Les Parlements dans la société de l'information



Palais du Luxembourg, 18 et 19 novembre 1999

PREMIÈRE SOUS-PARTIE - CAMPAGNE ÉLECTORALE ET ÉLECTIONS ÉLECTRONIQUES

I. ARTICLE DE MME MARINA VILLA, UNIVERSITÉ DE MILAN

En Italie, les partis politiques considèrent Internet comme un signe de modernité, un symbole de leur statut et de leur dynamisme, davantage que comme un moyen d'interaction avec leurs électeurs. C'est seulement lors des élections européennes, en 1999, qu'Internet a fait l'objet d'une utilisation plus constante. Les partis ont consacré davantage de moyens financiers et techniques pour développer la communication en ligne. Pour la campagne des élections européennes, tous les partis disposaient d'un site et ont mis des pages à la disposition des différents candidats pour leur propagande personnelle.

A. QUELLES SONT LES FONCTIONS DE LA COMMUNICATION ÉLECTORALE PAR INTERNET ?

La première fonction est le networking, c'est-à-dire le fait d'utiliser Internet pour créer des liens entre les militants, les différents organes du parti, et présenter aux citoyens la structure et l'activité de l'organisation. Tous les sites comportent ainsi des pages dédiées aux militants et aux responsables, susceptibles de délivrer une information sur les activités du parti. Tous les partis italiens reproduisent une structure ramifiée, avec des cellules locales et des responsables régionaux. Cela pose des problèmes spécifiques, que l'Internet permet de résoudre plus facilement.

Le site de Forza Italia, www.forza-italia.it , propose par exemple un test qui permet aux militants de tester leurs connaissances sur l'activité ou le programme du parti. On trouve aussi des comptes rendus d'ouvrages qui font l'apologie du libéralisme, de nombreuses informations sur Silvio Berlusconi, etc. Lors des élections européennes, c'est le seul site à avoir intégralement repris les contenus publicitaires élaborés pour les médias traditionnels.

Le site des démocrates de gauche, www.democraticiperlulivo.it , reprenait quant à lui les étapes du tour d'Italie réalisé par les leaders du mouvement avant les élections. C'est un bon exemple d'Internet comme amplificateur de ce qui se passait pendant la campagne sur le terrain.

Le deuxième rôle d'Internet consiste à informer et à délivrer une information plus pédagogique. Beaucoup de sites offrent leur propre dossier de presse et des liens vers une sélection d'articles de presse, voire des bulletins d'information. Les partis peuvent ainsi délivrer leur propre message, sans avoir besoin des médiateurs que sont les journalistes et la presse. Certains partis, comme la Ligue lombarde ou Forza Italia, donnent même sur leur site des références d'ouvrages susceptibles de contribuer à une meilleure compréhension ou à une plus grande diffusion de leurs idées.

Par ailleurs, la plupart des sites proposaient en téléchargement les matériaux électoraux qui étaient disponibles. Certains utilisaient également leur site pour expliquer aux militants les règles de financement des campagnes électorales, qui sont assez complexes en Italie. Forza Italia avait même mis en ligne, avant les élections, un guide du candidat, destiné à susciter les vocations.

La troisième fonction d'Internet dans le domaine électoral est l'interaction avec les citoyens. Tous les partis ont mis en place des forums, invitent les internautes à leur écrire ou à participer à leurs activités. Certains proposent même des formulaires d'inscription en ligne. Les Radicaux sont, parmi les partis italiens, ceux qui ont le plus développé cette fonction.

Typologie des sites de candidats

Le premier type de site est le site "affiche", qui reprend exactement les affiches du parti, avec le visage du candidat, parfois même sans se donner la peine de donner quelques indications sur son programme ou sur sa biographie. Le site amplificateur reprend la campagne du parti ou du candidat. Le site service reprend des informations sur le Parlement européen, le mode de scrutin, etc. Le site interactif, conçu comme un lieu de rencontre et de débat entre citoyens, utilise toutes les possibilités d'Internet.

Le temps me faisant défaut, je vous renvoie à mon article dans lequel vous trouverez mes commentaires sur des interviews de leaders politiques, comme Emma Bonino, qui ont permis pour la première fois aux citoyens de pouvoir poser des questions en temps réel. Là encore, les candidats n'ont pas su utiliser en profondeur l'interactivité de cet outil. Dans le cas d'Emma Bonino, elle a fait une sorte de discours radiophonique, comme elle le fait pour Radio Radicale, alors que Fausto Bertinotti s'est comporté comme à la télévision (en bougeant beaucoup notamment, ce qui est très gênant pour les webcams).

B. LES CONFÉRENCE ON LINE EN PÉRIODE ÉLECTORALE

L'interview on-line faite à Emma Bonino et à Fausto Bertinotti (le chef du parti Rifondazione comunista), par Diotima, "une communauté on-line i ndépendante" Née en 1999 en s'occupant, au début surtout, de sujets politiques; cette communauté "se propose de rapprocher citoyens et politiques grâce à des rencontres, débats et interviews on-line. Le coeur de Diotima est son salon, où les discussions s'enflamment, les opinions se confrontent et la politique s'anime, où tous ont l'occasion de faire entendre leur voix..." ( www.diotima.it ) 1 ( * ) .

Il s'agit, en effet, d'une des premières expérimentations d'interview on-line de ce genre, et en particulier pendant la campagne électorale, qui méritait une analyse spécifique.

L'interview était faite par les internautes, avec des questions envoyées par mail soit avant, soit pendant l'événement et lues par un présentateur. Le candidat et le présentateur étaient repris par une webcam au moment de l'interview et l'image était visible sur l'écran en temps réel.

Les interviews étaient annoncées plusieurs jours à l'avance, avec des bannières publicitaires, et les internautes pouvaient envoyer des questions et s'inscrire pour avoir la priorité au moment de se connecter au site.

Ces web-conférences très particulières devaient présenter trois personnes en trois jours différents, mais le troisième personnage politique invité, le leader du parti d'Alleanza Nazionale Gianfranco Fini, a refusé au dernier moment, juste au moment de l'interview 2 ( * ) .

Ce fait, avec la difficulté que les organisateurs ont eu à continuer cette expérience, démontre la méfiance et le peu de considération que beaucoup d'hommes politiques ont à l'égard de ce moyen de communication quand il est utilisé d'une façon différente de la simple ressource-vitrine et surtout sans avoir un retour immédiat en termes de visibilité.

Les sujets de la recherche sont d'un coté les stratégies et les contenus de communication politique du candidat et de l'autre les formes de l'interaction avec les internautes 3 ( * ) .

Pour le premier point, que je vais traiter d'une façon spécifique, on a donc étudié le discours politique et les stratégies de communication, pour observer la spécificité du discours électoral on-line et les différences avec les médias traditionnels.

En synthèse, à propos de la spécificité de la communication politique on-line, soit dans l'interview d'Emma Bonino, soit dans celle de Bertinotti, on a relevé que le style et les modes du discours n'étaient pas différents par rapport à la propagande électorale faite sur les autres médias. Et les deux candidats, plus ou moins conscients de la spécificité du moyen, n'ont pas su l'utiliser dans toutes ses potentialités : en particulier, ils ont repris en cette occasion aussi les contenus et les styles du débat radiotélévisé et radiophonique. Enfin, leurs réponses n'utilisaient presque pas les modes du dialogue confidentiel ou de l'échange d'opinion qu'Internet et cette forme d'interview auraient permis, mais plutôt celui du discours persuasif de campagne, sous la forme de l'appel au vote, ou bien de l'échange avec un opinioniste.

D'après notre analyse, les particularités et les avantages de l'interview on-line en période électorale semblent être :

- une personnalisation majeure, du point de vue des contenus et du style : le candidat peut parler de soi et aussi utiliser un mode de communication plus personnel.

- Un rapport plus étroit avec l'électeur : le candidat peut s'adresser directement aux internautes, souligner leur compétences et leur responsabilité, utiliser un ton plus confidentiel.

- Une connaissance des exigences des électeurs : même si de portée limitée, il s'agit d'une occasion pour tester les humeurs et les réactions à ses propres propositions et sur les thèmes de campagne les plus importants pour le candidat.

- Une occasion pour améliorer son image, en se montrant à l'écoute et "moderne".

- La médiation du journaliste est moins importante et peut être supprimée, vu que le candidat répond directement aux questions des électeurs.

- Le candidat a plus de place et plus de temps pour s'exprimer, car le présentateur pose les questions et généralement n'interrompt pas la réponse.

Mais quelles sont les limites, ou aussi les risques, de ce genre d'intervention?

- Le risque de ne pas utiliser les potentialités du moyen et de transformer l'interview on-line dans un discours de meeting électoral ou un appel au vote, qui reprend les contenus de la campagne publicitaire et utilise les questions des électeurs pour traiter des contenus très idéologiques.

- Le risque d'établir une relation verticale, linéaire et à une seule direction qui ressemble à celle des médias traditionnels, tandis que le net requiert plutôt une communication horizontale et réticulaire, souvent récursive.

- Le risque d'oublier l'importance de la dimension visuelle (effet radio).

- Le rôle du médiateur et de la rédaction n'est pas bien défini : il devrait être presque transparent, mais il gagne une forte importance pour la capacité de filtrer les questions et de les poser dans un ordre défini, en les résumant et les replaçant dans un contexte particulier.

- La présence du médiateur risque aussi de distraire le candidat qui ne s'adresse pas directement aux navigants, qu'il ne voit pas, mais à la personne qui lui lit les questions.

L'interview d'Emma Bonino peut bien montrer ces avantages et ces risques.

Avant tout, Emma Bonino dans son interview passe du mode expressif du discours dans le meeting/appel au vote à celui de l'interview radiophonique, tandis que Bertinotti a utilisé plutôt les formes d'expression du talk-show télévisé et de l'interview avec un journaliste.

L'intervention de Emma Bonino peut bien montrer les ambiguïtés que l'on vient de souligner : Bonino a bien compris qu'elle doit s'adresser surtout aux internautes et elle parle directement avec eux, en regardant très souvent dans la webcam, mais le langage verbal, c'est à dire le ton, les argumentations, le registre émotif et aussi les contenus de son discours montrent qu'elle utilise le mode et les stratégies de l'appel aux militants, qui veut surtout mobiliser et qui fait référence aux thèmes typiques des batailles radicales et présuppose des horizons politiques et de valeur communs. En effet, Bonino propose des arguments orientés idéologiquement et des contenus déjà utilisés en campagne, parfois avec les mêmes slogans de la communication publicitaire : "Les États-Unis d'Europe", "Une seule politique étrangère au lieu de quinze". Par exemple, dans son intervention elle insiste sur la nécessité d'avoir une présence radicale au parlement, sur son engagement passé dans le parti, et utilise beaucoup de son temps pour justifier la campagne médiatique constante et coûteuse de sa liste (un thème assez chaud pour les militants, vu que le parti risquait de devoir vendre sa radio, très connue et aimée par les radicaux, pour financier la campagne).

Enfin, dans son discours, Bonino fait aussi beaucoup d'appels directs au vote: "Si vous ne votez pas pour moi, je ne serai renommée commissaire... donc cela dépend de vous", "Je suis entre vos mains"; ces appels ne sont pas adressés à un "tu", au navigant qui a posé la question à laquelle elle est en train de répondre, mais à un "vous", c'est-à-dire à un public vaste comme celui des meetings de campagne ou bien des médias.

Ce qui est intéressant, en tout cas, c'est que parfois Emma Bonino sait retrouver le mode du discours direct et individuel avec le navigant qui a envoyé l'e-mail (surtout quand la question est très personnelle) : elle montre qu'elle apprécie la question et traite avant tout le sujet proposé par le public, en valorisant ses interlocuteurs. En effet, elle souligne assez souvent leur pouvoir ("C'est vous qui aurez le bulletin de vote") et aussi leur savoir ("Comme vous le rappelez..."; "tu sais que...").

En ce cas, pourtant, le registre et les tons semblent plus propres au discours radiophonique qu'à la communication par Internet : elle définit, en effet, les internautes comme des gens "à l'écoute" et utilise surtout le langage oral; vu que les thèmes restent toujours identifiables avec le discours des radicaux, on dirait qu'il s'agit de Radio Radicale.

Certaines questions portent sur la personne d'Emma Bonino, et là aussi elle répond en soulignant sa fiabilité, sa compétence, le travail qu'elle a fait en Europe, donc elle se met complètement dans le rôle de candidat que demande un vote.

"Je crois que mon histoire, mon nom et mon travail en Europe renvoient plus directement au genre d'Europe que nous voulons".

En parlant à la deuxième personne du pluriel, Bonino s'identifie parfaitement avec son parti, et également quand elle parle de son activité. Donc la personnalisation de ses réponses, qui la mettent toujours en cause directement, est neutralisée par cette référence continue à son appartenance politique.

* 1 La recherche a été financée par les organisateurs mêmes, qui voulaient mieux étudier les potentialités de cet instrument et aussi ses applications au champ politique.

* 2 L'événement était déjà annoncé, beaucoup de questions étaient arrivées par e-mail, les navigants étaient probablement déjà connectés, mais le candidat ne s'est pas présenté au rendez-vous et, sur le site, cela a été annoncé juste à l'heure du début de la conférence (le site présentait ses excuses et promettait que Fini ou ses collaborateurs auraient répondu aux questions des navigants qui étaient déjà arrivées ; d'après ce que nous avons expérimenté directement, personne n 'a répondu aux questions).

* 3 La recherche a utilisé ces instruments : observation participante de l'événement; analyse du contenu de l'interview ; analyse sémio-pragmatique de la communication (les stratégies énonciatives et les formes du dialogue entre politique et navigants du point de vue du langage verbal et visuel).

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