QUATRIÈME TABLE RONDE : LA CONSTRUCTION DE LA MÉMOIRE, UNE PERSPECTIVE ÉTRANGÈRE ET EUROPÉENNE

Témoignage vidéo de Marek HALTER , Écrivain

Benoît FALAIZE , Chargé d'études et de recherches à l'Institut national de recherche, Université de Cergy-Pontoise

Sophie BABY , Maître de conférences à l'Université de Bourgogne

François BAFOIL , Sociologue, directeur de recherche au CNRS

Jean FRANCOIS-PONCET , Sénateur, ancien ministre

Jean-François SIRINELLI

Nous allons poursuivre nos travaux. La première table ronde de cet après-midi s'inscrivait dans la continuité de celles de la matinée et vous avez pu constater que l'intervention de Monsieur Benjamin Stora répondait à celle de Madame Veyrat-Masson sur les vecteurs culturels de masse. La question de l'historien et de son rôle dans la cité a trouvé également d'intéressants prolongements à cette occasion. En revanche, notre seconde table ronde aura pour objet de nous dépayser et d'introduire une rupture en nous interrogeant sur la pertinence des comparaisons avec d'autres nations, à partir des exemples de l'Espagne et de la Pologne. La deuxième ouverture consistera à nous interroger sur l'éventualité d'une mémoire européenne. Avant de donner la parole aux intervenants, je vous propose d'ouvrir cette table ronde par le témoignage de Monsieur Marek Halter.

Témoignage vidéo de Marek HALTER, Écrivain

A mon avis, la mémoire collective européenne n'existe pas encore. Peut-être est-elle en formation. La mémoire sélectionne les événements par rapport aux problèmes qui nous préoccupent aujourd'hui. Si l'on doit « picorer » parmi les événements historiques qui nous émeuvent, nous commencerons sans doute par la Seconde Guerre mondiale. Nous nous déterminons par rapport à ce vécu-là. Dans cent ans, cela ne sera peut-être plus le cas.

Partager un rêve, c'est partager une langue. Pour ma part, bien qu'étant né en Pologne, je rêve désormais en français. Dans quelle langue peut-on rêver l'Europe aujourd'hui ? Paradoxalement, c'est dans l'anglais des Etats-Unis que nous le faisons. Ainsi ce pays créé par des Européens nous impose-t-il une langue dans laquelle nous communiquons. Cela traduit à mon sens un manque de substance pour le rêve européen. Il reste beaucoup de travail à accomplir en ce sens.

Le mythe de la nation française existe bien. Quand on évoque Astérix le Gaulois, tout le monde comprend à quoi l'on fait allusion. Ainsi, lorsque j'explique que les Juifs sont arrivés en France à l'époque d'Astérix, cela fait du sens mais si je dis que cette installation s'est produite à l'époque de Jules César, personne ne comprend. Alors qu'il écrivait L'apprenti sorcier , Goethe alla visiter la synagogue du rabbin Maharal à Prague, lieu de création du Golem. On sent à travers cet exemple qu'une symbolique européenne s'est construite à ce moment-là avec des légendes qui circulaient d'un pays à l'autre. Mais je ne crois pas que nous ayons su créer une légende européenne.

Homère et la Bible sont les seuls mythes partagés par tous les Européens. Il n'en existe pas de plus récents, bien que Napoléon ou Victor Hugo aient rêvé de l'Europe. Hitler avait également un projet européen, celui d'une Europe sous domination allemande.

Mais ces rêves ne sont pas bien connus des Européens qui « zappent » lorsqu'on leur propose une émission sur l'Europe à la télévision. Il faudrait songer par exemple à rassembler ces rêves européens dans un ouvrage qui serait traduit dans toutes les langues du Vieux continent afin de donner des points de repères aux Européens. Tout reste à faire en ce domaine, même s'il est déjà bon d'en parler.

Jean-François SIRINELLI

Il est bon d'en parler, en effet, et j'invite maintenant nos orateurs à suivre le conseil de Monsieur Marek Halter. Sans plus tarder, je donne maintenant la parole à Monsieur Benoît Falaize.

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