Mercredi 8 mars 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35 

Rapport « La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques » - Audition de M. Pierre Moscovici, président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO)

M. Claude Raynal, président. - Nous avons aujourd'hui le plaisir de recevoir M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, en sa qualité de président du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), institution associée à la Cour des comptes. Je salue également les personnes qui l'accompagnent, notamment Patrick Lefas, vice-président du CPO, que nous connaissons bien au sein de cette assemblée.

Le CPO a rendu public, le 9 février dernier, un rapport intitulé La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) : un impôt à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques. Ce n'est pas la première fois que le CPO s'intéresse à la TVA, puisqu'il lui a déjà consacré un rapport en décembre 2015 qui aboutissait à des conclusions similaires. La TVA est un impôt de rendement qui doit fournir des ressources à la puissance publique. Par conséquent, il n'y faut toucher, pour paraphraser Montesquieu, que d'une main tremblante, au risque de perdre de précieuses recettes pour des résultats incertains.

Pour autant, dans un contexte inflationniste pesant sur le pouvoir d'achat des ménages et de demande de soutien à la transition énergétique, les voix se multiplient pour abaisser encore les taux de TVA sur certains produits - sur les billets de train par exemple. De plus, on constate depuis quelques années une distribution beaucoup plus large du produit de la TVA à d'autres acteurs publics que l'État. Que faire face à ces évolutions ?

Sans divulguer davantage le fond du rapport, je vous cède la parole, Monsieur le Président, pour que vous puissiez le présenter à la commission, avant d'engager le débat.

M. Pierre Moscovici, président du Conseil des prélèvements obligatoires. - Je vous remercie de m'avoir invité pour vous présenter le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires qui a été adopté le 17 janvier dernier sur la TVA.

La mission du CPO, organisme associé à la Cour des comptes, est de nourrir le débat public, d'éclairer la décision et de contribuer à votre contrôle sur les dépenses et les recettes publiques. En tant que président du CPO, comme en tant que Premier président de la Cour des comptes ou président du Haut Conseil des finances publiques, j'ai ce rôle très à coeur, comme celui de veiller à l'excellente qualité de la relation que nos institutions entretiennent avec la représentation nationale. Le rapport que je vous présente aujourd'hui traite d'un sujet qu'il avait en effet traité en 2015, mais qui n'avait pas été réexaminé depuis. Je suis accompagné de Patrick Lefas, vice-président du CPO, et du rapporteur général, Louis de Crevoisier.

Ce rapport approfondi, fruit d'un travail conséquent, est concis : celui de 2015 était près de cinq fois plus volumineux. Il répond à l'ambition, que j'ai fixée au CPO comme à la Cour des comptes, d'être encore davantage au service des citoyens, grâce à des travaux plus accessibles, mais aussi plus en prise avec le monde de la recherche académique. De plus, il est enrichi par des comparaisons internationales qui montrent que la France se distingue par une taxation de la consommation inférieure à celle des pays européens comparables. Ce rapport est enfin assorti d'une dizaine de recommandations directement opérationnelles.

La TVA représente la troisième catégorie de prélèvements obligatoires dans les comptes nationaux ; son rendement est de 186 milliards d'euros en 2021, derrière les cotisations sociales qui représentent 34 % des prélèvements et les recettes d'imposition des revenus. Je fais référence aux revenus, car le terme renvoie à la fois à l'imposition sur le revenu et à la contribution sociale généralisée (CSG), soit 26 % des prélèvements. En réalité, si on raisonne en termes d'impôts, la TVA représente la première imposition en France devant la CSG, qui rapporte 129 milliards d'euros, l'impôt sur le revenu, soit 80 milliards et devant l'impôt sur les sociétés, soit 46 milliards d'euros. Je précise que tous ces chiffres concernent l'année 2021.

Aujourd'hui, cinq taux de TVA sont applicables en France métropolitaine en complément de taux spécifiques appliqués en Corse et dans trois territoires ultramarins. Il est donc évident que l'environnement est devenu plus complexe qu'en 2015, en raison de l'assouplissement de l'encadrement européen que j'ai souhaité lorsque j'étais commissaire européen, afin d'offrir plus de marge de manoeuvre aux États membres sur leur taux de TVA. Cette marge de manoeuvre était nécessaire en raison de nouveaux types de fraudes qui sont apparus, ainsi qu'en raison de nouveaux débats ayant émergé. Ces débats concernent aussi bien le pilotage conjoncturel de l'économie que la réponse au choc énergétique, aux défis environnementaux et de santé publique.

Dans ce contexte, on pourrait dire que le propos du présent rapport tient tout entier dans son titre. Il s'articule autour de deux messages clés. Le premier message porte sur la nécessité de maintenir le rendement de la TVA pour les finances publiques. En effet, la TVA est une source essentielle de ressources fiscales pour l'État. Or son rendement est entamé par des taux réduits nombreux qui pèsent fortement sur l'assiette de l'impôt, qui mitent cette assiette et qui diminuent son produit. Le deuxième message clé est le suivant : moduler les taux de TVA ne représente pas l'outil le plus adapté pour faire face au choc énergétique, économique, et au défi environnemental. Autrement dit, nous ne préconisons pas l'usage de la TVA comme instrument de politique conjoncturelle.

Il faut maintenir le rendement de la TVA pour financer les services publics. Il faut rappeler que trois problématiques principales menacent aujourd'hui le rendement de la TVA pour l'État. La première est l'affectation de la TVA à d'autres administrations publiques. En 2021, l'État ne perçoit plus qu'environ la moitié des recettes de TVA, contre 93 % en 2015, en raison d'affectations croissantes aux organismes de protection sociale et aux collectivités territoriales. Ainsi, en 2023, la TVA constituera la première ressource des collectivités territoriales, avec un total de 53,2 milliards d'euros en loi de finances initiale. Ces affectations répondent à des choix structurants d'organisation des relations financières entre l'État et les autres administrations publiques. Ces affectations posent néanmoins une question essentielle, qui est celle de la soutenabilité des finances publiques, puisqu'elles ont pour effet de contracter les ressources fiscales de l'État, alors que le niveau de dépenses publiques à financer, lui, reste inchangé.

Par ailleurs, des affectations de TVA ont parfois lieu en dehors du champ des collectivités ou des organismes de sécurité sociale, comme l'audiovisuel public qui bénéficie de 3,8 milliards d'euros de recettes de TVA en 2023 en compensation de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public, la redevance. Le CPO recommande de la manière la plus claire d'éviter désormais les affectations de TVA en dehors des deux champs des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale. Ces dernières affectations seront au demeurant interdites en dehors de ces champs à compter de 2025, en application de l'article 2 modifié de la loi organique relative aux lois de finances qui impose un lien entre les recettes fiscales affectées et les missions de service public conférées à l'organisme public affectataire.

La deuxième problématique majeure pour la TVA porte sur le développement de la fraude. En effet, les récentes estimations de la fraude à la TVA sont plus importantes que les précédentes. L'Insee chiffre les irrégularités, qu'elles soient intentionnelles ou non, entre 20 et 26 milliards d'euros sur la base de données de 2012, mais la méthode suivie reste fragile, notamment parce qu'elle ne prend pas en compte les comportements frauduleux non détectés par les contrôleurs. Si certains de ces schémas de fraude à la TVA, tels que la fraude « carrousel » et l'économie souterraine, sont désormais bien identifiés, de nouveaux mécanismes frauduleux apparaissent en lien avec la numérisation de l'économie. Plusieurs types de fraudes continuent d'affecter les importations d'États tiers : la sous-valorisation du produit par le vendeur qui permet par exemple de passer en dessous du seuil de 150 euros, la dissimulation de la qualité du vendeur ou encore l'usurpation du numéro import one stop shop (IOSS) qui est le guichet unique de TVA au sein de l'Union européenne. Ces fraudes concernent l'évitement, tout autant des droits de douane qui n'est pas notre sujet d'aujourd'hui, que de la TVA.

À ce titre le paquet « TVA e-commerce » entré en vigueur en 2021, révise profondément le cadre juridique des importations dans l'Union européenne en provenance d'États tiers. Il s'agit d'une avancée notable, mais le CPO suggère d'aller plus loin en accentuant le contrôle des plateformes de vente de biens d'États tiers à l'Union européenne, en rendant les plateformes de mise en relation par voie électronique redevables de la TVA et en harmonisant la facturation électronique au sein de l'Union européenne. Le récent paquet « TVA à l'ère numérique », présenté par la Commission européenne le 8 décembre 2022, va dans ce sens : passage à la déclaration numérique en temps réel fondée sur la facturation électronique, remise à plat des règles de TVA relatives au transport de personnes et aux plateformes d'hébergement de courte durée et introduction d'un enregistrement unique à la TVA dans l'ensemble de l'Union européenne. Ces orientations pourront utilement alimenter les réflexions en cours quant au plan de lutte contre les fraudes qui a été annoncé par le Gouvernement pour le mois de mars 2023.

Enfin, la dernière limite au rendement de la TVA, au-delà des affectations et de la fraude, tient aux taux réduits de TVA. Ces dérogations représentent un manque à gagner d'au moins 47 milliards d'euros en 2021, soit près d'un quart des recettes de TVA. Le coût de ces mesures est très concentré, puisque les dix premières niches représentent plus de 82 % du total des mesures dérogatoires de TVA. La France comptant plus de mesures dérogatoires de TVA que tout le reste de l'Union européenne, il résulte de ces taux dérogatoires que 65 % de l'assiette totale est soumise au taux normal de TVA pour une moyenne européenne de 71 %, ce qui situe la France au dix-neuvième rang de l'Union européenne. Or les taux réduits de TVA ont une efficacité qui apparaît très limitée pour atteindre des objectifs économiques et constituent une source de complexité pour les entreprises et, de ce fait, une origine de fraudes potentielles.

Le rapport que je vous présente suggère donc de renforcer le suivi d'évaluation des taux réduits de TVA existants par le CPO ou par une autre instance, et sur la base de ces évaluations, de supprimer les taux réduits inefficaces ou à défaut, de les relever à un taux supérieur dans le barème.

Le second message du rapport est que la baisse de la TVA, qui est toujours tentante politiquement, est inefficace. Celle-ci ne constitue le meilleur moyen ni pour relancer l'économie ni pour lutter contre l'inflation ni pour conduire des politiques sectorielles environnementales ou sanitaires. Disons-le, il s'agit d'un mauvais outil de politique économique, notamment de politique conjoncturelle.

Dans le contexte de la crise sanitaire, plusieurs États membres comme l'Allemagne ont procédé à des baisses de TVA sectorielles à des fins de relance contracyclique. Les études empiriques sur ces expériences montrent des effets très limités pour un coût très élevé : la baisse temporaire de TVA de 2020 en Allemagne sur une durée de six mois a coûté 7 milliards d'euros, soit 1,9 % du budget fédéral annuel pour un effet sur la croissance qui a été marginal. En France, une baisse de 2 points de TVA aurait également un effet relativement marginal sur la croissance, soit une augmentation de 0,16 point du PIB au bout d'un an. En revanche les outils alternatifs que sont la dépense publique et l'investissement permettraient, pour un coût équivalent, une hausse du PIB respectivement de 0,39 % et 0, 66 % au bout d'un an.

Entendons-nous bien, je ne suis pas en train de suggérer des hausses de dépenses publiques, mais en train de chiffrer les effets relatifs de deux instruments conjoncturels ; une logique keynésienne prévaut : la dépense est plus efficace que la baisse de recettes.

À la différence de la plupart de nos voisins européens, la France a choisi d'autres instruments qu'une baisse de la TVA en réponse à la hausse des prix de l'énergie, pour un coût certes supérieur, mais avec une efficacité bien meilleure. Ainsi, les simulations conduites par le CPO montrent que le bouclier tarifaire, quoi qu'on en pense, est plus efficace qu'une baisse de TVA à 10 % sur le gaz et l'électricité pour réduire l'inflation et soutenir le revenu de 12 millions de ménages vulnérables, même si ce dispositif est plus coûteux : 22 milliards d'euros en 2022 avec un coût prévisionnel de 17 milliards d'euros en 2023. En outre, le chèque énergie protège davantage les ménages modestes et réduit le taux de précarité énergétique. Ce dispositif est donc meilleur qu'une mesure de TVA, qui par définition serait moins ciblée, et engendre un coût moindre pour les finances publiques, soit 0,7 milliard d'euros pour le chèque énergie contre 2,7 milliards d'euros pour la baisse de la TVA. La baisse de la TVA, c'est notre conclusion, n'est donc pas un outil redistributif pertinent, car son bénéfice dépend de la valeur consommée et non, comme le chèque énergie, du niveau de vie. Dans une situation comme celle que nous vivons, il vaut toujours mieux privilégier des solutions qui soient temporaires et ciblées que des solutions générales non ciblées, durables, et de surcroît, inefficaces.

Par ailleurs, une baisse durable de la TVA sur les énergies fossiles s'inscrirait en contradiction avec les objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, puisque celle-ci les encouragerait. En effet, la priorité à long terme doit être de modifier les comportements par des incitations structurelles à la décarbonation. Une réflexion générale sur la fiscalité des énergies et sur les dispositifs permettant d'accompagner les entreprises et soutenir le pouvoir d'achat des ménages modestes apparaît donc nécessaire. Mais là encore, la TVA n'est pas la piste pertinente.

Enfin, d'autres instruments que la TVA apparaissent plus efficaces que celle-ci pour réduire les inégalités et pour relever les défis environnementaux et de santé publique. La modulation des taux de TVA pourrait apparaître à certains comme un outil susceptible de lutter contre les inégalités, dans la mesure où la TVA est d'une part un impôt régressif, qui profite aussi aux ménages aisés. Les ménages modestes consomment une part proportionnellement plus forte de leur revenu. Or son caractère régressif est fortement atténué quand on raisonne sur l'ensemble du cycle de vie et que l'on prend en compte les transferts monétaires et en nature que les recettes de TVA financent. Une baisse de la TVA, sur les produits alimentaires par exemple, qui est par essence indifférenciée selon le niveau de vie du consommateur, constitue une mesure moins efficace pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages modestes que les transferts monétaires. Il existe en effet une incertitude quant au taux de répercussion sur les prix et une impossibilité de cibler certaines catégories de ménages à travers une baisse de TVA.

D'autre part, dans la perspective des défis environnementaux et de santé publique, la proposition d'une TVA environnementale ou d'une TVA modulée selon un étiquetage alimentaire de type Nutri-score se heurte à de nombreux obstacles qui limitent les possibilités de ciblage, ainsi que son impact sur les différentes étapes de la chaîne de valeur. Tous ces éléments suggèrent clairement de privilégier d'autres instruments, tels que les transferts ciblés, les accises, le système européen d'échange de quotas d'émissions, les investissements, la réglementation en matière énergétique ou encore la fiscalité nutritionnelle existante en matière de santé publique, dans la perspective de poursuivre ces objectifs à long terme.

Le présent rapport aboutit à une conclusion similaire pour le soutien aux secteurs économiques dits sobres, que sont le transport ferroviaire et l'économie circulaire. En revanche, le rapport recommande de systématiser l'intégration de la dimension environnementale dans les évaluations des taux réduits de TVA. Le CPO s'attachera ainsi à appliquer cette recommandation dans son prochain rapport qui sera consacré à la fiscalité du logement et que j'aurai le plaisir de vous présenter si vous m'y invitez ultérieurement.

En conclusion, notre rapport est direct et concret, à l'image de nos messages qui sont en réalité extrêmement simples, puisqu'ils portent sur des recommandations opérationnelles tournées entièrement vers les défis de l'action publique.

M. Claude Raynal, président. - J'allais débuter mon intervention par ce dernier point : ce rapport est direct. Nous aurions d'ailleurs presque pu l'appeler : « Baisse de la TVA, halte au feu ! ». À cet égard, nous remplissons consciencieusement notre mission à la commission des finances : nous déconseillons lors de chaque projet de loi de finances (PLF) de procéder à une baisse de la TVA, en nous appuyant même cette année sur une note argumentée relative aux limites fixées par le droit communautaire.

Dans ce cadre, la révision de la directive européenne peut présenter certains avantages, mais aussi certains dangers, en donnant davantage de liberté aux États-membres, puisqu'il est toujours plus facile d'aller vers une diminution de la TVA que vers une augmentation.

Enfin, vous avez évoqué une possible augmentation de la TVA, je ne suis pas sûr que dans un contexte de forte inflation, ce message serait audible dans l'immédiat.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je vous remercie pour ce rapport qui est effectivement simple, direct et concis. Vous recommandez de supprimer les taux réduits dont l'efficacité n'est pas démontrée, je pense notamment à la disparition du taux sur les abonnements pour le gaz naturel, encouragée par la directive du 5 avril 2022. En période inflationniste, considérez-vous que cette mesure, même si elle se justifie pour la transition énergétique, soit une mesure facilement compréhensible et aisée à mettre en oeuvre ?

Je souhaite revenir aussi sur le sujet de la fraude à la TVA. Récemment, nous avons de nouveau, dans le cadre d'une mission d'information de la commission dont j'étais le rapporteur, arrêté plusieurs recommandations visant à mieux lutter contre la fraude fiscale, et notamment à la TVA. Certaines d'entre elles ont d'ailleurs été adoptées par le Sénat dans le cadre de la dernière loi de finances, en particulier l'extension des compétences des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries concernant la taxe sur la valeur ajoutée. Quelles sont, selon vous, les mesures les plus susceptibles de faciliter la lutte contre la fraude à la TVA dans le domaine du numérique ?

Enfin, s'agissant des affectations, vous avez évoqué la diminution rapide, et à mes yeux un peu dangereuse, des recettes de la TVA en direction de l'État au bénéfice des administrations sociales et locales. Avez-vous une doctrine à nous faire partager en matière d'affectation de la TVA aux organismes de sécurité sociale et aux collectivités territoriales ?

En l'absence de loi de programmation des finances publiques (LPFP), quel véhicule normatif pourrait le mieux articuler cette doctrine ? Je ne vous cache pas que ce travail serait aujourd'hui difficile car je ne sais pas quand le Gouvernement nous présentera de nouveau son texte ni quel en sera le contenu.

M. Pierre Moscovici. - Il existe une différence notable entre le rapport de 2015 et celui-ci : le paysage des finances locales a changé. Le rapport aboutit également à des conclusions plus nettes, car l'impératif de rendement est incontestablement plus aigu aujourd'hui.

S'agissant de la deuxième remarque sur l'Union européenne, il est vrai que celle-ci a souhaité rendre la main aux États. Lorsque j'étais commissaire européen chargé de cette question, j'ai toujours eu la conviction que renvoyer vers Bruxelles la décision quant au taux réduit représentait un détour improductif et qu'il fallait aller vers une plus grande subsidiarité. Cela crée effectivement des tentations et complique le jeu politique, mais celui-ci se joue désormais à la bonne échelle : l'échelle nationale plutôt que l'échelle européenne.

Nous ne proposons pas de supprimer massivement les taux réduits. Nous disons simplement que si des évolutions devaient avoir lieu, elles devraient plutôt aller dans le sens de la suppression des taux réduits inefficaces plutôt que dans celui de l'augmentation de ces taux. Pourquoi ? Ces taux réduits sont très peu efficaces économiquement tout en étant très coûteux pour les finances publiques, soit 47 milliards d'euros, ce qui équivaut à 24 % du rendement de la TVA en 2021. Le coût des dépenses fiscales de TVA a doublé entre 2001 et 2022, en passant de 9,3 à 17 milliards d'euros, le poids de ces mesures paraissant beaucoup plus élevé que dans le reste de l'Union européenne.

Enfin, la littérature récente a plutôt tendance à favoriser un taux unique de TVA, l'existence de taux réduits pouvant être théoriquement justifiés dans certains cas très rares, comme la poursuite d'un objectif d'équité, la taxation des biens dont la production est source d'externalité négative ou encore le soutien ponctuel à un secteur en difficulté. Néanmoins, il s'agit là d'outils inefficaces de politique économique qui génèrent beaucoup de complexité pour les entreprises et l'administration. Par conséquent, l'adoption de nouveaux taux réduits doit être absolument évitée au profit d'outils de suivi et d'évaluation des modalités dérogatoires existantes. Nous préconisons à cet égard de confier au CPO ou à une instance ad hoc l'examen des taux réduits en identifiant leur objectif, en évaluant leur atteinte et en proposant des mesures plus efficaces. Nous préconisons également de supprimer les taux réduits de TVA dont l'évaluation confirmerait leur inefficacité, et à défaut de leur suppression, de les relever dans le barème. Je ne méconnais pas la difficulté politique de l'exercice, même si je ne crois pas que cette mesure aurait un effet inflationniste.

S'agissant de la fraude dans le contexte de numérisation de l'économie, les travaux récents de l'Insee réévaluent substantiellement les estimations de fraude à la TVA, en dépit de la modernisation du contrôle fiscal et des évolutions du régime de territorialité de la TVA : l'estimation de 10 milliards d'euros en 2015 est passée à une fourchette comprise entre 20 et 26 milliards d'euros. Parallèlement, les moyens du contrôle fiscal ont été renforcés, l'organisation de l'autorité judiciaire des services d'enquêtes en France et en Europe a connu de profonds changements depuis 2015. Néanmoins, face au développement du commerce en ligne, le cadre juridique des importations a été radicalement transformé par la directive e-commerce du 5 décembre 2017 en ce qui concerne certaines obligations en matière de TVA applicables aux prestations de services et aux ventes à distance de biens. Par conséquent, la TVA doit, à l'ère numérique, s'appuyer sur de nouveaux instruments de lutte contre la fraude et de simplification pour les entreprises.

Nous faisons à cet égard deux recommandations. Il s'agit premièrement de définir une méthodologie destinée à évaluer le montant de la fraude à la TVA et de communiquer annuellement les résultats au Parlement. Deuxièmement, il faut renforcer la lutte contre la fraude à la TVA dans le contexte de l'économie des plateformes, à travers l'évaluation de l'efficacité des obligations de reporting des plateformes de mise en relation par voie électronique, et à travers l'adaptation de la programmation du contrôle fiscal pour tenir compte des obligations de reporting des prestataires de service de paiement. En outre, une réforme à l'échelle européenne du régime de redevabilité des plateformes des services de transport et d'hébergement s'avère nécessaire.

S'agissant de l'affectation de la TVA à d'autres personnes publiques que l'État, je vais répéter mon message qui est très clair : la TVA est un impôt au rendement dynamique, aisément recouvrable et neutre sur le plan économique. Elle est la composante principale des impôts indirects et présente de très nombreux avantages pour les finances publiques, car elle est très prévisible. Elle présente également beaucoup d'avantages pour l'économie : elle est une imposition en théorie neutre pour les entreprises et ne pénalise pas l'économie nationale. Si nous allions vers une affectation croissante de la TVA à d'autres personnes publiques, l'on constaterait ce qui se passe déjà, c'est-à-dire que l'affectation à l'État s'est effondrée en huit ans, avec 51 % du produit en 2021, contre 93 % en 2015. L'affectation aux organismes sociaux a été quadruplée en 2019, passant de 6 % des recettes de TVA à 24 % en 2019. L'affectation des recettes de TVA joue un rôle majeur dans la réforme de la fiscalité locale en cours, puisque désormais 20 % des recettes de TVA bénéficient aux collectivités et la TVA constituera le premier type de ressources des collectivités dès 2023.

Les risques associés à l'affectation de la TVA à d'autres personnes publiques que l'État existent : il s'agit d'abord d'un risque majeur de soutenabilité pour les finances publiques, puisque les marges de manoeuvre de l'État sont limitées alors que les besoins sont croissants. De plus, l'affectation d'impositions a de nombreux effets indésirables, documentés par le CPO : cette pratique rend le contrôle parlementaire plus difficile et complexifie le pilotage des finances publiques. Nous recommandons donc d'éviter les affectations TVA en dehors du champ des organismes de protection sociale et des collectivités, en remarquant que cette démarche sera de toute façon interdite en 2025 ; il faudra alors étudier les autres ressources.

Enfin, je le redis : je n'ai pas d'alternative que de m'appuyer sur une loi de programmation des finances publiques (LPFP). Le rapport public de la Cour des comptes qui sera publié demain et qui sera présenté au Gouvernement contient un chapitre sur les finances publiques. De même, le Haut Conseil des finances publiques est régulièrement saisi sur les trajectoires des finances publiques : on ne peut pas travailler sérieusement sans s'appuyer sur des valeurs de référence, sur un objectif de moyen terme, bref sans disposer d'une LPFP ! C'est indispensable. Je renouvelle donc mon appel quant à la présentation d'une LPFP au plus tôt, qui plus est, réaliste et reposant sur des hypothèses crédibles. Nous en avons tous besoin : le travail n'est sans cela pas sérieux et pose même problème sur le plan juridique, mais je m'arrêterais là pour ne pas sortir de mon champ d'expertise.

M. Vincent Delahaye. - Je vous remercie pour ce rapport dont je partage les conclusions.

S'agissant de la fraude, la gestion de la crise sanitaire a fait baisser les recettes liées aux contrôles fiscaux sur la TVA, est-ce une conséquence du télétravail ?

Ma deuxième question constitue plutôt une proposition. Je pense qu'il faut augmenter la TVA de façon générale, afin de diminuer la CSG, mesures qui iraient dans le sens de vos conclusions qui montrent qu'une baisse de la CSG serait plus efficace que celle de la TVA. Je suis favorable à ce que l'on a appelé la TVA sociale : cette mesure serait très utile et nécessaire, malgré le contexte inflationniste que certains pourront pointer.

Je souhaiterais connaître le nombre de secteurs bénéficiant du taux réduit. Une évaluation de leur efficacité serait intéressante. Notre commission des finances pourrait-elle demander à la Cour des comptes de réaliser cette analyse dans le cadre de son programme de contrôle annuel ?

Par ailleurs, si cela peut sembler contradictoire, je suis pour un taux de TVA réduit à zéro sur l'eau et l'électricité, dans la mesure où il s'agit de deux secteurs qu'il est possible de contrôler, contrairement au secteur de la restauration. J'aimerais connaître votre avis sur ce point.

M. Didier Rambaud. - Depuis que je siège à la commission des finances, ce rapport est peut-être le plus important que j'aie pu lire, car il rappelle que la TVA est un impôt de rendement. Il s'agit d'un document que tous les parlementaires devraient avoir la veille de l'examen de chaque PLF, au vu des demandes corporatistes qui nous assaillent pour obtenir des taux réduits. Pour exemple, le Groupement des autorités responsables de transport (GART) qui était auditionné par notre mission d'information sur le financement des autorités organisatrices de la mobilité la semaine précédente n'a émis qu'une seule demande : la baisse du taux de la TVA. Le rapport montre que le taux normal représente 71 % de l'assiette en Europe, contre 65 % de l'assiette en France.

Enfin, étant donné que nous sommes plusieurs dans cette commission à participer à un groupe de travail présidé par Gabriel Attal qui doit présenter dans les prochaines semaines un plan de lutte contre la fraude, je souhaiterais que vous nous présentiez des moyens simples de renforcement de l'efficacité des contrôles et d'amélioration du recouvrement de cet impôt en Europe et en France.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je regrette qu'on ne creuse pas la question de savoir ce qu'est la valeur ajoutée en ce début de XXIe siècle au vu des défis protéiformes qui s'imposent à nous. Je souhaiterais avoir des précisions quant à l'articulation de vos recommandations n°2 et 3 par rapport à la fraude à la TVA.

Par ailleurs, s'il ne faut pas multiplier les taux réduits, ne pourrait-il pas y avoir une ligne de partage entre ce qui serait une nouvelle valeur ajoutée, à l'aune de la transition écologique, et une TVA à taux normal, voire surélevé, pour tous les produits ne participant pas à la décarbonation ? Cela profiterait à l'économie circulaire. Cette ligne de partage représenterait à mon avis un chemin vers une fiscalité plus personnalisée, plus équitable et en cohérence avec la nature des produits consommés. Je pense que la mesure de l'efficacité ne peut pas être de nature uniquement financière.

M. Michel Canévet. - Cette analyse me conforte dans l'idée que la TVA est un impôt efficace pour sa contribution à nos finances publiques et qu'il ne faut pas procéder à une baisse dans ce contexte inflationniste, en particulier dans le secteur de l'énergie. Nous devons être attentifs à cet impôt particulièrement important pour les collectivités territoriales.

Voyez-vous des moyens d'améliorer le rendement de la TVA dans le secteur financier ? Certaines modalités d'application devraient-elles être revues rapidement ?

Existe-t-il des marges de manoeuvre quant à une hausse éventuelle de la TVA par rapport aux taux pratiqués dans d'autres pays européens ?

Mme Christine Lavarde. - Ce rapport pourra nous faire gagner beaucoup de temps lors des débats du prochain PLF, sauf si l'on décide d'appliquer vos recommandations en supprimant un certain nombre de taux réduits...

S'agissant de la fraude, je souhaite revenir sur les taux différenciés dans le cadre de la restauration, entre la vente sur place et à emporter. Nous avons tous remarqué que les restaurateurs de vente à emporter ne pratiquent pas tous une baisse de 10 % sur le prix des commandes à emporter. Une des raisons réside peut-être dans la complexité de l'application de ces taux réduits. Ainsi, les produits de pâtisserie peuvent bénéficier de taux réduits selon leur composition et leurs ingrédients, mais les modalités sont complexes et difficilement applicables pour les commerçants. Il en est de même pour les crèmes glacées, soumises à un taux réduit lorsqu'elles sont vendues en bac mais au taux intermédiaire lorsqu'elles sont vendues à l'unité : mais quid des glaces en cornet ? Une partie de la fraude pourrait donc être résolue par une simplification de la réglementation.

Je souhaiterais avoir des précisions quant à la différence de sémantique entre la recommandation n°10 qui concerne l'environnement et la recommandation n°11 qui concerne la nutrition. La recommandation n°11 préconise de ne pas utiliser la modulation des taux de TVA comme instrument de santé publique en matière nutritionnelle. Or je ne serais personnellement pas choquée par l'idée que les consommateurs de produits nuisibles à la santé payent plus cher que les autres, dans une logique de pollueur-payeur. Ainsi pourquoi ne préconisez-vous pas de renforcer les accises dans le cadre de la recommandation n°11, comme vous l'avez fait avec la recommandation n°10, alors même qu'il existe déjà des taxes sur certaines boissons nocives ?

M. Jean-Marie Mizzon. - J'ai été président d'une mission d'information sur la lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique : le public concerné n'est pas au nombre de celui qui fraude à la TVA. Je fais référence à cette mission, car vous soulignez, dans votre rapport, que la Commission européenne a suggéré aux États membres d'intensifier les efforts en matière d'analyse des risques d'automatisation des processus et d'échanges d'information. Celle-ci invite à recruter davantage d'informaticiens et à investir dans la science des données. Cette suggestion a-t-elle été suivie d'effet ? Je rappelle que le recrutement d'informaticiens n'est pas aisé, car il en manque beaucoup.

M. Jean-Baptiste Blanc. - Pensez-vous que la TVA puisse accompagner les collectivités locales qui doivent s'investir dans la transition écologique, notamment à travers l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) qui nécessitera un portage financier inventif ? S'il existe le fonds vert, les 2 milliards d'euros qu'il représente ne seront probablement pas suffisants pour financer le ZAN, qui constitue le début de la transition écologique portée par les territoires. Le CPO a rendu un rapport très intéressant à notre commission sur le financement du ZAN.

M. Georges Patient. - Il existe une volonté forte du Gouvernement de remplacer l'octroi de mer outre-mer ou de l'y introduire pour les territoires qui ne sont pas encore concernés par la TVA. Qu'en pensez-vous, sachant que l'octroi de mer constitue la principale ressource des collectivités locales d'outre-mer et leur rapporte environ 1,2 milliard d'euros par an ?

M. Claude Raynal, président. -Votre rapport évoque une juste contribution du secteur financier au budget des États membres, tout en proposant un peu plus loin d'alléger, via le régime d'options et de groupe, les charges qui pèsent sur ce secteur. Pourriez-vous clarifier ce point ?

M. Pierre Moscovici. - Je vous remercie de la réception que vous avez réservée à ce rapport qui se veut effectivement, en vertu de sa concision et de sa clarté, une aide à la décision. Je me limiterai à son périmètre, puisqu'il vous revient de faire des propositions, le CPO n'ayant pas vocation à endosser ce rôle.

S'agissant de la fraude, je rappelle que nous proposons de confier au CPO un rôle en la matière. Dans le cadre de l'observatoire de la lutte contre la fraude qui doit être mis en place, la Cour des comptes et le CPO sont prêts à jouer leur rôle. Nous sommes en effet très mobilisés sur ces questions et je rappelle qu'à la demande du Sénat, nous vous avions présenté un rapport sur la lutte contre la fraude aux prestations sociales. Je rappelle enfin que mon prédécesseur Didier Migaud, avait lui-même présidé une mission sur la lutte contre la fraude fiscale, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, autant de sujets que nous pourrions reprendre à la demande de la commission des finances. En outre, je rappelle qu'il est possible au Parlement de saisir le CPO.

Sur les taux réduits de TVA, une recommandation propose également de confier au CPO ou à une instance ad hoc l'examen des taux réduits en identifiant leurs objectifs et leur atteinte, comme cela pourrait être notamment le cas pour la TVA sociale. Nous sommes bien sûr prêts à approfondir ces sujets. Je me demande d'ailleurs s'il est nécessaire de créer une instance ad hoc, alors que le CPO existe et qu'il a été renforcé.

En ce qui concerne la fraude dans le cadre de la numérisation de l'économie, nous proposons de définir une méthodologie destinée à évaluer le montant de la fraude à la TVA, et de communiquer annuellement les résultats au Parlement. Ainsi, plusieurs propositions sont réalisées pour lutter contre la fraude à la TVA dans le cadre de l'économie des plateformes.

S'agissant de la fiscalité environnementale et nutritionnelle, nous considérons que la TVA ne constitue un instrument efficace ni pour la politique environnementale ni pour la politique nutritionnelle, il s'agit donc d'un point commun. En ce qui concerne l'environnement, nous proposons effectivement de privilégier les accises à la TVA comme instrument de fiscalité incitative, mais nous ne proposons pas sur le plan nutritionnel d'écarter des instruments comme le Nutri-score et les accises. Il s'agit seulement d'une subtilité rédactionnelle visant à éviter une répétition, mais la logique est bien similaire pour les deux recommandations.

Enfin, en ce qui concerne le régime de taux de TVA du secteur financier, on constate que l'exonération des activités bancaires, financières et d'assurance n'est en réalité que partielle. Par conséquent, dans le contexte actuel post-Brexit, le régime de TVA du secteur financier pourrait être modernisé dans deux directions : l'actualisation au niveau européen du périmètre et des notions du régime d'options et la réflexion sur l'usage des règles d'exonération, notamment le droit à déduction à des fins compétitives.

J'ajoute qu'il faudrait mener une réflexion économique plus large sur la valeur ajoutée et la façon dont la TVA peut être utilisée à des fins plus ambitieuses. Mais encore une fois, nous pensons que la TVA n'est pas le meilleur outil pour mener une politique économique quelle qu'elle soit, mais qu'il s'agit d'un impôt de rendement qu'il faut préserver et dont il faut préserver les affectations. Patrick Lefas pourra compléter mon propos.

M. Patrick Lefas, vice-président du Conseil des prélèvements obligatoires. - S'agissant de la baisse des redressements fiscaux, cette question renvoie à la possibilité de renforcer les outils de contrôle, ce qu'on appelle le datamining, d'où l'utilité de disposer d'experts capables de traiter un certain nombre de données à travers l'intelligence artificielle, comme vous avez pu le voir à travers l'affaire des piscines non déclarées.

Une deuxième partie de la réponse correspond aux mesures que vous avez votées quant à la facturation électronique. Le paquet numérique que nous attendons au niveau européen mettra l'accent sur les problématiques d'interopérabilité, c'est-à-dire la facilitation des échanges d'informations entre administrations fiscales. Nous ouvrons donc un champ pour lutter contre une fraude ayant changé de nature du fait du développement du commerce électronique dans lequel exercent des vendeurs assujettis à la TVA et d'autres non assujettis.

En ce qui concerne le nombre de secteurs à taux réduit, nous n'avons pas de réponse, mais l'essentiel des taux réduits correspond à ce qui avait été initialement défini par la France comme exceptions dans le cadre de la première directive TVA. Depuis, les exceptions ont été multipliées, ce qui aboutit à une complexité d'application et à des contradictions en matière nutritionnelle comme vous l'avez évoqué. C'est le cas pour les bonbons de chocolat ou les conditions dans lesquelles la viande de taureau peut être taxée - il y a une instruction de la DGFiP d'une dizaine de pages sur le sujet ! -, ce qui entraîne des opportunités de fraudes.

Sur la baisse de la TVA dans la restauration, les études académiques qui ont été menées ont montré que ceux qui ont empoché la différence sont en réalité les propriétaires des restaurants, à hauteur de 54 % de l'effet de l'avantage lié au taux réduit. Cela signifie qu'avant d'accéder à une demande de baisse de taux, il convient d'examiner les solutions alternatives.

S'agissant des taux zéro pour l'eau et l'électricité, la démarche n'est pas celle que nous recommandons. Il vaut mieux privilégier des dépenses ciblées comme le chèque énergie, puisque celui-ci a un effet correcteur ciblé et non un effet transversal pour l'ensemble des abonnés.

En ce qui concerne le ZAN, à partir du moment où TVA est affectée aux collectivités territoriales, celle-ci a effectivement vocation à financer ce type d'obligation. Nous sacralisons donc le sujet en prônant la limitation d'affectations des recettes de TVA aux organismes de protection sociale et aux collectivités territoriales.

S'agissant de l'outre-mer, l'octroi de mer est en effet une question très importante. Néanmoins, étant donné que nos collègues de l'inspection générale des finances s'étaient attelés au sujet, nous n'avons pas examiné le point.

M. Pierre Moscovici. - Il s'agit en effet d'un sujet très important qu'il faudra un jour trancher de manière décisive.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Contrôle budgétaire - Service national universel (SNU) - Communication

M. Claude Raynal, président. - Nous entendons Éric Jeansannetas, rapporteur spécial pour son rapport sur le service national universel (SNU). J'accueille également Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur les crédits du programme « Jeunesse et vie associative ».

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial sur le SNU. - En tant que rapporteur spécial de la mission « Sport, jeunesse et vie associative », j'ai choisi de consacrer un contrôle budgétaire au service national universel, et plus précisément, à la question de l'opportunité et de la faisabilité de sa généralisation à l'ensemble des élèves de seconde.

Cela fait maintenant quatre ans que l'expérimentation du SNU a été initiée. Après une interruption en 2020, en raison de la pandémie, elle a repris en 2021, et elle continue cette année. Il me semblait donc que nous avions désormais suffisamment de recul pour tirer un bilan de ce dispositif, et surtout, pour porter une appréciation sur le projet de sa généralisation.

Pour mémoire, le service national universel est prévu pour se dérouler en trois temps.

La première phase, obligatoire, sera constituée d'un « séjour de cohésion » en hébergement collectif d'une durée de deux semaines. Il s'agit de la phase qui concentre de loin le plus d'enjeux juridiques et financiers.

La deuxième phase, obligatoire également, est appelée la « mission d'intérêt général », et devra prendre la forme d'un engagement de courte durée auprès d'une association ou d'une institution publique. Elle devra être réalisée après le séjour de cohésion pendant une durée de 12 jours consécutifs ou de 84 heures réparties tout au long de l'année.

La troisième phase est facultative, et elle consistera en un engagement sur le temps long, au minimum de trois mois, auprès d'une association ou d'une institution publique. Elle pourra être réalisée dans le cadre de dispositifs de volontariat existants, comme le service civique par exemple.

Jusqu'à présent, les expérimentations ont été menées sur la base du volontariat : tous les jeunes âgés de 15 à 17 ans peuvent y participer, à la condition de posséder la nationalité française.

Pour commencer par une note positive, je me suis rendu dans des centres d'hébergement du SNU, et j'ai pu constater que les séjours proposés aux jeunes sont de bonne qualité. Les activités proposées sont variées, et le séjour de cohésion est loin de la caricature d'un « service militaire bis » qui en est parfois faite. Les études menées par l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) confirment par ailleurs ces retours positifs. J'en profite ainsi pour saluer l'engagement des équipes.

Malheureusement, j'ai aussi pu constater au cours de ce contrôle tous les obstacles qui se dressent devant le projet de généralisation du SNU.

Premièrement, la représentativité des jeunes qui participent au séjour interroge. Il y a notamment une forte représentation des enfants dont l'un des parents travaille dans les corps en uniforme, comme la police ou l'armée : c'est le cas de 33 % des jeunes qui ont participé au séjour de cohésion en 2022.

Mais surtout, le SNU fait face à des limites d'ordre matériel. Les personnes que j'ai rencontrées et auditionnées ont quasiment toutes affirmé qu'elles avaient eu de vraies difficultés à trouver des centres d'hébergement disponibles pour accueillir l'ensemble des jeunes accomplissant le séjour de cohésion en 2022. Et pourtant, seuls 32 400 jeunes ont participé au séjour de cohésion en 2022. Nous sommes loin de l'objectif de généralisation à l'ensemble d'une classe d'âge, c'est-à-dire 840 000 jeunes ! Le recrutement des encadrants soulève également de nombreuses questions.

En conséquence, le rythme du déploiement du service national universel a été plus lent que prévu, même en tenant compte de la pandémie.

Face à ce constat, les services de la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel ont récemment présenté deux scénarios de généralisation du SNU. Selon le premier, le séjour de cohésion serait généralisé hors du temps scolaire, pendant les vacances d'été principalement. Entre trois et quatre sessions du séjour de cohésion seraient organisées, et elles réuniraient en simultané plusieurs centaines de milliers de jeunes.

Dans le second scénario, le séjour de cohésion serait généralisé sur le temps scolaire. Entre treize et quinze sessions du séjour de cohésion seraient organisées tout au long de l'année, et les centres d'hébergement pourraient être réutilisés d'un mois à l'autre. De même, le personnel encadrant serait consacré toute l'année au SNU.

La secrétaire d'État a une préférence pour le second scénario, celui de la généralisation sur le temps scolaire. Il est vrai qu'il nécessiterait moins d'encadrants et de centres d'hébergement que dans le premier scénario, qui semble particulièrement irréaliste.

Le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire soulève cependant de nombreuses interrogations.

Tout d'abord, ce scénario suppose une articulation entre l'éducation nationale et le SNU qui n'existe pas encore. Il impliquerait aussi de retirer aux élèves de seconde deux semaines de cours, ce qui pourrait être dommageable. Il faudrait trouver une manière de rattraper ces deux semaines.

Ma seconde série d'interrogations porte sur l'encadrement. La généralisation du SNU sera impossible sans la mise en place d'une véritable stratégie de recrutement du personnel. Durant l'expérimentation, le recrutement se déroule essentiellement par le bouche-à-oreille, ce qui suffit pour accueillir quelques dizaines de milliers de jeunes, mais ne peut être répliqué à large échelle.

Selon les estimations qui ont été réalisées dans le cadre de ce travail, si le SNU devait être généralisé sur le temps scolaire, un encadrant devrait consacrer en moyenne entre 90 et 112 jours de travail par an au séjour de cohésion. Or, un contrat d'engagement éducatif ne peut excéder 80 jours sur l'année.

La généralisation du SNU sur le temps scolaire supposerait donc de recruter et de former des encadrants longtemps à l'avance, et de leur donner un véritable statut. Une « filière » du service national universel nécessiterait ainsi plusieurs années pour être opérationnelle.

Les acteurs de l'éducation populaire ont une préférence pour le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire, dans la mesure où leur personnel n'a pas vocation à travailler par à-coups, mais tout au long de l'année. Il est vrai que cela permettrait de renforcer les liens entre l'éducation populaire et l'éducation nationale.

Toutefois, la réduction de la part des encadrants relevant de l'administration présente également des risques. En effet, les compétences et les moyens humains requis pour l'organisation du séjour de cohésion sont très spécifiques : il faut des organisations qui puissent être capables de mobiliser des encadrants tout au long de l'année, en période de « hors saison ». Cette situation peut amener à des surcoûts.

La disponibilité des centres d'hébergement est aussi une problématique majeure. Le Groupe de travail relatif à la création d'un service national universel d'avril 2018, dirigé par Daniel Ménaouine, la qualifiait même de « difficulté la plus importante à surmonter pour assurer le complet déploiement du service national ».

Les sites utilisés pour héberger des jeunes durant l'expérimentation sont essentiellement des internats d'établissements scolaires et des centres de vacances. Si le séjour de cohésion devait être généralisé sur le temps scolaire, les internats ne seraient plus disponibles, et il faudrait s'appuyer davantage sur les centres de vacances. Or, cela pose d'importants problèmes.

Les centres de vacances ne sont pas tous disponibles hors de la période estivale, leur répartition sur le territoire est très inégale, et surtout, ils sont loin d'avoir tous la taille requise pour accueillir des séjours de cohésion.

Alors que l'objectif affiché est de 200 jeunes par centre, l'effectif moyen des accueils collectifs de mineurs (ACM) est inférieur à 30 mineurs par séjour incluant les campings, et la moyenne des locaux avec hébergement déclarant des accueils collectifs de mineurs est estimée à 96 jeunes hébergés par centre. La généralisation du SNU se retrouverait vite devant l'obstacle de la pénurie de centres pouvant accueillir plus d'une centaine de jeunes.

Or, l'obligation de se rabattre sur des centres de petite taille conduirait à une forte augmentation des coûts. De plus, recourir davantage aux centres de vacances comporte le risque de rendre l'État trop dépendant d'acteurs privés dans l'organisation des séjours de cohésion.

La rénovation de centres existants, qui ne sont plus aux normes, voire qui ont fermé, a été évoquée comme un levier pour atteindre le nombre de centres suffisant pour accueillir les jeunes accomplissant le séjour de cohésion. Cette politique aurait par ailleurs l'avantage de réduire la dépendance l'État vis-à-vis des acteurs extérieurs, si la rénovation était subventionnée en contrepartie d'un droit d'accès.

Son coût n'est toutefois pas chiffré, et les rénovations peuvent prendre plusieurs années. Elles ne sont donc pas compatibles avec un scénario de généralisation rapide du SNU.

Cette problématique nous amène à la question du coût du SNU lorsque celui-ci sera généralisé.

Les estimations qui ont été réalisées jusqu'à présent s'appuient sur le coût du SNU pendant son expérimentation. Ainsi, si l'on considère le coût prévisionnel par jeune prévu pour 2023, cela nous amènerait à un coût de 1,75 milliard d'euros par an pour le SNU généralisé.

Or, les coûts de l'expérimentation ne sont pas forcément représentatifs du coût qu'aura le SNU obligatoire pour les élèves de seconde. Il y aura certes des économies d'échelle, mais dans le même temps, la logistique requise pour accueillir 50 000 jeunes est sans commune mesure avec celle nécessaire pour 840 000 jeunes : cela supposerait de construire une véritable administration du SNU.

De plus, les centres d'hébergement disponibles seraient de plus en plus chers à mesure qu'il deviendrait difficile de trouver des centres d'une taille suffisante pour accueillir un séjour de cohésion. Or, les grands centres sont en nombre limité, et l'hébergement et la restauration représentent déjà le premier poste de dépenses du séjour de cohésion.

Pour toutes ces raisons, il est probable que le coût du SNU généralisé soit en réalité supérieur à 2 milliards d'euros par an.

Plusieurs personnes auditionnées ont déclaré, et c'est compréhensible, qu'il ne fallait pas s'arrêter au coût du SNU, mais aussi prendre en compte ses bénéfices. Cependant, cela n'interdit pas de se demander si la généralisation du séjour de cohésion est réalisable.

Au regard de tous ces éléments, je propose de surseoir au projet de généralisation du séjour de cohésion. Cette suspension devra permettre de lever des incertitudes et d'obtenir plus d'informations sur la généralisation du SNU.

Je vais conclure mon propos sur la seconde phase du service national universel, la mission d'intérêt général.

Ce dispositif n'est pas satisfaisant en l'état actuel. En effet, sur l'ensemble des jeunes ayant effectué le séjour de cohésion entre 2019 et 2021, on compte 11 200 jeunes ayant validé la phase 2 du SNU, ce qui représente seulement 53,7 % des volontaires.

Les structures d'accueil sont réticentes, pour des raisons financières et juridiques, à accueillir des jeunes sur des périodes très courtes. De plus, il peut être difficile pour des jeunes de trouver une mission d'intérêt général proche de chez eux, notamment pour ceux qui vivent dans des zones rurales. Ces difficultés sont d'ailleurs tout à fait admises par l'administration. D'un point de vue plus philosophique, je m'interroge aussi sur l'opportunité de rendre obligatoire une période d'engagement.

Je recommande donc de supprimer la mission d'intérêt général, au profit de la troisième phase, l'engagement volontaire sur une durée d'au minimum plusieurs mois. Cet engagement pourrait ensuite être valorisé via Parcoursup.

Le projet de généralisation du séjour de cohésion soulève des questions importantes relatives aux libertés individuelles des jeunes, et à la façon dont la Nation reconnaît leur engagement. Or, le Parlement n'a jusqu'à présent pas été saisi de cette question. L'expérimentation a été engagée depuis 2019 sans qu'une véritable loi sur le SNU n'ait été adoptée.

Je souhaite donc, en guise de dernière recommandation, que nous ayons la garantie que le Parlement puisse s'exprimer sur le SNU.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur les crédits du programme « Jeunesse et vie associative ». - Je vous remercie d'avoir clarifié ce sujet du SNU. Malgré les débats qui durent depuis 2019, nous n'en avions jusqu'ici qu'une vision parcellaire et floue.

Je comprends que la secrétaire d'État tente de mettre en oeuvre ce SNU : il s'agit d'une volonté directe du Président de la République. Depuis l'expression de cette volonté, plusieurs ministres se sont attachés à la concrétisation du projet, sans forcément y arriver.

Lorsqu'on s'intéresse à l'éducation populaire, on constate les difficultés à mettre en place un tel dispositif, surtout si l'on vise des objectifs tels que la mixité, la citoyenneté et l'éducation civique. Pour ma part, je pense que l'âge de 16 ans est déjà bien trop tardif pour ce genre d'intervention auprès des jeunes. De plus, quand on examine concrètement les moyens qui devraient être alloués à ce SNU, on reste inquiets, voire pantois. En effet, les grands organisateurs de colonies de vacances ou de séjours destinés aux jeunes sont actuellement en grande difficulté, et de moins en moins d'enfants partent en colonie de vacances pour des raisons diverses. Par conséquent, il faudrait peut-être destiner ce séjour non pas à des élèves de seconde, mais à des élèves de la fin du cours moyen jusqu'à l'entrée en sixième, afin de mener réellement des actions de mixité sociale et scolaire qui sont les objectifs du SNU.

Je suis donc très heureux de ce rapport, car il fait ressortir clairement les questions que nous nous posons depuis longtemps et fait avancer la réflexion.

M. Thierry Cozic. - J'ai compris que le SNU était réservé aux jeunes de nationalité française : je voulais savoir si des évolutions étaient prévues pour permettre aux jeunes étrangers de réaliser le SNU.

De plus, dispose-t-on de retours de la part de jeunes qui ont effectué leur SNU ? Quelle est leur perception ?

M. Roger Karoutchi. - Je vous remercie pour ce rapport tempéré et modéré, qui tranche avec certaines opinions extrêmes à l'égard du SNU : une inutilité manifeste d'un côté, un système idéal de l'autre.

Si je ne suis pas un fanatique de ce genre de structures, je considère que dans une période qui soulève autant d'interrogations sur l'intégration républicaine, le sens civique et de l'intérêt général des jeunes, l'expérimentation vaut la peine d'être développée.

J'ai rencontré beaucoup de jeunes ayant participé à ce stage et ceux qui l'ont fait s'en disent très heureux. Ils se sentent même investis d'une forme de mission civique, qu'on rencontre rarement chez les jeunes.

Je suis d'accord avec l'idée de surseoir au vu des difficultés ; l'idée de prendre sur le temps scolaire ne me semble pas pertinente, l'éducation rencontre déjà assez de problèmes. Je propose d'ailleurs que la secrétaire d'État, Mme Sarah El Haïry, soit invitée à la commission des finances : elle est très convaincante, car elle croit fortement au projet. S'il faut reconnaître que les résultats ne sont pas extraordinaires, que peut-on proposer à nos jeunes à la place du SNU ? Essayons de trouver des aménagements et de valoriser ceux qui s'engagent, mais il nous faut un texte de loi pour avancer.

M. Marc Laménie. - Notre collègue a rappelé les difficultés que ces séjours suscitent en termes d'organisation, d'hébergement ou de personnel encadrant. La généralisation coûterait 2 milliards d'euros.

Plusieurs ministères sont concernés, ce qui pose également des difficultés : l'éducation nationale, la jeunesse, les sports, et la vie associative. Il existe également un lien avec les armées et avec la Journée défense et citoyenneté (JDC). S'agissant du lien avec l'éducation nationale, notre collègue estime que l'âge de 16 ans est déjà tardif, mais il existe d'autres moyens de susciter des vocations, comme les classes « défense » qui existent au collège.

Par ailleurs, nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'une loi. Si certains départements ont déjà été désignés comme pilotes, c'est le cas des Ardennes, il faut d'abord trouver les encadrants, mais aussi définir les objectifs : quel est l'objectif ? Il s'agit peut-être de susciter des vocations, car certains métiers de la défense et des armées ont du mal à recruter.

Mme Christine Lavarde. - Même si nous ne disposons pas encore des données, le ministère a-t-il prévu les outils permettant d'étudier les trajectoires des jeunes qui ont participé au SNU ? Le rapport souligne une surreprésentation d'enfants de militaires, de policiers, de personnes qui portent l'uniforme. Les participants, certes, ne sont pas représentatifs de la société française. Toutefois, ceux qui ne sont pas dans ce cas s'engagent-ils davantage à la suite du séjour effectué ? Pour rendre compte de l'intérêt du dispositif, une étude pour le déterminer est-elle envisagée ?

M. Michel Canévet. - Ce projet est d'envergure ; le principal obstacle reste le coût. Trouver 2 milliards d'euros dans le contexte financier actuel semble particulièrement problématique. Toutefois, l'idée paraît intéressante. Les jeunes que j'ai rencontrés qui ont fait le SNU en étaient très satisfaits, même s'ils représentent, en effet, une part infime des jeunes dans notre pays.

La généralisation sur le temps scolaire paraît être la seule solution. Le dispositif supprime-t-il la journée de citoyenneté ou est-il un dispositif additionnel ? Des économies d'ensemble pourraient s'envisager, puisque le SNU touche l'ensemble des publics.

Inscrire le SNU dans le parcours scolaire d'une classe d'âge ne serait-il pas intéressant ? Il pourrait représenter un élément du parcours de formation de nos jeunes concitoyens.

M. Gérard Longuet. - Le SNU est devenu une sorte d'arlésienne au fil du temps. Si le SNU devait s'opérer sur le temps scolaire, il est à craindre qu'il s'effectue au détriment de la qualité de la formation. Je reste très favorable au volontariat, à l'expérience humaine que représente ce SNU, à condition qu'il ne nuise pas à l'enseignement. L'année scolaire en France est parmi les plus brèves dans le monde et très dense. Elle suppose donc déjà des efforts scolaires intenses.

M. Éric Jeansannetas, rapporteur spécial. - Les problématiques juridiques soulevées par le SNU sont différentes selon le scénario retenu, c'est-à-dire si le SNU sera, ou non, effectué sur le temps scolaire. Ces éléments démontrent la nécessité que le Parlement se saisisse du sujet.

Dans le scénario d'une généralisation hors temps scolaire, une loi constitutionnelle serait probablement requise pour obliger les jeunes à participer au SNU. Dans un avis du 20 juin 2019, le Conseil d'État a estimé que l'article 34 de la Constitution ne permettait pas d'imposer des sujétions aux citoyens, hormis pour des enjeux de défense.

Dans le scénario d'une généralisation sur le temps scolaire, l'obligation de participer au séjour de cohésion serait mêlée avec l'obligation de scolarité pour tous les jeunes jusqu'à l'âge de 16 ans. Néanmoins, il est quand même probable qu'une loi soit nécessaire, a minima.

Un débat au Parlement est nécessaire. On dispose d'éléments fragmentaires. Nous avons trouvé certaines informations par la presse, comme le calendrier de généralisation du dispositif.

Le séjour de cohésion serait obligatoire dans six départements à la rentrée 2024, dans 20 départements à la rentrée 2025 et pour l'ensemble des départements à la rentrée 2026. Toutefois, cette information n'est pas confirmée. Nous n'avons pas vu lors de ce contrôle le document qui indiquerait ce calendrier.

Nous pourrions en effet auditionner la secrétaire d'État. Mais je sais aussi qu'elle attend de connaître la position du Président de la République. Celle-ci devait être annoncée en janvier, mais elle a été repoussée, car le calendrier législatif est complexe en ce moment, comme chacun le sait, et ce n'est pas le moment de risquer de braquer la jeunesse.

Les jeunes de nationalité étrangère, qui fréquentent l'école de la République et qui sont parfois volontaires pour effectuer le SNU pour montrer leur volonté d'intégration, ne peuvent pas effectuer le SNU pour le moment. Cela pose la question du rapport à la République. La secrétaire d'État souhaite réfléchir à ce point, car l'apprentissage de la citoyenneté et la promotion de l'engagement citoyen doivent concerner aussi ces jeunes de nationalité étrangère qui souhaitent, à terme, devenir Français.

Les retours des jeunes sur le séjour de cohésion sont plutôt positifs : 90 % des jeunes l'ayant effectué en 2021 et en 2022 sont satisfaits. Si les participants sont volontaires, les études montrent que les séjours organisés sont de bonne qualité. Je rappelle néanmoins que cette expérimentation n'a concerné au maximum que 32 400 jeunes. Il n'est pas certain qu'elle soit soutenable pour l'ensemble d'une classe d'âge, soit 800 000 personnes.

Le rapport de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) portant sur la cohorte de 2021 dresse le constat que les jeunes qui ont fait le séjour de cohésion en sont très satisfaits et s'engagent davantage que les autres. Ce dispositif apporte une vraie valeur ajoutée.

La question des relations entre les ministères de l'éducation nationale et de la défense, des liens entre le SNU et l'armée, est complexe. Le Gouvernement hésite toujours. Il semblerait que la ministre privilégierait le scénario où le ministère de l'éducation nationale serait l'acteur numéro un, sans omettre l'information sur la défense.

Par ailleurs, il est prévu que la Journée défense et citoyenneté soit intégrée dans le séjour de cohésion, ce qui me semble pertinent. Le rôle de l'armée dans le SNU est aujourd'hui assez limité : il concerne surtout la participation à la journée défense et mémoire (JDM), qui ne représente qu'une seule journée sur les deux semaines. Je ne pense pas que l'armée ait le souhait d'être davantage impliquée.

Certains réclament d'utiliser les casernes pour accueillir les jeunes pendant le SNU, mais nombre d'entre elles ont été vendues ou réaffectées.

L'audition de la ministre serait utile. Notre société a besoin d'une formation au civisme et à la citoyenneté, que pourrait délivrer le SNU. Cependant, nous avons besoin d'en débattre.

La commission adopte les recommandations du rapporteur spécial et autorise la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

Proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences - Désignation d'un rapporteur pour avis

La commission demande à être saisie pour avis sur la proposition de loi constitutionnelle n° 869 rect. (2022-2023)  visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences, présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues, et désigne M. Charles Guené rapporteur pour avis.

Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Gérard Longuet rapporteur sur la proposition de loi n° 341 (2022-2023)

Proposition de loi créant une résidence d'attache pour les Français établis hors de France - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Jérôme Bascher rapporteur sur la proposition de loi n° 843 (2021-2022) créant une résidence d'attache pour les Français établis hors de France, présentée par M. Ronan Le Gleut et plusieurs de ses collègues.

La réunion est close à 11 h 20.