L'avenir de la codification en France et en Amérique latine



Palais du Luxembourg, 2 et 3 avril 2004

Carlos Molina

Professeur à /' Université de Medellin ;

L

es deux interventions que nous venons d'entendre, qui au fond se rejoignent sur la façon de codifier les textes modernes, sont dans la forme des exposés très divers qui méritent d'être clairement distingués : le premier, celui de M. le professeur Luiz Edson Fachin de l'Université de Paraná, qui porte sur Le juriste de demain et la connaissance du Code civil, traite de l'avenir de la formation du juriste de demain. Cette intervention nous laisse une grande inquiétude sur la formation philosophique des actuels rédacteurs de codes. C'est une réflexion théorique très importante qui remet en évidence le rôle académique des universités du monde entier en matière de codification. Le deuxième exposé, celui de Mme Danièle Bourcier, directrice de recherche en sciences administratives du CNRS-Université Paris II, qui porte sur La codification et la légistique à l'heure du numérique, est par contre un exposé axé sur le passé d'une récente expérience codificatrice en France. D'un point de vue, plus pratique, cette intervention nous délivre un important enseignement sur la façon de codifier le droit d'aujourd'hui.

Nous allons procéder maintenant, pour chacune d'entre elles, à extraire, de manière générale, les quatre plus grandes idées qu'elles nous apportent:

I. LE JURISTE DE DEMAIN ET LA CONNAISSANCE DU CODE CIVIL

D'une manière très explicite, le professeur Fachin, nous laisse entendre qu'à l'heure actuelle, il existerait une grande contradiction entre la manière de codifier des anciens rédacteurs de codes et la façon dont les modernes s'en prennent aux textes. Pour lui, la codification n'est qu'un reflet de la formation juridique du législateur. Ce qui explique, qu'un bon codificateur doit avoir, avant tout, une bonne formation juridique et une solide conception de l'État. D'où, la nécessaire relation entre la législation, la jurisprudence et la doctrine.

A. LA CONTRADICTION ENTRE LES CODIFICATIONS ANCIENNES ET MODERNES

D'après le professeur Fachin, les rédacteurs des codes d'aujourd'hui, n'ont pas la même attitude que les juristes des siècles passés. Les codes modernes n'auraient, selon l'auteur, ni la même force ni la même profondeur pour des codes récents, tel le Code Napoléonien, que des codes anciens tels les codes d'Hammourabi et encore les XII Tables. Cela s'expliquerait facilement par le fait que les codificateurs d'autrefois visaient toujours la précision, la logique et l'Universalité : Précision par la rédaction courte et la constante recherche de la perfection ; Logique par la rédaction de postulats clairs et de longue durée ; et enfin Universalité par l'uniformité et la cohérence des constructions grammaticales. Par contre, les rédacteurs de codes modernes se caractériseraient, dans la rédaction de textes, par la simplicité, l'informalité et la temporalité : Simplicité dans la rédaction de longues phrases avec des mots imprécis ; Informalité dans les structures non complexes ; et enfin Temporalité des textes pour l'époque et pour les circonstances.

B. LA CODIFICATION EST UN REFLET DE LA FORMATION JURIDIQUE DU LÉGISLATEUR

Suivant les réflexions de l'auteur - s'il est vrai, comme nous avaient appris les philosophes anciens, que légiférer est une activité réservée aux sages car les codes traitent normalement de la vie, du patrimoine et des relations juridique des personnes - , on devrait trouver dans les textes juridiques codifiés : premièrement des principes généraux, qui guident l'ensemble des normes, deuxièmement des concepts juridiques indéterminés qui rendent en quelque sorte les textes immortels, et finalement une régulation des cas généraux pour permettre le traitement des tous les cas et circonstances. Or, il se trouve que de nos jours nous ne trouvons plus cette sagesse dans les textes et de ce point de vue, M. Fachin y appelle à l'apprentissage du droit civil et à une correcte formation du juriste du demain.

C. UN BON CODIFICATEUR DOIT AVOIR UNE BONNE FORMATION JURIDIQUE ET UNE SOLIDE CONCEPTION DE L'ÉTAT

Pour l'auteur, les systèmes juridiques ne sont que le reflet du modèle du gouvernement mis en place. C'est-à-dire, que les postulats juridiques que l'on trouve dans les codes ne seraient en définitive que l'expression des politiques d'État. Ce pourquoi, un mauvais système juridique expliquerait facilement une politique d'exclusion sociale, et au contraire un bon système juridique serait à l'origine d'une politique juste d'intégration sociale. D'où, l'incontournable contradiction de notre temps, surtout dans les pays en voie de développement, où les compétences de l'État se réduisent progressivement comme peau de chagrin, tandis que les besoins d'assistance sociale augmentent considérablement.

D. LA NÉCESSAIRE RELATION ENTRE LÉGISLATION JURISPRUDENCE ET DOCTRINE

Si l'on en croit l'auteur, les temps ont changé. Après plus d'un siècle, comme l'a bien annoncé le renommé Carré de Malberg dans son incontournable La loi expression de la volonté générale, on assisterait à la constitutionnalisation du droit. Jean Rivero, l'avait montré dans son célèbre article sur Les sources des droits administratifs, dans lequel il mettait en évidence la constitutionnalisation de la fonction publique, du régime des collectivités territoriales et celui des droits et libertés individuels. Mais, il semblerait que les juristes et chercheurs de notre époque ne seraient pas assez conscients du phénomène. L'auteur se demande, avec raison, si les élites intellectuelles d'aujourd'hui ont su adapter, dans la rédaction et dans la codification des textes, le changement profond qu'a entraîné la constitutionnalisation de la loi. Pour lui, la doctrine actuelle n'est pas assez critique, ne se manifeste pas et ne nourrit pas assez l'analyse jurisprudentielle. Ce qui en définitive laisse sans support le travail des législateurs, qui dans la plupart des pays sont les codifïcateurs des textes.

En conclusion, il serait évident que de nos jours, il existerait de la part de nos juristes et codificateurs un rejet général des idées nouvelles, un manque de rigueur conceptuelle et une absence de formation juridique adéquate.

II. LA CODIFICATION ET LÉGISTIQUE À L'HEURE DU NUMÉRIQUE

Le deuxième exposé, n'est en définitive que l'explication de la politique française de codification mise en place en 1989 à travers la Commission Supérieure de Codification (CSC). Mais avant de nous expliquer cette expérience, l'auteur nous fait un nécessaire rappel d'exposition générale sur l'émergence d'une méthodologie de codification, sur les définitions de ce qu'est un code et de ce qu'est codifier, sur les différents types de codification et sur la lente systématisation de la codification en France. Néanmoins, l'intérêt principal de l'exposé se trouve dans l'expérience de codification française de 1989 dite à droit constant qui nous laisse d'après l'auteur quatre grandes idées :

A. LA CODIFICATION FRANÇAISE MISE EN PLACE EN 1989 RECOMPOSE LES TEXTES JURIDIQUES SANS EN MODIFIER LE FOND

De manière générale, il apparaît logique qu'avant de modifier un code, il faut savoir exactement ce qu'en est un. Plusieurs définitions sont données, mais nous n'en retiendront que deux : une structurelle et une autre instrumentale. La première de type formelle, serait un ensemble des règles de droit, collecté et promulgué par une autorité étatique. La deuxième, de type matérielle, serait un modèle de représentation d'un système juridique à un moment donné par l'État. Mais, il semblerait que sur la définition et même sur les origines, il n'y aurait pas tellement de discussion. Le vrai problème apparaîtrait au moment de choisir la méthode. En effet, cela tient à la réécriture des normes et à l'expression des comportements étatiques. D'où l'obligation pour les faiseurs de codes d'avoir une bonne connaissance du système juridique qui doit appliquer obligatoirement une certaine vision politique de la société pour laquelle on codifie.

En France, le projet de codification générale sur les collectivités locales serait un bon exemple de comment codifier les nouvelles données territoriales : décentralisation et autonomie, sans perdre de vue l'idée d'unité territoriale qui a accompagné la France depuis cinq siècles. Le nouveau code applique une nouvelle conception de pouvoir de l'État, plus transversal et moins hiérarchique, pour essayer d'harmoniser les différents statuts locaux avec les besoins d'unité nationale.

B. UNE BONNE CODIFICATION TIENT À SON ÉQUILIBRE ENTRE L'ÉTENDUE DE LA NORME REPRISE ET LES DEGRÉS DE MODIFICATION SOUHAITÉS

La codification de 1989 en France serait plus une compilation de textes qu'une véritable codification. Il y aurait dans cette expérience une reprise de normes sans ordre apparent pour assembler un texte commun. Comme nous montre l'auteur, une codification ne serait pas seulement une simple compilation de textes, elle serait aussi une consolidation de l'intégration entre les nouvelles et les anciennes dispositions. Mais, elle serait encore une mise en ordre du droit existant ; c'est-à-dire, ordonner et classifier les différents domaines du droit. Une codification serait enfin, la modification juridique systématique qui rend compte des changements légers ou profonds du droit.

En définitive, la codification de 1989 serait un projet ambitieux quant à la reprise de l'ensemble du droit, mais il resterait trop en deçà de la véritable codification. Cette expérience ne supposerait aucune règle nouvelle ni même aucune opération de réécriture. Mais on doit lui reconnaître néanmoins qu'elle fait un grand apport d'organisation face à la grave situation d'inflation législative existante. Cette inflation empêcherait la connaissance du droit en vigueur et le rendrait inaccessible et ingérable. Cette expérience poursuivrait aussi, avec d'autres principes et d'autres méthodes, les autres codifications entreprises dans l'histoire du système juridique français.

C. DANS LE PROCESSUS DE CODIFICATION FRANÇAISE DE 1989 ON VOIT CLAIREMENT UN PRINCIPE ET UNE MÉTHODOLOGIE AFFIRMÉS

Le principe serait la codification à droit constant, c'est-à-dire, rassembler le droit sans ajouter des règles nouvelles. Ce serait moins complexe qu'une codification à droit existant où il faut tenir compte principalement des validations constitutionnelles, communautaires, ainsi que des validations des dispositions particulières (statuts spéciaux), mais encore des corrections de modifications implicites. Ce qui serait inégalable au moment de rassembler et de comprendre le texte tout en entier.

Quant à la méthodologie, elle serait pragmatique mais systématique. C'est-à-dire : une présentation par livres, titres et chapitres ; pas de renvois aux normes ou à d'autres codes et une ensemble le plus exhaustif des normes. Ce qui rendrait le code moins complexe et plus complet.

Ce principe et cette méthodologie sont acceptés par la loi de codification, qui permet non seulement l'organisation mais aussi la cohérence du droit.

D. LA LÉGISTIQUE ET L'INFORMATIQUE SONT DES ÉLÉMENTS NOUVEAUX PRÉ SENTS DANS LA CODIFICATION FRANÇAISE

Les éléments nouveaux dont dispose la codification actuelle en France rendraient : un meilleur accès aux textes, une lecture plus aisée et une écriture beaucoup plus améliorée.

Comme semble bien le montrer l'auteur, la codification de 1989 relancerait la question de la libre circulation de l'information juridique. Ce qui contribuerait à l'amélioration de la demande constante d'un meilleur accès au droit. Ce principe général garanti, permettrait que le public soit plus et mieux informé sur ses droits, libertés et obligations. Ce principe serait devenu un objectif constitutionnel qui permettrait une meilleure accessibilité et une plus claire intelligibilité de la loi. L'assistance par ordinateur et la technique du Magicode rendrait possible l'élaboration d'un code à droit constant plus populaire, si l'on veut, plus moderne si l'on croit. Ce qui devrait permettre une connaissance plus facile et une meilleure communication du droit, ou peut-être une simple démocratisation du droit ?

En conclusion, cette manière de faire la codification du nouveau droit, organiserait - c'est bien possible - le processus de codification dans le futur, mais pourrait aussi automatiser de manière générale le droit, ce qui laisserait moins de place à la pérennité et à l'uniformité de normes voulues autrefois par les codificateurs. Ceci pourrait enfin, restreindre encore plus la part d'interprétation dévouée aux juges dans l'analyse des textes, et de ce point de vue la codification moderne s'éloignerait de plus en plus de la codification ancienne.

Presentación de un proyecto de la Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains

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