L'avenir de la codification en France et en Amérique latine



Palais du Luxembourg, 2 et 3 avril 2004

Guy Braibant

Vice-président de la Commission supérieure de codification

RÉSUMÉ. Les objectifs de la codification sont toujours les mêmes : rationalisation du droit, plus grande accessibilité, sécurité juridique, remède aux inconvénients de l'inflation normative. La politique de codification a été relancée en 1989, avec la création d'une nouvelle « Commission supérieure de codification ». On évoque les principales modalités que cette codification a revêtues et les difficultés qu'elle a dû résoudre et également /' évolution de la codification depuis cette époque. Quelques problèmes de méthode sont évoqués, notamment la programmation des codes, leurs périmètres, leurs plans.

Le bicentenaire du Code civil a donné l'occasion au Président de la République d'affirmer à nouveau le maintien de cette politique, qui est à la fois une caractéristique du système juridique français et un élément de son rayonnement à l'étranger.

L

a France connaît, comme la plupart des autres pays, une formidable inflation législative et réglementaire qui a été dénoncée plusieurs fois au cours de ces dernières années par le Parlement, le Conseil d'État et la doctrine. Les inconvénients qui en résultent sont bien connus : instabilité des textes qui se succèdent à un rythme de plus en plus rapide et sont parfois modifiés dans l'année même de leur promulgation ; difficulté de connaître et de comprendre les textes applicables, notamment en raison du phénomène des abrogations implicites ; incohérences dans le système juridique.

Cette situation est contraire à la démocratie parce qu'elle ne permet pas aux citoyens de connaître leurs devoirs et leurs droits. Elle prive de tout son sens la formule traditionnelle selon laquelle nul n'est censé ignorer la loi. Elle est de ce point de vue particulièrement grave en matière pénale. De leur côté les fonctionnaires, les magistrats, les avocats ne se retrouvent pas dans cette confusion de textes. Souvent de nouvelles normes sont créées simplement parce que les anciennes sont ignorées. Lorsque des procès s'étalent sur plusieurs années, ils sont, parfois, soumis à des législations différentes. Cette situation est aggravée, dans un pays comme la France, par le double développement des normes internationales, en particulier en raison de la construction européenne, et locales, dans le cadre de la politique de décentralisation, auxquelles s'ajoutent les nouvelles normes des « autorités administratives indépendantes ».

Le rapport du Conseil d'État de 1991, qui s'intitulait précisément « de la sécurité juridique », contenait une critique vigoureuse de cette situation et appelait les pouvoirs publics à y mettre fin. Malheureusement aucune autorité ne peut empêcher le Parlement de légiférer ni le Gouvernement de réglementer, dès lors qu'ils agissent dans le cadre de la Constitution et de la légalité. C'est pourquoi il est apparu nécessaire d'essayer au moins de mettre de l'ordre dans le fatras des textes, en procédant à leur codification.

Il s'agit là d'une tradition française qui trouve ses origines dans les codes de Justinien. L'oeuvre de codification a été entreprise en France dès le XVI e siècle, sous le Roi Henri III. Elle a été reprise d'une façon éclatante sous la Révolution et l'Empire pour aboutir alors aux cinq grands codes napoléoniens : civil, pénal, de commerce, de procédure civile et d'instruction criminelle. Il s'agissait alors de codes novateurs qui réformaient le contenu du droit en même temps qu'ils le mettaient dans un ordre logique. Plus récemment la France a entrepris une politique de codification dans un sens plus étroit et plus exact de ce terme : regrouper dans des codes thématiques les lois et règlements en vigueur sans les modifier ou du moins en ne leur apportant que des modifications mineures et formelles. C'est ce que nous appelons la codification « à droit constant ». Cette politique a été lancée en 1948 sur la base d'un rapport du « comité d'enquête sur le coût et le rendement des services publics ». Il a été alors créé une première Commission supérieure de codification qui a accompli entre 1950 et 1980 une oeuvre importante comportant une quarantaine de codes. Ces codes étaient eux-mêmes divisés en une partie législative regroupant les lois applicables dans la matière et une partie réglementaire comprenant les décrets du Gouvernement. Les deux parties étaient alors adoptées par décrets de sorte qu'il n'était pas possible d'abroger les lois antérieures et que les parties législatives étaient juridiquement fragiles. Toutefois, dès cette époque, certains de ces codes, environ la moitié, avaient été ratifiés par le Parlement.

Après une période de ralentissement, la politique de codification a été fortement relancée en 1989, précisément pour répondre à l'aggravation de l'inflation normative. Une nouvelle Commission supérieure de codification mieux composée, dotée de moyens plus importants et présidée par le Premier Ministre lui-même, a été constituée.

Après une expérience de quinze années, il peut sembler utile de rappeler les motifs du développement de la codification, d'en préciser les modalités et d'évoquer sa réforme récente.

Depuis que je suis vice-président de la Commission supérieure de codification, la plupart des Premiers ministres que j'ai connus, qu'ils soient de gauche ou de droite, ont soutenu la codification, de même que les Présidents de la République. Il s'agit donc d'une volonté politique forte et consensuelle qu'il faut analyser.

La raison initiale et principale est que la codification a été considérée par les responsables politiques comme une réponse à ce mal qui envahit tous les pays et la France en particulier : l'inflation normative. On a parlé de « prolifération des textes », « d'instabilité des règles », « de droit foisonnant », « de droit opaque ». Tous ces qualificatifs désagréables expriment ce qui a été la cause fondamentale, profonde, même si ce n'est pas toujours exprimé, de cette relance de la codification : mettre de l'ordre dans ce chaos, au niveau français et, il faut espérer un jour, au niveau européen. Ce n'est pas par hasard que la relance de la codification, en 1989, est contemporaine du rapport annuel du Conseil d'État de 1991, dont la partie générale était consacrée à la « sécurité juridique ».

Derrière cette raison générale et fondamentale, on peut discerner trois objectifs spécifiques :

(1) D'abord, la réforme administrative, comme en 1948 : un rapport administratif consacré à « l'État en France » proposa de « codifier l'ensemble des textes français d'ici l'an 2000 ». C'était un vaste programme, difficile à réaliser ; mais, dans un rapport qui n'avait pas pour objet essentiel des questions juridiques, il est intéressant de constater que la codification figurait en bonne place parmi tes conclusions. Cette idée a été reprise ensuite dans un séminaire gouvernemental sur la réforme de l'État et elle est devenue ainsi un objectif officiel.

(2) Ensuite la mise en ordre des textes et du droit. C'est la rationalisation de la présentation du droit.

(3) Enfin, celui qui a été mis le plus en valeur par les Premiers ministres qui se sont succédés, est l'accès au droit, la possibilité de redonner un sens à la formule traditionnelle : « nul n'est censé ignorer la loi », ce qui est totalement impossible maintenant qu'il existe des milliers de lois et des dizaines de milliers de règlements, sans compter les textes locaux, européens et internationaux. C'est un élément de la démocratie.

Il s'agit d'offrir aux citoyens, aux entreprises, aux fonctionnaires eux-mêmes, la possibilité d'accéder au droit facilement, car il est plus commode de consulter un code que de se retrouver dans deux cents textes. Il y a là un élément de ce que l'on appelle l'État de droit. Il est évident que l'accès au droit par l'informatique est très largement facilité par le regroupement, dans un certain nombre de codes, de l'ensemble de nos textes.

Prenons un exemple : le code général des collectivités territoriales comporte, près de deux mille articles. J'avais lancé un slogan : « mille textes en un code » ; je n'étais pas loin de la vérité. On comprend facilement le progrès qui en résulte, notamment pour les élus, et au delà pour tous les citoyens. De même, le code de la propriété intellectuelle rassemble tout ce qui concerne la propriété littéraire et la propriété industrielle, jusque là également dispersé entre de nombreux textes. Nous avons élaboré un code de l'éducation; tous ceux qui ont quelque chose à voir avec l'éducation, enseignants, usagers, écoliers, lycéens, étudiants savent à quel point les textes sur l'éducation sont multiples et enchevêtrés ; leur rassemblement en un seul code constitue là aussi un progrès considérable. Personnellement, je ne me résous pas au développement d'un droit trop compliqué pour être connu et compris. Le Code civil est lui-même le meilleur exemple d'un texte clair et accessible.

Malgré ses avantages évidents, la codification s'est heurtée à certaines objections. Certains éprouvent le sentiment d'une perte d'histoire : les juristes français sont habitués à l'édit de François 1 er sur ceci, à la loi de 1884 sur cela et c'est une partie de notre culture historique ; on regrette qu'elle disparaisse, qu'elle soit absorbée dans les codes qui abrogent et font table rase. C'est un peu dommage parfois ; mais, en tout cas, l'argument de certains professeurs ou praticiens selon lequel pour comprendre un texte il faut le resituer dans le contexte historique du moment où il a été adopté, trouve une réponse dans les tables de concordance dont les codes sont accompagnés ; ces tables permettent en effet de trouver tout de suite l'origine d'un article dans une loi de 1810 ou de 1884.

Il y a peut être aussi une perte de poésie. Certains textes sont célèbres ou pittoresques ; une loi nous a arrêté quelque temps et nous a fait rêver : elle concernait tes « terres vaines et vagues » de Bretagne ; mais c'est un texte du XIX e siècle qui n'avait jamais été appliqué ; on a versé une larme et on l'a fait disparaître ; de toute façon on ne l'a connue que le temps de la codification, car elle était totalement ignorée.

Plus grave serait l'argument tiré d'une perte de souplesse ; on dit que la codification rigidifie, gèle, l'évolution du droit ; une fois que les textes sont intégrés dans les codes, ils ne bougeraient plus. Si vraiment la codification introduisait une certaine stabilité dans le droit, ce ne serait pas une catastrophe, car actuellement on souffre plutôt de son instabilité, qu'avait dénoncée en son temps le rapport du Conseil d'État.

Mais, à l'inverse, il est certain qu'un secteur du droit est beaucoup plus facile à réformer dès lors qu'il est codifié, parce que l'on y voit clair, parce que l'on a tous les textes dans un seul code et qu'on peut ainsi mieux repérer ceux qu'il faut modifier, pourquoi et comment? Il est beaucoup plus facile de vérifier la pertinence de ces modifications, de bien tes cibler en ayant un code sous les yeux au lieu de vingt-cinq textes qu'il faut organiser et comparer. Ce n'est pas seulement une question de commodité matérielle, mais de clarté juridique. La codification facilite la réforme au lieu de l'entraver.

Les difficultés les plus sérieuses ne concernent pas le principe même de la codification mais ses modalités, qui ont évolué depuis cinq ans.

La codification française est fondée sur deux principes:

ï Le « droit constant » qui focalise la plupart des critiques ;

ï L'adoption des parties législatives par le Parlement.

Au sens strict, le « droit constant » veut dire codifier sans modifier. Tous les Premiers ministres qui se sont occupés de la codification depuis quinze ans ont soutenu ce principe du droit constant. Pourquoi ?

Dans la période de 1948 à 1988, c'était inévitable puisque la plupart des codes prenaient la forme de décrets ; ceux-ci ne pouvaient pas modifier des lois en tout état de cause. Depuis, c'est de la ratification par le Parlement que découle la même exigence ; celui-ci peut accepter plus facilement un code conforme au droit existant qu'un code réformateur dont le vote pourrait prendre plusieurs années si même il intervenait un jour.

C'est seulement après la publication du code que l'on peut passer à la réforme, en particulier à la simplification du droit, c'est une deuxième étape. Les deux étapes sont d'ailleurs liées. En effet, lorsque la Commission supérieure de codification a achevé un code, celui-ci est transmis au Premier ministre qui est le président de la Commission, en lui indiquant les réformes que la fabrication de ce code nous a suggérées. En codifiant on découvre un certain nombre d'anomalies, de maladresses, d'imperfections auxquelles il convient de remédier, tout de suite si elles sont mineures, plus tard si elles sont importantes et méritent une étude plus approfondie.

Le principe du droit constant doit être appliqué d'une façon intelligente et ne dispense pas de réfléchir. D'abord, il faut mettre à jour le langage ; c'est le plus facile ; si l'on remplace « Procureur royal » par « Procureur de la République », ce n'est évidemment pas une modification véritable du droit. Il peut y avoir aussi des expressions archaïques que parfois on a envie de garder parce qu'elles sont pittoresques mais que souvent on a envie de changer parce qu'elles sont incompréhensibles.

Il faut ensuite, et c'est déjà beaucoup plus délicat, adapter au droit constitutionnel actuel des textes qui sont parfois très anciens, qui remontent au XIX e siècle sinon avant. Puisque les codes sont présentés à la ratification du Parlement, il ne faut pas lui demander de voter des textes qui seraient contraires à la Constitution de 1958 ou à son interprétation par le Conseil constitutionnel. On peut en donner des exemples.

Dans le code de la consommation, a été insérée une loi de 1905 sur la répression des fraudes ; cette loi n'est guère conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les pouvoirs d'investigation des autorités administratives. Le Conseil d'État en a discuté longuement ; il a admis cette exception aux principes au nom des nécessités de la répression des fraudes ; nous sommes dans une matière qui intéresse l'hygiène et la santé publique, et il faut que les fonctionnaires compétents aient des pouvoirs importants. D'une façon générale, de grandes lois anciennes et fondamentales, qui ne sont pas bien insérées dans les principes fondamentaux de la République au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ne doivent pas être altérées pour ce seul motif.

À l'inverse, une loi fondatrice de 1882 sur l'enseignement primaire avait indiqué dans la liste des matières enseignées : « pour les garçons des exercices militaires, pour les filles des travaux d'aiguilles ». Il est clair que ces formules, qui n'avaient jamais été abrogées expressément n'étaient plus conformes au principe constitutionnel de l'égalité des sexes. Pour éviter toute ambiguïté, nous avons proposé de constater cette abrogation, en employant une formule ancienne et commode : « sont et demeurent abrogés ». Cette formule permet à la fois d'exclure définitivement la disposition contraire à la Constitution, sans préciser à quelle date elle a cessé de s'appliquer. La codification révèle qu'on trouve dans notre droit de nombreuses dispositions que l'on a oublié d'abroger ou de modifier et qui sont encore souvent appliquées dans la pratique bien qu'elles aient perdu leur fondement constitutionnel.

Les textes codifiés doivent être également adaptés au droit européen. De nombreuses lois réservent des professions ou des activités aux français : ce n'est pas toujours conforme au traité de Rome ; nous sommes obligés dans ces cas de préciser « français ou ressortissants d'un autre État de l'Union européenne » ; c'est encore du droit constant mais revu et corrigé par le traité de Rome. Il faut toutefois s'assurer que les dispositions européennes sont applicables en France soit par l'effet direct d'un règlement, soit par transposition d'une directive dans le droit français.

Nous avons aussi à détecter les abrogations et notamment les abrogations implicites parce que nous ne pouvons pas mettre dans un code des dispositions contradictoires.

Le droit constant n'est pas facile à appliquer dans toutes ces hypothèses. Ce n'est pas un travail mécanique de colle et de ciseaux ou d'informatique ; il demande une réflexion qui n'est pas toujours simple.

Même à droit constant, la codification n'est pas neutre. Par exemple, le simple fait de mettre un texte dans le code de la consommation plutôt que dans le code de commerce a une signification, sachant que toutes les dispositions du code de commerce intéressent les consommateurs et réciproquement ; le code de la consommation est plutôt un code de protection des consommateurs et le code de commerce est plutôt un code de protection des commerçants.

Le deuxième principe de la codification, mis en place à partir de 1989 était celui de la ratification parlementaire pour la partie législative des codes. Ce fût un grand progrès mais, en même temps, une grande difficulté.

Un progrès, car cela permettait d'abroger les lois antérieures et d'associer le Parlement à l'oeuvre de codification. Un progrès aussi parce que le Parlement améliorait les codes sur un plan purement technique, comme d'ailleurs avant lui le Conseil d'État. Mais le Parlement avait parfois la tentation de sortir du droit constant, et là on doit savoir jusqu'où on peut aller.

En outre, son intervention peut soulever des difficultés. Ce fut le cas pour le code de commerce, dont la Commission des lois de l'Assemblée nationale n'a pas admis, pendant plusieurs années, l'existence même ; il en résulte des retards très gênants, parce que, pendant ce temps, le droit change et qu'il faut remettre à jour le projet de code en question.

Le pilotage de cette activité est assuré par la Commission supérieure de codification qui existait depuis 1948 et qui a été rénovée en 1989.

La Commission joue un rôle essentiel : d'abord dans l'élaboration du programme de codification, pour lequel elle fait des propositions au Gouvernement; ensuite dans la mise au point des plans des codes et de leurs textes ; enfin dans le suivi de leur élaboration, au Conseil d'État et au Parlement.

Pour le reste, le processus est long, lent et important par la mobilisation de forces qu'il représente. En amont de la Commission, les services du Premier ministre qui décident de faire un code, parfois d'ailleurs à l'initiative d'un ministre ; ensuite, les services du ministère qui préparent le code avec le concours d'un rapporteur particulier de la Commission qui est généralement un magistrat administratif, judiciaire ou financier. Ce n'est pas la Commission elle-même qui prépare les codes ; mais elle vérifie s'ils sont conformes aux principes et aux méthodes qu'elle a élaborés, s'ils sont juridiquement corrects, elle veille enfin à leur cohérence interne et externe.

Il faut souligner que tout au long de cette chaîne de fabrication des codes, l'informatique joue un rôle important. La codification peut être assistée par ordinateur. Le ministère qui est allé le plus loin dans ce domaine et qui a mis au point des logiciels intéressants, est le ministère de l'Intérieur, pour le code des collectivités territoriales. L'informatique ne suffit pas à tout ; mais c'est un moyen de contrôle et un moyen de gestion du code pendant toute sa fabrication ; un code donne lieu à des états successifs ; il y a l'avant projet de l'administration, le projet qui sort de la Commission, le projet qui va au Conseil d'État et ceux qu'adoptent les assemblées parlementaires. Il y a une bonne vingtaine de projets et à chaque fois il faut tout reprendre. Il faut notamment tout renuméroter; si on modifie la numérotation de quelques articles, tous les autres articles qui y renvoient, devront l'être aussi ; l'informatique rend ainsi de très grands services. Elle aide à élaborer les codes, comme elle facilite ensuite leur mise à jour et leur utilisation.

Au premier rang de nos problèmes, figure l'établissement d'un programme général. Il est vrai que nous avons commencé à faire des codes dont nous pensions qu'ils étaient incontestablement utiles et nécessaires, mais maintenant, on ne peut pas aller à l'aveuglette, on ne peut pas continuer à faire du coup par coup ou du code par code. Il faut que ces codes s'insèrent dans un programme général.

Quels codes fait-on par priorité ? La Commission propose un programme mais ce n'est évidemment pas elle qui peut l'adopter. Certaines décisions, comme celle de créer un code de la consommation, ont un caractère politique.

Le deuxième grand problème est celui du « périmètre » du code : que va-t-on mettre dans un code de commerce ? Dans un code monétaire et financier ? Dans un code de l'environnement ou dans un code du patrimoine ? On voit tout de suite que ces problèmes de périmètre sont des problèmes intellectuels très riches et aussi des enjeux de pouvoirs. Si je prends l'exemple du code de commerce et du code monétaire et financier, où place-t-on les valeurs mobilières ? Certains répondront, notamment du côté du ministère de la Justice, évidemment dans le code de commerce ; les valeurs mobilières, les actions, les obligations sont des éléments de la propriété des sociétés, de leur patrimoine et de leur financement ; mais le ministère des Finances a tendance à considérer que ce sont des produits financiers ordinaires. C'est un enjeu de pouvoirs entre les deux ministères et c'est en même temps un enjeu intellectuel, lié à l'évolution qui s'est produite depuis une trentaine d'années ; les actions et les obligations ne sont plus ce qu'elles étaient et il s'agit de savoir si elles ont déjà franchi le seuil de passage d'éléments de la vie des sociétés à un simple produit financier au sens banal du terme. De même, entre l'environnement et le patrimoine, nous avons eu le problème des sites naturels : éléments de l'environnement ou éléments du patrimoine ?

Un troisième problème est celui du plan. Sa mise au point est une opération difficile. Un bon exemple est donné par le code du patrimoine qui vient d'être publié.

Deux thèses se sont affrontées au sein du ministère compétent : celle d'un plan simple, vertical, dans lequel se succéderaient les bibliothèques, les archives, les musées et les autres grandes rubriques du patrimoine, et celle d'un plan plus intelligent, plus subtil, horizontal, qui distinguerait l'acquisition du patrimoine, son statut, sa gestion. Le ministre s'en est remis à la Commission supérieure de codification, qui a opté pour le plan le plus simple et le plus compréhensible : nous avons préféré un plan « intelligible » à un plan « intelligent » pour répondre à l'un des objectifs principaux de la codification : faciliter l'accès au droit pour l'ensemble des citoyens.

Avant 1989, la codification se faisait par décret, avec parfois des ratifications parlementaires. Mais 10 ans plus tard, il était établi que la loi n'était plus un support efficace en raison de l'encombrement du Parlement. C'est pourquoi après la relance de la codification en 1989, celle-ci a fait l'objet d'une importante réforme en 1999. Tous les principes dégagés par la Commission supérieure de codification ont été maintenus sauf un seul : celui de l'adoption des codes par le Parlement.

Gouvernement à la politique de codification, le Parlement n'était plus en mesure d'adopter les codes dans un délai raisonnable en raison de l'encombrement de son ordre du jour.

Il y avait aussi une contradiction : d'un côté, les gouvernements successifs proclamaient leur attachement à la codification, de l'autre, ils la rendaient impossible par l'accumulation accélérée de lois nouvelles, tout en dénonçant l'inflation normative. Le résultat était que la priorité était donnée aux lois nouvelles sur les codes qui rassemblaient des lois existantes. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé en 1999, dix ans après la « relance », de renoncer à la codification directe par la loi pour la remplacer par une codification par ordonnances. La codification demeurait une caractéristique du système juridique français. Mais elle redevenait efficace en étant confiée à des ordonnances, prévues par l'article 38 de la Constitution qui dispose que : « le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». La loi du 16 décembre 1999 « portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes », déclarée conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel du même jour, a ainsi délégué au Gouvernement le pouvoir d'adopter neuf codes qui avaient été préparés en partie ou en totalité par la Commission supérieure de codification. Cette première loi de délégation du « pouvoir codificateur » a été suivie de plusieurs autres.

Au colloque organisé à la Sorbonne pour le bicentenaire du Code civil, le Président de la République a indiqué que « près de la moitié des normes sont aujourd'hui intégrées à un code. Cet effort sera accentué et poursuivi afin qu'en 2010, toutes les grandes matières de notre droit soient codifiées ». Cette évolution est significative du consensus politique dont fait l'objet aujourd'hui en France la codification. Il est piquant de remarquer que la technique des ordonnances a été à l'origine introduite dans la Constitution en 1958 par la droite contre l'avis d'une partie de la gauche et qu'elle a ensuite été appliquée pour la première fois à la codification par la gauche. Il n'en résulte pas que le Parlement soit totalement exclu du processus car il intervient plusieurs fois : au début, pour approuver la délégation et à la fin pour ratifier les ordonnances prises par le Gouvernement. En outre, le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel exercent leurs contrôles habituels sur le projet de loi d'habilitation et sur la loi une fois votée.

On constate ainsi que la codification a déjà fait l'objet de plusieurs lois : une loi générale du 12 avril 2000 n° 2000 - 321 sur le droit des citoyens dans leurs relations avec les administrations ; ainsi que des lois d'habilitation portant sur un ou plusieurs codes, notamment la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit et celle qui est en cours d'examen par le Parlement.

Dans son discours à la Sorbonne, le Président de la République a évoqué la perspective d'une loi d'habilitation spéciale chaque année. Il apparaît ainsi que le Gouvernement, le Parlement et le chef de l'État s'accordent pour maintenir à la codification une fonction capitale dans l'évolution du droit français.

Sous des formes diverses, la codification continue donc à associer dans son développement les plus hautes autorités de l'État : Président de la République, assemblées parlementaires, Conseil d'État et Conseil constitutionnel. La Commission supérieure de codification, pour sa part, continuera à veiller, comme elle le fait depuis quinze ans, à la mise en oeuvre de cette politique, qui est à la fois une caractéristique permanente du droit français et un facteur de son rayonnement juridique dans le monde.

CÓMO CODIFICAR? EL MÉTODO* ( * )

* * Ce texte a été traduit en français par Paulina Andrés (membre de l'Associación Andrés Bello des juristes franco-latino-américains) et Sebastián Ríos (membre de l'Associación Andrés Bello des juristes franco-latino-américains et professeur assistant à l'Universite du Chili). La traducción est disponible sur le site : www.andresbello.org

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