Sénats d'Europe - Les Sénats et la représentation des collectivités locales



Palais du Luxembourg, 6 juin 2001

Mme Françoise Saudan, Présidente du Conseil des États de Suisse :

La Constitution fédérale suisse prévoit que le Conseil des États se compose de quarante-six députés, c'est-à-dire deux députés pour les vingt-trois cantons qui constituent la Confédération helvétique.

La population de chaque canton, du plus grand comme du plus petit en population, en surface, en pouvoir économique, élit deux députés. Ce qui nous donne le même paradoxe que vous avez relevé, M. le Président, mais de manière encore plus éclatante, à savoir que le plus petit canton, Appenzell Rhodes-Intérieures, quinze mille habitants, qui forme un canton avec Appenzell Rhodes-Extérieures, élit un sénateur, et que le canton de Zurich, qui est le centre économique du pays, avec un million cent mille habitants, élit deux sénateurs. Si je n'ai pas oublié mes notions d'arithmétique, cela aboutit dans un cas à un sénateur pour quatorze mille habitants et, dans l'autre cas, à un sénateur pour cinq cent cinquante mille habitants.

Les républiques et cantons édictent les règles applicables à l'élection de leurs députés et dans tous les cantons, à l'exception du dernier petit canton de la Confédération, le canton du Jura, dans lequel le système majoritaire est appliqué à l'élection des sénateurs.

L'autre Chambre de l'Assemblée fédérale suisse, le Conseil national, se compose de deux cents députés, élus selon le système proportionnel. Alors, si je reprends mon exemple. Appenzell Rhodes-Intérieures aura un député alors que le canton de Zurich en aura trente-cinq. D'où l'équilibre qui se fait dans notre pays.

Les deux Chambres siègent et délibèrent séparément. Mais, elles ont des attributions et des compétences parfaitement identiques. C'est la spécificité du régime suisse qui a fait dire à notre éminent constitutionaliste qu'est Jean-François Aubert que c'est le bicamérisme parfait. Aucune Chambre n'a en effet de prépondérance sur l'autre. Comment nous mettons-nous d'accord? Une procédure d'élimination des divergences est naturellement prévue, dont la dernière étape est la Conférence de conciliation qui regroupe à la fois les sénateurs et les conseillers nationaux. A ma connaissance, nous nous sommes toujours mis d'accord à ce stade.

Maintenant, en ce qui concerne la représentation, là aussi, nous avons des différences importantes avec notre grand voisin l'Allemagne, ou avec notre voisin autrichien. Les membres du Conseil des États, et cela est garanti par notre Constitution fédérale, votent sans instruction. Aucun canton ne peut imposer un vote dans un sens ou dans un autre. C'est pour cela que la différence est assez importante, en particulier avec certains de nos pays voisins.

Bien entendu, nous entretenons des contacts extrêmement étroits avec les cantons, soit avec les Parlements, soit avec les autorités exécutives. Lorsque notre compagnie nationale Swissair a décidé d'abandonner l'aéroport de Genève Cointrin, tous les députés genevois se sont retrouvés pour défendre les intérêts de notre aéroport. Est-ce qu'on peut dire que les sénateurs accordent plus d'intérêt aux intérêts de leur canton ? Aucune étude n'a pu le démontrer de manière absolue. On a pu constater que pour certains sujets, il y a une forme d'union sacrée qui fait se retrouver à la fois les conseillers nationaux et les conseillers aux États pour défendre les intérêts de leur canton.

Ceci explique l'existence d'une structure, dont je ne sais pas si elle existe dans d'autres pays : la conférence des gouvernements cantonaux. Elle regroupe les autorités exécutives des différents cantons et y sont débattus des sujets d'importance fédérale, mais qui ont aussi des conséquences importantes sur les cantons. Je vais vous donner deux exemples concrets : d'une part, les enjeux de politique sociale ou de formation, d'autre part l'intégration européenne. Ce sont des enjeux fédéraux où les cantons ont ressenti le besoin de se réunir pour pouvoir fixer une position commune. C'est en particulier cette conférence des gouvernements cantonaux qui s'occupe déjà de savoir, dans le cadre du deuxième round des négociations bilatérales, s'il est important pour notre pays et si cela pose des problèmes aux cantons frontaliers, d'intégrer l'espace Schengen ou d'adhérer à la Convention de Dublin.

Naturellement, compte de la structure spécifique de notre pays, un des enjeux essentiels est la péréquation financière intercantonale. C'est un enjeu fondamental pour la cohésion de notre pays, puisque pour certains cantons comme le canton du Jura ou le canton d'Uri, quasiment 80% du budget ou des grands projets d'infrastructures sont financés par la confédération. Or, cette péréquation financière intercantonale, qui est un instrument essentiel de la cohésion nationale a montré ses limites, parce que des cantons, que ce soit celui de Zurich, de Genève ou de Bâle, deviennent de plus en plus riches et certains autres cantons s'appauvrissent. La nécessité s'est donc faite jour de remettre à plat cette péréquation financière intercantonale, et la conférence des directeurs cantonaux des finances a joué pour cela un rôle essentiel.

La question qui se pose à nous est la suivante : quel sera le rôle du Conseil des États à l'avenir ? Dans une Europe des régions en évolution, il est nécessaire de prendre en compte les intérêts du pays et les intérêts de chaque canton. Des initiatives ont été lancées pour faire fusionner deux cantons, le canton de Vaux et de Genève, des réflexions ont également lieu en Suisse alémanique pour créer des entités d'un certain poids. Toute la réflexion est de savoir comment nous allons continuer à défendre les intérêts des cantons dans ces grands équilibres, car on ne peut pas s'en tenir au niveau purement local.

Quelle est la dernière caractéristique du Conseil des États ? Je serais peut-être un petit peu prétentieuse en vous disant cela, mais on qualifie dans mon pays le Conseil des États de chambre de réflexion. Pourquoi ? Parce qu'avec le système que nous connaissons, nous intervenons souvent après le Conseil national, hormis pour certaines affaires qui concernent directement les cantons où nous sommes prioritaires. Cela nous donne le temps de suivre la manière dont se déroulent les débats dans le Conseil national, de réfléchir à des solutions éventuelles, et d'être en quelque sorte les gardiens de la Constitution. Nous assurons également la qualité de la législation et la stabilité du droit.

Je terminerai mon propos par une citation un peu humoristique de Jefferson, qui disait très joliment : « Le thé est moins chaud quand on le verse dans une deuxième tasse avant la première. »

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