Gouvernance d'entreprise : de la corporate connivence à la nouvelle gouvernance



Palais du Luxembourg, 28 janvier 2003

VERS UNE NOUVELLE GOUVERNANCE DES ENTREPRISES? Débats animés par NICOLAS BEYTOUT Directeur de la rédaction du journal Les Échos

M. Nicolas BEYTOUT -

Nous allons maintenant voir comment construire la nouvelle gouvernance des entreprises. Notre témoin sera M. Chantaraud, qui a créé l'Observatoire du dialogue et de l'intelligence sociale. Il a accompagné nombre de sénateurs lors de leur stage en entreprise.

M. Jean-François CHANTARAUD, directeur de l'Observatoire du dialogue social -

Les dirigeants les plus performants peuvent pratiquer des gouvernances différentes. La première exigence est d'expliquer. La limite en est que certains n'écoutent pas ou que s'ils écoutent, ils ne comprennent pas ; ou que, s'ils comprennent, ils n'adhèrent pas. Le dirigeant doit se mettre en position d'écoute. Il lui faut donc inventer une forme de gouvernance qui crée les conditions de l'explication et de l'écoute, autrement dit le dialogue. Celui-ci doit être engagé avec les administrateurs, avec les actionnaires, avec les salariés, avec les clients.

JEAN-FRANÇOIS CHANTARAUD

"Le dirigeant doit se mettre en position d'écoute. Il lui faut donc inventer une forme de gouvernance qui crée les conditions de l'explication et de l'écoute, autrement dit le dialogue."

Cela engage une évolution en profondeur du rôle du dirigeant, afin de déployer un partenariat d'association chez chacun des acteurs de l'entreprise. C'est dans cet esprit que Michelin a lancé le mot d'ordre de "performance et responsabilité". Le préalable est pour cela d'affirmer des valeurs, une mission, comme lorsque Carrefour veut favoriser l'accessibilité à la consommation du plus grand nombre. Il faut pour cela vouloir définir une mission, savoir le faire et être en position de la faire partager. Je pense à l'exemple de Kindy dont le président, M. Pétillon, est sensible au fait que la France ne produit plus aujourd'hui que 10 % de ses chaussettes contre la moitié il y a trois ans.

La détermination de ses missions va de pair avec un renforcement des liens avec les actionnaires et avec les clients.

M. Nicolas BEYTOUT -

Michelin est protégé par son statut de commandite. Comment voyez-vous la définition d'une telle mission dans une société comme la vôtre, M. Pébereau ?

MICHEL PÉBEREAU

"Nous avons besoin de normes comptables qui soient valides à l'échelle internationale. Pour les entreprises qui travaillent dans de nombreux pays, ce serait une simplification bienvenue."

M. Michel PÉBEREAU, Président directeur général de BNP Paribas-

Notre mission, c'est entreprendre pour créer des richesses. Il faut pour cela mobiliser à la fois les salariés, les actionnaires, les clients. Le projet d'entreprise doit être mobilisateur pour les uns et pour les autres. Chaque entreprise a ses possibilités, dans son marché, avec ses concurrents et ses clients. La complexité des choses fait que la gouvernance des entreprises doit être aussi efficace que possible. Ces modalités sont nécessairement variables d'une entreprise à l'autre. Il faut en permanence adapter les méthodes à l'évolution des réalités.

M. Nicolas BEYTOUT -

Il y a un problème de transparence. Celle-ci doit-elle être absolue ? Est-ce compatible avec la vie de l'entreprise ?

M. Michel PÉBEREAU -

La transparence est importante mais ne saurait être posée en absolu. Une entreprise a des secrets par rapport à ses concurrents. Michelin, par exemple, a une production qui n'appartient qu'à elle. Quand il m'a fait visiter son usine, M. Michelin m'a finalement conduit en chuchotant vers ce qu'il appelait "le saint des saints" : l'endroit où l'on testait les nouveaux pneus.

L'efficacité d'un système se juge à ses résultats et, globalement, le système français n'a pas failli. On peut toujours trouver des exemples d'entreprises défaillantes mais il ne faut pas que l'arbre cache la forêt et celle-ci, en France, est une prodigieuse capacité à entreprendre. Dans tous les domaines, dans toutes les tailles d'entreprises, des Français entreprennent et réussissent. Nos champions nationaux de naguère ont désormais une dimension européenne, quand ce n'est pas mondiale. Ne cassons pas une machine qui fonctionne au prétexte qu'ailleurs se posent des problèmes généraux alors que nous n'avons que quelques problèmes particuliers.

M. Nicolas BEYTOUT -

Madame Outin a une bonne vision de ce que les entreprises souhaitent. Avez-vous le sentiment, madame, que les chefs d'entreprise recherchent la transparence ?

Mme OUTIN-ADAM, directeur délégué
des développements juridiques à la Chambre
de commerce et d'industrie de Paris -

ANNE OUTIN-ADAM

"La transparence est essentielle mais doit être considérée comme un outil et non comme une fin en soi."

La transparence est essentielle mais doit être considérée comme un outil et non comme une fin en soi. Il y a vingt ans, la transparence était mal vue. La confusion règne aujourd'hui dans les esprits : on veut savoir si les dirigeants d'entreprise méritent ce qu'ils gagnent, ce n'est pas là de la transparence. Faire confiance à quelqu'un, ce n'est pas lui demander une transparence totale. En faisant de la transparence un objectif, on aboutit à des effets pervers. La publication des salaires des grands dirigeants d'entreprise américains n'a pas empêché qu'entre 1970 et 1999 le salaire moyen des cent principaux dirigeants des États-Unis passe de 1,3 à 37,5 millions. La transparence peut être une légitimation pour de telles pratiques, un outil de marketing, un habillage formel.

M.BEYTOUT -

Qu'en pense M. Gounelle, président d'une des fats four ?

PATRICK GOUNELLE

"Il est essentiel d'avoir un langage commun. La mission des commissaires aux comptes est d'améliorer la connaissance de l'entreprise."

M. Patrick GOUNELLE, Président de Ernst and Young France -

Nous exerçons un métier très normé. Notre tâche est de nous assurer que certaines normes sont effectivement appliquées. On n'emploie pas le mot transparence ; disons que le but est de pouvoir dire quelque chose comme "les comptes donnent une image fidèle de la réalité". Il faut que l'on comprenne ce qui se passe d'important dans l'entreprise donnée. En lisant notre rapport, un profane ne pourrait pas le comprendre car nos formulations sont extrêmement précises et concises, elles ne sont accessibles qu'aux initiés.

DIDIER CORNARDEAU

"Nous voulons, avec l'Association des petits porteurs d'actifs, créer un contre-pouvoir dans l'entreprise car les règles actuelles ne sont pas suffisantes."

M. Didier CORNARDEAU, Président de l'APPAC (Association des petits porteurs d'actifs) -

Nous voulons, avec l'Association des petits porteurs d'actifs, créer un contre-pouvoir dans l'entreprise car les règles actuelles ne sont pas suffisantes. Je crains que M. Mer ne mette en place une réglementation étouffante pour les entreprises. C'est une manie française. Les comptes sont très difficiles à lire et le petit porteur a besoin d'une assistance, notre intention n'est pas de nous mêler de la gestion des entreprises mais de participer à leur contrôle. Le ciment de la société, ce sont les actionnaires ; ils doivent pouvoir se rencontrer entre eux. Ouvrir aux actionnaires la possibilité de se rencontrer constituerait un bon objectif pour un projet de loi. Mais, pour le reste, laissons faire le libre échange, revenons à la base du droit bancaire français.

M. Nicolas BEYTOUT -

Les Américains ont réagi très vite à l'affaire Enron ; ils ont produit une réglementation. La France prépare une loi et de nombreux intervenants se demandent s'il faut vraiment légiférer. M. Clément, vous qui présidez la commission des lois à l'Assemblée nationale, pensez-vous qu'il faille légiférer après les rapports Viénot I et II et Bouton ?

PASCAL CLÉMENT

«La haute autorité des commissaires aux comptes dira plus que ce que pourrait dire la loi, mais ce sera une personne qui dira ce qui est possible et ce qui ne l'est pas»

H M. Pascal CLÉMENT, Président de la commission des lois de l'Assemblée nationale -

Bouton I, voulez-vous dire ! (Rires)

Nous avons plus de règles dans le droit français qu'il n'y en a dans le droit américain. La grande idée des libéraux, c'était l'autorégulation ; elle est morte avec les scandales qu'ont connus les États-Unis récemment. Nous aussi connaissons des dysfonctionnements ; dans l'affaire Vivendi, il y a eu une dérive de toutes les procédures de contrôle. Personne n'a émis d'objections, la dérive était générale, M. Messier n'était pas seul en cause. Un mois avant la quasi-faillite de France Telecom, son PDG déclarait que les comptes étaient sains. Il a dû faire ce mensonge institutionnel parce qu'il s'adressait au marché !

Nous allons faire une loi pour qu'existe une personne morale qui elle -et non la loi -- s'adresse aux investisseurs. C'est le contraire d'une loi fixant la pause casse-croûte dans les 35 heures ! La haute autorité des commissaires aux comptes dira plus que ce que pourrait dire la loi, mais ce sera une personne qui dira ce qui est possible et ce qui ne l'est pas ; il lui suffira d'interroger sa conscience, ce qui n'est pas très difficile quand on en a une. Ce n'est pas la loi qui règlera les choses mais l'Homme par sa vertu.

Le pays qui n'en voulait pas en est venu à faire une loi qui s'impose à toute société investissant aux États-Unis ; les Britanniques avaient commencé à légiférer après le scandale Maxwell. Il n'est pas absurde qu'à notre tour, nous fassions une loi.

L'administrateur indépendant, c'est le rideau de fumée : c'est indéfinissable. Les recommandations du rapport Viénot II ont été suivies par 24 % des entreprises, sans que l'on constate d'amélioration. L'autorégulation n'a pas marché. Si on crée une haute autorité, c'est pour que ce soit la jurisprudence qui tranche et non la loi. Ne rien faire nuirait à la France.

M. Nicolas BEYTOUT -

Comme M. Mer, vous êtes, M. Dubrule, un patron immergé en politique. N'avez-vous pas l'impression que l'on vous fait légiférer surtout pour gérer l'inquiétude de l'opinion publique ?

PAUL DUBRULE

" Il faut rétablir une société de confiance. Il y a maintenant l'exigence de développement durable, l'éthique."

M. Paul DUBRULE, sénateur, membre de la commission des affaires étrangères -

Il faut absolument restaurer la confiance. Un chef d'entreprise doit avoir la confiance de ses actionnaires, de son personnel, de ses clients. On n'en parlait pas il y a trente ans parce qu'alors, l'éthique des dirigeants leur faisait partager un modus operandi. Depuis lors, le nombre d'actionnaires s'est considérablement accru, il y a eu la mondialisation. Il fallait donc faire des lois. Mais pas une loi comme celle qui porte nouvelle régulation économique (NRE), ce monstre de confusion. Pensez que nous avons passé des heures à discuter dans l'hémicycle sur les rôles respectifs du PDG, du conseil d'administration et du conseil de surveillance !

Il faut rétablir une société de confiance. Il y a maintenant l'exigence de développement durable, l'éthique. A trop légiférer, on risque de perdre de vue l'objectif. Il y a eu des erreurs, bien sûr, c'est la vie. Mais n'allons pas, pour cela, tuer l'initiative, le goût du travail !

La formule par conseil d'administration fonctionne aussi bien que celle du conseil de surveillance ; ce qui compte, c'est de faire des comités spécialisés.

M. Nicolas BEYTOUT -

Que se passe-t-il dans les autres pays ?

Mme Christine LAGARDE, Président de Baker &Mackenzie-

Monsieur Dubrule a raison de replacer le débat dans le cadre d'une perte de confiance généralisée qui a pour effet une universalité des responsabilités. Tous les marchés du monde se sentent désormais concernés, jusqu'en Malaisie, en Inde et en Chine. Les récentes observations de la COB convergent avec ce qui s'est passé au New-York stock exchange. La qualité des normes importe mais aussi la capacité de les mettre en oeuvre et de les rendre obligatoires. Il faut pour cela formuler des sanctions et poser en principe qu'elles seront appliquées. Maintenant que les Américains appliquent des peines de prison en cas de mauvaise gouvernance, les règles deviennent dissuasives.

CHRISTINE LAGARDE

"La Question de l'indépendance est cruciale. Quand un cabinet pluridisciplinaire cumule ses mandats entre la mission d'audit et la fiscalité, cela pose problème."

M. Nicolas BEYTOUT -

Ne court-on pas un risque de surrégulation ?

Il y a une dizaine d'années, un bébé a été défiguré à Londres par un chien dangereux ; il fut donc décidé que tous les chiens devraient être muselés. Depuis lors, on ne voit pratiquement plus de chiens dans Londres et aucun n'est muselé. Est-ce à dire que la loi a été inefficace ? Ou que le marché des chiens a été étouffé ?

M. Patrick GOUNELLE -

Ce projet de loi ne nous dérange en rien. Le Haut commissariat aux comptes est une bonne chose. On parle beaucoup des commissaires aux comptes mais guère des autres acteurs de la chaîne de confiance. Nous avons une éthique forte, nous sommes conscients de nos responsabilités. Mais notre mission a ses limites : on ne peut rien faire si les autres ne bougent pas. Il faut que les choses avancent, par la loi ou autrement.

M. Patrick GOUNELLE -

Il semble qu'effectivement, les normes américaines aient été respectées mais elles n'étaient pas adaptées à la situation. Il est essentiel d'avoir un langage commun. La mission des commissaires aux comptes est d'améliorer la connaissance de l'entreprise ; nous devons être un partenaire du conseil.

Les missions du commissaire aux comptes peuvent mettre en oeuvre des compétences pluridisciplinaires. Nous devons pouvoir faire appel à des spécialistes, juristes ou autres, qui nous aident à comprendre la façon dont les comptes sont bâtis et les décisions prises. Je plaide pour que les missions des commissaires aux comptes ne soient pas appauvries.

Mme Christine LAGARDE -

On ne va pas rouvrir la bataille du chiffre et du mot, du commissaire aux comptes et de l'avocat. La SEC a concédé qu'une part des missions de conseil pouvait être exercée par des cabinets d'audit. Je vois bien votre intérêt financier dans l'affaire.

M. Patrick GOUNELLE -

Pas du tout !

En France, la profession d'avocat couvre aussi bien le conseil juridique et le conseil fiscal, à la différence de ce qui se passe aux États-Unis. Dans l'organisation de notre cabinet, nous pouvons survivre sans avocat ! Le combat que je mène n'est pas financier ou corporatiste, c'est de l'efficacité de notre mission qu'il s'agit. Notre objectif n'est pas d'enrichir indéfiniment nos cabinets !

M. Nicolas BEYTOUT -

Les avocats vivent des marchés de demain ?

Mme Christine LAGARDE -

Ceux d'aujourd'hui, déjà !

La question de l'indépendance est cruciale. Quand un cabinet pluridisciplinaire cumule ses mandats entre la mission d'audit et la fiscalité, cela pose problème.

M. Patrick GOUNELLE -

Nous n'avons pas de mission dans lesquelles nous aurions autant d'honoraires d'avocat que d'audit.

M. Michel PÉBEREAU -

La tendance française à la surrégulation n'est pas une chose nouvelle mais on ne peut pas qualifier en ces termes ce projet de loi, pour les raisons qu'a dites M. Clément. L'évolution proposée va dans le bon sens. Nous avons besoin de normes comptables qui soient valides à l'échelle internationale. Pour les entreprises qui travaillent dans de nombreux pays, ce serait une simplification bienvenue. Encore faut-il que cela corresponde à l'objectif central de la comptabilité, qui est d'élaborer une langue permettant aux entreprises d'être comprises. Une telle langue doit pouvoir être utilisée par tout le monde. Or, que je sache, personne aujourd'hui ne communique en esperanto ! Il faut, pour pouvoir communiquer, que la comptabilité traduise la réalité économique de l'entreprise ; sinon, elle devra utiliser un intermédiaire, ce sont ces comptes pro forma dont on a vu les effets aux États-Unis. Le compte pro forma est une sorte de traduction, forcément éloignée du texte original.

Le système américain n'est pas adapté pour devenir une langue universelle. Alors qu'en Europe, nous essayons de formuler des principes rationnels, les Américains se veulent pragmatiques et préfèrent accumuler des règles. Le rationnel a cet avantage que le chef d'entreprise qui signe les documents comptables les comprend ; je n'ai en revanche aucune chance de comprendre les 800 pages sur lesquelles s'étalent les principales règles américaines ! On doit poser en principe indiscutable que les chefs d'entreprise doivent comprendre les comptes qu'ils signent.

M. Nicolas BEYTOUT -

C'est une lutte d'influence euro-américaine ?

M. Michel PÉBEREAU-

Il y a certes un problème d'influence. Je souhaite que les Européens conservent le principe selon lequel les règles doivent être rationnelles. Je partage le sentiment qu'exprimait tout à l'heure M. Fabius quand il disait que la comptabilité était une chose trop sérieuse pour être laissée aux seuls comptables.

M. Patrick GOUNELLE -

C'est très nouveau !

Les comptables se sont occupés du sujet parce que les chefs d'entreprise ne s'y intéressaient pas. Le sujet est stratégique, non technique.

M. Michel PÉBEREAU -

Fixer un langage est toujours un problème politique. Les comptables ont un souci fondamental : disposer de règles d'application aussi automatiques que possible pour traduire la réalité des entreprises, réalité qu'ils connaissent mal. L'affaire Enron montre où l'on va si on laisse aux seuls comptables la tâche de définir leurs règles.

Selon les normes comptables de l'IASC, il faudrait évaluer les actifs d'une entreprise à leur "juste valeur", celle-ci étant définie comme la valeur du marché. Quelle capacité les comptables ont-ils de dire que la juste valeur d'une chose est celle du marché ? Ce n'est pas vrai, par exemple, du bâtiment où nous sommes tout de suite. La comptabilité française considère que les actifs et passifs doivent être évalués en fonction de leur finalité économique et avec prudence. Si un actif a une valeur d'usage sur vingt ans, on ne va pas regarder sa valeur boursière au jour le jour, quitte à le revaloriser ou à le dévaloriser à court terme. Cette méthode française évite de donner le tournis aux actionnaires : la valeur d'une entreprise ne change pas au rythme des fluctuations boursières.

M. Pascal CLÉMENT -

On n'en est plus là ! Les Anglo-saxons ont gagné parce qu'ils sont les plus puissants. On en est désormais à négocier des normes comptables acceptables par les Britanniques. Les Européens ont perdu la partie. Je formule les mêmes voeux que M. Pébereau mais la partie est déjà perdue. D'ici cinq ans, nous aurons les normes comptables internationales que souhaitent les Anglo-saxons. Nous ne pouvons plus faire un système que les États-Unis refuseraient. L'Europe s'est réveillée, certes, mais trop tard.

M. Michel PÉBEREAU -

Non, le combat n'est pas perdu. La Commission européenne est en train de faire évoluer l'opinion des Britanniques. Notre devoir est de défendre les valeurs de notre société. Nous sommes une société de marché efficace, ne la détruisons pas.

HERVÉ HANNOUN

«La question des normes comptables est essentielle. Des comparaisons peuvent être faites ; l'idée progresse qu'il faudrait tenir compte de la stabilité financière des normes comptables.»

M. Hervé HANNOUN, premier sous-Gouverneur de la Banque de France-

La question des normes comptables est essentielle. Des comparaisons peuvent être faites ; l'idée progresse qu'il faudrait tenir compte de la stabilité financière des normes comptables. Un retournement a eu lieu : on a abandonné la comptabilisation des actifs en valeurs de marché. Le forum de stabilité financière nourrit la discussion. Du dialogue peut résulter une amélioration ; les normes IASC ne sont pas elles-mêmes stabilisées.

Afin d'identifier les meilleures pratiques de gouvernance d'entreprise, le forum de stabilité financière a établi douze codes et standards. Leur diffusion fait progresser l'harmonisation internationale, de manière satisfaisante pour notre pays. Des choses que l'on présente comme nouvelles existent chez nous depuis longtemps : c'est depuis 1983 que la COB recommande des comités d'audit. Certaines dispositions de la loi NRE ont été utiles ; avec la future loi de sécurité financière, nous n'aurons rien à envier au dispositif américain.

M. Nicolas BEYTOUT -

L'équilibre est difficile à trouver entre ce qui est bon pour tous et ce qui l'est pour chacun. Qu'en pensez-vous monsieur Juvin, vous qui dirigez un groupe de conseil en gouvernance ? Qu'est-ce, à votre avis, qu'un administrateur indépendant ?

PATRICK JUVIN

« On néglige la diversité des entreprises et on veut appliquer les mêmes remèdes à toutes les sociétés, quelles que soient leur forme et leur importance. »

M. Hervé JUVIN, Président d'Eurogroup Institute -

Mieux vaudrait parler d'administrateur professionnel. Ce n'est pas seulement un invité complaisant, c'est quelqu'un qui est chargé d'un travail. Il doit être l'avocat du long terme, capable de dépasser la pression du marché. Ce peut être un entrepreneur, ce ne doit pas l'être systématiquement. Ce serait dangereux.

M. Pascal CLÉMENT -

Surtout pour l'administrateur ! Il serait immédiatement renvoyé. L'administrateur doit plaire au président qui l'a recruté, il vit de cela. Comment être indépendant avec quelqu'un qui vous choisit et vous fait gagner votre vie ? Les États-Unis considèrent que l'on est indépendant dès lors que l'on n'est pas salarié et que l'on n'a pas plus de 10 % des actions. La définition n'est pas très restrictive.

Vous savez quel sentiment la place de Paris inspire aux étrangers ! Celui d'une connivence entre des administrateurs qui sont toujours les mêmes, qui viennent tous des mêmes écoles. Pourquoi faire une loi ? Pour élargir le recrutement des administrateurs, pour aller au-delà du boulevard périphérique.

Plus on déclenchera de responsabilités civiles et pénales, plus les administrateurs voudront être payés. Ce sont des professionnels qui ne vivent que de cela - et ils se disent indépendants !

M. Hervé JUVIN -

On voit ce que donne l'application de la règle pro forma quand il n'y a pas de rapport avec le territoire. On ne prend pas en compte l'artisanat, qui est pourtant la première entreprise de France. On néglige la diversité des entreprises et on veut appliquer les mêmes remèdes à toutes les sociétés, quelles que soient leur forme et leur importance.

Je n'interviens pas en tant qu'administrateur mais comme conseiller pour la gouvernance des entreprises. La question majeure est celle de leur lien avec le territoire.

M. Nicolas BEYTOUT -

Quel sens cela a-t-il pour une entreprise comme ACCOR, présente dans des dizaines de pays?

M. Hervé JUVIN -

C'est plus facile pour une telle société parce qu'elle ne travaille pas dans l'immatériel : elle a des actifs implantés quelque part. Le lien, c'est l'adhésion des parties prenantes à un projet.

M. Paul DUBRULE -

La notion d'administrateur indépendant n'a pas de sens pour autant que l'on n'a pas les éléments pour juger la réalité des choses. C'est pourquoi il faut un comité des comptes. Juger la réalité des choses, ce n'est pas nécessairement être expert dans la matière de l'entreprise : je suis administrateur d'une grande banque ; je ne connais rien à la banque mais je connais quelque chose à la stratégie.

M. Michel PÉBEREAU -

L'important est que les sociétés aient des administrateurs assez compétents pour pouvoir apporter une expertise réelle à l'entreprise. Le conseil d'administration approuve la stratégie, le projet de l'entreprise. Il surveille la gestion des responsables. Il faut pour cela des gens intègres et compétents. Or, l'intégrité ne se décrète pas. La notion d'indépendance est indéfinissable. Un administrateur qui est là depuis six ou neuf ans, plus longtemps que le président, est-il encore indépendant ? Le banquier d'une entreprise est-il indépendant ? Lui aussi a intérêt à ce qu'elle se porte bien.

M. Nicolas BEYTOUT -

Pourquoi pas un administrateur unique, qui se ferait l'avocat du diable ?

M. Michel PÉBEREAU -

Nous en avons tous un ! Ce qu'il faut éviter, c'est que le conseil d'administration soit composé majoritairement de collaborateurs de l'entreprise.

M. Didier CORNARDEAU -

Les administrateurs ont leur conscience... Les petits actionnaires ne se rencontrent pas, ils ne sont pas représentés au conseil d'administration. Notre objectif est de faire en sorte qu'ils soient entendus.

M. Nicolas BEYTOUT -

Quelle est la situation dans les entreprises cotées dont le dirigeant est aussi actionnaire ?

M. Joël PÉTILLON, Président de Kindy-

JOËL PÉTILLON

"Un dirigeant propriétaire ne réagit pas comme le salarié d'une multinationale"

Il faut effectivement intégrer les besoins des petites et moyennes entreprises ; le chiffre d'affaires de la mienne est de 52 millions. Quand nous avons eu des difficultés, j'ai diminué mon salaire et j'ai invité mes collaborateurs à faire de même, sans que nous ayons besoin pour cela d'un comité de rémunération. M. Pébereau ne doit pas avoir de problème pour trouver des administrateurs ; pour moi, c'est beaucoup plus difficile, surtout quand la situation est délicate. Il y a deux ans, mon conseil de surveillance n'était pas au complet. Un dirigeant propriétaire ne réagit pas comme le salarié d'une multinationale ; j'ai aussi des actionnaires, par rapport auxquels j'ai des responsabilités. Il faut continuer à réfléchir sur la notion d'administrateur indépendant.

M. Nicolas BEYTOUT -

Nombre d'entreprises qui fonctionnent bien sont des entreprises familiales. C'est pourtant là que l'indépendance est la plus sujette à caution. Quelle indépendance y a-t-il entre les différentes fonctions de Martin Bouygues ?

M. Pascal CLÉMENT -

Vous oubliez que tous les PDG ont désormais des stock options !

M. Joël PÉTILLON -

Un Président de PME n'a pas besoin d'un comité de rémunération ni d'un comité stratégique. Il peut, en revanche, avoir besoin d'un oeil extérieur.

M. Pascal CLÉMENT -

Il n'est pas question d'imposer les mêmes normes à tous ! Mais il faudra inciter à la transparence un propriétaire qui s'en tient à la formule : "je suis chez moi, je n'ai pas à m'expliquer".

M. Joël PÉTILLON -

C'est déjà le cas dès lors que l'on est coté.

M. Nicolas BEYTOUT -

Certaines entreprises se sont retirées de la cote. Vous posez-vous la question ?

M. Joël PÉTILLON -

O combien ! L'écart entre la valeur de l'entreprise et sa valorisation boursière atteint parfois le ridicule. M. Nicolas BEYTOUT -

M. Chantaraud va maintenant conclure ce débat.

M. Jean-François CHANTARAUD -

La gouvernance est un condensé de l'entreprise qui est elle-même un condensé de la société. Sur les quarante entreprises du CAC, sept sont dirigées par leur créateur ou leur propriétaire et les trente-trois autres par un énarque ou un polytechnicien. Consanguinité ne signifie pas incompétence. Parmi les pistes évoquées aujourd'hui, je retiens la réflexion sur les membres des conseils d'administration.

M. Nicolas BEYTOUT -

Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir M. Dutreil, en charge au Gouvernement de ce délicat dossier.

M. Renaud DUTREIL, secrétaire d'État aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat -

Je me livrerai à une analyse sociologique. Cela fait deux siècles que le capitalisme subit des crises économiques et morales. Qui a pensé les crises du capitalisme ? Marx. Max Weber. Mais aussi un économiste moins connu, Joseph Schumpeter, selon qui le capitalisme est menacé par l'extinction de la classe des entrepreneurs : le jour où il n'y en aura plus, la vertu du capitalisme sera atteinte.

RENAUD DUTREIL

« L'ensemble de la société doit retrouver le goût d'entreprendre, sans quoi le capitalisme est menacé par les très grandes structures : les grandes entreprises ressemblent de plus en plus aux grandes structures étatiques, elles ont les mêmes tares. L'esprit d'entreprise est un facteur de moralisation de la vie économique. »

Voilà ce qui se passe aujourd'hui. Les très grandes entreprises ont perdu l'esprit d'entreprendre alors que les petites restent liées à la classe des entrepreneurs. Les très grandes entreprises sont tentées de faire du surcontrôle alors que c'est ce qui inspire la démarche d'entreprendre qui est porteur de valeur. Les entreprises animées par l'esprit d'entreprendre ont une plus forte capacité à innover, à se remettre en cause ; elles sont moins sensibles aux critiques à court terme.

Il faut donc réintroduire dans les entreprises de toute taille l'esprit d'entreprise. L'ensemble de la société doit retrouver le goût d'entreprendre, sans quoi le capitalisme est menacé par les très grandes structures : les grandes entreprises ressemblent de plus en plus aux grandes structures étatiques, elles ont les mêmes tares. L'esprit d'entreprise est un facteur de moralisation de la vie économique.

Le souci nouveau du développement durable engage à la fois la protection de l'environnement, l'éthique et la dimension sociale de l'entreprise. Ces nouvelles perspectives vont donner au débat sur la gouvernance d'entreprise une nouvelle dimension, politique.

L'entreprise doit de plus en plus tenir compte de sa relation avec ses partenaires. A la dimension du rapport de force, elle doit ajouter une dimension morale. L'entreprise doit aussi se sentir responsable de ses salariés, contrairement au mauvais exemple donné par Metaleurop.

Les élus locaux s'intéressent de plus en plus à l'intérieur des entreprises, ils se voient un droit d'ingérence dès lors que leur territoire est en cause.

On voit bien que le problème ne se limite pas à l'affaire Enron mais que l'on assiste à une nouvelle mutation du capitalisme, dans le cadre de la mondialisation, si bien que la critique morale la plus virulente, celle de Marx, est en train de renaître avec des mouvements comme ATTAC.

La crise doit être gérée de façon politique. Nous devons faire comprendre que le capitalisme n'est pas un jeu à somme nulle mais un jeu à somme positive. Nous vivons un tournant décisif ; c'est la manière dont nous gérerons les choses qui déterminera le regard que les citoyens porteront demain sur les entreprises.

. Nicolas BEYTOUT -

Je cède maintenant la place au Président du Sénat.

. Christian PONCELET -

Vous êtes les bienvenus au Sénat. Les Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise viennent de s'achever. Les débats ont été denses et riches. Il appartient à chacun de vous d'en tirer la substantifique moelle et aux parlementaires d'en déduire la meilleure manière de rendre les lois utiles.

Les Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise ne constituent pas une initiative isolée. Elles prennent place dans un ensemble plus vaste d'opérations qui traduisent la volonté du Sénat de s'ouvrir vers l'extérieur. Depuis mon élection à la Présidence, je n'ai cessé de favoriser cela. Les choses prennent aujourd'hui un relief particulier avec la Semaine de l'Entrepreneur. Nous avons invité 500 lauréats à s'asseoir dans l'hémicycle du Sénat. C'était du jamais vu ! Onze d'entre eux ont pu dialoguer avec le Premier ministre et avec M. Dutreil. Ce fut un bon exercice de cette démocratie participative à laquelle chacun sait combien je suis attaché. C'est un fait unique dans les annales de la République. Un tabou est tombé. L'esprit du temps change.

Il importe d'agir sur la culture de nos concitoyens afin de développer la volonté d'entreprendre, d'oser, de risquer. On ne modifiera pas les lois sans faire bouger d'abord les esprits.

Du reste les lois vont bientôt changer. Le projet de loi pour l'initiative économique sera bientôt examiné par le Parlement. Bravo, M. Dutreil ! Ainsi sera nourrie la réflexion collective.

Cet engagement en faveur des entreprises est aussi celui de tous les sénateurs. Je remercie celles et ceux qui sont allés à la rencontre des entreprises afin de mieux comprendre celles et ceux qui prennent des initiatives courageuses, bref qui entreprennent. Le Sénat est devenu la Maison des entrepreneurs ! C'est l'entreprise qui crée les vraies richesses, le vrai emploi. C'est pourquoi nous devons entourer les entrepreneurs de tous nos soins. La France est un grand pays d'entrepreneurs ! Il est légitime que la Nation leur rende hommage.

(Applaudissements)

CHRISTIAN PONCELET

« Il importe d'agir sur la culture de nos concitoyens afin de développer la volonté d'entreprendre, d'oser, de risquer. On ne modifiera pas les lois sans faire bouger d'abord les esprits. »

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