« Femmes et pouvoirs » (XIXe - XXe siècle)


IV. ANNE-MARIE PAYET

Je voudrais d'abord excuser ma collègue Annick Bocandé qui n'a pu se joindre à nous aujourd'hui. Elle est en pleine campagne électorale et en quelque sorte elle est en train de se battre, elle aussi, pour la parité.

L'annonce de la loi sur la parité a provoqué chez certains hommes politiques et dans la population en général une certaine résistance qui s'est, globalement, manifestée sous deux formes.

D'un côté ceux qui pensaient, sans oser le dire ouvertement, que la place de la femme est au foyer, qu'elle doit s'occuper en priorité des tâches domestiques, de l'éducation des enfants. Pour eux, « femme » et « politique » étaient deux mots absolument incompatibles. Ils considèrent la femme comme un être fragile, qui n'aura pas suffisamment de force physique ou psychologique pour surmonter et affronter toutes les tensions, les agressions, les conflits qui sont monnaie courante dans ce monde cruel et presque exclusivement masculin.

Puis, de l'autre côté, ceux qui disent qu'une femme peut jouer, qu'une femme doit même jouer un rôle politique, mais que cela devrait se faire naturellement et qu'on n'avait pas besoin d'une loi pour cela. Ceux-ci craignaient en fait un détournement de la loi, une manipulation des femmes considérées comme de simples pions que l'on déplace à volonté. Il faut reconnaître que leurs craintes étaient hélas fondées, car certains, en métropole comme outremer, n'ont pas hésité à faire élire des femmes avec démission programmée en faveur de candidats masculins en cas de victoire. Certains auraient réussi je préfère parler au conditionnel. D'autres ont seulement tenté de le faire, mais ne sont pas allés jusqu'au bout, ramenés à la raison par des collègues plus respectueux des lois.

Et puis d'autres encore, déçus d'être relégués à la troisième place au profit d'une femme, n'ont pas pu résister à la tentation de présenter des listes dissidentes.

En plus de cette réticence, d'autres obstacles s'opposaient à la réforme. Un obstacle philosophique d'abord, car beaucoup considéraient cette loi comme une mesure de discrimination positive Mme Guigou a évoqué ce problème tout à l'heure. Et puis un obstacle constitutionnel, puisqu'en 1982 le Parlement français avait décidé que, pour les élections municipales, les listes de candidats ne pourraient comporter plus de 75 % du même sexe. Le Conseil constitutionnel a rectifié cette disposition.

Pour faire un rapide bilan de l'application de cette loi, il faut reconnaître que l'application de l'alternance hommes-femmes sur les listes a produit des résultats très encourageants aux municipales de 2001, même si le nombre de femmes maires ne s'est amélioré que dans des proportions modestes, et aux sénatoriales de la même année, même si les résultats ne portent évidemment que sur un tiers de l'effectif de la haute assemblée. Ainsi, les municipales de 2001 ont vu passer de 25,7 % à 47,4 % la proportion de femmes parmi les conseillers municipaux dans les communes de plus de 3 500 habitants. Les élections sénatoriales ne concernaient que la série B, le nombre de femmes élues dans cette série est passé de 5 à 22, soit de près de 5 % environ à 21,3 %.

En ce qui concerne maintenant les mesures d'incitation financière, elles ont permis, il est vrai, d'avoir 38,5 % de femmes candidates aux législatives de 2002, soit deux fois plus qu'en 1997, mais le nombre de femmes élues est faible, seulement 6 de plus qu'en 1997. Ce sont les petits partis qui ont joué le jeu de la parité, les grandes formations ont méconnu leurs obligations malgré les sanctions financières qui pénalisent davantage les petits partis mais beaucoup d'intervenants l'ont déjà souligné. Le bilan est donc décevant en ce qui concerne les mesures d'incitation financière, mais très positif pour ce qui est des mesures plus contraignantes, même si la ministre, Mme Ameline, a précisé tout à l'heure qu'il faudrait les conjuguer avec d'autres mesures, sans toutefois préciser lesquelles.

À La Réunion, les chiffres sont meilleurs que ceux de la moyenne nationale, mais dans certains cas seulement. Nous avons par exemple 6 femmes parmi les 49 conseillers généraux, soit 12 % contre 7 % en métropole ; 7 femmes parmi les 47 conseillers régionaux, soit 14 %, et là nous sommes en retard puisque la moyenne nationale est de 27 % (mais nous avons cette année un grand espoir de rectifier le tir) ; 1 femme parmi les 5 députés, soit 20 % contre 12 % en métropole ; 1 femme aussi parmi les 2 députés européens, soit 50 % contre 40 % en métropole ; et 1 femme parmi les 3 sénateurs, ce qui représente 33 % contre 11 % en métropole. En revanche, nous n'avons aucune femme maire, aucune femme à la présidence du conseil général, du conseil régional, ou à la tête des EPCI. En ce qui concerne les sénatoriales, La Réunion fait partie des départements de la série B, qui comporte trois sièges de sénateurs, mais nous ne serons pas pénalisés en terme de parité puisque le nombre de sièges de sénateurs passe de 3 à 4 avec la réforme de 2003.

J'aimerais maintenant évoquer mon engagement en politique. Je dis souvent que je ne suis pas entrée en politique, mais c'est la politique qui est entrée en moi et qui s'est imposée comme un devoir. J'ai commencé à militer après un changement de municipalité en 1995. Ma commune, qui avait toujours été de droite depuis sa création (c'est la plus jeune commune de l'île), s'est retrouvée à gauche par le biais d'une alliance contre nature, et j'ai senti, avec un groupe d'amis, le besoin de réagir. Nous avons donc structuré notre position, et nos efforts ont été récompensés parce que le candidat que nous avons présenté aux cantonales a été élu et, quelques années plus tard, nous avons aussi remporté les municipales.

Quand j'ai été contactée pour être sur une liste aux sénatoriales, j'ai été un peu étonnée, mais c'est vrai que la liste ne pensait pas obtenir 2 sièges. Mais à ma grande surprise et à ma grande satisfaction, nous avons obtenu 2 sièges et j'ai été élue. Ainsi, dans la même année, j'ai eu mon premier mandat celui de maire adjointe, en mars 2001 et en septembre le mandat de sénatrice. Ce qui fait que j'ai encore beaucoup à apprendre.

Le scrutin majoritaire reste de règle dans de nombreuses élections, les législatives, les sénatoriales dans les départements élisant de 1 à 3 sénateurs, ce qui représente quand même la moitié des sièges du Sénat, et les élections cantonales. Les femmes ont du mal à se faire une place avec ce mode d'élection, parce qu'elles n'ont pas l'investiture de leur parti. Le prétexte qui est le plus souvent invoqué, c'est qu'il est difficile, même au nom de la parité, d'écarter des hommes qui se sont investis dans les circonscriptions. Mais les chiffres le prouvent : 12 % de femmes députées, moins de 10 % de femmes conseillers généraux, et cette sous-représentation se fait sentir au niveau des exécutifs locaux. Il y a 11 % seulement de femmes maires, 1 seule femme parmi les présidentes des Conseils généraux, et 5 % de femmes seulement parmi les présidents des EPCI.

La parité en politique est bien sûr une affaire de lois, mais aussi une affaire de mentalités, et beaucoup considèrent que, tant que les tâches du foyer et l'éducation des enfants resteront en majorité de la responsabilité des femmes, et tant que la vie politique sera organisée de telle manière qu'une femme doit, pour s'y investir, renoncer en grande partie à une vie familiale normale, les femmes hésiteront à s'y engager. Et ce n'est pas un hasard si bien des femmes ne décident de s'engager dans des activités politiques qu'après l'âge de quarante ans, lorsque les enfants sont élevés.

Beaucoup reste à faire, donc, en terme de parité. Et si la loi est nécessaire, les effets de la loi ne seront pas suffisants si les partis politiques ne s'engagent pas à en faire une priorité. Certains partis ont émis quelques propositions. Par exemple, pour les municipales, abaisser à 2 500 habitants le seuil à partir duquel le scrutin proportionnel s'impose ; imposer le principe de la parité lors des désignations des adjoints au maire et des délégués dans les structures intercommunales ; étendre le scrutin proportionnel aux élections cantonales, ou maintenir le scrutin uninominal, mais en instaurant une suppléance paritaire, ce qui aurait l'avantage d'éviter un certain nombre d'élections partielles (il y en a eu, au cours des dix dernières années, 541 je crois.)

Il y a une proposition plus radicale, aussi, qui consisterait à généraliser le scrutin de liste proportionnel avec obligation d'alternance, et une proposition très importante qui envisage d'assurer la formation des militantes et des militants en amont, car les motifs de refus invoqués par les femmes quand elles sont sollicitées sont en priorité la peur de prise de parole et le manque de maîtrise de l'argumentaire politique.

En conclusion, je dirai que la France est le seul pays à avoir inscrit la parité dans sa Constitution, ce qui nous a permis de voter une loi pour que la moitié des candidats aux élections européennes, régionales et municipales, soient des femmes. C'est un acquis très important qu'il ne faut pas négliger, mais nous devons rester vigilantes et essayer d'améliorer la situation en permanence. Mme la présidente, Gisèle Gautier, a parlé ce matin de « mission de veille parlementaire », et je suis tout à fait d'accord avec elle. Parce que le cours naturel des choses et l'attente d'un éventuel changement de mentalité ne suffiront pas à rééquilibrer la représentation des femmes dans le monde politique.

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