Mercredi 25 janvier 2023

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 10 heures.

Proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la Première Guerre mondiale - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons la proposition de loi visant à réhabiliter les militaires « fusillés pour l'exemple » durant la Première Guerre mondiale.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui, écrite par le député Bastien Lachaud et adoptée par l'Assemblée nationale le 13 janvier 2021, vise à réhabiliter ceux que l'on appelle communément les « fusillés pour l'exemple » de la Première Guerre mondiale, condamnés à mort pour désobéissance militaire et exécutés entre 1914 et 1918, en particulier pendant les deux premières années du conflit. Elle prévoit également que leurs noms seront inscrits sur les monuments aux morts des communes et qu'un monument national sera érigé en leur mémoire.

À cette occasion, je tiens à saluer la mémoire de Guy Fischer, notre ancien collègue communiste et vice-président du Sénat, qui avait déposé un texte similaire en 2011.

Nous avons auditionné Jean-Yves Le Naour, spécialiste de ces événements, ainsi qu'Éric Viot, dont la compétence sur cette question est unanimement reconnue. Ces deux historiens nous ont permis de mieux cerner ces événements et le profil de ces fusillés. Nous avons également auditionné le député Philippe Gosselin, qui a évoqué la tragique affaire des fusillés de Souain, au cours de laquelle son grand-père a défendu les condamnés, avant de se battre pendant des années pour leur réhabilitation. De plus, nous avons pu nous appuyer sur le rapport rendu par la commission dirigée par Antoine Prost sur ce sujet en 2013, à la demande du Président de la République François Hollande. En revanche, l'historien Nicolas Offenstadt, spécialiste de cette question, n'a pas répondu à notre sollicitation ; il est vrai que nous avons dû travailler dans des délais particulièrement resserrés.

La proposition concerne des hommes ayant été condamnés pour des formes diverses de désobéissance aux ordres, pendant les cinq années du conflit, mais surtout en 1914 et 1915, lors des grandes offensives. Ce n'est pas en 1917, l'année des grandes mutineries, qu'ils furent, pour la plupart, exécutés : à ce stade tardif de la guerre, les abus les plus cruels de la justice militaire avaient déjà été corrigés sous la pression des soldats eux-mêmes, mais aussi de parlementaires de tous bords. Seule une trentaine de militaires, sur les 639 visés par ce texte, furent exécutés en 1917.

Avant leur condamnation, ces hommes avaient partagé le sort de leurs camarades, ces poilus confrontés à la violence inouïe des grands combats de 1914 et 1915. Rappelons que, en l'espace de six jours, du 20 au 25 août 1914, 40 000 soldats français moururent, dont 27 000 le 22 août 1914, qui reste la journée la plus sanglante de l'histoire de France. Puis il y eut la bataille de la Marne, en septembre, et les offensives de la bataille de Champagne, avant la grande boucherie de Verdun. Pendant ces terribles offensives et contre-offensives, une violence et un chaos inconcevables pour qui ne les a pas vécus ont désorienté et démoralisé les soldats, quand ils ne les ont pas rendus fous.

Beaucoup des militaires exécutés ont alors été purement et simplement victimes d'erreurs judiciaires.

Parmi les nombreux cas avérés figure celui du soldat Joseph Gabrielli, « simple d'esprit » qui n'avait pas été en mesure de rejoindre sa compagnie après s'être fait soigner d'une blessure, condamné pour abandon de poste le 14 juin 1915 et fusillé le jour même. Après le rejet d'un premier pourvoi par la Cour de cassation, il fut réhabilité en 1933 par la Cour spéciale de justice militaire de Paris, composée non seulement de trois magistrats, mais aussi de trois anciens combattants.

Il y eut aussi les célèbres « martyrs de Vingré », finalement décorés à titre posthume de la médaille militaire et de la croix de guerre.

D'autres cas individuels ont frappé les consciences, comme celui du sous-lieutenant Jean Chapelant, condamné après un procès sommaire pour désertion, alors que, blessé, il avait réussi à s'évader après avoir été fait prisonnier ; ou encore celui du soldat Léonard Leymarie, blessé à son poste, mais condamné pour mutilation volontaire. Nous pourrions, hélas ! citer de nombreux autres noms.

Si certains ont pu être réhabilités, toutes ces injustices avaient une cause bien identifiée : la mise en place d'un système destiné à condamner le plus vite possible pour faire des exemples, dans un conflit que l'on imaginait encore court, où la volonté d'efficacité rejetait au second plan la question de la culpabilité. Tous les fusillés sont passés sous les fourches caudines des tribunaux mis en place par des décrets de 1914, qui instauraient un système d'exception en lieu et place de la justice militaire ordinaire.

Oui, ce système était établi par des textes ; il était donc légal. Non, il n'offrait pas la moindre des garanties qu'évoque le terme de « justice » : pas de véritable instruction, pas de véritable défense, aucune procédure d'appel, plus de grâce présidentielle.

En outre, certaines notions du code de justice militaire recevaient une interprétation très large, de manière à faciliter les condamnations, notamment le fait de s'être trouvé « en présence de l'ennemi ». Or il s'agissait là d'un point décisif, puisque de cette circonstance dépendait l'application de la peine de mort. Ajoutons que beaucoup de militaires ont été condamnés par les mêmes officiers qui les commandaient.

Il ne s'agit en aucun cas de faire ici le procès de l'armée, de tout ramener à des « fautes de commandement », évoquées par Nicolas Sarkozy dans son discours de 2008 et qui expliquent certains actes de désobéissance. Tous les officiers n'eurent pas la volonté de « faire des exemples » : certains militaires du rang ont eu la chance d'avoir affaire à des officiers compréhensifs, qui ne seraient jamais allés jusqu'à réclamer des exécutions pour un moment de faiblesse. À l'inverse, Éric Viot constate que le nombre de fusillés augmente dans chaque division où passent certains gradés. Mais il faut aussi rappeler que les officiers qui ont condamné à mort les six fusillés de Roucy ont été désavoués et relevés par leur général.

Certains estiment que cette injustice était le prix de l'efficacité. En réalité, on s'aperçut assez vite que tel n'était pas le cas, tant ces exécutions dégoûtaient la troupe, qu'elles démotivaient profondément.

Quant à ceux qui avaient vraiment désobéi, ils étaient, en grande majorité, montés au front avec leurs camarades ; ils s'étaient battus, parfois héroïquement, avant de succomber à un moment de faiblesse, que ce soit à la suite d'un bombardement quasi ininterrompu de plusieurs jours, aux limites de l'épuisement, voire de la folie, ou encore en désobéissant à des ordres absurdes ou inapplicables. Certains furent fusillés parce qu'ils réclamaient des chaussures pour monter en première ligne. Tous furent victimes de cette justice expéditive qui empêchait toute réelle appréciation de la situation dans laquelle les faits reprochés s'étaient déroulés.

En revanche, les hommes condamnés pour des faits d'espionnage ou de droit commun n'entrent pas dans le champ de cette proposition de loi.

Au total, le présent texte concerne 639 personnes, selon la déclaration faite par le ministère de la défense le 27 octobre 2014. Cette liste n'a jamais été contestée depuis lors.

La cause de la réhabilitation des militaires fusillés a longtemps été assez consensuelle. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les soldats revenus du front haïssaient avant tout ceux qu'ils appelaient les embusqués et les profiteurs, pas ceux qui avaient subi à leurs côtés le grand massacre, même s'ils avaient eu un moment de faiblesse.

Ainsi les militants de la réhabilitation ont-ils obtenu d'indéniables succès dans l'entre-deux-guerres, avec l'adoption très large, voire à l'unanimité, de plusieurs textes : loi d'amnistie du 29 avril 1921 ; textes facilitant les procédures de réhabilitation, comme la loi du 9 août 1924 concernant les fusillés sans jugement ; procédures devant la Cour de cassation ; réforme du code de justice militaire en 1928 ; et même création d'une Cour spéciale de justice militaire, qui a siégé entre 1932 et 1935 pour examiner les cas de fusillés suivant des critères qui s'ouvrent à la notion de pardon. Au total, ces efforts ont conduit à la réhabilitation d'environ 40 soldats fusillés.

Le combat a continué et continue encore. Il est notamment mené par des familles sur lesquelles a longtemps pesé l'opprobre. En effet, les réhabilitations furent aléatoires : il fallait qu'il y ait des témoins, que les familles s'impliquent, qu'elles aient des relations haut placées et que la demande soit prise en charge par une association comme la Ligue des droits de l'homme.

Des familles et des associations se battent encore et toujours pour cette reconnaissance. Mais, en réalité, ceux qui plaident aujourd'hui pour poursuivre les réhabilitations au cas par cas demandent l'impossible. Le général Bach, historien du ministère des armées, l'a montré : 20 % à 25 % des dossiers manquent, et beaucoup d'autres sont vides ou si lacunaires qu'il est impossible d'en rien tirer.

D'ailleurs, les historiens ont désormais fait leur travail. Les archives ont été exploitées. Les faits ont été, autant que possible, établis. Après le temps des historiens vient naturellement celui des politiques, qui ont à se prononcer, non pas sur l'histoire, mais sur la mémoire de la Nation.

Dans ce domaine, un premier pas important a déjà été accompli par des hommes d'État. Lionel Jospin, puis Nicolas Sarkozy ont ainsi fait des déclarations importantes, en 1998 à Craonne et en 2008 à Douaumont. Nicolas Sarkozy a également évoqué, sous l'Arc de Triomphe, en 2009 avec la Chancelière Merkel, ces « fusillés qui attendent encore qu'on leur rende justice ». Pendant la présidence de François Hollande, un espace a même été aménagé au sein du musée des armées.

De nombreuses collectivités territoriales ont par ailleurs adopté des voeux visant à réhabiliter les fusillés pour l'exemple. Il s'agit d'environ 2 000 communes, de 31 conseils départementaux - rien de moins - et de 6 conseils régionaux, souvent dans des territoires portant les stigmates de la Grande Guerre.

Aujourd'hui, nous estimons que le tour du Parlement est venu. C'est le Parlement qui a commencé ce travail dès 1916, notamment sur l'initiative du député Paul Meunier, et c'est le Parlement qui doit le terminer. En parallèle, l'opinion générale a sans doute évolué. Elle peut désormais considérer qu'un moment de faiblesse n'efface pas tous les sacrifices accomplis, que l'opprobre doit finir et que, à côté de tous les militaires morts au combat, il faut se souvenir de ces soldats fusillés pour l'exemple : leur destin aussi nous parle - si j'ose dire - de ce que fut cette guerre atroce.

Nous avons un moment songé à proposer une modification du texte pour en faciliter l'adoption. Toutefois, cette nouvelle rédaction n'aurait sans doute pas changé l'appréciation des uns et des autres sur le fond. En revanche, elle aurait empêché une adoption conforme. D'ailleurs, le texte voté par l'Assemblée nationale n'a pas vraiment suscité de levée de boucliers.

Certains estiment qu'une telle réhabilitation, en invalidant des décisions de justice, constituerait une atteinte à la séparation des pouvoirs, mais une telle crainte ne me paraît pas fondée. Le Conseil constitutionnel a, en réalité, une interprétation très souple de la notion d'amnistie, qui peut aller jusqu'à la réhabilitation. Il souligne ainsi, dans sa décision du 20 juillet 1988, qu'une amnistie peut remettre en l'état la situation de ses bénéficiaires sous réserve de ne pas léser les droits des tiers.

Pour ce qui concerne l'inscription sur les monuments aux morts, le débat me semble en grande partie derrière nous. Aucune disposition législative ni réglementaire n'empêche aujourd'hui les communes d'inscrire les noms qu'elles souhaitent sur leurs monuments aux morts. D'ailleurs, le tiers environ des 639 militaires visés par la proposition de loi y figurerait déjà, car beaucoup de communes n'ont pas voulu laisser sans réponse l'appel à la justice lancé par les familles ou par les associations. Il s'agit donc simplement de dire que cette démarche est la bonne.

Enfin, la création d'un monument national perpétuant la mémoire de ces fusillés pour l'exemple permettrait de disposer d'un lieu mémoriel spécifique pour que tous puissent connaître l'histoire de ces hommes. Il existe déjà un monument de cette nature dans la commune de Chauny, dont nous avons auditionné le maire : il s'y est parfaitement intégré, ne suscitant aucune réaction négative. C'est le fruit d'un travail mené avec différentes associations, notamment les associations d'anciens combattants.

Ce texte ne divise pas ; au contraire, il rassemble la Nation, car le souvenir des injustices commises à l'encontre de ces fusillés reste très vif, plus de cent ans après, notamment au sein de leurs familles.

Cette proposition de loi parachève la reconnaissance esquissée par Lionel Jospin, Nicolas Sarkozy, puis François Hollande. Elle clôt un chapitre douloureux et offre l'apaisement à quelques centaines de morts. Les intéressés représentent une goutte d'eau dans l'océan des morts de la Grande Guerre, mais cette goutte d'eau empêche d'en constituer complètement et définitivement la mémoire. C'est pourquoi je vous propose d'approuver ce texte sans modification.

M. Christian Cambon, président. - Cette proposition de loi a été votée par l'Assemblée nationale au terme d'une séance singulière, marquée notamment par l'intervention de Philippe Gosselin, dont la famille est directement concernée par le sujet.

M. Yannick Vaugrenard. - M. le rapporteur a présenté cette proposition de loi avec beaucoup de précision historique et de sensibilité.

Plus d'un siècle après les faits, les mots « fusillés pour l'exemple » font encore froid dans le dos. Cette guerre fut une véritable boucherie.

Les fusillés de droit commun sont exclus du périmètre de la proposition de loi, à l'instar des traîtres : son champ d'application est donc bien précisé, grâce au travail mené par le Service historique de la défense. C'est la raison pour laquelle le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain y est favorable. Il s'agit d'un texte d'apaisement.

Les historiens eux-mêmes nous l'indiquent : il n'est plus possible de procéder au cas par cas, ce qui aurait été idéal sur le plan juridique. La disparition d'un certain nombre d'archives impose d'opter pour une réhabilitation générale.

Dès 1916, la Chambre des députés s'est prononcée à l'unanimité pour la suppression des tribunaux militaires d'exception et le rétablissement du droit de grâce, auquel le Président Poincaré a largement recouru dans les années suivantes : 95 % des condamnés à mort « pour l'exemple » ont été graciés.

Un soldat refuse de porter les habits, tachés de sang, de son camarade mort : il est condamné le soir même et fusillé le lendemain matin sans avoir pu présenter sa défense. Cet exemple est représentatif de la justice expéditive alors à l'oeuvre. D'autres soldats ont été fusillés « pour l'exemple » après avoir été tirés au sort.

Certains invoquent le respect de la discipline, qui, à l'évidence, est indispensable à l'armée, mais les généraux du début de la Grande Guerre n'ont rien à voir avec les responsables militaires d'aujourd'hui. Je suis frappé de voir à quel point les officiers actuels sont soucieux de la santé et de la vie de leurs soldats, et je tiens à leur rendre hommage. Cette proposition de loi fait non pas le procès de l'armée, mais celui d'une période pour le moins particulière.

La Haute Assemblée s'honorerait en votant cette proposition de loi, qui permettrait à notre jeunesse de mesurer combien les mentalités ont évolué.

M. Pascal Allizard. - Je salue la pertinence de ces rappels historiques, mais, selon nous, le Parlement n'a pas à réécrire l'histoire. Dans l'ensemble, les membres de notre groupe s'opposeront à ce texte.

M. André Gattolin. - Je relève à mon tour la justesse et la précision des informations communiquées par le rapporteur Guillaume Gontard et par Yannick Vaugrenard. Il suffit de lire Guerre de Louis-Ferdinand Céline ou encore les oeuvres de Henri Barbusse pour constater à quel point, en temps de guerre, la frontière entre un condamné et un héros peut être floue.

En l'état, ce texte ne peut pas être voté. L'idée d'une réhabilitation collective civique et morale me pose juridiquement problème, car la réhabilitation est une procédure individuelle. Je ne suis même pas sûr qu'une telle disposition soit conforme à la Constitution.

J'ai vainement tenté de réécrire un certain nombre de formulations qui me semblent dangereuses, comme la mention d'une « politique répressive ». Néanmoins, il me semble essentiel d'assurer une reconnaissance morale, car c'est l'honneur d'une grande nation de reconnaître ses erreurs et ses défaites - je pense notamment au cas des « malgré-nous ». Voilà pourquoi il faut poursuivre la réflexion ; à titre personnel, je m'abstiendrai.

M. Joël Guerriau. - Au total, des millions d'hommes ont été mobilisés dans l'armée française pendant la Grande Guerre ; environ 550 d'entre eux ont été fusillés pour l'exemple, contre 48 dans l'armée allemande, ce qui, en soi, pose question. Évidemment, leur sort nous fait tous frémir. Cela étant, ce texte n'est pas de nature à rassembler : il est susceptible de diviser les Français, car il remet en cause l'état-major, donc les autorités politiques de l'époque.

En parallèle, pourquoi n'a-t-on pas fusillé de généraux « pour l'exemple » ? L'offensive Nivelle s'apparente à un assassinat de masse. En 1914, 162 généraux ont d'ailleurs été écartés du front ; certains ont été envoyés à Limoges, d'où le terme de « limogeage ».

M. Olivier Cigolotti. - Dans leur majorité, les membres du groupe Union Centriste sont plutôt défavorables à ce texte. Les procédures de réhabilitation ont été engagées très tôt et, depuis 1998, un certain nombre de déclarations officielles se sont succédé. Selon nous, une réhabilitation globale pose bel et bien question sur le plan constitutionnel. En outre, il n'appartient pas au Parlement de refaire l'histoire : laissons ce travail aux historiens.

M. Alain Houpert. - Ces soldats ont été déclarés coupables d'avoir eu peur ; certains ont été fusillés au terme d'un tirage au sort. Notre pays a eu le courage d'abolir la peine de mort : ne pas les réhabiliter, c'est les tuer une seconde fois.

Pour ma part, je voterai cette proposition de loi. Elle n'est peut-être pas juste techniquement, mais elle l'est humainement.

M. Jean-Marc Todeschini. - En 1998, j'étais chef de cabinet du ministre chargé des anciens combattants et j'ai organisé avec Matignon la visite de Lionel Jospin à Craonne. Par la suite, François Hollande et Nicolas Sarkozy ont eux aussi demandé la réintégration de ces « fusillés pour l'exemple » dans la mémoire collective.

Comme secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire, j'ai participé à l'inauguration, aux Invalides, de la salle dédiée aux fusillés de la Grande Guerre, demandée par mon prédécesseur. C'est également lui qui avait commandé le rapport Prost.

Je suis solidaire de mon groupe et je voterai ce texte. Toutefois, il ne mentionne pas le chiffre de 639 et, à mon sens, ne se limite pas à lui, alors qu'il faut avancer pas à pas. Le Service historique de la défense a fait un important travail, dont la conclusion est incontestable ; pourquoi ne pas annexer cette liste à la proposition de loi ? Peut-on réellement réhabiliter tout le monde ?

M. Olivier Cadic. - Je me souviens encore du récit qu'un vétéran de la Grande Guerre m'a fait d'une de ces exécutions lorsque j'étais enfant. Cette histoire m'a tellement ému que je suis devenu un opposant acharné de la peine de mort. Un tout jeune soldat était condamné à mort, il pleurait et se débattait et ceux qui devaient l'exécuter pleuraient aussi. Aujourd'hui, on voit ce qui se passe en Ukraine ; on voit les « exemples » que fait le groupe Wagner, les coups de masse qu'il inflige aux déserteurs. Je voterai ce texte.

M. Alain Cazabonne. - Je voterai moi aussi ce texte, tout en regrettant que l'on ne traite pas un certain nombre de cas, comme celui du général Nivelle.

M. Pierre Laurent. - Je me reconnais pleinement dans les propos du rapporteur et de Yannick Vaugrenard, qui me rappellent ceux de Guy Fischer, mort peu de temps après le dépôt de sa proposition de loi.

Les historiens sont unanimes : les archives ne permettent pas de procéder au cas par cas. L'argument juridique opposé par certains a donc ses limites. Les membres du groupe CRCE voteront ce texte d'apaisement.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vos interventions, dans leur diversité, prouvent combien cette question reste vive plus de cent ans après les faits. Il s'agit aussi de l'honneur des familles concernées.

Pour moi, ce texte ne procède absolument pas à une réécriture de l'histoire, bien au contraire : il repose sur le travail des historiens, et la liste des 639 noms n'a été contestée par personne. Si elle n'est pas reproduite ici, c'est parce qu'elle est difficile à obtenir. L'initiative de la mairie de Chauny n'a pas non plus suscité d'opposition.

Le périmètre de cette proposition de loi est suffisamment précis pour assurer une réhabilitation collective. Évidemment, une réhabilitation au cas par cas serait préférable, mais elle est impossible.

En votant le présent texte, nous tournerons définitivement cette page de notre histoire.

Pour les raisons que j'ai indiquées, le risque de censure du Conseil constitutionnel ne me semble pas avéré.

Enfin, si certaines expressions ont pu choquer tel ou tel, elles reflètent elles aussi le travail des historiens, qui, en un sens, permet de réhabiliter l'armée.

Blanche Maupas écrivait dans Le Fusillé, ouvrage dédié au caporal Maupas : « On voudrait donc que ces martyrs ne deviennent plus qu'une légende. Si je meurs avant la réparation, pensa la veuve, j'aurai protesté pour elle jusqu'à mon dernier souffle et je viendrai près d'eux reposer sous cette verdure. S'ils sont réhabilités, ma place sera là, encore, à l'ombre de leur image immortalisée. »

M. Pascal Allizard. - À l'évidence, notre histoire nous travaille ; mais, sur ce sujet comme sur d'autres, on ne saurait légiférer sous le coup de l'émotion.

Je maintiens mes propos, qui n'ont d'ailleurs rien de provocateur : cette proposition de loi est une tentative de réécrire l'histoire. Dès lors, elle risque de diviser. Je pense au cas, dans mon département du Calvados, d'un résistant déclaré mort pour la France et dont le nom est inscrit sur le monument de sa commune. Les circonstances de sa mort sont mal connues : on a pensé bien faire en rouvrant ce dossier, mais on a fait ressurgir de vieux démons.

M. Jean-Marc Todeschini. - Il me semble bel et bien nécessaire d'annexer la liste des 639 personnes concernées, qui n'est sans doute pas classée secret-défense. Quant à l'histoire des « malgré-nous », je confirme à quel point elle reste douloureuse, notamment dans mon département.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - L'exposé des motifs est clair : espions et condamnés de droit commun n'entrent pas dans le champ de cette proposition de loi. Vous pouvez déposer un amendement de séance tendant à annexer cette liste : j'y serai bien sûr favorable. Toutefois, la question n'est pas là, puisque ce document ne fait pas l'objet de contestations.

M. Jean-Marc Todeschini. - Le Souvenir français le conteste.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - En tout cas, notre vote ne doit pas dépendre de ce point.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Sous le coup de l'émotion, on a évidemment envie de réhabiliter ces personnes victimes d'un drame terrible, qui plus est quand on est, comme moi, farouchement opposé à la peine de mort. Mais, lorsque, en tant que parlementaires, nous devons nous prononcer sur l'opportunité des textes qui nous sont soumis, la raison doit toujours l'emporter.

Aujourd'hui, on réécrit l'histoire en permanence, et ce dans un sens toujours défavorable à la France, par exemple à propos des guerres napoléoniennes. La plupart de ces condamnés étant des déserteurs, j'ai peur des répercussions que de telles dispositions pourraient avoir sur nos armées : ces débats seront nécessairement élargis à d'autres questions.

Je reconnais et je comprends la souffrance de ces fusillés et de leurs familles, mais la loi ne me semble pas être le bon canal. Je ne voterai pas ce texte.

M. Yves Détraigne. - Cette réécriture de l'histoire n'a pas de sens ; je voterai contre le texte.

M. Rachid Temal. - Cette proposition de loi ne réécrit pas l'histoire ; elle prend acte de l'histoire.

Le Parlement français est prêt à voter des textes relatifs à l'histoire de pays étrangers, comme l'Arménie ou l'Ukraine, mais il est beaucoup plus réservé quand il s'agit de notre pays. Je suis très fier de l'histoire de France. Toutefois, il faut admettre sa complexité.

M. Alain Houpert. - Le 17 septembre 1981, Robert Badinter s'exprimait lui aussi avec émotion. En outre, on invoque beaucoup de détails pour s'excuser de ne pas voter cette proposition de loi, mais le diable est souvent dans les détails.

M. Philippe Folliot. - On ne peut pas dissocier la mémoire universelle et la mémoire nationale : c'est une question de cohérence.

Je salue le travail de M. le rapporteur, mais j'estime que le Parlement n'a pas à se substituer aux historiens. En pareil cas, nous risquons toujours de mettre le doigt dans un engrenage. Voilà pourquoi, même si je suis sensible aux arguments du rapporteur, je voterai contre ce texte.

M. Joël Guerriau. - Le maréchal Ney a été condamné à mort ici même, puis réhabilité un demi-siècle plus tard. Dreyfus, de même, a été condamné, puis réhabilité. Réhabiliter, ce n'est pas réécrire l'histoire : c'est revenir sur un jugement historique.

M. Hugues Saury. - Georges Clemenceau disait : « La justice militaire est à la justice ce que la musique militaire est à la musique. » À l'époque, la justice militaire était pour le moins fruste et probablement injuste ; ces fusillés ont été victimes de la folie de leur temps.

Prenons garde aux anachronismes : nous ne sommes pas habilités à juger des événements vieux de plus d'un siècle, même s'ils peuvent sembler proches. Je ne voterai pas cette proposition de loi.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Groupe de travail sur « La place de la France dans la région indopacifique » - Examen du rapport d'information

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant le rapport d'information de nos collègues Cédric Perrin, Rachid Temal, Hugues Saury, Jacques Le Nay, André Gattolin et Joël Guerriau sur la place de la France dans la région indopacifique.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Peu à peu le terme d'« Indopacifique » s'est imposé comme le cadre de conception de l'action géostratégique des pays qui l'adoptent à mesure que l'importance économique et géostratégique de cette vaste zone se renforce. Centre névralgique de la planète, l'Indopacifique est devenu incontournable et le sera plus encore dans vingt ans.

Cette zone recouvre entre les deux tiers et la moitié de la surface du globe terrestre, et héberge de 60 à 75 % de la population mondiale selon la délimitation retenue. C'est le lieu où la création de richesses est la plus rapide, avec six membres du G20 présents dans la région : la Chine et l'Inde - qui ont les produits intérieurs bruts (PIB) les plus dynamiques de la planète -, la Corée du Sud, l'Indonésie, le Japon et l'Australie. L'Indopacifique génère aujourd'hui près de 40 % de la richesse globale et pourrait représenter plus de 50 % du PIB mondial en 2040 selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI). Au moins la moitié du fret mondial transite par cette zone qui concentre l'essentiel des réserves mondiales de matières premières critiques : 85 % du lithium, 75 % du nickel et 75 % des réserves de cuivre. La dépendance de l'Union européenne (UE) en la matière est alarmante ; en 2020, elle s'élevait à 95 % sur trente métaux critiques. La place de la Chine sur le marché des matières premières critiques est prépondérante : près de 90 % des terres rares et 60 % du lithium sont traités dans le pays. La Nouvelle-Calédonie détient quant à elle 20 % des réserves mondiales de nickel.

Dans vingt ans, le G3 devrait regrouper les États-Unis, la Chine et l'Inde. D'ici là, le PIB et les dépenses de défense de la Chine seront probablement équivalents à ceux des États-Unis. La population indienne devrait bientôt être supérieure à celle de la Chine et le PIB de l'Inde devrait se hisser au troisième rang mondial. L'ordre précis du trio de tête reste discuté mais pas sa composition. À ces pays s'ajouteront, dans un ordre qui peut varier, le Japon, l'Indonésie - dont le PIB pourrait dépasser celui du Japon d'ici 2040 - et l'Union européenne. La pandémie de coronavirus et les ruptures de chaînes de valeurs qui en ont découlé ont remis au coeur des débats les questions de souveraineté économique. Mais ces stratégies se heurtent à la difficulté de relocaliser les productions, aux volontés de prix bas des consommateurs, de maximisation des chaînes de valeur des entreprises et aux avantages comparatifs des pays de la zone indopacifique - notamment la concentration de la production des semi-conducteurs à Taïwan, et des molécules de base de l'industrie pharmaceutique en Chine et en Inde.

M. Rachid Temal, rapporteur. - Les cartes qui sont projetées montrent bien la nécessaire révolution copernicienne de l'Europe, passant du centre du monde à sa périphérie. L'espace atlantique est désormais en périphérie du centre névralgique de la planète. L'Europe, et avec elle le territoire métropolitain de la France, qui se sont longtemps pensé comme centre du monde, se situent dans la très lointaine périphérie de l'Indopacifique. Paris est à plus de 16 000 kilomètres de Nouméa - 21 heures et demi de vol -, à plus de 15 000 kilomètres de Papeete - 18 heures de vol -, à plus de 12 000 kilomètres de Port-aux-Français - îles Kerguelen ; 16 heures de vol - et à plus de 9 000 kilomètres de Saint-Denis - 11 heures et demi de vol. En outre, il faut 43 jours en naviguant à 12 noeuds pour aller d'un bord à l'autre de l'Indopacifique. Les cartes utilisées pour illustrer la stratégie de défense française en Indopacifique montrent à la fois l'immensité de la région, son éloignement de la métropole, la dispersion des territoires français qui s'y trouvent et leur relatif isolement.

On peut se demander si la zone indopacifique, dans son acception la plus large allant de la côte orientale de l'Afrique à la Polynésie française en passant par les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), est un cadre d'analyse opérant compte tenu de son ampleur. Ce cadre coïncide avec la stratégie mondiale de certains acteurs tels les États-Unis, et la volonté ou la nécessité de recentrer les cartes du monde sur l'Asie. Dans ce contexte, chaque pays aura la tentation de définir un espace indopacifique qui serve au mieux ses intérêts, ses représentations et ses ambitions.

Le pivot asiatique des États-Unis, décidé par l'administration Obama, s'appuie sur une présence militaire forte de nombreux points d'appui - Guam, Diego Garcia, Darwin, Okinawa, les bases de Pyeongtaek en Corée du Sud, Subi Baya et Clark aux Philippines - et sur sa puissance navale. La stratégie américaine, dite Free and Open Indo-Pacific (FOIP), est fondée sur la promotion de valeurs partagées et sous-tendue par l'affirmation d'une volonté d'influence stratégique majeure dans la zone. Elle recouvre aussi un objectif d'endiguement de l'influence chinoise, assumé par les États-Unis. Ce positionnement de défiance affiché à l'égard de la Chine a longtemps limité l'adhésion des pays de la zone qui ne souhaitaient pas se trouver pris dans une logique de blocs, ni être entrainés dans l'affrontement sino-américain de plus en plus frontal. En témoignent la guerre commerciale et douanière que se livrent les deux pays et les multiples tensions qui se manifestent autour de Taïwan. D'autres stratégiques indopacifiques, dont celles de la France et de l'UE, proposent une troisième voie dite d'équilibre.

Une première question se pose : sans vision commune, les acteurs de l'Indopacifique peuvent-ils coopérer ? Basée sur la conception la plus large de l'Indopacifique, qui correspond à ses implantations et intérêts et se présentant comme une troisième voie entre les États-Unis et la Chine, la stratégie française ne perd-elle pas en lisibilité pour les acteurs de la zone qu'elle entend fédérer autour d'elle ? N'est-elle pas affaiblie par la multiplicité de ses orientations ? Peut-elle répondre aux attentes de chaque partenaire stratégique, demandeurs de sécurité pour les uns, de développement économique pour les autres, d'actions de protection de l'environnement ? La stratégie française ne choisit ni l'espace géographique - qu'elle conçoit comme maximaliste - ni les secteurs d'action - qu'elle souhaite tous embrasser. Elle ne sélectionne pas plus ses partenaires, souhaitant collaborer avec tous. Si un temps un triangle de grands partenaires stratégiques s'était dessiné avec le Japon, l'Australie et l'Inde, Aukus, la relance du format QUAD (Quadrilateral Security Dialogue), le souhait de rapprochement de l'OTAN du Japon, et la non-condamnation de la Russie par l'Inde ont fragilisé cette architecture. Les partenariats se multiplient, au gré des exportations d'armement, ou d'autres opportunités. S'il n'en faut refuser aucune tant qu'elle est favorable aux intérêts français, l'éparpillement qui en résulte ne nuit-il pas à la lisibilité de la stratégie française ? Et cette stratégie n'est-elle pas contrainte d'évoluer pour s'adapter au plus grand défi de l'Indopacifique : la place de la Chine ? Cela m'amène à notre première recommandation : réaffirmer une position française forte et réaliste face aux nouvelles ambitions agressives de la Chine.

Les différentes conceptions de l'Indopacifique ne traitent pas de la question de la Chine directement. La plupart d'entre elles, et celle de la France ne fait pas exception, énumèrent les partenariats souhaités et ignorent « l'éléphant dans la pièce », c'est-à-dire la Chine dont le poids et la politique sont essentiels dans la zone indopacifique.

Dans la stratégie de la France pour l'Indopacifique, les revendications territoriales chinoises ne sont nommées que de façon très prudente, ainsi que sa rivalité avec les États-Unis, mise au même niveau que sa rivalité avec l'Inde - pourtant bien moins structurante, à ce jour, pour l'Indopacifique. Ces revendications territoriales de la Chine ont d'ailleurs fait l'objet d'une condamnation par la Cour permanente d'arbitrage (CPA) de La Haye, en 2016. Les revendications chinoises dites « ligne en neuf traits » sur la mer de Chine méridionale ont bien été déboutées ; pourquoi ne pas le dire ? La stratégie de la France s'arrête à la réaffirmation de l'attachement de notre pays à un ordre multilatéral fondé sur le droit, attachement partagé par l'Inde, l'Australie, le Japon et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN). La condamnation des positions chinoises nuirait à la stratégie de troisième voie, voie d'équilibre ou de stabilisation pour reprendre les termes de la stratégie indopacifique. Mais celle-ci est-elle tenable face aux réalités de l'Indopacifique et aux ambitions chinoises ?

Les pays de l'ASEAN, le Japon, l'Inde et l'Australie défendent la même autonomie et refuseraient de s'impliquer dans la rivalité sino-américaine, selon le document français. Toutefois, les positions japonaise et australienne sont sans doute plus ambiguës, en témoignent le QUAD, Aukus et les accords de défense liant ces pays aux États-Unis. L'objectif politique français nous amène, selon les analystes, à « surjouer une différence d'approche, en partie artificielle, avec les pays anglo-saxons tout en favorisant les exportations d'armes vers certains pays comme l'Inde, les Émirats arabes unis et l'Indonésie, qui restent l'un des moteurs, bien que non assumé, de la politique étrangère française dans la région ».

Pourtant, cette « troisième voie » française n'a pas convaincu l'Australie qui a renoncé au partenariat stratégique conclu avec la France et à la fourniture des sous-marins de la classe Barracuda. Le discours français est parfois contre-productif auprès de certains de ses partenaires : la position de notre pays paraît ambiguë, et nos ambitions d'être une puissance d'équilibre ne sont pas en adéquation avec notre poids réel, ce qui pose in fine des questions sur la crédibilité même de la stratégie française. Enfin, être une puissance d'équilibre, si l'on s'en donnait les moyens, n'est possible que si la situation le permet. Or, la politique et les ambitions chinoises fragilisent l'équilibre indopacifique. L'aspiration au statut de puissance internationale de la Chine se manifeste par une stratégie planifiée dans le temps long par le parti communiste chinois (PCC), visant à la doter du statut de première puissance mondiale d'ici 2050, année du centenaire de la création de la République populaire de Chine, comme le soulignait le rapport de nos collègues Pascal Allizard et Gisèle Jourda. Le XXe congrès du PCC, qui s'est tenu en octobre 2022, a été l'occasion d'un nouveau durcissement des positions chinoises : la légitimité du parti repose désormais sur la promesse du rétablissement du rang impérial de la Chine, garanti par Xi Jinping.

Dans ce contexte, la France devra réaffirmer une position ferme si les aspirations chinoises sont défavorables aux intérêts français et aux valeurs qu'elle défend, tels le multilatéralisme, la libre navigation, l'État de droit et les droits de l'homme. La stratégie française doit tenir compte du positionnement chinois, de son agenda et de sa volonté de s'affirmer en première puissance mondiale, et définir une réponse forte et réaliste.

M. Hugues Saury, rapporteur. - Ce deuxième volet s'attache à déterminer des zones d'actions spécifiques au sein de la stratégie indopacifique. Du fait de l'immensité de cet espace, qui couvre 50 % de la surface terrestre et abrite les trois quarts de la population mondiale, il est vain de le considérer comme une entité uniforme. La lisibilité de la stratégie indopacifique gagnerait à distinguer des zones en son sein. En cela, il s'agit ici, de prendre en compte la diversité des États qui la composent, la disparité de leurs priorités et les intérêts de la France dans ces différentes parties du monde.

Il apparaît donc nécessaire de différencier quatre zones pour structurer et rendre plus opérationnelle la stratégie française.

La première zone correspond à l'océan Indien occidental qui englobe les côtes africaines, les Terres australes et antarctiques françaises, La Réunion, Mayotte, le nord-ouest de l'océan Indien, le Pakistan, la côte occidentale de l'Inde. La vision indopacifique française qui s'étend aux côtes africaines et au nord-ouest de l'océan Indien apparaît parfois peu lisible aux yeux des pays qui revendiquent leur centralité dans l'Indopacifique, notamment les pays de l'ASEAN. La tyrannie des distances s'impose puisque 6 500 kilomètres séparent Jakarta du nord-ouest de l'océan Indien. Les États-Unis n'incluent d'ailleurs pas ces zones dans leur stratégie indopacifique, mais reconnaissent à la France un rôle de maintien de la sécurité à jouer dans ces secteurs. Il n'est pas exclu que cela serve ainsi le dessein américain d'accentuer son pivot stratégique asiatique en incitant d'autres pays à intervenir au large des côtes du Moyen-Orient - Yemen et Oman. La France a ici une place particulière à tenir, où sa légitimité est reconnue, notamment grâce à ses forces armées de la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI), et ses deux forces de présence que sont les forces françaises basées aux Émirats arabes unis (FFEAU) et les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj).

La deuxième zone couvre l'Indopacifique central qui s'étend de la côte orientale de l'Inde à la Nouvelle-Calédonie, en incluant l'ASEAN et en remontant jusqu'au Japon. Ces pays forment le cinquième « bloc économique » mondial et sont davantage demandeurs de développement de libre-échange que de sécurité dans l'océan Indien qu'ils assurent par eux-mêmes. La stratégie indopacifique française, basée sur la sécurité, ne correspond pas à leurs préoccupations premières. Leur thématique de sécurité concerne plus directement l'un des impensés de la stratégie française - j'y reviendrai à la fin de mon propos -, à savoir Taïwan et le risque de déstabilisation. Par ailleurs, l'inclusion de l'Inde et du Pakistan dans cette zone correspond à l'importance des échanges maritimes avec l'Inde et au rôle que pourrait prendre le port de Gwadar, basé au Pakistan et développé par la Chine, dans la circulation maritime de ce secteur.

La troisième zone se situe Pacifique Sud ; elle englobe les États du Pacifique Sud ainsi que les territoires français du Pacifique. Les États du Pacifique Sud placent la défense de l'environnement en tête des sujets d'importance ; ils sont demandeurs de protection de la biodiversité et des moyens la garantissant. Cela correspond d'ailleurs aux objectifs de la France et à la nécessité de protéger son immense zone économique exclusive (ZEE), ce qui est aujourd'hui rendu très difficile par le sous-équipement chronique des forces de souveraineté : les forces armées de la Nouvelle-Calédonie (FANC) et les forces armées en Polynésie française (FAPF). Celles-ci ne peuvent pas, de fait, couvrir une zone si vaste et répondre le cas échéant aux pillages des ressources halieutiques, ou aux démonstrations de force des puissances régionales qui testent la souveraineté française. Il arrive ainsi que notre armée ne puisse pas être présente lors du passage de navires militaires dans la ZEE française, ou qu'elles ne soient pas en mesure de répondre à plusieurs urgences concomitantes. Compte tenu de ses capacités, l'exercice de la souveraineté française sur ces zones s'en trouver fragilisé voire déconsidéré. Outre des moyens militaires adéquats, la stratégie française pour l'Indopacifique pourrait prendre en compte les spécificités du Pacifique Sud. Il s'agit notamment d'un territoire où le dialogue, dit Pacific way, prend une forme particulière basée sur la recherche permanente du consensus dans le traitement des affaires intérieures de la région. Enfin, cette zone, caractérisée par une montée des actions de la Chine, est dans l'attente de l'évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce contexte, retrouver de la clarté semble indispensable ; y définir un cap précis, lisible, avec des échéances et des moyens serait considéré favorablement.

La quatrième zone correspond au Pacifique oriental, constitué du Sud-Est de la Polynésie française, englobant les bordures occidentales de l'océan Pacifique, c'est-à-dire les côtes américaines. L'Amérique du Sud est absente de la réflexion stratégique de la France dans l'Indopacifique, laissant la zone sans « bord » oriental. Or, la Polynésie française pourrait être un hub entre l'Asie et l'Amérique dans plusieurs secteurs, notamment ceux de l'aviation civile et du numérique. D'ailleurs, la perspective de relier la Polynésie française au Chili et aux États-Unis par câbles sous-marins se précise. Dans le domaine de l'aviation civile, le projet de hub est porté par la Chine qui souhaiterait faire de la Polynésie un point de passage vers l'Amérique latine. De tels enjeux devraient pouvoir être intégrés dans la stratégie française.

Enfin, des impensés marquent encore la stratégie indopacifique française de l'ouest à l'est de la zone. Alors que celle-ci englobe le nord-ouest de l'océan Indien, elle s'appuie essentiellement sur des partenariats stratégiques avec l'Inde. La relation privilégiée - dont nous nous félicitons - qui se tisse avec ce pays doit faire l'objet d'une attention particulière. Elle ne doit toutefois pas conduire à sous-estimer l'importance du Pakistan dans l'équilibre régional, mais aussi dans l'accès aux nouvelles voies maritimes commerciales et stratégiques. Les efforts en faveur de la reconstruction d'un dialogue entre la France et le Pakistan ne doivent pas être relâchés, même si ce dialogue pose de nombreuses questions.

De même, la question de Taïwan ne doit pas être éludée. Le Sénat a adopté le 6 mai 2021 une proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, en faveur de l'association de Taïwan aux travaux de plusieurs organisations internationales oeuvrant à la sécurité et à la préservation de l'environnement telles l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Interpol, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) et la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. La stratégie de la France dans l'Indopacifique pourrait renforcer certaines coopérations, notamment dans le cadre de programmes de protection de l'environnement avec Taïwan.

Enfin, j'ai précédemment évoqué la question de l'Amérique latine qui demeure une zone blanche de la politique extérieure française.

Pour conclure, nos recommandations sont donc les suivantes : décliner la stratégie indopacifique de la France en quatre sous-zones pour mieux associer les pays concernés dans l'océan Indien occidental, l'Indopacifique central, le Pacifique Sud et le Pacifique oriental ; et réduire les impensés de la stratégie, à savoir mieux intégrer le Pacifique Sud, Taïwan et l'Amérique latine à la stratégie indopacifique.

Vous l'aurez compris, ces recommandations ne se limitent pas à un découpage géographique de la zone indopacifique. Elles sont la première étape d'une nouvelle conception de la stratégie française, à la fois transversale et régionale, mais aussi plus habile, plus adaptable et surtout mieux adaptée. Ces zones vont permettre de définir des priorités et des objectifs différents, en lien avec les acteurs locaux selon chaque secteur géographique et chaque thématique. Ce zonage amorce la proposition de la mise en place d'un pilotage politique plus différencié et plus opérationnel, qui nous paraît indispensable pour que la France conserve - ou acquiert, selon les opinions - une place essentielle dans cette vaste zone aux enjeux majeurs dans le monde de demain.

M. Jacques Le Nay, rapporteur. - Lors des déplacements organisés dans le cadre de la préparation de ce rapport, de grandes différences d'appréciation sur les priorités stratégiques et les modalités d'action ont pu être notées. Elles concernaient les champs d'action de la France à mettre en avant - faut-il parler de sécurité et défense, de développement économique ou de défense de l'environnement ? -, les modalités d'intégration économique régionale des territoires ultramarins - doivent-elles aller jusqu'à Singapour ou rester dans le Pacifique Sud ? -, ou encore l'agenda de progression des objectifs français, lié par exemple à la présidence française de l'Union européenne qui ne représentait pas un enjeu pour les partenaires indopacifiques.

S'il est normal que chaque opérateur et chaque diplomate ait un prisme propre au secteur ou au pays dans lequel il exerce son action, un réel manque de lisibilité de la mise en oeuvre de la stratégie de la France pour l'Indopacifique est apparu. L'activité des opérateurs n'est pas toujours connue des services des ambassades ; ils en sont normalement informés, mais ils ne peuvent pas toujours garantir la cohérence des actions menées par les différents opérateurs ou leur visibilité.

L'Agence française de développement (AFD) est un acteur historique de l'Indopacifique puisque c'est dans les territoires ultramarins français qu'a débuté son histoire, héritière de la Caisse centrale de la France libre (CCFL) devenue la Caisse centrale de la France d'outre-mer (CCFOM). Outre l'émission de monnaie, elle s'est vue attribuer dès 1946 la capacité d'accorder des prêts aux collectivités et établissements publics ultramarins. L'AFD continue d'accompagner les départements et régions d'outre-mer et collectivités d'outre-mer (DROM-COM) dans leur développement économique, social et environnemental, grâce à l'adoption de la stratégie « Trois Océans » en 2019, qui vise à renforcer le rayonnement des territoires ultramarins français dans leur bassin d'appartenance - bassins atlantique, pacifique et indien. Pourtant, il semble que l'ancrage historique de l'AFD devrait céder la place à une nouvelle organisation, favorisant l'ancrage des DROM-COM qui devraient bénéficier de modalités de financement plus proches de ceux mis en oeuvre pour les collectivités territoriales par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). La commission de surveillance de la CDC est dirigée par un parlementaire qui rend compte au Parlement, au moins une fois par an, des travaux réalisés en son sein, en lui communiquant un rapport sur ses débats et ses avis ; tel n'est pas le cas pour l'AFD.

Plus largement, le poids de l'AFD dans la stratégie indopacifique augmente avec sa participation au Forum ministériel pour la coopération dans l'Indopacifique et à l'initiative de rassemblement des banques de développement de l'Indopacifique en parallèle du forum - SUFIP, Substainable Finance in the Indo Pacific. L'AFD intervient dans sept des dix pays de l'ASEAN : au Cambodge, en Birmanie, en Indonésie, au Laos, aux Philippines, en Thaïlande et au Vietnam. Elle anime de fait le volet consacré au développement économique de la stratégie française pour l'Indopacifique.

Or, la question du pilotage politique de cet opérateur se pose. Le pilotage de la politique de développement solidaire est dispersé et l'AFD, dotée d'une « force de frappe » financière en constante augmentation, et d'une propension à intervenir dans un nombre de pays et sur des thématiques de plus en plus étendus, n'aligne pas toujours sa stratégie avec celle de ses tutelles. Dans son rapport sur les opérateurs de l'action extérieure de l'État, la Cour des comptes a ainsi estimé que « les outils de pilotage dont dispose le ministère de l'Europe et des affaires étrangères demeurent insuffisants pour lui permettre d'exercer une véritable tutelle stratégique, au niveau central, sur l'AFD ».

Pour résoudre ces difficultés, il apparaît nécessaire de nommer sur chacune des sous-zones de l'Indopacifique précédemment décrites, un secrétaire d'État qui serait chargé : d'être l'interlocuteur politique que réclament les territoires français de l'Indopacifique ; d'animer l'action des services et opérateurs dans le secteur géographique concerné ; de prendre les arbitrages politiques nécessaires ; d'impulser et de favoriser les coopérations entre zones de l'Indopacifique pour faire progresser les politiques indopacifiques soutenues par la France en matière d'intégration régionale de ses territoires, de protection du climat et de la biodiversité, de renforcement du multilatéralisme, et de promotion des valeurs d'État de droit et de protection des droits humains. Enfin, il appartiendrait à ces secrétaires d'État de mener une feuille de route publique, énumérant des objectifs quantifiés, dans un calendrier et avec des moyens donnés.

Ces nominations permettraient également de répondre au désir de France qu'expriment les pays riverains de l'Indopacifique, de multiplier les participations de haut niveau aux différentes fora de la zone, et d'incarner la priorité donnée par la France à l'Indopacifique. La secrétaire d'État chargée du développement, de la francophonie et des partenariats internationaux, Mme Chrysoula Zacharopoulou, s'est rendue en Papouasie-Nouvelle-Guinée du 22 au 23 novembre 2022, puis au Vanuatu afin de participer à la Conférence ministérielle de la Communauté du Pacifique (CPS) du 24 au 25 novembre 2022. C'était la première fois depuis 1993 que le Vanuatu, dont 40 % de la population est francophone, accueillait une visite ministérielle - soit 29 ans sans visite officielle de haut niveau !

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Les moyens militaires des forces de souveraineté sont apparus, au cours des auditions de préparation de ce rapport, doublement inadaptés : d'une part, aux caractéristiques de l'Indopacifique telles que les élongations qu'elle induit comme aux conditions météorologiques exigeantes qui la caractérisent, mais aussi au durcissement de l'environnement sécuritaire et à la course aux armements qui en découle ; et d'autre part, aux ambitions affichées de la stratégie de la France en Indopacifique.

Le nombre des personnels des armées dans les forces de souveraineté - FAZSOI, FANC et FAPF - a connu une attrition drastique depuis 2008, avec une réduction de 20 % de leurs effectifs et la systématisation du recours aux missions de courte durée (MCD). Les équipements, dimensionnés au plus juste, sont désormais orientés vers les interventions de basse intensité et traversés par des tensions toutes composantes confondues.

Les matériels des forces sont particulièrement vieux : le C-160 Transall a une soixantaine d'années, le Casa CN-235 et les P400 ont une quarantaine d'année, et souffrent en conséquence d'une faible disponibilité.

Les moyens de surveillance aérienne et de transport tactique des forces apparaissent donc très insuffisants et sont peu disponibles, particulièrement les hélicoptères : le remplacement du Puma par le Super Puma (H225) n'est prévu qu'à l'horizon 2026-2028, celui du Fennec par l'hélicoptère interarmées léger (HIL) Guépard en 2032, et celui du Casa par l'avion de transport et d'assaut du segment médian (ATASM) à l'horizon 2030-2035. Aucun retard supplémentaire ne doit être pris dans ces remplacements ; le remplacement des Casa en service au sein des forces de souveraineté n'est pas encore prévu.

Des solutions de location doivent être recherchées pour combler les trous capacitaires dus aux indisponibilités des équipements. Sans avion de transport à long rayon d'action, la capacité de projection des forces et l'appui logistique dans les zones de responsabilité permanentes est fragile. Or, le recours à l'A400M, sous préavis de 48 heures, pour compenser les déficits de capacités, peut être incompatible avec l'urgence. En outre, si toutes les forces de souveraineté devaient avoir besoin de ce renfort simultanément, la question du dimensionnement de la flotte d'A400M se poserait alors. Ce recours à des renforts envoyés depuis l'Hexagone - A400M, MRTT (Multi Role Tanker Transport) ou Rafale - nécessite des adaptations insuffisamment prises en compte en termes d'infrastructures, de sécurité, de systèmes d'information et de communication, et de personnels.

Enfin, les moyens nécessaires doivent être mis en oeuvre pour rénover les bases aériennes, la base aérienne 186 en Nouvelle-Calédonie et la base aérienne 181 à La Réunion doivent faire l'objet d'investissements au bon niveau.

Les moyens nautiques subissent d'importantes ruptures temporaires de capacité qui persisteront encore au moins jusqu'en 2025 et ne devraient cesser qu'avec la fin du remplacement des patrouilleurs P400. Trois patrouilleurs sont actuellement indisponibles - un à La Réunion, un en Nouvelle-Calédonie et un en Polynésie française.

La livraison des six patrouilleurs outre-mer (POM) doit s'échelonner entre début 2023 et fin 2025. La prochaine loi de programmation militaire (LPM) ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison ou réduire le nombre de POM prévu. L'accroissement des moyens paraît indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique ; les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions.

La mise en service de quatre bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer (BSAOM) à la place des cinq bâtiments de transport léger (BATRAL) s'est accompagnée d'une diminution par deux des capacités de transport et de la perte de la capacité amphibie. Or, sur la période 2008-2030, le tonnage de la marine chinoise devrait croitre de 138 %, celui de la marine de la Corée du Sud de 101 % et celui de la marine indienne de 40 %.

Le rapport d'information intitulé « Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale », fait par M. Philippe Folliot et Mmes Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-horth au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, et adopté le 24 février 2022, recommande notamment de rétablir des capacités amphibies pour les forces navales outre-mer en acquérant des hydroglisseurs - sur le modèle de ceux développés par la marine japonaise -, et d'accélérer le déploiement du programme European Patrol Corvette pour assurer le remplacement des frégates de surveillance. Ces recommandations méritent d'être soutenues.

La question du renouvellement des frégates de surveillance - classe Floréal -, dont le retrait du service est prévu pour 2035, devra être tranchée dans le cadre de la prochaine LPM en prenant en compte, dans le cadre de la stratégie indopacifique, le besoin de bâtiments plus crédibles dans un contexte de retour des conflits entre puissances et d'un environnement opérationnel plus exigeant. Le programme European Patrol Corvette, prévoyant un bâtiment doté d'une plateforme d'accès et de maintenance pour hélicoptère, de mini drones de surveillance et d'un système d'armes, a été lancé en 2019 dans le cadre de la coopération structurée permanente (CSP/PESCO) ; il a reçu le soutien de l'Agence européenne de défense, ce qui laisse espérer son accélération. Le contrat de construction des corvettes pourrait être notifié aux industriels concernés en 2025, et la pose de la quille du premier navire serait envisageable en 2026 - soit un an plus tôt qu'initialement prévu - pour une livraison à partir de 2030. Le développement de ce programme européen doit faire l'objet de l'attention de la commission car il est dimensionnant pour les forces de souveraineté de l'Indopacifique, tout comme le porte-avions de nouvelle génération. Notre capacité à nous déployer en Indopacifique assoit notre crédibilité ; la prochaine LPM devra prévoir l'avancement de ce programme majeur sans accuser aucun retard.

S'agissant enfin de la composante terrestre, l'Ambition 2030 et le durcissement de l'environnement stratégique indopacifique rendent nécessaires la montée en gamme et la modernisation des équipements - redistribution de matériels et régénération de véhicules anciens. La « scorpionisation » des forces est également un objectif et entraîne, en conséquence, l'aménagement ou la création des infrastructures d'entraînement et de stockage - engins, armes, matériels.

Il convient de se demander s'il est encore adéquat de distinguer aussi nettement les standards opérationnels entre la métropole et l'Indopacifique. Il en va de la crédibilité des forces, de leurs capacités en matière d'interopérabilité lors des déploiements depuis la métropole et lors des exercices de haut niveau organisés avec les pays indopacifiques partenaires. Il serait d'ailleurs souhaitable, pour toutes les armées, de renforcer la participation des moyens du haut de spectre aux divers exercices de coopération dans la zone indopacifique, et de conduire, outre les récents déploiements, des activités à forte visibilité stratégique telles que des exercices de tir de missiles, des exercices sur les fonds marins et les câbles sous-marins, associant les bases des forces de souveraineté.

La prochaine loi de programmation militaire ne doit en aucun cas ralentir le rythme de livraison ou réduire le nombre de POM prévu, d'HIL, d'avions ravitailleurs, de frégate de surveillance, de moyens de renseignement, etc. L'accroissement des moyens est indispensable pour crédibiliser la stratégie de la France pour l'Indopacifique. Les moyens doivent être mis à la hauteur des ambitions avec des échéanciers clairs permettant d'afficher les priorités ainsi données auprès des compétiteurs et des partenaires de la France dans l'Indopacifique.

M. Joël Guerriau, rapporteur. - Les DROM-COM, Mayotte, La Réunion, les Terres australes et antarctiques françaises, la Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et Clipperton, placent la France dans la situation rare d'exercer sa souveraineté sur des territoires insulaires distants de plusieurs milliers de kilomètres de ses littoraux continentaux. Seuls les États-Unis partagent cette situation, mais sans être considérés par les États océaniens comme appartenant à la « famille pacifique ».

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont, pour leur part, devenues membres de plein droit du Forum des îles du Pacifique (FIP). C'est une étape essentielle pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française qui peuvent désormais construire des partenariats directs avec les pays et les États insulaires de la région. La reconnaissance des territoires indopacifiques français recouvre une autre facette avec l'appartenance du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) au Groupe Fer de lance mélanésien, fondé en 1988 pour soutenir l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie et regroupant désormais la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les îles Salomon, le Vanuatu, les Fidji et l'Indonésie autour d'un accord de coopération économique, renforcé par une volonté de solidarité inter-mélanésienne.

L'Indopacifique suit avec attention l'évolution du statut de la Nouvelle-Calédonie, et dans le même temps, les DROM-COM suscitent des projets d'investissement de compétiteurs stratégiques. Ainsi, en 2014, un investissement chinois sur l'atoll de Hao pour développer la perliculture a été repoussé car il était susceptible de donner à la Chine une influence et un poids conséquents. Les autorités de Polynésie française revendiquaient leur autonomie de décision en la matière.

Lors des auditions et déplacements effectués dans le cadre de la préparation de ce rapport, il est apparu que les élus des DROM-COM n'ont pas été consultés par le pouvoir exécutif métropolitain en amont de l'adoption de la stratégie ou, plus récemment, des déploiements des forces militaires sur leurs territoires dans le cadre de la stratégie indopacifique française. La stratégie française pour l'Indopacifique n'a donc pas été co-élaborée avec les autorités des DROM-COM. Les représentants des DROM-COM manifestent pourtant leur volonté d'être entendus avec la création, par l'assemblée de la Polynésie française en juin 2022, d'une mission d'information portant sur l'impact des stratégies de la France dans l'espace indopacifique sur les collectivités françaises de l'Océanie. De plus, les compétences élargies en matières économique et environnementale, voire dans le domaine des relations extérieures pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, rendent de fait indispensable un changement d'approche.

Il faut bâtir la stratégie indopacifique sur nos atouts ultramarins et mettre en place une délégation commune pour participer ensemble à des fora ou agora de l'Indopacifique, y compris au Groupe Fer de lance mélanésien.

Je souhaite enfin attirer l'attention sur l'impérieuse nécessité de renforcer nos forces dans les DROM-COM. L'intensification de la compétition stratégique dans l'Indopacifique nous oblige à élever le niveau d'équipement, à augmenter le nombre d'hommes déployés, et à mettre à niveau les infrastructures, tant pour nos militaires que pour leurs équipements. Nos ambitions indopacifiques ne seront crédibles qu'au prix de cet effort.

M. André Gattolin, rapporteur. - À la lumière des précédentes interventions, nous voyons à quel point la France paraît petite, nonobstant ses territoires ultramarins, dans cet espace immense et composite. Notre pays est cependant membre de l'Union européenne qui s'est dotée, en septembre 2021, d'une stratégie indopacifique allant de la côte est de l'Afrique aux États insulaires du Pacifique - soit une délimitation proche de celle retenue par la France.

La région indopacifique et l'Europe représentent plus de 70 % du commerce mondial de biens et de services, et plus de 60 % des flux d'investissements directs étrangers. L'Union européenne est le premier investisseur et le principal partenaire de coopération au développement dans la région indopacifique, et l'un de ses plus grands partenaires commerciaux ; en effet, la valeur annuelle des échanges commerciaux entre la région indopacifique et l'Europe a atteint 1 500 milliards d'euros en 2019, c'est-à-dire avant la pandémie mondiale.

L'avenir de l'Union européenne et celui de la région indopacifique apparaissent liés l'un à l'autre ; la rupture des échanges conséquente à la pandémie de covid-19 l'a particulièrement souligné. L'Union prône pour un Indopacifique libre et ouvert à tous ; cette vocation inclusive correspond à la recherche d'une voie autonome et alternative, indépendante du concept américain d'Indopacifique. Néanmoins, l'UE se positionne néanmoins aux côtés des États-Unis sur bon nombre de principes et de dossiers ; elle souhaite aussi être associée au QUAD sur les questions liées au changement climatique, aux technologies ou aux vaccins.

Depuis deux ans, la position de l'Union européenne à l'égard de la Chine tend à se durcir, même si un consensus entre les États membres sur ce point peine encore à émerger. Le centre de gravité du fameux triptyque « partenaire, concurrent commercial et rival stratégique » a été débattu lors du Conseil européen d'octobre 2022, et tend à se déplacer de plus en plus de la notion de « partenaire » vers celle de « concurrent et rival ». De fait, la stratégie indopacifique européenne dite de troisième voie se heurte aux ambitions géostratégiques chinoises et son soutien apporté à la Russie dans le cadre de l'invasion de l'Ukraine. Le sommet UE-Chine du 1er avril 2022, ainsi que le sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'OTAN du 29 juin 2022, a mis en lumière une crispation croissante.

La stratégie européenne pose cependant de sérieuses questions de cohérence. La première question concerne la cohérence des États membres entre eux ; en effet, un consensus sur la posture à adopter à l'égard de la Chine peine à se dégager, de même que sur certaines orientations à prendre en Indopacifique, notamment dans les domaines de la défense de l'environnement. La seconde question tient à la cohérence des politiques portées par l'Union dans le champ commercial et dans celui de la promotion de l'État de droit et des valeurs démocratiques dans la région.

L'ambition d'aboutir à un accord de libre-échange entre l'ASEAN et l'UE ne risque-t-elle pas de se heurter à l'existence d'une multitude d'accords ponctuels avec certains pays membres de l'ASEAN ? Certains pays ont signé des accords de libre-échange, quand d'autres bénéficient de régimes préférentiels propres aux pays les moins avancés (PMA) - quelques pays ne sont toutefois liés par aucun accord spécifique. Comment tout cela sera-t-il harmonisé ? L'articulation des initiatives européennes - comme celle sur la connectivité avec le programme d'investissement Global Gateway et la stratégie indopacifique de l'Union - n'est pas toujours claire et évidente.

Enfin, les clauses de conditionnalité insérées dans certains accords bilatéraux signés par l'Union européenne avec les États tiers ne sont que rarement activées. Il a ainsi été particulièrement long et complexe d'aboutir, en août 2020, au retrait partiel du Cambodge de l'accord préférentiel « Tout sauf les armes », à la suite du non-respect flagrant d'engagements pris par ce pays en matières de droits humains et de droit du travail. La situation de la Birmanie, qui est dirigée par une junte militaire depuis le coup d'État du 1er février 2021, suscite également de nombreuses questions.

Cette hétérogénéité des mécanismes mis en oeuvre par l'Union dans l'Indopacifique, et en particulier dans la zone ASEAN, fragilise le dispositif communautaire. La boussole stratégique adoptée en mars 2022 devrait cependant poursuivre la logique d'appropriation de l'enjeu indopacifique par l'Union européenne. Pour autant, il est essentiel que la stratégie indopacifique européenne se traduise par des opérations concrètes, des budgets significatifs et des objectifs temporels. Une évaluation à intervalles réguliers de cette stratégie permettrait de s'assurer de sa cohérence effective, et faciliterait une meilleure prise en compte de la réalité géostratégique, très évolutive de la zone indopacifique.

La stratégie indopacifique européenne devra faire montre de sa capacité à tenir compte de l'affirmation croissante de puissance de la Chine qui pourrait, assez rapidement, rendre difficile l'existence d'une troisième voie autonome.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Vous l'avez rappelé, cette zone est gigantesque, or cet espace doit être protégé et surveillé pour défendre les intérêts français, « faire montre de capacité » pour reprendre vos mots. Avez-vous une estimation des moyens économiques et humains dont nous aurions besoin pour assurer cette surveillance ? Rachid Temal a par ailleurs rappelé que l'on ne pouvait pas tout faire. Par conséquent, quelles seraient les priorités absolues sur lesquelles il faudrait travailler pour inciter nos partenaires européens à nous suivre ?

M. Philippe Folliot. - Ce sujet est important. La stratégie indopacifique française repose actuellement sur des mots plus que sur des actes. Ce rapport met en lumière tous les manques. La France est aujourd'hui la seule puissance de l'Union européenne présente dans cette zone à travers ses départements, régions et collectivités d'outre-mer. 90 % de notre zone économique exclusive est située dans l'Indopacifique. Il y a pourtant un décalage avec le fait que 90 % des moyens de notre marine nationale sont situés dans l'hexagone, autour de Brest et Toulon. Dans le cadre de la future loi de programmation militaire, ne faudrait-il pas rééquilibrer cette situation, c'est-à-dire passer d'une logique des deux moitiés à une logique des quatre quarts, en d'autres termes, substituer à une logique Brest/Toulon une logique Brest/Toulon/Saint-Denis/ Nouméa ou Papeete ? Le déploiement de la frégate Vendémiaire dans le détroit de Taïwan équivaut à envoyer une R16 au milieu de 38 tonnes chinois et américains. Ne faut-il pas changer de logique et prépositionner des frégates de premier rang dans l'Indopacifique afin d'avoir l'équivalent d'un 12 tonnes au milieu de ces 38 tonnes ? En 40 ans, nous avons divisé par deux nos forces de souveraineté. Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé, au cours des 15 dernières années, les effectifs de nos forces de souveraineté ont diminué de 20 %. Ne faudrait-il pas faire du renforcement des moyens dans cette zone une priorité de la future loi de programmation militaire ?

M. Pascal Allizard. - Vous avez évoqué la situation de l'Amérique latine, je partage votre analyse. Il faut souligner une faiblesse de la France en l'Amérique latine, c'est historique, mais nos voisins tels que l'Allemagne et l'Italie sont plus présents que nous. Lors d'un déplacement à Madrid avec la commission des affaires européennes, il nous a été indiqué que l'Amérique latine serait l'une des deux priorités de la présidence espagnole de l'Union européenne à venir. Cela peut être une opportunité pour la France d'assurer une présence plus marquée en Amérique latine.

Par ailleurs, s'agissant du Pakistan, je suis heureux que vous ayez cité Gwadar où je me suis rendu deux fois. La relance des relations avec le Pakistan se met en place et il faut poursuivre ce mouvement. Le Pakistan est un pays important, qui sera prochainement le premier pays musulman au monde devant l'Indonésie, ce qui n'est pas neutre. Par ailleurs, le corridor économique Chine-Pakistan et le port de Gwadar en font un point d'échange majeur entre la Chine et l'océan Indien.

Enfin, quelle perception avez-vous de l'action de l'AFD dans ce grand secteur ? Pour ma part, je pense que l'AFD se comporte comme un électron libre qui échappe à toute consigne politique. Si le Président partage mon avis, peut-être faudrait-il s'emparer une nouvelle fois de ce sujet.

M. Christian Cambon, président. - C'est toujours mon avis.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Trop longtemps on a occulté, ignoré la Chine. Le fait de s'y intéresser est un phénomène assez récent. Pour la première fois, le Sommet de l'OTAN qui s'est tenu à Madrid au mois de juin dernier a cité explicitement la Chine ce qui ne s'était jamais fait, même si le Président Obama avait parlé d'un pivot vers l'Asie. Il convient également de se pencher sur les questions d'influence et de progresser dans ce domaine. À la demande du ministère de la défense, j'ai conduit une mission en 2010 au Japon pour sensibiliser les autorités japonaises sur ce que nous pouvions apporter au niveau militaire. Nous avons constaté que, pour les japonais, la France n'existait pas d'un point de vue militaire, leur seul allié étant les États-Unis. Nos interlocuteurs ont été surpris d'apprendre que deux millions de français étaient établis dans cette zone et que des opérations conjointes avaient été menées avec leur marine. Évidemment, les achats militaires japonais se tournaient systématiquement vers les matériels américains. Nous avons désormais un partenariat d'exception avec le Japon mais qui comprend assez peu d'éléments dans le domaine militaire. De son côté, le Royaume-Uni a signé un partenariat le 13 janvier dernier avec le Japon dans ce champ. Il faut exploiter pleinement ce rapport pour renforcer la place de la France dans cette région, même si nous sommes conscients des limites, notamment démographiques, de notre pays. S'agissant de l'influence, je regrette que, lorsque six sénateurs se déplacent dans cette partie du monde, aucune femme ne soit présente dans la délégation. Cela envoie un mauvais signal en termes de représentation du Parlement. L'influence de la France passe aussi par ces questions d'égalité et de droit de l'Homme. Chaque fois que je vais dans l'Indopacifique, les ambassades me demandent de parler de ce que fait la France dans ce domaine. La femme du président du Vanuatu est par exemple venue à une conférence que je donnais car c'est un sujet majeur.

M. Christian Cambon, président. - Ce sont les groupes politiques qui désignent leurs candidats aux missions.

M. Gérard Poadja. - Je tenais à remercier le président d'avoir pris l'initiative de ce rapport ainsi que les collègues qui sont allés à Nouméa. La Nouvelle-Calédonie constitue une proie pour la Chine. La France ne marque pas assez sa présence militaire dans l'océan pacifique. Comme l'ont souligné les rapporteurs, il y a un besoin de rénovation de l'ensemble du matériel militaire. Nous avons une base aéronavale à Tontouta qui a besoin d'être rénovée tant au niveau de ses infrastructures que du matériel. Je me demande combien d'heures cela prendrait pour recevoir une pièce de rechange en cas de panne sur un Puma ou un avion. En tant que néo-calédoniens, nous nous sentons parfois isolés.

M. Christian Cambon, président. - J'espère que la loi de programmation militaire contiendra des éléments concernant cette région du monde. Comme l'ont souligné les rapporteurs, il faut mettre des moyens derrière l'ambition et le discours.

M. Olivier Cadic. - La recommandation de mieux associer Taïwan et l'Amérique du Sud dans la stratégie indopacifique doit être soutenue. C'est une orientation stratégique très forte. Vous avez parlé de « pilotage différencié » nécessaire pour l'Indopacifique, pourriez-vous nous préciser ce que cela signifie ? Par ailleurs, vous avez évoqué l'idée de la Chine de faire de la Polynésie un hub. La France est très centralisée, il conviendrait de la penser différemment, comme un réseau Internet, avec des points de hub : la Réunion pourrait être un hub vers l'Afrique, Cayenne vers l'Amérique latine et la Polynésie vers l'Asie et l'Amérique latine. Je vous laisse réfléchir à ce que serait le monde si la Chine détenait tous nos départements, collectivités et territoires d'outre-mer. La France ne s'appuie pas suffisamment sur ces territoires, les fait tous dépendre du centre, alors qu'ils pourraient constituer notre force dans l'avenir.

M. Christian Cambon, président. - Nos interlocuteurs chiliens nous ont indiqué avoir le sentiment d'être laissés de côté de l'attraction française pour l'Indopacifique, dans un contexte de renforcement de la présence chinoise. Cela rejoint la problématique de la faible présence de la France et de l'Europe en Amérique latine alors que ce continent est en plein bouleversement. C'est la raison pour laquelle une mission de la commission sera prochainement lancée au Brésil.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - S'agissant du renforcement des capacités militaires, l'objectif du rapport est en effet d'insister sur la nécessité de consacrer des moyens supplémentaires compte tenu de leur faible quantité et de l'obsolescence de certains matériels. Notre capacité à mener un exercice de type Pégase est enviée par de nombreux pays, y compris par le Royaume-Uni. Il s'agit d'une performance mais qui nécessite d'être amplifiée. Il s'agit par ailleurs d'un exercice ponctuel. Or il y a un quotidien à gérer dans cette zone, qui nécessite qu'une intervention puisse être menée rapidement. Un A400M peut arriver sous 48 heures, mais il vient de métropole. Le contenu de la loi de programmation militaire dans ce domaine sera un enjeu dans la mesure où nous devons nous doter des moyens de nos ambitions et de nos obligations. À titre d'exemple, dans le domaine de la lutte contre la pêche illégale, la plupart des bateaux chinois savent pertinemment quand passent les avions de surveillance. Ces moyens supplémentaires doivent permettre de crédibiliser la stratégie de la France dans la zone.

M. Rachid Temal, rapporteur. - Le titre du rapport, La stratégie française pour l'Indopacifique, renvoie en réalité à un mythe. Les territoires concernés n'ont jamais été associés à cette stratégie. Il faut prendre conscience du fait que le monde a changé et que nous sommes désormais en périphérie. Or, si la Nouvelle-Calédonie veut passer un accord avec l'un de ses voisins, il faut que cela soit validé par Paris. Sur place, Paris apparaît lointain. Les regards sont davantage tournés vers l'Australie ou la Nouvelle-Zélande, par exemple. Il convient de renverser notre perception du monde et de définir des zones, par exemple des côtes africaines jusqu'à l'Inde, puis de l'Inde jusqu'aux côtes américaines.

S'agissant de l'action de l'AFD, je trouve scandaleux et honteux qu'un même outil soit utilisé pour l'aide au développement et pour le soutien à des territoires français. Il faut transférer les compétences actuellement dévolues à l'AFD à la Caisse des dépôts et consignations, sinon cela crée deux catégories de Français.

M. Cédric Perrin, rapporteur. - Le président du gouvernement et le président du congrès de la Nouvelle-Calédonie nous ont expliqué qu'ils n'attendaient pas grand-chose de la France mais plutôt de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, remettant même en cause le déploiement d'avions dans le cadre de l'opération Pégase. Le renforcement de nos moyens dans cette zone doit permettre de montrer que nous pouvons être présents rapidement.

M. Gérard Poadja. - Il faut que la France fasse un effort et marque sa présence en Nouvelle-Calédonie. Les propos du président du gouvernement et du président du congrès, qui sont indépendantistes, visent à provoquer. Il n'en demeure pas moins que la France doit faire le nécessaire.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

La réunion est close à 12 h 15.