour moi la découverte - particulièrement intéressante - d'un pays aux confins de l'Empire. Il m'a bien évidemment donné une idée de l'immensité de la Russie, de ce qu'il en reste, et du détachement progressif de l'Ouzbékistan par rapport à cette dernière.

Je tiens à rappeler l'importance de la poussée démographique dans ce pays. Des boutiques de mariage sont implantées un peu partout et de jeunes couples se baladent régulièrement dans la rue, aux côtés de leurs nombreux enfants. Ce ne sont que des impressions fugaces, mais sans doute révélatrices.

J'ai été reçue pendant plus d'une heure par le Gouverneur - qui peut être apparenté à un président de région - de la région de Samarcande qui m'a témoigné de sa volonté de développer des liens avec la France. J'ai été véritablement surprise de la francophilie de ce pays, y compris à Samarcande, et même dans la campagne !

Nous nous sommes en effet éloignés de Samarcande, dans des bureaux de vote qui n'étaient pas forcément sur la liste de l'AP-OSCE, à flanc de montagne. Outre la découverte de paysages magnifiques, il fut extrêmement surprenant pour nous d'entendre parler français y compris dans des endroits reculés, où l'on ne nous attendait pas. Des cours de français étaient dispensés dans les écoles que nous avons visitées. Ces dernières, pour la plupart anciennes, pour d'autres beaucoup plus récentes, étaient extrêmement propres et bien entretenues.

Quant aux bureaux de vote, j'ai été particulièrement surprise de leur très bonne tenue. Tout d'abord, nous nous sommes rendus à l'ouverture des bureaux, à 7h30 dans le centre-ville historique de Samarcande. Le premier bureau visité se trouvait dans une très vieille école, classée au patrimoine mondial de l'Unesco.

J'ai demandé à voir les classes, les toilettes et la cours de récréation. J'étais très étonnée de la bonne tenue des cours. Deux éléments ont particulièrement retenu mon attention.

Tout d'abord, à l'ouverture des bureaux de vote, tout le monde s'est réuni à l'extérieur, a chanté l'hymne national et s'est pris en photo pour marquer le début de cette journée électorale. La présidente du bureau de vote a déclaré l'ouverture officielle de ce dernier. Des observateurs étaient présents pour toutes les listes concurrentes. Une bonne entente régnait entre eux.

Un autre élément m'a paru sympathique : la Constitution ouzbèke ainsi qu'un livre de littérature en ouzbek (éventuellement traduit) étaient donnés à tous les jeunes qui votaient pour la première fois. J'ai trouvé qu'il s'agissait d'un très beau geste, dont la France devrait s'inspirer.

En outre, les personnes qui votaient, se voyaient remettre un petit autocollant l'attestant, qu'ils plaçaient sur le dessus de leur veste. Une certaine ambiance familiale régnait. Les gens avaient l'air de bien se connaître. Aucune tension particulière ne semblait poindre entre les listes adverses et je n'ai pas observé ce que notre collègue a décrit concernant les taux erronés d'abstention. Les personnes se présentaient avec leurs papiers d'identité. Des ordinateurs étaient disponibles dans tous les bureaux pour procéder aux vérifications d'identité, à la fois sur les listes nationales et sur les listes locales.

Néanmoins, une chose m'a étonnée de prime abord. En France, au moment du dépouillement, nous disposons d'un cahier d'émargement fixe. En Ouzbékistan, il n'en est rien. Chaque personne chargée de la tenue du bureau de vote avait une liste d'émargement, classée par ordre alphabétique. Ceci s'explique aisément par la nécessité d'inscrire massivement les personnes sur les listes électorales, en raison de l'importante poussée démographique à l'oeuvre. Les disparités de fréquentation entre les bureaux de vote sont assez notoires. Dans certains bureaux, on ne comptait pas moins de 1400 inscrits contre 500 dans un bureau voisin. Les personnes en charge de la tenue des bureaux de vote ainsi que les observateurs présents ont toujours répondu de manière aimable et transparente à nos questions, y compris celles en marge du questionnaire fourni.

Pour le dépouillement, nous avons choisi un bureau entre la campagne et la ville de Samarcande. Il était tenu de manière très professionnelle, dans les règles de l'art.

Deux éléments, enfin, méritent notre attention. D'une part, il existe en Ouzbékistan une urne mobile, dans la mesure où il n'est pas possible de faire des procurations. En revanche, personne n'est empêché de voter. Cette urne est transportée au domicile des votants, pour les personnes qui se sont inscrites à ce dispositif. Ce dernier semble très bien fonctionner et en toute transparence : l'urne est scellée et les bulletins de vote sont mélangés aux autres au moment du dépouillement avant d'être comptabilisés sur la liste électorale.

D'autre part, il existe en Ouzbékistan un vote par anticipation. Ce vote par anticipation est enregistré dans les bureaux de vote, à l'aide d'une enveloppe blanche classique, scellée, tamponnée et signée par deux personnes du bureau de vote. Ces bulletins par anticipation sont cochés dans la liste électorale et gardés dans un coffre. Nous avons insisté à chaque fois pour voir le coffre, qui était tout à fait conforme aux descriptions avancées. Au moment du dépouillement, on mélangeait les bulletins par anticipation aux autres bulletins. Ce dispositif avait également l'air de très bien fonctionner.

Curieusement et prétentieusement, je n'imaginais pas une seconde, avant de m'y rendre, que j'allais pouvoir tirer des leçons d'une élection en Asie centrale. Pourtant, ce fut le cas. L'enthousiasme de ce pays jeune, accueillant et bienveillant, m'a réjouie. C'était une expérience passionnante, au contact de populations ayant vécu des événements dramatiques sous le régime soviétique et qui pourtant, aujourd'hui, parviennent à faire valoir leur identité particulière et leur culture. La difficulté in fine ne me semble pas résider dans la bonne tenue des bureaux de vote mais plutôt dans le fonctionnement de la vie politique, différente de la nôtre. Visiblement, le président qui a été reconduit semblait très populaire. Tous les observateurs ouzbèks avec qui nous avons pu parler nous disaient qu'en cinq ans, ils n'avaient pas connu autant de réformes de libéralisation qu'avec ce président de la République. Ils étaient ainsi rassurés de sa reconduction.

Ils ont également fait valoir leur bonne entente avec toutes les puissances voisines, notamment les Turcs qu'ils craignent, les Iraniens, les Afghans et les Russes, auxquels les relie leur histoire.

Beaucoup de jeunes parlaient anglais : cela témoigne de l'ouverture de ce pays au monde et de sa volonté d'accueillir des étrangers, particulièrement des Français qui sont les premiers touristes en Ouzbékistan.

Merci pour votre confiance et pour cette mission passionnante à tous égard.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour ces interventions. J'aurais quelques questions. Je note entre vos deux récits des discordances. Je constate qu'aucun de vous ne rapporte d'anomalies lors de ce scrutin mais d'où vient l'écart entre vos observations ? Par ailleurs, je m'interroge sur les modalités d'inscription sur les listes électorales. Est-ce une inscription volontaire ou automatique dès l'âge de 18 ans ?

Mme Valérie Boyer. - Les inscriptions sont faites d'office - mais le vote n'est pas obligatoire - et s'organisent par quartier ou Mahallah, unité de base de la vie sociale et administrative en Ouzbékistan.

M. Jean-Yves Leconte. - Quant aux divergences dans nos observations, je précise que nous n'étions pas au même endroit. J'étais à Tachkent avec un collègue croate et un autre estonien, tandis que Valérie Boyer était à Samarcande. Globalement, nos descriptions concordent sur l'ambiance générale de cette élection. J'ai cependant constaté, il est vrai, quelques faits flagrants dans certains bureaux de vote.

La situation a cependant beaucoup progressé par rapport à celle d'il y a dix ou quinze ans. La population peut à l'évidence voter comme elle le souhaite même si j'ai constaté des décalages qui ont été repris dans les conclusions générales de l'OSCE. Les habitudes démocratiques restent récentes dans ce pays. La frontière avec l'Afghanistan est également un enjeu.

M. Jean-François Rapin, président. - Oui, c'est une démocratie nouvelle. L'important est que le scrutin ait, dans l'ensemble, été jugé sincère.

Mme Valérie Boyer. - Je précise que j'étais dans le même groupe d'observateurs que le bras droit du secrétaire général de l'AP-OSCE, le diplomate italien Guido Almerigogna, qui a partagé les mêmes observations sur la qualité de l'organisation de ces élections.

Nous avons également remarqué un bon niveau de participation : il y avait parfois la queue pour aller voter. Les modalités de vote diffèrent des nôtres : si l'urne est transparente, le bulletin consiste en une grande feuille avec des cases à cocher que l'on plie et glisse tout simplement dans l'urne. Pour préserver l'anonymat, il n'y a pas d'isoloir avec rideau en tissu, mais de petites cabines de votes dotées d'une paroi rigide, parfois même posée sur des tables, ce qui permet de voter assis et me semble particulièrement adapté en période de pandémie.

M. Pierre Cuypers. - Vos comptes rendus sont très intéressants. J'avais une question : quel fut le taux de participation à ces élections ?

M. Jean-Yves Leconte. - La participation fut importante, de l'ordre de 80 %, mais la mesure est difficile. J'ignore comment fut construite la liste initiale de chaque bureau mais le fait est que, dans les bureaux de vote, des personnes qui arrivaient pouvaient y voter sans y être inscrites.

Mme Valérie Boyer. - Les fiches fournies par l'AP-OSCE mentionnaient une catégorie de « votes extérieurs ». Sur un bureau de 1 800 inscrits, j'ai pu constater une centaine de ces votes extérieurs. Il s'agit de populations éloignées de leur lieu de résidence, des ouvriers par exemple, qui sont effectivement inscrits sur les listes nationales et peuvent donc voter dans un autre bureau, proche de leur chantier, éloigné de leur domicile. Un tel état de fait explique également pourquoi il n'y a pas de procuration. Il y a donc trois raisons qui expliquent l'absence de vote par procuration : le vote par anticipation, l'urne mobile, très intéressante, et ce vote extérieur. J'ai pu observer, pour chacune de ces modalités qui pouvaient a priori prêter à caution, qu'elles étaient en fait très sécurisées, grâce à des procédures rigoureusement respectées, dans chacun des bureaux où nous nous sommes rendus.

M. Jean-François Rapin, président. - Le risque est que certains votent plusieurs fois...

Mme Valérie Boyer. - Effectivement, et nous n'avons pas pu vérifier ce point car nous n'avons pas pu nous rendre au bureau centralisateur le soir, les observateurs de long terme nous ayant dit que cela n'en valait pas la peine.

J'avais également une remarque sur la façon de protéger le matériel électoral : les bulletins sont placés dans des liasses cousues puis dans un sac scellé, avec le procès-verbal et un numéro d'identification ; l'ensemble est ensuite récupéré par les autorités et envoyé au bureau centralisateur.

Mme Gisèle Jourda. - Je souhaitais réagir aux propos de Jean-Yves Leconte au sujet de la Moldavie. Je suis rapporteure sur le partenariat oriental pour la commission des affaires européennes et membre du groupe d'amitié France-Moldavie, présidé par Josette Durrieu au moment de la signature de l'accord d'association avec l'Union européenne en mars 2015. C'est un pays candidat à l'entrée dans l'Union européenne, comme l'Ukraine. Il serait intéressant que nous puissions travailler de nouveau sur ce pays au titre du partenariat oriental afin de dresser le bilan de cet accord d'association.

Je me suis déjà rendue en Ouzbékistan avec Pascal Allizard en tant que rapporteure de la commission des affaires étrangères sur les nouvelles « routes de la soie ». Cet ancien désert devenu producteur de coton est un carrefour avec un énorme potentiel économique et une grande capacité d'adaptation même s'il faudrait également tenir compte des conséquences environnementales de son développement.

M. André Reichardt. - J'ai eu l'occasion d'observer l'élection présidentielle en l'Ouzbékistan et voudrais confirmer ce que disait Valérie Boyer sur ce pays. Lors de ce scrutin, avait été élu le président actuel, Shavkat Mirziyoyev, qui a succédé au président Islam Karimov. Déjà à l'époque, l'organisation des élections m'avait impressionné, même si le faible nombre de candidats représentatifs à cette élection posait question. En cinq ans, ce président a su faire évoluer l'Ouzbékistan vers la modernité et fédérer l'Asie centrale, devenue un espace où les pays communiquent entre eux malgré les conflits autour de l'eau. C'est également, je tiens à le souligner, un pays magnifique !

En ce qui concerne la Moldavie, je crois également qu'il faudrait relancer le travail que nous menons sur le partenariat oriental. Le conflit gelé en Transnistrie reste un sujet de préoccupation majeur. La Biélorussie reste aussi un sujet d'étude malgré les difficultés que traversent aujourd'hui les relations entre ce pays et l'Union européenne.

M. Jean-François Rapin, président. - Avec le Président du Sénat Gérard Larcher, nous avions reçu la présidente moldave élue en décembre 2020, Mme Maia Sandu, et elle nous avait impressionnés. Bien sûr, les travaux sur le partenariat oriental devraient reprendre même si le contexte sanitaire rend les déplacements incertains.

M. Pascal Allizard. - Tout d'abord, je remercie mes deux collègues pour leurs témoignages : l'on constate des points de concordance, et des points de divergence, c'est tout l'intérêt de ces missions. Pour avoir participé à plusieurs reprises à la rédaction du rapport final de l'AP-OSCE, je puis vous assurer que la synthèse des missions d'observation des élections est un exercice périlleux. J'ai ouvert un chantier sur l'organisation des missions d'observation électorale avec les autorités de l'AP-OSCE et le nouveau directeur général du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme (BIDDH), M. Matteo Mecacci. En effet, les résultats d'une mission d'observation ne sont pas repris lors de la mission suivante. On ne peut donc pas mesurer l'évolution du pays sur les différents items et dire s'il a progressé ou régressé. Cet aspect méthodologique doit évoluer car cela ouvre la possibilité, pour les observateurs de moyen terme, de formuler des conclusions d'opportunisme politique. J'avais déjà mentionné cet état de fait lors de mon compte rendu de la mission en Bulgarie.

Valérie Boyer souligne que ces pays ont des choses à nous apprendre et je souscris totalement à ses propos. L'objectif du processus de Venise, mis en place en 1990 lors de l'indépendance de ces pays, était de les accompagner dans leur transition vers la démocratie. Or on s'aperçoit en fait que l'on essaie de leur imposer une vision occidentale d'un tel processus. Mais il faut prendre en compte leur culture, leurs usages et je crois que nous pourrions apprendre de leur façon de procéder. Il faut que, dans nos différentes instances, nous rouvrions cette discussion car nous sommes parfois trop sûrs de nos principes.

Les processus électoraux dans les bureaux de vote diffèrent des nôtres, ce qui implique que les zones de risque, bien évidemment, ne se situent pas au même endroit. Il faut rester vigilant. Je citerai deux exemples. D'une part, a été évoquée la possibilité de se réinscrire dans la journée et de voter géographiquement là où l'on se trouve. Certes, ces modalités fonctionnent mais quels sont les contrôles du risque de double vote ? La personne qui a voté est-elle effectivement instantanément rayée des listes nationales ? Nous n'avons pas la réponse à ces questions.

D'autre part, le système de vote avec le bulletin de vote unique et authentifié limite effectivement énormément les risques de fraude à l'intérieur du bureau de vote. Mais la zone de risque est en réalité à l'extérieur. Je l'avais expliqué aussi dans une précédente réunion : vous pouvez arriver dans le bureau de vote avec un vrai-faux bulletin, le mettre dans l'urne et ressortir avec le vrai. Il suffit de le faire une fois et ensuite les votes se distribuent sur le parking voisin toute la journée. Les observateurs n'ont alors aucun pouvoir de contrôle.

Il y a aussi le problème de l'achat des votes quelques mois avant l'élection. En Bulgarie par exemple, les observateurs de moyen terme avaient mis en cause les autorités bulgares sur l'utilisation du fonds de relance européen. Le gouvernement bulgare sortant avait ainsi engagé 5% du plan de relance avant les élections. Mais quid des autres pays, dont le nôtre ?

M. Claude Kern. - J'ai participé à plusieurs missions d'observation d'élections dans le cadre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et j'en ai même présidé plusieurs, notamment pour les élections présidentielles moldaves. Comme l'expliquait Pascal Allizard, le BIDDH entend nous imposer la rédaction du rapport final, mais l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, si elle participe à l'organisation de la mission pour la répartition dans les bureaux de vote, rédige son propre rapport en se basant sur les rapports de la commission de Venise. Elle s'appuie ainsi sur les conclusions précédentes de la commission de Venise et analyse l'évolution entre les élections, ce qui est selon moi la bonne méthode. J'ai moi-même été désigné comme membre de la commission de Venise pour représenter l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

En ce qui concerne la Moldavie et la Géorgie, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe dispose d'une commission de suivi, donc d'un monitoring régulier par des rapporteurs qui font des rapports quasiment mensuels pour chaque pays. Il serait intéressant de communiquer ces rapports aux membres de la commission, en particulier leurs analyses sur l'évolution récente de ces pays.

M. Jean-François Rapin, président. - Ce point pourrait être développé en réunion de commission, pendant la période de suspension qui interviendra au premier semestre 2022.

M. Jean-Yves Leconte. - Il est vrai qu'il serait utile d'avoir un peu plus d'éléments sur la manière dont sont réalisés les traitements statistiques des observations que nous transmettons. Je constate une meilleure prise en compte des réalités du terrain. J'avais en effet remarqué, il y a une dizaine d'années, que le rapport global était très politique et ne reflétait pas ces réalités. Dans certains pays, les résultats ne sont pas publiés par bureau de vote mais regroupés et publiés par des bureaux de district, lesquels ne donnent pas lieu à observation.

Des pays comme la Moldavie ou l'Ukraine marquent très clairement une volonté d'orientation et de perspective européennes : le partenariat oriental peut offrir une première réponse, mais ce n'est pas leur objectif politique. L'adhésion n'est pas imaginable dans cinq ans, certes, mais viendra un moment où ces pays auront besoin de plus de force et de crédibilité. Ainsi, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a, dans un premier temps, considéré qu'il avait d'abord des problématiques intérieures à résoudre puis, deux ans après, il constate qu'en fait il a besoin de cette perspective européenne pour trouver la force en interne.

M. Jean-François Rapin, président. - J'entends ces arguments mais, en ce moment, les processus d'adhésion et d'intégration sont bloqués au sein même de l'Union. Certes, il ne faut pas éteindre la flamme mais on ne peut l'entretenir sans objectif de réussite, sinon nous risquons de créer des frustrations.

Mme Gisèle Jourda. - Je suis tout à fait intéressée par ce que nous a proposé Claude Kern. Le partenariat oriental tout comme la Méditerranée font cependant partie des missions de la commission des affaires européennes et elle doit aussi exercer son rôle de suivi. Quant à l'accord d'association, il s'agit déjà d'une étape vers l'intégration européenne, laquelle requiert que cette partie du contrat soit remplie au préalable. En Biélorussie, on constate un recul sur la réforme de la justice telle que prévue dans l'accord d'association.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci à tous pour ce débat qui était particulièrement intéressant.

Au titre des questions diverses, j'attire votre attention sur l'enquête universitaire transnationale que des juristes, parmi lesquels Guillaume Sacriste, Thomas Piketty et Antoine Vauchez, lancent sur le rôle des parlementaires nationaux dans la politique européenne. Avec cette enquête sans précédent, ils veulent participer pleinement au débat de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, partant du constat que le rôle des parlementaires nationaux est sous-estimé dans la construction européenne, alors que se développent des mécanismes transnationaux, à la faveur des grandes décisions prises en réaction à la pandémie. Cette enquête a pour objectif de sonder les points de vue des parlementaires nationaux sur un ensemble de réformes européennes, y compris celle qui portent sur l'implication des parlementaires nationaux dans la prise de décision européenne. Elle concerne sept parlements européens (allemand, italien, belge, polonais, français, danois et espagnol).

Ces universitaires vous ont fait parvenir un questionnaire ou vont le faire. Pour que l'étude soit utile, il faudrait que nous soyons nombreux à y répondre. Au vu de l'importance du sujet de l'étude, qui sera aussi celui du colloque que nous organisons le 6 décembre au Sénat, j'ai jugé important de vous le signaler, à la demande de M. Sacriste, et de vous encourager à y répondre !

La réunion est close à 10 heures.