"La mondialisation, une chance pour la francophonie"

Colloque au Sénat les 27 et 28 avril 2006, organisé par francofffonies !

TABLE RONDE 3
LES RÉSEAUX HUMAINS

Le débat est présidé par Bruno BOURG-BROC, député de la Marne, président délégué de la section française de l'APF.

Il est animé par Xavier LAMBRECHTS, directeur adjoint de l'information de

TV5Monde.

Participent à cette table ronde :

Félix BIKOI, président de la Fédération des professeurs de français d'Afrique et de l'Océan indien, membre du Haut Conseil de la Francophonie,

Jean-Pierre de LAUNOIT, président de l'Alliance française,

Michèle GENDREAU-MASSALOUX, recteur de l'Agence universitaire de la Francophonie,

Jean-Paul HUCHON, président du Conseil régional d'Ile-de-France, Pierre LOUETTE, président-directeur général de l'Agence France Presse.

Xavier LAMBRECHTS

Bruno Bourg-Broc est, depuis 1995, maire de Châlons-en-Champagne. Il a occupé le poste de président de la Commission des Affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale. Il est aujourd'hui à la tête de la Fédération des maires des villes moyennes. En tant que président de séance, il va maintenant s'attacher à décrire les enjeux de cette table ronde.

Bruno BOURG-BROC

Derrière le terme de réseaux humains de la francophonie, se cachent en réalité l'ensemble des acteurs individuels et institutionnels qui se donnent pour but de participer au développement et à la promotion de la francophonie. Les enseignants, les universitaires, les journalistes, les parlementaires, les élus, les entrepreneurs et les professionnels de la culture sont autant de porte-parole de la francophonie. Chacun de ces réseaux est vecteur de savoir et porteur d'une dynamique. Au travers de cette table ronde, nous essaierons de distinguer comment lier entre eux ces réseaux, afin qu'ils travaillent ensemble. Cet objectif n'est pas simple à atteindre.

Au travers d'une prise de conscience de l'importance de la diversité culturelle, est apparue la nécessité de valoriser ce formidable atout que représente la francophonie, et, par la même occasion, le mode de pensée et d'action qu'elle véhicule. Dans ce cadre, l'existence des réseaux forts structurant le monde francophone prend toute son importance.

Il est temps de nous pencher sur le diagnostic des forces et des faiblesses de ces réseaux. C'est ainsi qu'ils gagneront en efficacité. Pour sa part, la France se mobilise, sur le plan humain comme sur le plan budgétaire, pour maintenir et développer ses atouts uniques, à savoir des médias audiovisuels internationaux et une présence journalistique, culturelle, universitaire, scolaire et scientifique de qualité. Le fait de tisser des liens entre ces différents réseaux permettra d'accroître la puissance et la visibilité de la francophonie.

Mon expérience dans le domaine politique m'amène à bien connaître le réseau des parlementaires francophones dans le monde, regroupés au sein de l'Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF). Je ne peux d'ailleurs m'empêcher de remarquer que les travaux préparatoires à ce colloque ne font que peu de cas de l'action de cette assemblée. Pourtant, j'ai pu constater que, chaque fois que nous le faisons, nous avons raison d'affirmer que nous sommes francophones.

L'APF n'est en rien une instance de discussion comme les autres. A l'origine, elle rassemble des parlementaires amoureux de la langue française et désireux de se battre pour le rôle international du français en partage. Peu à peu, elle s'est muée en une instance militant en faveur du respect des droits de l'homme dans les pays de la francophonie et pour une juste mise en pratique de la démocratie parlementaire.

Nous savons à quel point liberté politique et démocratie parlementaire sont intimement liées, tout comme la liberté politique est liée à la justice sociale et au développement économique. Ces problèmes constituent donc le quotidien de la réflexion de cette assemblée. Les débats et les rencontres qui en résultent nous enrichissent mutuellement. Ils favorisent en outre la compréhension mutuelle et la confrontation d'idées.

Je regrette cependant que cette instance ne dispose pas de plus de visibilité. Progressivement, notre travail sur l'organisation nous permet de gagner en sérieux et en crédibilité. Ainsi, nous affirmons que la francophonie est aussi une puissance politique.

Les fonctionnaires internationaux francophones constituent un second exemple de réseau, avec lequel je suis familier. J'ai eu l'occasion l'an dernier de rédiger pour l'APF un rapport sur l'usage du français dans les institutions internationales. Je me suis intéressé notamment à l'Union africaine ainsi qu'à l'ONU et, en son sein, à l'UNESCO. Cette étude m'a amené à dresser le constat inquiétant du recul du français, en dépit du fait qu'une partie du personnel de ces instances est francophone.

Si le français reste présent dans les hautes sphères de l'ONU, il se fait de plus en plus discret à la base. Bien souvent, il nous est répondu que les traductions sont onéreuses et que la plupart maîtrisent aujourd'hui l'anglais. En quelque sorte, la réintroduction du français ne viendrait que compliquer le fonctionnement de l'institution. Il est du ressort des fonctionnaires francophones de se battre et de mettre en avant leur langue. Aujourd'hui, des francophones et des français refusent d'utiliser leur langue par effet de mode ou sous le prétexte de la commodité. L'heure est grave. Il est temps pour nous d'agir et de multiplier les rencontres du type de celle à laquelle nous participons aujourd'hui.

Dans un article publié récemment, Hélène Carrère d'Encausse écrivait : « Comment ne pas être consterné en constatant en ce début de siècle que 14 % seulement des discours prononcés devant l'Assemblée générale de l'ONU le sont en français, alors que plus de la moitié le sont en anglais ? Ce recul est d'autant plus scandaleux que, depuis 1946, l'ONU a accueilli un grand nombre d'Etats francophones, africains en majorité. Mais leur entrée massive dans l'organisation, loin d'améliorer la situation du français comme langue de travail, n'a même pas pu freiner son recul. A ce point, il faut remarquer que l'emploi d'une langue dans une organisation internationale dépend en partie de ses fonctionnaires. Or les français ou les francophones ont tendance, dans les instances européennes ou à l'ONU, à capituler devant un mouvement favorable à l'anglais, parce qu'ils le croient irréversible. En définitive, la même absence de courage, d'attachement au français caractérise le comportement de nos compatriotes à l'intérieur de notre pays et dans la vie internationale. Qui assurera alors l'avenir de notre langue ? Qui convaincra les pays francophones, eux aussi menacés par la déferlante anglaise de s'arc-bouter au français et à leur propre langue, au lieu de s'abandonner au tout anglais ? C'est à nous de le faire. »

Le monde francophone est organisé, présent sur les cinq continents et traversé par les flux de la mondialisation. Il apparaît par conséquent indispensable que la francophonie prenne le train de la globalisation pour défendre la diversité contre la standardisation à l'oeuvre. Dans l'idéal, la francophonie doit garder pour objectif d'humaniser les échanges internationaux. Chacun des intervenants de cette table ronde représente l'un des réseaux humains qui constitue la richesse de la francophonie.

Xavier LAMBRECHTS

Originaire du Cameroun, Félix Bikoï préside la Fédération des professeurs de français d'Afrique et de l'Océan indien. Il est également le doyen de la Faculté des lettres et sciences humaines de l'Université de Douala. Il est en outre membre du Haut Conseil de la Francophonie.

Félix BIKOI

Alors que les réseaux associatifs réalisent de toute évidence un travail formidable, il semblerait qu'ils organisent eux-mêmes parallèlement leur invisibilité. Trois explications peuvent être avancées. Le manque de médiatisation constitue la première d'entre elles. La deuxième réside dans la centralisation bureaucratique dont ces réseaux sont victimes. La troisième se vérifie plus particulièrement en Afrique. La francophonie souffre souvent de la mauvaise image de la France et des Français, auprès des élites comme auprès de la population.

Pour sortir de cette impasse, il serait avant tout nécessaire de transformer ces réseaux institutionnels et professionnels en réseaux humains. Cette mutation implique une opération de restructuration de l'intérieur et l'instauration d'un partenariat entre acteurs locaux et internationaux. Dans L'éthique à Nicomaque, Aristote remarque que l'amitié n'est possible qu'entre égaux. Par conséquent, des réseaux établis de manière inégalitaire ne sauraient être que faibles.

La meilleure insertion de ces réseaux dans le milieu dans lequel ils opèrent fait également figure de nécessité. Je ne peux que déplorer l'arrogance de certains acteurs, plus particulièrement en Afrique subsaharienne. Certains Français se comportent mal et ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire pourrait se reproduire dans d'autres pays d'Afrique francophone. Une telle attitude vient compromettre le travail de ces réseaux, car, lorsque les aides s'accompagnent du mépris, leur impact est faible.

Les réseaux qui agissent concrètement sur le terrain doivent réaliser que le savoirfaire et le « faire-savoir » sont indissociables. Dans certains pays d'Afrique francophone, moins de 20 % de la population maîtrise en réalité le français. Seules les élites et les classes supérieures ont accès aux informations. Par conséquent, pour se faire connaître et faire connaître son action, il faut entrer dans le jeu de la médiatisation et, plus concrètement, ne pas hésiter à fêter les anniversaires des réseaux. Ainsi l'IRD a récemment fêté pendant une semaine les 30 ans de relations entre cette institution et le Cameroun. A cette occasion, une grande exposition a été organisée à Yaoundé sur le thème du travail effectué dans ce pays depuis 30 ans.

Ce n'est en effet pas tant le travail accompli que l'image de ces réseaux qui est mise en cause. Les institutions font par ailleurs montre d'une certaine arrogance face aux associations. Elles ne sont pas suffisamment prises en considération. Une concertation plus étroite apparaît indispensable.

Xavier LAMBRECHTS

Jean-Pierre de Launoit est le président de l'Alliance française. Il est né à Bruxelles. Il est passionné de culture et de musique, ainsi que le prouve son engagement auprès du concours musical international Reine Elisabeth. Il a aussi occupé pendant de longues années le poste de président du Comité groupe RTL.

Jean-Pierre de LAUNOIT

L'Alliance française a été créée en 1883 et se compose aujourd'hui de 1 074 comités locaux. Elle est présente sur les cinq continents dans 136 pays. Son activité ne se limite pas à de simples cours de français. Elle met à disposition des apprenants d'importantes ressources documentaires. L'Alliance française s'investit également dans des activités culturelles et artistiques variées. Elle est ainsi à l'origine d'une belle exposition sur l'art aborigène australien en début d'année. Plus récemment encore, elle a réalisé une exposition sur les arts sud-africains.

En 2005, nous avons accueilli 420 000 étudiants de par le monde. Ce chiffre progresse de près de 5 % chaque année depuis quelque temps. La progression du nombre d'étudiants est très marquée dans les grands pays, tels que l'Inde, la Chine, les EtatsUnis ou encore le Brésil. En ces temps où beaucoup s'inquiètent à juste titre du recul du français, cette information est de nature rassurante.

Les pères fondateurs de l'Alliance françaises, parmi lesquels Ferdinand de Lesseps, Louis Pasteur et Jules Verne ne pouvaient imaginer l'ampleur que prendrait notre mouvement. Aujourd'hui, nous les regardons comme des visionnaires audacieux. Ils ont en effet eu le courage de confier le fonctionnement de notre association à des femmes et des hommes du pays d'accueil.

Depuis sa création, l'Alliance française mène des actions afin de proposer une alternative culturelle en réponse à l'uniformisation des modes de vie et de pensée. Cette alternative doit s'établir en complémentarité avec les valeurs du pays qu'elle accueille. C'est dans ce sens que nous parlons de « binationalité ». Nous assurons à la fois la promotion de la langue française, ainsi que de la langue des pays qui l'accueillent. Deux séries de 26 courts-métrages réalisés pour l'Alliance culturelle démontrent concrètement en deux minutes et demie chacun comment peut se traduire cette fusion entre la culture française et la culture locale.

L'Alliance française bénéficie d'un statut de droit local, apolitique et non confessionnel. Elle travaille en liaison étroite avec la ville ou la région dans laquelle elle est implantée ainsi qu'avec les autorités académiques. En Chine, par exemple, nous sommes souvent implantés dans des bâtiments appartenant à l'université locale. Le recteur de cette université assure bien souvent la présidence de cette Alliance. Elle travaille en outre avec les différents acteurs culturels de la région. Ce positionnement nous place en parfaite harmonie avec l'environnement local.

Nous essayons d'adapter autant que possible notre offre de cours pour répondre à l'évolution des modes de vie. Nos étudiants voyagent de plus en plus et disposent de moins en moins de temps. Ainsi, à Paris, l'offre a été entièrement revue au cours des dernières années. Ce travail a permis de juguler la décroissance régulière du nombre d'étudiants.

Nous estimons que le français doit être en mesure de répondre aux questions que se posent les hommes et les femmes du monde dans tous les domaines. Je pense plus particulièrement à l'écologie, la bioéthique, la diversité culturelle, les rapports entre le religieux et le politique, la sécurité et le droit. L'Alliance favorise ainsi l'émergence d'une mondialisation faite d'individus qui se respectent et s'intéressent les uns aux autres. Dans ce contexte, la langue et la culture assurent une meilleure compréhension et favorisent la solidarité.

La création de la Fondation Alliance française représente pour nous un projet ambitieux. Elle permettra à terme de mieux assumer les responsabilités historiques de l'Alliance de Paris vis-à-vis du réseau, en apportant à ce dernier davantage de soutien intellectuel, technique et moral. Un colloque récent nous a en effet permis de constater à quel point le réseau était demandeur sur ce plan. La fondation rassemblera dans une seule structure indépendante des spécialistes compétents en matière de gestion associative, du développement d'activité, de la formation et du conseil pédagogique et culturel. Cette structure de droit privé d'utilité publique apportera transparence et clarté à notre action, puisqu'elle sera distincte de l'école et entièrement tournée vers le réseau. J'espère qu'elle pourra voir le jour avant la fin de l'année.

Parce qu'elle forme une grande famille, le premier atout de l'Alliance française réside dans le facteur humain. Elle compte 11 000 salariés et 8 000 bénévoles. Ces derniers consacrent du temps, pris sur leur vie personnelle, pour faire vivre l'Alliance.

Le recours aux étrangers constitue un autre atout pour l'Alliance française. En tant que Belge impliqué depuis 30 ans dans la gestion de l'Alliance française de BruxellesEurope, j'en suis moi-même l'illustration. C'est l'apport des étrangers, au travers de leur sympathie et de leur passion pour la langue et la culture françaises, qui a donné corps à ce concept de diversité culturelle et linguistique. Comme l'affirmait le ministre des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy, la défense de cette idée est au coeur de la francophonie.

L'absence d'organisation hiérarchique est pour nous un autre atout. L'Alliance française a préféré développer un système d'interactions permanentes. Chaque élément est autonome et indépendant et est librement rattaché au réseau. Tous les administrateurs, de quelque nationalité qu'ils soient, se sentent pleinement responsables et se dévouent totalement au service de l'Alliance.

S'il faut trouver des faiblesses à ces organisations, elles résident naturellement dans les faiblesses de l'humain. Notre système repose en effet entièrement sur la qualité des hommes et des femmes qui le composent. Ceci dit, les mauvaises surprises restent extrêmement rares. Nous ne sommes confrontés que très rarement à des situations d'échec.

Une vision passéiste de notre culture pourrait représenter une menace pour notre organisation. Certains nourrissent en effet une nostalgie de l'époque où la France était dominante sur le plan culturel. Elle l'est aujourd'hui certainement moins. J'ai pu au travers d'un voyage récent en Chine rencontrer les onze jeunes directeurs des Alliances de ce pays. Leur dynamisme apporte une image de modernité à notre structure et me rassure quelque peu quant à cette menace nostalgique.

Enfin, beaucoup pourraient penser qu'une organisation peu hiérarchisée est synonyme de désordre. Il est vrai que pour construire un pont ou pour mettre sur orbite un satellite, une structure très organisée est indispensable. Pour faire vivre la ferveur culturelle, mieux vaut laisser à chacun une certaine souplesse et beaucoup de liberté. Ce que nous pouvons perdre en cohérence, nous le gagnons en initiative et en enthousiasme. Les citoyens planétaires de la culture et de la diversité qui composent notre réseau sont les véritables trésors de l'Alliance française.

Nous souhaitons pouvoir donner à l'Alliance de Paris la possibilité de choisir ses directeurs expatriés. Ces directeurs deviennent ensuite les interlocuteurs privilégiés de nos partenaires étrangers. Pour l'heure, c'est un système complexe qui prédomine. La pseudo-concertation qu'il introduit n'est pas sans défauts. Nous procédons en ce moment à une série d'aménagements. Nous pensons ainsi introduire un visa conjoint entre le ministère des Affaires étrangères et l'Alliance qui nous permettrait de mieux nous associer au processus. La santé de notre système repose en effet pour une bonne part sur la qualité des expatriés.

Enfin, je crois que nous devons tirer un meilleur parti du réseau, qui représente pour nous un trésor d'expériences et de compétences. La création de notre Fondation nous permettra de mieux faire circuler les personnes et les idées. C'est ainsi que nous créerons une sorte de compagnonnage moderne, où chacun prendra des leçons de son voisin. Ce concept se traduira par des échanges internationaux entre professeurs, étudiants et artistes et la mise au point de formations régionales communes et la réalisation de projets culturels.

Depuis quelques jours, nous étudions la possibilité de la création d'une radio Alliance, en partenariat avec RFI. Cette radio aurait vocation à être diffusée dans l'ensemble de notre réseau. L'Alliance française s'inscrit complètement dans la tradition d'humanisme, d'universalité et de tolérance. Il est vrai que la diversité des cultures permet d'affirmer des valeurs telles que la paix sociale, la souveraineté locale, le respect des identités et la compréhension mutuelle.

La culture n'est pas une marchandise comme les autres. Elle traduit un mouvement d'idées qui favorise le dialogue. La Convention signée en octobre dernier à l'UNESCO, à la quasi-unanimité de ses participants, représente à cet égard une victoire de la culture. C'est dans ce cadre que l'Alliance française essaie d'apporter sa petite pierre à la paix et à la stabilité dans le monde.

Xavier LAMBRECHTS

Michèle Gendreau-Massaloux est née à Limoges. Elle est agrégée d'espagnol et diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris. Elle nourrit une véritable passion pour la littérature espagnole. Elle a occupé le poste de recteur de l'académie d'Orléans-Tours puis de celle de Paris. Aujourd'hui, elle est chancelier des universités de Paris et recteur de l'AUF, l'Agence universitaire de la Francophonie.

Michèle GENDREAU-MASSALOUX

L'Agence universitaire de la Francophonie est un grand réseau, comprenant plus de

600 universités et centres de recherche aujourd'hui répartis dans le monde entier et elle est surtout, depuis son origine, une association où l'on n'entre que par un acte de candidature volontaire. Cela signifie que chaque institution candidate à l'adhésion s'engage à payer une cotisation, très modeste pour les universités et les centres de recherche du Sud de l'ordre de quelques centaines d'euros mais s'élevant à plusieurs milliers d'euros pour les grandes universités du Canada, de la Belgique, de la France ou d'autres pays développés.

Notre institution soutient également des réseaux scientifiques partout dans le monde et, pour nous, qui dit réseau nous tenons beaucoup à cette précision dit absence de centre défini. Ainsi la France n'est pas au centre des réseaux de l'Agence universitaire de la Francophonie.

Il y a donc dans l'AUF plusieurs sortes de réseaux.

A l'intérieur de notre grand réseau d'établissements, beaucoup de chercheurs se sont individuellement rattachés - par exemple, en démographie, en économie, en linguistique - à des réseaux définis par la thématique à laquelle se consacrent les personnes qui les composent. Chacun de ces réseaux de chercheurs élit un coordonnateur qui peut être, selon les cas, un Mauricien, un Sénégalais, un Camerounais, un Canadien, un Belge, un Français, etc., et ce responsable est renouvelé périodiquement.

L'AUF soutient une troisième catégorie de réseaux : des réseaux de doyens ou directeurs de facultés, d'instituts, d'unités de formation et de recherche, dans quelquesunes des grandes branches du savoir la langue française et les langues, la médecine, la pharmacie, les sciences de la santé en général, le droit, l'administration. Ces réseaux institutionnels ont la maîtrise de leur gestion et l'obligation de renouveler périodiquement leur comité directeur.

Quant à la gestion interne de notre institution, elle est aussi déconcentrée. Notre directeur pour la Caraïbe, par exemple, en ce moment un ingénieur camerounais qui a réalisé de nombreuses actions de recherche appliquée à Yaoundé, pilote les relations universitaires en langue française qui se déploient dans les établissements d'enseignement supérieur de la Caraïbe, et entre la Caraïbe et le reste du monde. Nous accordons des bourses à la fois pour des mobilités entre pays du Sud, mais aussi entre pays du Sud et du Nord, que ce soit du Sud vers le Nord ou du Nord vers le Sud : un étudiant de Montpellier ou d'Ottawa peut travailler sur les dictons et contes populaires à Madagascar, un autre sur la réalisation de barrages au Vietnam.

Dans cette perspective, nous accordons une importance particulière aux formations à distance, parce qu'elles permettent à tout étudiant, où qu'il soit, non seulement d'avoir accès aux grandes banques de données scientifiques mondiales sur son sujet, mais également de s'inscrire à distance à un master validé par un diplôme reconnu dans son pays, à une thèse en co-tutelle, à une formation post-doctorale. Au Burkina Faso nous venons de fêter le premier diplôme à distance obtenu par un étudiant de Ouagadougou dans une université française : cet étudiant a suivi ses cours depuis Ouagadougou et il a obtenu exactement le même diplôme qu'un étudiant qui a passé son année académique dans l'Université concernée en France. Cet événement a été fêté à Ouagadougou, et il est, en effet, de grande importance.

Outre l'espoir de voir ainsi se multiplier sur le terrain des formations professionnalisantes, il correspond à la conviction que c'est au coeur des pays en développement que peut s'intensifier la pratique du français.

Si la langue française est partout vivante, c'est en effet qu'elle se trouve dans une relation aux autres langues qu'il appartient au pays lui-même d'officialiser. Dans le monde arabe, le trilinguisme paraît être dans l'administration, l'éducation, l'entreprise la voie qui permet que partout l'anglais soit accessible, le français présent, et l'arabe reconnu comme indispensable. C'est une carte équivalente que nous jouons en Asie, et beaucoup d'universités de Chine nous ont rejoints parce que dans les apprentissages que nous appuyons, la langue principale du pays est regardée comme nécessaire, tandis que le français, comme l'anglais, est valorisé dans son rôle économique autant que culturel. C'est d'ailleurs en partie grâce au français que les Chinois gagnent des parts de marchés en Afrique francophone.

La première de nos forces, c'est donc nos réseaux, ce réseau de réseaux dépourvus de centre défini, mais c'est aussi, à travers l'association des universités, la particularité qui fait de ce réseau un opérateur de la Francophonie institutionnelle. Cette qualité fonde notre relation avec l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et nous impose une obligation de professionnalisme en termes de gestion, sous le regard des onze Etats et gouvernements représentés dans notre conseil d'administration. Elle nous apporte, surtout, un partenariat soutenu avec les autres institutions francophones : l'Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), TV5, l'université Senghor, et enfin l'OIF elle-même. Nous bénéficions de la sorte d'une assise institutionnelle que n'ont pas toutes les associations.

La deuxième de nos forces vient de la nature multilatérale de nos financements. Cette force est aussi une faiblesse, parce que ce financement multilatéral est déséquilibré. La France, qui remplit ses obligations avec un scrupule exemplaire, est présente pour

82 % dans notre budget de 41 millions d'euros par an, mais nous aimerions voir aussi impliqués les autres bailleurs de fonds de la communauté francophone : le Canada, le Québec, la Communauté française de Belgique, la Suisse qui est un partenaire scientifique hors du commun, grâce aux laboratoires privés qui épaulent nos interventions dans le domaine de la santé. Sans véritable partage des ressources, il n'y a pas d'institution multilatérale digne de ce nom, parce que les composantes de l'action commune peuvent se trouver dans une situation de dépendance à l'égard du pays prépondérant.

Notre budget devrait donc être conforté par les apports d'autres pays que la France. Il est d'ailleurs très insuffisant par rapport au nombre de dossiers de qualité qui nous sont proposés : nous ne pouvons honorer qu'une demande de bourse pour cinq étudiants compétents et désireux de mobilité. Nos instituts de médecine tropicale à Vientiane, d'entrepreneuriat à l'Ile Maurice, d'administration et de gestion à Sofia ne reçoivent pas non plus tous les moyens nécessaires à leur développement, malgré les relations prometteuses et les co-diplômations qu'ils ont établies avec Bordeaux, Paris XII, Nantes... Pour entretenir les échanges et la codiplômation entre universités francophones, nos bourses devraient passer de 2500 à 10.000 environ par an et notre financement traduire un engagement équilibré de tous les gouvernements qui composent l'Organisation internationale de la Francophonie, engagement proportionnel, bien entendu, aux possibilités de chacun.

Notre troisième atout, qui est en même temps notre troisième problème, c'est notre visibilité, à la fois extrême dans certains pays, et insuffisante dans d'autres. Dans beaucoup de pays du Sud à Madagascar, en Tunisie, en Algérie, en Israël (les recteurs du monde arabe et des pays les plus politiquement partagés sur la question d'Israël ont récemment accepté, à l'unanimité, que l'Université de Tel Aviv devienne membre de l'Agence universitaire de la Francophonie) lorsque nous inaugurons un campus numérique qui offre à des étudiants de l'information scientifique et de la formation à distance, les plus hautes autorités de l'Etat président la cérémonie. La télévision nationale y consacre le plus souvent une émission spéciale.

Mais ni en France, ni au Canada, ni dans les pays développés, la notoriété de la plupart des institutions liées à la francophonie n'est à la hauteur de ce qu'elles portent d'espérance et de réalité, puisque nous contribuons à créer des emplois au Sud pour les jeunes diplômés, qui ne participent que très peu au mouvement mondial de fuite des cerveaux. Notre souci est de faire qu'un jeune bien formé, muni d'un diplôme reconnu et d'une expérience multilingue, trouve un emploi dans son pays. Les chiffres parlent, mais ils sont peu connus, en particulier en France. Le manque d'intérêt des pays du Nord pour la francophonie en général, et pour notre institution en particulier, est peut être dû à la complexité des statuts et de l'organisation de la Francophonie institutionnelle, mais il porte aussi la marque des réactions souvent incrédules ou perplexes que suscite le mot lui-même, comme on peut l'observer à l'occasion des débats autour du festival que parraine cette année le gouvernement français : le mot francophonie résonne très différemment selon les régions du monde, et en France même, selon les milieux où il est prononcé, selon qu'on l'envisage soit dans la nostalgie d'une primauté perdue de la langue française ou, au contraire, comme le veut Dominique Wolton et avec lui beaucoup d'autres, comme un mot qui, si je peux me permettre de retourner votre titre « la mondialisation, une chance pour la francophonie » -, apporte une chance à la mondialisation.

Pour essayer de remédier aux faiblesses que je viens de signaler, je formulerai trois propositions pour la Francophonie.

1° DES VOLONTAIRES POUR LA FRANCOPHONIE

La Francophonie attire les jeunes soucieux de formation et de développement. Dans les campus numériques francophones de l'AUF, nombreuses sont les propositions de participation de volontaires qui sentent que ce dispositif répond à un besoin. Or, à l'heure actuelle seul le programme des Volontaires des Nations Unies (VNU), non destiné spécifiquement à la jeunesse, offre un véritable volontariat Sud/Sud. Rien n'existe spécifiquement pour les jeunes francophones.

Aussi me semble-t-il opportun de donner la possibilité à de jeunes francophones

(majoritairement issus du Sud), d'acquérir, dans le cadre de la Francophonie, une expérience humaine et socio-professionnelle dans un autre pays que le leur, en mettant leur compétence au service de projets sur le terrain. Cette plus-value serait associée à des projets de développement de la francophonie, en complémentarité avec les programmes existants.

2° UNE RELANCE DE L'ÉDITION FRANCOPHONE

La plupart des livres écrits en français que lisent les habitants des pays en développement sont édités et distribués par les entreprises des pays développés. Pour créer et assurer la survie de maisons d'édition et de distribution, d'entreprises et de librairies dans les pays du « Sud », il convient d'abord de traiter la question des droits d'auteurs, et d'engager un soutien résolu à des maisons d'édition, de distribution, des imprimeries et des librairies locales. La Francophonie pourrait identifier et appuyer au moins une entreprise de chacune de ces catégories dans chacune des capitales des pays membres de l'Organisation internationale de la Francophonie.

La formation des jeunes aux métiers de l'édition et de la librairie devrait également trouver sa place dans les programmes des opérateurs de l'OIF.

3° LA DIFFUSION DE LA LANGUE PAR LA TÉLÉVISION

Il existe, en particulier sur TV5, des émissions dont la réalisation est liée à des objectifs pédagogiques. Tel est en particulier le cas de « Sept jours sur la planète », utilisée dans les cours de français dispensés par des professeurs liés, en plusieurs pays de la Francophonie, à l'AUF. Mais beaucoup d'autres émissions, y compris des séries policières de bonne facture, peuvent si elles sont sous-titrées dans la langue locale majoritaire, constituer un excellent moyen d'attirer un public varié vers le français.

La plupart des chaînes, tant françaises que d'autres pays francophones, ont choisi pour leur rayonnement mondial la voie du câble ou du satellite. Or nombreux sont les foyers de citoyens des pays francophones à ne disposer que de chaînes hertziennes. Il s'agirait donc d'aider les responsables des émetteurs nationaux hertziens à conclure des accords de retransmission pour des émissions produites en français, non seulement par TV5 mais par d'autres chaînes, publiques et privées.

Xavier LAMBRECHTS

Jean-Paul Huchon est né à Paris. Cet ancien élève de l'ENA est devenu directeur de cabinet de Michel Rocard. Il a également travaillé dans le privé, pour le groupe Printemps notamment. Aujourd'hui, il occupe la présidence de la région Ile-deFrance.

Jean-Paul HUCHON

Dominique Wolton écrit dans son dernier ouvrage : « Il faut développer la coopération décentralisée, véritable pont entre les institutions et la société civile. Il s'agit d'une invention française, qui a d'abord concerné l'Europe, puis les pays francophones et maintenant d'autres régions du monde. Les collectivités territoriales françaises entretiennent aujourd'hui des relations avec l'Allemagne, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Sénégal, le Québec, la Roumanie, le Viêt-Nam, le Mexique, le Chili etc. Ces expériences créent de l'expertise et de la solidarité. »

La région Ile-de-France compte 11,5 millions d'habitants. Son PIB est comparable à celui des Pays-Bas, de la Suède ou de la Belgique. Depuis qu'elle a initié une politique de coopération décentralisée, 13 accords ont été signés avec différents pays. L'idée et les valeurs de la francophonie sont bien souvent à la base de ces accords.

Ces concepts de coopération décentralisée sont nettement distincts des opérations de jumelage. Un comité de coopération paritaire se réunit deux fois par an. Il vérifie au centime près l'utilisation des subsides de chaque côté. Il fixe en outre des objectifs triennaux. C'est dans ce cadre que nous avons financé à 100 % et construit au Sénégal un lycée qui fait également office d'université. Il accueille maintenant près de

3 000 élèves.

Au Viêt-Nam, où nous travaillons avec le Comité populaire de Hanoï, qui est l'équivalent d'une assemblée populaire élue, bien souvent, nous sommes obligés d'avoir recours à l'interprétariat pour communiquer ou de parler anglais. C'est également le cas dans les pays d'Amérique du Sud. Nous essayons de faire honneur à notre statut de francophones, mais je dois avouer que nous avons souvent l'impression de gêner quelque peu nos hôtes et de compliquer les relations. Il en va de même au Liban. Nous avons signé avec ce pays un contrat très intéressant, qui nous a permis de reconstruire le Bois des Pins et de créer une école de gestion. Ceci dit, nous sommes obligés de parler anglais avec la municipalité de Beyrouth, qui est notre correspondant sur place.

Ces quelques exemples démontrent à quel point le risque pour notre langue est réel. La coopération décentralisée ramène les échanges à un niveau où ils ne se limitent pas à quelques discours. Ils prennent la forme d'actions concrètes de développement.

Je reste persuadé que cet outil peut s'avérer très utile pour l'action francophone. Il aura fallu du temps pour qu'il s'impose. Une attitude gaulliste quelque peu caricaturale, qui exigeait de passer pour toute chose par le ministère des affaires étrangères, a freiné quelque peu le développement de ce concept. En tant que haut fonctionnaire de l'Etat, représentant de la France dans de nombreux groupes de travail internationaux, j'avais parfois interdiction de rencontrer des fonctionnaires européens. A l'époque, la France, dans son splendide isolement, refusait tout échange.

Aujourd'hui, nous pouvons traiter avec des collectivités locales d'autres pays sans demander l'assentiment du ministre des affaires étrangères. Cette formidable conquête doit être utilisée de sorte que les réseaux humains complètent le travail des institutions. Nos actions en faveur de la francophonie ont d'autant plus de poids lorsqu'elles s'accompagnent d'actions concrètes de développement.

Au sein de l'association Métropolis qui a vocation à rassembler toutes les villes et régions comptant plus d'un million d'habitants, nous essayons de faire progresser l'idée de coopération décentralisée. Notre association compte aujourd'hui une centaine de membres.

Les dirigeants de la Banque mondiale jugent à ce propos la coopération décentralisée plus efficace que la coopération interétatique. Cela s'explique notamment par le fait qu'elle s'accompagne de peu d'évaporation. Les risques de corruption sont en effet limités, tandis que la vérification in situ de la réalisation des projets apparaît comme un frein efficace à la tentation. D'autres institutions internationales dressent un constat similaire. Le président Abdou Diouf nous a d'ailleurs contacté à ce sujet. Il souhaite instaurer un lien entre le développement de la francophonie et celui de la coopération décentralisée.

A défaut de dessiner des pistes très précises d'action sur ce sujet, nous pouvons tout de même lancer quelques idées. La coopération décentralisée est en effet de nature à développer un bruit de fond favorable à la francophonie. La création de programmes d'accompagnement à la francophonie pourrait ainsi être envisagée. Ces programmes seront d'autant plus légitimes que nous serons à la pointe du développement économique dans ces pays.

A mesure que ce concept gagne du terrain, les sommes engagées augmentent. Aujourd'hui, le budget annuel de la coopération décentralisée pour la région Ile-deFrance se monte à 8,5 millions d'euros. Ce chiffre peut paraître faible, mais il faut prendre en compte le fait qu'on peut réaliser dans les pays du Sud beaucoup plus avec des moyens limités. Ainsi, nous avons construit au Sénégal un lycée pour 1,5 millions d'euros. Le même lycée en France aurait coûté plus de 45 millions d'euros.

Les faiblesses d'un tel type d'entreprise ne doivent pas être niées. La dispersion des efforts produit des effets calamiteux. Sur la seule région Ile-de-France, une centaine de collectivités territoriales intervient en faveur de la région de Dakar au Sénégal. Chacun propose sa petite action ou son petit jumelage. Les résultats n'en sont que plus faibles. En mutualisant nos efforts, nous pourrions réaliser de grandes choses pour les pays du Sud comme pour la francophonie.

A la fin de l'année, nous souhaitons organiser un colloque sur le thème « collectivités territoriales et francophonie ». Abdou Diouf nous a assuré de sa présence. Nous souhaitons y jeter les bases d'une organisation des coopérations décentralisées des collectivités territoriales du Nord en direction du Sud. Pour cela, nous devons nous rapprocher du Québec, de la Belgique, de la Suisse et des autres pays francophones du Nord.

Les difficultés que l'on rencontre pour développer la triangulation doivent être considérées comme une autre grande faiblesse de nos modèles de coopération. La mise en commun des moyens de deux ou trois collectivités locales peut en effet s'avérer extrêmement bénéfique. Sur Haïti, la région Ile-de-France profite de la proximité géographique de la Guadeloupe. Au Chili, nous avons ainsi développé une opération de développement du microcrédit dans la région de Santiago, en partenariat avec le Pays basque. Plusieurs dizaines de milliers de personnes en bénéficient aujourd'hui, grâce aux prêts de banques amies.

Nous devons multiplier ce genre d'expériences. Au mois de juin prochain, une rencontre entre Abdou Diouf et les représentants des régions de l'Association des régions de France (ARF) devrait nous permettre de dessiner des pistes pour développer dans nos actions internationales les projets en faveur de la francophonie. Je crois en effet que toute coopération peut être imprégnée d'une touche de francophonie. Au Liban, l'école de gestion que nous avons créée n'enseigne pas qu'en anglais. Elle fait aussi la part belle aux économistes français et aux pratiques de management à la française.

De la même manière, certains types d'actions peuvent être conduits prioritairement en liaison avec la francophonie. Je pense plus particulièrement à l'accès à l'énergie et à l'eau. Avec l'ensemble des départements de l'Ile-de-France et surtout la Seineet-Marne, qui a réalisé un important travail sur ce plan, la région va lancer prochainement une opération en partenariat avec l'OIF sur ces questions. Nous voulons également impliquer la francophonie. Par le biais de leurs compétences administratives techniques et de notre vivier d'entreprises, nous bénéficions d'un substrat très utile.

Le réseau d'échanges que représente l'ARF peut jouer un rôle fédérateur en matière de coopération et de francophonie. Ce n'est pas un hasard si Abdou Diouf a sollicité la région Ile-de-France sur ces thèmes.

En ce qui concerne la problématique de l'édition, je tiens à signaler que partout où des projets de coopération décentralisée sont menés, nous créons de petites bibliothèques au sein d'entreprises ou de centres de formation. Cela vaut d'ailleurs dans les pays où nous sommes en concurrence avec des anglophones. Nous avons pu remarquer que ce type d'actions n'est pas sans impact.

L'adjonction d'une touche francophone dans nos politiques de coopération décentralisée me paraît représenter une piste intéressante. Je veux croire que nous prenons aujourd'hui ce chemin. En donnant l'exemple avec l'ensemble des régions françaises, nous pourrons faire progresser cette idée.

Xavier LAMBRECHTS

Pierre Louette est président directeur général de l'Agence France presse. Après une formation à Sciences Po et à l'ENA, il a notamment travaillé dans le cabinet d'Edouard Balladur. Il a été l'un des animateurs du programme français des autoroutes de l'information. Il a travaillé ensuite pour France Télévisions. L'AFP figure aujourd'hui parmi les trois plus grandes agences de presse au monde. Elle est la première en langue française.

Pierre LOUETTE

L'Agence France presse appartient au club des trois plus grandes agences mondiales. Les deux autres sont anglo-saxonnes, à savoir Reuters, anglaise à l'origine, et Associated Press, qui est américaine. Les autres agences possèdent une envergure majeure, mais ne disposent pas du même réseau mondial que l'AFP.

Au contraire des intervenants précédents, je ne me placerai pas sur le plan de la coopération ou de l'échange, mais bien sur celui du commerce. Notre commerce est assez particulier, dans la mesure où il s'agit de celui de l'information. Nous sommes producteurs d'informations en six langues, à savoir le français, l'anglais, l'allemand, l'espagnol, l'arabe et le portugais. L'AFP travaille dans le monde entier. Elle compte

2 200 salariés et autant de collaborateurs occasionnels. Nos 90 bureaux sont répartis dans le monde entier.

L'utilisation du français dépend pour nous de la décision du client. En fonction de leurs intérêts, nos clients décident de s'abonner au service français plutôt qu'à un autre. En quelque sorte, nous nous situons sur le terrain de la francophonie compétitive.

L'AFP est mondiale par nature et française par essence. Elle descend de l'agence Havas créée en 1835 par un Français d'origine hongroise. En réalité, sa naissance illustre bien l'apport du monde entier aux réalisations de la francophonie. Même si Reuters est née d'une scission de l'agence Havas, l'AFP est la seule grande agence à ne pas être anglo-saxonne. Un associé du fondateur d'Havas a fondé à son tour une agence concurrente, devenue anglaise par la suite. Les mécanismes de la globalisation étaient déjà à l'oeuvre à l'époque.

La reconnaissance dont bénéficie l'AFP est certainement plus grande à l'étranger qu'en France. Nous ne pouvons d'ailleurs nous en plaindre. Puisque les médias traditionnels achètent des informations d'agence, notre travail n'est pas offert directement au consommateur. Ceci dit, beaucoup se souviennent encore de cette phrase :

« Selon une dépêche de l'AFP qui vient de tomber sur nos téléscripteurs... ». Les téléscripteurs ont aujourd'hui disparu, mais cette expression a certainement contribué à notre notoriété.

Nous nous appuyons sur une notoriété très importante dans certaines régions du monde, comme en Asie. Souvent, l'AFP y est connue sous le nom de « France Presse». Il en va de même au Moyen-Orient, où nous publions des contenus multimédia et des infographies en arabe.

L'aiguillon de la concurrence ne peut être occulté. Elle fait figure de donnée fondamentale pour nous. Le budget de l'agence s'élève à 270 millions d'euros. Une partie minoritaire de budget est apporté par les abonnements publics, souscrits par les administrations et démembrements de la puissance publique, alors que cette partie était autrefois majoritaire. C'est donc sur un terrain concurrentiel que l'AFP réalise aujourd'hui la majorité de son chiffre d'affaires. L'étranger représente d'ailleurs une part plus importante que la France dans les recettes de l'AFP.

En matière de réseaux, l'AFP peut être définie comme un vecteur de la francophonie de manière directe et indirecte. Son action peut être qualifiée de directe lorsqu'elle fournit des informations en langue française. Elle est en revanche indirecte lorsque les informations sont vendues dans une langue étrangère, car elle véhicule tout de même une vision partiellement française du monde.

L'AFP offre un réseau de regards associés à une entreprise ontologiquement française. A l'heure actuelle, une majorité de nos journalistes sont français, mais il est probable que cette situation ne perdure pas au cours des années à venir. Associés à cette entreprise française, ces journalistes français et étrangers vont développer une autre vision du monde.

Un certain nombre de nos clients nous choisissent de manière positive. Ils estiment que nous sommes plus rapides, plus précis et mieux informés que nos concurrents. D'autres nous choisissent de manière plus négative. Ils nous jugent bons mais soulignent avant tout que nous ne sommes pas anglo-saxons. Souvent, d'eux-mêmes, nos clients assurent que nous portons un éclairage et un regard différent sur des sujets délaissés par les deux autres grandes agences anglo-saxonnes.

Cet argument de vente, en quelque sorte, s'avère pour nous être un atout très utile dans de nombreux pays, qui ne sont pas obligatoirement les bastions de la francophonie. C'est le cas notamment dans certains pays de l'Asie anglophone. A travers le monde, nous constatons la même tendance à associer une nationalité à un mode de pensée. Nous bénéficions ainsi d'un réseau d'affinités mondiales.

La France n'est pas dotée d'un marché aussi grand que le marché américain. Cette contrainte nous a poussés à développer une couverture intrarégionale du monde. C'est le cas notamment au Moyen-Orient, où l'AFP occupe certainement le premier rang. En Asie, où l'AFP est considérée comme l'une des deux grandes agences, ce choix a été également retenu. Nous couvrons l'Indonésie pour l'Australie, car les deux pays sont fortement liés et intéressés l'un par l'autre. De même, nous couvrons l'Indonésie pour la Malaisie, comme nous couvrons Singapour pour la Thaïlande. Cette couverture est réalisée en anglais, même si certains clients restent abonnés à des services français.

Notre vision ne se limite donc pas à la couverture du monde à destination de la seule France. Au contraire, AP a longtemps couvert le monde dans la seule optique de nourrir le marché américain. Ceci dit, AP connaît aujourd'hui d'importantes mutations. Les dirigeants ont donné pour consigne de copier en Asie le modèle choisi par l'AFP. Ce changement est d'ailleurs à l'origine de quelques craintes chez nous.

L'agence est dirigée en Asie par un Ecossais qui s'exprime parfaitement en français. Il était autrefois rédacteur en chef central de l'AFP. Il est intéressant de s'arrêter sur le cas de cette personne qui a choisi délibérément de travailler pour une agence française. Ses compétences auraient largement pu lui permettre de travailler pour AP ou pour Reuters. Elle a cependant fait le choix de cette troisième vision du monde.

La marque AFP marque clairement son ancrage français. Le label AFP au bas d'une dépêche rappelle clairement que tous ses rédacteurs participent d'une communauté de regard, qu'ils soient d'ailleurs français ou non. Cette communauté de regard s'ancre elle-même dans une certaine tradition. Cette tradition diffère quelque peu de celle de nos concurrents.

Un éditeur chinois de Singapour nous expliquait récemment qu'il avait choisi l'AFP pour échapper au conformisme anglo-saxon. De toute évidence, nous ne sommes donc pas les seuls conformistes de par le monde.

La relative faiblesse de la presse d'expression francophone nous oblige à une plus grande ouverture sur le monde. Nous nous ouvrons donc au monde par choix mais aussi par contrainte. Cela nous pousse à la rencontre des attentes de nos clients qui souhaitent que l'information épouse les préoccupations de leur société et non uniquement celles de la France ou des Etats-Unis.

Nous sommes par conséquent tout à la fois globaux et locaux. Nous voulons nous ouvrir sur toutes les réalités du monde, tout en n'ignorant pas nos racines. Au final, nous nous exprimons depuis la France, qui est à l'origine du concept d'agence de presse mondiale. Par cette invention, notre pays a contribué à l'essor de la presse de masse. Historiquement, les deux phénomènes coïncident pleinement. Cette concordance s'explique par le fait que l'agence de presse fait office en quelque sorte d'économiseur de moyens. Elle permet d'agréger des énergies et fournit des briques, qui pourront être utilisées de l'extrême droite à l'extrême gauche. Nous nous contentons de fournir des faits et des données « sourcées » et vérifiées. Leur utilisation idéologique n'est pas de notre ressort.

En Europe, notre service français perd du terrain. Nous nous battons pour le maintenir. Nous perdons plus de clients que nous n'en gagnons. Bien souvent, ils se tournent vers un service en anglais ou dans leur langue maternelle.

Pour contrer cette tendance, peut-être faudrait-il développer la formation journalistique en France. Si notre pays accueillait plus de futurs journalistes étrangers, une fois leur carrière avancée, ces mêmes journalistes pourraient alors faire le choix de l'AFP.

Nous agissons dans ce sens à notre petit niveau, faute de moyens suffisants.

Un moment, nous avions réfléchi à la création d'une fondation AFP accueillant des étudiants étrangers et des journalistes à Paris entre deux postes. Il n'est cependant pas sûr que ce projet voie le jour. La fondation ne me paraît pas être la réponse la plus adéquate. Nous pourrions en revanche choisir la voie de la coopération avec des universités étrangères. Il me paraît plus simple de créer sur place des formations que d'amener en France des étudiants.

Je suis frappé par l'extrême diversité de l'appareil audiovisuel français à l'international, même si j'ai longtemps travaillé dans les cabinets ministériels, où l'on est censé contribuer à l'orientation subtile des politiques. J'ai pu constater qu'en France, nous ne progressons jamais que par ajout et jamais par retrait. Il est toujours très complexe de supprimer une structure existante ou de la fusionner avec une autre. Ceci étant, cela participe certainement du génie français. Une telle démarche permet de multiplier les angles de vision.

Nos voisins ne réagissent certainement pas de la même façon. En Grande-Bretagne, où un pragmatisme peut-être pauvre est privilégié, la BBC concentre l'essentiel des moyens. Cette grande organisation très bien financée peut se permettre une large action de par le monde.

DÉBAT AVEC LA SALLE

Un participant

En tant que fonctionnaire au ministère des affaires étrangères, j'ai pour habitude à l'étranger de me faire accompagner d'un interprète ou de rechercher des personnes qui connaissent notre langue. Une telle démarche valorise les francophones du lieu. Un autre choix peut être de se faire accompagner par des Français qui connaissent la langue du pays d'accueil.

Jean-Paul Huchon déplorait au niveau régional l'émiettement des moyens mis au service de la coopération. J'ai entendu les mêmes réflexions de la part d'ambassadeurs. Souvent ils n'ont connaissance des initiatives qu'une fois réalisées. Une coordination apparaît donc souhaitable à tout niveau.

Jean-Paul HUCHON

A l'époque où je travaillais au cabinet du Premier ministre, nous avions créé des « clubs pays » qui regroupaient toutes les initiatives pour un même pays et rassemblaient en plus toutes les administrations compétentes et les représentants des entreprises qui intervenaient dans ces pays.

Pour relever les défis qu'elle s'est fixés, la francophonie ne doit pas négliger les entreprises. Dans le cadre de projets de coopération décentralisée, nous emmenons régulièrement des entreprises qui ont vocation à travailler dans le pays concerné.

Nous avons soumis à Abdou Diouf cette idée visant à rassembler tous les acteurs en fonction des pays visés par l'action de la francophonie. Les ambassades et les structures de coopération ont compris l'intérêt d'une telle démarche. Nous n'avons plus désormais qu'à concentrer et à focaliser ces énergies.

Un participant

L'un des grands moyens de développer la francophonie est de favoriser l'installation de sièges d'associations internationales non gouvernementales. Autrefois, Paris était en pointe dans ce domaine. Aujourd'hui, Bruxelles attire de nombreuses organisations et associations non gouvernementales. Nous avons longtemps demandé la création d'une maison des associations internationales établies en France. Peut-être est-il encore temps de la construire.

Jean-Paul HUCHON

La région Ile-de-France a les moyens d'agir dans ce domaine, même si cela ne représente pas le coeur de son budget. Dans un domaine connexe, notre région a construit la maison des écrivains persécutés. Nous accueillons ainsi les écrivains étrangers qui le souhaitent. Nous pouvons donc envisager une action sur ce point particulier.

Une participante

Les professeurs de français des collèges et des lycées sont au contact de la majorité des apprenants. La Fédération internationale des professeurs de français a pour vocation à les rassembler. Comme certains l'ont souligné aujourd'hui, la coopération avec les organisations locales semble être une bonne voie. C'est pourquoi la Fédération internationale des professeurs de français a décidé de nouer des liens avec l'Assemblée des maires francophones. Nous tentons de leur faire comprendre l'importance d'une aide en direction des associations de professeurs, plus particulièrement en Afrique. Ces dernières sont véritablement démunies. Notre fédération n'a elle-même pas de moyens suffisants à consacrer à leur développement.

Cette association entre maires et professeurs pourrait aboutir à la conception de projets communs. La construction d'écoles, la constitution de bibliothèques ou encore de centres de ressources font figure de priorités aujourd'hui en Afrique. Les mairies ont un rôle particulier à jouer dans le développement de l'éducation.

Dans cette optique, il serait bon que notre fédération qui regroupe 185 associations et 170 000 membres soit davantage reconnue, au travers d'un statut qui lui garantisse son indépendance et une autonomie financière à hauteur de ses ambitions.

Jean LECUISINIER, délégué syndical CFTC

Je regrette que les organisations syndicales n'aient pas été invitées à ce colloque. Elles ont pourtant beaucoup à dire sur ce sujet. A quoi serviront les enseignants si les étudiants ne trouvent pas de travail parce qu'ils ont choisi le français ?

Nous ne comptons plus les exemples de grandes entreprises françaises qui choisissent l'anglais pour seul moyen de communication. Le français y est de moins en moins parlé. Les documents distribués aux syndicats sur la PAC sont tous en langue anglaise. De même chez Alcatel, les entretiens annuels se déroulent désormais en anglais. Comment défendre la francophonie à l'extérieur quand il est en péril à l'intérieur ?

Jean-Paul HUCHON

J'ai constaté ce même mouvement dans les grandes entreprises internationalisées. Cela devrait nous pousser à agir en direction des patrons d'entreprise. Ils sont en effet plus souvent qu'on ne le croit sensibles à la question de la francophonie. Nous pouvons par conséquent tenter de profiter d'un effet réseau. Pour cela, cependant, nous aurons besoin d'une véritable implication du gouvernement.

Il apparaît absolument logique que nos plus hauts représentants aillent vendre à l'étranger l'expertise française. Il serait tout de même souhaitable qu'en contrepartie, ils obtiennent l'assurance du soutien à la francophonie. Ce type d'action n'est pas très coûteux et peut donner rapidement d'importants résultats.

Bruno BOURG-BROC

A Bucarest, hier, le président du Sénat nous expliquait qu'un petit journal francophone était menacé. Il a par conséquent réuni les patrons des entreprises françaises qui travaillent à Bucarest pour leur demander un soutien financier à ce journal. Il n'a pas reçu une seule réponse positive. Cet épisode ne fait qu'illustrer tristement le fait que souvent les actes restent assez éloignés des discours.

Au terme de cette table ronde, nous ne sommes pas parvenus à dessiner des pistes permettant de faire travailler ensemble ces différents réseaux. Chacun dans son domaine a cependant illustré l'importance des réseaux et a fourni de précieuses propositions. Il nous appartient aujourd'hui de les mettre en oeuvre ensemble.

Nous sommes tous persuadés que la francophonie peut apporter au monde une valeur ajoutée en termes intellectuels, culturels ou démocratiques. N'oublions pas que les hommes constituent la véritable force de ces réseaux et non les organisations qui les rapprochent. La Fédération internationale des professeurs de français compte

170 000 membres, qui sont en réalité les fantassins de la francophonie, ainsi que nous les nommons souvent à l'APF.

La francophonie fait aujourd'hui figure de garant de la diversité culturelle. C'est pourquoi les responsables de chaque secteur se doivent aujourd'hui d'agir. Félix Bikoï a souligné le rôle et la responsabilité de la France en la matière. Elle n'est en réalité qu'un acteur parmi d'autres. L'arrogance que notait Félix Bikoï est une réalité. A ce sujet, le président Abdou Diouf rappelait récemment aux Français : « La langue française ne vous appartient plus à vous seuls. »

Je ne commenterai pas les propositions de chacun. Fêter les anniversaires et multiplier les commémorations n'attire pas nécessairement les jeunes. Nous devons y prendre garde. Le recteur de l'AUF a effectué plusieurs propositions concrètes très intéressantes. Son modèle polynucléaire est intéressant. L'Alliance française a développé pour sa part un centre bien défini à Paris et souhaite renforcer la centralisation. Une telle décision présente des avantages mais aussi des inconvénients.

Tout est maintenant affaire de volonté et de dynamisme. J'espère que la France ne fera pas l'économie l'an prochain, à l'heure des grands débats, d'une vraie réflexion sur l'espace francophone. La France ne doit pas se désengager maintenant de la francophonie. Son effort budgétaire dans ce sens est important. N'oublions cependant pas qu'il reste limité, de par nos capacités. En termes philosophiques, en revanche, notre engagement ne saurait avoir de limites. Sans l'impulsion que notre pays peut donner, nous risquons de décourager les bonnes volontés. Ce sont pourtant elles qui aujourd'hui font vivre et respirer la francophonie à laquelle nous croyons.

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