Mardi 12 avril 2022

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Politique étrangère et de défense - Mission d'observation électorale de l'Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (AP-OSCE) en Hongrie du 1er au 4 avril 2022 - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Notre pays est naturellement focalisé sur les résultats du premier tour des élections présidentielles qui s'est déroulé dimanche. Notre commission n'oublie pas pour autant que d'autres scrutins importants se déroulent aussi chez nos voisins : ainsi, des élections législatives se sont tenues il y a dix jours en Hongrie, pays dont l'évolution préoccupe particulièrement l'Union européenne. Le surlendemain des élections, la Commission européenne a d'ailleurs annoncé une prochaine mise en demeure de la Hongrie, augurant de l'activation du nouveau mécanisme de conditionnalité, qui permet de suspendre le versement des fonds européens en cas de violations de l'État de droit portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union.

Ce scrutin a été largement remporté par le Fidesz, le parti de Victor Orban, le premier ministre en place, qui s'achemine ainsi vers son quatrième mandat. Notre collègue Jean-Yves Leconte a participé à la mission d'observation électorale envoyée dans ce pays par l'assemblée parlementaire de l'OSCE (AP-OSCE). Il nous propose de nous rendre compte de cette mission.

M. Jean-Yves Leconte. - Compte tenu de la remise en cause des principes fondateurs de l'Union par la Hongrie, en particulier concernant la situation de l'État de droit, l'absence de pluralisme des médias et la corruption cette mission d'observation électorale était importante. Je vous renvoie d'ailleurs au rapport que Jean Bizet, André Gattolin et moi-même avions réalisé au nom de la commission des affaires européennes, à la suite de notre déplacement de septembre 2020.

Le Parlement hongrois, monocaméral, est composé de 199 membres : 106 sont élus dans des circonscriptions au suffrage majoritaire à un tour, 93 à la proportionnelle, selon un principe de « compensation ». Chaque électeur disposait donc de deux bulletins à l'occasion des élections législatives, plus un troisième pour un référendum qui était organisé concomitamment.

La majorité de l'opposition (socio-démocrates, écologistes, libéraux et extrême droite du Jobbik) avait désigné un candidat unique au terme d'une primaire, M. Marki-Zay, un libéral-conservateur.

A quelques semaines du scrutin, nous pensions qu'une victoire de l'opposition était possible et, à quelques jours du scrutin, que le Fidesz resterait en place, mais sans majorité constitutionnelle. Mais cela n'a pas été le cas, le Fidesz obtenant finalement 54 % des voix, contre 34 % seulement pour la coalition « Unis pour la Hongrie ». « Notre Patrie », un autre parti d'extrême droite, entre au Parlement avec 6 % de suffrages. Quant au parti humoristique « Le chien à deux queues », il obtient 3 % des voix.

Viktor Orban a utilisé jusqu'au bout la solidarité affichée de l'opposition avec l'Ukraine, l'accusant de vouloir y envoyer les soldats hongrois. Il a largement insisté sur les problèmes de pouvoir d'achat, présentant l'accès au gaz russe comme une garantie contre les risques que la guerre en Ukraine faisait peser sur la Hongrie et soulignant que l'opposition amènerait la Hongrie dans la guerre. Après sa victoire, il a clairement classé Zelensky parmi les ennemis de la Hongrie.

Les Hongrois semblent avoir oublié 1956, et la coalition de l'opposition était sans doute également trop disparate pour pouvoir rassembler face à Orban et porter un message clair et rassurant dans cette période anxiogène.

Je me suis rendu dans l'Est du pays, très pauvre, avec un député allemand écologiste, également membre de l'AP-OSCE, Robin Wagener.

Nous avons observé un processus électoral cohérent, correctement suivi, mais aussi un véritable matraquage du pouvoir en place dans les médias, sur internet et dans la rue. Les affiches en faveur des candidats de l'opposition ne représentaient pas plus de 10 % de l'ensemble des panneaux et il était impossible d'allumer la télévision ou de lancer une vidéo sur un ordinateur sans voir une publicité pour le Fidesz ou contre l'opposition.

Des représentants de l'opposition étaient systématiquement présents dans les bureaux de vote, mais ils étaient très timides, sur la réserve, contrairement à ce que nous pouvons couramment observer dans d'autres pays.

L'OSCE a émis un certain nombre de remarques sur cette élection.

Premièrement, le référendum organisé en même temps que les élections fut un moyen de publicité supplémentaire pour le pouvoir en place. Les quatre questions suivantes étaient en effet posées aux électeurs : approuvez-vous l'enseignement de l'orientation sexuelle aux enfants mineurs dans les institutions scolaires publiques sans le consentement parental ? Approuvez-vous la promotion de traitements de changement de sexe pour les mineurs ? Approuvez-vous la présentation sans restriction aux mineurs de contenus médiatiques à caractère sexuel qui pourraient affecter leur développement ? Approuvez-vous la présentation aux mineurs de contenus médiatiques portant sur le changement de sexe ? Les électeurs du Fidesz ont globalement répondu « non » aux quatre questions, mais beaucoup d'électeurs ayant rendu un bulletin nul, le référendum n'a pu être validé faute d'un nombre suffisant de voix.

Deuxièmement, dans les médias, 50 % du temps de parole a été accordé au Gouvernement, 5 % au Fidesz contre 43 % consacrés à l'opposition, mais cela comprenait principalement des commentaires négatifs sur celle-ci. Un maximum de 5 % de temps de parole a été réellement accordé aux représentants de l'opposition.

Troisièmement, le contrôle des comptes de campagne a été à la fois partiel et partial, ce qui remet en cause l'égalité devant le suffrage.

Quatrièmement, le Gouvernement et ses agences représentent en Hongrie un volume d'annonces publicitaires plus important que la somme des cinq premiers annonceurs privés, ce qui porte atteinte à la liberté des médias, faute de financement. Il n'y a plus vraiment de médias indépendants en Hongrie.

Cinquièmement, on constate une très faible représentation des femmes, même si pour la première fois de son histoire, la Hongrie comptera bientôt une présidente de la République, Katalin Novak, ancienne présidente du groupe d'amitié parlementaire avec la France.

Enfin, sixièmement, les filets sociaux mis en place par le Gouvernement depuis quelques années, notamment l'équivalent du revenu de solidarité active (RSA), ont été utilisés comme un moyen de contrôle et d'orientation clientéliste.

Il n'y a jamais eu de débat entre Viktor Orban et un représentant de l'opposition depuis 2006

En conclusion, et cela vaut pour notre pays à quelques jours du second tour d'une élection présidentielle où une candidate se réclame de la même inspiration que le Fidesz, il peut être constaté que, lorsque des pans de l'État de droit tombent, des points de non-retour sont franchis. Il est ensuite difficile de maintenir un équilibre des chances entre les formations politiques ce qui rend l'alternance politique très difficile. La démocratie est alors atteinte durablement

Selon une vision optimiste, on peut penser que les Hongrois, dans la situation inquiétante actuelle de guerre en Europe, ont choisi la stabilité. Une version plus pessimiste estimerait qu'ils ont choisi le candidat qui leur promettait la paix, le pouvoir d'achat et le gaz « quoi qu'il en coûte » pour le respect des valeurs et de la solidarité européenne.

La Hongrie bénéficiant jusqu'à présent de beaucoup de fonds communautaires, Viktor Orban a toujours eu intérêt au maintien de son pays dans l'Union européenne pour assurer ce flux. Mais si les mécanismes de conditionnalité venaient diminuer ou interrompre les versements, il pourrait revoir sa position, d'autant qu'il ne peut plus vraiment compter sur la solidarité de la Pologne face à Bruxelles depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. Le front « Varsovie-Budapest » face à Bruxelles sur les questions d'État de droit est très fragilisé. Le groupe de Visegrad ne sera plus ce qu'il était. En conclusion, lors de ce scrutin, le processus de vote a donc été formellement respecté, avec des armes inégales entre les forces politiques. Et le résultat des élections peut avoir des conséquences sur l'appartenance de la Hongrie à l'UE. C'est un risque qu'il ne faut pas négliger.

M. André Gattolin. - J'avais déjà constaté ce contrôle es médias par la propriété ou a régie publiques, lors de mon déplacement avec notre ancien collègue, jean Bizet, il y a deux ans. On constate toujours un contraste entre le grand Budapest, pro-européen, et le reste du pays.

Le résultat du vote des Hongrois de l'étranger est également intéressant : ce sont tout de même plus de deux millions de personnes, qui vivent notamment en Roumanie et en Slovaquie, pour un pays de dix millions d'habitants. C'est une innovation d'Orban d'avoir permis aux Hongrois de l'étranger de voter même s'ils ne payent pas d'impôts à la Hongrie. Quels sont les résultats de l'élection parmi cette population ? Comme c'est un vote par correspondance, y a-t-il des soupçons de tricherie, comme récemment pour les Roumains de l'étranger ?

M. Jean-Yves Leconte. - Je n'ai pas d'information particulière sur le vote des Hongrois de l'étranger.

Il s'agit, pour l'essentiel, de personnes qui n'ont pas quitté volontairement la Hongrie, mais ont subi les évolutions de frontières après la Seconde Guerre mondiale. De fait, la citoyenneté ne réside pas seulement dans le paiement des impôts.

M. André Gattolin. - Pour avoir participé à des missions d'observation électorale en Bulgarie pour l'AP-OSCE, j'ai le sentiment que l'on ne s'intéresse pas suffisamment au vote des citoyens de l'étranger, qui a souvent lieu en décalé et par correspondance.

Je voudrais aussi souligner qu'en 2024, Orban sera, après Angela Merkel, le deuxième dirigeant politique européen à présider à deux reprises le conseil de l'Union européenne. Ce sera difficile si la Hongrie est en même temps mise en cause pour des violations de l'État de droit.

M. Jean-Yves Leconte. - Le matraquage que je décrivais révèle un vrai manque d'équité entre forces politiques. Le vote des ressortissants à l'étranger est en effet parfois plus facilement manipulable, mais il y a aussi de vraies distorsions au sein même du pays, notamment dans l'Est, où ma mission m'a conduit, et dont les infrastructures ne semblent pas avoir bénéficié des fonds européens, contrairement à la Pologne.

Justice et affaires intérieures - Instrumentalisation des migrants et code frontières Schengen (conformité des textes COM(2021) 890 final et COM(2021) 891 final au principe de subsidiarité) - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Les deux points suivants de l'ordre du jour de notre réunion résultent du travail du groupe « subsidiarité » de notre commission. Lors de ses dernières réunions, il a identifié deux sujets méritant une expertise approfondie des rapporteurs concernés : les propositions de la Commission européenne relatives à la réforme de l'espace Schengen et celle relative au renforcement du réseau de transport européen.

Sur le premier point, nous allons entendre Jean-Yves Leconte et André Reichardt présenter l'analyse qu'ils ont faite de la conformité au principe de subsidiarité de deux textes qui nous sont soumis : l'un sur l'instrumentalisation des migrants, l'autre sur le code frontières Schengen.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur. - Lors de sa réunion du 30 mars dernier, le groupe de travail « subsidiarité » de notre commission a considéré pertinent d'approfondir l'examen de deux textes présentés par la Commission européenne à la fin de l'année 2021, dans le cadre de ce que l'on peut appeler un « paquet Schengen » :

-d'une part, la proposition de règlement COM (2021) 890 final visant à faire face aux situations d'instrumentalisation dans le domaine de la migration et de l'asile ;

-d'autre part, la proposition de règlement COM (2021) 891 final modifiant le règlement (UE) 2016/399 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes.

Pour y voir plus clair, nous avons eu des échanges avec la direction des affaires européennes et internationales du ministère de l'intérieur et avec la directrice générale sur la migration et les affaires intérieures de la Commission européenne, Mme Monique Pariat, que nous voulons remercier pour sa disponibilité.

Je laisserai André Reichardt présenter notre analyse sur la révision du « code frontières Schengen ». Je vais quant à moi vous présenter nos conclusions sur le texte relatif à l'instrumentalisation des migrants. Mais d'abord, je voudrais très brièvement rappeler le contexte dans lequel s'inscrivent ces propositions et émettre quelques observations de fond sur l'ensemble de la réforme.

L'espace Schengen est un espace de libre circulation sans frontières intérieures qui regroupe 26 États européens et une population d'environ 400 millions d'habitants. Ses règles de fonctionnement ou « acquis Schengen » sont à la fois des règles de libre circulation intérieure, de surveillance des frontières extérieures, de coopération policière et judiciaire ainsi que de fonctionnement du système d'information Schengen (SIS II). Ces règles étaient d'abord fondées sur une logique intergouvernementale, avec l'accord de Schengen de 1985 et sa convention d'application, entrée en vigueur le 26 mars 1995 ; elles ont ensuite été intégrées au droit de l'Union européenne avec la mise en place du « code frontières Schengen » en 2006.

Ce code a été ensuite modifié à plusieurs reprises, en particulier pour autoriser la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles. J'ajoute qu'un mécanisme d'évaluation de l'acquis Schengen a été mis en place pour garantir une coopération optimale entre les États participants et identifier les points faibles.

Or, malgré ces progrès, l'espace Schengen a été fragilisé récemment par plusieurs crises majeures. Ainsi, lors de la pandémie de covid 19, 18 États participants avaient rétabli les contrôles à leurs frontières, parfois sans concertation préalable, et certains avaient interdit la libre circulation à des citoyens européens dans leur pays.

Face à ce constat, en juin dernier, la Commission européenne a décidé de « donner un nouveau souffle » à la coopération Schengen en présentant une nouvelle stratégie, qui comprend plusieurs initiatives : un renforcement de la coopération policière opérationnelle entre les services compétents des États membres ; une refonte du mécanisme d'évaluation de l'acquis Schengen, afin de raccourcir les procédures d'évaluation et de les rendre plus efficaces ; enfin, les deux textes soumis aujourd'hui à notre examen, afin de prendre en compte la menace exceptionnelle que constitue l'instrumentalisation des migrants et de réviser partiellement le « code frontières Schengen ».

Je veux d'abord rappeler que la construction d'un espace sans frontières intérieures, inédit dans le monde, est une avancée concrète, qui a toujours été soutenue par notre commission. Elle engendre des coopérations judiciaires et policières entre États qui sont plus efficaces pour la sécurité des personnes et des biens que beaucoup de contrôles aux frontières. Je souhaite, à titre personnel, une véritable intégration européenne pour la surveillance des frontières extérieures autour de Frontex. Je souhaite aussi une adoption rapide d'un nouveau pacte sur la migration et l'asile rendant effectifs l'harmonisation européenne des politiques migratoires et de l'asile et le respect des droits fondamentaux des migrants, garantis par la Convention de Genève de 1951, la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Dans cette perspective, le « paquet Schengen » qui nous est soumis conforte le contrôle de la Commission européenne et vise bien à privilégier la coordination et l'intégration entre les États membres, au lieu de la confrontation. Mais, à ce stade, on peut s'interroger, comme nos collègues socialistes et verts de la commission des libertés civiles du Parlement européen, sur les modalités de rétablissement de certains contrôles aux frontières intérieures, qui pourraient être autorisés pour une durée potentiellement illimitée.

J'en viens à la conformité au principe de subsidiarité de cette proposition de règlement visant à faire face aux situations d'instrumentalisation de migrants.

L'instrumentalisation de migrants est définie, dans le « code frontières Schengen » révisé, comme une « situation dans laquelle un pays tiers suscite des flux de migration irrégulière à destination de l'Union, en encourageant activement ou en facilitant le déplacement de ressortissants de pays tiers vers les frontières extérieures, sur son propre territoire ou à partir de ce dernier », avec une intention de déstabiliser l'Union européenne ou un État membre.

La proposition de règlement a pour objectif affiché de tirer les leçons du mouvement artificiel d'immigration irrégulière vers la Lettonie, la Lituanie et la Pologne, organisé en 2021 par la Biélorussie, qui a alors agi en véritable « État passeur ». Cette attaque hybride était inédite, car la Biélorussie a transporté - moyennant rémunération - des migrants, Irakiens pour l'essentiel, sur son sol, avant de les pousser, parfois par la force, contre les frontières externes de l'Union européenne. Ce n'est donc pas comparable aux tensions ponctuelles avec la Turquie ou le Maroc : ces pays, même s'ils accueillent des milliers de migrants sur leur sol, ne les ont pas incités à venir, et gardent les frontières de l'Union européenne avec notre accord.

La proposition de règlement examinée tend à pérenniser les dérogations au droit de l'Union européenne applicables en cas d'instrumentalisation des flux migratoires, dérogations qui avaient été accordées, à titre transitoire en décembre dernier, à la Lettonie, à la Lituanie et à la Pologne.

En pratique, elle autoriserait un État membre confronté à une situation d'instrumentalisation de migrants à allonger à quatre semaines, contre un délai de quelques jours en principe, le délai maximum d'enregistrement des demandes de protection internationale formulées par les ressortissants de pays tiers retrouvés à proximité d'une frontière extérieure.

L'État concerné pourrait également appliquer la procédure d'asile à la frontière, prévue dans des cas limités par le nouveau pacte sur la migration et l'asile, à toutes les demandes d'asile (hors cas médicaux), avec la possibilité d'en prolonger la durée (jusqu'à seize semaines, recours éventuel compris, contre douze en principe).

L'État membre concerné pourrait aussi adapter temporairement les conditions matérielles d'accueil des migrants « instrumentalisés », dans des cas dûment justifiés, et à la condition qu'il « couvre les besoins fondamentaux des demandeurs (...) dans le strict respect du droit à la dignité humaine ».

Enfin, la proposition de règlement autorise l'État membre visé à écarter l'application des règles de la directive « retour » à l'égard des ressortissants de pays tiers « instrumentalisés » auxquels la protection internationale est refusée ; elle maintient toutefois le principe du non-refoulement et les garanties nécessaires au respect de l'intérêt supérieur de l'enfant et à l'état de santé des migrants.

Plus généralement - j'ai posé la question à Mme Pariat lors de nos échanges -, ces procédures dérogatoires doivent évidemment respecter les dispositions de la CEDH et celles de la Charte européenne des droits fondamentaux. Au regard du sort réservé aux migrants coincés à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie au cours de l'hiver dernier, ces précisions étaient indispensables.

Je veux également confirmer que la Lettonie et la Lituanie sont favorables à cette réforme, qui constitue, pour ces pays, un complément nécessaire au pacte sur la migration et l'asile. La présidente de la commission des affaires européennes du Parlement lituanien avait été claire à ce sujet lorsque nous avions pu échanger avec elle à l'automne dernier.

À l'examen, cette proposition nous semble finalement conforme au principe de subsidiarité. On peut d'abord constater que la proposition est fondée sur une base juridique pertinente, à savoir les articles 78, paragraphe 2, et 79, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui permettent au Parlement européen et au Conseil d'adopter des mesures relatives à « des procédures communes pour l'octroi et le retrait du statut uniforme d'asile ou de protection subsidiaire » et à « des normes concernant les conditions d'accueil des demandeurs », ainsi qu'à « l'immigration clandestine et (au) séjour irrégulier, y compris l'éloignement et le rapatriement des personnes en séjour irrégulier ».

Ensuite, et même si l'on peut avoir des désaccords politiques sur certaines dispositions de ce texte, ce dernier tend objectivement à simplifier l'action des États membres en cas de crise.

Enfin, lors de nos travaux préparatoires, nous avons examiné plus spécifiquement la proportionnalité du dispositif de l'article 7 de la proposition, qui prévoit que la Commission européenne est la seule à pouvoir constater qu'un ou plusieurs États membres font face à une instrumentalisation de flux migratoires et à pouvoir présenter au Conseil une décision permettant la mise en oeuvre des dérogations, « lorsqu'elle le juge approprié ». Ce qui signifie, a contrario, qu'elle peut refuser de présenter une décision si elle n'est pas convaincue par la demande.

Après examen, il semble pertinent et juridiquement fondé que la Commission européenne puisse jouer un rôle d'arbitre dans ce dispositif qui, une fois déclenché, permettrait aux États membres de déroger aux règles européennes. En outre, ce texte est en évolution : dans le cadre des négociations en cours au Conseil, se discute en effet la possibilité pour un État membre de demander le déclenchement de cette procédure.

Ce texte nous apparaît donc finalement respecter le principe de subsidiarité, mais ne pourra entrer en vigueur qu'après un accord entre États membres sur le pacte relatif à la migration et l'asile.

M. André Reichardt, rapporteur. - En tant que rapporteurs sur ce dossier depuis plusieurs années, Jean-Yves Leconte et moi-même avons acquis la conviction que l'espace Schengen est l'un des éléments essentiels de l'Union européenne : il a contribué à rassembler ses peuples et a changé la vie de milliers d'actifs, d'étudiants et de frontaliers.

Nous estimons aussi que l'avenir de l'espace Schengen ne peut être l'affaire de la seule Commission européenne et du législateur européen. Les parlements nationaux doivent y prendre leur part, a fortiori le Sénat. Voilà pourquoi il nous semblait important, à travers ce contrôle de subsidiarité, de faire le point sur les négociations en cours sur ce dossier.

J'en viens à la proposition de règlement révisant le « code frontières Schengen ». Pour l'essentiel, cette révision y apporte quatre modifications importantes.

En premier lieu, la révision prend en considération la nécessité de renforcer la surveillance des frontières en cas de situation constatée d'instrumentalisation de migrants, y compris par l'utilisation de drones, de capteurs de mouvement ainsi que « d'unités mobiles », ce qui peut recouvrir des obstacles mobiles.

Cet article est sensible, car il a mis au jour un débat sur l'opportunité d'édifier des « barrières » aux frontières extérieures de l'Union européenne. La Commission européenne se refuse à financer de tels équipements au nom d'une « Europe ouverte sur le monde », mais de telles installations ont été demandées par douze États membres à l'automne dernier. D'après nos informations, alors que le Conseil a commencé à examiner cette réforme, la discussion n'est pas close sur ce sujet.

En deuxième lieu, le projet prévoit la possibilité de restrictions temporaires des déplacements vers les États membres de l'Union européenne en cas de menace avérée pour la santé publique dans un ou plusieurs pays tiers. Cela ne remet pas en cause le droit des citoyens des États membres qui jouissent de la libre circulation et qui se situent temporairement à l'étranger de retourner dans l'Union européenne.

En troisième lieu, la réforme précise les hypothèses dans lesquelles les contrôles et les vérifications d'identité menées par les autorités nationales compétentes sont compatibles avec l'absence de contrôles aux frontières intérieures. On peut citer la lutte contre la criminalité transfrontalière, la lutte contre la migration irrégulière ou encore la nécessité d'endiguer une maladie infectieuse. Cette disposition apporte selon moi un complément bienvenu, car elle rappelle que les États membres ont la possibilité de contrôler les personnes se trouvant sur leur territoire pour des motifs de sécurité ou de santé publique.

Enfin, la réforme permet des assouplissements pour le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures par les États membres, sous réserve que parmi les événements justifiant ce rétablissement, les événements imprévus soient distingués des événements prévisibles.

Pouvoir réintroduire temporairement les contrôles aux frontières intérieures est à mes yeux une nécessité pour faire face aux crises imprévues ou aux afflux massifs de migrants - l'histoire récente l'a illustré. Bien sûr, de tels rétablissements doivent être considérés comme un dernier recours, mais à moins de vouloir l'effondrement de l'espace Schengen, ces contrôles constituent une forme d'« assurance vie » pour celui-ci.

Précisons aussi que si elle s'en tient à l'heure actuelle à une position de neutralité parce qu'elle assume la présidence du Conseil, la France a travaillé en faveur de cette évolution.

En pratique, dans le droit en vigueur, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures est aujourd'hui possible, pour une durée maximale de deux mois en cas d'action immédiate et jusqu'à six mois en cas de circonstances prévisibles. Avec la réforme, en cas d'événements imprévus, les États membres pourraient désormais prendre des mesures de contrôle unilatérales pendant trente jours, cette durée pouvant être prolongée jusqu'à trois mois. En cas d'événements prévisibles, ces contrôles pourraient s'étendre sur une durée maximale de deux ans.

Dans le code actuel, sur recommandation du Conseil, les contrôles peuvent également être réintroduits, en principe pour six mois, en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril l'espace Schengen dans son ensemble. Désormais, en cas « de menace grave pour la sécurité intérieure ou l'ordre public » touchant « une majorité d'États membres, mettant en péril le fonctionnement global » de l'espace Schengen et constatée par la Commission européenne, cette dernière pourrait proposer au Conseil une décision réintroduisant les contrôles aux frontières intérieures pour une durée de six mois. Au-delà, cette réintroduction pourrait être prolongée par périodes de six mois, tant que la menace persiste (article 28 modifié).

En contrepartie, la proposition de règlement renforce l'obligation de notification de l'État membre demandant la réintroduction temporaire des contrôles à ses frontières intérieures, ce dernier devant désormais systématiquement justifier de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure. En outre, au-delà de six mois de rétablissement des contrôles précités, toute notification devrait comprendre une évaluation des risques. Et au-delà de dix-huit mois, la Commission européenne devrait rendre un avis.

Au regard de la subsidiarité, cette proposition de règlement est fondée sur des bases juridiques pertinentes, à savoir l'article 79, paragraphe 2 du TFUE, déjà évoqué par Jean-Yves Leconte, qui permet au Parlement européen et au Conseil d'adopter des mesures relatives à « l'immigration clandestine et [au] séjour irrégulier », mais aussi l'article 77, paragraphe 2 du même traité. Cet article permet de prendre des mesures portant sur « les contrôles auxquels sont soumises les personnes franchissant les frontières extérieures » et sur « l'absence de tout contrôle des personnes, quelle que soit leur nationalité, lorsqu'elles franchissent les frontières intérieures ».

Dans son ensemble, la réforme est nécessaire : elle apporte une réelle clarification au cadre juridique existant afin de permettre aux États membres de mieux coopérer dans la surveillance de leurs frontières. Comme le soulignait Mme Monique Pariat, directrice générale de la migration et des affaires intérieures de la Commission européenne, elle offre même aux États membres une souplesse bienvenue. Elle paraît également proportionnée aux objectifs fixés.

Deux dispositions nous semblaient toutefois justifier un approfondissement de notre contrôle de subsidiarité.

Il s'agit, en premier lieu, du point 7 de l'article 13 modifié du code frontières Schengen, relatif à la surveillance des frontières, qui autoriserait la Commission européenne à adopter, par la voie d'actes délégués, des « mesures supplémentaires régissant la surveillance ». Cette possibilité existe déjà dans le code, mais la délégation serait étendue à « l'élaboration de normes pour la surveillance des frontières ».

Il est vrai que le Conseil européen avait appelé à une harmonisation minimale des règles relatives à la surveillance des frontières - le représentant du ministère de l'intérieur nous l'a rappelé. Mais cette possibilité de laisser la seule Commission européenne élaborer des normes relatives à la surveillance des frontières semble contrevenir à la compétence première des États membres en la matière.

En outre, une telle délégation pourrait excéder la définition des actes délégués prévue à l'article 290 du TFUE, qui précise qu'ils sont « des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif ». Or les dispositions sur la surveillance des frontières, comme celles sur la libre circulation, ne sont pas secondaires. Elles sont bien au coeur du code frontières Schengen.

Nos préoccupations sont partagées au sein du Conseil. De fait, dans le cadre des négociations en cours sur ce texte, cette délégation de compétences a été supprimée. Dans la dernière version du texte, la Commission européenne n'aurait plus qu'une compétence d'exécution, ce qui lève nos inquiétudes.

Le second point dont la conformité au principe de subsidiarité méritait d'être analysée, a trait à la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures lorsque des circonstances exceptionnelles mettent en péril l'espace Schengen. Dans sa rédaction actuelle, l'article 29 du code frontières Schengen prévoit déjà une telle possibilité lorsque cette menace structurelle sur l'espace Schengen résulte de la défaillance d'un ou de plusieurs États membres. Dans cette hypothèse, le Conseil « peut, en dernier recours, recommander à un ou plusieurs États membres de décider de réintroduire le contrôle à toutes leurs frontières intérieures ou sur des tronçons spécifiques de celles-ci ».

Comme je l'ai indiqué, le nouveau dispositif, prévu à l'article 28 modifié du code, qui viendrait s'ajouter à celui de l'article 29, viserait le cas d'une menace grave pour la sécurité intérieure ou l'ordre public touchant une majorité d'États membres et mettant en péril le fonctionnement global de l'espace sans frontières intérieures. La Commission européenne aurait alors seule la possibilité de constater cette situation et de présenter au Conseil une proposition en vue de l'adoption d'une décision de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures.

Nous nous sommes interrogés sur cette mesure. Après une analyse approfondie, nous pouvons confirmer que ce dispositif est proportionné aux objectifs poursuivis et que ce rôle dévolu à la Commission européenne est logique, s'agissant de la reconnaissance d'une menace « existentielle » pour l'Union européenne et touchant une majorité d'États membres. De plus, ce dispositif s'ajoute et ne remplace pas la possibilité, pour un État membre, de réintroduire des contrôles à ses frontières intérieures sans en référer à la Commission en cas de menace ciblée sur un ou plusieurs États membres.

Ces dispositions nous semblant conformes au principe de subsidiarité, nous ne vous proposons finalement pas d'avis motivé. Toutefois, comme l'a indiqué Jean-Yves Leconte, nous continuerons de suivre de près l'avancée des négociations européennes sur ce dossier.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie tous deux de ces travaux approfondis sur ce sujet pointu.

Énergie, climat, transports - Réseau transeuropéen de transport (conformité du texte COM(2021) 812 final au principe de subsidiarité) - Proposition de résolution européenne portant avis

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous propose maintenant d'aborder le second point soulevé par le groupe de travail « subsidiarité » : il concerne une proposition de règlement sur les orientations de l'Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport. Les rapporteurs Pascale Gruny et Jean-Michel Houllegatte, qui l'ont examinée de près, estiment que ce texte porte atteinte au principe de subsidiarité et nous proposent d'adopter une proposition de résolution européenne portant avis motivé.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Je vous prie d'excuser Dominique de Legge, également rapporteur sur les questions « transport » pour notre commission, qui ne peut assister à notre réunion aujourd'hui.

La Commission européenne invite les parlements nationaux à vérifier la conformité au principe de subsidiarité d'une proposition de règlement désignée sous la référence COM (2021) 812 final. Celle-ci concerne les orientations de l'Union européenne pour le développement du réseau transeuropéen de transport, dit RTE-T. Elle modifie deux règlements existants : les règlements 2021/1153 du 7 juillet 2021 et 913/2010 du 22 septembre 2010, et abroge le règlement 1315/2013 du 11 décembre 2013.

Le Conseil, sous présidence française, a commencé l'examen de ce texte, mais l'adoption d'une orientation générale ne devrait pas intervenir avant la fin de l'année, et il ne sera débattu au Parlement européen qu'au début de l'année 2023.

L'examen de ce texte par le Sénat sous l'angle de la conformité au principe de subsidiarité est d'autant plus important que, sur le fond de ce texte, la présidence française oblige à une forme de neutralité lors des négociations au Conseil.

La proposition de règlement relatif aux orientations de l'Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport fait partie du paquet « Mobilité efficace et verte », présenté par la Commission européenne le 14 décembre dernier. Ce paquet comprend quatre initiatives destinées à moderniser le système de transport de l'Union, tout en l'adaptant aux enjeux de la transition écologique et numérique.

Le texte soumis à notre examen vise à réviser les lignes directrices du réseau transeuropéen de transport dit RTE-T, qui constitue le pivot de la politique européenne en matière d'infrastructures de transport. Cette politique doit contribuer à accroître la part du transport ferroviaire, fluvial ou maritime afin d'encourager le recours à des modes de transport plus durables. Il s'agit aussi de renforcer la complémentarité entre les modes de transport du RTE-T et de contribuer à une meilleure intégration des noeuds urbains, afin notamment de fluidifier le trafic. Enfin, la stratégie européenne ambitionne d'accroître la résilience du RTE-T face au changement climatique et aux autres aléas.

Nous tenons à indiquer que nous partageons très largement ces objectifs et les propositions qui sont faites pour réduire les insuffisances actuelles et améliorer les déplacements sur l'ensemble du réseau transeuropéen de transport.

Sans intervenir plus avant sur le fond, nous nous permettons aussi de souligner que les besoins en investissements sont considérables, et que les échéances envisagées par la Commission sont particulièrement volontaristes.

Afin d'achever, à l'échéance 2050, la réalisation de ce réseau européen multimodal et interopérable, la Commission propose donc de revoir certaines dispositions fixées par le règlement de 2013 et de définir de nouvelles exigences techniques et de gouvernance. De ce texte, il faut retenir plusieurs évolutions importantes.

Il prévoit, tout d'abord, la création d'ici à 2040 d'un « réseau central étendu » qui serait situé entre le « réseau global » et le « réseau central » - à savoir la partie du réseau global qui présente la plus haute importance stratégique pour l'UE - dont les dates d'achèvement sont confirmées, respectivement en 2050 et 2030.

Le texte met aussi en place neuf corridors de transport européens reliant les anciens corridors de réseau central aux corridors de fret ferroviaire. Ces corridors constituent les principaux axes stratégiques de transport dans l'Union, à l'exemple des corridors Rhin-Danube ou Atlantique. La Commission européenne propose de renforcer leur gouvernance en dotant les coordonnateurs européens de corridors de nouvelles missions et responsabilités.

Par ailleurs, le texte actualise les cartes du RTE-T. S'il n'y apporte pas de modification importante, il augmente très significativement le nombre de noeuds urbains, qui sont des villes ou aires urbaines dont la population dépasse les 100 000 habitants. Pour la France, le texte répertorie 42 noeuds urbains, au lieu de 8 auparavant.

Enfin, la Commission propose de renforcer son rôle en matière de gouvernance du réseau et de mise en cohérence des politiques nationales en matière de transport avec les priorités de l'Union.

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - La proposition de règlement fonde son intervention sur les articles 170 à 172 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. L'Union est à ce titre compétente pour définir les orientations stratégiques ainsi que les objectifs et les priorités des réseaux transeuropéens. En revanche, conformément au principe de subsidiarité, les États membres ont la responsabilité de la programmation et de la mise en oeuvre des projets d'intérêt commun, l'Union venant alors en soutien.

En vertu de ce principe, qui est indissociable de celui de proportionnalité, les moyens mis en oeuvre par l'Union pour réaliser les objectifs fixés par les traités ne peuvent aller au-delà de ce qui est nécessaire. Le rôle moteur de l'Union européenne dans la réalisation du RTE-T doit ainsi se concilier avec les principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Or plusieurs dispositions de la proposition de règlement semblent montrer une volonté de la Commission européenne d'aller au-delà de la seule définition des orientations et des priorités dans le domaine des réseaux transeuropéens de transport.

L'article 8 prévoit en effet la possibilité pour la Commission européenne d'exiger des États membres la mise en place d'une entité unique pour la construction et le pilotage de projets d'infrastructure transfrontaliers situés sur le RTE-T. Or les modalités de mise en oeuvre des projets transfrontaliers relèvent de la compétence des États membres. Cette décision devrait donc demeurer une option qui ne pourrait être envisagée qu'avec l'accord des États membres. En ce sens, la disposition apparaît contraire au principe de subsidiarité.

L'article 40 établit un certain nombre d'exigences pour les noeuds urbains, dont l'obligation pour 424 d'entre eux d'élaborer des plans de mobilité urbaine durable. Certes, cette mesure a déjà été adoptée par de nombreuses villes européennes, notamment par les villes françaises de plus de 100 000 habitants, comme l'impose la loi d'orientation des mobilités. Mais force est de relever qu'en droit, cette disposition crée une obligation à l'égard des collectivités territoriales, alors même que la mobilité urbaine relève de la compétence des États membres.

L'article 48 introduit des exigences pour les États membres en matière de maintenance et de cycle de vie des infrastructures du RTE-T. Or l'entretien des infrastructures relève de l'entière responsabilité des États membres. Par ailleurs, cette obligation pourrait s'imposer non seulement aux gestionnaires d'infrastructures nationales, mais aussi aux autorités locales et aux entités privées.

L'article 51 prévoit d'élargir les missions confiées aux coordonnateurs européens des corridors, qui assurent en quelque sorte un rôle de « préfet » de ces parties du réseau transeuropéen de transport. Ils auraient notamment la tâche de recenser et de hiérarchiser les besoins d'investissement pour le fret ferroviaire et les lignes ferroviaires de voyageurs. Les États membres disposant de la responsabilité du montage financier et de la programmation des projets d'infrastructures, cette nouvelle mission des coordinateurs européens apparaît disproportionnée et tend à remettre en cause directement la compétence des États membres dans la mise en oeuvre des orientations et le choix des projets.

Nous formulons également des réserves sur l'article 54 de la proposition, qui prévoit de donner le pouvoir à la Commission européenne d'adopter systématiquement des actes d'exécution pour chaque plan de travail relatif aux corridors de transport européens et aux priorités horizontales, afin d'en établir les grandes priorités. Même s'il est prévu que ces plans soient déjà approuvés par les États membres concernés, le recours large et systématique à des actes d'exécution présente le risque d'aller au-delà du nécessaire.

L'article 58 prévoit de mettre en cohérence les plans nationaux et d'investissement avec la politique de transport de l'Union, ces plans devant être aussi notifiés à la Commission avant leur adoption dans un délai de douze mois. Or la programmation en matière de transport et d'investissement est déterminée par les États membres, dans le cadre d'une procédure spécifique. Même si elle peut apparaître opportune pour assurer la cohérence européenne des plans nationaux, cette disposition ne respecte pas pleinement le principe de subsidiarité.

L'article 62 permet à la Commission européenne, en cas de retard « important » dans la réalisation des travaux sur le RTE-T, de demander aux États membres d'en fournir les raisons, d'adopter une décision qui leur sera adressée et de les obliger à éliminer ce retard dans un délai de six mois si elle considère qu'il ne repose sur « aucune justification objective ». Cette clause de sauvegarde apparaît particulièrement contraignante pour les États membres. Or l'objectif ambitieux d'achèvement du réseau à l'horizon 2050 ne prend pas en compte les contraintes, les exigences techniques, les besoins en financement et les aléas liés à la réalisation des projets d'infrastructures de transport. L'échange avec la Commission doit pouvoir prévaloir sur toute procédure d'infraction. En conséquence, la proportionnalité de la mesure n'est pas garantie.

Tels sont, mes chers collègues, les points clés de la proposition d'avis motivé que nous vous suggérons d'adopter pour assurer le respect des compétences des États membres en matière de transport.

M. Cyril Pellevat. - Si je souscris à la conclusion de cette proposition de résolution, je m'interroge sur les autres options qui s'offrent à nous pour atteindre les objectifs du règlement, notamment en matière d'amélioration de la gouvernance des projets transfrontaliers.

Par exemple, sur le Lyon-Turin, le manque de coordination entraîne des retards et des surcoûts qui auraient pu être évités par la mise en place d'une instance de gouvernance unique.

L'article 8 du règlement prévoit que la Commission pourrait obliger les États membres à créer de telles instances. Si cette disposition semble excessive, son objectif est louable. Avez-vous identifié des mécanismes incitatifs à la création d'instances de gouvernance uniques ?

M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - De la suggestion à l'obligation, il y a un pas que nous ne souhaitons pas voir franchi par l'Union européenne. Il appartient aux différentes parties prenantes d'un projet comme le Lyon-Turin de s'entendre pour trouver le meilleur mode de gouvernance.

À l'issue du débat, la commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne portant avis motivé, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Questions diverses

M. Jean-François Rapin, président. - Avec quelques membres du bureau de notre commission, je prévois de me rendre à la frontière ukrainienne du 10 au 13 mai afin de constater l'impact de la guerre en Ukraine sur les frontières orientales de l'Union européenne et la façon dont les États limitrophes membres de l'UE gèrent la situation, particulièrement la Pologne et la Slovaquie. Ce déplacement sera également l'occasion de manifester la solidarité des sénateurs français à l'égard de ces pays.

M. Didier Marie. - Serait-il envisageable d'auditionner le commissaire européen en charge des réfugiés ?

M. Jean-François Rapin, président. - Très bonne proposition, nous nous occupons d'organiser cela.

Je vous indique que la Conférence sur l'avenir de l'Europe s'achèvera le 9 mai. Les propositions sont nombreuses, mais s'il s'agit de rester dans le cadre des traités, comme les commissaires le souhaitent, beaucoup ne pourront pas aboutir. Nous avons notamment eu de riches débats sur les systèmes de santé. J'ai dû batailler ferme pour défendre la complémentarité des systèmes privé et public sur notre territoire, car certains États n'y souscrivent pas.

Mme Gisèle Jourda. - En matière de politique de défense et de politique étrangère, dont traite le groupe de travail sur « l'UE dans le monde » auquel j'appartiens, nous constatons que les citoyens connaissent très mal les institutions européennes. Si les idées qui sont échangées dans le cadre des panels de citoyens sont ambitieuses, je crains que les préconisations qui en émanent alimentent des déceptions.

De manière générale, je crois que ce constat vaut pour tous les groupes de travail de cette conférence.

M. Jean-François Rapin, président. - J'ajoute pour ma part que les débats interparlementaires sont parfois difficiles au niveau européen, et que si je vous compare à vos homologues des autres États membres, mes chers collègues, vous êtes de doux agneaux !

La réunion est close à 17 h 50.