Sénats d'Europe - Les Sénats et la représentation des collectivités locales



Palais du Luxembourg, 6 juin 2001

M. Petr Pithart, Président du Sénat tchèque :

A la dernière réunion, je n'ai pas eu l'occasion de présenter le Sénat tchèque qui est le plus jeune au monde. Je vais le faire donc aujourd'hui. Le Sénat a été établi en République tchèque comme partie intégrante de la division du pouvoir et du système de frein et de contrepoids. C'est un élément du contrôle parlementaire interne de la législation et le gardien de la stabilité institutionnelle. Il n'est pas directement rattaché à l'autonomie territoriale. Néanmoins, il essaie d'être un espace où se chevauche la politique de pointe, les initiatives de la société civile et les connaissances des experts.

Le Sénat tchèque ne représente pas des intérêts particuliers de la société et se range parmi la minorité des chambres hautes du monde. La plupart d'entre elles sont en effet associées, d'une manière ou d'une autre, à la représentation d'intérêts différents de ceux de tous les citoyens. Ce sont notamment les chambres de représentation territoriale, dans la plupart des cas, qu'il s'agisse des fédérations ou d'États unitaires décentralisés. Dans les chambres hautes, nous pouvons aussi rencontrer des intérêts professionnels, religieux, ethniques ou linguistiques.

La Constitution tchèque n'a fait don de rien de tel au Sénat tchèque. Bien qu'à sa naissance, en 1992, on ait prévu une base régionale, territoriale, comme l'avait recommandé le Président de la République, Vaclav Havel, le Sénat a été établi en fin de compte sur le modèle de la tradition tchécoslovaque de l'entre-deux guerres, c'est-à-dire le partage horizontal des pouvoirs, utilisé depuis plus de 250 ans. A l'époque, la première République tchécoslovaque ne faisait pas fonctionner ce système bicaméral de façon optimale. Les Chambres du Parlement étaient élues par le même mode de scrutin et au même moment ; la discipline de parti était exceptionnelle et la pratique de prendre des décisions politiques essentielles en dehors du Parlement était fréquente, si bien que le Sénat ne pouvait accomplir ses fonctions de contrôle. Le Parlement bicaméral a disparu peu après l'occupation du pays en 1939 pour réapparaître avec la fédéralisation de la Tchécoslovaquie en 1968.

Pendant vingt-trois ans, l'Assemblée fédérale était composée de deux chambres, la Chambre du Peuple et la Chambre des Nations, mais le principe du bicamérisme a été amputé, tout d'abord, par le monopole du parti communiste tchécoslovaque, puis, plus tard, affaibli par la pratique des réunions communes des deux Chambres. L'Assemblée fédérale était d'ores et déjà menacée par une grande paralysie en raison des différends relatifs à la répartition des pouvoirs entre la Fédération et la République nationale.

Dans les années 1990-1992, l'expérience historique tchèque jette une lumière nouvelle sur les maximes de Charles de Montesquieu et de ses successeurs. Cette expérience est associée, non seulement au système totalitaire, mais aussi à la période qui l'a précédé. Le principe de la séparation et de la pondération des pouvoirs était déjà mis en cause par la concentration des pouvoirs entre les mains d'un groupe relativement faible de leaders de parti durant la première République démocratique de l'entre-deux guerres.

La même situation s'est reproduite dans les années 1945-1948 avec une pluralité limitée. A l'époque, il s'agissait de l'association des quatre partis politiques autorisés dont le parti communiste tchécoslovaque était le plus puissant. Ni le Parlement bicaméral, ni la Cour constitutionnelle n'ont alors été renouvelés. L'Espagne a connu la même expérience, c'est-à-dire la disparition de la Chambre Haute, au moment du régime autoritaire. C'est pourquoi je considère le bicamérisme comme un élément de stabilisation des institutions et du système politique, notamment dans des sociétés post-totalitaires où, pendant un certain temps, existe une grande tentation de revenir au système autoritaire.

Dans tous les pays qui ne connaissent pas de tradition libérale, dans lesquels la société civile n'a pas été développée, il y a ce risque de revenir à une forme de démocratie non-libérale. Certains régimes instaurés avec des élections démocratiques et libres ignorent la limitation du pouvoir, les contraintes fixées à ce pouvoir par la Constitution et le respect des droits et libertés fondamentaux. Dans ce genre de pays, les garde-fous doivent être plus importants que là où la tradition du libéralisme constitutionnel est plus forte.

Le passage vers l'économie de marché et la démocratie parlementaire, qui n'a pas eu de précédent, ne saurait jamais éviter les crises qui favorisent la montée des populistes et des extrémistes de toutes sortes. Les pays post-communistes courent le risque de manquer de stabilité dans une mesure bien plus grande que les pays où les institutions démocratiques fonctionnent déjà bien. Force leur est de protéger cette démocratie ô combien fragile.

Un Parlement bicaméral constitue l'une des garanties indispensables, mais seulement à deux conditions : la première, c'est que les deux Chambres de ce Parlement diffèrent l'une de l'autre, non pas parce que quelqu'un le souhaite, mais parce qu'il s'agit d'une conséquence logique de deux modes différents de constitution, sans égard à la personne des élus, députés ou sénateurs. La deuxième condition, c'est que le dialogue entre les Chambres ne constitue pas une simple conversation, mais qu'il entraîne, dans le processus législatif, des conséquences importantes.

Les différences entre les Chambres sont fixées dans notre pays par la Constitution. Les sénateurs sont élus pour six ans, le mandat des députés étant de quatre ans. Le Sénat est renouvelé par tiers tous les deux ans et ne peut être dissout.

Les sénateurs sont élus au scrutin majoritaire à deux tours. La Chambre des députés est renouvelée de façon intégrale, elle peut être dissoute dans certaines conditions et les députés sont élus selon le mode de scrutin proportionnel, sa forme concrète faisant l'objet de négociations actuelles.

La moindre puissance de la Chambre Haute, de concert avec une élection au système majoritaire et un mandat relativement long, conduit à une dépendance plus faible des sénateurs vis-à-vis des partis politiques et diminue ainsi le risque de concentration du pouvoir. Il semblerait donc qu'il n'y a pas de lien entre le Sénat et les régions. Ce n'est pas tout à fait vrai. Le système politique et social en République tchèque demeure hélas centralisé. Ce n'est que l'année dernière que nous avons lancé une réforme territoriale et ce n'est que cette année que nous avons mis en marche l'échelon supérieur de l'autonomie territoriale, les régions.

Le Sénat dispose d'un organisme spécial qui examine les possibilités de sa propre réforme et, mes collègues et moi-même, ne pensons pas que l'heure est venue d'aborder une régionalisation du Sénat, à l'instar des modèles de l'Europe occidentale.

Je crois que nous pourrions nous inspirer de différents exemples comme la France, l'Italie, les Pays-Bas ou l'Espagne. Nous espérons un lien personnel entre le Sénat et les élus régionaux. Nous apprécions ce que la France a développé depuis 1875, c'est-à-dire la coopération entre les communes.

Le système électoral majoritaire relie les sénateurs à leur circonscription par une logique de fer. Par leur intérêt légitime à être réélu, ils sont sensibles aux problèmes et aux intérêts de la politique municipale. Le Sénat devient ainsi l'étage supérieur de la politique communale. Or, cette politique communale, quel que soit le pays au monde, est difficilement maîtrisable par un seul parti. La défense des intérêts des hommes et des institutions qui réalisent ce genre de politique devrait appartenir à une Chambre qui a été élue selon le mode de scrutin majoritaire. Mais les tendances du multiculturalisme, qui, dans la théorie politique, sont associées au bicamérisme, engendrent le fait qu'il ne faut pas se lier à un seul type d'intérêt. Il faut au contraire encourager leur diversité.

Des perspectives extrêmement larges s'ouvrent devant nous. Le Sénat a à sa charge les affaires importantes, mais aussi celles qui le sont moins ; il devient aussi une tribune des intérêts de la politique communale, tout en définissant les priorités du pays à long terme. Voilà donc deux domaines différents des activités du Sénat. Ce ne sont pas tous les sénateurs qui s'y retrouvent, mais peu importe. Le style des débats Sénatoriaux et de la prise de décision est tranquille, pondéré, les uns prêtent l'oreille aux autres pour porter au mieux la fonction du Sénat en sa qualité de Chambre de réflexion. Le Sénat du Parlement de la République tchèque est une version originale parmi les autres Sénats, institutions plutôt conservatrices. Il essaie de saisir les besoins particuliers de son pays et de son temps. Permettez-moi.

Mesdames et Messieurs, qu'en l'an 2003, au printemps très vraisemblablement, la réunion de notre association se tienne dans la ville de Prague. Et je vous accueillerai avec grand plaisir.

Je vous remercie de votre attention.

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