ÉLUS LOCAUX ET ASSOCIATIONS : UN DIALOGUE RÉPUBLICAIN



PALAIS DU LUXEMBOURG, 28 JUIN 2001

LE SÉNAT ET LES LIBERTÉS

Intervention de M. Christian PONCELET, Président du Sénat

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

Mesdames et Messieurs les représentants des associations.

Messieurs les Présidents de l'Association des maires de France, de l'Association des départements de France et de l'Association des régions de France,

Mesdames et Messieurs,

Si le Sénat a souhaité participer activement aux commémorations du centenaire de la loi du 1er juillet 1901, consacrant le principe de la libre constitution des associations, ce n'est pas seulement parce que son auteur, Pierre Waldeck-Rousseau était Sénateur.

C'est parce que le Sénat et les associations entretiennent des liens très anciens et particulièrement féconds, à un double titre : D'une part, c'est le Sénat qui, en sa qualité de défenseur des libertés, a véritablement sauvé en 1971 la liberté d'association. Je vais y revenir.

Par ailleurs, son rôle de représentant des collectivités locales fait de lui le défenseur de l'autonomie locale, qui est une forme de liberté collective, et un interlocuteur naturel du mode associatif, puisque celui-ci est un partenaire quotidien de tous les élus locaux.

Le Sénat, je l'évoquais à l'instant, a sauvé la liberté d'association : le 29 juin 1971, il rejetait en effet le projet de loi du Gouvernement Pompidou, qui avait pour objet de remplacer le régime de la simple déclaration préalable, -nécessaire jusque là à une association pour obtenir la capacité juridique-, par un régime d'autorisation préalable, confiée à l'administration ou au procureur. Ce système permettait un véritable contrôle a priori de l'objet et de la nature de toutes les associations désirant obtenir la capacité juridique.

Le 1 er juillet 1971, considérant que ce dispositif était contraire à la Constitution, le président du Sénat, Alain Poher, en a, comme Monsieur le professeur Jacques Robert vient de le rappeler, saisi le Conseil constitutionnel. Celui-ci, un peu contre toute attente il faut bien le reconnaître, a donné raison au président du Sénat.

Ainsi, comme les satellites, les institutions s'échappent parfois de l'orbite sur laquelle leurs créateurs avaient voulu les placer.

Tel est le cas manifestement du Sénat, conçu par les constituants comme une arme contre l'indiscipline de l'Assemblée nationale, et qui s'est rapidement érigé en défenseur des libertés publiques et en contre-pouvoir au sens de Montesquieu. C'est ainsi qu'au nom des libertés publiques, de l'équilibre des pouvoirs et du respect de la Constitution, le président Monnerville s'est opposé au référendum du général de Gaulle sur l'élection du Président de la République, et surtout à la procédure choisie par le Général, pour l'organiser.

Dans ce premier conflit, le Conseil constitutionnel n'a pas suivi le Sénat puisqu'il s'est estimé incompétent pour apprécier la conformité du référendum à la Constitution.

C'est ainsi également qu'en 1971, le président du Sénat, Alain Poher, a réitéré cette audace et son opposition à l'exécutif, toujours au nom de la sauvegarde des libertés, en soumettant pour la première fois depuis le début de la Vème République, une loi à la censure du Conseil constitutionnel. Ce faisant, il mettait fin à deux siècles d'absolutisme de la loi dans notre pays, et permettait au droit de prendre enfin la place qui lui revenait dans un État démocratique.

Tel est également le cas du Conseil constitutionnel, qui n'était conçu à l'origine par les constituants, que comme un garde-frontière entre les domaines respectifs des articles 34 et 37 de la Constitution. Grâce à la saisine du Sénat, il a pu s'ériger en véritable juge de la constitutionnalité des lois.

En effet, en donnant valeur constitutionnelle au préambule de la Constitution (alors même que le Comité consultatif constitutionnel l'avait expressément exclu au cours de l'une de ses réunions, en août 1958), le Conseil constitutionnel s'est émancipé du pouvoir exécutif et s'est clairement posé en défenseur des libertés publiques des citoyens, face aux pouvoirs, exécutif et législatif.

Sa décision du 16 juillet 1971 constitue, à cet égard, son véritable acte de naissance.

Depuis cette date, il a, au fil de ses décisions, confirmé la valeur constitutionnelle d'un grand nombre de libertés figurant dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, mais aussi de nouveaux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, au premier rang desquels figurait la liberté d'association.

C'est d'ailleurs à nouveau grâce à la saisine du président du Sénat qu'en 1973, le Conseil a pu confirmer la valeur constitutionnelle du principe d'égalité, à l'occasion d'un projet de loi relatif à la taxation d'office.

Depuis la réforme constitutionnelle de 1974, qui a ouvert la saisine du Conseil à 60 députés ou 60 Sénateurs, ce sont les parlementaires eux-mêmes qui ont pris le relais du président du Sénat.

Même si leurs recours sont davantage fondés sur des motifs politiques que juridiques, ils ont eu aussi pour effet de consolider un certain nombre de libertés, comme celle de l'enseignement.

Le combat mené par le président Poher, en faveur de la liberté d'association, méritait donc d'être particulièrement salué et commémoré, comme une grande victoire de la démocratie.

Mais, comme je l'évoquais au début de mon intervention, le Sénat défenseur des libertés publiques, est aussi le représentant et le défenseur des collectivités territoriales et de l'autonomie locale. Ce bonus que lui donne la Constitution, a nourri davantage encore ses liens avec le monde associatif, de manière cette fois très concrète et très quotidienne.

Le développement considérable du nombre d'associations et de leurs domaines d'intervention, a en effet beaucoup profité aux collectivités territoriales, puisque tous deux sont des acteurs de terrain. Ce développement a été si important que les associations sont devenues des relais indispensables de l'action des collectivités locales.

Que leur objet consiste à compléter cette action, parfois à la suppléer, ou bien à jouer un rôle de diversification des formes de démocratie locale -ce qui constitue une tendance plus récente et plus controversée-, les associations sont aujourd'hui des partenaires incontournables des élus locaux.

C'est le signe manifeste de la vitalité de la société civile, de son désir de participer à la chose publique, mais d'y participer autrement que par les canaux traditionnels. Nous savons tous cependant que le développement, certains diraient « l'activisme » des associations auprès des collectivités locales, n'a pas été sans poser un certain nombre de difficultés. Les élus n'ont pas toujours fait le meilleur usage, ou le meilleur accueil, selon le type d'associations concernées, à ces dernières. Quant aux associations, elles n'ont pas toujours eu la rigueur nécessaire et n'ont pas toujours eu pour seule préoccupation, le bien commun.

Mais, nous avons besoin les uns des autres, car nous faisons vivre, chacun dans nos domaines respectifs, la démocratie de proximité que les français plébiscitent. Nous sommes le coeur et les poumons de ce que j'ai appelé la République d'en bas ou la République territoriale, la seule aujourd'hui qui sache faire preuve d'imagination et de créativité.

C'est pour cette raison que je souhaite le développement de relations contractuelles entre nous. Seul ce type de liens peut éviter les errements du passé. D'une part, en assurant l'indépendance de l'association, mais, d'autre part, en lui imposant une gestion transparente. L'évaluation de l'action menée par l'association doit aussi à mon sens, faire partie de toute relation contractuelle. Elle est le corollaire indispensable de toute subvention. Une telle démarche est de notre intérêt à tous. Elle évitera à la fois l'instrumentalisation de certaines associations et les dérives de gestion de certaines autres, qui ne pouvaient que ternir leur image.

Sur ces bases empreintes de confiance et de respect mutuels, notre travail commun ne peut qu'être encore plus fructueux qu'il l'est aujourd'hui, pour le plus grand bénéfice de nos concitoyens.

Je vous remercie de votre attention.

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