L'avenir de la codification en France et en Amérique latine



Palais du Luxembourg, 2 et 3 avril 2004

Guy Canivet

Premier Président de la Cour de cassation française et membre honoraire de l'Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains

P

our une grande loi civile, deux cents ans d'histoire méritent davantage une vision prospective qu'une vision rétrospective, un regard extérieur qu'un regard introspectif. Pour cette raison, à côté des manifestations consacrées à l'histoire du Code civil et à son influence en France dans sa propre culture, sur les structures juridiques, économiques et sociales nationales, il est indispensable de tourner nos yeux vers des cultures, des États et des peuples amis pour apercevoir comment les grands principes posés par notre loi civile fondatrice, comment les règles phares du droit privé qui nous ont guidés jusque là, nous permettent et nous permettront de faire encore de la route ensemble, pour nous assurer qu'ils sont encore aujourd'hui et continueront demain à être des facteurs de rapprochement et de progression en commun dans la voie du droit privé vers la démocratie.

L'initiative de l'Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains de proposer un débat sur L'avenir de la codification en France et en Amérique latine est, à cet égard, remarquable à plus d'un titre.

Remarquable parce que la démarche des organisateurs de cette grande et belle manifestation internationale est voulue comme une incitation, un encouragement, une poussée à poursuivre ensemble dans les voies ouvertes de l'évolution du droit, de sa modernisation, de la promesse d'un droit plus juste.

Remarquable, cette manifestation l'est encore parce qu'elle invite à une réflexion commune, partagée entre des juristes de deux cultures et deux civilisations toutes aussi remarquables par leur identité propre que par leurs emprunts respectifs. Alors que les célébrations de notre Code civil donnent lieu à tant d'aveuglement et d'égarements nationalistes, une telle communion entre des cultures juridiques différentes, entre des juristes de traditions diverses, doit être montrée comme un démenti à la fermeture, au conservatisme et au sectarisme.

Dans un très beau texte sur L'influence du Code civil en Amérique latine, Arnoldo Wald discerne parfaitement ce double mouvement de convergence et d'identification, d'emprunt et de singularité 1 ( * ) .

Si le droit des pays d'Amérique latine est en général considéré comme formant une unité intégrant la famille romano-germanique, cette position mérite d'être aujourd'hui considérablement nuancée sur certains points et corrigée sur d'autres. Nuancé doit être le préjugé d'assimilation, d'abord parce que, depuis longtemps, le droit américain exerce une réelle L'influence sur le droit constitutionnel des États de formation fédérale. Il faut se rappeler, dit Arnoldo Wald, « que les citoyens d'Amérique latine ne sont pas seulement des latins, il sont aussi américains ». Corrigé doit encore être le poncif de l'unité, parce que, comme l'a déjà montré René David, en Amérique latine, comme ailleurs, la formation de chaque pays, ses traditions et son niveau de développement économique conditionnent l'interprétation des textes législatifs, la même loi ne pouvant être appliquée de la même façon dans des contextes économiques, politiques et culturels différents. Les créations et adaptations des droits de l'Amérique latine en font donc des droits dotés d'originalité à l'égard des droits de l'Europe occidentale. Corrigée doit enfin être l'idée d'unité entre les familles de droit latino-américain, parce qu'en Amérique Latine les différences de situation et de dimension entre les divers pays, tout comme les facteurs historiques, ne permettent pas même de reconnaître l'existence d'un droit latino-américain unique et uniforme même s'il y a, entre ces systèmes voisins, de grands dénominateurs communs.

À travers ces considérations mais bien au-delà, on peut estimer que si, pendant longtemps, les droits latino-américains ont emprunté et adapté ceux de l'Europe, ils revendiquent aujourd'hui d'être à l'avant-garde et de donner des solutions originales et modernes aux immenses problèmes sociaux et économiques qui leur sont propres et qu'ils doivent résoudre par eux-mêmes.

Ce double mouvement de ressemblance et de distinction est tout l'intérêt d'une réflexion commune, d'une recherche partagée, d'une investigation large et objective, portant sur l'influence qu'en Amérique latine peuvent conserver le modèle romano-germanique et la culture juridique française dans une perspective tout à la fois comparatiste et historique par rapport aux options alternatives sur les modèles de droit impliqués et au sentiment d'appartenance à la tradition romaniste.

Par ma voix, le Comité d'organisation du bicentenaire du Code civil salue avec la plus vive satisfaction la fructueuse initiative de l'Association Andrés Bello des juristes franco-latino-américains et félicite les organisateurs de ce colloque, parmi lesquels M. le professeur Larroumet dont la conviction et l'enthousiasme ont surmonté bien des indifférences et ouvert beaucoup de portes.

Une célébration n'a de sens que si elle est ouverture d'esprit et élan prospectif, un droit n'a de sens que s'il se transcende vers l'universel et qu'il tend vers le progrès.

Merci de votre attention.

* 1 WALD Arnoldo, « L'influence du Code civil en Amérique Latine », in Le Code civil, un présent, un passé, un avenir, Paris, Dalloz 2004.

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