"La mondialisation, une chance pour la francophonie"



Colloque au Sénat les 27 et 28 avril 2006, organisé par francofffonies !

TABLE RONDE 2
LES RACINES MONDIALES DE LA FRANCE

Le débat est présidé par Victorin LUREL, député de la Guadeloupe, président du

Conseil régional de Guadeloupe.

Il est animé par Wallès KOTRA, directeur délégué de France Ô.

Participent à cette table ronde :

Ashok ADICEAM, administrateur de « francofffonies ! le festival francophone en

France »,

Fred CONSTANT, conseiller de coopération et d'action culturelle à l'Ambassade de

France à Maurice,

Philippe ETIENNE, directeur général de la coopération internationale et du développement au ministère des affaires étrangères.

Christiane TAUBIRA, députée de Guyane,

Béatrice VERNAUDON, députée de Polynésie française.

Wallès KOTRA

Que serait la France sans ses racines mondiales ? Si elles sont pour nous une évidence, ces cultures, ces mémoires et ces histoires méritent un travail particulier pour les intégrer et les transformer en force pour la France d'aujourd'hui. Telle est la thématique de cette table ronde.

Victorin LUREL

Dans nos esprits, les images autour de la francophonie se bousculent. Elle nous évoque des idées, des couleurs et des souvenirs ainsi qu'une histoire souvent douloureuse. Le fait de limiter la France à son seul territoire européen dans un débat sur une francophonie qui s'étend sur toute la planète relèverait d'un ethnocentrisme que nul ne saurait partager.

A mon sens, la France est un englobant qui embrasse à la fois la France qui parle français mais aussi tous ceux qui, sans être français, parlent le français. Quand ils parlent français, ils « parlent la France », en quelque sorte. Ce faisant, ils la trament et la font.

Or je considère les non Français qui font la France avec générosité. Ils sont France à part entière. C'est bien là le moindre des honneurs symboliques que nous puissions leur accorder. Je ne saurais donc parler de la France sans parler simultanément de la francophonie.

L'erreur la plus grossière que nous pourrions commettre serait de considérer la francophonie comme un nouvel instrument de domination mondiale, certes émoussé, mais encore bien fonctionnel. A peine suffirait-il d'en affûter un peu la lame pour s'accaparer les richesses du monde nouveau, comme on mit autrefois la main sur l'or du nouveau monde. Il s'agirait d'une sorte de razzia relookée, d'un vol de gerfaut audelà du charnier natal. Telle n'est pas notre conception, bien entendu.

Une réflexion sur les racines mondiales de la France devrait nous permettre de déjouer cette tentation destructrice que l'on pourrait assimiler à une nostalgie d'un empire disparu à jamais. Sur un sujet d'une telle importance et traitant d'enjeux planétaires, je ne saurais avancer masqué (larvatus prodeo). J'ai ici pour fonction d'animer le débat. Ce n'est pas une tâche neutre, mais bien le plus redoutable des engagements.

En latin, animus est le souffle et anima l'âme. Animer revient à insuffler un esprit ou une âme. Comment donner une âme à un corps sans au moins souffler qui l'on est ? J'ose donc humblement. Je suis, comme tous dans mon île, un petit-fils d'esclave. Comme dit la légende, mon placenta nourrit un arbre dans la plus ancienne des communes d'une île d'Amérique. Les horreurs de l'esclavage m'ont marqué. J'ai souffert dans mon coeur et dans mon esprit les abominations de la traite. J'ai enduré ma part d'anxiété et d'innombrables tribulations. J'ai bu l'angoisse jusqu'à la lie.

Je crois cependant être devenu aujourd'hui, par la grâce de parents exemplaires, par la discipline de l'école républicaine, par l'entraînement quotidien de ma volonté et par l'assomption d'une mémoire plurielle, un homme libre, auquel son peuple a confié un pouvoir réel au sein d'une France radicalement nouvelle. J'assume cette mission sans orgueil, mais avec fierté.

Je suis anticolonialiste et anti-impérialiste. J'ai voté l'abrogation de cet article inique qui prétendait nous faire enseigner les bienfaits de la colonisation. Je vis avec la conviction intime que l'esclavage est un crime contre l'humanité. Partout sur la terre où il reste des esclavages qui ne disent pas leur nom, nous devons, en tant qu'hommes et femmes de conviction, nous insurger et les détruire. Ce sont ces convictions profondes qui me permettent de vous confier ce message, sans crainte d'être taxé d'archaïsme ou de connivence avec un passé colonial moribond.

Moi, Victorin Lurel, citoyen antillais français, revendiquant l'anglais, l'espagnol et le créole comme mes langues, je n'hésite pas pour autant à vanter la beauté, la grandeur et l'universalité de la langue française. Je crois en la francophonie. Je la souhaite, je la veux et, comme vous, je la défendrai bec et ongles, à condition qu'elle ait le courage de se revivifier en examinant ses racines, son être au monde et son sens dans le monde. Elle le fera, n'en doutons pas.

Une langue ne saurait être confondue avec l'usage pervers que les cyniques en ont fait. Une langue ne peut être tenue responsable de la folie de ses éphémères locuteurs. Les idéogrammes de la Grande Muraille ne sont pas responsables de la mégalomanie maoïste. Les kanjis de l'Empire du soleil levant, langue suprême du zen et de la parfaite harmonie, ne sont pas responsables de Pearl Harbour. Le cambodgien n'est pas responsable des charniers de Pol Pot. La langue de Dostoïevski n'est responsable ni de Raspoutine, ni du goulag.

Qui pourrait croire que le babylonien fut responsable de Sardanapale ? Qui pourrait imaginer le livret de la Flûte enchantée responsable du ghetto de Varsovie ? L'araméen non plus n'est pas responsable du Golgotha. Le sabéen n'est pas responsable de la libido de Salomon l'Hébreux. A en croire Pascal, c'est par la grâce du nez d'une Egyptienne et non du fait de la beauté de sa langue que les légions s'entredéchirèrent et que le plus puissant des empires, l'Empire romain, s'effondra.

Je n'innocente pas les langues qui ont permis le pire. Je refuse simplement de les rendre coupables. Je me réfèrerai au sage Esope qui disait que les langues qui ont permis le pire sont aussi celles qui ont fécondé le meilleur. C'est le cas du français, dont les racines tant diachroniques que synchroniques embaument mon coeur et me collent à la peau. J'exige que ses superbes arborescences soient désormais au service du meilleur et uniquement du meilleur.

Quelques deux mille ans durant, cette langue, fruit du latin et de tribus rebelles, n'a cessé de superposer en les conjuguant des strates linguistiques nouvelles. Soumissions, alliances, attaques, guerres, redditions, Vandales, Wisigoths, Francs, Mérovingiens, Vikings, Normands, Maures, déferlantes barbares en tous genres, mixages, synthèses, sédimentation et des bibliothèques mémorables de sémiologie, de sémantique, de philosophie comparée, d'approches structuralistes n'ont pas réussi à démêler l'inextricable écheveau de cet incessant bouillonnement.

Richelieu fondit ainsi l'Académie française pour codifier, normaliser et régenter le discours. Il n'imaginait sans doute pas qu'en dépit d'un travail acharné, quatre siècles plus tard, nous n'en serions encore qu'aux premiers balbutiements. Autant dire que la langue française, cette langue qui doit s'honorer d'être la plus métissée de toutes les langues, n'est ni le cheminement dormant d'un oued assoupi, ni le lit d'un long fleuve tranquille. C'est le merveilleux fond sablonneux d'un oceano nox.

Aux quatre coins de l'univers francophone, au gré d'aventureuses pérégrinations, le voyageur découvrira des trésors particuliers. D'Est en Ouest, du Tropique du Cancer au Tropique du Capricorne, du Zénith au Nadir, les merveilles de cet univers nous surprennent par leur infinie splendeur.

Sans complaisance narcissique, je souhaiterais citer quelques-unes de ces richesses propres à l'Afrique et à nos îles, racines et matrice de notre propre délivrance. Il est impossible d'évoquer en quelques lignes Léon-Gontran Damas, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Guy Tirolien, Paul Niger, Edouard Glissant, Jacques Roumain, Ernest Pépin, Ahmadou Kourouma, Amin Maalouf, Amadou Hampâté Bâ, Emil Cioran, Khalil Gibran et tant d'autres poètes ou artistes, plus talentueux les uns que les autres. Ils nous ont fait pressentir, sentir ou imaginer ce que la froide raison ne pouvait conceptualiser.

Sentir, vivre et aimer : ainsi peut se résumer notre synchronie matricielle, cause finale de notre être ensemble. N'allons pas imaginer la nouvelle francophonie comme le ciel froid d'une raison dialectique ou discursive. Imaginons-la conforme aux racines souterraines de nos fleurs, lourdes, charnelles, porteuses de vie, de cette vie qui, à travers l'eau, toujours cherchera le soleil. Libérons nos racines. Abreuvons-nous avec délectation de leur sève et partons avec elles à l'assaut des étoiles. Que notre francophonie se déploie dans un arc-en-ciel de ferveur, égrenant tout autour du globe un chapelet d'amour.

N'ayons pas l'outrecuidance d'affirmer que le monde se résume à cette nébuleuse du profit. Les empires l'édifient afin que la planète devienne un marché et rien d'autre qu'un marché, augmentant inlassablement la puissance du capital aveugle. Quelle diabolique confusion ! Quel machiavélique obscurantisme ! Au moins depuis la révolution kantienne, tous ceux qui pensent savent qu'il est mystificateur de voir dans le monde un concept rigoureux, à plus forte raison scientifique. Personne n'a jamais remis en question les quatre antinomies de la raison pure. Nous savons tous que le monde, idée régulatrice et non concept constitutif, ne peut être en aucun cas que ce que nous voulons qu'il soit.

Nous ne reconnaîtrons donc aucune fatalité face à la mondialisation des empires sans visage. Le monde sera ce que la sagesse nous enseigne qu'il doit être. Les racines mondiales de la France ne sont autres que nos propres racines revisitées, comprises et maîtrisées. Il s'agit d'un temple à construire. Ce temple n'est pas celui des marchands, mais celui de l'union fraternelle des peuples. L'union reste notre idéal, la chaîne d'union, notre symbole. La francophonie sera fraternelle ou ne sera pas.

La francophonie est bien décidée à n'être plus le gendarme de la France, ni l'auxiliaire passif de puissance aliénante. Elle entend faire rayonner sur la planète ces valeurs universelles qui sont celles des droits de l'homme. L'humilité sera délibérément sa vertu. Elle n'hésitera jamais à se mettre au service des plus pauvres, de ceux que Franz Fanon appelait « les damnés de la terre ».

Elle aura aussi pour mission d'éradiquer hydres, Léviathans et celle que Brecht appelait « la bête immonde ». Elle vaincra, car les monstres n'existent que dans notre imagination et s'évanouissent face à la lumière. Ils rencontreront une francophonie instruite, fière et altière.

Je ne peux que m'étonner du logo choisi pour ce festival. La francophonie y apparaît comme un arbre sans racines. Freud et Aristote ont pourtant bien démontré que ce sont les racines qui font vivre un arbre et déterminent son avenir. Par ailleurs, nous aurions préféré inverser le titre de ce colloque. La francophonie est bien une chance pour la mondialisation. Pour finir, je formulerais un voeu. Qu'en cette année mondiale de lutte contre la désertification, la francophonie apparaisse comme une splendide oasis accueillant toutes les caravanes. Tous y sont invités, quels que soient leur langue ou leurs dieux. La francophonie pourrait s'inspirer du beau nom arabe que porte mon île, à savoir oued el oub, la rivière de l'amour. Qu'elle devienne elle aussi la rivière de l'amour.

Wallès KOTRA

Victorin Lurel nous appelle à libérer nos racines. C'est certainement un cri du coeur de ce petit-fils d'esclave de la Guadeloupe. Changeons maintenant d'hémisphère pour partir en Polynésie. Béatrice Vernaudon est députée de Polynésie française. Sa circonscription couvre plusieurs petites îles, parmi lesquelles les Marquises. Comment ces îles isolées du Pacifique perçoivent-elles les racines de la France ?

Béatrice VERNAUDON

Le Pacifique recèle une partie des racines de la France, grâce à ses trois collectivités dans la région. Les royaumes de Wallis et Futuna comptent 15 000 habitants. La Nouvelle-Calédonie en compte 235 000 et la Polynésie française 250 000. Ces trois territoires relèvent tous trois de l'article 74 de la Constitution française, révisé en 2003. Il classe les dix collectivités ultramarines en deux catégories. Au titre de cet article, nous bénéficions d'une large autonomie politique. Au moment voulu, si elles le souhaitent, les populations pourront faire évoluer leurs relations institutionnelles avec la France.

Les îles du Pacifique s'étendent du Sud-Est asiatique jusqu'aux côtes de l'Amérique. L'Australie (20 millions d'habitants), la Nouvelle-Zélande (4 millions d'habitants) et 22 autres Etats insulaires en font tous partie. Parmi ces 22 Etats, nous pouvons citer la Papouasie-Nouvelle-Guinée et ses 5 millions d'habitants sur un territoire qui compte parmi les plus pauvres au monde et où le SIDA fait autant de ravages qu'en Afrique, mais aussi le plus petit Etat du monde, le Tuvalu et ses 10 000 habitants.

Certains pays de cette région n'ont pas encore acquis leur indépendance complète. C'est le cas des Samoa et de Guam, qui sont rattachés aux Etats-Unis. D'autres encore bénéficient de statuts de libre association, comme les Iles Cook.

Certaines îles sont très montagneuses, tandis que d'autres sont de simples atolls menacés par la montée des eaux liée au réchauffement climatique. Le développement de ces îles se trouve à des stades très divers.

Ce tableau rapide démontre à quel point le Pacifique fait aujourd'hui figure de kaléidoscope géographique et institutionnel. Il n'en est pas moins uni par une identité océanienne autour de valeurs propres. Elles se traduisent par un profond attachement à la terre, à la communauté, à la religion et au partage.

Les trente dernières années se sont avérées très difficiles pour la francophonie et la francophilie dans la région. Les causes en sont connues. Il s'agit, d'une part, des essais nucléaires français dans la région et, d'autre part, du refus de la France de participer au mouvement de décolonisation du Pacifique.

La donne s'est quelque peu modifiée avec la fin de ces essais et la signature des accords de Nouméa et de Matignon, qui permettront d'ici une dizaine d'années à la Nouvelle-Calédonie de recouvrer sa pleine souveraineté, si elle le souhaite. De plus, nous constatons à quel point est fragile l'indépendance des petits Etats du Pacifique. Ils doivent en effet compter sur l'aide internationale pour satisfaire les besoins de leur population en matière de santé et d'éducation.

La francophonie et la francophilie trouvent ainsi aujourd'hui un terreau plus favorable. La France tente d'y jouer la carte de la francophilie, car les francophones ne représentent que 2 % de cet espace très majoritairement anglophone. Cette stratégie s'appuie sur l'intégration des collectivités françaises dans la région.

Nous ne pouvons cependant manquer de relever un paradoxe. L'autonomie relative que confère la France à ces collectivités ultramarines dans le domaine économique, social et culturel les empêche en quelque sorte de s'ouvrir sur l'extérieur. Elles doivent en permanence se concentrer sur les missions lourdes qui leur ont été déléguées.

Nous assistons actuellement une complète mutation de la politique linguistique de ces régions. Malgré les moyens considérables alloués par la France à ces territoires, le taux d'échec scolaire reste inadmissible.

Les familles considèrent que la réussite de leurs enfants passe par l'apprentissage du français. Le polynésien et le tahitien ont été progressivement délaissés, au profit d'un mauvais français. C'est un dialecte qui n'est ni français, ni tahitien que parlent les enfants aujourd'hui. C'est pourquoi le polynésien et le tahitien ont été réintroduits dans les écoles dès la maternelle. Par ailleurs, nous donnons désormais aux enfants, dès leur plus jeune âge, la chance d'apprendre l'anglais. Il est vrai que ces communautés vivent pour l'essentiel du tourisme et ces touristes proviennent pour l'essentiel de pays anglophones.

Cette stratégie devrait aboutir prochainement à une plus grande intégration de ces collectivités au sein de la région Pacifique. Jusqu'alors, ces collectivités et ces Etats se sont ignorés, du fait du contentieux sur la colonisation et les essais nucléaire. Nous essayons par conséquent de sensibiliser les jeunesses de nos îles respectives à ce qui les rapproche. Une telle orientation s'avère très coûteuse, car nos îles sont très éloignées les unes des autres. Des manifestations telles que les jeux sportifs du Pacifique ou encore le festival des arts nécessitent des budgets très importants. Ceci dit, l'effort sur la jeunesse ne saurait être abandonné. Il doit même être approfondi au cours des années à venir.

Cette année sera celle du premier festival de la jeunesse océanienne. Les jeunes y rêveront ensemble à l'avenir de leur région. Leurs débats serviront de base à la Charte du Pacifique qui sera présentée lors de la deuxième édition du festival. De nombreuses autres initiatives ont pu se concrétiser récemment. C'est le cas du festival du film océanien, dirigé par Wallès Kotra. Après trois éditions, il fait déjà figure de rendez-vous incontournable et sa pérennité ne semble pas menacée.

Une fois que cette mission d'ouverture sur la région aura été menée à bien, nos collectivités devront s'atteler au chantier de l'égalité hommes/femmes. Lors d'une réunion récente du Forum des Iles du pacifique aux Iles Cook, nous avons fait le point sur la proportion de femmes dans les Parlements de la région. Une fois écartés les territoires français, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, la proportion de femmes dans les assemblées tombe à moins de 5 %. Ces résultats sont aussi faibles que ceux de nombreux pays arabes.

Malgré la ratification d'instruments juridiques tels que la Convention sur l'élimination de toutes les discriminations à l'égard des femmes, qui comporte un volet sur la politique, nous ne pouvons que déplorer que les barrières restent solidement installées. Elles sont d'ailleurs souvent défendues par les femmes elles-mêmes. Les sociétés traditionnelles du Pacifique s'appuient en effet sur une division sexuelle des rôles sociaux très nette. L'introduction d'une nouvelle pensée en la matière aboutirait à désorganiser totalement les sociétés.

Alors que des femmes se battent pour abattre ces barrières, le décalage avec la situation des collectivités ultramarines est presque choquant. Dans les collectivités françaises, c'est sous la contrainte législative qu'il a été nécessaire de mettre en oeuvre la parité. Nous avons bénéficié des combats des Françaises sans même y participer, sans y avoir été préparées ou même avoir été demandeuses d'un tel changement. La proportion de femmes dans nos assemblées est subitement passée de 10 % à 50 %.

Le courage de ces femmes qui se battent nous inflige une belle leçon de modestie. Elles nous rappellent à notre obligation de démontrer maintenant que cette loi était une bonne loi. Il nous appartient de prouver que les femmes sont capables de promouvoir une nouvelle façon de faire de la politique. Les principes de bonne gouvernance, de dignité de la personne et d'équité doivent être nos guides sur ce chemin. Ainsi se construit la francophilie dans une région en pleine mutation, où la France tente de jouer la carte de la diversité culturelle.

Wallès KOTRA

Ce discours démontre bien l'existence de racines océaniennes. Je vous propose de changer maintenant de continent pour explorer, avec Ashok Adicéam, l'administrateur du festival francophone en France la part d'indianité dans la culture française.

Ashok ADICEAM

Dominique Wolton et Monique Veaute m'ont demandé d'intervenir au titre des racines indiennes qui sont les miennes. Je les assume pleinement, même si je travaille depuis toujours pour la culture française et ses échanges avec le reste du monde, et aujourd'hui en tant qu'administrateur du festival francophone en France.

On ne peut parler de francophonie en Inde sans évoquer la présence française en

Inde durant trois siècles, à travers ce qu'on appelle les « Comptoirs français ».

Cette page de l'histoire a pourtant été un peu vite oubliée. Remontant à Colbert et à Louis XIV, qui autorisèrent en 1673 l'établissement des comptoirs de l'Inde, ce passé commun s'achève en 1954 dans l'indifférence de l'opinion publique et de la presse métropolitaine. Il est vrai qu'à la même époque la France quittait l'Indochine et s'engageait en Algérie dans un conflit qui devait durer 8 ans. Passait donc inaperçue la cession à l'Inde des 5 comptoirs français, à savoir : Mahé (dans le sud-est, aujourd'hui au Kerala, ouverte sur l'Océan Indien), Chandernagor (à proximité de Calcutta, au Bengale), Yanahon (au nord du Tamil Nadu), Pondichéry (au sud de Madras) et Karikal sur les rives de la Mer du Coromandel.

Ces comptoirs tiennent leur nom de leur activité d'implantations commerciales conduites et développées à l'origine par des agents privés qui peu à peu ont réussi à se faire accepter par différents princes du sud de l'Inde. Des premiers, François Caron, François Martin, au dernier directeur de la compagnie des Indes orientales, se tissent des liens commerciaux avec des Indiens, sur la route des épices, qui vont concurrencer ceux des autres Compagnies de l'Inde, dirigées par des Anglais, des Hollandais, des Danois.

L'histoire de ces liens sans cesse accrus culmine en 1754 avec l'établissement, par le Gouverneur Général Dupleix, d'un véritable Empire grâce aux alliances avec les Princes du sud de l'Inde (le Deccan, Travancore), qui bénéficiaient d'une expertise et d'une certaine protection militaire. Mais en quelques années, alors que Napoléon décide de se concentrer sur la campagne d'Egypte, l'Empire, l'entente francoindienne ne résistent pas à la force que les Anglais vont déployer pour le conquérir. Dès lors, l'ambition française en Inde se resserre et c'est vers les colonies françaises aux Antilles et dans l'Océan Indien que sont redirigés les produits du commerce indien (épices, arachides, tissu madras, ...)

Lorsque l'Inde accède à l'indépendance en août 1947, Nehru demande à la France, qui l'accepte, le transfert de ces territoires à l'Union Indienne. Le transfert, même s'il prend du temps, se fait dans la paix. Le traité de cession ne sera ratifié par le Parlement français qu'en août 1962.

Cette histoire est peu connue ou valorisée dans la perception qu'on peut avoir des relations entre la France et l'Inde aujourd'hui. Et pourtant, ces trois siècles d'histoire commune avec le géant indien nous offrent aujourd'hui l'exemple d'une diversité culturelle et linguistique puissante. En même temps qu'elle l'apprend elle-même, l'Inde nous enseigne la cohabitation culturelle. Comment en effet faire cohabiter un milliard d'habitants, deux langues nationales - l'hindi et l'anglais 26 langues officielles, 1 600 langues et dialectes et au moins trois grandes religions ?

Si le sous-continent indien est densément peuplé, il ne faut pas oublier la diaspora indienne aux quatre coins du monde. Celle issue des comptoirs français s'est installée dans l'Océan indien mais aussi dans les DOM-TOM, suite au « transfert » sous contrat avec l'administration française de 160.000 indiens des comptoirs vers les plantations des Caraïbes. Aujourd'hui 40 000 Indiens vivent ainsi en Guadeloupe, 15 000 autres en Martinique et 2 000 en Guyane.

Sur la base de ces échanges historiques denses, d'une géographie originale de ces relations et celle d'une francophilie active, l'Inde a tout à partager avec la France. L'action de l'ambassade de France en Inde et les initiatives lancées ici avec nos partenaires indiens le démontrent pleinement. Plusieurs exemples illustrent bien ce constat.

L'action de la francophonie s'inscrit dans un contexte de bouleversement profond de l'Inde. Au début des années 90, l'Inde s'est ouverte à l'économie mondiale. Elle s'est depuis hissée au quatrième rang du classement mondial en termes de PIB. La croissance en rythme annuel atteint 8 %. Aujourd'hui, l'Inde est devenue une puissance incontournable, au même titre que la Chine. Sa démographie reste en pleine croissance. L'Inde s'affirme comme un « géant moderne » qui possède tout à la fois un système véritablement démocratique notamment au niveau de la liberté et de la qualité de la presse-, la puissance nucléaire et de grands centres de services à vocation mondiale.

Les relations politiques entre la France et l'Inde sont traditionnellement très bonnes. La visite du président Jacques Chirac dans le pays en janvier dernier l'a confirmé. Si ces relations sont aussi bonnes, c'est grâce à cette histoire commune riche, mais aussi et surtout grâce à un sentiment de francophilie très actif.

Le pays compte en effet une vingtaine d'Alliances françaises, plusieurs écoles et lycées français, et a mis au point de manière exemplaire avec la France une coopération universitaire et technique paritaire. L'originalité de ce dernier aspect tient en ce que les projets de coopération sont financés à hauteur de 50 % par les Indiens.

A Pondichéry, l'un des cinq comptoirs français, est installé depuis plus d'un siècle un institut français travaillant dans le domaine des sciences humaines avec l'AUF, l'Agence universitaire de la Francophonie. En effet, l'institut fait partie de la Confrasie, la Conférence régionale des recteurs des universités membres de l'Agence universitaire de la Francophonie en Asie-Pacifique. Ce réseau organise des échanges de chercheurs entre Pondichéry, l'Asie, le Liban et le Proche-Orient autour de thématiques modernes telles que la gestion de l'eau, le développement durable ou l'urbanisation. C'est une sorte de programme « ERASMUS francophone » qui a été mis en place à cette échelle. L'idée de la création d'un réseau universitaire d'échanges francophones semble d'ailleurs rencontrer un certain écho en ce moment.

Les industries culturelles et les médias sont tout aussi touchés par les bouleversements qui secouent l'économie en Inde. Grâce à Bollywood, son industrie cinématographique prospère. Il en va de même pour la télévision. L'ambassade de France l'a bien compris et a mis sur pied plusieurs projets de coopération audiovisuelle visant notamment la diffusion de programmes francophones :TV5 est présente en Inde et s'y développe, même si sa présence apparaît quelque peu limitée tandis que Canal France International s'est également implanté dans le pays.

La France et la francophonie ont certainement un rôle important à jouer dans cette époque de grands bouleversements. L'Inde possède de puissants réseaux dans l'Océan indien et les Caraïbes, même si nous ne connaissons pas bien la production culturelle de ces Indiens de la diaspora. Je veux cependant croire que la circulation d'oeuvres et d'artistes peut donner naissance à des projets singuliers et novateurs. Ceci permettrait de valoriser des échanges entre artistes français d'origine indienne et artistes indiens qui partent en résidence en France. Quelques initiatives ont déjà été entreprises sur ce thème par le passé. Le travail artistique sur la rencontre des imaginaires réalisé par Ariane Mnouchkine, Bartabas ou Peter Brook a prouvé ces dernières années à quel point le dialogue des cultures illustré par des projets culturels ambitieux pouvait engager une réelle dynamique d'échange. Il serait peut-être bon de les valoriser davantage et de les modéliser au moyen d'outils déjà existants.

Au moment où l'Inde s'apprête à célébrer les 60 ans de son indépendance en 2006-

2007, c'est toute une série de manifestations très importantes qui vont actualiser et accompagner ce dialogue des cultures, ces allers-retours entre la France, la Francophonie et l'Inde : par exemple lors des Foires du Livre de Calcutta, à Lille qui va vibrer à l'accueil des « Bombaysers de Lille », au Grand Palais qui accueillera une grande exposition de l'époque Gupta.

Pour sortir du syndrome de Duplex, c'est-à-dire cette timidité, cet oubli et ce manque d'assurance dans le dialogue franco-indien né après l'éclatement de la « campagne de l'Inde » à la fin du 18e siècle, il faut avec ces racines françaises et francophones en Inde

1.Partager la diversité culturelle et linguistique avec l'Inde

2.Inscrire la France et la francophonie dans le grand bouleversement économique et médiatique de l'Inde et profiter de l'explosion de la communication qui y a lieu

3.Connecter les réseaux franco-indiens dans les DOM-TOM et plus spécifiquement dans l'Océan Indien.

Il faudrait ouvrir les portes de cette mémoire, la revisiter sur son territoire métropolitain et ultra-marin, la reconnecter avec une présence française très importante en Inde, et par-là même renouveler dans l'espace public français un vrai dialogue - audelà des modes - avec l'Inde. Un vrai désir s'y exprime de part et d'autres - désirs de langue française, désirs de rencontres intellectuelles et artistiques. C'est une chance pour la France, et pour la francophonie.

Wallès KOTRA

Philippe Etienne, directeur général de la coopération internationale et du développement, va maintenant dresser un panorama plus général du réseau culturel de la France dans le monde.

Philippe ETIENNE

En tant que fonctionnaire et diplomate, mais aussi et surtout en tant que citoyen, je ne peux que constater à quel point la France est un pays mondial. Je n'emploie pas le terme de puissance à dessein. La France aujourd'hui fait figure de puissance moyenne. La France et le reste du monde apparaissent en fait intimement imbriqués. Il serait vain de s'en féliciter. Mieux vaut remercier le monde qui nous entoure et accepter avec grâce ce fait.

Alors que j'occupais le poste d'ambassadeur de France en Roumanie, j'ai été amené à prononcer en roumain un discours devant l'Académie roumaine. Ce fut l'un des moments les plus mémorables de mon passage à Bucarest. J'avais choisi pour thème ces Roumains qui ont fait la France. Au-delà d'Emil Cioran, on pourrait citer plusieurs dizaines, voire des centaines d'autres grands hommes. Certains, comme Constantin Brancusi ou Eugène Ionesco, sont bien connus. D'autres le sont moins. J'aurais pu tenir un discours comparable dans de nombreux autres pays. Des hommes de science ou de culture du monde entier ont fait la France telle qu'elle est aujourd'hui.

C'est cette réalité qui occupe le centre de notre débat aujourd'hui. Nous devons être conscients de nos racines. Ces racines nourrissent cet étrange objet que nous appelons notre identité. Elle se fait et se défait à la pointe extrême du présent, entre tradition revisitée et avenir à construire. Cette réalité se perçoit souvent mieux de l'extérieur que de l'intérieur.

Alors que le doute s'est installé chez les Français, qui craignent pour leur avenir, nous sommes confrontés à un intérêt inédit pour notre pays et notre langue. Partout dans le monde, la demande de français est en augmentation. Il suffit pour s'en convaincre de considérer le nombre d'inscriptions aux cours de français proposés par les instituts culturels français et les Alliances françaises. De même, les demandes d'inscription dans les lycées français connaissent une forte progression.

Rome n'a pas conquis la Grèce. En réalité, c'est la Grèce qui a conquis Rome. L'histoire nous enseigne qu'on est toujours conquis par ses conquêtes et que ces mixités sont les plus fortes et les plus fécondes. Nos racines nourrissent et nous obligent aussi, si nous nous tournons vers l'avenir. Mon poste de fonctionnaire et de diplomate me le rappelle en permanence.

Acteur parmi tant d'autres, comment le ministère des Affaires étrangères fait-il face à cette obligation ? J'ai parfois entendu qu'il n'avait au final aucune stratégie en la matière. C'est une erreur grossière. Sa stratégie se résume simplement en quelques mots : « la diversité culturelle en action ». Cette stratégie découle d'une philosophie et d'une idée, avant de se décliner en programmes, moyens et hommes. Un texte du Mahatmah Gandhi résume particulièrement bien la philosophie qui nous anime : « Je ne veux pas que ma maison soit fermée de tous les côtés et que les fenêtres en soient obstruées. Je veux que les cultures de tous les pays imprègnent ma maison aussi librement que possible, mais je refuse d'être emporté par l'une ou l'autre d'entre elles. »

Le concept de diversité culturelle nous guide, tout comme il guide actuellement la francophonie. Ceci nous a amené à lancer divers chantiers de par le monde.

En Afrique, nous avons mis sur pied le programme Afrique en créations. Il est géré par l'Association française d'action artistique. 5,9 millions d'euros ont été alloués à ce programme sur la période 2003-2006. En ce moment, dans ce cadre, se tiennent les Rencontres chorégraphiques de l'Afrique et de l'Océan indien. Cette manifestation représente une magnifique occasion de lancer des danseurs et des chorégraphes africains peu connus du grand public. Afrique en créations supervise également les Rencontres de la photographie africaine de Bamako, la Biennale d'art contemporain de Dakar et le Festival international des musiques nomades de Nouakchott. C'est aussi dans le cadre de ce programme que 300 oeuvres de 90 artistes africains ont été exposées à Beaubourg. Cette exposition nommée « Africa remix » associe quatre grands musées internationaux, à savoir ceux de Düsseldorf, Tokyo, Londres et Paris.

Les chorégraphes, photographes, sculpteurs et peintres africains associés à ce programme font émerger une nouvelle culture en France. En contrepartie, nous les aidons à présenter leurs travaux au monde entier. Nos centres culturels, si souvent vilipendés, leur apportent une notoriété qu'ils n'auraient pas connue autrement. Souvent, ces centres offrent leur première grande scène à des chanteurs africains et font office de première galerie pour certains photographes.

Sur le modèle du programme Afrique en créations, nous avons pour ambition de créer un programme Caraïbes en créations, à condition que des moyens budgétaires suffisants y soient alloués. Ce programme aurait pour vocation de mettre en lumière la formidable interaction entre nos cultures, celles des départements d'Outre-mer et celles des pays environnants.

Le Centre dramatique de l'Océan indien, installé à Saint-Denis-de-la-Réunion, a établi des passerelles avec les centres culturels et Alliances françaises de Maurice, de Madagascar et de Namibie. Il travaille de même avec l'Afrique du Sud et l'Inde.

Entre mars 2007 et mai 2008 sera organisée en Nouvelle-Zélande, à Auckland, Wellington et Christchurch, la saison néo-calédonienne. Elle s'accompagnera d'une campagne de communication qui offrira à la Nouvelle-Calédonie une place toute particulière. A cette occasion, nous mettrons l'accent sur les aspects qui la rapprochent de la Nouvelle-Zélande, autour de manifestations culturelles et sportives.

Comme pour chaque événement de ce type, nous essayons toujours de dégager des thèmes de coopération durable avec le pays hôte de la manifestation. Nous espérons donc pouvoir profiter de cette saison pour signer des accords avec la NouvelleZélande.

En Guyane, un nouveau projet a été lancé par le Fonds de solidarité prioritaire avec le Surinam. Il doit aboutir à la mise au point de modalités de coopération sur les questions scolaires, en partenariat avec le département. L'importante immigration dans la région trahit l'acuité de ce problème. Ce projet doit renforcer l'offre de services éducatifs au Surinam et la prise en compte de la diversité culturelle et linguistique des populations scolaires.

Dans ce cadre, des formations et un programme pédagogique communs ont vu le jour. Il permettra aussi la primoscolarisation en langue maternelle de nombreux enfants, l'apprentissage croisé du français et du néerlandais et le renforcement des capacités de formation au français langue étrangère. Ce programme doit démarrer fin 2006. Le budget qui lui sera alloué sur trois ans atteint 1,5 million d'euros.

En Asie du Sud-Est, nous essayons de renforcer les capacités du Viêt-Nam, du Cambodge et du Laos à mener des politiques de promotion du français. Dans cette optique, nous avons mis au point un programme qui vise à former un nombre croissant de francophones qualifiés capables d'intégrer le marché du travail. Pour cela, nous souhaitons tout d'abord consolider les programmes bilingues déjà existants dans les écoles, aider les formations initiales des enseignants de français et des enseignants de science en langue française et favoriser la régionalisation des filières universitaires au niveau des licences et des masters.

A ce propos, le répertoire 2006 des formations francophones à l'étranger vient d'être publié. Il démontre l'existence de filières francophones partout dans le monde. Les universités françaises à l'étranger y sont également recensées. A Erevan, en Arménie, l'université française compte 700 étudiants. Une autre est installée à Galatasaray en Turquie. Le président de la République vient également d'inaugurer l'université française d'Egypte.

Nous souhaitons développer les filières universitaires existantes dans les trois pays d'Asie du sud-est. Il est prévu d'injecter 3 millions d'euros sur trois ans dans ce programme. Il est mené en partenariat avec la Francophonie. Le partenariat est la modalité retenue pour d'autres types d'actions, comme le plan pour la langue française en Europe avec l'OIF. Cette dernière fait d'ailleurs pour nous figure de partenaire privilégié en Asie du Sud-Est. Nous menons également des actions avec la coopération belge et la coopération québécoise. En clair, nous sommes bien conscients que nous n'arriverons pas à atteindre seuls nos objectifs et que la francophonie ne se résume pas à la France.

Je ne peux que déplorer le relatif silence autour des initiatives qui visent à promouvoir la francophonie. J'appelle donc à une communication plus efficace et plus large sur notre action à tous pour la francophonie dans le monde. Nos programmes et nos opérations répondent à une philosophie claire, en vue de promouvoir la diversité culturelle.

Dans son dernier ouvrage, Dominique Wolton trace très clairement le chemin à suivre. Nous devons adopter une vision politique et positive de la francophonie. Projetons-nous dans l'avenir. La francophonie est une chance pour la mondialisation et la mondialisation est une chance pour la francophonie. Saisissons cette chance. Ne nous laissons pas emporter par un discours qui considère la francophonie comme un combat passéiste. Elle représente notre avenir commun, celui de la France et de tous les pays francophones.

Wallès KOTRA

Pour résumer cette intervention, Philippe Etienne nous appelle à dire haut et fort et à prouver par nos actes que la France est bien un pays aux racines mondiales. Pour prolonger cette réflexion, je vous propose d'écouter Fred Constant, professeur des universités et conseiller de coopération et d'action culturelle à l'Ambassade de France à Maurice.

Fred CONSTANT

Entre l'audace de l'universitaire et la prudence du diplomate, entre la lucidité du scientifique et le rêve du citoyen, entre l'expérience du terrain et l'engagement militant, je voudrais m'arrêter sur trois considérations.

La première a trait au titre même donné à cette table ronde, à savoir les racines mondiales de la France. Le terme racines ne me convient guère. Si les racines ont leur importance et leur intérêt, elles ont aussi le désavantage de nous plonger dans le passé. Dans son dernier essai, Daniel Maximin nous rappelait qu'à la réflexion, les fruits sont plus importants que les racines. Mieux vaudrait nous plonger dans une vision prospective et non rétrospective. L'avenir s'écrit maintenant.

La deuxième est empruntée à Edouard Glissant. Il affirmait que « l'identité ne procède pas de l'intolérance sacrée de la racine, mais bien plutôt de l'inquiétude de la relation ». Finalement, elle ne fait que renforcer ma première observation.

La troisième est le fruit d'un auteur quelque peu oublié, Edmond Jabès. Dans Le livre des questions, il écrit : « Ne te crois jamais arrivé, car partout, tu es un voyageur en transit. »

A la lumière de ces trois réflexions, il apparaît évident que la France culturelle et mondiale est toujours en construction. Elle tisse en permanence son identité. Le problème réside dans le fait qu'elle n'en a pas suffisamment conscience et qu'elle en tire finalement peu de fierté. En réalité, lorsque cette intuition lui traverse l'esprit, elle refuse de l'admettre. Elle s'obstine à ne pas tirer toutes les conclusions de ce mouvement incessant. Face à elle-même, elle doit s'interroger sur son identité et sur le sens d'être Français aujourd'hui. Face aux autres, elle doit s'interroger la manière de dialoguer avec les autres cultures, sans pour autant renoncer au partage de références communes.

Je souhaite émanciper la francité pour mieux émanciper la francophonie. En réalité, l'enjeu réside dans le passage d'une politique de tolérance de la diversité et de la mondialité française à une politique assumée de reconnaissance de cette diversité et de cette mondialité.

Je n'ai pas la prétention de pouvoir éviter tous les pièges d'une discussion aussi serrée que nécessaire. J'ai par conséquent choisi le piège dans lequel je tomberai. Plutôt que d'évoquer la mondialité de la France dans ses confins, je préfère parler ici de la mondialité de la France en France même.

Je ne peux que constater un hiatus entre la politique de rayonnement de la France à l'extérieur et le traitement réservé à la diversité culturelle sur le territoire national. Ce contraste entre notre attitude ouverte à l'extérieur et frileuse à l'intérieur n'est pas propre à la France. La première a abouti récemment à une victoire à l'UNESCO, au travers de la signature de la Convention sur la diversité culturelle. La France a joué un rôle prépondérant dans ce combat. La seconde aboutit bien souvent à mettre en exergue la réussite individuelle de quelques-uns, pour mieux faire oublier le sort réservé au groupe dont ils sont issus, souvent l'outre-mer.

Je pense que les outre-mer nous offrent sur la question de la diversité un laboratoire peu exploré jusqu'à présent. L'articulation des diversités est à la fois un enjeu politique majeur au plan international et une question à l'importance croissante au plan national.

Ce hiatus entre individuel et collectif nous amène à plaider pour un déplacement des frontières entre le « eux » et le « nous » au sein de la francité. Notre pays souffre d'une géographie mentale un peu étriquée. La francité se réduit bien souvent dans nos esprits à l'Hexagone. Un tel traitement est injuste. C'est oublier un peu tôt l'incroyable richesse de toutes ces généalogies culturelles. Ces dernières tissent d'improbables mais riches cousinages à travers le monde. Elles portent une promesse d'avenir étonnante à l'heure d'une mondialisation qui fait voler en éclat les frontières du national et de l'international.

Le « rang » des pays se joue en ce moment à l'international. Dans cette perspective, la France aurait tout intérêt à élargir le champ référentiel de son imaginaire et de ses échanges. Pour l'heure, il tend à se limiter à l'Hexagone. Nous ne comptons plus les rendez-vous manqués avec l'outre-mer. Ces laboratoires de la diversité culturelle et confessionnelle ont pour leur part entamé un travail intense sur ces thèmes voilà plusieurs dizaines d'années.

Il est triste de constater que des questions de visas ont empêché les Français du lointain d'entrer dans l'Hexagone. Certes, au cours des dernières années, de nombreux efforts ont été réalisés. Il n'en reste pas moins que d'autres encore restent à accomplir. Trop souvent, les stéréotypes archaïques et tenaces viennent gifler ceux qui sont passionnés par la France et qui entretiennent une forte demande de Français.

Les racines de la mondialité française constituent un potentiel extraordinaire. Il reste insuffisamment exploré et, a fortiori, exploité. Trois facteurs expliquent cet état de fait. Le premier naît dans une arrogance souvent inconsciente. Elle induit une conception eurocentrique de nos identités et appartenances nationales. Le second puise sa force dans une définition ethnique du Français authentique contre les Français de la diversité. Cet emploi du terme de diversité vient remplacer dans les discours celui de périphérie. Il oppose un noyau dur à des noyaux mous. Le troisième réside dans une incapacité à s'affranchir du francocentrisme et de son corollaire, à savoir le provincialisme intellectuel.

Comment sortir de cette impasse ? Malgré les efforts consentis, nous voyons notre voilure internationale se réduire, contre toute logique. La diminution de nos moyens n'est cependant pas sans vertus. Il est à espérer que nous parviendrons à faire mieux avec moins. Pour cela, nous devons déployer nos efforts dans trois directions précises :


· accroître la visibilité des racines mondiales de notre pays ;


· renforcer la légitimité des fruits de son arborescence ;


· s'engager dans une véritable politique de relation.

De même, un triple investissement doit être réalisé. Le premier vise les hommes et les femmes. Nous devons leur offrir une formation ouverte et véritablement multiculturelle. Nous devrons commencer par dissocier ce dernier adjectif de la notion de communautarisme, agitée comme un épouvantail. Le second investissement doit se traduire par un effort pour la circulation des jeunes dans les deux sens. Le troisième doit aboutir à la valorisation des expériences de cohabitation et de gestion culturelle, plus particulièrement dans le domaine de la création interculturelle.

Enfin, je pense qu'il serait bon que nous tous militions pour une dynamique culturelle de la mondialité, de la francité et de la francophonie.

Wallès KOTRA

Christiane Taubira, députée de Guyane, ancienne députée européenne et candidate à la présidentielle, est à l'origine d'une loi de 2001 sur la reconnaissance de l'esclavage comme un crime contre l'humanité. Comment voyez-vous ces racines mondiales de la France ?

Christiane TAUBIRA

Le terme de racines mondiales de la France reste à mon sens pertinent. Il s'agit d'un fait, qui peut être considéré sur une base géographique et institutionnelle. Dans une approche dynamique, il traduit bien à quel point la culture, la philosophie, l'économie et l'organisation sociale françaises sont imprégnées de ce qui lui est venu du reste du monde.

Il ne suffit pas de constater que la France possède effectivement des racines mondiales. C'est aussi le cas de toutes les puissances européennes qui ont participé aux deux entreprises coloniales. Au-delà, les outre-mer témoignent pour la France de son enracinement dans le reste du monde. La France est aujourd'hui présente dans les Caraïbes, avec la Martinique et la Guadeloupe, en Amérique du Sud, avec la Guyane, l'Amérique du Nord avec Saint-Pierre-et-Miquelon, l'Océan indien, avec Mayotte et la Réunion, et le Pacifique, avec Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie. Ces territoires assurent son rayonnement sur tous les continents et dans les océans.

Ces territoires sont les témoins des vagabondages de la France dans le monde. Plus encore, elles nous rappellent l'existence de relations fortes entre ces entités et la France. Ces relations dialectiques, dynamiques et conflictuelles étaient bel et bien bilatérales. Les outre-mer sont marqués par ce contact avec la France, tout comme la France porte encore en elle les traces de ces contacts dans sa gastronomie, ses danses ou encore son vocabulaire.

Ces réflexions nous amènent à nous interroger sur la légitimité de la France à prétendre à l'universel. En ce qui me concerne, le concept d'universalité m'est cher. Il permet d'étendre notre horizon, alors que d'autres préfèrent veiller sur leurs frontières avec la ferme volonté de n'en pas sortir. Cependant, on ne peut accéder à l'universel qu'en étant bien enraciné dans sa terre. C'est la raison pour laquelle je concentrerai ma réflexion sur ma terre, l'Amazonie, les outre-mer et la France.

La génération des citoyens d'outre-mer à laquelle j'appartiens est tourmentée. La France aurait tout intérêt à prendre en considération ces tourments. Ils sont porteurs d'interrogations sur la France et sa capacité de déploiement dans le monde. Ils reflètent une nature par certains côtés schizophrènes. Nous nous demandons pourquoi en 1946, alors que le reste de l'Empire choisissait l'indépendance et se révoltait, nos grands élus ont choisi en notre nom la départementalisation. Ces géants avaient pour nom Aimé Césaire, Raymond Vergès, Rosan Girard et Gaston Monnerville. En réalité, ce choix est en relation avec l'antagonisme issu de l'histoire. La deuxième abolition de l'esclavage en 1848 avait fait des habitants de l'outre-mer des citoyens. Ces hommes durent cependant rester colonisés pendant un siècle encore. Alors que les libres de couleur voulaient accéder à la promotion sociale par la voie de l'éducation, ils voyaient se dresser face à eux des barrières, notamment économiques, qui les empêchaient d'atteindre leur but.

Le choix de la départementalisation peut s'expliquer dans un tel contexte, même si certains restent attachés à la voie prônée par Paul Valentino. Les habitants de l'outremer sont ainsi travaillés par des interrogations identitaires sur leur rapport avec la France. Ces questions devraient aussi faire réfléchir la France.

Les espaces politiques ont été configurés en 1946 pour les outre-mer. Beaucoup d'entre nous portent encore la blessure de n'avoir pas connu une décolonisation grandiose. Les départements sont des zones grises où la décolonisation n'a pas eu lieu et où le statut spécial rend difficile l'assimilation pleine et entière. Nous appliquons d'une part l'identité législative et demandons souvent d'autre part le respect des spécificités et des singularités. Il est important de reconnaître cette attitude ambivalente, afin d'en sortir au plus tôt.

Nos relations économiques restent marquées par l'époque coloniale. Elles ont conservé une nature verticale. Nous sommes donc pleinement tournés vers l'Europe. Ceci dit, ce type de relation se retrouve aussi chez les pays décolonisés. Les secteurs d'activité sont étanches les uns par rapport aux autres. De plus, nous restons dépendants de centres de décision extérieurs. Tous ces facteurs constituent autant de handicaps pour notre économie.

L'économie informelle est regardée avec mépris, parce qu'elle échappe aux chiffres. Elle représente cependant jusqu'à 40 % de la création de richesses. Elle est donc loin d'être marginale. Souvent, dans d'autres pays, en dehors de l'Etat, des sociétés entières parviennent à développer une économie de subsistance. Ce fait ne peut que poser question à la France. Quel regard porte-t-elle sur ces pays du Sud, dont les systèmes de développement échappent à l'économie marchande ?

Nous organisons de temps à autre des manifestations internationales. Elles ne sauraient suffire à ensemencer les espaces culturels. Ceci s'explique par le fait que l'économie marchande à elle seule ne peut véhiculer seule le lien social.

La francophonie n'est pas portée uniquement par la France, bien au contraire. Elle souffre tout de même de plusieurs handicaps qui ne sont pas inhérents à son existence mais qui procèdent de son mode de fonctionnement depuis 30 ans.

Victor Ségalène écrivait à la fin du XIXe siècle : «Le divers rétrécit. Telle est la menace.» Sur la question du divers, la francophonie est une supercherie. Lorsqu'elle déclare francophones des territoires créolophones, lorsqu'elle fait de même avec des pays où les langues natives sont vivaces et vernaculaires, elle s'adonne à une supercherie, à moins que la francophonie soit l'affaire des élites et non des peuples. En employant le terme de supercherie, je suppose qu'elle est de bonne foi. Si cela n'était pas le cas, j'emploierais le terme d'imposture.

J'éprouve un plaisir sensuel et spirituel à parler français. Cette langue, que l'on présente comme celle des cartésiens, danse et chante. Cette langue doit être promue. Il n'en reste pas moins que la Guyane est créolophone. Une telle remise en cause mérite certainement un débat.

Du point de vue de la justice et de la solidarité, je ne pense pas que la francophonie soit parvenue à démonter les préjugés tenaces sur le Sud. Elle n'a pas non plus réussi à apparaître comme un lieu d'irrigation de la diversité. Lorsque j'évoque ici le terme de diversité, je ne le restreins pas à la seule diversité culturelle. Je l'étends aussi à la diversité des réponses à des questions telles que le développement des pays du Sud.

En ce qui concerne le maintien de la paix, la francophonie n'a pas pu démontrer une valeur ajoutée vis-à-vis d'autres institutions internationales, multilatérales ou régionales comme l'ONU. En effet, des conflits ensanglantent régulièrement des pays francophones.

La question de la religion laisse transparaître une autre limite de la francophonie actuelle. Cette institution pourrait pourtant devenir un espace de discussion autour des questions religieuses. Elle pourrait faire émerger le concept d'une laïcité imprégnée des données culturelles locales qui permettrait aux institutions publiques de prendre des distances avec les confessions.

Par ailleurs, la francophonie n'a pas suffisamment exploité le rapport entre la culture, les sciences et l'économie. La faible progression du tourisme patrimonial illustre bien ce fait. Ce secteur d'activité représente le support physique du dialogue et de la rencontre entre les cultures. La francophonie est pourtant vivante, vibrionnante et dense sur le plan culturel.

Enfin, la francophonie n'est rien d'autre qu'un conglomérat d'Etats, avec les pesanteurs que les conglomérats d'Etat présentent tous. Des considérations géopolitiques, diplomatiques, économiques ou commerciales fournissent le prétexte à des arrangements avec la démocratie.

Il serait bon que la francophonie développe un espace citoyen, permettant à des représentants de citoyens et non d'Etats de s'exprimer. Elle doit aussi s'engager sur des voies plus audacieuses. Elle pourrait ainsi décider de la restitution d'objets d'arts à certains pays du Sud. A la fin de l'année, nous célébrerons le centenaire de la mort de Béhanzin. L'ancien royaume du Dahomey organise d'importantes festivités à cette occasion. La France pourrait en profiter pour faire un geste symbolique en rendant au Bénin les objets d'art qui appartenaient à Béhanzin. Un tel geste pourrait précéder l'avènement d'une politique efficace de lutte contre les trafics.

En matière d'éducation, elle devrait encourager la rédaction de manuels pédagogiques ou de vulgarisation communs au Nord et au Sud. Cela vaut bien évidemment pour l'histoire, mais aussi pour les sciences humaines et sociales. Dans le domaine de la santé, la francophonie pourrait inscrire comme maladies prioritaires les fléaux qui ravagent le Sud, tels que le paludisme, le SIDA, la drépanocytose, le chikungunya ou encore la dengue. Elle pourrait en outre contribuer à la réhabilitation du savoir empirique du Sud. Après avoir valorisé ces connaissances, elle pourrait s'attaquer au pillage de ce savoir organisé par les grands groupes pharmaceutiques du Nord et les sciences sociales.

Le partage du savoir scientifique reste un enjeu de taille pour cette institution. Elle devrait dans un premier temps s'atteler à reconnaître les contributions locales au savoir scientifique. La France, par le biais de l'ORSTOM puis de l'IRD, effectue depuis plus de six décennies des recherches dans les régions tropicales. Si le mérite de ses chercheurs est indéniable, celui des autochtones qui les ont guidés ne l'est pas moins. Il est temps de partager ce qui a été construit ensemble. Ce travail de recherche génère aujourd'hui des revenus importants par le biais de l'ingénierie.

En matière de commerce, la francophonie est restée silencieuse sur l'Accord général sur le commerce des services (AGCS) tout comme au sujet de l'Accord multilatéral sur les investissements (AMI), qui met en péril les grands services publics. Le développement des échanges Sud-Sud doit également être inscrit au rang des priorités de la francophonie. Ce développement passe par une logistique d'échanges pour l'heure inexistante. Plusieurs grands bassins économiques sont fragilisés par des Conventions internationales entre les pays du Nord et les pays du Sud. Ces textes figent l'économie de ces pays autour de produits vulnérables face à la spéculation.

Entreprendre un tel travail exige un certain courage. Toutefois, face à cela, au travers de ces quelques mots, Aimé Césaire nous donne envie de respirer le monde : « Il y a encore une mer à traverser / oh ! encore une mer à traverser / pour que j'invente mes poumons ».

DÉBAT AVEC LA SALLE

Un participant

J'anime une association pour l'amitié entre la France et Pondichéry. Né à Pondichéry, je suis arrivé à La Réunion voilà une trentaine d'années. A mon arrivée, les ethnies portaient des noms très différents de ceux qui sont employés habituellement aujourd'hui. Les Indiens étaient appelés « Coolies » ou « Malabars ». Les Africains étaient surnommés les « Cafs ». Les Indiens musulmans, souvent appelés « Arabes » bénéficiaient d'une certaine considération, parce qu'ils avaient la peau blanche et étaient commerçants.

L'Inde ne veut pas faire partie de la francophonie, même si l'existence de Pondichéry lui offre le droit d'y entrer. Cette institution a besoin de retrouver ses racines militantes et ne doit pas demeurer un espace réservé aux hauts fonctionnaires et aux spécialistes.

Un participant

La lecture du numéro de novembre et décembre 2004 du magazine francophonie

Actualités m'a outré. Il y est écrit : « La Tunisie de Ben Ali a donc tenu, tient actuellement et tiendra encore longtemps le coup dans un climat de sérénité, de sécurité, de stabilité et d'expansion, où le pluralisme politique, fierté d'une Tunisie avant-gardiste, avait déjà commencé à oeuvrer librement pour le bien de cette nation. »

Une participante

Je suis vice-présidente de l'Association francophone d'amitié et de liaison. Nous publions chaque année un annuaire des jumelages. Nous organisons par ailleurs le concours des dix mots de la francophonie, dont les prix sont remis chaque année dans les Salons de l'Assemblée nationale.

Je remercie par ailleurs Christiane Taubira de parler de « deuxième abolition de l'esclavage ». En effet, nous oublions trop souvent que c'est Léger Félicité Sonthonax qui est a mis fin le premier à cette pratique en Haïti, avant tout autre pays.

Gérard SAINT-PAUL, journaliste

Je suis à la tête du projet CFII. Cette chaîne sera diffusée simultanément sur deux canaux parallèles. L'un sera à 100 % français, en direction de tous les pays francophones via le satellite. Les programmes du second seront à 75 % en langue anglaise. Quelques émissions en français seront diffusées tard le soir, afin que l'Amérique du Nord puisse entendre des sonorités françaises.

Si nous avons décidé d'utiliser également l'anglais, c'est pour pouvoir porter les valeurs de la République française et de la francophonie, à savoir la diversité, la tolérance et l'ouverture, au-delà du seul espace francophone.

Les visages à l'antenne reflèteront bien cette diversité. Nous avons commencé le recrutement et je peux vous confirmer qu'il ne se borne pas à l'Hexagone. J'espère que nos caravanes ne seront pas belles comme l'Antique, mais belles comme la modernité.

Un participant

Je suis calédonien et je ne peux que déplorer que la francophonie ne fasse que si peu appel aux DOM-TOM. Dans le Pacifique, la réalité francophone ne se limite pas à la présence de quelques ambassadeurs, attachés et représentants de l'Alliance française. Les 500 000 habitants des territoires français constituent le vrai bataillon de la francophonie dans la région. Ils parlent la vraie langue française avec tous ses accents. C'est nous qui enrichissons cette langue. Pourtant, la francophonie nous écarte. Dans le Pacifique, seul Vanuatu détient le statut de membre de la francophonie, au contraire de Wallis-et-Futuna, de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie.

Je tiens à rappeler qu'une grande partie de nos grands écrivains, à l'image de Maryse Condé, Edouard Glissant ou encore Elie Stephenson, enseignent dans les universités américaines. Ce constat va certainement à l'encontre des beaux discours de principe qui ont été prononcés. Nous pourrions nous inspirer de cet exemple. Dans les pays anglophones, des personnes oeuvrent au rayonnement de la francophonie. Enseignons cette littérature à nos jeunes, afin qu'ils prennent conscience du fait que la francophonie est bien une valeur mondiale. De même, les Australiens et les NéoZélandais étudient bien plus en profondeur la société calédonienne que les chercheurs de l'Université française du Pacifique.

A propos de Jean-Marie Tjibaou, François Mitterrand disait : « Avec lui, les mots vont plus loin que les maux ». Il faisait référence à ses mots français et non à ses discours dans sa langue natale. Ceci démontre qu'un homme qui a porté l'identité et les langues kanak au plus haut pouvait aussi transcender la langue française. Je crois que cet exemple donne un sens nouveau à l'expression « les racines mondiales de la France ».

Un participant

Je voudrais pointer quelques dysfonctionnements qui illustrent la frilosité de l'Hexagone face à ses racines mondiales. Je suis professeur de littérature d'expression française. A ce titre, je travaille plus particulièrement sur les littératures américaines et antillaises.

Voilà quelques années, dans le cadre de la formation continue, nous avait été dispensé un cours sur les littératures de la francophonie à l'Université de Créteil. Ce cours, plus particulièrement destiné aux enseignants de la région parisienne, s'articulait autour d'intervenants spécialistes de la littérature acadienne, québécoise, antillaise, africaine ou encore océanienne. Il avait rencontré un franc succès, aussi bien par le nombre d'inscrits que par leur assiduité. Ces professeurs de la banlieue, pour une grande partie, y trouvaient un moyen d'initier un dialogue avec leurs élèves originaires des régions étudiées dans le cadre de ce cours.

En 2001, ce cours d'initiation à la francophonie avait disparu. Après quelques investigations, il m'a été répondu que la francophonie ne faisait plus partie du cahier des charges de l'Université de Créteil. J'ai écrit à mon ministre de tutelle à ce sujet. Je n'ai pour l'heure reçu aucune réponse.

Un participant

Je suis conseiller à la francophonie au sein du groupe de réflexion politique Galilée. Christiane Taubira distingue la francophonie des peuples et celle des élites. Souvent, dans les débats sur la francophonie, chacun se réfère à une série de grands écrivains, tels Léopold Sédar Senghor. Ceci pourrait nous amener à oublier à quel point Corneille, Youssou N'Dour et d'autres artistes de la chanson ont un impact fort sur la jeunesse en particulier. Ils donnent un visage plus jeune, plus vivant et peut-être moins élitiste à cette francophonie.

Ashok ADICEAM

Pendant huit mois, les 450 manifestations du festival francophone s'attacheront à démontrer la modernité de la francophonie. Les 2 000 artistes qui y participent incarnent les visages des cultures de l'espace francophone. Pendant le Salon du livre, nous avons reçu 40 auteurs. Pour la plupart, il s'agissait d'auteurs jeunes et peu connus du grand public. Ce fut une véritable réussite médiatique et commerciale. Restera ensuite à faire vivre cette réalité en France au quotidien.

Un participant

La francophonie peut-elle bien être considérée comme un outil pour lutter contre la mondialisation ? N'est-ce pas plutôt le concept de mondialisation qu'il faudrait approfondir ? En quelques années, la langue française risque de se muer en langue vernaculaire. Il suffit pour s'en convaincre de voir la pression de l'anglais dans le monde de l'entreprise. Bientôt, les brevets ne seront plus rédigés qu'en anglais. C'est la mondialisation qui est au coeur de ces mutations. Elle fera d'ailleurs l'objet d'un colloque qui sera organisé en octobre prochain.

Un participant

Je me suis réjoui de vous entendre évoquer Pondichéry. Il est rare d'entendre parler de ces territoires qui ont perdu leur souveraineté dans les débats portant sur la francophonie. Je voudrais aussi citer dans le même ordre d'idées le Val d'Aoste, la Nouvelle-Angleterre ou encore la Louisiane, qui compte 250 000 francophones.

Dominique WOLTON

La question des brevets nous met face à une véritable difficulté d'ordre politique. Autant nous savons que la défense de la diversité culturelle peut aboutir à l'émergence de nouvelles industries culturelles, autant nous ne faisons pas suffisamment le lien entre économie et industries de la connaissance, c'est-à-dire les systèmes d'information, les bases et les banques de données ainsi que les brevets. Ces industries subissent une anglicisation accélérée, mais nous n'avons pas encore réalisé à quel point les enjeux financiers sont importants. Il appartient aussi aux hommes politiques de participer à cette prise de conscience.

De même, dans le domaine d'Internet, l'enjeu majeur réside dans l'éducation. Certains voudraient faire croire à cette idée fausse mais séduisante que les professeurs sont trop coûteux, bureaucrates, gauchistes et archaïques et qu'il vaut mieux les remplacer par des systèmes interactifs individualisés. Ce serait alors le plus grand marché mondial qui s'ouvrirait ainsi. Cette question reste largement ignorée, alors qu'elle est tout aussi importante que celle de la concentration de l'industrie cinématographique aux Etats-Unis.

L'Europe doit se mobiliser sur ces sujets, mais elle se trouve aujourd'hui empêtrée dans une idéologie libérale qui l'empêche d'agir. Nous devons donc nous mobiliser pour contraindre les industries de la connaissance à respecter le principe de la diversité. Aujourd'hui, les entreprises multinationales refusent de recourir aux tribunaux internationaux, jugés trop complexes. Elles leur préfèrent les procédures d'arbitrages, inspirées du droit anglo-saxon. De fait, le droit romain recule. Cela traduit un effondrement mental et culturel. Les juristes ne se battent pas sur cette question, car le droit des affaires est d'inspiration anglo-saxonne et jugé à ce titre moderne.

Un participant

Si le protocole de Londres venait à être appliqué, tous les brevets en langue française seraient amenés à disparaître. Certaines entreprises s'y préparent déjà.

Jacques LEGENDRE

Votre vision du protocole de Londres me semble quelque peu erronée. Ceci dit, ce dossier demande une réaction de notre part.

Victorin LUREL

Au regard des débats, nous comprenons que la francophonie apparaît aujourd'hui comme un fait et une réalité incontournable. Cette réalité est dynamique et prend racine aux quatre coins de la planète. La Louisiane, le Val d'Aoste, le NouveauBrunswick, Pondichéry, Chandernagor, Karikal, Yanaon et Mahé ne peuvent être écartés de ce grand ensemble.

Cette réalité est confrontée à l'imperium de l'anglais. Nous ne devons pas nourrir de complexe. Nous ne devons pas nous placer en position défensive et avoir peur face à cette langue quelque peu envahissante. L'attitude du président Jacques Chirac face à Ernest-Antoine Seillière est à cet égard hautement symbolique.

De même, beaucoup de Français n'acceptent pas de voir leur langue malmenée, déformée et prononcée avec des accents éloignés de l'accent francilien. Pourtant, ce sont ses usages qui donnent au français sa richesse.

Au-delà, nous ne saurions nous contenter d'un simple combat pour la langue. La francophonie représente bien plus que cela. Le français est plus qu'une langue véhiculaire. Il porte en lui des valeurs. Nous aspirons à une certaine spiritualité dans la francophonie. Nous réclamons une vision et une Weltanschauung. Certains objecteront que c'est beaucoup demander. Si elle se contente de s'insérer dans la mondialisation actuelle et qu'elle met un genou à terre face à la marchandisation, elle aura échoué dans son ambition d'apporter une valeur ajoutée au monde. Elle pourrait pourtant apporter ce supplément d'âme. Nous ne pouvons que féliciter les femmes et les hommes qui mènent ce combat pour notre langue.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page