Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise 2002



Palais du Luxembourg, 31 janvier 2002
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Les sénateurs

à la rencontre de

la France qui crée

Editorial du Président du Sénat

Pour la troisième année consécutive, des sénateurs ont voulu prendre le temps de quelques journées d'immersion en entreprise. L'édition 2001 de ces stages aura ainsi mobilisé 35 élus, issus de tous les groupes politiques de notre assemblée.

Au total, depuis 1999, une centaine de sénatrices et de sénateurs ont ainsi pris le chemin de l'usine, du bureau ou encore du petit commerce, pour se mettre à l'écoute de la France des salariés et des entrepreneurs qui se battent sur le front d'une économie chaque jour davantage mondialisée.

Chroniqueurs et présumés experts de la chose publique dénoncent régulièrement l'éloignement des responsables politiques des préoccupations de nos concitoyens. Les sénatrices et les sénateurs ont, eux, décidé de faire l'économie des mots pour privilégier l'action concrète.

Je me réjouis pour ma part que les stages d'immersion en entreprise soient désormais devenus un rendez-vous traditionnel, et qu'un nombre croissant de mes collègues ressente le besoin d'une plus grande ouverture vers l'extérieur.

Les uns comme les autres se donnent ainsi les moyens de légiférer de manière utile et efficace, au plus près des besoins de notre pays et de nos concitoyens.

De ce point de vue, les Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise, consacrées le 31 janvier 2002 au thème de la réforme de l'État, ont vocation à éclairer efficacement le débat public.

Christian Poncelet Président du Sénat

En quoi l'État doit-il changer ?

Débat animé par Jean-Pierre ELKABBACH ,

Président de « Public Sénat »

Introduction des débats :

Jean-François Chantaraud, Directeur de l'ODIS

Avec la participation de

Marylise Lebranchu

Ministre de la Justice, Garde des Sceaux

Roger Fauroux

Ancien Ministre, Président d'Honneur de Saint-Gobain

Ernest-Antoine Seillière

Président du MEDEF

Jean Picq

Conseiller-Maître à la Cour des Comptes

Pierre Richard

Président de DEXIA

Louis Schweitzer

Président du Groupe RENAULT

Paul Loridant

Sénateur de l'Essonne

Philippe Marini

Rapporteur général du budget au Sénat

Henri Weber

Sénateur de Seine-Maritime

Conclusion des Rencontres Sénatoriales de l'Entreprise

par Christian Poncelet, Président du Sénat.

M. ELKABBACH -

Année électorale, l'année 2002 peut être l'occasion de la réforme de l'État qui n'a pas encore pu se formuler. Les réunions du Forum de Davos et de Porto Allègre montrent que les forces sociales et les acteurs économiques et politiques d'aujourd'hui ont beaucoup à dire. Les stages d'immersion en entreprise de 35 sénateurs leur ont permis de mieux comprendre les difficultés et les attentes des entreprises.

Tous reconnaissent que l'État doit changer mais en quoi doit-il changer ?

M. CHANTARAUD, directeur de l'Observatoire du dialogue social -

C'est effectivement la question. Faut-il modifier le périmètre de l'État alors que Bruxelles croît en importance ? Les tentatives de réorganisation de l'État échouent, comme on l'a vu à Bercy et pour l'Éducation nationale -pourquoi ?

Jean-François Chantaraud

« Désormais, la capacité des entreprises à se remettre en question, avec l'ensemble de leurs partenaires et non malgré eux, est devenue essentielle. Or, cette remise en question permanente, l'État ne la fait pas »

Je vous propose de tracer un parallèle entre l'évolution de l'entreprise et celle de l'État. Je vois la succession de quatre générations. Jusque dans les années cinquante, nous vivions l'âge des techniques. Les entreprises étaient dirigées par des ingénieurs et des techniciens. On a donc constitué l'ENA pour former des techniciens de la chose publique. Dans les années soixante, on s'est aperçu qu'il ne suffisait pas de produire mais qu'il fallait aussi vendre. C'est l'époque des magasins à grande surface et du développement des écoles de commerce. En 1965, Jean Lecanuet a pris comme directeur de campagne non pas un homme politique mais un spécialiste de la communication, qui a lancé le slogan du « Kennedy à la française » grâce auquel le candidat centriste a obtenu 15 % des voix. Les années quatre-vingts furent celles de la finance. C'est ainsi que Jacques Calvet est passé de la présidence de la B.N.P. à celle de P.S.A. et que Laurent Fabius a remplacé Pierre Mauroy, imposant une politique de rigueur et d'équilibre financier.

Dans les années quatre-vingt-dix est apparue la dimension humaine. On a assisté à un développement exponentiel des connaissances et de la circulation de l'information. Les entreprises les plus performantes ont compris qu'il fallait se mettre en réseau. Désormais, la capacité des entreprises à se remettre en question, avec l'ensemble de leurs partenaires et non malgré eux, est devenue essentielle. Or, cette remise en question permanente, l'État ne la fait pas

M. ELKABBACH -

Bref, l'État à la française est fini.

Madame Lebranchu, vous cumulez l'expérience du terrain, de l'entreprise - avec votre expérience de secrétaire d'État aux P.M.E .- et de ministre d'une justice qui paraît irréformable. Les idées les plus généreuses s'enlisent : dès que l'on veut réformer, les conservatismes ordinairement les plus opposés s'additionnent.

Mme LEBRANCHU, garde des Sceaux, ministre de la justice -

L'entreprise, j'en ai aussi une expérience de l'intérieur.

Si les discours me rendaient pessimiste, la réalité me rend optimiste : les choses bougent. Il n'y aura pas de Grand Soir de la réforme de l'État mais des décrets, des lois. C'est ainsi que la réforme de l'ordonnance de 1959 s'est faite sans bruit.

Quand j'étais secrétaire d'État aux P.M.E., j'ai rencontré nombre de chefs d'entreprise. Ils avaient tendance à théologiser le fonctionnaire dans lequel ils voyaient le mal par excellence. Cela ne les empêchait pas de réclamer un meilleur fonctionnaire pour la formation, pour la fiscalité, pour les marchés extérieurs. Bref, toujours plus de fonctionnaires ! A travers le fonctionnaire, c'est l'État qui est appelé, et il doit répondre. On parle de l'échec de la réforme de Bercy. Dans les faits, les choses ont beaucoup bougé. Deux petites directions, celles du commerce et de l'artisanat, ont fusionné.

Marylise Lebranchu

« Il n'y aura pas de Grand Soir de la réforme de l'État mais des décrets, des lois. C'est ainsi que la réforme de l'ordonnance de 1959 s'est faite sans bruit »

À propos du ministère de la justice, j'entends parler d'une réforme qui introduirait un système accusatoire. J'y suis politiquement hostile mais là n'est pas la question. À supposer que l'on décide de cette réforme, il faudrait multiplier le nombre de mètres carrés pour les tribunaux, il faudrait multiplier le nombre d'avocats et de magistrats. Bref, il faudrait plus de moyens et cela poserait d'énormes problèmes de finances publiques.

M. ELKABBACH -

Quand l'État lance une réforme, est-ce qu'il n'a pas tendance à oublier de prévoir les moyens, comme on l'a vu avec la loi sur la présomption d'innocence ?

Mme LEBRANCHU -

Le projet de loi initial comptait 40 articles ; à la fin de l'examen parlementaire, il en avait 142. Les parlementaires ont voulu accomplir un très gros travail - c'est ainsi que M. Devedjian a insisté sur la détention provisoire - mais cela a fait basculer le texte : nos études prévoyaient 410 postes de magistrats, il en faudra beaucoup plus.

Nous avons mis six mois à créer une agence de construction. Mais, pour la première fois, nous avons pu faire une évaluation qualitative et quantitative du ministère de la Justice sans que les fonctionnaires ne bronchent.

M. ELKABBACH -

Ils travaillent trop ou pas assez ?

Mme LEBRANCHU -

Ils ont besoin de moyens. Quand on propose des contrats d'objectifs, les moyens peuvent suivre.

M. ELKABBACH -

Le vainqueur des élections devra-t-il tout reprendre à la Justice ?

Mme LEBRANCHU -

Nous avons eu les entretiens de Vendôme. L'institution a accepté de se reprendre elle-même. Certains proposaient de fermer des tribunaux ; on a fait le compte et on s'est aperçu qu'il n'y avait pas lieu de le faire.

M. ELKABBACH -

Qu'est-ce qui vous gêne ? Qu'est-ce qui bloque ? De quoi un magicien devrait-il vous débarrasser ?

Mme LEBRANCHU -

Je voudrais qu'il m'aide à rétablir le dialogue social.

Les fonctionnaires ne sont pas seuls en cause, regardez la réforme des tribunaux de commerce. En 1996, le C.N.P.F. a proposé de réformer les tribunaux de commerce. Or, ça bloque. Pourquoi ? Les juges consulaires se sentent mal aimés, pas soutenus. C'est la même chose pour les fonctionnaires. Quand on dit aux gens de bouger, il ne faut pas leur laisser penser que c'est parce qu'ils seraient mauvais.

Ernest-Antoine Seillière

« Nous saluons l'État, nous aimons les fonctionnaires, mais nous ne pouvons accepter l'idée qu'alors que les entreprises sont capables de tout transformer en un mois, l'État serait incapable de faire de même »

M. ELKABBACH -

Monsieur Seillière, l'État ne vous empêche pas de dormir mais il vous donne des cauchemars !

M. SEILLIERE, Président du Medef -

Il y a la compétition internationale, on ne peut plus rester entre nous, à la française.

Les entrepreneurs ne peuvent s'en sortir si le rôle de l'État reste de réglementer, prélever, contrôler. Nous ne pourrons participer à la compétition si l'État ne se donne pas la mission principale de faire fonctionner les entreprises. Nous saluons l'État, nous aimons les fonctionnaires, mais nous ne pouvons accepter l'idée qu'alors que les entreprises sont capables de tout transformer en un mois, l'État serait incapable de faire de même.

M. ELKABBACH -

Quand certaines entreprises privées vont mal, on appelle l'État au secours.

M. SEILLIERE -

Pas du tout !

Notre système social est très protecteur contre les risques sociaux. Nous n'appelons pas l'État au secours, c'est lui qui juge qu'il doit intervenir !

M. ELKABBACH -

Dites aux politiques comment il faut changer l'État.

M. SEILLIERE -

Les missions, les méthodes, les degrés de responsabilité. La réforme de l'État doit être au coeur du prochain quinquennat. Les entrepreneurs ont des idées mais personne, parmi les politiques, n'a de propositions constructives.

M. ELKABBACH -

Il y en a dans le livre de M. Fauroux.

M. SEILLIERE -

« La France en forme, c'est la France qui réforme ». Je propose ce slogan pour la campagne.

M. ELKABBACH -

Monsieur Weber, vous avez écrit un livre sur le C.N.P.F. C'était il y a quelques années. Depuis lors, il a beaucoup changé et vous aussi.

M. WEBER, sénateur de Seine-Maritime -

Le C.N.P.F., déjà, se faisait entendre, il était déjà une force politique de propositions.

Au risque de vous surprendre, je vous dirai mon accord avec le slogan de M. Seillière.

Henri Weber

« La tâche centrale de la décennie qui commence sera la réforme de l'État régalien, régulateur, protecteur. Mais là non plus il n'y aura pas de Grand Soir »

Il faut bien sûr, avant toute apologie de la réforme, en définir le contenu. Mais je crois également qu'un des chantiers majeurs des deux prochains quinquennats sera la réforme de l'État.

Les années quatre-vingts ont été marquées par le redéploiement de notre système productif. Il a fallu fermer les houillères, la sidérurgie, les chantiers navals. On est sorti de la grande industrie vers des secteurs à plus haute valeur ajoutée. Durant les années quatre-vingt-dix, on a fait franchir un bond qualitatif à l'Union européenne ; cet effort vient d'être couronné de succès avec l'euro. La tâche centrale de la décennie qui commence sera la réforme de l'État régalien, régulateur, protecteur.

Mais là non plus, il n'y aura pas de Grand Soir. Lionel Jospin a expliqué que, si le terrain avait été miné par nos prédécesseurs pour les retraites... (M. Marini proteste) Je cite le Premier ministre et le futur président de la République !

M. MARINI -

On n'est pas ici pour tresser des couronnes à Untel !

M. ELKABBACH -

Vous le ferez pour d'autres !

M. MARINI -

Différemment. (Sourires)

Paul Loridant

« Je distingue l'État stratège, qui doit être affirmé, de l'État gestionnaire »

M. ELKABBACH

Les stages en entreprises vous on fait du bien, monsieur Weber.

M. WEBER -

Pourquoi non ? Ce sont des expériences utiles que tous les parlementaires devraient multiplier. Nous le faisons dans nos circonscriptions, il est bon de le faire aussi dans le cadre du Sénat.

Laurent Fabius a dit justement qu'il ne fallait pas considérer le privé comme le diable ni le public comme le bon Dieu. Ces idées de la vieille gauche sont dépassées : le bien commun exige une coopération des deux entités.

M. SEILLIERE -

Le Medef est diabolisé par certaines forces politiques depuis des années. Je salue donc ce propos de M. Weber et j'appelle les Français à considérer que les entrepreneurs sont porteurs de la réforme de l'État.

M. ELKABBACH -

Monsieur Loridant, quand vous parlez finances à M. Chevènement, il vous écoute. Il vous arrive de tenir des propos hétérodoxes, comme lorsque vous jugez formidables les stocks-options.

M. LORIDANT, sénateur de l'Essonne -

Quel raccourci !

Il y aura deux élections en 2002, la présidentielle et celles qui dégageront une majorité législative. Le président de la République doit fixer des repères et, par conséquent, n'être pas en charge du Gouvernement.

Je distingue l'État stratège, qui doit être affirmé, de l'État gestionnaire. Le secteur public, les fonctionnaires, les administrations de l'État ont des rôles à jouer ; dans certains domaines, ils doivent être présents. Je pense, par exemple, à l'industrie d'armement, où la réforme de la D.G.A. a abouti. Je m'interroge aussi sur l'État gestionnaire : la décentralisation et l'intercommunalité transforment effectivement la réalité sur le terrain. Je ne suis donc pas pessimiste sur la réforme de l'État.

M. ELKABBACH -

Monsieur Picq, vous avez eu un rôle dans l'État, vous avez rédigé un rapport sur la réforme de l'État. Dites-nous pourquoi ça ne marche pas.

M. PICQ, conseiller-maître à la Cour des comptes -

Il est plus difficile de réformer l'État qu'une entreprise, M. Seillière le sait bien.

On parle de l'État comme de quelque chose d'immobile. Il faut le recréer, l'inventer. Cela demandera plusieurs générations. Une ancienne figure de l'État est en train de disparaître, celle qui a permis à la Nation de se constituer. Il faut répondre à une demande d'autonomie qui vient de partout, maires, chefs d'entreprise, grands services publics, partenaires sociaux. Même les directeurs de musée !

Jean Picq

« Une ancienne figure de l'État est en train de disparaître, celle qui a permis à la Nation de se constituer. Il faut répondre à une demande d'autonomie qui vient de partout, maires, chefs d'entreprise, grands services publics, partenaires sociaux »

Comme le dit son nom même, l'État doit faire tenir ensemble. Comment le changer ? Le nouveau projet politique, c'est l'Union européenne dans laquelle l'État est mis en concurrence avec d'autres acteurs. La question de l'intégration ne se réglera pas seulement en termes d'emplois ou de dépenses, elle ne mobilisera pas seulement le politique.

M. ELKABBACH -

Monsieur Fauroux, vous avez dirigé Saint-Gobain, l'ENA ; vous avez été ministre. Vous écrivez que différer les réformes serait de la non-assistance à État en danger.

Roger Fauroux

« Je suis obsédé par l'urgence. La société économique galope et l'État continue à aller lentement. La société est devenue plus intelligente, ce qui ne la rend pas plus gouvernable mais pourrait provoquer un décalage »

M. FAUROUX, ancien ministre, président d'honneur de Saint-Gobain -

Mme Lebranchu a raison : l'État change quand même. Regardez la réforme de l'armée qui s'est faite en deux ans seulement ! Je suis obsédé par l'urgence. La société économique galope et l'État continue à aller lentement. La société est devenue plus intelligente, ce qui ne la rend pas plus gouvernable mais pourrait provoquer un décalage. Cela m'a frappé avec la manière dont la société s'est appropriée l'euro en une quinzaine de jours alors que tout le monde tremblait. Les dirigeants sous-estiment les capacités positives de la société.

M. ELKABBACH -

On dit aux États-Unis que, dans la nouvelle société, ce ne sont plus les gros qui mangent les petits mais les rapides qui mangent les lents.

M. FAUROUX -

Un bon État doit être attirant, un mauvais est répulsif.

L'Éducation nationale fabrique des inégalités ; depuis des décennies, nous avons mal géré l'immigration. Tout cela nous retombe sur le nez avec l'insécurité. Nous n'avons pas fait notre devoir quand nous avons oublié que l'École avait pour mission de construire la République.

M. ELKABBACH -

Je constate que ce sont souvent des hauts fonctionnaires rigoureux qui deviennent des managers performants et dynamiques.

M. SCHWEITZER, président de Renault -

Les grands chefs d'entreprise ici présents ce matin sont d'anciens hauts fonctionnaires.

M. SEILLIERE -

C'est très rassurant : cela veut dire que l'État a tous les moyens de se réformer. Il n'y a qu'à y aller.

M. SCHWEITZER -

L'État est quelque chose de très abstrait. Ce sont d'abord deux millions de personnes. Dans une entreprise, quand on veut changer, on commence par convaincre. En 1984, Renault était condamnée. Un chef d'entreprise est arrivé, il a dit que le métier de Renault était de gagner de l'argent en faisant des voitures de qualité. Il a dit aussi que si rien n'était assuré, rien non plus n'était perdu.

M. ELKABBACH -

Vous parlez de Georges Besse.

Jean-Pierre Elkabbach

« On dit aux États-Unis que, dans la nouvelle société, ce ne sont plus les gros qui mangent les petits mais les rapides qui mangent les lents »

M. SCHWEITZER -

Sur ce projet, il a convaincu l'entreprise. Un projet et une conviction, telle est la recette. Or, pour les fonctionnaires, il n'y a pas l'expression d'un projet. La plupart des gens veulent réussir, faire mieux. Ils ne souhaitent pas le statu quo. Mais s'il n'y a pas de projet, ils se mettent en position de défense et l'État reste immobile. J'attends donc de l'État qu'il ait un projet - c'est le métier des politiques, pas le mien - et qu'il le mette en oeuvre avec enthousiasme et conviction.

M. ELKABBACH -

Que vous apportent les visites de sénateurs ? Les journalistes aussi devraient pouvoir venir plus souvent.

M. SCHWEITZER -

Il est bon qu'ils viennent dans l'entreprise. Il serait bon aussi que les entrepreneurs aillent dans le secteur public ! Tout progrès de la connaissance est bon. Je fais confiance à l'intelligence des gens.

Ne laissons pas croire que toutes les entreprises changeraient si vite et si efficacement. Il y a certes des réussites mais aussi des échecs. Les entrepreneurs ont la conviction que, sans changements, l'entreprise est condamnée, que rien n'est assuré.

M. ELKABBACH -

Monsieur Richard, vous avez fait d'une vieille dame, le Crédit local de France, un des principaux acteurs de l'Europe. Que pensez-vous de la visite des sénateurs ?

M. RICHARD, président de Dexia -

Ils étaient enchantés ! Ils connaissent bien notre activité principale, le financement des collectivités locales.

Pierre Richard

« L'État ne sait pas que les Français font confiance à leurs élus locaux. Décentralisons l'Éducation comme la gestion de la sécurité quotidienne ! Les fonctionnaires seront galvanisés par de tels projets »

Les Français sont intelligents, à preuve l'euro. Ils constatent que la France avance mais pas l'État. Il y aurait un levier important, auquel on n'est pas assez attentif : la décentralisation. L'uniformité est source d'inégalité.

L'entreprise réussit parce qu'elle est décentralisée. Il faudrait donc prolonger les lois Defferre. Je ne parle pas de mettre à bas le statut des fonctionnaires, je propose une grande décentralisation. L'État ne sait pas que les Français font confiance à leurs élus locaux. Décentralisons l'Éducation comme la gestion de la sécurité quotidienne ! Les fonctionnaires seront galvanisés par de tels projets.

M. ELKABBACH -

Vous supprimez le département ?

M. RICHARD -

Avec l'Europe, il n'y a pas de raison d'empiler les niveaux d'administration. Je ne souhaite pas pour autant que le département disparaisse partout. En Alsace, par exemple, il disparaîtra au profit de la région ; il n'y a pas de raison pour qu'il en aille forcément de même pour toutes les régions rurales. D'ici trente ans, le nombre des régions devrait être ramené à neuf ou dix.

M. PICQ -

L'État, pour nous, c'est le centre parisien alors que les politiques publiques ont plusieurs niveaux d'action, national certes mais aussi européen et régional. On ferait de gros progrès en ne réduisant pas l'État à la pointe de la pyramide. Pour l'Éducation nationale, par exemple, on ne pourra considérer les universités hors de toute perspective européenne ; en revanche, l'enseignement scolaire doit rester purement local.

M. SEILLIERE -

Il est fondamental qu'il y ait motivation et intérêt à la réforme. Il faudra repenser la notion même de statut. Tant qu'on ne pourra pas identifier et mieux rémunérer ceux qui servent mieux que les autres, on n'avancera pas. Il faut avoir le courage de regarder cela en face.

M. ELKABBACH -

Monsieur Marini, vous avez été stagiaire chez Ricard, qu'avez-vous appris ?

M. MARINI, rapporteur général du budget au Sénat -

Pas à boire : les apéritifs me donnent mal à la tête. (Sourires)

Il faut mobiliser les énergies tout en étant le plus concret possible : la réforme de l'État se fera tous les jours et avec tout le monde.

J'ai lu cette nuit le rapport public de la Cour des comptes. J'en ai retenu deux exemples, un négatif et un positif. Le ministère de la Culture est critiqué pour ne pas séparer clairement le public du privé dans le domaine du patrimoine et des monuments historiques. Les architectes des monuments de France sont des fonctionnaires et pourtant, ils perçoivent des honoraires. Ce n'est pas admissible, c'est un problème d'équité et de place de l'État, qui doit être modeste et efficace. Dans les musées, les structures ne correspondent pas aux fonctions. Songez que le directeur du Louvre ne commande pas son propre personnel, il n'a pas pouvoir disciplinaire.

M. ELKABBACH -

Vous faites allusion à une affaire récente ?

Ernest-Antoine Seillière

« Il faudra repenser la notion même de statut. Tant qu'on ne pourra pas identifier et mieux rémunérer ceux qui servent mieux que les autres, on n'avancera pas »

M. MARINI -

Pas du tout. Ce n'est pas une polémique, c'est un problème de fond.

J'ai aussi un exemple positif, celui de l'UNEDIC qui a rénové sa gestion et ses moyens de contrôle. La Cour des comptes lui fait des compliments - chose exceptionnelle ! -, on s'est inspiré de l'entreprise privée et c'est une réussite. Sachons faire confiance !

L'État n'est pas au service de son personnel mais du bien public. Il doit s'astreindre à un contrôle de ses propres performances. La réforme de l'État sera l'enjeu d'une génération.

M. ELKABBACH -

La culture, très bien. Mais n'y a-t-il rien sur la justice ?

Mme LEBRANCHU -

Eh non !

C'est Michel Rocard qui, en 1990, a lancé l'idée d'une réforme de l'État. On a tiré le bilan de la première mise en place de la décentralisation. J'ai vécu cela sur le terrain.

C'est quand les pouvoirs locaux sont devenus lisibles, que les acteurs économiques et sociaux se sont adressés à eux, que l'État est passé d'une image de partenaire à une image de prédateur. C'est ce virage qui a rendu nécessaire la réforme de l'État. On n'a pas assez expliqué à nos fonctionnaires ce que devait être la nouvelle relation avec l'usager, citoyen lambda ou acteur économique.

Marylise Lebranchu

« On n'a pas assez expliqué à nos fonctionnaires ce que devait être la nouvelle relation avec l'usager, citoyen lambda ou acteur économique »

M. ELKABBACH -

Les centres d'éducation renforcée, les prisons, peut-on les mettre sous la responsabilité d'élus locaux ?

Mme LEBRANCHU -

On ne peut répondre qu'en termes expérimentaux.

Regardez la loi sur la Corse : le Gouvernement propose de confier des missions à l'assemblée territoriale. S'élève alors un mur de béton, on nous oppose l'unité de la République.

Il y a un problème d'accès ; l'État doit se rendre accessible, ses missions doivent être comprises. On peut imaginer de déconcentrer la construction des prisons mais on nous opposera que la carte pénitentiaire ne colle pas avec les régions. En revanche, pour les centres d'éducation renforcée, il est impératif que l'État conclue des partenariats locaux.

M. ELKABBACH -

On a lancé une grande réforme des prisons. Les mots ont été prononcés, et plus rien, on n'en parle plus. Ça va exploser.

Mme LEBRANCHU -

On y est. Si on ne lance pas une loi pénitentiaire, on commettra une erreur majeure. Tout le monde parle de l'insécurité dans la rue, sans voir l'énorme problème que pose la récidive. Or, celle-ci est bien due à l'état des prisons. M. Fauroux a raison : la sécurité forme un tout, elle concerne tout aussi bien l'emploi ou l'Éducation nationale. On nous signale maintenant les enfants victimes - quitte à faire exploser les statistiques, mais qu'importe -mais on ne parle pas des enfants agresseurs et cela, c'est une erreur grave. Il y a urgence.

M. ELKABBACH -

Votre ministère vient de demander l'extradition de M. Schuller. Pourquoi avoir tant attendu ? Y a-t-il des blocages dans votre administration, des corps qui sommeillent ?

Mme LEBRANCHU -

Il y a longtemps que l'institution judiciaire a fait ce qu'elle devait dans cette affaire ; Interpol a reçu le dossier. Mais l'hypermédiatisation pose un problème à la République dominicaine : son nouveau président veut faire en sorte qu'elle ne soit plus la plate-forme du blanchiment pour toute la région. Ce n'est pas si aisé : nombre de personnes recherchées sont réfugiées chez eux. Nous avons fait notre travail et le président dominicain l'a compris -on pourrait épiloguer longuement sur les difficultés de ces Républiques souffrantes.

M. LORIDANT-

La semaine prochaine, j'irai à Poissy, à Melun et à Clairvaux en tant que rapporteur du budget des comptes spéciaux du Trésor. Cela pour vous dire que les parlementaires savent coller à l'actualité, même sur les sujets qui n'occupent pas la une des journaux.

On peut discuter sur la réforme de l'Éducation nationale, encore faut-il que l'État donne des repères : l'École doit transmettre des savoirs et former des citoyens. Il ne lui est pas interdit de faire de l'animation, pourvu qu'elle n'oublie pas sa fonction originelle.

M. FAUROUX-

Je suis exaspéré d'entendre parler de délais. Quand Gaston Defferre et François Mitterrand ont voulu faire voter les lois de décentralisation, cela n'a pris que huit mois alors qu'ils se sont heurtés à une vigoureuse opposition. On peut donc aller vite.

Roger Fauroux

« Je suis exaspéré d'entendre parler de délais. Quand Gaston Defferre et François Mitterrand ont voulu faire voter les lois de décentralisation, cela n'a pris que huit mois alors qu'ils se sont heurtés à une vigoureuse opposition. On peut donc aller vite »

Les ministères pâtissent d'une pratique trop répandue, la note au ministre. Celui-ci demande à un brillant énarque de lui rédiger une réforme de fond en quelques pages et en une nuit. Les vrais noeuds qui freinent les réformes ne sont pas de grandes considérations théoriques, ils sont très concrets. Quand M. Monory a voulu supprimer le contrôle des prix, le problème concret auquel il a été confronté était le reclassement des 107 contrôleurs.

M. WEBER -

On s'est habitué à un État prescripteur, il faut aller vers un État partenaire. C'est dans cet esprit que l'on a mis un terme au système absurde de la désignation des présidents de chaînes de télévision pour trois ans ; c'est désormais un système contractuel, avec rapport annuel devant le Parlement. Voilà dans quelle direction il faut aller.

La décentralisation est effectivement essentielle à une réforme de l'État. Des propositions seront faites, durant la campagne présidentielle, sur le deuxième train de décentralisation. Il faut aussi rénover les rapports sociaux. Faisons notre autocritique : comme tous les bilans, le nôtre est contrasté et nous avons des reproches à nous faire sur les relations contractuelles.

M. SCHWEITZER -

Il faut faire sentir l'existence d'une communauté d'intérêts. La force de l'entreprise, c'est que les salariés voient que leur réussite personnelle va de pair avec celle de l'entreprise. Or, on affecte d'opposer les intérêts de l'État et ceux des fonctionnaires. Si tous tirent en sens contraire, même très fortement, rien ne bougera. Dans les entreprises, les gens comprennent qu'il leur faut tous tirer dans la même direction.

Louis Schweitzer

« Il faut faire sentir l'existence d'une communauté d'intérêts. La force de l'entreprise, c'est que les salariés voient que leur réussite personnelle va de pair avec celle de l'entreprise »

M. SEILLIERE -

Nous voyons bien que l'État a plusieurs figures, le Parlement, l'administration et la politique du Gouvernement. L'État a envahi le domaine social, l'entreprise et les rapports sociaux. Il devrait se concentrer sur ses missions régaliennes et ne pas intervenir dans la société civile.

M. ELKABBACH -

À cette condition, vous reprendriez votre place dans les instances paritaires ?

M. SEILLIERE -

Nous avons proposé une nouvelle architecture pour la Sécurité sociale. Nous sommes partis parce que l'État nous a pris du pognon qu'il n'avait pas à nous prendre.

M. RICHARD -

Il faudrait lancer une convention pour une nouvelle architecture de la France, dont les conclusions seraient soumises à référendum. Le citoyen comprend cela et l'attend ardemment.

M. MARINI -

On parle de faire une réforme « avec les fonctionnaires » mais, dans une entreprise, il y a un directeur des ressources humaines, l'État n'en a pas, il n'a pas de stratégie par rapport à son personnel alors même que les dépenses de la fonction publique représentent 45 % de son budget.

M. ELKABBACH -

Je rappelle qu'avec le président Lambert, vous êtes les princes de la concurrence budgétaire et fiscale en Europe, après avoir été les acteurs de la réforme de l'ordonnance de 1959.

M. MARINI -

Réforme que nous avons faite tous parlementaires confondus et parfois contre le Gouvernement. Cela prouve que ce que l'on appelle la « classe politique » sait faire preuve de responsabilité.

La rémunération des fonctionnaires est un sujet capital. En tant que maire, j'ai des cantonniers ; certains sont excellents, d'autres en font le minimum. Que puis-je faire ? On sait que 50.000 fonctionnaires partiront en retraite en 2002. Que va-t-on faire ? L'État va recruter 84.000 personnes dont il sera responsable, retraite comprise, pendant 50 ans. La réforme de l'État commence là.

Il faudrait des indicateurs de performance pour l'État et pour les fonctionnaires, afin que les meilleurs soient récompensés.

Philippe Marini

« Il faudrait des indicateurs de performance pour l'État et pour les fonctionnaires, afin que les meilleurs soient récompensés »

Mme LEBRANCHU -

Les fonctionnaires doivent être considérés comme un groupe humain. Certaines entreprises fonctionnent très mal faute de considérer leurs salariés comme un groupe humain. Pour les prisons, nous sommes en train de mettre en place des directeurs des ressources humaines. Il y a une administration centrale, avec une gestion nationale des personnes, qui conduit à des aberrations. En région parisienne, nous n'avons que des jeunes parce que les fonctionnaires doivent avoir des points d'ancienneté pour retourner dans leur région d'origine. Il est clair que ce n'est pas satisfaisant.

On a beaucoup critiqué l'aménagement et la réduction du temps de travail dans la fonction publique. Dans mon administration, cela a donné l'occasion de parler des rapports au travail, des conditions de travail, des relations avec la hiérarchie et avec les usagers. Les greffiers ont proposé d'ouvrir leur bureau à des heures où les gens sont plus disponibles. Ce qui s'est passé là aura des effets à long terme.

M. ELKABBACH -

Si je comprends bien, on ne veut plus d'un État qui donne des leçons mais d'un État qui nous guide, nous écoute, nous respecte, bref, nous obéisse.

M. CHANTARAUD-

En conclusion, je dirai qu'il faut effectivement du temps mais que le président Mitterrand a pu agir vite pour la décentralisation : quand on veut, on peut. Comment faire partager cette volonté aux fonctionnaires ? Ils doivent servir l'État et non s'en servir. Le citoyen lui-même doit se sentir responsable de la collectivité, c'est peut-être la première tâche de l'Éducation nationale.

J'ai beaucoup appris ce matin, preuve que l'intelligence consiste à savoir que l'on apprend quand on écoute.

M. HERISSON, sénateur de Haute-Savoie -

Les entreprises publiques sont aujourd'hui en charge de l'ouverture à la concurrence ; je pense à E.D.F. où je viens d'effectuer mon stage. Avec la mondialisation, le marché est planétaire. Là aussi, il s'agit bien de réforme de l'État puisque ces entreprises sont publiques. L'expérience de France Télécom est, à mes yeux, exemplaire. De la même manière, il faut donner à toutes nos entreprises publiques le moyen d'être concurrentielles à l'échelle mondiale.

M. SEILLIERE -

Sur les entreprises publiques, on est vraiment sorti du vieux débat théologique. Chacun reconnaît désormais que les entreprises publiques doivent se banaliser.

Marylise Lebranchu

« Ne confondons pas réforme de l'État et entreprises publiques. On connaît les problèmes de la Californie avec l'électricité ou de la Grande-Bretagne avec le rail. L'ouverture du capital n'est pas la panacée, tout est affaire de situation »

M. MARINI -

Le sujet est-il vraiment si consensuel ? Si l'ouverture du marché de l'électricité avait été plus rapide, les abonnés particuliers en auraient bénéficié, et pas seulement les industriels. Privatisons vite et profitons-en pour alléger la dette de l'État.

M. ELKABBACH -

Quelle place aurait encore l'État ?

M. WEBER -

Dès lors qu'E.D.F. chapeaute tout le nucléaire civil, la moindre des choses est que l'État y conserve une part importante.

Avec France Télécom, on a créé une des plus grandes entreprises mondiales de télécommunications ; l'armée a été professionnalisée, l'ordonnance de 1959 a été récrite, on a mis en place la police de proximité, on a ouvert le capital de nombreuses entreprises et créé de grands pôles comme E.A.D.S. On ne peut donc pas dire que l'État ne changerait pas.

Mme LEBRANCHU -

Je suis désolée de devoir vous quitter pour une réunion du Gouvernement.

Ne confondons pas réforme de l'État et entreprises publiques. On connaît les problèmes de la Californie avec l'électricité ou de la Grande-Bretagne avec le rail.

L'ouverture du capital n'est pas la panacée, tout est affaire de situation. Je vois mal comment privatiser la S.N.C.F. sachant que le rail reste propriété de l'État.

M. HERISSON -

Les entreprises publiques occupent aujourd'hui plus de 10 % des fonctionnaires.

Mme LEBRANCHU -

Je ne peux laisser dire que la réforme de l'État se réduirait à une question de périmètre. Il faut se demander ce qui serait meilleur.

J'ai été confrontée à un problème de cantine scolaire. Nous avons comparé ce que proposaient le privé et la collectivité territoriale ; eh bien, celle-ci s'en sortait pour moins cher, parce qu'elle avait moins de charges de structure.

Pierre Hérisson

M. MARINI -

J'ai fait le même constat.

Mme TAITTINGER, société Envergure -

Je suis convaincue de la grande maturité des Français et des fonctionnaires face à l'idée d'évolution souhaitable. Les élites politiques ne font pas assez fond là-dessus.

Je représente un groupe d'origine familiale qui est numéro deux européen pour l'hôtellerie et qui est très actif dans le luxe.

M. BERT, inspecteur général des finances -

Beaucoup ont l'impression que l'État est éternel et qu'il n'y a pas de risques. Je pense qu'il y en a un. Avec quelles incitations M. Schweitzer pense-t-il que l'on pourrait convaincre ?

M. ELKABBACH -

Vous avez été responsable à Bercy de la réforme dont on connaît l'échec. Vous n'y êtes pour rien, bien entendu.

M. SCHWEITZER -

Dans toute incitation, il y a à la fois un espoir et une inquiétude. Les fonctionnaires ont naturellement la garantie de l'emploi et il n'est pas question de la supprimer ; leur inquiétude tient à la considération qu'on leur porte. On n'entre pas dans la fonction publique pour gagner des salaires élevés mais pour jouer un rôle reconnu, dont on puisse être fier. Si les fonctionnaires ne sentent une espèce en voie de disparition, ils jouent en défense et tout est bloqué.

M. ROBIN, société Otelo -

On parle beaucoup de réforme, de redéploiement, pas assez des responsabilités de l'État. Ce qui marche dans l'entreprise, c'est le projet. C'est ce qui manque dans l'État, la motivation.

Louis Schweitzer

« Si les fonctionnaires se sentent une espèce en voie de disparition, ils jouent en défense et tout est bloqué »

M. GOURNAC, sénateur des Yvelines -

Oui, il faut rapprocher la démocratie des citoyens. Cessez de tuer les maires ! Laissez-les vivre ! Abandonnez ces contrôles tatillons ! J'étais, hier soir, à un conseil municipal, c'était à rire-ou à pleurer. Le maire est aujourd'hui la principale référence pour nos concitoyens.

M. RICHARD -

C'est vrai, les citoyens aiment leurs élus locaux. Quand j'étais haut fonctionnaire, mes collègues étaient désappointés par leur manque de marge de manoeuvre. Si un chef d'établissement scolaire devient P.D.G. d'un établissement public d'enseignement avec conseil d'administration, il sera motivé.

M. LORIDANT -

Je connais Mme Taittinger, nous avons travaillé côte à côte pour l'équipement des villes de banlieue. Je lui demande de n'être pas caricaturale : les politiques sont à l'écoute des citoyens.

M. PICQ -

La question de la représentation est décisive. Si nous étions en Espagne, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, un tel débat n'aurait pas eu lieu parce que, là-bas, les régions existent.

Il faut que les élus locaux, les présidents de région aient davantage de pouvoirs. La question de l'État est l'affaire de tous les acteurs de la communauté France. Si l'on reste avec l'idée que quelques fonctionnaires et hommes politiques parisiens sont détenteurs de la vérité générale, rien ne se fera.

M. ELKABBACH-

Je vous remercie tous. (Applaudissements)

Comment changer l'État ?

Débat animé par Gilles Leclerc,
Journaliste « Public Sénat » et « France 3 »

Introduction des débats :
Jean-François Chantaraud

Conclusion par Christian Poncelet, Président du Sénat

Avec la participation de

Michèle Alliot-Marie
Ancien Ministre, Présidente du R.P.R.

Nicole Notat
Secrétaire Générale de la C.F.D.T.

Denis Kessler
Président de la F.F.S.A.

Jean Peyrelevade
Président du CREDIT LYONNAIS

Thierry Bert
Inspecteur général des finances

Gérard Braun
Sénateur des Vosges

Alain Lambert
Président de la commission des Finances du Sénat

Didier Migaud
Rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale

M. CHANTARAUD, directeur de l'Observatoire du dialogue social -

L'enjeu de cette table ronde, c'est la méthode...

M. LECLERC -

... et des pistes de solution.

M. CHANTARAUD -

L'entreprise performante a compris que ses interlocuteurs veulent être entendus. Elle veut faire partager un projet, faire dialoguer ses salariés, ses actionnaires et ses clients. Eh bien, ce que l'entreprise fait, l'État doit être capable de le faire avec les citoyens, en leur donnant la parole. Si les citoyens sont nombreux à descendre dans la rue, ils peuvent faire pression. S'ils ont des réseaux, ils peuvent faire du lobbying. Il y a une troisième forme d'expression : l'agora qui consiste à organiser le dialogue et à construire des solutions collectives avec les fonctionnaires, les élus et les citoyens car c'est à ceux-ci que l'État rend service.

L'enjeu n'est pas l'intelligence des gouvernants qui définiraient seuls un programme, ni celle des gouvernés qui se comporteraient en consommateurs mais l'intelligence collective qui doit être capable d'organiser un débat public avec les citoyens.

Dans une démocratie adulte, la raison du plus fort n'est pas toujours la meilleure mais la raison la meilleure est toujours la plus forte. Sans la participation des citoyens, il n'y aura pas de réforme de l'État.

J.-F. Chantaraud

« Sans la participation des citoyens, il n'y aura pas de réforme de l'État »

M. LECLERC -

La réforme de l'État est à l'évidence un thème qui se dégage des programmes électoraux. Constituera-t-elle une vraie priorité dans cette campagne ?

Mme ALLIOT-MARIE, ancien ministre, présidente du R.P.R. -

Oui, parce que nous avons écouté les citoyens, nous avons dialogué avec eux pour élaborer notre projet et nous nous sommes rendus compte qu'il y a un vaste problème de confiance des citoyens envers l'État. On a l'impression aujourd'hui que l'État ne dit pas la vérité. Quand il présente un budget fondé sur une hypothèse de croissance de 2,5 % dont on sait qu'elle n'est pas tenable, l'État n'est pas crédible aux yeux des citoyens. De même, quand l'État change tous les deux ans de politique, il n'est pas non plus crédible. Aussi les citoyens ont-ils l'impression d'un décalage profond entre l'évolution de la société dans son ensemble et un État qui fonctionne encore de façon archaïque. Les citoyens qui sont utilisateurs du service public et les fonctionnaires eux-mêmes ont l'impression de ne pas disposer des moyens que l'on trouve, par exemple, dans l'entreprise.

M. LECLERC -

Quelles pistes de solution proposez-vous ?

Mme ALLIOT-MARIE -

La première, c'est de pratiquer le dialogue et l'écoute, car il y a souvent des solutions de bon sens. Il faut également moderniser l'État pour faire en sorte qu'il puisse tenir sa parole.

M. LECLERC -

Le parti socialiste propose aussi de réformer l'État. N'y a-t-il pas un consensus de tous les partis sur la nécessité d'une telle réforme ?

M. MIGAUD, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale -

Oui mais nous divergeons sur son application. Je ne crois pas que l'État ou les services publics soient archaïques. La réforme de l'État est nécessaire car l'État doit s'adapter en permanence. C'est évident. C'est pourquoi, avec le président Lambert, nous avons proposé une réforme de la loi organique relative aux lois de finances, qui est un outil pour réformer l'État, pour donner plus de souplesse et plus de responsabilités aux gestionnaires publics. La transparence, la lisibilité permanente de l'action publique sont les maîtres mots de cette réforme, qui a été voulue par M. Fabius, président de l'Assemblée nationale, puis ministre de l'économie et des finances, mais aussi par le Premier ministre, par le président de la République, par le président Lambert et par la commission des Finances de l'Assemblée nationale qui se sont beaucoup investis pour la réussite de cette réforme.

Didier Migaud

« L'État est capable de se réformer, non pas contre les fonctionnaires, mais avec eux. Je ne crois pas à un Grand Soir de la réforme de l'État car l'État doit s'adapter en permanence »

Ainsi, nous avons montré que les politiques peuvent faire des réformes, quand ils se mettent d'accord sur les objectifs. L'État est capable de se réformer, non pas contre les fonctionnaires, mais avec eux. Je ne crois pas à un Grand Soir de la réforme de l'État car l'État doit s'adapter en permanence.

M. LECLERC -

Vous dites qu'il n'y a pas une réforme de l'État mais des réformes au sein de l'État.

M. MIGAUD -

Oui, je suis pour un État présent, fort, efficace. Nous devons passer d'une logique de moyens à une logique de résultats. Chaque année, l'exécution du budget sera analysée sous l'angle de la performance. Un rapport annuel permettra l'évaluation de l'action ministérielle.

M. LECLERC -

Le calendrier politique se prête-t-il à une réforme de l'État ?

Mme ALLIOT-MARIE -

Oui, je crois qu'il est indispensable de réformer en permanence et qu'il y a aujourd'hui un consensus sur la nécessité de la réforme de l'État. Au-delà de ce qui a été dit, nous devons nous interroger sur l'évaluation qui est indispensable, service par service, pour améliorer l'efficacité de chaque service. Il faut, en la matière, non seulement un programme mais une vraie volonté politique.

M. LECLERC -

Celle-ci existe-t-elle ?

Mme ALLIOT-MARIE -

On a pu en douter ces dernières années mais, pour notre part, elle ne fait pas de doute.

Michèle Alliot-Marie

« Au-delà de ce qui a été dit, nous devons nous interroger sur l'évaluation qui est indispensable, service par service, pour améliorer l'efficacité de chaque service »

M. LAMBERT, président de la commission des Finances -

Je suis sûr que l'on peut réformer l'État. Tant que l'on n'a pas essayé, on ne peut pas dire que cela ne marche pas. Avec M. Migaud, nous avons essayé. Nous n'étions pas du même bord politique mais nous y sommes parvenus, en dépit de tout ce que nous avons entendu : trente-six tentatives avaient échoué auparavant, nous n'y arriverions jamais, etc... Cela a marché parce que nous étions deux obscurs, que personne ne connaît.

M. LECLERC -

Ce ne sont tout de même pas les médias qui empêchent de faire la réforme ?

M. LAMBERT -

Certes non, mais je ferai une proposition iconoclaste : nous devrions nous engager à réduire d'un quart toutes les normes législatives et réglementaires dans les cinq prochaines années. Ainsi, toute l'intelligence d'ordinaire mobilisée dans ce pays pour monter des usines à gaz serait occupée à les démonter. On progresserait dans la science du démontage et, pendant ce temps, on ne monterait pas de nouvelles usines et celles que l'on monterait, on les ferait avec l'idée qu'un jour, il faudra les démonter. C'est ainsi que l'on peut faire progresser notre pays. C'est facile à condition d'en avoir la volonté.

M. LECLERC -

Il y a donc là une piste : moins de lois, moins de décrets, moins de règlements.

M. BRAUN, sénateur des Vosges -

Oui, le président Lambert a raison. Dans notre pays, il y a beaucoup trop de règlements ; il faut en supprimer. C'est ce qui a été fait aux États-Unis, au Japon, au Canada, en Nouvelle Zélande, en Australie, etc.. Dans tous ces pays que j'ai étudiés, il y a eu un accord politique sur la nécessité de réformer. Deux d'entre eux en particulier ont eu une volonté idéologique forte de réformer l'État : le Royaume-Uni et la Nouvelle Zélande.

Ce qui m'a frappé dans tous ces pays, c'est la continuité politique : que les Gouvernements soient de droite ou de gauche, au-delà des alternances, la volonté politique a prévalu. Elle s'est articulée autour de ce triptyque : premièrement, une véritable volonté politique de réforme ; deuxièmement, un véritable dialogue avec les fonctionnaires, leurs organisations représentatives mais aussi la base ; troisièmement, ne pas oublier les citoyens-et non pas les usagers, qui, dans une dictée de Pivot, pourraient s'écrire « usagés ». (Sourires) La réforme de l'État ne se fait pas d'un coup de baguette magique. Elle suppose une réflexion permanente.

Alain Lambert

« Nous devrions nous engager à réduire d'un quart toutes les normes législatives et réglementaires dans les cinq prochaines années. Ainsi, toute l'intelligence d'ordinaire mobilisée dans ce pays pour monter des usines à gaz serait occupée à les démonter »

M. LECLERC -

La réforme de l'État suppose une implication de tous les acteurs sociaux, économiques, et des citoyens, donc un partage du pouvoir.

Mme NOTAT, secrétaire générale de la C.F.D.T. -

On peut tout partager, mais pour réussir une réforme, il faut commencer par mettre les choses à l'endroit. Le politique a, ici, un vrai rôle à jouer pour montrer pourquoi il faut réformer. Il faut que les usagers tirent un bénéfice de la réforme. Il faut que les fonctionnaires y trouvent de nouvelles motivations. Donnez-nous envie de réformer ! Montrez-nous que nous y trouverons plus d'intérêts, plus d'efficacité, plus de garanties !

Une fois que cette réforme est identifiée et motivée, elle doit être incarnée. Il faut que des gens la portent et en assurent le service après-vente, avant même qu'elle soit mise en place. Il faut démontrer que la réforme est nécessaire, pour la rendre possible.

Le premier objectif est d'impliquer ceux qui sont concernés au premier chef par la réforme. Les services publics eux-mêmes doivent devenir porteurs de ces réformes. Comme l'a dit M. Schweitzer, les fonctionnaires ont envie que les services publics marchent mieux. Ils ont envie de retrouver toute la noblesse de leurs métiers, d'être plus performants et plus efficaces.

M. LECLERC -

Monsieur Bert, vous avez été à l'origine de la réforme de Bercy. Sur quels obstacles a-t-elle achoppé ?

M. BERT, inspecteur général des finances -

Au risque de vous surprendre, il y a eu peu d'obstacles et les choses avancent beaucoup. Je suis fonctionnaire. On m'a demandé de me lancer dans cette aventure, notamment parce que les contribuables étaient confrontés à une quantité d'interlocuteurs différents, à des procédures complexes, pour un coût nettement plus élevé que celui de nos principaux partenaires. Il est donc apparu utile de faire évoluer cette situation, vieille de deux siècles. Mais on m'a donné neuf mois pour la remettre en cause...

M. LECLERC -

Gaston Defferre avait bien fait la décentralisation en neuf mois.

M. BERT -

En neuf mois, on peut prendre des décisions stratégiques et des décisions d'organisation, qu'il faut se donner ensuite le temps d'appliquer afin que les agents puissent s'y adapter et prendre de nouvelles habitudes. En un an, on peut faire une photographie. Mais une photographie n'est jamais douce. Elle est toujours contrastée. Certains la trouvent immanquablement trop dure, voire méprisante.

Gilles Leclerc

« La réforme de l'État suppose une implication de tous les acteurs sociaux, économiques, et des citoyens, donc un partage du pouvoir »

Il faut aussi prendre des décisions stratégiques, comme, par exemple, fait-on oui ou non la retenue à la source. Il faut donner aux fonctionnaires et aux usagers un certain nombre de garanties et une lisibilité à long terme sur les réformes entreprises.

M. LECLERC -

Monsieur Peyrelevade, vous avez été serviteur de l'État, vous êtes chef d'entreprise. Quel est votre double regard sur la réforme de l'État.

M. PEYRELEVADE, président du Crédit lyonnais -

En premier lieu, il faut une volonté permanente de réforme et de changement, qui ne peut être incarnée que par les hommes et les femmes politiques...

Nicole Notat

« Le politique a, ici, un vrai rôle à jouer pour montrer pourquoi il faut réformer. Il faut que les usagers tirent un bénéfice de la réforme. Il faut que les fonctionnaires y trouvent de nouvelles motivations. Donnez-nous envie de réformer ! »

M. LECLERC -

Percevez-vous une telle volonté ?

M. PEYRELEVADE-

Pas encore. Il faut une volonté explicite, qui se traduise par un contrat de législature ou un contrat de Gouvernement.

Deuxièmement, on ne changera pas les structures de l'État sans demander aux citoyens, non pas de manière globale mais fonction par fonction, service par service, leur opinion, leur satisfaction et leur insatisfaction, comme nous le faisons dans l'entreprise avec nos clients. Cette consultation des citoyens doit être menée par un organisme placé sous la direction du législateur, lequel peut stimuler l'action réformatrice de l'exécutif.

En troisième lieu, je rappelle que les fonctionnaires représentent 25 % de la population active. On ne peut réformer une telle masse si l'État n'introduit pas en son sein, et non pas seulement dans ses relations avec les collectivités locales, des principes de contractualisation, de décentralisation, en commençant par ses propres hauts fonctionnaires.

M. KESSLER, président de la Fédération Française des Sociétés d'Assurance -

Pour l'analyse économique, l'État est un conglomérat en difficulté, sur la défensive, systématiquement en déficit, lourdement endetté, remplissant mal ses missions, aux performances généralement insatisfaisantes, en particulier pour ses clients ou usagers, et contesté par d'autres conglomérats. Il faut donc concevoir une nouvelle organisation collective pour le XXI ème siècle. C'est un projet formidable pour tous ceux qui croient sincèrement en l'État et qui désespèrent de voir se creuser le fossé entre ses performances et celles des entreprises de la société civile.

Je vais vous livrer les clés de cet énorme chantier de reengineering. Il faut commencer par le benchmarking : comment font les autres États ? C'est formidable, il n'y a pas de copyright, on peut y aller !

Deuxièmement, on passe au business core focusing : on le recentre sur ses missions essentielles et on abandonne celles qu'il n'assume pas bien et qui ne correspondent pas à ces missions. D'où l'étape suivante : le downsizing. Après on passe au capital allocating, on redéploie les ressources. Puis au streamlining...

M. LECLERC -

Que de mots anglais !

M.KESSLER-

C'est-à-dire qu'on clarifie les missions et les processus de décisions. Ensuite, on en vient au team spirit building, ce qui permet d'en finir avec les corporatismes qui n'ont plus lieu d'être et les deux cents et quelques corps de l'État qui croient avoir des fonctions sui generis. Tout cela conduit naturellement au customer relationship management : on s'intéresse aux clients, aux citoyens. Enfin, on en arrive au matrix implementing : l'État de demain sera matriciel et non pas pyramidal et stratifié, comme actuellement, en niveaux successifs.

Jean Peyrelevade

« On ne changera pas les structures de l'État sans demander aux citoyens, non pas de manière globale mais fonction par fonction, service par service, leur opinion, leur satisfaction et leur insatisfaction, comme nous le faisons dans l'entreprise avec nos clients »

M. LECLERC-

Pensez-vous qu'il est approprié de plaquer ainsi les modes de gestion des entreprises sur l'État ?

M.KESSLER-

Mais l'État n'est qu'une énorme entreprise qui, certes, a des missions régaliennes qu'il ne faut pas ignorer. Il peut néanmoins, pour la plupart de ses fonctions, s'inspirer de ce qui se fait dans les entreprises, lesquelles peuvent donner des leçons à l'État.

M. MIGAUD -

M. Kessler a le goût de la provocation. Mais je ne peux laisser ainsi réduire l'État à une entreprise. Certes, les notions d'efficacité, de contrôle et d'évaluation ne peuvent être étrangères à l'État. Je souhaite que les politiques s'y intéressent et nous y avons oeuvré, notamment avec M. Lambert, au Parlement, avec cette réforme que j'ai évoquée et que nous avons votée ensemble, madame Alliot-Marie. La volonté politique existe, le président Fabius, en son temps, et le président Poncelet ont invité les parlementaires à aller dans les entreprises. J'aimerais aussi que davantage de chefs d'entreprise viennent auprès des responsables politiques et des administrations. Il est vrai que notre pays a pris du retard mais beaucoup de progrès concrets se font, notamment au ministère de l'économie et des finances.

M. LECLERC -

Pouvez-vous citer des exemples ?

M. MIGAUD -

Il y a l'interlocuteur fiscal unique qui permet au citoyen contribuable de ne plus être renvoyé d'une administration à l'autre. Il y a aussi, grâce à la réforme de la loi organique, la diffusion de la notion d'efficacité et de l'esprit de responsabilité.

M. LECLERC -

Monsieur Hotte, vous remplacez Marc Blondel, excusé pour cause de mouvement social. Vous représentez un syndicat important dans la fonction publique.

M. HOTTE, représentant du secrétaire général de FO -

Oui, pendant que nous faisons de la théorie, M. Blondel fait des travaux pratiques. Il est confronté au problème d'effectif des enseignants, lesquels sont d'accord pour faire face à de nouvelles missions, à condition d'en avoir les moyens. La réforme de l'État est d'abord de la responsabilité des politiques, qui doivent trouver une méthode de dialogue avec la fonction publique et les organisations représentatives.

M. LECLERC -

Ce dialogue n'existe pas aujourd'hui ?

Nicole Notat

« Quand l'État s'enferme lui-même pour réformer sans associer les usagers, en discutant uniquement avec ses propres agents, il prend le risque de l'échec »

Mme NOTAT -

Il n'est pas adapté. Les décisions sont encore trop souvent prises de façon unilatérale. Ce n'est pas une bonne méthode. Il faut dire clairement aux fonctionnaires quelles missions leur sont confiées par l'État et quels moyens leur sont assignés. On ne peut demander aux fonctionnaires d'assumer certains objectifs sans aborder cette question des moyens.

M. LECLERC -

Bref, on peut attendre encore longtemps.

M. HOTTE -

Il faut se garder du dialogue de sourd et entrer dans une logique du donnant-donnant.

M. LECLERC -

Mais ne peut-on développer une vision collective de la réforme ?

Mme NOTAT -

Quand l'État s'enferme lui-même pour réformer sans associer les usagers, en discutant uniquement avec ses propres agents, il prend le risque de l'échec. Les premiers bénéficiaires de la réforme sont les usagers. Les fonctionnaires aussi peuvent en tirer partie, si les services publics sont plus performants. Mais ce débat est trop souvent escamoté. Ne rêvons pas ! Je ne crois pas au consensus mou. Il y aura des conflits mais des réformateurs se lèveront et des débats constructifs auront lieu, si les fonctionnaires ne se sentent pas seuls.

M. PEYRELEVADE -

Je suis complètement d'accord. Il y a là un problème de méthode. Il ne suffit pas de définir des objectifs à dix ou quinze ans mais il faut indiquer par quel chemin on y arrivera. Je ne vois pas comment on peut réformer l'État sans consulter les usagers et les agents qui sont directement concernés et je le dis au représentant de F.O : on ne peut réformer l'État de façon homogène, car il assume des fonctions différentes qui s'adressent à des populations différentes. Mais il y a un obstacle juridique.

Le dialogue social n'est pas constitutionnellement possible au sein de l'État, en raison du droit lui-même. La puissance publique enjoint aux entreprises de passer des accords mais ne peut elle-même engager une vraie politique contractuelle, faute de pouvoir compromettre. Il est impensable de mener une seule et unique négociation annuelle pour plus de cinq millions de fonctionnaires.

Il n'y a qu'en France qu'on puisse imaginer une chose pareille ! Il faudra bien que les syndicats de fonctionnaires acceptent une négociation décentralisée qui produira des résultats nécessairement variables d'une partie de l'État à l'autre.

M. HOTTE -

Nous touchons là le coeur du problème. Votre conception de l'État est à géométrie variable. Vous voulez faire éclater le statut de la fonction publique. Eh bien, dites-le !

Mme ALLIOT-MARIE -

Il est vrai que nous abordons là un problème essentiel.

Aujourd'hui, l'État manque totalement de souplesse dans ses missions, dans ses moyens et dans ses possibilités d'adaptation. Disons d'emblée qu'il est faux de prétendre que la fonction publique est monolithique mais l'État, figé, manque de souplesse, n'est pas assez réactif, il est complètement étouffé par un droit omniprésent. Au fondement de notre République, il y a cette règle que nul n'est censé ignorer la loi. Or, aujourd'hui, nul ne la connaît ! Pas même les avocats spécialisés, ni les magistrats qui doivent parfois eux-mêmes recourir à des experts juridiques... C'est une aberration !

Il faut donc redonner au dialogue social une place bien plus grande qu'aujourd'hui. Ce n'est pas à la loi de tout diriger. L'État doit certes jouer un rôle régulateur, mais il doit aussi s'adapter à la réalité du terrain. Nous en venons là au problème de la décentralisation. On ne peut plus tout traiter de la même façon depuis Paris ; il faut une nouvelle répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales.

Gérard Braun

« Il faut initier une gestion moderne des ressources humaines, qui passe sans doute par la rémunération au mérite, introduite en Allemagne, en Italie, en Nouvelle Zélande, aux États-Unis et dans les pays nordiques, quels que soient les régimes au pouvoir, de droite et de gauche »

M. CHANTARAUD-

Si l'on veut changer quoi que ce soit, il faut donner une raison de changer. Ne faut-il pas reconstruire une fierté du service public pour redonner aux fonctionnaires le sens de leurs missions et le goût d'y adhérer ?

M. BRAUN -

Chez beaucoup de nos voisins, les fonctionnaires démotivés ont été remobilisés autour de vrais projets, ce qui suppose une évolution du sacro-saint statut de la fonction publique. Il faut initier une gestion moderne des ressources humaines, qui passe sans doute par la rémunération au mérite, introduite en Allemagne, en Italie, en Nouvelle Zélande, aux États-Unis et dans les pays nordiques, quels que soient les régimes au pouvoir, de droite et de gauche.

Dans tous ces pays, on a créé des agences responsables, pour mener des politiques publiques, avec, à leur tête, des fonctionnaires, parfois mis en concurrence avec des responsables du secteur privé.

Michèle Alliot-Marie

« Au fondement de notre République, il y a cette règle que nul n'est censé ignorer la loi. Or, aujourd'hui, nul ne la connaît ! Pas même les avocats spécialisés, ni les magistrats qui doivent parfois eux-mêmes recourir à des experts juridiques... C'est une aberration ! »

Mme NOTAT -

Je hais ce concept de rémunération au mérite. Pourtant, je suis complètement favorable à la diversification de la rémunération des fonctionnaires. Si vous voulez faire évoluer le service public, surtout n'utilisez pas ce mot subjectif de rémunération au mérite...

M. LECLERC -

On peut parler de résultat ou d'efficacité ?

Mme NOTAT -

Oui, on peut distinguer en fonction du diplôme, de la qualification, etc.. À qui fera-t-on croire, d'ailleurs, que la grille de la fonction publique n'est pas contournée par les bonifications indiciaires liées à certaines fonctions et par les primes ? S'il faut réexaminer les rémunérations des fonctionnaires, il faut garder conscience de la nécessité de l'objectivité.

M. KESSLER -

Je m'inscris totalement en faux contre ce refus de la gestion des ressources humaines. Il y a belle lurette que, dans l'entreprise, on ne raisonne plus par rapport aux diplômes et à l'ancienneté. On prend en compte les compétences, les motivations, etc.. On ne peut pas ne pas réfléchir au recrutement du personnel de la fonction publique, à la mobilité entre les différents corps, à la rémunération et aux retraites, qu'il faudrait aligner sur le secteur privé.

Je suis d'ailleurs partisan d'une plus grande ouverture du secteur public au secteur privé. Il faut réformer le statut de la fonction publique. Comme toute grande réforme, ce sera difficile, complexe, sans doute conflictuel, mais il faut le faire. On ne peut plus continuer à gérer plus de cinq millions de personnes comme on le fait actuellement. C'est un chantier prioritaire.

M. PEYRELEVADE -

Je ne parlerai pas de salaire au mérite mais de reconnaissance de la performance, évaluée avec objectivité.

Je tiens à souligner que nous sommes en retard en France sur la réforme de l'État, qui intéresse tous les pays développés et, en particulier, tous nos partenaires européens.

L'introduction de la notion d'objectif dépendra de la définition précise des fonctions de l'État. À cet égard, il faut certainement se rapprocher de la conception des agences, partagée par la plupart de nos partenaires européens. Je rappelle qu'une agence n'est pas une entreprise nationale ni un établissement public mais un bras de l'administration centrale disposant de la liberté de gestion, en particulier de son propre budget. Cette liberté concerne aussi le mode collectif et individuel de rémunération.

Nicole Notat

« Je hais ce concept de rémunération au mérite »

M. LAMBERT -

Ne faisons pas de la France le musée mondial des tabous ! Nous ne devons pas nous interdire de parler de tous les sujets. Il importe de redonner de l'enthousiasme aux Français ! Ce pays est réformable, les citoyens ont administré une magnifique leçon, en adoptant l'euro comme ils l'ont fait, à tous ceux qui ont prétendu que la réforme n'était pas possible ! N'ayons pas peur de fixer des objectifs ambitieux ! De même que sous l'Ancien Régime, la réunion des États généraux donnait lieu à la rédaction de cahiers de doléances, ouvrons des cahiers de la réforme aux plaintes, aux suggestions, aux propositions de nos concitoyens.

Alain Lambert

« Ce pays est réformable, les citoyens ont administré une magnifique leçon, en adoptant l'euro comme ils l'ont fait, à tous ceux qui ont prétendu que la réforme n'était pas possible! N'ayons pas peur de fixer des objectifs ambitieux ! »

Je suis un enthousiaste, je crois en l'État. C'est parce qu'il est irremplaçable qu'il ne faut pas le laisser périr. Et ne nous laissons pas détourner de nos objectifs par le droit existant qui ne doit pas constituer un obstacle !

M. LECLERC -

La campagne électorale qui s'annonce, et qui tarde un peu, permettra-t-elle de traiter de tous les sujets, même tabous ?

Mme ALLIOT-MARIE -

Pour ma part, je me rends chaque semaine dans deux ou trois départements différents, à la rencontre des citoyens, et je ressens une profonde envie de changement. Il y a une formidable opportunité dont nous n'avons pas encore parlé : dans les dix ans qui viennent, 800.000 fonctionnaires vont quitter leurs postes et il y a là un profond levier de changement.

M. LECLERC -

Pour faire ces réformes, il faut de la confiance. Les citoyens ne sont-il pas devenus méfiants ?

Mme ALLIOT-MARIE -

Sans doute faut-il se garder d'annoncer les réformes de l'État que l'on ne peut mener à bien. Il nous revient aussi de savoir convaincre avec des projets concrets et précis. Ce qui me frappe, c'est que les fonctionnaires ont souvent envie de changer. Il m'est arrivé, face à un fonctionnaire inventif, lorsque j'étais secrétaire d'État à l'enseignement, de devoir lui conseiller la discrétion pour éviter une certaine obstruction...

Beaucoup de gens, dans la fonction publique, ont envie de faire plus, de s'affranchir de la pesanteur de certaines règles pour mieux remplir leurs objectifs. Car c'est finalement de la gestion par objectifs qu'il s'agit. Elle suppose de remotiver les fonctionnaires en mettant aussi à leur disposition tous les moyens matériels nécessaires et en les rémunérant convenablement.

M. LECLERC -

La remotivation : n'est-ce pas un bel objectif pour une campagne électorale ?

M. MIGAUD -

Pour moi, l'exemple que vient de citer Mme Alliot-Marie illustre la démission du politique face à la réalité. C'est cela qu'il nous faut combattre, pour réformer, avec l'adhésion des fonctionnaires. Trop souvent, les politiques ne jouent pas leur rôle. C'est aussi l'une des causes de l'inflation législative et réglementaire. La réforme de la loi organique relative aux lois de finances constitue, je l'ai dit, un outil pour plus d'efficacité et de responsabilité. Il nous faut maintenant, avec le président Lambert, veiller à son service après-vente...

M. LECLERC -

Tenez-vous le même discours sur le terrain ?

MM. MIGAUD -

Oui, les gens exigent plus d'efficacité, plus de transparence, pour un État présent, qui assume ses missions. Je ne pense pas pour autant qu'il faille aborder la réforme de l'État par la modification du statut de la fonction publique. La réforme à laquelle j'ai fait allusion, et qui me tient à coeur, donne plus de souplesse aux gestionnaires publics. Il est vrai que nous avons fixé une limite en matière de dépenses de personnel, qui sont plafonnées. La contrepartie de la souplesse de gestion, c'est la responsabilité.

M. LECLERC -

Mais votre parti est aux affaires depuis cinq ans et la réforme de Bercy n'a pas très bien marché...

M. MIGAUD -

Je regrette que les organisations syndicales et les élus locaux et nationaux n'y aient pas été suffisamment associés. Dans leur circonscription, les élus apprenaient des projets dont ils ne savaient rien...

M. LECLERC -

C'est un peu un mea culpa ?

M. MIGAUD-

Oui, en quelque sorte. Cela tient aussi au fait que, pendant longtemps, la culture du contrôle, plus présente au Sénat, a fait défaut à l'Assemblée nationale. Mais nous y venons. Nous prenons ce problème à bras le corps. Je le dis notamment aux représentants des syndicats : aidez-nous !

M. HOTTE -

Oui, mais à quoi ? (Rires)

La réforme doit s'appuyer sur un programme, y compris financier. Or, le programme pluriannuel des finances publiques engage la France à limiter la croissance de son budget à 1 % par an dans les trois ans qui viennent, alors même que la croissance économique sera vraisemblablement supérieure. Comment, dans ces conditions, réaliser la réforme, en prévoyant par exemple un intéressement ? À moins que vous ne vouliez faire des économies sur les 800.000 fonctionnaires qui partiront à la retraite ? Mais il faudra en discuter et examiner en particulier les missions qu'ils remplissent. Il faut savoir ce que vous voulez !

Thierry Bert

« Il faut éviter cette expression de rémunération au mérite sinon, je vous le dis en tant que fonctionnaire, on va vers des promotions politiciennes et cela ne marchera pas... »

M. BERT -

Puisque le président Lambert a évoqué la nécessité de lever les tabous, je vais en évoquer quelques-uns. Tout d'abord, l'amélioration du rapport qualité/prix. Il faut pouvoir étudier ce problème. Il n'est pas vrai qu'il n'y a pas, en la matière, d'économies à faire. Ensuite, se pose la question des redéploiements. Une des raisons pour lesquelles la réforme de Bercy a achoppé est qu'elle impliquait la disparition de 450 emplois dans une direction. Autre sujet quasi-tabou : la motivation. Il faut éviter cette expression de rémunération au mérite sinon, je vous le dis en tant que fonctionnaire, on va vers des promotions politiciennes et cela ne marchera pas...

M. KESSLER -

Mais ça marche très bien dans l'entreprise !

M. BERT -

Chez nous, on appelle ça la « promotion canapé » (Exclamations et rires)

M. KESSLER -

Je n'ai pas cette expérience... (Sourires)

M. BERT -

Il faut que l'évaluation soit objective.

M. KESSLER -

Évitons de caricaturer la façon dont sont gérées les entreprises privées. Il faut faire preuve d'imagination pour inventer une nouvelle fonction publique. Je ne dis pas qu'il faut appliquer nécessairement tout ce qui se fait dans les entreprises mais puis-je conter une anecdote ?

M. LECLERC -

Si elle est brève !

M. KESSLER -

Oui. Je faisais remarquer à M. Strauss-Kahn, alors Ministre de l'économie et des finances, que la liste des nominations et des promotions dans l'ordre de la Légion d'honneur comportait beaucoup plus de fonctionnaires que d'entrepreneurs et je lui suggérais d'accroître la proportion de ces derniers. « Pas du tout », me répliqua-t-il, « la Légion d'honneur, ce sont les stocks-options des fonctionnaires ! » (Rires) Soit, mais c'est un peu absurde ! On doit pouvoir moderniser la gestion du personnel, à son bénéfice et à celui de l'État.

Denis Kessler

Je faisais remarquer à M. Strauss-Kahn, alors Ministre de l'économie et des finances, que la liste des nominations et des promotions dans l'ordre de la Légion d'honneur comportait beaucoup plus de fonctionnaires que d'entrepreneurs et je lui suggérais d'accroître la proportion de ces derniers. « Pas du tout », me répliqua-t-il, « la Légion d'honneur, ce sont les stocks-options des fonctionnaires ! »

J'observe en premier lieu que si tous les participants à cette table ronde se mettaient au travail ensemble, la définition d'une procédure objective d'évaluation ne devrait pas prendre trop de temps. Je note ensuite l'importance de l'écoute et du dialogue qui supposent que l'on ne se trompe pas d'interlocuteur, ni de thème, ni de lieu, ni de calendrier, ni de méthode. Je retiens enfin la suggestion du président Lambert, qui me paraît féconde, d'ouvrir des cahiers de la réforme ou des cahiers de propositions.

M. LECLERC -

Merci pour cette première synthèse. La parole est à la salle.

Intervention d'un chef d'entreprise de Bordeaux, négociant en vins -

On n'a guère parlé de l'Europe qui, pourtant, ne peut être absente du débat sur la réforme de l'État. Des fonds européens non utilisés au profit des entreprises sont retournés à Bruxelles. L'État ne joue pas son rôle de facilitateur. Sans doute faut-il revoir les fonctions régaliennes de l'État au sein de l'Europe.

M. BRAUN -

Certes, il y aurait beaucoup à dire sur les réglementations européennes, mais l'objet de cette discussion est la réforme de l'État en France. Quand nous aurons réformé nos propres administrations, nous serons plus à l'aise pour discuter avec l'Europe.

Christian Poncelet

« J'observe tout d'abord qu'il est difficile de réformer l'État en France, car nous manquons, nous les élus et les autres, de l'essentiel, c'est-à-dire de courage »

Intervention du représentant d'Aventis-Pharma -

Nous avons accueilli M. le sénateur Gournac.

Nous sommes confrontés au problème de la continuité de la haute fonction publique : nos interlocuteurs au sein des cabinets ministériels, quels que soient leurs compétences et les Gouvernements, changent en moyenne tous les deux ou trois ans. Il serait utile d'avoir des interlocuteurs qui connaissent à fond les dossiers et qui soient plus permanents. Par ailleurs, l'évolution des sciences, dans les matières que nous traitons, comme la génomique, est tellement complexe qu'il est rare de trouver, dans l'administration, des experts qui connaissent tous les aspects de nos dossiers.

M. PEYRELEVADE-

La continuité de l'action administrative repose sur les directeurs d'administration et non sur les cabinets ministériels qui sont, par nature, instables et constituent d'ailleurs une invention française. Je propose une réforme radicale, pour responsabiliser les directeurs d'administration centrale : la suppression des cabinets ministériels sauf pour le Premier ministre, en raison de ses fonctions d'arbitrage...

Jean Peyrelevade

« Je propose une réforme radicale, pour responsabiliser les directeurs d'administration centrale : la suppression des cabinets ministériels sauf pour le Premier ministre, en raison de ses fonctions d'arbitrage... »

M. LECLERC -

Vous avez été membre du cabinet du Premier ministre !

M. BRAUN -

Cela a été fait en Belgique.

M. KESSLER -

Pour les matières scientifiques et complexes que traitent quotidiennement les entreprises, il n'est pas nécessaire que les interlocuteurs soient des fonctionnaires qui ne peuvent être si spécialisés. C'est ici aux agences de jouer leur rôle. Elles doivent d'ailleurs pouvoir faire appel non pas seulement à des fonctionnaires mais à des spécialistes issus du privé.

Intervention du représentant de la Société Nationale des Poudres et Explosifs -

Nous avons accompagné M. le sénateur Amoudry au cours du stage qu'il a effectué au sein de notre société.

M. Migaud a justement souligné qu'il y a des choses qui se font. Je pense en particulier à la réforme de la D.G.A., que j'ai suivie lors de mes précédentes fonctions. On a demandé à cette grande direction de se comporter comme une agence. Et cela a marché. L'entreprise à laquelle j'appartiens est aussi un exemple de réforme de l'État puisque de 1936 à 1970, elle était un service du ministère de la défense. Aujourd'hui, cette entreprise vous accompagne tous les jours sans que vous le sachiez puisque les trois-quarts des airbags des voitures européennes fonctionnent avec nos produits.

Par ailleurs, beaucoup de bonnes volontés sont disponibles au sein des administrations pour réfléchir sur leurs missions et faire progresser les réformes. Il ne faut pas les démobiliser en exagérant les obstacles. J'ajoute enfin que tous les citoyens n'attendent pas les mêmes choses de l'État, en tant que contribuables ou interlocuteurs de telle ou telle administration.

M. BERT -

Oui, la motivation est essentielle. La vraie motivation des fonctionnaires, c'est le service. Il faut aussi, bien sûr, prendre en compte les motivations financières à condition qu'elles reposent sur des évaluations objectives. Les fonctionnaires du fisc, notamment, exercent parfois des missions très difficiles. Il ne faudrait pas qu'ils soient sanctionnés par des responsables qui se comporteraient contre la loi.

M. LECLERC -

Je me tourne enfin vers les représentants des partis politiques : quelle serait la première réforme de l'État, très concrète, que vous souhaiteriez voir votre candidat appliquer dès son élection ?

Mme ALLIOT-MARIE -

Tout d'abord, ne pas annoncer une grande réforme que l'on ne mettrait pas en oeuvre, comme on l'a vu avec le ministère de l'économie et des finances ou le ministère de l'éducation nationale, précisément pour ne pas décourager la réforme. La première chose à faire serait, à mon sens, de réduire la place de la loi et la place du droit pour rendre de la souplesse à l'administration.

M. MIGAUD -

Je lui conseillerais de mettre en application le plus rapidement possible la loi que nous avons votée, outil indispensable mais non suffisant pour rendre possible la réforme de l'État.

M. LECLERC -

Monsieur le président du Sénat, vous avez choisi le thème de ce débat. Quelle est votre réaction ?

M. PONCELET, président du Sénat -

J'observe tout d'abord qu'il est difficile de réformer l'État en France, car nous manquons, nous les élus et les autres, de l'essentiel, c'est-à-dire du courage.

M. LECLERC -

Est-ce aussi le sens de l'initiative que vous avez prise d'envoyer des sénateurs en entreprise ?

M. PONCELET -

Oui, cette immersion des sénateurs en entreprise me paraît essentielle. Elle est née de la volonté de combler le fossé entre le monde économique et les politiques. De nombreux élus ne connaissaient peut-être pas suffisamment le monde de l'entreprise. J'ai tenu à ce que ces échanges soient réciproques. C'est pourquoi j'ai aussi invité des chefs d'entreprise à venir au Sénat, pour qu'ils se rendent compte des difficultés que rencontre le législateur dans l'exercice de ses missions. Nous sommes, en effet, confrontés à des contradictions, les nôtres, peut-être, mais aussi celles de nos compatriotes qui veulent souvent une chose le matin et son contraire le soir...

Il nous faut modifier l'esprit du législateur. Les sénateurs qui sont allés dans les entreprises se rendent mieux compte des contraintes et des exigences qui pèsent sur la vie économique. Celles-ci sont d'autant plus fortes aujourd'hui qu'elles s'exercent dans le contexte de la mondialisation. Les difficultés d'application de la loi sur les 35 heures sont à cet égard éloquentes. On avait raillé Michel Debré lorsqu'il inventa cette formule de la « guerre économique ». Nous y sommes aujourd'hui. Je souhaite que les sénateurs soient parfaitement informés des réalités du monde l'entreprise. Je suis en cela les leçons d'un lointain prédécesseur, Jules Ferry, qui voulait que le Sénat veille à ce que la loi soit bien faite. Elle le sera d'autant mieux que nous maîtriserons les matières sur lesquelles nous sommes amenés à légiférer. (Applaudissements)

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