Les Parlements dans la société de l'information



Palais du Luxembourg, 18 et 19 novembre 1999

XI. DÉBAT AVEC LA SALLE

Michel MENOU, City university of London

« Je suis frappé par l'absence du niveau Gouvernemental dans notre débat : nous avons évoqué à de multiples reprises les initiatives des ONG ou des parlements, mais jamais les initiatives Gouvernementales. »

Yves COCHET

« Le Gouvernement français a lancé un vaste programme dans trois directions : la démocratisation de l'accès à Internet ; la modernisation du fonctionnement de l'administration et de ses cinq millions de fonctionnaires ; la sécurisation des transactions, qu'il s'agisse de transactions commerciales ou de transactions entre particuliers (libéralisation du cryptage). De plus, le Gouvernement s'apprête à proposer dans quelques mois une loi sur la « société de l'information », visant à réguler l'Internet. Il serait d'ailleurs intéressant de connaître le point de vue des parlementaires étrangers sur la possibilité qu'il y a à réguler Internet. »

De la salle

« L'essentiel des lois nouvelles est aujourd'hui d'origine Gouvernementale. L'informatisation, la gestion électronique de documents, devraient permettre de faire évoluer cet état défait. Le chantier qui est lancé dans l'administration autour du document électronique me semble à cet égard particulièrement essentiel.

Par ailleurs, je ne partage pas l'opinion d'Yves Cochet selon laquelle les nouvelles technologies ne modifient pas les rapports de pouvoir, comme si l'information n'avait aucune importance. S'il en était ainsi, pourquoi avoir mis fin à la culture du secret et à l'information élitiste ? »

Thomas ZITTEL

« L 'Internet est évidement un outil qui permet à ceux qui sont dépourvus de tout pouvoir de lutter pour en obtenir davantage. »

Andrew MILLER

« L'un des problèmes que rencontrent les parlementaires lorsqu'ils essaient de répondre aux questions soulevées lors de ce débat est le caractère dynamique de la question. Nous savons très bien légiférer dans un contexte statique, mais nous sommes en revanche beaucoup moins aptes à apporter des réponses dans un environnement changeant. Il est difficile de créer un modèle législatif qui fonctionne correctement dans ce cadre. En matière de télévision numérique, par exemple, aucune législation nationale ne pourra perdurer au-delà d'un délai de deux ou trois ans.

Les Représentants américains investissent chaque année 1 million de dollars pour adapter leur matériel bureautique, contre 60 000 dollars en Grande-Bretagne. Nous avons les nouvelles technologies que nous pouvons nous offrir... »

Jean-Marie LEBARON, Directeur du service de l'Informatique et des Technologies Nouvelles au Sénat

« Les deux problèmes essentiels que nous rencontrons dans le travail parlementaire sont le harcèlement dont les parlementaires font l'objet et l'éparpillement. Les nouvelles technologies vont-elles permettre aux parlementaires de retrouver du temps, de faire diminuer la pression due au harcèlement permanent ?

Par ailleurs, je souhaiterais savoir quels conseils les parlementaires étrangers pourraient nous donner, à nous Sénat français, pour favoriser la diffusion des nouvelles technologies dans notre institution. Par exemple, est-il opportun de créer une commission spécialisée ? »

Johnny GYLLING

« Je fais moi-même partie d'un comité parlementaire où nous essayons d'aider nos collègues à tirer le meilleur parti des nouvelles technologies, en fonction de leurs besoins. Quoi qu'il en soit, il ne faut désespérer de rien. Il y a vingt ans, les parlementaires suédois n'avaient ni bureau, ni téléphone. Il n'y avait dans l'enceinte du Parlement que deux cabines téléphoniques ! Aujourd'hui, tous les parlementaires disposent de multiples points d'entrée (téléphone, fax, e-mail...) et semblent redouter plus que tout de ne pas pouvoir être joints en permanence ! Je crois qu'il faut savoir résister à cette tendance : il n'est pas obligatoire d'être connecté en permanence pour effectuer du bon travail parlementaire. »

Didier MAUS

« Il est de la responsabilité des assemblées d'offrir à leurs parlementaires la panoplie des moyens de communication dont ils peuvent avoir besoin. Mais il revient à chacun d'eux de déterminer quel usage ils souhaitent faire de ces technologies. Et de ce point de vue, les parlementaires ne sont pas du tout différents d'autres milieux, comme l'administration ou les universitaires. Partout, on trouve trois populations distinctes : les enthousiastes, qui sont souvent les précurseurs ; les réticents ; les opposants déterminés à toute utilisation de l'informatique. Mais les premiers sont de plus en plus nombreux, et les derniers sont en voie de disparition. Je ne crois donc pas qu'il faille se formaliser d'un quelconque retard parlementaire en matière d'utilisation des nouvelles technologies. »

Patrice MARTIN-LALANDE, député du Loir et Cher

« Nous vivons dans une société où nous ne savons plus prendre du temps pour vérifier et recouper les informations, pour avoir une réflexion politique de long terme. Lorsqu'une annonce est faite en Conseil des ministres, des gens viennent nous voir dans nos permanences dès le lendemain pour nous demander pourquoi la mesure n'est pas encore mise en oeuvre ! Nous devons retrouver cette « hygiène de l'information » qui nous fait aujourd'hui défaut. »

Un député du Dorset (Grande-Bretagne)

« Mon parti et nombre de mes collègues ne cessent de me demander comment encourager l'utilisation de l'informatique et des nouvelles technologies, sans jamais se demander à quoi cela va leur servir ! Le fait d'être disponible à toute heure, grâce aux nouvelles technologies, ne me fait pas gagner du temps. Bien au contraire : nous sommes si disponibles et si accessibles que la pression devient presque insupportable. Nous ne sommes pas pour autant de bons parlementaires. Il faudrait sans doute s'interroger sur un moyen de donner aux parlementaires davantage de temps pour réfléchir. »

Guy CLERET, Secrétariat général du Gouvernement

« Madame Fladmark, vous avez évoqué une manifestation d'étudiants par voie électronique. Finalement, les parlementaires ne risquent-ils pas d'être soumis à la pression des groupes non pas les plus influents mais les mieux organisés ? »

Hélène FLADMARK

« J'ai cité un exemple où les étudiants ont été nombreux à participer à une action de protestation. Je crois au contraire que ce nouvel outil donne à un plus grand nombre la possibilité de s'exprimer. C'est donc à la fois un bien et un danger supplémentaire. Il est beaucoup plus facile d'envoyer un courrier électronique que d'écrire une lettre à son député. Les voix qui se font entendre par ce canal doivent être écoutées. »

Patrice MARTIN-LALANDE

« J'ajoute que nous avons tous déjà eu affaire à des associations de consommateurs, par exemple, qui nous inondaient de courrier et de fax tous identiques. Ce comportement n'est donc pas une nouveauté. »

Jean-Guy JALIS, Journaliste

« Alors que les budgets ne sont pas indéfiniment extensibles, la course aux technologies nouvelles pourra-t-elle se prolonger longtemps ? Par ailleurs, alors que les parlements s'essaient à la publication directe sur le web de leurs travaux et tentent de s'affranchir des médias traditionnels, n'est-on pas tenté de se passer purement et simplement des organes de presse ? »

Jos VAN GENNIP

« Je ne crois pas que la stigmatisation des médias soit un grand risque. La presse doit s'adapter à un monde où l'écrit perd de son importance. Il ne s'agit pas, dans notre esprit, de nous substituer à la presse ou de lui refuser de jouer tout rôle, mais d'apporter des compléments que la presse ne fournit pas. Le danger me paraît résider au contraire dans une surabondance d'informations chaotiques, qui ferait que les citoyens se détourneraient complètement de la vie politique. C'est un peu la même chose dans le monde diplomatique : nous quittons l'ère des dépêches et des secrets d'antichambre pour entrer dans une ère de transparence. Pour autant, la fonction de diplomate ne va pas disparaître.

Par ailleurs, je ne crois pas non plus, contrairement à M. Cochet, que l'on puisse dire qu'Internet ne change rien. Bien entendu, je ne suis pas en mesure de prévoir quelle direction prendra le changement, ni quelles seront les conséquences concrètes de cette évolution. Mais le changement va s'effectuer, cela j'en suis absolument persuadé. »

Thomas ZITTEL

« Il est évident que l'espace public s'est pluralisé du fait de l'irruption d'Internet. Mais avec cette pluralité, l'information ne devient pas plus exacte. Internet reste une technologie pleine d'ambiguïtés : jamais autant de rumeurs fantaisistes n'ont circulé que depuis l'avènement de ce nouvel outil. Ainsi, des centaines de milliers d'internautes américains ont cru la rumeur qui voulait que le droit de vote des Noirs soit aboli, et qui n'avait évidemment aucun fondement ! »

Jos VAN GENNIP

« Je ne dis pas qu'Internet nous donne un tableau plus objectif ou plus complet de la situation du monde qui nous entoure. Mais il nous permet de recouper nos informations et défaire des recherches en temps réel. »

Patrice MARTIN-LALANDE

« Il est clair que les technologies nouvelles nous permettent de mobiliser à distance des expertises dont nous ne connaissions même pas l'existence auparavant, de recouper l'information fournie par le Gouvernement avec d'autres sources, de faire des comparaisons internationales afin d'analyser de manière plus pertinente l'action Gouvernementale, etc. J'ai moi-même ouvert un forum électronique consacré au budget de la Culture : malgré le faible nombre de participants, je suis satisfait de l'avoir fait car cela m'a permis de faire remonter des informations, ainsi que des points de vue autres que ceux des acteurs habituels de ce genre d'exercice. »

Pierre CHAMBAT, IRIS, Paris IX Dauphine

« Des questions très intéressantes ont été soulevées au cours de cette journée. Mais force est de constater que les réponses ne sont pas à la hauteur des questions soulevées. Nous avons pu prendre connaissance d'expériences très disparates, dont il est difficile de tirer des conclusions générales. Ainsi, Madame Fladmark nous a dit qu'elle n'était pas représentative des parlementaires de son pays et qu'elle constituait un cas à part. Thomas Zittel a apporté de son côté une approche sociologique de l'usage du web au Congrès américain. Des choses très intéressantes, donc, mais disparates. Pourtant, la France n'est-elle pas en train de prendre un retard important dans la recherche universitaire et scientifique sur les nouvelles technologies ? N'est-il pas temps de mettre en place en France un observatoire des usages, à l'instar du rôle que tenait le CNET de France Télécom il y a quelques années ? »

Hélène FLADMARK

« Il faut se rendre compte que nous sommes aujourd'hui réunis pour discuter d'une question qui n'aurait même pas été posée il y a quatre ans ! Tout a été si vite ! Et peut-être dans trois ou quatre ans disposerons-nous des chercheurs et des compétences que vous appelez aujourd'hui de vos voeux. En Europe, de plus en plus d'élus utilisent les technologies de manière naturelle. Laissez du temps à la science. »

Patrice MARTIN-LALANDE

« Outre les contraintes budgétaires que vous connaissez comme moi, il est difficile de demander à la recherche scientifique d'être très formalisée sur une matière qui est encore très récente. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas certain qu'il soit judicieux de concentrer la recherche dans un organisme unique, comme vous le suggérez. L'Internet est particulièrement adapté, me semble-t-il, à un travail scientifique en réseau. »

Thomas ZITTEL

« Je vais essayer moi aussi de défendre les chercheurs. Il ne faut pas être trop négatif. Avant de répondre à toutes les questions que nous avons soulevées, il nous faut tout d'abord définir des modèles qui permettent de réaliser des comparaisons efficaces. Pour ma part, je suis persuadé que ces démarches, qui peuvent sembler un peu empiriques, permettront d'avancer dans l'avenir. »

Jean-Louis HERIN, Directeur du service de la séance du Sénat

« Je souhaitais évoquer un exemple d'intégration des Nouvelles Technologies de l'information et de la Communication dans le processus parlementaire : l'informatisation du dépôt des amendements. L'amendement est un élément essentiel du travail législatif. Or la liasse d'amendements était le seul élément qui manquait parmi ceux qui sont publiés sur Internet. Pour y remédier, nous avons d'abord mis à la disposition des parlementaires une boîte électronique, dans laquelle un Sénateur peut déposer un amendement, où qu'il se trouve en France ou à l'étranger. Bien entendu, nous avons mis en place un système d'identification qui permet d'écarter tout risque de piratage. Pour l'an 2000, nous allons mettre en ligne la liasse d'amendements, sous forme numérique. Tout cela peut sembler modeste, mais c'est pourtant essentiel : si nous arrivons à mettre en place la base de données relationnelle que nous projetons, n'importe quel citoyen pourra consulter notre site et voir où en est le processus d'élaboration de la loi, et cela contribuera grandement à la transparence du travail parlementaire. »

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