Les Parlements dans la société de l'information



Palais du Luxembourg, 18 et 19 novembre 1999

DEUXIÈME SOUS-PARTIE - DE NOUVELLES RELATIONS AVEC LE CITOYEN

I. ARTICLE DE MME CHRISTINE BELLAMY, NOTTINGHAM TRENT UNIVERSITY & CHARLES RAAB, UNIVERSITÉ D'EDINBURGH

Démocratie parlementaire et nouvelles technologies :
réforme, consolidation ou substitution

A. INTRODUCTION

C'est un lieu commun de dire que la fin des années 1990 a résolument marqué l'entrée du monde occidental dans la société de l'information. Au cours de ces années, la diffusion des moyens électroniques de communication franchit un seuil critique qui rend concevable, pour les entreprises et les Gouvernements, la perspective d'un futur en réseau. Alors qu'il a fallu au téléphone plusieurs dizaines d'années avant de devenir d'usage courant dans le monde des affaires et dans la vie sociale en général, Internet est déjà en passe de devenir un produit d'usage courant. Il est accessible au travers d'une multitude de moyens de communication, fixes et mobiles, suffisamment bon marché pour être largement disponibles, et suffisamment éphémères pour être portés comme des accessoires de mode. Une proportion croissante de services arrive au public par cette voie, et le commerce électronique augmente rapidement, en valeur et en volume.

Les effets attendus du « nouvel âge de l'information » sur la démocratie ont donné lieu à de multiples spéculations, notamment sur sa capacité à imposer de nouvelles formes, plus authentiquement démocratiques, de la vie politique, lesquelles pourraient à terme se substituer aux régimes parlementaires représentatifs actuels. L'effet principal des technologies, de l'âge de l'information pourrait résider dans la modernisation des institutions et des mécanismes existants : leur « informatisation », c'est-à-dire l'utilisation de nouveaux moyens de traitement de l'information, ainsi que de nouvelles capacités de communication, qui permettront d'en renouveler le fonctionnement, leur donneront un second souffle, et peut être un regain de légitimité et d'efficacité. Nous pensons qu'il existe de multiples raisons d'accueillir et d'encourager de telles innovations. Les Parlements ont le choix entre une grande variété de technologies de l'information et de la communication, pour remplir des objectifs multiples - mieux faire avec l'ancien, et faire du nouveau - autant d'objectifs susceptibles de relever la qualité des pratiques politiques dans les démocraties parlementaires. Les NTIC pourraient même permettre une informatisation des mécanismes de la vie politique, autorisant une participation plus immédiate, plus directe, moins onéreuse et plus effective que celle qui a cours dans nos institutions parlementaires et nos pratiques électorales. Mais de ce fait, ces technologies peuvent aussi constituer une menace pour les formes parlementaires de la démocratie, et les concepts propres sur lesquels elles reposent.

Cette communication, et cette conférence, sont l'occasion d'évaluer les demandes suscitées par les NTIC, ainsi que les perspectives ouvertes à la démocratie parlementaire en cet âge de l'information. Nous examinerons d'abord comment les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication pourraient être utilisées pour favoriser une interaction démocratique entre les citoyens, les hommes politiques et les Parlements. Puis nous évaluerons la contribution des NTIC, à la lumière des problèmes qui sont communément associés à la démocratie parlementaire dans les systèmes politiques occidentaux contemporains, et qui tiennent principalement à ces mécanismes clés que sont la représentation et la responsabilité. Nous explorerons, en particulier, l'idée souvent avancée selon laquelle les NTIC sont des technologies « ambiguës » - parce que leur aptitude même à résoudre certains problèmes peut en créer ou en aggraver d'autres. Nous conclurons en nous demandant si, tout en engendrant de nouvelles formes, post-parlementaires, de la vie politique, l'âge de l'information ne laisse pas en suspens certains problèmes rémanents des systèmes actuels, jetant ainsi un doute sur la nature véritablement démocratique de ces formes nouvelles.

B. CONFRONTATION DES POINTS DE VUE SUR LA DÉMOCRATIE À L'ÂGE DE L'INFORMA TION.

Que signifient, pour les procédures et les valeurs du modèle démocratique occidental, les nouvelles infrastructures de l'information et de la communication? À cette question, des réponses contradictoires sont aujourd'hui données. En résumé, il existe, s'agissant de la relation entre les NTIC et les systèmes politiques démocratiques, trois hypothèses intéressantes : les NTIC peuvent aggraver les problèmes de la démocratie parlementaire, aider à les lever ou à les contourner, ou encore créer de nouveaux problèmes qu'elles sont inaptes à résoudre par elles-mêmes.

Certains commentateurs (ex. Holmes, 1997) pensent que les tendances propres au monde politique « déjà virtuel » du « premier âge des média » -l'âge de la communication de masse, de la radio et de la télévision, s'accentueront avec le « deuxième âge des média » - l'âge des réseaux électroniques interactifs (Poster, 1995), pour finir dans l'apothéose d'une souveraineté populaire étroitement administrée. Certains auteurs soulignent ainsi les inquiétantes possibilités de « data surveillance », et par là même de marketing et de manipulation politiques finement ciblées, qu'offrent les technologies de réseau (Laudon, 1977 ; McLean, 1989). D'autres commentateurs pensent, au contraire, que ces nouvelles possibilités stimuleront la responsabilité des Gouvernements, et rendront plus improbable l'exercice unilatéral du pouvoir. De nouveaux moyens de communication directe entre les citoyens, les Parlements et les Gouvernements affaibliront l'influence des mass média, des partis politiques et des groupes de pression quant au choix et à la définition des politiques publiques. Ces changements, disent-ils, auront des effets favorables pour la démocratie, en ce qu'ils contrebalanceront le pouvoir d'élites en perte de représentativité et d'institutions closes sur elles-mêmes.

D'autres auteurs, cependant, vont encore plus loin. Pour eux, le véritable potentiel démocratique des technologies de réseau réside, plutôt que dans un renforcement des formes existantes de la démocratie parlementaire, dans la promotion de nouvelles formes de pratiques politiques extraparlementaires. Les NTIC peuvent, par exemple, favoriser l'émergence d'une République virtuelle de citoyens actifs, « de type athénien », une reviviscence de ce que Habermas (1989) appelle « l'espace public », une politique du cyberespace émancipatrice ou - idée tout aussi importante bien que moins majestueusement exprimée - une participation plus active, de citoyens mieux informés, aux prises de décision aux échelons local et municipal. De nombreux auteurs, au sein de cette école, sont animés par la croyance que les technologies de réseau de ce « deuxième âge des média » sont, par essence, des « technologies citoyennes » aptes à favoriser une communication riche et authentique entre les citoyens eux-mêmes, et à susciter des interactions libres et flexibles entre les citoyens, les élus et le Gouvernement. Pour certains d'entre eux, le cyberespace n'est littéralement rien d'autre que la démocratie en acte - du moins l'est-il virtuellement.

Nous avons souligné dans l'un de nos travaux précédents (Bellamy et Raab, 1999) combien semblait profondément paradoxale l'idée qu'une forme de démocratie parlementaire plus vivace puisse émerger par grâce aux technologies de l'information. Le seul fait irréfutable, s'agissant de la démocratie électronique, est quelle ne saurait s'inscrire sur un terrain politique vierge. Elle doit être façonnée au sein des institutions existantes de la démocratie représentative et du principe de responsabilité du Gouvernement tel qu'il fonctionne aujourd'hui. Le paradoxe tient en ceci qu'alors même que, si on les envisage sous l'angle des valeurs démocratiques, les mécanismes que sécrètent ces institutions sont profondément déficients, ils sont cependant considérés par beaucoup comme capables de soutenir, voire même d'alimenter, les formes plus vivaces de démocratie dont serait porteur 1'âge de l'information. Le câblage des Parlements, par exemple, est parfois considéré comme un moyen d'améliorer ou de dépasser les problèmes que posent aujourd'hui les principes de responsabilité et de représentation. Peu semble compter le fait que ces problèmes soient profondément ancrés au coeur même de la désillusion et de l'apathie ressenties aujourd'hui à rencontre des institutions, des mécanismes et des conséquences de la vie parlementaire conventionnelle de nos sociétés post-industrielles.

Si, comme cela semble probable, ce sont des effets complexes que les NTIC sont appelées à avoir sur la qualité de notre vie démocratique, alors il semble nécessaire d'aller au delà de ces opinions superficielles, et de soulever les questions suivantes :


· Quelles sortes de NTIC sont susceptibles de produire quels effets, et pourquoi ?


· Quels sont les mécanismes politiques susceptibles d'être affectés et de quelle manière?


· Qui se heurte aux problèmes que ces technologies de l'information et de la communication seraient aptes à résoudre ou à vaincre ?


· Et, par conséquent, quelle peut être leur importance dans la perspective d'une vaste réforme institutionnelle, impliquant le renforcement, le dépassement ou le remplacement de la démocratie parlementaire ?

C. L'ACCÈS AUX NTIC DANS LA PERSPECTIVE D'UNE DÉMOCRATISATION DE LA VIE POLITIQUE

Considérons la nature et la source des contributions technologiques aux démocraties politiques et examinons la diversité des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication à même de produire des effets conséquents. Il est couramment admis que les infrastructures toujours plus nombreuses développées pour les besoins du commerce électronique et de la fourniture de services publics créent les moyens technologiques pour le développement de la démocratie électronique. Celle-ci serait un phénomène qui « n'attend plus que son branchement ». C'est, autrement dit, supposer que la démocratie électronique se laisse concevoir comme le produit dérivé d'une révolution technologique principalement entraînée par d'autres priorités. Parmi ces priorités, l'extension de l'emprise -et par conséquent du marché - des communications électroniques, la réduction du coût des transactions commerciales ou de service public à gros volume, la vente en ligne de services d'information et de loisir.

En d'autres termes, le souci d'accroître la démocratie n'est pas, par lui même, le moteur de l'innovation technologique. Les priorités commerciales et politiques déterminent, déjà, tant le type d'applications susceptibles d'être développées que leur distribution géographique et leurs destinataires. Et puisqu'il en est ainsi, on peut prévoir sans risque la nature des moyens de communication et des applications qui seront offertes aux populations du monde occidental dans les prochaines années. Bien que le rythme de la convergence vers des supports multimédia soit en train de s'accélérer, ces moyens de communication incluent aujourd'hui :

Les services téléphoniques

Les services de téléphonie traditionnels sont vraisemblablement appelés à demeurer le moyen électronique de communication le plus largement diffusé, dans toutes les classes sociales et presque toutes les aires géographiques. Sont en train de s'y associer - rapidement mais en aucun cas universellement - de nouveaux téléphones à haute valeur ajoutée, capables de supporter des connexions téléphoniques à haut débit et des fonctions interactives telles que la vidéoconférence, laquelle est déjà considérée comme un outil indispensable dans les petits groupes de décideurs et largement utilisée, tant par les entreprises que par les Gouvernements. Les téléphones portables connaissent également un essor rapide dans certains groupes sociaux, et devraient rendre ainsi à court terme l'accès au commerce électronique et aux services de loisir moins dépendants des infrastructures de télécommunications fixes.

La télévision numérique

Au cours de la prochaine décennie, la télévision numérique devrait elle aussi se développer rapidement : elle est un moyen simple et facilement accessible de se connecter à Internet et aux services de messagerie électronique, de réaliser des transactions en ligne, d'acheter de l'information et des services de loisirs. Dans un premier temps cependant, la télévision numérique ne devrait pas se substituer complètement aux autres technologies de diffusion. Ainsi, au Royaume Uni, les chaînes classiques par diffusion terrestre seront maintenues jusqu'en 2009 de crainte que les personnes âgées et sans ressources ne puissent changer leurs équipements tant que les prix n'auront pas diminué dans des proportions significatives. Des boîtiers d'adaptation pourraient cependant être diffusés à plus grande échelle, afin de permettre la connexion des téléviseurs traditionnels à des services à bande passante plus élevée.

Micro-ordinateurs personnels

Les micro-ordinateurs sont d'ores et déjà omniprésents dans les équipements de bureau. Leur utilisation est également en plein développement dans l'environnement domestique. À titre d'illustration, 40 % de la population britannique possède un micro ordinateur à la maison, dont une fraction de plus en plus importante est connectée à Internet (Cabinet Office, 1999). De nombreuses études, cependant, considèrent que l'utilisation de micro-ordinateurs en réseau se développera surtout auprès de la population jeune et instruite des classes sociales supérieures.

Les terminaux en réseau dans les espaces publics et commerciaux

Il s'agit des équipements situés dans les kiosques d'information publique, les bibliothèques, les mairies des villages « câblés », les cybercafés, ainsi que des équipements spécialisés, pour la réalisation de sondages en ligne, par exemple. Parce qu'ils sont des biens publics communs, mis à disposition dans les lieux publics, ces équipements, bien plus que le service public du téléphone, les ordinateurs personnels ou les téléviseurs, sont considérés comme des symboles de la démocratie. À tel point que ces terminaux d'utilisation publique figurent en bonne place dans certains documents officiels consacrés à l'informatisation des fonctions « productives » des Gouvernements, telles que la diffusion d'information ou la mise à disposition de services. Le projet "Gouvernement en ligne" du G7, par exemple, fait des kiosques d'information publics les chevaux de bataille de l'amélioration de l'accès aux services publics (G7 Government Online Projet, 1995), et considère leur existence comme un apport potentiellement important pour le contexte démocratique de la vie politique. Ainsi le Gouvernement britannique est-il sur le point d'officialiser leur utilisation pour le vote aux élections locales et législatives.

Conceptualisation de la valeur démocratique de l'informatisation: « l'échelle »

Il existe donc des raisons de penser que des formes multiples de commerce et de Gouvernement électroniques se développeront dans les prochaines années, et qu'en principe, ces dispositifs pourraient servir de vecteur puissant au développement de la démocratie électronique. Mais de quelle puissance exactement? Comment et à quel degré sont-ils susceptibles d'affecter la démocratie parlementaire? Dans une précédente communication (Bellamy et Raab, 1999), nous nous proposions d'examiner ces questions à l'aide d'une "échelle d'informatisation" (Illustration 1) librement adaptée de la célèbre "échelle de participation du citoyen" dans la décision publique conceptualisée par Arnstein (1969). Les barreaux de l'échelle d'Arnstein figuraient les diverses possibilités de participation du citoyen dans un ordre de sophistication croissant, certains échelons pouvant avoir des effets aussi bien négatifs que positifs sur l'attribution de pouvoirs aux citoyens. Les cas de figure allaient de tentatives de manipulation du public pour lui faire accepter les préférences du décideur, en passant par de simples consultations, jusqu'à des mécanismes susceptibles de donner effectivement au citoyen des capacités de participation et de contrôle. En tant qu'instrument d'analyse, 1'échelle présente cet avantage qu'elle aide à mettre à jour les corrélations complexes qui existent entre stratégies de pouvoir et stratégies d'information. En soi, le fait de donner ou de recevoir de l'information n'altère pas la répartition du pouvoir, ou s'il le fait, c'est de manière complexe. Ainsi, notre "échelle d'informatisation" permet d'illustrer la distinction floue, mais néanmoins essentielle, entre, d'une part, une utilisation équivoque des NTIC, qui prétend renforcer la démocratie au service du citoyen par le biais d'un contrôle plus étroit exercé sur celui-ci, et d'autre part, une utilisation démocratique, moins ambivalente, des NTIC comme « technologies du citoyen ».

Illustration 1 : "Échelle de l'informatisation" du point de vue de la démocratie parlementaire

- Interaction (collective) Parlement/ Exécutif/ Citoyen sur les politiques publiques

- Interaction (individuelle) Parlement/ Citoyen sur des questions d'intérêt individuel

- Diffusion de l'information auprès du public par le Parlement

- Utilisation des NTIC pour améliorer le fonctionnement interne du Parlement et les mécanismes électoraux

On peut observer, à partir de cette image simple de l'échelle, que la simple multiplication des possibilités de contact électronique entre les électeurs et leurs représentants, au niveau des échelons inférieurs, peut favoriser un système de représentation plus efficace, sans pour autant déstabiliser ou remettre sérieusement en cause celui-ci. Ces liens peuvent même accroître l'adhésion au système, et en renforcer par conséquent la stabilité. Plus haut sur l'échelle, cependant, si l'on fournit davantage d'information, ou si l'on ouvre la porte à d'autre types d'interaction, on peut induire des changements plus substantiels, qui auront donc des effets plus ambigus sur la santé de la démocratie parlementaire.

Examinons à présent ce point plus avant, en utilisant une version plus détaillée de l'échelle, sur laquelle nous tenterons de placer, à chaque échelon, les différentes fonctions assurées par voie électronique, selon un ordre de sophistication ascendant (Illustration 2). A l'échelon le plus bas, se trouvent les propositions qui visent à renforcer la démocratie parlementaire par une amélioration de l'efficacité de ses représentants élus, asseyant ainsi l'influence et le prestige des Parlements. Les innovations de ce type tentent de répondre à l'idée qui veut que l'une des causes majeures de l'incapacité des Parlements à délibérer sereinement et à remplir effectivement leur fonction de contrôle du Gouvernement réside dans le médiocre niveau d'information et le manque d'indépendance des parlementaires. Les NTIC peuvent aider à résoudre de tels problèmes, en fournissant par exemple un accès direct en ligne à des services de bibliothèque et de recherche perfectionnés. Cependant, si ces mesures peuvent améliorer la qualité du travail parlementaire, elles n'augmentent pas nécessairement la participation du citoyen, ni n'améliorent de façon significative le fonctionnement de la démocratie parlementaire.

Au second échelon, les technologies de réseau, comme Internet ou la télévision numérique, permettent d'alimenter plus efficacement le public en information. Elles offrent en effet un moyen rapide et peu onéreux de diffuser une large palette d'information : comptes rendus des débats parlementaires, projets de loi, rapports législatifs, informations sur les parlementaires, y compris sur le temps qu'ils consacrent à leurs électeurs, scrutins, déclarations publiques ; mais aussi information diffusée par les ministères telle que réponses aux questions parlementaires, information sur les élections, y compris les programmes des partis et les matériaux de campagne. Au moins potentiellement, un accès très ouvert à de telles informations devrait permettre aux citoyens d'assumer leur rôle d'électeur avec plus d'intelligence et de compétence. Mais il augmenterait également leur dépendance à l'égard des grands canaux de diffusion, et par conséquent de ceux qui les contrôlent.

Illustration 2 : Application de "l'échelle" à la démocratie parlementaire

Participation en ligne aux procédures des commissions parlementaires

Participation en ligne à des comités de citoyens ou à des groupes de délibération

Participation en ligne à des groupes de réflexion

Participation aux forums politiques de la société civile tels que les agoras électroniques .

Mobilisation de l'opinion par voie de pétitions et de campagnes en ligne.

Participation en ligne aux meetings électoraux.

Service de conseil en ligne assuré par les parlementaires

Correspondance électronique entre les parlementaires, les citoyens et l'exécutif

Publication des votes des parlementaires et de leurs déclarations publiques

Information sur la disponibilité des parlementaires

Programmes électoraux des partis et déclarations d'intention des candidats

Diffusion audiovisuelle des débats parlementaires

Publication des débats parlementaires et des scrutins

Publication des rapports officiels et des rapports parlementaires, des documents de travail des ministères, des projets et propositions de loi

Utilisation de systèmes experts à l'appui de la législation

Vote électronique des parlementaires

Accès des parlementaires aux documents de travail en ligne : projets de loi, comptes rendus des débats, ordre du jour des commissions. Accès en ligne des parlementaires aux services de la bibliothèque et d'information

Vote électronique aux élections législatives

Ces deux premiers échelons et les types de médiation technologique qui leur sont associés supposent un usage des technologies visant à fournir des sources d'accès à l'information plus riches, plus complètes, plus flexibles. En revanche, ils font relativement peu appel aux possibilités nouvelles qu'offrent les NTIC en termes d'interaction et de participation au processus démocratique. Le troisième échelon recense donc les solutions permettant d'exploiter, par exemple, le potentiel interactif des activités de conseil téléphonique ou la messagerie électronique, qui créent des liens nouveaux entre les représentants et leurs électeurs. Ce troisième échelon reste cependant globalement cantonné au domaine des communications interpersonnelles entre les citoyens et leurs représentants sur des sujets de préoccupation individuels.

Le quatrième niveau, en revanche, rassemble les propositions d'utilisation des NTIC destinées à permettre au public une participation plus directe, et surtout plus collective, aux procédures d'élaboration des politiques de la démocratie parlementaire. Ces propositions peuvent également permettre une approche plus directe et plus collective de la fonction de contrôle des élus et du Gouvernement, comme nous le montrerons dans la suite. Les premières heures de l'histoire de la démocratie électronique sont pleines de ces expériences, souvent appelées de manière évocatrice "rencontres électroniques urbaines", ou "forums citoyens". On y fait usage de la télévision par câble pour impliquer les électeurs dans la campagne, les faire participer à des débats avec les élus ou à des face-à-face avec les personnes publiques (Abramson et al. 1988). Internet fournit même des possibilités, plus riches et plus ouvertes, d'interaction démocratique sur les problèmes d'actualité, en particulier dans la phase d'élaboration des textes de lois et de définition des politiques publiques. Il n'est pas difficile par exemple d'imaginer une combinaison qui permette au public, ou aux porte-parole de groupes de pression de présenter leurs arguments en ligne aux commissions parlementaires.

Ces « échelons supérieurs » d'utilisation des NTIC semblent être, sans aucune ambiguïté, des occasions positives de renforcer l'implication, la compétence et les pouvoirs des citoyens dans le fonctionnement de la démocratie parlementaire. Il faut poser, cependant, deux importantes mises en garde. La première est qu'il est loin d'être sûr que cette expansion des nouvelles technologies sera nécessairement universelle, rapide et égalitaire. L'analyse précédente a montré que les équipements permettant de fournir les services d' information les plus performants et les moyens de communication interactifs les plus souples se diffuseront à un rythme beaucoup plus soutenu parmi les populations jeunes, éduquées, des classes sociales supérieures, et plus particulièrement auprès de ceux qui bénéficient déjà d'un accès continu et personnel à un micro-ordinateur, et qui représenteront longtemps encore une part importante du marché des téléphones mobiles. C'est la raison pour laquelle, de fait, beaucoup de Gouvernements et de nombreuses compagnies commerciales considèrent que dans les années à venir, les centres d'appel -sollicités, pour l'essentiel, par une clientèle utilisant des téléphones à touche connectés au réseau terrestre - resteront un canal important de transactions à haut volume et faible coût, telles que les demandes de prestations sociales. En d'autres termes, bien que les services de commerce ou de Gouvernement électronique soient sans doute appelés à connaître une expansion rapide dans les prochaines années, cela ne signifie pas pour autant que la population dans son ensemble bénéficiera d'un égal accès à ces technologies et à ces services, lesquels semblent mieux adaptés à des contributions plus sophistiquées à la démocratie.

La seconde mise en garde consiste en ceci qu'en aucune façon il n'est prouvé que l'investissement dans les NTIC favorisera nécessairement l'émergence rapide d'applications de haut niveau, utile à la démocratie électronique. La croissance du commerce électronique dépendra de celle du niveau des capitaux investis pour développer quatre types clairement distincts de technologie électronique. Il est important, de surcroît, d'identifier lesquelles de ces technologies sont susceptibles d'être le plus rapidement développées et affectées au renforcement et à la promotion de la démocratie parlementaire. Ces quatre types de technologie sont les suivants :

- les services d'information et de loisir à destination du public ;

- le développement et l'intégration du traitement de données et des moyens de communication dans l'informatique de gestion interne des organisations, tant dans le secteur commercial qu'au Gouvernement;

- l'échange électronique des données entre organismes de traitement de données ;

- le développement des possibilités de transaction entre les organisations et le public.

Il est clair que les deux premiers procédés sont plus faciles à développer que les troisième et quatrième. L'utilisation, notamment, de moyens électroniques de transaction reste jusqu'à présent l'aspect le plus modeste et le moins développé du commerce électronique à travers le monde. Il existe de bonnes raisons à cet état de chose parmi lesquelles, et ce n'est pas la moindre, le sérieux défi que pose le développement de flux nouveaux d'information et de communication, lié aux contraintes propres aux infrastructures et mécanismes traditionnels de traitement des communications et de l'information, ainsi qu'au souci d'exercer un contrôle sur l'usage qui en est fait. Les tenants de la thèse de la « consolidation » considèrent que les institutions existantes tendent à s'approprier ces nouvelles technologies et à les façonner pour leurs propres besoins. La technologie serait un outil de consolidation de leurs structures de pouvoir. Il n'est par conséquent pas surprenant que les institutions démocratiques et politiques estiment facile d'innover et en particulier d'intégrer les innovations dans leur routine quotidienne - attitude conforme aux paradigmes de la communication, et à celle qui a cours dans les structures établies de contrôle politique et les fonctions organisationnelles bien rodées. Si tel est le cas, on peut donc s'attendre à ce que les Parlements eux aussi s'attachent à la modernisation de leur fonctionnement interne et à la diffusion d'information auprès du public, mais fassent preuve, en revanche, d'un intérêt moindre à développer et à intégrer des relations réellement démocratiques avec les citoyens.

Ainsi que nous l'observions dans notre précédente communication, les exemples concrets ne manquent pas pour illustrer ces quatre niveaux de l'échelle d'informatisation. Cependant, nombre des exemples décrits dans l'abondante littérature sur la démocratie électronique ne sont rien d'autre que des démonstrations ou des projets expérimentaux établis par des sociétés commerciales spécialisées dans la haute technologie, des chercheurs en sciences sociales ou des groupes de pression. Une étude systématique menée sur les réformes nées dans le laboratoire de la démocratie parlementaire, puis institutionnalisées donnerait une image moins optimiste. Elle ferait apparaître une presque totale concentration de l'innovation aux niveaux les plus bas de l'échelle. Peut-être que le temps amènera une véritable avancée des Parlements sur le terrain des nouvelles technologies. En l'absence toutefois, dans le monde politique, des impératifs commerciaux qui détermineront sans aucun doute certaines sociétés commerciales à franchir les obstacles qui s'opposent à des changements plus radicaux, les motivations qui pourraient favoriser une réforme tout aussi radicale et complète de la sphère de la démocratie électronique n'apparaissent pas, dans l'immédiat, très clairement.

La démocratie parlementaire : objectifs et problèmes

On voit donc, s'agissant de l'ampleur et de la rapidité avec lesquelles l'informatisation s'appliquera à la réforme de la démocratie parlementaire, qu'une large place est laissée au doute. Il n'y a pourtant guère à débattre sur la nécessité d'une réforme. Il existe, clairement, de nombreux phénomènes de long terme, et de tendances profondes amplement liées au long déclin de la démocratie parlementaire, notamment :


· le développement et la commercialisation des mass média, qui entraîne le déclin du discours politique « sérieux », et la montée en puissance d'une communication triviale et « tape-à-1'oeil »;


· le développement, en réponse à la création d'un électorat de masse, de partis politiques de masse, mais contrôlés par un appareil de parti oligarchique ;


· le développement corrélatif, dans l'enceinte du Parlement et à l'extérieur, d'une forte discipline de parti, qui conduit au contrôle des assemblées élues par le pouvoir exécutif;


· la complexité croissante des problèmes économiques et sociaux et l'interdépendance grandissante entre les institutions de la société civile et l'État dans les mécanismes politiques, qui aboutit à une « nouvelle gouvernance » consistant à transférer la prise de décision vers le monde opaque des réseaux politiques;


· le transfert du pouvoir et de l'autorité, en amont, au profit d'organisations supranationales telles que l'Union Européenne, et en aval, au profit des régions et de sous-ensembles de la nation, qui aggrave la perte de substance de l'État-Nation.

Ces phénomènes mettent à jour l'existence de transformations structurelles d'envergure, qui dépassent les circonstances particulières et l'histoire de chaque État. En Grande Bretagne, ces tendances sont à l'origine de ce que l'on a appelé la « dictature élective » des Gouvernements majoritaires, et de l'aptitude politique déclinante tant des élus que des électeurs. Bien que dans une mesure moindre, peut-être, que dans un pays comme les États-Unis, où le déclin des politiques démocratiques traditionnelles a commencé quelques années plus tôt, une large fraction de la population anglaise commence à se désintéresser de l'activité politique traditionnelle, pour se tourner vers les nouveaux mouvements sociaux et s'engager sur des causes sectorielles. Il se crée de ce fait un déficit démocratique, qui croit à mesure que s'érode la confiance dans les institutions politiques et les politiques électorales, tandis que les « affaires », fréquentes et de tous ordres, entretiennent pour une bonne part ce climat de défiance. Ce sont aujourd'hui principalement les réseaux diffus et complexes de la nouvelle gouvernance qui influent sur les politiques publiques : les questions insinuantes posées aux ministres par d'habiles journalistes, à la télévision et à la radio, font plus souvent jouer les mécanismes de la responsabilité que les séances, rares et déclamatoires, de questions au Gouvernement dans l'hémicycle.

La démocratie parlementaire, en bref, n'est plus l'axe autour duquel gravitent le monde politique et le Gouvernement, et nous nous acheminons, vraisemblablement, vers une ère "post-parlementaire". Le problème central pour nous, et sans doute aussi dans le cadre de ce colloque, est de savoir si l'utilisation des NTIC peut aider et aidera effectivement à rendre aux institutions parlementaires la place centrale qu'elles ont perdue. L'existence d'abondantes sources d'information et l'expansion des réseaux de communication, en ce deuxième âge des média, sont-elles à même d'insuffler une nouvelle vie aux formes parlementaires de la démocratie, et de remettre en marche les mécanismes de la représentation et de la responsabilité ? Ou bien l'application de ces nouvelles technologies aux institutions parlementaires et aux politiques électorales ne se résumera-t-il à rien d'autre qu'à un simple « câblage » des élites installées au sommet de l'État ? Il faut répondre à cette question en deux temps. Il faut, en premier lieu, préciser le rôle que l'informatisation pourrait jouer dans la redynamisation de ces mécanismes clé que sont la représentation et la responsabilité. Il faut, en second lieu, examiner si le cadre institutionnel de notre vie politique contemporaine est adéquat pour développer les conditions requises.

Mais avant de nous attaquer à ces questions, il nous faut répondre à celle-ci : « À quoi servent les Parlements? » La démocratie ne se limite à la liberté pour les citoyens d'exprimer leur opinion personnelle, de promouvoir leurs intérêts privés ou de chercher réparation aux préjudices subis; elle ne se limite pas non plus à la liberté de se regrouper pour se donner les moyens de garantir leurs droits individuels. Sans doute ces libertés font-elles partie de la démocratie, mais il n'en reste pas moins que les individus ont aussi des intérêts communs, en tant que collectivité. Cette collectivité publique partage des valeurs et des biens communs, édicté les règles de la vie collective, et établit les principes qui assureront le bien-être mutuel. L'importance reconnue à ce "domaine public" a des conséquences cruciales dès lors qu'il s'agit de décider de la nature démocratique d'un système politique. En premier lieu, une démocratie doit établir des mécanismes d'ensemble, ouverts, qui permettent non seulement de soulever mais de résoudre les problèmes d'intérêt général, et au travers desquels le système de valeur qui les sous-tend puisse être constamment testé, et renouvelé. En second lieu, les décisions prises, les actions entreprises au nom de l'intérêt général doivent être ouvertes à l'examen et au contrôle des citoyens. En troisième lieu, les préjudices que ces décisions ou ces actions pourraient faire subir aux individus et aux minorités doivent être prévenus, ou pour le moins réparés. En conséquence, la notion de « public » est nécessairement duale. « Public » signifie non seulement « le public en tant que collectivité » (formant un tout) mais aussi « le public dans sa pluralité » (tous et chacun). Aussi un « citoyen » est-il tout à la fois le membre d'une société partageant des intérêts communs, et un individu parmi un agrégat d'autres individus, qui possèdent chacun leurs intérêts propres. L'exercice de la citoyenneté implique donc certes le pouvoir d'influer sur les choix publics et de mettre enjeu la responsabilité des décideurs, mais elle doit aussi prendre en compte et respecter l'interdépendance complexe qui existe entre objectifs publics et préoccupations privées.

La tension constante qui doit inévitablement exister, dans une démocratie saine, entre la collectivité comme tout et la pluralité des individus, doit se traduire en une tension tout aussi créatrice entre les fonctions expressives du système politique - soit les procédures grâce auxquelles les individus et les groupes parviennent à concilier leurs vues ou leurs intérêts - et les fonctions agrégatives - soit les modalités par lesquelles ces vues et ces intérêts partiels sont ajustés pour façonner les décisions collectives de la société dans son ensemble. Cette tension doit se refléter dans des procédures de discussion et des mécanismes décisionnels capables de cristalliser et de résoudre les problèmes publics. Dans une démocratie parlementaire, l'accent est généralement mis sur la fonction délibérative du Parlement lui-même, laquelle permet de s'assurer que les décisions ne résulteront pas d'un simple décompte de voix mais seront le reflet d'une véritable confrontation de vues. Les institutions parlementaires n'ont pas pour seule fonction de tenir le registre des opinions et des intérêts, elles se doivent aussi d'interpréter leur signification, et de les rassembler, les concilier et les « re-présenter » afin de « préserver la réactivité du Gouvernement face aux courants souterrains ou aux vagues de fond plus violentes qui animent l'opinion publique ». Ainsi, le Parlement est-il la cheville ouvrière du système, « l'intermédiaire essentiel » entre le Gouvernement et le peuple. Il se doit non seulement de représenter celui-ci auprès de celui-là, mais aussi de placer le Gouvernement face à ses responsabilités.

La démocratie parlementaire est par conséquent fondée sur la foi dans les vertus de la discussion et du débat public : sur la conviction que toute opinion doit pouvoir être mise en cause, et en particulier celles qu'avance le Gouvernement. Mais si la discussion et le débat public ne se déroulent que dans l'enceinte de l'hémicycle, ou ne sont alimentés que par des joutes oratoires entre porte-parole de partis politiques, alors, loin d'oeuvrer comme la cheville ouvrière du système, le Parlement ne sert plus qu'à isoler le Gouvernement de ceux qu'il est censé représenter. Le concept « d'espace public » forgé par Habermas, concept qui focalise une attention croissante chez les observateurs de la démocratie contemporaine à l'ère de la communication, nous aide à nous rappeler que les institutions parlementaires fonctionnent mieux quand elles sont appuyées par un ensemble prospère d'institutions civiles telles que des médias indépendants ou des structures comme les comités de citoyens, de création plus récente. Parce que ces institutions savent forger des opinions cohérentes à partir d'un imbroglio d'intérêts et de points de vue, et peuvent donner aux Parlements une « impulsion stratégique » sur les problèmes d'actualité.

Ces mécanismes à plusieurs strates associant débat public, délibération et responsabilité, créent un besoin subtil et complexe, que l'informatisation serait susceptible de satisfaire, en moyens d'information et de communication. À l'évidence, la démocratie parlementaire suppose qu'une information gratuite, impartiale, exacte, puisse circuler entre le Gouvernement, le Parlement, les institutions politiques, celles de la société civile et, au delà d'elles, auprès de chaque citoyen. Mais ce n'est pas par la simple ouverture des canaux de communication et par l'augmentation de leur flux que l'on revitalisera la démocratie. Il s'agit aussi, et c'est essentiel, de donner forme aux canaux, aux contenus et aux modes d'interprétation de l'information. La capacité d'une informatisation de la démocratie parlementaire à promouvoir une meilleure représentation des citoyens et à rendre les Gouvernements véritablement responsables dépend non seulement de la liberté avec laquelle circule le flux d'information, mais aussi de qui en contrôle l'accès et en détermine les contours. Elle dépend aussi de la capacité des citoyens et de leurs représentants élus sont à en faire usage, de manière effective et indépendante, dans les procédures clé que nous avons identifiées.

On peut illustrer ce point important en examinant plus en détail le fonctionnement du mécanisme de la responsabilité Gouvernementale liant la responsabilité à l'échange de notes et de rapports entre supérieurs et subordonnés. Il existe des codes de la responsabilité, consistant en coutumes établies qui gouvernent les comportements et fournissent des règles de mise en forme de ces échanges qui définissent les termes dans lesquels les rapports sont présentés et examinés. L'informatisation des ces mécanismes de responsabilité rendrait sans doute la procédure plus efficace, mais sans remettre en cause, pour autant, les codes en vigueur; il ne rendrait pas la responsabilité plus effective. Plus fondamentalement, le renouveau de la démocratie parlementaire dépend tout autant de l'existence du pluralisme que de l'utilisation, dans le processus d'élaboration du jugement politique, de voies de diffusion de l'information et de modalités d'interprétation plus riches et plus diversifiées, on constate ainsi combien est signifiante la façon dont les rapports sont reçus et examinés. « Afin de juger de la qualité et de l'exactitude d'un rapport, les électeurs doivent avoir à leur disposition des moyens d'évaluation indépendants du Gouvernement. De surcroît, les électeurs doivent pouvoir contraindre le Gouvernement à rendre compte de ses actions ce qui (...) doit inclure (...) ses objectifs, la perception qu'il a du cadre dans lequel il mène son action et une « théorie » explicative de la manière dont cette action doit lui permettre d'atteindre ses objectifs. L'élaboration par le Gouvernement de rapports d'étape et de bilans et la capacité des citoyens à les évaluer et à produire des contres rapports dépendent de la capacité à produire des rapports alternatifs, et de l'existence de mécanismes permettant de rechercher un accord de vues. Les citoyens doivent par conséquent avoir accès non seulement aux rapports eux-mêmes, mais également aux données et aux procédures d'élaboration de ces documents. Ils doivent avoir les moyens de redéfinir les principes directeurs d'élaboration de ces documents, afin d'élaborer des hypothèses alternatives, et d'alimenter ces hypothèses à l'aide d'éléments nouveaux. Ils doivent être pleinement impliqués dans la procédure de production de ces rapports. ».

Nous avons cité ce raisonnement dans son entier parce qu'il souligne combien il est important de se faire une conception très large de l'informatisation. Nous restons sceptiques quant à l'intérêt de lancer le débat sur les applications démocratiques des nouvelles technologies en des termes qui canalisent pour l'essentiel l'attention sur la question de l'extension de l'accès à une panoplie plus riche de moyens de communication, ou de l'augmentation de la quantité de l'information. Il paraît en effet au moins aussi important de traiter de la question de la qualité, de l'origine, et du contrôle de l'information, ainsi que de sa signification. Ceci suppose que l'on ait saisi combien il est important de rendre publics les motifs des décisions et de l'action du Gouvernement, pour stimuler le débat et développer la capacité à remettre en cause les hypothèses et les concepts qui, en deçà des discours, étayent les faits, lesquels faits sont trop souvent rangés sous des catégories dont le Gouvernement contrôle la définition. La contribution des NTIC à la démocratie parlementaire restera relativement modeste, si elles ne sont utilisées pour faciliter l'accès, non seulement à une palette plus large d'information, mais aussi à des sources plus diverses d'information. Questions et réponses pourraient alors être élaborées depuis des points de vue alternatifs, et le débat public construit sur le fondement de sources qui ne seraient plus le monopole exclusif du Gouvernement. Notre raisonnement tend donc à souligner l'importance des rapports politiques et sociaux qui existent entre représentation et responsabilité : loin d'être déterminés par les procédés technologiques et les mécanismes de l'information, ils les influencent et entrent en interaction avec eux. Ceci met en lumière la nécessité qu'il y a à replacer l'analyse de l'informatisation dans le contexte institutionnel plus large qui donne forme à ces relations, et à rechercher dans quelle mesure et de quelle manière ce contexte peut, en retour, être restructuré par les nouvelles technologies.

Informatisation et vagues de transformation du contexte institutionnel de la démocratie

Revenons à présent au coeur de la question posée plus tôt, pour apprécier les perspectives de renforcement et de revitalisation de la démocratie parlementaire qu'offrent les nouvelles technologies. Elles dépendent pour beaucoup de l'interaction entre les nouveaux moyens de communication et d'information et les ondes complexes de transformation des structures du pouvoir politique que nous avons identifiées ci-dessus. Commençons alors par examiner un certain nombre de remarques souvent formulées, relatives à l'impact sur les politiques démocratiques des transformations dans la nature et le contrôle des technologies de l'information et des moyens de communication.

Inverser le cours de la commercialisation et de la "massification" des média électroniques

L'une des revendications majeures en faveur de la révolution cybernétique tient en ceci que, contrairement aux mass média - par nature unilatéraux, non-interactifs, et qui s'adressent à un auditoire atomisé et indifférencié - Internet fait des individus des utilisateurs autonomes et toujours plus sélectifs d'information, capables de choisir l'information qu'ils vont rechercher. Internet est davantage une technologie de recherche que de délivrance de l'information, avec tout ce que cela entraîne en termes d'amélioration du contrôle personnel sur cette information. Internet permet également aux utilisateurs de créer leurs propres moyens de communication et ce faisant de reprendre contrôle sur la manière dont leurs opinions, leurs intérêts et leurs identités sont façonnés par les média électroniques et représentés en eux. Internet serait donc, parce qu'il suscite la création de sources d'information plus variées et de moyens nouveaux et indépendants de communication politique, un média de la pluralité. Loin de renforcer les tendances à un plus grand dirigisme de nos démocraties, la société cybernétique est, pour beaucoup, porteuse de pouvoirs subversifs à l'encontre des hommes politiques, des bureaucrates et des « tycoons » des média. L'enthousiasme est donc considérable face à l'éclosion de réseaux sociaux, de forums électroniques et de tableaux de bord en ligne, qui illustrent le vaste potentiel de ces nouveaux moyens de communication, ouvrant grand les voies de l'action politique et du débat public : des pétitions sont lancées sur Internet et par messagerie, des campagnes électorales sont re-dynamisées grâce aux possibilités d'accès à ['informations sur les candidats et aux meetings électroniques ; enfin, les moyens de communication électroniques sont utilisés pour diffuser, y compris dans des circonstances de répression politique, une information, de source locale et authentique, sur les expériences menées dans des régimes jusqu'ici fermés, comme ceux des Balkans ou de la Chine.

Les retombées potentielles de telles possibilités sur la vie démocratique peuvent s'avérer inestimables, dans la mesure où nombre d'entre elles touchent directement aux mécanismes clé de la responsabilité et de la représentation. Malheureusement, comme nous l'observions dans un précédent article, la réalité n'a pas, jusqu'à présent du moins, vérifié ces pronostics optimistes, en particulier en ce qui concerne la qualité de l'interaction entre citoyens, élus et Gouvernements. Il faut aussi garder présent à l'esprit le fait que dans les années à venir et pour un certain temps, la plupart d'entre nous continuera de recevoir une proportion substantielle d'information politique par le biais des moyens de communication traditionnels, ce qui, paradoxalement sans doute, pourrait bien soumettre cet âge de l'information à une pression commerciale décuplée. De fait, la convergence croissante des médias de communication et des équipements électroniques de loisir - en particulier au travers d'innovations comme la télévision digitale - à quoi il faut ajouter la tendance accrue à la concurrence entre fournisseurs de services de communication et fournisseurs de services de loisir risquent d'avoir des retentissements sur les services publics de diffusion traditionnels, les poussant à réduire encore la couverture qu'ils accordent aux affaires politiques courantes ou des débats publics ponctuels. Si elles ne parviennent pas à convaincre les citoyens de l'importance et de l'intérêt de la politique, les nouvelles technologies auront échoué à surmonter l'apathie qui ronge le système actuel de démocratie parlementaire. Selon les termes de Mills (1959), les nouvelles technologies doivent permettre aux citoyens de replacer leurs préoccupations quotidiennes dans un cadre plus large en en analysant les vicissitudes en termes de facteurs macro politiques. Ils verront ainsi les raisons de s'engager sur les questions de fond touchant au système politique. Au delà de cette « prise de conscience », les nouvelles technologies doivent aussi donner les moyens d'une participation accrue. Cette fonction pourrait constituer l'un de leurs objectifs, qui ne sera atteint qu'à la condition qu'elles pénètrent la société sous des formes conçues pour ouvrir l'accès à la politique, et non comme de simples instruments de consommation, pour les loisirs, les achats, le règlement des prestations sociales, ni comme des organes de surveillance et de contrôle par le haut.

Il faut à présent examiner quelle influence peuvent avoir ces changements dans la nature et les modes de contrôle des moyens de la communication politique sur l'autre série de problèmes qui se pose à la démocratie parlementaire, et que nous évoquions tout à l'heure. Nous tiendrons la thèse générale que cette influence sera vraisemblablement complexe et que son intérêt pour la démocratie parlementaire ne sera en aucun cas dénué d'ambiguïté.

Des partis polit iq ues et du pouvoir de la dis ci pline de parti

Il est clair qu'en principe, les NTIC pourraient aisément promouvoir une grande variété de canaux de communication nouveaux au sein des organisations politiques, grâce auxquels la structure des flux d'information pourrait être modifiée, et des ressources considérables mises au service de tous les membres. En d'autres termes, les NTIC pourraient servir à stimuler les oeuvres vives des partis politiques de masse et les aider à se mobiliser contre les appareils de parti. Mais il se pourrait bien, en cette ère de l'information, que de leur côté les élites des partis s'équipent elles aussi d'une panoplie plus large et plus efficace d'outils électroniques susceptible de renforcer leur suprématie sur le terrain de la communication. Que l'on tombe ou non d'accord avec R. Michels (1915) pour affirmer que les organisations partisanes tendent par nature à devenir oligarchique, l'histoire atteste de la difficulté à mettre en oeuvre une réforme de telles organisations. En outre, comme nous le verrons ci-après, les partis traditionnels, en cette ère de l'information, peuvent tout aussi bien être mis à l'écart ou vidés de leur substance par l'émergence de nouveaux mécanismes politiques, que poussés à se régénérer grâce aux nouvelles technologies.

Des relations entre Parlement et pouvoir exécutif

Le contrôle du Parlement par l'exécutif est inscrit au coeur même du système des cabinets - du type de celui qui existe en Grande-Bretagne - bien qu'il se puisse que cette relation fonctionne quelque peu différemment dans un système présidentiel comme celui de la France. Dans le cadre institutionnel britannique, la « dictature élective » du Gouvernement est la conséquence du renforcement, depuis plus d'un siècle, de la discipline de parti. Il est peu probable qu'une simple informatisation des institutions représentatives suffise à dénouer cette situation, en particulier si informatiser ne signifie rien de plus que renforcer la capacité du Gouvernement à transmettre des informations au Parlement, l'aptitude des parlementaires à communiquer individuellement avec les citoyens ou avec le public dans son ensemble. Les réformes récentes des procédures parlementaires britanniques restent prudentes en ce domaine, et, bien qu'elles aient eu des effets importants sur le contrôle de l'exécutif par le Parlement et par le public, elles n'ont pas réussi, et ce n'est sans doute pas une surprise, à transformer fondamentalement la relation entre Gouvernement et Parlement. Ce que l'on peut mettre au crédit des NTIC dans ces transformations - avec, par exemple, la retransmission télévisée des débats (qui ne fait appel qu'aux technologies du « premier âge des média »), ou un meilleur accès aux documents et aux rapports via Internet - est de peu de secours pour l'école « visionnaire ».

Des réseaux et de la gouvernance

L'éclatement du système Gouvernemental en groupes technocratiques spécialisés ou en « sous-Gouvernements » couvrant tant les intérêts publics que privés est depuis longtemps reconnu. Mais les commentaires qui dénoncent le décentrage de la démocratie qui peut résulter d'une telle tendance sont moins nombreux que ceux qui marquent une acceptation tacite de cet état des choses, présenté comme la seule manière de gérer la complexité et l'interdépendance dans notre monde moderne. La question se pose alors de savoir comment les NTIC peuvent aider à inverser - ou du moins aider à gérer - cette tendance au verrouillage de la prise de décision, réglée par des réseaux fermés et opaques, hors des enceintes principales de la démocratie parlementaire. Cette question amène à rechercher dans quelle mesure les élites sociales et économiques, empêtrées dans des réseaux néo-corporatistes, sont elles-mêmes soumises à un contrôle démocratique et susceptibles de renouvellement. Il ressort ainsi des travaux d'Etzioni-Halevy (1993) et de Putnam (1993, 1995) que la capacité des États modernes à promouvoir des manières consensuelles et globales de gouverner, dépend de facteurs tels que la circulation des élites, l'intégration des réseaux d'administration, et la manière dont ces réseaux sont adossés à des institutions civiles dynamiques. Ces questions sont donc en phase avec une préoccupation grandissante de la théorie récente de la démocratie, dénommée tantôt « associative », « actionnariale », ou même « démocratie socialiste de marché », avec, autrement dit, les stratégies visant à démocratiser les centres de prise de décision et de pouvoir multiples qui caractérisent les structures complexes et interdépendantes de notre gestion publique moderne. Si tant est que de nouveaux types de flux d'information, diffusés par voie électronique, et de nouvelles ressources, y compris celles que génèrent les réseaux sociaux et les tableaux de bord en ligne peuvent aider à faire aboutir de telles stratégies, alors l'informatisation pourrait atténuer les tendances anti-démocratiques que véhiculent les réseaux politiques.

Il faut toutefois tempérer l'optimisme de ces scénarios par deux importantes nuances. La première est qu'en permettant une communication plus rapide et un partage de l'information dans et autour des réseaux, les technologies de l'information et de la communication pourraient être elles-mêmes responsables de la prolifération des réseaux comme forme de gestion publique. Les NTIC, en réduisant les coûts et les inconvénients de la gestion des relations entre les différents domaines de la gestion publique, peuvent en masquer la complexité et la fragmentation. Mais en atténuant, ou même en encourageant la tendance à la formation de réseaux, les nouvelles technologies concourent également à en produire les conséquences politiques. En premier lieu, il est inévitable que certains acteurs développent de meilleures infrastructures technologiques que d'autres, et - toutes choses égales par ailleurs - se trouvent plus souvent « gagnants » dans le jeu politique qui se joue au sein des réseaux. La dépendance croissante à l'égard des nouvelles technologies laisse penser qu'elles joueront un rôle important dans la modification de l'équilibre des pouvoirs entre les acteurs. En d'autres termes, les technologies de l'information et de la communication comme avant elles l'argent ou les suffrages, sont en passe de devenir une source puissante de concurrence politique. Il y aura de nouvelles catégories de "possédants" et de "démunis" dans cette structure politique en réseau. Ce que Schattschnneider (1960) appelait « la mobilisation biaisée » - dans laquelle certaines questions et les intérêts qui y sont associés mobilisent le monde politique, alors que d'autres en sont exclues - pourrait bien persister dans les structures politiques en réseau. De fait, il se pourrait que cette mobilisation biaisée prenne de nouvelles formes, que les NTIC redéfinissent les règles du jeu. Et il pourrait en résulter, une simple redistribution plutôt qu'une suppression de l'inégalité et de l'impuissance politiques. Ce serait une issue bien peu démocratique.

En second lieu, même si les technologies en réseau de l'âge de l'information s'avéraient capables de redistribuer le pouvoir politique pour étendre la portée démocratique d'au moins quelques mécanismes décisionnels, resterait à savoir quelles formes de démocratie politique en résulteraient. Les scénarios que nous mentionnions plus haut s'attaquent au type de questions suivant : la démocratisation des mécanismes internes des partis politiques ; le renforcement et la démocratisation des institutions de la société civile -virtuelles pour quelques unes ; la responsabilisation des élites politiques et leur meilleure circulation au sein des réseaux. Ces scénarios visent, en d'autres termes, les fonctions tant agrégatives qu'expressives de la représentation et de la responsabilité, mais en les plaçant dans des centres de pouvoir abstraits au sein d'un univers complexe. Ce qui manque cruellement à de telles spéculations, c'est une réflexion sur la manière dont ces scénarios pourraient s'appliquer aux mécanismes électoraux traditionnels et aux débats parlementaires, en particulier en tant qu'ils mettent en jeu les mécanismes centraux de la représentation et de la responsabilité.

Au sujet de « l'éviction » .

La discussion précédente donne quelques exemples spécifiques de la conception générale qui veut que gouverner soit peut-être une opération trop complexe, et la société peut-être trop fluctuante pour être vraiment administrée, du moins dans le cadre des structures traditionnelles de l'État weberien. L'État subit une « éviction », tant interne qu'externe. Dans un monde de plus en plus globalisé, les Gouvernements perdent leur autonomie de décision sur les questions stratégiques et économiques ; leur capacité d'action est de plus en plus entravée par des interdépendances transnationales. Au plan interne également, les Gouvernements sont confrontés à des sociétés « multicentrées », faites de centres de pouvoir multiples aux modes d'influence changeants. Les mécanismes de la démocratie parlementaire ne sont pas épargnés par ces transformations : il faut être attentif à l'origine « culturelle » des rapports et des discours qui s'échangent dans les Parlements. Comment sont-ils échangés et par qui ? Quelle sensibilité reflètent-ils ? Le fait même de poser ces questions revient à douter que toutes les opinions puissent se faire entendre et se concilier par le canal nécessairement étroit et surveillé des institutions parlementaires. Peut-être, du moins, des formes plus directes et plus diverses de démocratie politique les traduiraient-elles plus fidèlement.

On peut donc légitimement considérer que les pratiques politiques doivent changer, pour s'adapter à une société faite de groupes sociaux multiples, de même que pour répondre à l'émergence de configurations Gouvernementales plus complexes et plus fluctuantes. Il semble que les réseaux, flexibles, du deuxième âge des médias, nous offrent les moyens techniques de faire face à cette complexité. Mais du même coup, d'importantes questions normatives se posent. En l'absence de nouvelles formes de coordination et d'agrégation des opinions, il existe un réel danger que les NTIC ne fassent qu'amplifier la fragmentation de l'espace public, et ne provoquent la balkanisation du politique en une multiplicité de groupes d'opinion fluctuants, incapables de s'agréger autour d'une action ou d'une décision collective. Et il est loin d'être certain que les institutions parlementaires sauront trouver une issue adéquate. Ainsi les Parlements risquent-ils de chercher, dans l'urgence, à prendre en compte les enseignements des débats politiques qui se mènent dans les forums électroniques du cyberespace. Et il se pourrait bien que de tels efforts d'assimilation soient regardés - à juste titre, peut-être - comme une tentative désespérée de domestication des nouvelles technologies et de résistance à une possible légitimation de nouvelles formes de démocratie.

D. CONCLUSION: LES NTIC ET LA DÉMOCRATIE POST-PARLEMENTAIRE

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons faire confiance aux NTIC -même si elles peuvent servir à moderniser certaines procédures institutionnelles et à encourager la communication entre les Parlements et le public - pour rénover radicalement les institutions et les mécanismes de la démocratie parlementaire.

Les institutions parlementaires, tant les nouvelles que les anciennes, ont certes toutes les raisons d'utiliser les systèmes d'information pour se renouveler, ou pour rénover des pratiques entachées de significations politiques et de formes de pouvoir hérités d'un autre temps. La puissance symbolique d'une telle modernisation serait immense, et pourrait avoir une influence concrète sur certains équilibres ou certaines relations de pouvoir. Pourtant, il y a peu de raisons de penser que l'informatisation viendra perturber ou accompagner les tendances de fond que nous avons dégagées. En particulier, nous ne voyons pas que les mécanismes de la responsabilité et de la représentation puissent être sérieusement affectés par la transformation des mécanismes de l'information et de la communication, précisément à cause de leur origine endogène. Il y a peu de pression externe qui pousse les Parlements à réformer leur fonctionnement par l'utilisation des NTIC. Pourtant, si cette pression existait, elle pourrait les inciter à transformer le système pour améliorer les mécanismes de la responsabilité et de la représentation. Mais hors de l'enceinte des Parlements, les plus enthousiastes sur le second âge des médias sont ceux qu'exalte la perspective d'une vie politique sans démocratie parlementaire. Ils sont donc tentés de comparer celle-ci avec ce qu'ils considèrent comme des formes plus authentiques ou plus directes de démocratie, mieux adaptées aux préoccupations du présent et du futur ; en d'autres termes, avec la vie politique post-parlementaire.

Mais de quelle sorte de vie politique s'agit-il ? D'une vie politique dans laquelle le principe de « représentation » n'a pas ou peu de résonance, et n'a pas place dans l'entreprise de relégitimation de la démocratie ; dans laquelle la responsabilité n'est pas localisée, ni conceptuellement ni empiriquement. Dans cette démocratie post-parlementaire, le souci d'améliorer les processus d'élaboration des choix politiques et des décisions reste sporadique. Il se traduit en métaphores qui portent plus sur le discours et la communication que sur la délibération et la décision. Pourtant, la délibération politique, en tant qu'elle entraîne une réflexion sur l'action publique et permet d'agréger et de réconcilier des opinions différentes et conflictuelles, donne consistance tant à la représentation de ceux qui ne peuvent être directement présents, qu'à la re-présentation de leurs points de vue et de leurs intérêts, réduisant ainsi les difficultés propres au principe de représentation lui-même. Alors que les mécanismes décisionnels collectifs, dans le cadre parlementaire, agrègent et condensent, le discours politique du post-parlementarisme, dans sa célébration de la richesse, de la variété et du pluralisme de l'opinion, désagrège et distend. Les nouveaux médias ouvrent certes des perspectives aux institutions représentatives de la démocratie parlementaire, et peuvent avoir des effets positifs sur le mécanisme de la responsabilité. Mais le discours post-parlementaire n'aboutit en soi à aucune conclusion sur la question de l'émergence de la décision, et il ignore superbement le principe de la responsabilité de l'action politique. Les réseaux électroniques appliqués à la communication politique, s'ils ne s'intéressent pas aux instances délibérantes de la démocratie parlementaire et à la responsabilité de l'exécutif, n'auront fait hélas que contourner, sans les résoudre, les problèmes auxquels sont confrontées les formes parlementaires de la démocratie dans notre monde contemporain.

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