L'année Victor Hugo au Sénat



Palais du Luxembourg, 15 et 16 novembre 2002

JOURNÉE DE LA TOLÉRANCE organisée par le Sénat avec le patronage de l'UNESCO - Débats, lectures et témoignages dans l'hémicycle du Sénat le samedi 16 novembre 2002

Lors de la séance solennelle, animée par J. P. Elkabbach, le Sénat organise dans son hémicycle une rencontre associant les lauréats du concours, les Sénateurs élus de leur département, des personnalités emblématiques de la politique, de la littérature, des arts, que le destin aura conduites, à partir de situations extrêmement différentes, à accomplir un chemin parallèle à celui de Victor Hugo, et des comédiens venus prêter leur voix à Victor Hugo.

COMPTE RENDU INTÉGRAL

(La séance exceptionnelle est ouverte à quinze heures dix.)

Débats, lectures et témoignages

M. Christian Poncelet, président du Sénat. Monsieur le Président de la République de Lituanie, monsieur le ministre de l'éducation nationale, chers collègues, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, chers jeunes amis, le Sénat est heureux de vous accueillir dans son hémicycle pour cette séance exceptionnelle, qui coïncide avec la journée de la tolérance instituée par l'UNESCO - dont je salue la directrice générale adjointe -, et qui clôt le cycle des célébrations et des manifestations organisées par le Sénat pour le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, ce géant dont la proximité, l'actualité et l'universalité sont des données immédiates de nos consciences.

Le Sénat est heureux d'accueillir aujourd'hui, en présence de leur ministre, M. Luc Ferry, les collégiennes et les collégiens, les lycéennes et les lycéens qui ont réfléchi sur le thème de la tolérance. Par leur présence, ces jeunes apportent un point d'orgue aux célébrations de l'année, baptisée à juste titre « année Victor Hugo ». En effet, c'est ici, en ces lieux mêmes, qu'ils peuvent le mieux saisir l'activité de Victor Hugo homme politique, dans cette salle où ses pas ont résonné, où sa voix a tonné, où son génie s'est exprimé ! Pair de France, sénateur, Victor Hugo reste l'une des hautes figures qui ont contribué à sculpter le personnage de l'écrivain fortement engagé.

Retour vers le passé, cette manifestation se projette vers le futur, comme le Sénat lui- même, riche de son histoire et de ses traditions, mais aussi constamment force de propositions et laboratoire de prospectives. A cet égard, il est particulièrement significatif que ce soit avec des jeunes que s'achève cette célébration de Victor Hugo, qui, grâce à vous et au souvenir que vous en garderez, étendra ses racines loin dans ce nouveau siècle, qui « a deux ans » à peine.

La tolérance, beau thème, relativement récent, est le sujet de vos réflexions. Après la révocation de l'édit de Nantes, les Lumières ont imposé l'idée de la tolérance religieuse ; Victor Hugo lui a donné une portée universelle.

Et pourtant, ce concept de tolérance est encore à réinventer. Les événements récents ont montré, hélas ! que l'intolérance, l'intégrisme, le fanatisme, les guerres de religion, les conflits de civilisation, les tensions raciales et ethniques, sont toujours - et même, dirai-je, plus que jamais - d'actualité.

Toujours, il apparaît que c'est l'absence de tolérance qui fait de l'autre un différent, qui fait de l'autre l'ennemi. Mais c'est précisément cela qui fait le prix de la tolérance.

Car, ne nous le cachons pas, la différence n'est pas facile à admettre spontanément. Elle intrigue, inquiète, étonne, choque. Les peuples, souvent, éprouvent le besoin de marquer leur différence, et nous-mêmes n'y échappons pas.

Comment ne pas transformer la conscience de sa différence en mépris des autres, voire en haine des autres ? C'est là la question.

Les stoïciens avaient théorisé une forme particulière de l'indifférence, la suspension du jugement, qui les rendait insensibles au monde extérieur. Mais ce serait une bien triste paix entre les hommes que celle qui viendrait de leur indifférence les uns aux

autres.

La tolérance est donc une voie, une voie plus belle, qui suppose l'acceptation et le respect des différences. La tolérance, ce concept étrange, doit être synonyme non pas de dédain, de ce qu'on accepte simplement de tolérer, mais de respect et de considération.

Ce concept étrange peut aussi être victime de son succès. La tolérance universelle ne doit pas devenir universel relativisme. A trop dénoncer les intégrismes, ne manifeste-t-on pas un moindre attachement à l'intégrité de la vérité ?

La tolérance ne doit pas s'exercer au-delà des limites de la vérité : pas de tolérance pour le révisionnisme, pour le négationnisme, pour les thèses qui n'ont aucune considération envers l'homme.

La tolérance n'est pas contradictoire avec notre droit de ne pas tolérer l'intolérable.

De même, la tolérance ne peut pas être unilatérale : à l'évidence, elle suppose la réciprocité. La question est alors la suivante : comment coexister au XXI e siècle ? Sans doute par la promotion des libertés individuelles. Car je veux croire que les fanatismes sont solubles dans la démocratie, dans une démocratie vivante, qui tend à effacer les inégalités sociales.

Voilà ce qui fait la modernité de ce thème, mais aussi, soyons-en bien conscients, sa difficulté. La tolérance est encore et sera pour longtemps un combat.

Je forme donc le voeu que la force créatrice de Victor Hugo vous arme et vous inspire pour pouvoir encore mieux lutter, comme il le disait. Souvenez-vous qu'il avait écrit : « La vie est un combat et ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent. » (Applaudissements. )

M. Jean-Pierre Elkabbach, président de Public Sénat. Nous sommes tous vos hôtes, monsieur le président du Sénat. Nous sommes aussi ceux de Victor Hugo.

Pour ma part, je suis impressionné d'être là pour la première fois à cette place et parmi vous.

Je pense que Victor Hugo aimerait cette journée-événement, qui est retransmise par la chaîne de télévision parlementaire, Public Sénat.

Je pense qu'il aimerait vous voir tous ainsi rassemblés dans cet hémicycle du Sénat, où il a siégé, lui qui voulait une chambre haute composée aussi d'écrivains, de savants, d'artistes et de jeunes.

Vous, les jeunes, vous avez, outre la jeunesse, la légitimité, l'autorité morale et, aujourd'hui, aussi, une certaine influence, comme vous allez le montrer à travers vos questions.

Cela paraît évident et simple. Mais, comme l'a rappelé à l'instant le président Christian Poncelet, il a fallu des luttes pour donner à cette institution l'indépendance et la dignité que nous célébrons aujourd'hui. Faut-il vous rappeler que, pour protester contre le Sénat, qui était alors aux ordres de Napoléon le Petit, le provocateur Hugo

avait trouvé drôle d'appeler son chien « Sénat » ?

Le Sénat du XXI e siècle qui vous accueille aujourd'hui, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, a la tête haute.

Je voudrais saluer M. Valdas Adamkus, président de la République de Lituanie, M. Simcon de Saxe-Cobourg-Gotha, Premier ministre de Bulgarie, ancien roi de ce pays, qui symbolise aujourd'hui la jeune démocratie bulgare, appelée à entrer dans l'Europe élargie, M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, Mme Françoise Rivière, directrice générale adjointe de l'UNESCO, M. Jorge Semprun, écrivain, homme politique et homme de courage, M. François Cheng. Nous n'avons pas attendu que l'Académie française vous accueille, monsieur Cheng, pour admirer à la fois l'exilé de la Chine de Mao Zedong et l'écrivain.

Je saluerai aussi M. Bachir Boumaza, ancien président du Conseil de la nation en Algérie, ami du président Christian Poncelet - peut-être aussi, je le dis modestement, le mien -, grand expert et connaisseur de Victor Hugo, qui a connu vingt-sept années d'exil, du fait des Français, mais surtout du fait de son propre pays, l'Algérie.

Vous avez de la chance, vous, les jeunes élus du bicentenaire de Victor Hugo, d'avoir près de vous ces figures qui incarnent les drames et les espoirs du XX e siècle.

L'un des invités, M. Gürsel, qui est turc, rappelait hier dans le journal Le Monde, que la littérature du XX e siècle est une littérature d'exil, avec une destinée commune, le départ de l'errance, dont il témoignera.

Quant à Victor Hugo, il est toujours ici: une salle porte son nom, où vous y avez travaillé ce matin. Dans deux semaines, Victor Hugo accueillera au Panthéon son ami Alexandre Dumas, dont il dit dans Choses vues qu'il était peut-être « un peu trop frisé ». L'UNESCO a fait de ce samedi 16 novembre la journée mondiale de la tolérance.

Madame Françoise Rivière, qui représentez PUNESCO et son directeur général, M. Matsuura, nous allons écouter votre message.

Mme Françoise Rivière, directrice générale adjointe de l'UNESCO. Permettez-moi tout d'abord de remercier chaleureusement le Sénat et son président Christian Poncelet d'avoir voulu associer l'UNESCO à ce qui est, bien lus qu'une commémoration, une véritable invitation à action.

Victor Hugo est, bien sûr, une figure emblématique tout à la fois de l'exil et de la tolérance. Le rejet de l'autoritarisme politique fut certainement l'un des principaux motifs de son exil. Mais cet exil lui-même a fortifié d'autres combats contre l'intolérance, sociale ou humaine, qu'il s'agisse de la cause des femmes, des droits des enfants, de la peine de mort ou de l'esclavage.

Bien des combats menés par Victor Hugo ont été gagnés depuis lors. En témoigne le corpus - sans cesse complété - des droits universellement reconnus. Et si les principes et valeurs démocratiques sont loin d'être universellement appliqués, ils sont pour le moins, aujourd'hui, très largement revendiqués.

Pourtant, force est de constater que, dans le même temps, l'intolérance a progressé partout et qu'elle fait des victimes à une échelle sans précédent, même si ses causes et ses manifestations ont beaucoup changé de nature. De la résurgence des rancoeurs historiques dans les Balkans à la recrudescence des agressions racistes en Europe de l'Ouest, du génocide du Rwanda au terrorisme fanatique d'Al-Qaida, l'intolérance, si elle pose toujours des problèmes éthiques, est de plus en plus considérée comme une menace majeure pour la démocratie, la paix et la sécurité.

C'est que, depuis la fin de la guerre froide, les guerres ont changé de nature : elles n'opposent plus, bien souvent, des États ni même nécessairement des armées. Elles déchirent les sociétés elles-mêmes et puisent leurs racines dans la discrimination, l'exclusion sociale et des préjugés ancestraux qui sont autant d'alibis éthnico-culturels.

Et que dire de ces « nouvelles ignorances » qui sont nées de la mondialisation et de l'incapacité d'affronter le contact direct avec l'autre autrement que comme une agression ? Les processus de mondialisation ont comme libéré le monde de toute frontière : ce faisant, ils ont propulsé - au moins symboliquement - des populations et des individus les uns contre les autres, sans initiation ni préparation d'aucune sorte, dans le brassage quotidien des villes multiethniques ou dans cette étrange immédiateté que créent les nouveaux médias. Nous n'avons que trop d'exemples des manichéismes et des amalgames de toute sorte qui peuvent en résulter, tout comme de ce repli sécuritaire qui a affecté tant de pays après les événements du 11 septembre 2001.

La tolérance devrait donc être abordée, aujourd'hui, dans une perspective profondément renouvelée, liée non plus tant à l'exil et à la séparation qu'à la rencontre et à la coexistence. Dans un monde devenu interdépendant, dans des sociétés de plus en plus multiethniques, multireligieuses et multilingues, le vrai défi est d'assurer une interaction harmonieuse et un « vouloir vivre ensemble » de populations, de groupes, de personnes aux identités culturelles très diversifiées. Tolérance et diversité culturelle ont ainsi partie liée, cette diversité qui est notre richesse, et qui est même, comme vient de le reconnaître l'UNESCO, un patrimoine commun à l'humanité tout entière. Comme telle, la diversité culturelle - à l'instar de la diversité biologique - doit être préservée, car elle est source d'innovations, d'échanges et donc de créativité. Mais, pour que la diversité culturelle, qui est d'ailleurs aujourd'hui terriblement menacée par le rouleau compresseur de la mondialisation, reste une diversité créatrice et non pas suicidaire, il faut, comme disait Lévi-Strauss, « qu'elle se réalise sous des formes dont chacune soit une contribution à la plus grande générosité des autres ».

C'est sans doute cela la tolérance, au XXI e siècle : une vertu qui permet de retirer du contact avec l'autre, comme de soi-même, la plus grande générosité. Tel est le sens de la déclaration de principe sur la tolérance qui a été adoptée par l'UNESCO - par les États membres de l'UNESCO - le 16 novembre 1995, il y a donc sept ans jour pour jour, à l'occasion du 50 e anniversaire de la création de notre institution. Une déclaration, me diriez-vous, ce ne sont que quelques mots jetés sur le papier. Mais ces quelques mots peuvent parfois changer la face du monde : il suffit de penser à la Déclaration universelle des droits de l'homme !

Cette déclaration sur la tolérance - dont des copies sont disponibles dans l'hémicycle - propose d'abord une définition nouvelle du mot, à l'opposé de la conception passive communément admise - celle que traduit, par exemple, l'expression « maison de tolérance ». Elle vise à une définition dynamique que Victor Hugo n'aurait certainement pas reniée : « La tolérance n'est ni concession, ni condescendance, ni complaisance. La tolérance est avant tout une attitude active animée par la reconnaissance des droits universels de la personne humaine et des libertés fondamentales. » En d'autres termes, il ne s'agit pas de « tolérer l'intolérable », mais, bien au contraire, de le combattre. La tolérance est un refus, refus de toute violation des droits de l'homme et de toute atteinte à la dignité humaine. Mais elle est aussi une attitude d'ouverture et d'empathie, qui rend possible non seulement le respect, l'acceptation, mais aussi l'appréciation de l'autre. La tolérance, c'est le contraire de l'indifférence : c'est une volonté d'écoute et de compréhension. Autant d'attitudes qui ne sont pas innées, qui supposent un minimum de connaissances - sur la diversité des modes d'expression, des manières d'être, des croyances et des systèmes de valeurs -, ainsi que l'aptitude à l'interaction et au dialogue.

La tolérance est donc tout à la fois une vertu - d'ordre éthique - et une nécessité, aussi bien juridique que politique. Elle engage la responsabilité des États, mais aussi celle des groupes et des individus.

La tolérance a bien évidemment besoin, pour exister, d'un État de droit ; elle nécessite des lois qui garantissent le respect des droits de l'homme, tous les droits de l'homme, civils et politiques, mais aussi économiques, sociaux et culturels. Et là, nous sommes sans doute encore bien loin du compte, même dans les démocraties dites avancées. Il nous faudra beaucoup d'imagination et d'innovations sociales pour pouvoir garantir, un jour, une réelle égalité de traitement aux différents groupes et individus qui composent une société, pour faire vivre un authentique pluralisme culturel, qui intègre sans assimiler, pour assurer une totale liberté d'expression, tout en protégeant les droits et la dignité de chacun, dans la presse écrite et audiovisuelle mais aussi - et c'est encore plus ardu - dans l'Internet et le cyberespace. Mais si les comportements peuvent être encadrés par le droit et par la loi, les attitudes, elles, sont du ressort individuel. Et les attitudes se forment dès le plus jeune âge. D'où l'importance cruciale de l'éducation. Il faut éduquer plus, c'est vrai ; il faut peut-être surtout éduquer mieux. Il faut mettre en place une sorte d' « éducation de base » aux différentes cultures et - pourquoi pas ? - une « anthropologie religieuse » - c'est-à-dire une présentation objective, même si elle est succincte, des principales religions. Il faut développer l'enseignement des langues étrangères, tant il est vrai qu'une langue n'est pas seulement un outil de communication, mais une vision du monde. Il faut développer les aptitudes relationnelles chez l'élève et le fonctionnement démocratique de l'école. Il faut éliminer les préjugés et les stéréotypes des manuels scolaires par le biais des révisions bilatérales ou multilatérales. Bref, il faut faire de l'éducation - qui est un processus permanent, appelé à durer tout au long de la vie - le véritable bras armé du combat pour la tolérance.

Dans le même temps - et c'est ainsi que je conclurai -, je ne pense pas que l'on puisse tout attendre des gouvernements et des institutions. Il en va de notre responsabilité individuelle. L'intolérance d'une société n'est, après tout, que la somme de l'intolérance de ses membres. L'intolérance engendre l'intolérance, on le sait, et nous sommes tous partie intégrante du problème, autant que de sa solution. L'action non violente, et toutes ses techniques, dont les figures comme Gandhi ou Martin Luther King ont démontré la puissance, est possible. Rien ne nous empêche de former un groupe ou d'organiser un réseau pour manifester une solidarité active avec des victimes de l'intolérance ; rien ne nous empêche de réfuter un préjugé ou de discréditer une propagande haineuse.

La force de l'exemple est considérable. La force de la pensée est considérable, celle de la parole aussi. Tel est bien le pari sur lequel l'UNESCO a été créée : son acte constitutif lui donne pour mission de « bâtir les défenses de la paix dans l'esprit des hommes » en s'appuyant sur la « solidarité intellectuelle et morale de l'humanité ». Tel est, aussi, l'objectif de cette journée internationale de la tolérance qui a été créée il y a sept ans sur l'initiative de l'UNESCO, et qui est désormais célébrée tous les ans le 16 novembre, c'est-à-dire aujourd'hui. C'est une occasion pour susciter des idées nouvelles, des débats, des prises de conscience, des engagements individuels et collectifs. La réunion d'aujourd'hui - qui regroupe responsables politiques, intellectuels, lycéens - est de bon augure. Merci donc au Sénat d'avoir organisé cette rencontre, qui nous autorise à croire que le combat pour la tolérance, un jour, pourra être gagné. (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. Madame Françoise Rivière, vous venez de présenter le programme d'action et les beaux engagements de l'UNESCO. Quel dommage que vous n'ayez pas le pouvoir d'imposer cette valeur qu'est la tolérance ! Je m'adresserai maintenant à l'intellectuel et au philosophe Luc Ferry plutôt qu'au ministre pour lui demander de nous dire ce qu'est la tolérance et s'il la conçoit comme une valeur de résistance et de combat.

M. Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de la Recherche. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, pour ouvrir le débat et vous provoquer un peu, je dirai qu'il faut garder l'idée que la tolérance n'est pas forcément une bonne chose. Je vous demande d'y réfléchir.

On a tendance à dire que la tolérance, c'est une valeur extraordinaire, c'est le respect des autres. Mais, quelquefois, la tolérance peut être dangereuse.

Les deux précédents orateurs, notamment le président Christian Poncelet, ont souligné que l'intolérable existait. Faut-il donc tolérer l'intolérable ? Telle est la vraie question que pose l'idée de tolérance.

Je prendrai deux exemples.

Vous avez sans doute travaillé toute l'année sur les oeuvres de Victor Hugo.

Quelqu'un parmi vous se souvient-il des endroits où Victor Hugo a été exilé ?

Plusieurs élèves. Guernesey!

M. Luc Ferry, ministre. Oui. Et avant d'être à Guernesey, a-t-il été exilé ailleurs ?

Plusieurs élèves. A Jersey !

M. Luc Ferry, ministre. Et avant Jersey ?

Plusieurs élèves. En Belgique !

M. Luc Ferry, ministre. Très bien !

Je voudrais encore vous poser une question. Par qui Victor Hugo a-t-il été exilé?

Plusieurs élèves. Napoléon III !

M. Luc Ferry, ministre. Très bien !

Pendant son exil, il apprend que d'autres exilés comme lui préparent un attentat contre Napoléon III, pour le tuer. Que fait alors Victor Hugo ? Dans un long discours, il leur dit : « Même si c'est notre adversaire, même si c'est lui qui nous a exilés, il ne faut pas le tuer. » Vous le savez, Victor Hugo était contre la peine de mort.

Un jour, dans un collège que j'ai visité, deux jeunes âgés de seize ans et de dix-sept ans ont racketté des petits, et ont jeté sur un sol en béton d'une balustrade haute de plusieurs mètres un enfant âgé de dix ans et demi qui ne voulait pas payer. Il aurait pu se tuer. Il s'est simplement cassé un bras, une jambe et quelques côtes.

Si vous êtes un jour le témoin d'une telle scène, croyez-vous qu'il faudra la tolérer ?

Plusieurs élèves. Non !

M. Luc Ferry, ministre. Il y a des moments où la tolérance est une grande valeur, et il y a des moments où elle est une lâcheté, une forme de complicité. C'est toute la difficulté de l'idée de tolérance.

Nous devons donc nous demander quels sont les critères de ce que l'on doit tolérer et de ce que l'on ne doit pas tolérer. C'est, me semble-t-il, la vraie question.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Le philosophe Luc Ferry nous dit que si l'on n'est ni Gandhi, ni le Christ, ni le Dalaï-Lama, ni Nelson Mandela, on peut ne pas être tolérant avec celui qui n'est pas tolérant.

M. Luc Ferry, ministre. Même le Christ, lorsqu'il chasse les marchands du temple n'est pas très tolérant ; il les « engueule » fermement, pour parler franchement. (Sourires.)

Il faut faire attention, tout n'est pas tolérable.

M. Jean-Pierre Elkabbach. La tolérance s'apprend-elle ?

M. Luc Ferry, ministre. Oui, elle s'apprend. Quand on a des enfants, on sait que ceux de deux ans ne sont pas tolérants, ils ne supportent rien. Si les yeux des petits de deux ans étaient des mitraillettes, l'humanité aurait disparu depuis longtemps ! On apprend la tolérance, on devient tolérant, mais il ne faut pas non plus tout supporter. Telle est la difficulté.

M. Christian Poncelet, président du Sénat. Il ne faut pas que la tolérance s'apparente à un lâche soulagement, qui peut par la suite avoir des conséquences particulièrement douloureuses, comme certains événements récents nous l'ont montré.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Vous allez maintenant entendre le message que le grand violoncelliste Rostropovitch, ami de Sakharov et de Soljenitsyne, nous adresse à l'occasion de la journée mondiale de la tolérance.

C'est Yann Weibel, du collège Victor-Hugo, de Colmar, qui va le lire du haut de cette prestigieuse tribune. C'est un honneur de prêter sa voix à Rostropovitch, l'exilé, le dissident, qui n'a cessé, tout au long de sa vie et au nom de la vie, de défendre les droits de l'homme.

Yann Weibel, comment avez-vous connu Rostropovitch ? L'avez-vous vu ou entendu jouer de son violoncelle ?

M. Yann Weibel. Il est difficile d'ignorer une telle personnalité, surtout quand elle orne la couverture de notre livre d'histoire-géographie ! (Rires.) Oui, je le connais ; j'apprécie beaucoup sa musique ; j'aime beaucoup cet homme.

« Chers amis !

« Tout d'abord, laissez-moi vous exprimer les regrets que j'ai à ne pas me trouver parmi vous aujourd'hui, quand - sous l'égide de Victor Hugo, dont les oeuvres m'accompagnent dans mon perpétuel tour du monde - vous évoquez deux idées si intimement liées à mon destin : l'exil et la tolérance. Je tiens à rendre un hommage particulier à M. le président du Sénat ainsi qu'au bureau de la Haute Assemblée, dont l'heureuse initiative me permet de partager avec vous ces quelques réflexions. « Lorsque Galina Vishnevskaïa, mon épouse, et moi-même avons appris que nous étions déchus de notre nationalité, j'ai abruptement pris conscience de l'état d'exil dans lequel vivaient déjà un certain nombre de nos amis. Pour fuir cet exil peut-être, j'ai recréé dans mon appartement parisien un espace entièrement meublé d'objets russes acquis au gré de mes tournées dans le monde entier. C'est là que pendant de nombreuses années je me suis "exilé" moi-même, "exilé" du reste du monde, "exilé" de mon état d'exil, dans un espace qui n'était ni ma patrie ni l 'étranger", et les deux à la fois.

« Cependant Dieu m'avait offert le plus beau et le plus reconnu des passeports : la musique. Je me suis engouffré à corps perdu dans le tourbillon des concerts donnés sur tous les points du globe. J'observais chaque pays, chaque ville, chaque langue, chaque visage, en y cherchant ce que je pensais avoir perdu : la sérénité de savoir être chez soi quelque part. Et tous ces pays, toutes ces villes, toutes ces langues et ces visages - emportés par les notes que je leur jouais - m'ont offert de trouver ce dont je suis sûr aujourd'hui : la sérénité de savoir être partout chez moi. « Actuellement, c'est avec l'aide précieuse d'amis français, américains, espagnols, allemands, britanniques et de tant d'autres personnalités, que Galina et moi couvrons pour l'enfance en Russie ; je suis fier de savoir qu'en 2004 nous aurons concouru à la vaccination de tous les enfants russes. Un travail de titans qui n'a pu aboutir que grâce à l'union de tous ces enthousiasmes et de toutes ces compétences exaltés par delà les pays, les villes, les langues et les visages.

« Je veux croire que ces enfants, comme ceux qui sont ici maintenant, sauront perpétuer cet élan d'intelligence et d'amour : la tolérance. « Je vous souhaite à tous une riche et belle journée. « Votre Slava. » (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. Yann Weibel, je vous remercie d'avoir lu ce très beau message de Mstislav Rostropovitch.

Votre génération connaît ou devrait connaître Andrzej Wajda, ce grand réalisateur, autrefois interdit par les dirigeants communistes de son pays, la Pologne.

Àndrzej Wadja, retenu chez lui pour des raisons de santé, a demandé à un excellent comédien que vous allez reconnaître, Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie française, de lire son message.

M. Denis Podalydès. « Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs, le bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, ainsi que son exil tragique de France nous obligent à nous souvenir de ce que nous, Polonais, savons sur l'émigration forcée. Le XIX e siècle fut l'époque de la grande émigration polonaise qui a trouvé en France sa seconde patrie et dont le sort douloureux est évoqué dans mon film Pan Tadeusz.

« Le XX e siècle ne nous a pas permis d'oublier cette peine cruelle qu'infligeait le pouvoir aux auteurs et aux artistes, laissant ceux qui étaient restés au pays dans une situation caractérisée par des ambiguïtés morales.

« Permettez-moi donc de réfléchir sur ma vie et d'évoquer ainsi le thème de l'exil dans un pays et à une époque où il m'a été donné de vivre.

« Depuis 1958, lorsque le jury du Festival de Cannes a remarqué et a primé mon film Canal, la question revenait sans cesse : "Pourquoi n'avez-vous pas quitté la Pologne communiste et pourquoi ne cherchez-vous pas votre place dans le monde libre ?" Je trouve la meilleure réponse à cette question dans les Notes de l'exil écrites par le plus grand poète polonais Czeslaw Milosz, durement éprouvé par de longues années d'exil : "La censure peut bien tolérer les diverses facéties d'avant-garde, car celles-ci occupent le temps de l'écrivain et font de la littérature une distraction anodine pour une élite très restreinte. Mais, dès que l'écrivain montre de l'intérêt pour la réalité, la censure se met à frapper. Si, par suite d'un bannissement, ou par sa propre décision, il se trouve en exil, il déverse sa colère, longtemps contenue, ainsi que ses réflexions et ses observations, considérant tout cela comme son devoir et sa mission. Cependant, ce qui est considéré dans son pays avec gravité, comme une question de vie ou de mort, n'intéresse personne à l'étranger, ou alors suscite de l'intérêt pour des raisons hasardeuses. Aussi bien, l'écrivain constate qu'il ne peut pas s'adresser à ceux qui tiennent à ces questions, en revanche il peut s'adresser uniquement à ceux qui ne se sentent pas concernés."

« L'école polonaise de cinéma a rejeté "les facéties d'avant-garde", par conséquent, mon conflit avec la censure était inévitable. Mais, pour moi, ce n'était pas le plus important. Ce qui comptait le plus, c'était la réponse à la question portant sur mon expérience de vie que je voulais transmettre aux autres, ce que j'avais à dire au monde et ce que je souhaitais lui montrer à travers mes films, puisque j'ai vécu la guerre la plus horrible de nos temps.

« Jusqu'au jour, ô Pologne ! où tu nous montreras

« Quelque désastre affreux, comme ceux de la Grèce,

« Quelque Missolonghi d'une nouvelle espèce,

« Quoi que tu puisses faire, on ne te croira pas.

« Battez-vous et mourrez, braves gens. - L'heure arrive.

« Battez-vous, la pitié de l'Europe est tardive.

« Il faut des levains qui ne soient point usés !

« Battez-vous et mourez, car nous sommes blasés ! »

Alfred de Musset A la Pologne (1831).

« Justement, j'avais une vision de ce "désastre affreux" et c'est moi qui avais, grâce à la puissance du cinéma, la possibilité de le faire voir à mes contemporains. Il est vrai que les queues-de-pie et les toilettes de soirée des dames, arborées lors de ce Festival de Cannes de 1958, n'allaient pas très bien avec l'image des Polonais pataugeant dans les égouts. Mais l'Europe réunie à cette soirée, bien "qu'à la pitié tardive", ne s'est pas pour autant montrée blasée. J'en ai tiré des conclusions et je suis resté en Pologne. Lorsque, sous l'occupation allemande, j'apprenais pendant des cours clandestins l'histoire de la Grèce antique, il m'était difficile de comprendre pourquoi les Grecs avaient placé le bannissement en tant que peine la plus sévère infligée à leurs concitoyens, juste après la peine de mort. En effet, quitter cet enfer que représentait la Pologne au temps de la guerre était le rêve de tout un chacun. « Dans les années soixante, je voyais déjà le problème de manière différente. Un écrivain vivant à l'étranger peut créer dans sa langue maternelle des oeuvres qui seront peut-être publiées des années plus tard et qui occuperont la place qui leur est due dans la littérature de son pays d'origine. Un cinéaste ne peut travailler que lorsqu'il aura trouvé des moyens et des hommes têts à relever avec lui le risque de la réalisation d'un film.

« A l'époque, j'ignorais que toutes les hésitations et tous les doutes étaient encore devant moi et j'ai profité de ce que le monde occidental voulait savoir ce qui se passait au-delà du mur de Berlin et qu'il percevait avec un réel intérêt tous les signaux contenus dans nos films, réalisés de l'autre côté du mur. « Pourtant, mon travail à Paris sur le film Danton, en 1982, et cette grande récompense que fut pour moi la réception de la Légion d'honneur m'ont bien fait réfléchir sur cette éventualité : la "douce France" ne pouvait-elle pas devenir pour moi, comme pour tant d'autres Polonais, une seconde mère ? Ce n'est que plus tard que j'ai compris pourquoi cela ne s'était pas fait. « L'exil est moralement suspect, car il rompt la solidarité avec le groupe. Petit à petit, j'ai acquis la conscience qui, comme le dit Hamlet, "fait de nous des lâches". J'ai eu peur de cette solitude et je n'ai pas pu étouffer en moi cette peur. C'est alors que j'ai compris la cruauté de la peine de bannissement dans l'antique Athènes.

« Il est vrai que j'avais pour ma défense mes deux films qui montraient comment naît la résistance ouvrière dirigée contre le pouvoir "ouvrier", films que personne d'autre que moi n'aurait pu réaliser de ce côté du mur L'Homme de marbre et L'Homme de fer, primé par la Palme d'Or à Cannes. Mais est-ce que cela pourrait suffire et, sinon, que restait-il à faire ?

« Et je n'avais toujours pas de bonne réponse à la question : pourquoi n'ai-je pas cherché pour moi une place dans le monde libre ?

« La réponse à une autre question s'est révélée, elle, inéluctable. Si j'ai pu échapper à la peine de bannissement, c'est que, peut-être, je ne l'ai pas méritée !

« Il ne me reste donc qu'à rechercher une justification. J'ai vécu une époque qui n'a laissé personne dans l'indifférence et qui réclamait à chacun une réponse : oui, oui- non, non ! Je n'ai pas donné de réponse claire. Est-ce bien étonnant ? J'ai eu peur de l'image d'un exilé par laquelle Czeslaw Milosz commence ses Notes de l'exil :

« Il était conscient de sa mission et des gens attendaient ses paroles, mais on lui a interdit de parler. Là où il habite à présent, il est libre de parler, mais personne ne l'écoute et, qui plus est, il a oublié ce qu'il avait à dire. »

« Que cette citation du grand poète soit ma justification. »

« Andrzej Wajda. » (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. Denis Podalydès, je vous remercie d'avoir lu le message d'Andrzej Wajda. Vous avez été emporté par la dynamique du texte et nous avons pu voir combien chacun de ces exilés porte en lui le besoin à la fois de s'expliquer et de dire ce qu'il a vécu, ce qu'il a souffert.

Monsieur le président de la République de Lituanie, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation du président Christian Poncelet et, par là même, du Sénat.

La Lituanie est l'un des trois États baltes qui a souffert des dictatures du XX e siècle.

Elle s'en est libérée et s'invente un avenir.

Monsieur Valdas Adamkus, pour vous, est-ce que tolérer c'est pardonner ?

M. Valdas Adamkus, président de la République de Lituanie. 1 ( * ) Monsieur le président, je tiens à vous remercier de m'avoir invité à ce colloque, qui rend hommage à l'un des fils les plus illustres de la France.

Au XIX e siècle, Victor Hugo a évoqué des principes, des idées, qui sont très fortes et toujours d'actualité, à savoir la tolérance, l'humanisme et l'égalité sociale.

Mon pays et moi-même nous sommes retrouvés dans une situation qui a été en quelque sorte, celle de Victor Hugo en son temps : c'est le totalitarisme qui a mis des barrières sur notre chemin.

Lorsque nous parlons de tolérance, tout semble très clair. Mais, lorsque nous sommes confrontés au problème de la violation des droits de l'homme, nous nous rendons compte que nous devons lutter contre ces violations jusqu'au bout.

Près de 100 000 de mes compatriotes ont fait le choix de la lutte ; c'est la raison pour laquelle nous avons été amenés à vivre pendant presque cinquante ans en dehors de notre pays, en exil.

Nous avons entendu le message de Victor o, d'après qui il fallait lutter pour ses idéaux jusqu'à la Hugo. C'est ce que nous avons fait, et finalement nos efforts ont été couronnés de succès. Nous avons remporté la victoire !.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Il est bien de reconnaître qu'il y a des Lituaniens qui ont combattu et qui ont souffert. Comme toujours dans ces pays, on a tendance à oublier ceux qui ont été parfois complices ou complaisants à l'égard de ceux qui les ont occupés ou dominés.

Comme le président de la République de Lituanie, le président du Sénat et le ministre de la jeunesse l'ont dit tout à l'heure, il ne faut pas oublier que la tolérance est un combat.

Maintenant Mme Nada Strancar va nous lire un texte de Victor Hugo.

Madame, vous êtes assise à la place du sénateur Victor Hugo. Je suis sûr qu'il aurait apprécié votre participation, pas seulement parce que vous êtes une femme, pas seulement parce que vous êtes une impressionnante comédienne, mais avant tout parce qu'il défendait toutes les grandes causes, notamment la tolérance, en se référant parfois à Montaigne, à Pascal, à Voltaire.

Mme Nada Strancar. « À Toulouse, le 13 octobre 1761, on trouve dans la salle basse d'une maison un jeune homme pendu. La foule s'ameute, le clergé fulmine, la magistrature informe. C'est un suicide, on en fait un assassinat. Dans quel intérêt ? Dans l'intérêt de la religion. Et qui accuse-t-on ? Le père. C'est un huguenot, et il a voulu empêcher son fils de se faire catholique. Il y a monstruosité morale et impossibilité matérielle ; n'importe ! ce père a tué son fils, ce vieillard a pendu ce jeune homme. La justice travaille et voici le dénouement. Le 9 mars 1762, un homme en cheveux blancs, Jean Calas, est amené sur une place publique, on le met nu, on l'étend sur une roue, les membres liés en porte-à-faux, la tête pendante. Trois hommes sont là sur l'échafaud, un capitoul nommé David chargé de soigner le supplicié, un prêtre, qui tient un crucifix, et le bourreau, une barre de fer à la main. Le patient, stupéfait et terrible, ne regarde pas le prêtre et regarde le bourreau. Le bourreau lève la barre de fer et lui brise le bras. Le patient hurle et s'évanouit. Le capitoul s'empresse, on fait respirer des sels au condamné, il revient à la vie ; alors, nouveau coup de barre, nouveau hurlement ; Calas perd connaissance ; on le ranime, et le bourreau recommence ; et comme chaque membre, devant être rompu en deux endroits, reçoit deux coups, cela fait huit supplices. Après le huitième évanouissement, le prêtre lui offre le crucifix à baiser, Calas détourne la tête, et le bourreau lui donne le coup de grâce, c'est-à-dire lui écrase la poitrine avec le gros bout de la barre de fer. Ainsi expira Jean Calas. Cela dura deux heures. Après sa mort, l'évidence du suicide apparut. Mais un assassinat avait été commis. Par qui ? Par les juges.

« Alors, ô Voltaire, tu poussas un cri d'horreur, et ce sera ta gloire éternelle ! « Alors tu commenças l'épouvantable procès du passé, tu plaidas contre les tyrans et les monstres la cause du genre humain, et tu la gagnas. Grand homme, sois à jamais béni !

« Messieurs, les choses affreuses que je viens de rappeler s'accomplissaient au milieu d'une société polie ; la vie était gaie et légère (...), la cour était pleine de fêtes, Versailles rayonnait, Paris ignorait

« En présence de cette société frivole et lugubre, Voltaire, seul, ayant là sous ses yeux toutes les forces réunies, (...) Voltaire, seul, je le répète, déclara la guerre à cette coalition de toutes les iniquités sociales, à ce monde énorme et terrible, et il accepta la bataille. Et quelle était son arme ? Celle qui a la légèreté du vent et la puissance de la foudre. Une plume.

« Avec cette arme il a combattu, avec cette arme il a vaincu.

« Voltaire a vaincu (...). Il a vaincu la violence par le sourire, le despotisme par le sarcasme, l'infaillibilité par l'ironie, l'opiniâtreté par la persévérance, l'ignorance par la vérité.

« Je viens de prononcer ce mot, le sourire, je m'y arrête. Le sourire, c'est Voltaire (...). Ah ! soyons émus de ce sourire. Il a eu des clartés d'aurore. Il a illuminé le vrai, le juste, le bon (...). Étant lumineux, il a été fécond. La société nouvelle, le désir d'égalité et de concession et ce commencement de fraternité qui s'appelle la tolérance, la raison, reconnue loi suprême (...), l'harmonie, la paix, voilà ce qui est sorti de ce grand sourire (...).

« A Voltaire, un cycle nouveau commence. On sent que désormais la suprême puissance gouvernante du genre humain sera la pensée (...). Plus d'autre souveraineté que la loi pour le peuple et la conscience pour l'individu. Pour chacun de nous, les deux aspects du progrès se dégagent nettement, et les voici : exercer son droit, c'est-à-dire, être un homme ; accomplir son devoir, c'est-à-dire, être un citoyen. » (Vifs applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. On le voit bien, ce sont toujours des textes forts. D'une certaine manière, Victor Hugo est présent dans cet hémicycle grâce à Jacques Seebacher, qui fait partie des quelques hugoliens français ayant aidé à faire connaître Victor Hugo.

Monsieur Seebacher, Victor Hugo aurait-il aimé ce cortège d'hommages qui lui sont rendus ou bien en aurait-il été agacé ?

M. Jacques Seebacher. Victor Hugo aimait les hommages quand ils étaient mérités, comme cet hommage à Voltaire que nous venons d'entendre. Il aimait les hommages quand ils étaient sincères et quand ils venaient de l'intelligence aussi bien que du coeur.

Il ne détestait pas le public, qui est déjà une forme érigée de la foule, une forme presque accomplie du peuple, la responsabilité du public venant s'ajouter à sa représentativité.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Je me permets de saluer M. Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, qui est Premier ministre de Bulgarie.

Nous vous souhaitons la bienvenue en France, où vous avez rencontré le Président de la République, le président du Sénat et le premier ministre.

La France vous accueille avec plaisir, en attendant l'entrée prochaine de votre pays au sein de l'Europe élargie, selon le calendrier qui est en préparation.

A présent, cinq élèves de différents lycées et collèges vont, à tour de rôle, poser une question au nom des commissions qui ont travaillé ici sous la présidence de sénateurs : Mmes Marie-Claude Beaudeau, Hélène Luc, Monique Papon, MM. Jean Arthuis, Robert Del Picchia, Roger Lagorsse et Georges Mouly.

QUESTION A MME FRANÇOISE RIVIERE,
DIRECTRICE GÉNÉRALE ADJOINTE DE L'UNESCO

M. Jean-Pierre Elkabbach. La parole est à M. Alexandre Schulteiss, qui est en classe de quatrième au collège Victor-Hugo de Carmaux dans le Tarn.

M. Alexandre Schulteiss. Ma question s'adresse à Mme Françoise Rivière, directrice générale adjointe de l'UNESCO.

Quelles sont les actions concrètes menées par l'UNESCO contre la prostitution des enfants ? Ces mesures concernent-elles à la fois les pays pauvres et les pays riches ?

M. Jean-Pierre Elkabbach. La parole est à Mme Françoise Rivière.

Mme Françoise Rivière, directrice générale adjointe de l'UNESCO. Je vais reprendre une des remarques qui ont été faites, en introduction, par M. Elkabbach. Il est vrai que, à la différence des gouvernements nationaux, l'UNESCO, pas plus que les autres institutions du système des Nations unies, n'a d'armée, de tribunaux, de police ou de prisons pour faire respecter la loi.

Cela ne, veut pas dire que nos nations ne peuvent pas élaborer de lois. Elles peuvent faire des déclarations - on en a parlé tout à l'heure - et même plus, des conventions qui., lorsqu'elles sont signées par les États, ont force de loi.

Cela dit, quand les États ne les appliquent pas, il est difficile de faire autre chose que de les dénoncer, à travers des rapports, des statistiques. Cela a parfois beaucoup d'effet, notamment dans un domaine dont s'occupe particulièrement l'UNESCO - je veux parler de l'éducation.

Récemment, nous avons publié un rapport sur les efforts faits par les gouvernements depuis un certain nombre d'années pour aller vers ce que l'on appelle « l'éducation pour tous », qui comprend, notamment, l'enseignement primaire, universel et obligatoire...

M. Jean-Pierre Elkabbach. Ce sont les principes, madame Rivière. Mais ce que veulent savoir les élevés, c'est s'il existe, au sein de l'UNESCO, des pays qui ne respectent rien ou qui sont complices de ceux qui ne respectent rien et que tout le monde tolère.

Mme Françoise Rivière, directrice générale adjointe de l'UNESCO. Bien sûr qu'il en existe ! Surtout que l'UNESCO regroupe presque tous les pays du monde. Mais cette institution ne peut pas exclure les pays qui ne respectent pas les lois qu'ils ont signées !

M. Jean-Pierre Elkabbach. C'est dommage !

Mme Françoise Rivière, directrice générale adjointe de l'UNESCO. En revanche, il y a la force de la parole, dont on nous a dit tout à l'heure qu'elle pouvait être importante.

J'en reviens à la question qui m'a été posée sur la prostitution des enfants. L'UNESCO ne s'occupe pas spécifiquement de ce domaine. C'est l'UNICEF qui en est plus particulièrement chargée et qui d'ailleurs a publié la fameuse Déclaration des droits de l'enfant, proscrivant notamment la prostitution des enfants. Nous pouvons, en revanche, nous attaquer aux causes de cette prostitution. En effet, le travail ou la prostitution des enfants sont liés au fait que des enfants sont dans la rue. Ils sont alors obligés de trouver les moyens de survivre et c'est pour cela qu'ils ne sont pas à l'école. L'objectif de l'UNESCO est de faire en sorte qu'ils y retournent. Mais, pour y parvenir, des lois ou la police ne suffisent pas ! Il faut essayer de réinsérer progressivement ces enfants en leur offrant, d'abord, non pas de l'éducation, mais un moyen de survie. A cet égard, nous avons un programme appelé « le programme des enfants de la rue », qui se développe assez rapidement dans le monde entier, y compris dans les pays développés.

Permettez-moi de vous citer le très bel exemple de « L'orchestre aux pieds nus », au Brésil, qui vient d'ailleurs de faire l'objet de l'émission de télévision « Faut pas rêver ». C'est l'histoire d'une personne qui, elle aussi, vient de la rue. N'ayant pas de nom, elle a décidé de s'appeler Mozart. Elle a regroupé les enfants chez qui elle avait détecté un goût pour la musique et qui ont accepté de la suivre pour leur apprendre un instrument et leur apporter un peu d'éducation. Peu à peu, ils ont formé un orchestre qui a acquis une certaine réputation.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Madame Rivière, nous souhaitons à M. Lula de créer de très nombreux orchestres comme celui que vous venez de citer et de favoriser tous les Mozart du Brésil, de l'Argentine, de l'Amérique latine, de l'Afrique ! Vous parliez de la force de la parole. Je n'irai pas qu'à vous demander de nommer les pays proxénètes. Cela vous serait d'ailleurs peut-être difficile !

Mme Françoise Rivière, directrice générale adjointe de l'UNESCO. Ce n'est pas le rôle de l'UNESCO ! En revanche, nous montrons du doigt les pays qui ne remplissent pas leurs engagements par rapport à l'éducation, car c'est le domaine de l'UNESCO, en espérant que cela aura un certain effet. C'est d'ailleurs souvent le cas. je pourrais vous citer beaucoup d'exemples.

QUESTIONS À M. JORGE SEMPRUN

M. Jean-Pierre Elkabbach. La parole est à Mlle Marine Rocton, qui est en classe de troisième au collège Victor-Hugo du Donjon dans l'Allier.

Mlle Marine Rocton. Ma question s'adresse à M. Jorge Semprun.

Après votre exil, considérez-vous certains de vos ouvrages comme une thérapie personnelle ?

M. Jorge Semprun. Sur un plan personnel, je ne crois pas être très représentatif, car je ne me sens pas exilé. Mon exil à moi est un exil collectif. En effet, je suis solidaire de l'exil républicain espagnol qui mériterait toute une séance pour rappeler l'histoire, les engagements et la souffrance liés à cet extraordinaire renversement de l'histoire qui a contribué à rétablir en Espagne la monarchie parlementaire. La monarchie était, en Espagne, la meilleure façon de rétablir la res publica, c'est-à-dire l'intérêt général et la chose publique. C'est un aparté politique, en quelque sorte. Je ne suis donc pas un très bon exemple pour parler de thérapie personnelle d'exil. A partir du moment où je m'exprime dans la langue du pays qui m'a accueilli, la France, sans trop de difficultés (Sourires), où je peux même l'écrire (Nouveaux sourires), où je suis membre d'une académie, l'Académie Goncourt, qui a modifié ses statuts pour qu'un écrivain de langue française puisse en être membre, je ne me sens pas exilé !

Dans une ville où il y a un fleuve, des bibliothèques et des cafés, je suis chez moi, ou alors je ne suis chez moi nulle part, parce que le sentiment d'étrangeté au monde est d'ordre métaphysique.

Je n'ai donc aucune thérapie personnelle de l'exil, sinon la thérapie collective de l'exil des Espagnols républicains, dont je fais partie et pour qui j'ai peut-être encore des livres à écrire.

M. Jean-Pierre Elkabbach. La question portait sur certains de vos ouvrages comme thérapie personnelle.

M. Jorge Semprun. Pas de l'exil !

M. Jean-Pierre Elkabbach. Marine Rocton, vous avez la parole pour poser votre deuxième question.

Mlle Marine Rocton. Avec ce que vous avez vécu et vu au camp de Buchenwald et après avoir été exclu pendant si longtemps de votre pays d'origine, pensez-vous que l'on puisse encore être tolérant ?

M. Jorge Semprun. Je pense qu'il faut être d'autant plus tolérant !

L'expérience des camps, l'expérience de l'exil vous poussent à la tolérance, mais à la tolérance dont ont déjà parlé certains des intervenants, notamment le ministre, le philosophe, mon ami, Luc Ferry.

Il est évident que la tolérance est un combat, car elle ne s'établit que contre l'intolérance. Depuis un certain temps, nous avons eu l'occasion plus de lutter contre l'intolérance que de nous laisser aller à la tolérance, comme si c'était quelque chose de facile.

Pour moi, la tolérance et l'intolérance peuvent s'inscrire autour du thème de l'oubli et du pardon, qui a fait l'objet de débats et dont les philosophes ont beaucoup parlé.

L'oubli fait partie des thérapies de la démocratie, depuis la Grèce et Athènes jusqu'à l'édit de Nantes. Souvenez-vous du premier article de l'édit de Nantes, écrit dans un français admirable, qui interdisait de rappeler les troubles du passé, postulait l'oubli comme thérapie collective pour effacer l'impact des guerres de Religion. L'oubli peut donc jouer un rôle et il est parfois nécessaire, mais il faut surtout savoir pardonner. Ce n'est que sur le thème de l'oubli et du pardon que l'on peut construire une tolérance collective qui soit une lutte contre l'intolérance.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Vos propos doivent toucher Marine Rocton, qui vient d'un département, l'Allier, où l'on sait ce qu'est la proscription. Je lui demande de nous en parler.

Mlle Marine Rocton. Deux des anciens habitants de notre commune, Le Donjon, sont partis en exil avec Victor Hugo et étaient donc également proscrits. Nous savons donc un peu ce que c'est, d'autant que nous en avons beaucoup entendu parler ces derniers temps au moment de la préparation de ce concours.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Vous savez penser à eux et leur rendre hommage, chaque fois qu'il le faut.

QUESTION À M. SIMEON DE SAXE-COBOURG-GOTHA,
PREMIER MINISTRE DE BULGARIE

M. Jean-Pierre Elkabbach. La parole est à M. Guillaume Dechriste, qui est en classe de troisième au collège Victor-Hugo de Colmar, dans le Bas-Rhin.

M. Guillaume Dechriste. Ma question s'adresse à M. Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha.

Quelle compréhension des événements a-t-on et qu'éprouve-t-on lorsqu'on est roi à six ans et exilé à dix ans ?

Quels souvenirs de cette époque conservez-vous ?

M. Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, Premier ministre de Bulgarie. Il faut être tout à fait franc et ne pas prétendre qu'un enfant de cet âge-là a une compréhension profonde des événements. Dans mon cas, j'ai éprouvé de la peur, car quelque chose n'allait pas chez les adultes, et du chagrin, parce que plusieurs personnes de mon entourage avaient été exécutées. On avait même reçu les condoléances des personnes qui avaient mené ces exécutions à leur terme. Des gens que je voyais tous les matins ne paraissaient plus et je savais qu'ils avaient été exécutés.

Je ressentais de la peur, de l'inquiétude. C'est le souvenir que l'on garde parce que cela vous marque. Je tiens à dire de tout coeur un grand bravo - c'est prétentieux, au regard de la qualité intellectuelle de la personne - à M. Jorge Semprun, parce qu'il faut se rappeler, mais il faut certainement pardonner.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Vous êtes d'accord avec lui pour dire que l'oubli, c'est aussi une valeur collective. Mais il faut savoir pardonner !

M. Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, Premier ministre de Bulgarie. Il faut savoir, en quelque sorte, discerner qu'entre l'oubli et le pardon il y a aussi le degré de tolérance.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Dans votre pays, il y a eu tellement de souffrances ! C'est aussi un problème d'actualité ! Peut-être faut-il avoir la capacité de tourner la page.

M. Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, Premier ministre de Bulgarie. C'est sans doute important pour construire l'avenir. Il ne faut pas regarder tout le temps en arrière. Il faut peut-être, à la rigueur, regarder dans le rétroviseur pour mieux conduire en avant! (Applaudissements.)

QUESTIONS À M. LUC FERRY, MINISTRE DE LA JEUNESSE,
DE L'ÉDUCATION NATIONALE ET DE LA RECHERCHE

M. Jean-Pierre Elkabbach. La parole est à Mlle Pauline Berthelot, qui est en classe de terminale au lycée Victor-Hugo de Poitiers, dans la Vienne.

Mlle Pauline Berthelot. Ma question s'adresse à M. Luc Ferry. Monsieur le ministre, pour le respect de la tolérance dans les établissements scolaires, serait-il possible de mettre en place une journée d'entraide et de service entre les élèves et d'étendre cette expérience aux hôpitaux, aux prisons et aux associations ?

M. Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de la Recherche. Tout à fait ! C'est même une idée que je vous volerai volontiers. On mettra cela en place prochainement sous un nom un peu différent : on va parler de « journée de l'engagement », en particulier de l'engagement des jeunes à l'égard des autres, parce que j'ai 1a conviction que, aujourd'hui, les jeunes en ont assez d'être assimilés à l'image que l'on donne souvent d'eux à la télévision : des sauvageons, des casseurs, des auteurs d'incivilité, de violence. Or beaucoup d'entre vous ont justement la volonté de s'engager dans des actions d'utilité publique, qui, à la fois, donnent du sens à ce que vous entreprenez et qui sont utiles pour les autres. J'aimerais donc organiser, au mois d'avril prochain, une journée de l'engagement, qui ressemblera beaucoup à ce que vous venez de décrire.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Concrètement, comment imaginez-vous cette journée, monsieur le ministre ?

M. Luc Ferry, ministre. Nous proposerons aux jeunes un petit guide des engagements dans lequel figureront 10 000 propositions pour s'engager dans des domaines différents : premièrement, dans le domaine de l'aide à apporter à autrui, par exemple, dans le secteur humanitaire ou caritatif; deuxièmement, dans le domaine de la culture, par exemple, la création d'un événement culturel ; troisièmement, dans le domaine du civisme ; quatrièmement, dans le domaine de la création d'entreprise.

Nous allons donc proposer, au printemps prochain, 10 000 projets d'engagement aux jeunes de notre pays, parce que j'ai la conviction qu'ils ont envie d'être reconnus dans la cité pour leur utilité aux autres et certainement pas d'être stigmatisés, comme c'est si souvent le cas, à la télévision en particulier, comme fauteurs de troubles et sauvageons de tous ordres, ce qui ne correspond pas du tout à la réalité de la jeunesse d'aujourd'hui.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Une journée de l'engagement aura donc lieu au printemps prochain !

M. Luc Ferry, ministre. Exactement !

M. Jean-Pierre Elkabbach. C'est bien de l'avoir annoncé ici, devant les élèves des collèges et des lycées. Pauline Berthelot, vous avez la parole pour poser votre deuxième question.

Mlle Pauline Berthelot. Monsieur le ministre, comment peut-on, dans le même temps, diminuer les budgets de la recherche et de l'enseignement (Sourires) et augmenter celui de l'armement ? (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. Pauline Berthelot, aucun politique ne vous a soufflé la question ? (Sourires.)

M. Luc Ferry, ministre. Je propose que, la prochaine fois, Pauline siège du côté gauche de l'hémicycle. Ce sera plus clair ! (Sourires.)

Je ne sais pas qui vous a raconté que le budget de la recherche diminuait : il continue d'augmenter, il faut que vous le sachiez, mais moins que nous ne l'aurions souhaité. Par ailleurs, le Gouvernement accomplit un effort important en ce qui concerne l'équipement des armées.

Évidemment, lorsqu'on parle de l'équipement des armées et que l'on dit que le Président de la République a décidé de faire construire un autre porte-avions, souvent, ce n'est pas très populaire chez les jeunes comme vous. Vous considérez que construire un porte-avions, des canons, des équipements destinés à frapper, à tuer, ce n'est pas très gentil ; on ferait mieux de bâtir des hôpitaux, des écoles, etc. Mais il faut voir un peu plus loin. Il faut savoir que l'armée peut servir à attaquer : ce n'est pas bien, nous en sommes tous d'accord ! Elle peut servir à se défendre vous pourriez dire qu'aujourd'hui on n'est pas menacé. Mais l'armée peut aussi servir à protéger les autres. Rappelez-vous la guerre qui a eu lieu dans les Balkans et qui a provoqué des centaines de milliers de morts. Trouvez-vous normal que ce soient les Américains qui, pour l'essentiel, soient intervenus, afin d'empêcher des Européens de se battre entre eux, et que les Européens ne soient pas capables d'envoyer des armées pour se protéger les uns des autres ?

Il faut être idéaliste, mais au bon sens du terme. Il faut imaginer que, si l'on n'a pas une armée forte, on ne pourra pas protéger ces gens qui se font la guerre entre eux. Et à moins d'imaginer qu'il n'y ait plus de guerre dans le monde - malheureusement, il y en a et tout près de chez nous - nous avons besoin d'une armée, ne serait-ce que pour assurer ces missions d'intervention presque humanitaires, qui supposent malgré tout que l'on ait assez de force pour empêcher les gens de se battre entre eux. L'armée peut aussi servir à cela !

C'est l'un des grands paradoxes du monde contemporain : l'armée peut remplir des fonctions humanitaires. Par conséquent, il faut dire, sans démagogie, que l'on a aussi besoin, malheureusement, d'avions et de porte-avions.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Peut-être l'insécurité extérieure est-elle toujours présente ?...

M. Luc Ferry, ministre. En plus ! Mais j'essayais de plaider le dossier avec les meilleurs arguments. (Applaudissements.)

QUESTIONS À M. VALDAS ADAMKUS,
PRESIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE LITUANIE

M. Jean-Pierre Elkabbach. La parole est à Mlle Laurie Gleizes, qui est en classe de troisième au collège Victor-Hugo de Lavelanet, dans l'Ariège.

Mlle Laurie Gleizes. Ma question s'adresse à M. Valdas Adamkus. Pourquoi avez-vous été exilé ?

M. Valdas Adamkus, président de la République de Lituanie 2 ( * ) . En ce qui concerne mon exil, je dirais que personne ne choisit la voie de l'exil de sa propre volonté.

Mon pays a été occupé par une puissance étrangère. Les droits de l'homme ont été bafoués, l'humanisme a été bafoué. Il n'était plus possible de réfléchir librement, de parler librement, de vivre librement. A ce moment-là, nous nous sommes posé la question de savoir s'il était possible de tolérer cette situation et, dans ce contexte, j'ai choisi la voie de l'exil, la voie de la résistance. C'est ce qui m'a amené à vivre pendant une longue période hors d e mon pays.

J'ai choisi un environnement qui était propice à la tolérance, et cela pour pouvoir grandir, pour pouvoir mûrir, afin de m'exprimer et réfléchir librement, être libre, et ensuite partager cette liberté avec les autres.

J'ajouterai que, dans mon esprit, la tolérance est intimement liée à une dimension éthique, à un choix spirituel, à partir duquel nous comprenons et nous pouvons agir avec discernement, en sachant ce qui est bon et ce qui est mauvais.

Je crois que si nous optons pour cette dimension morale, et si elle se traduit dans les faits, le monde d'aujourd'hui pourra avoir un autre visage.

Tout cela, je l'ai appris dans une société libre et ouverte. Malheureusement, cela s'est passé en dehors de mon pays natal. J'espère que je pourrai transmettre tout ce que j'ai appris là-bas aux jeunes générations en Lituanie. (Applaudissements).

M. Jean-Pierre Elkabbach. Laurie Gleizes, vous avez la parole pour poser votre deuxième question.

Mlle Laurie Gleizes. Pour votre pays, la Lituanie, qu'attendez-vous de la France et de l'Union européenne ?

M. Valdas Adamkus, président de la République de Lituanie 3 ( * ) . Nous allons vers l'Europe pour coopérer, pour travailler ensemble, avec la France comme avec Union européenne.

Notre intégration a avant tout pour objet d'offrir à la Lituanie une possibilité de participer à une aventure commune : la création d'un environnement favorable au développement de tous. (Applaudissements.)

QUESTIONS À M. CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT DU SENAT

M. Jean-Pierre Elkabbach. La parole est à Gwenaelle Valot, qui est en classe de troisième au collège Victor-Hugo de Lugny, en Saône-et-Loire.

Mlle Gwenaelle Valot. Monsieur le président, quelles mesures le Sénat pourrait-il contribuer à prendre pour lutter contre la violence dans les établissements scolaires ?

M. Christian Poncelet, président du Sénat. Le Sénat, depuis fort longtemps, s'intéresse à la situation dans les établissements scolaires et, en particulier, à certains mouvements de violence qui peuvent s'y constater.

Nous avons constitué, au sein du Sénat, une commission d'enquête qui a consacré ses travaux notamment à ce problème ; de nombreuses sénatrices et de nombreux sénateurs y ont participé. Cette commission a rendu ses conclusions et publié un rapport dans lequel elle prône un certain nombre de mesures fondées sur la conviction que c'est dès la pré-scolarité qu'il faut apprendre à l'enfant, qui deviendra adulte, la tolérance.

En ce sens, je me félicite de ce que, depuis très longtemps, le Sénat se soit orienté vers la jeunesse, vers sa formation. Et si Victor Hugo a mis en exergue la tolérance et le respect de l'autre, après lui un autre éminent sénateur des Vosges - permettez-moi de le citer : Jules Ferry -, comprenant que l'école jouait un rôle essentiel dans la formation de l'homme, a voulu une école gratuite, laïque et obligatoire, une école de l'intelligence où l'on puisse tisser des relations humanistes, des relations fraternelles entre les uns et les autres, pour que chacun apprenne que, s'il ne partage pas l'idée de l'autre, il doit être en mesure de dire un jour, comme Voltaire : « Je ne partage pas vos idées, mais je suis prêt à me battre pour les défendre. »

Par conséquent, c'est dès l'école qu'il faut prendre certaines mesures, et je sais que ce rapport du Sénat a inspiré l'action du ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, M. Luc Ferry, un nom éminent que l'on retrouve ici oeuvrant au bénéfice de la jeunesse. (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. Vous voyez que, dès que l'on parle de tolérance, ils s'échauffent tous ! (Sourires.) Il y a, dans nos échanges, tout à la fois de l'émotion et de la détermination.

Monsieur le président du Sénat, la loi peut-elle aider à favoriser la tolérance, la loi telle qu'elle peut aussi se fabriquer dans cette enceinte ?

M. Christian Poncelet, président du Sénat. Je l'ai indiqué, la tolérance consiste à ne pas accepter certaines attitudes qui sont intolérables ; par conséquent, il y a un compromis à trouver. Il est vrai que, pour ce faire, il ne faut pas que nous hésitions à sanctionner ce qui est intolérable. Le racisme, l'antisémitisme sont intolérables, et il ne peut pas y avoir de tolérance à l'égard d'attitudes de ce type. Il faut sanctionner, cela m'apparaît indispensable, et nous y veillons au travers de la loi.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Gwenaëlle Valot, vous avez la parole pour poser votre deuxième question.

Mlle Gwenaëlle Valot. Monsieur le président, comment le Sénat peut-il aider les pays étrangers à mettre en place des institutions démocratiques ?

M. Christian Poncelet, président du Sénat. Il existe, au sein du Sénat, des groupes d'amitié, un groupe d'amitié entre la France et la Lituanie, entre la France et la Bulgarie, par exemple. Ces groupes d'amitié procèdent, avec l'intervention du Sénat in globo, en son entier, à des échanges, c'est-à-dire que des sénateurs français vont dans ces pays et, à l'inverse, des sénateurs de ces pays viennent en France, ce qui nous donne l'occasion de recevoir, bien souvent, des élus étrangers : ils viennent se familiariser avec la démocratie, avec nos méthodes de travail, voir comment nous nous efforçons de respecter au maximum, dans notre procédure législative, la compréhension, le respect de l'autre, l'ouverture aux idées d'autrui. Je me félicite de ce que le Sénat, par exemple, soit allé en Géorgie pour installer, avec le concours de sénateurs français, le Parlement géorgien. Ce Parlement se mettait en place et la Géorgie voulait, à l'image de la France, avoir un Parlement démocratique, composé, bien sûr, de deux assemblées, l'une qui est, en quelque sorte, l'Assemblée nationale française, l'autre, le Sénat français, dont le rôle, comme vous le savez, est de regarder si l'Assemblée nationale travaille bien (Sourires), si le Gouvernement travaille bien (Nouveaux sourires), et de jouer un rôle de contre- pouvoir, même si le Gouvernement n'aime pas cela ! Par conséquent, beaucoup de pays sollicitent le Sénat français pour aller introduire chez eux la démarche française, une démarche qui doit toujours se parfaire, d'ailleurs !

M. Jean-Pierre Elkabbach. A en juger aux éminentes personnalités étrangères présentes dans cet hémicycle, on voit qu'il y a vraiment ici une volonté d'ouverture. Gwenaelle Valot, vous avez la parole pour poser votre dernière question.

Mlle Gwenaëlle Valot. Monsieur le président, pourquoi n'y a-t-il pas de sénateurs de couleur ?

M. Christian Poncelet, président du Sénat. Je ne sais pas si vous êtes venue souvent au Sénat, mais, je peux vous rassurer, il y a des sénateurs de couleur.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Gwenaëlle Valot voulait sans doute dire qu'il n'y a pas assez de sénateurs de couleur. Et ce n'est pas M. Poncelet qui les désigne ! (Sourires.)

M. Christian Poncelet, président du Sénat. Le Sénat est composé de représentants de toutes les collectivités territoriales. Il appartient à ces collectivités territoriales, de métropole et d'outre-mer, de désigner leurs sénateurs. C'est un scrutin très difficile, parce que vous ne verrez jamais, je vous dis cela au passage, de candidats sénateurs « parachutés » comme on peut avoir des députés « parachutés ». Pour être sénateur, il faut, bien sûr, connaître les gens et le terroir, comprendre leurs problèmes, pour bien les assimiler et être en mesure de répondre aux attentes. Nous avons des sénateurs de tous les territoires et de différentes couleurs, de différentes couleurs politiques, aussi, d'ailleurs ! (Rires.) C'est une assemblée extrêmement ouverte. Si vous venez un jour assister à une séance du Sénat, vous verrez qu'il y a des sénateurs de couleur qui siègent ici.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Maintenant, Mme Nada Strancar va lire un poème de Victor Hugo, le proscrit, le pauvre, l'homme du droit et des libertés, qui s'est battu quoi que cela lui ait coûté.

Mme Nada Strancar. Voici quelques vers des Châtiments, écrits à Jersey, en décembre 1852 :

« Puisque le juste est dans l'abîme,

« Puisqu'on donne le sceptre au crime,

« Puisque tous les droits sont trahis,

« Puisque les plus fiers restent mornes,

« Puisqu'on affiche au coin des bornes

« Le déshonneur de mon pays ;

« O République de nos pères,

« Grand Panthéon plein de lumières,

« Dôme d'or dans le libre azur,

« Temple des ombres immortelles,

« Puisqu'on vient avec des échelles

« Coller l'empire sur ton mur ;

« Puisque toute âme est affaiblie,

« Puisqu'on rampe; puisqu'on oublie

« Le vrai, le pur, le grand, le beau,

« Les yeux indignés de l'histoire,

« L'honneur, la loi, le droit, la gloire,

« Et ceux qui sont dans le tombeau ;

« Je t'aime, exil ! douleur, je t'aime !

« Tristesse, sois mon diadème.

« Je t'aime, altière pauvreté !

« J'aime ma porte aux vents battue.

« J'aime le deuil, grave statue

« Qui vient s'asseoir à mon côté.

« J'aime le malheur qui m'éprouve ;

« Et cette ombre où je vous retrouve,

« O vous à qui mon coeur sourit,

« Dignité, foi, vertu voilée,

« Toi, liberté, fière exilée,

« Et toi, dévouement, grand proscrit ! » (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. Je m'adresse maintenant à M. le Premier ministre de Bulgarie, Son Excellence Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha. Vous est-il arrivé de dire, comme Victor Hugo, « J'aime l'exil » ? Dans ces années d'épreuve, quand vous et votre famille étiez seuls, au loin, pensiez-vous retrouver votre pays, votre trône, disons, le pouvoir ? Vous êtes-vous dit, comme Victor Hugo : quand la liberté rentrera, je rentrerai !

M. Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, Premier ministre de Bulgarie. Oui, en quelque sorte, parce que je suis effectivement rentré quand la liberté est revenue. Je ne serais pas rentré autrement.

Aimer l'exil... J'ose dire que ce poème m'a paru sublime, mais que je ne partage pas sa teneur. J'ai eu la chance d'habiter l'Espagne : j'y ai ma maison, j'y ai fondé une famille; dans ce sens, je peux dire que j'aime ce pays, mais certainement pas associé à l'exil.

Quant à imaginer que je reviendrais en Bulgarie... Ce n'était d'ailleurs pas tant ce que je pouvais penser qui importait, car c'est évidemment toujours subjectif, mais il fallait observer, étudier la situation sur place. A l'époque, franchement - je pense partager cette opinion avec l'illustre criminologue - je ne croyais pas devoir jamais assister à l'implosion de l'empire soviétique. Je ne pouvais donc penser à un retour que dans les très rares moments où je me laissais aller à la fantaisie. Mais je suis affreusement terre à terre et pragmatique !

M. Jean-Pierre Elkabbach. La réalité a dépassé votre imagination : vous êtes rentré au pays, vous avez gagné, en 2001, les élections législatives et vous gouvernez aujourd'hui avec des responsabilités et une immense tâche devant vous, celle de transformer la Bulgarie, votre pays, qui a été longtemps sous le joug du grand voisin soviétique, en une démocratie libérale... par étapes.

M. Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, Premier ministre de Bulgarie. Le but, c'est, en effet, de moderniser le pays. Vous parliez des élections et je reviens à la tolérance. Ce n'est pas l'exil qu'il faut souligner, mais bien la façon dont le peuple bulgare a accepté ces résultats électoraux. Certaines personnes n'éprouvent aucune sympathie envers moi ou envers ce que je représente pour ce que j'ai été dans une autre vie, si je puis dire. Pourtant, voilà que nous pouvons parfaitement tous penser au bien et à l'avenir du pays.

M. Jean-Pierre Elkabbach. L'élargissement de l'Europe devrait vous aider, comme le disait M. Valdas Adamkus tout à l'heure

M. Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, Premier ministre de Bulgarie. Certainement. Plus nous nous intégrerons, plus nous aurons de garanties quant à la marche du pays vers la normalité et l'accès aux valeurs démocratiques communes.

M. Jean-Pierre Elkabbach. C'est important parce que, si j'ai bien lu, la Bulgarie compte 18 % de chômeurs, notamment des jeunes qui parfois émigrent et que l'on retrouve ici ou là en France. Le meilleur moyen, comme le disait Mme Rivière, de les maintenir dans le pays, c'est le développement, l'ouverture. C'est ce à quoi nous contribuons aujourd'hui ici.

M. Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, Premier ministre de Bulgarie. Oui, il s'agit de créer les conditions pour que ces jeunes restent. C'est une lourde tâche, mais nous y travaillons très énergiquement.

QUESTIONS À M. FRANÇOIS CHENG

M. Jean-Pierre Elkabbach. La parole est à M. Hugo Saulnier, en classe de quatrième au collège Victor-Hugo de Nantes, en Loire-Atlantique.

M. Hugo Saulnier. Ma question s'adresse à M. François Cheng. Après nous avoir exposé les causes de votre exil, pourriez-vous nous dire si, à votre arrivée en France, vous avez rencontré des difficultés pour être intégré dans ce pays qui vous était presque inconnu ?

M. François Cheng. Je me sens assez démuni pour vous répondre. J'ai pris connaissance de ces questions en arrivant ici et, entre-temps, bien sûr, je me suis employé à écouter tous les autres orateurs, je n'ai donc pas eu le temps de réfléchir. Mais, en résumé, je préférerais répondre à votre troisième question. (Rires.) Pour les autres questions, ce sera plus difficile.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Vous êtes comme Woody Allen, vous choisissez vos questions ! (Nouveaux rires.) M. François Cheng. Non, je vais répondre tout de même !

Vous me vieillissez beaucoup en me ramenant à ma jeunesse. Je suis arrivé en France en 1948. J'avais dix-neuf ans. La France sortait alors de la guerre. C'était donc un pays lui-même très démuni, mais qui commençait aussi à panser ses plaies et esquissait un mouvement ascensionnel vers le progrès. À cette époque-là, les difficultés étaient d'abord d'ordre matériel. Il était très difficile de trouver un travail régulier et rémunéré. Donc, j'ai connu près de dix ans de « galère ». J'ai eu aussi, bien sûr, des difficultés d'ordre linguistique, car je suis arrivé en France sans connaître un mot de français, dans des circonstances inattendues. Cependant, dans le même temps, la France connaissait une immense effervescence. C'était, bien sûr, la période de l'existentialisme, la pensée de Sartre et de Camus dominait. Donc, il y avait une sorte d'éveil de la jeunesse, on participait à des mouvements d'émancipation. Moi-même, en Chine, dès mes quinze ans, j'ai commencé à lire la littérature occidentale, grâce à des traductions. Quand je dis « occidentale », cela comprend bien sûr la littérature française, mais aussi les littératures anglaise, allemande et russe.

Donc, en dépit des difficultés matérielles et de la barrière de la langue, j'ai moi- même connu cette époque d'effervescence sur le plan personnel : tout m'était ouvert. En France, on pouvait suivre des cours, assister à des concerts, aller visiter les expositions. Voilà comment, très maladroitement, sans doute, je peux décrire cette époque.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Ce n'est pas maladroit, c'est beau. Académicien, vous avez publié, chez Albin Michel, un roman intitulé L'Éternité n'est pas de trop. Beaucoup se demandent, ou pourraient se demander, pourquoi l'homme de la montagne qu'est l'auteur, ayant été témoin du bouillonnement intellectuel du XVII e siècle, l'époque des Ming, s'est consacré à un récit de passions amoureuses.

M. François Cheng. La vraie passion amoureuse a souvent été vécue à des époques de quête spirituelle. Pour ne citer que l'Occident, Abélard et Héloïse, Dante, les romantiques allemands vivaient de grandes époques où l'humanité était en quête. Ainsi, raconter la passion amoureuse, c'est aussi le moyen de décrire ces grandes époques.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Vous le dites vous-même, au-delà de la passion amoureuse, de l'affaire du coeur ou des sens, cela relève aussi de l'esprit. Quand on rencontre des interlocuteurs qui viennent de loin, nous dites-vous, qui sont donc différents de nous, il faut du temps pour se comprendre. Vous terminez le prologue par ces mots : « Par-delà les paroles, il y a un regard, un sourire qui suffit pour que chacun s'ouvre au mystère de l'autre ».

M. François Cheng. Tout à l'heure, on a évoqué la tolérance. Or je n'utilise pas souvent ce mot, car je ne me contente pas de tolérer les autres, je les sollicite. Toute ma vie, finalement, est devenue une sorte de dialogue. En tant que personne ayant survécue à l'exil, qui s'est intégrée à son pays d'adoption, je suis devenu cet être habité à la fois par deux cultures et deux langues, et par le souci de faire dialoguer la meilleure part de chaque culture.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Hugo Saulnier, vous avez la parole pour poser votre deuxième question.

M. Hugo Saulnier. Pensez-vous avoir rapproché les deux cultures en changeant votre prénom en François - qui se rapproche de français - et en gardant votre nom chinois ?

M. François Cheng. Mon nom est François Cheng, ce qui peut choquer au premier abord. D'aucuns peuvent même se demander si cela ne traduit pas un état de déchirement, voire de schizophrénie. Pas du tout ! Je cite une phrase de Teilhard de Chardin : « Tout ce qui monte converge ». Ce nom, à lui seul, résume la culture chinoise et la culture française qui montent en moi et qui, finalement, sont parvenues à cette synthèse.

Pour moi, toute culture est condamnée à mourir si elle s'enferme en elle-même.

La Chine connaît les bienfaits du dialogue. Vous évoquez le XVII e siècle. La Chine, ayant embrassé le bouddhisme venu de l'Inde, a connu les périodes d'épanouissement extraordinaire que sont la dynastie des Tang et des Song. Ensuite, toujours au XVII e siècle, des Jésuites sont venus en Chine.

L'Occident a, pour sa part, eu deux grandes sources, la culture grecque et la tradition judéo-chrétienne. Par la suite, il a aussi dialogué avec l'islam et avec d'autres cultures.

Peut-être le moment est-il venu, pour l'Europe occidentale, de dialoguer avec les pays d'Asie, en particulier avec la Chine. Je m'y suis personnellement employé.

Je voudrais dire que, aujourd'hui, je parle en tant que Français. Je suis Français et j'ai participé, à ma modeste manière, au destin de la France.

Tout à l'heure, un collégien a interrogé le président du Sénat sur la façon dont la France pouvait aider les autres pays dans le domaine de la démocratie et des droits de l'homme. La France doit d'abord s'efforcer de donner l'exemple. Pour moi, la France est ce pays multiethnique, multiconfessionnel, dont les habitants participent tous à une même culture.

Comment définir cette culture ? Ordinairement, on a de la culture une idée vague. En fait, la culture est un système organique qui permet à un très grand groupe d'hommes de vivre ensemble en lui proposant des lois fondamentales, des principes éthiques et, sans doute aussi, un idéal.

Or, pour ce qui concerne la France, la tâche est simple. La culture française est d'abord fondée sur la langue française. Ensuite, elle sait proposer un idéal. Aucune autre culture ne l'a formulé de manière aussi claire que la France, c'est-à-dire : « liberté, égalité, fraternité». Donc, le programme est là.

C'est à la France d'essayer d'incarner inlassablement cet idéal. Pour moi, pour un Chinois qui vient du Pays du milieu, la France est le « pays du milieu » de l'Europe occidentale. En raison de sa situation historique et géographique, elle a, depuis toujours, fait l'effort d'assimiler les influences venant de tous côtés et, en même temps, de tendre vers l'universel. C'est sa vocation. C'est en étant digne de sa vocation que la France aidera les autres pays à tendre vers la démocratie. (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. Nous sommes encore plus fiers d'être Français, mais vous nous donnez des tâches et des devoirs importants, François Cheng ! Je pense que Jorge Semprun est d'accord avec ce qu'il vient d'entendre.

M. Jorge Semprun. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Elkabbach. Maintenant, Mme Nada Strancar va lire un texte de Victor Hugo.

Mme Nada Strancar. « Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité. Être libre, rien n'est plus grave ; la liberté est pesante, et toutes les chaînes qu'elle ôte au corps, elle les ajoute à la conscience; dans la conscience, le droit se retourne et devient devoir. Prenons garde à ce que nous faisons ; nous vivons dans des temps exigeants. Nous répondons à la fois de ce qui fut et de ce qui sera. Nous avons derrière nous ce qu'ont fait nos pères et devant nous ce que feront nos enfants. Or à nos pères nous devons compte de leur tradition et à nos enfants de leur itinéraire. [...] Il serait puéril de se dissimuler qu'un profond travail se fait dans les institutions humaines et que des transformations sociales se préparent. Tâchons que ces transformations soient calmes et s'accomplissent, dans ce qu'on appelle (à tort, selon moi) le haut et le bas de la société, avec un fraternel sentiment d'acceptation réciproque. Remplaçons les commotions par les concessions. C'est ainsi que la civilisation avance. Le progrès n'est autre chose que la révolution faite à l'amiable. « Donc, législateurs et citoyens, redoublons de sagesse, c'est-à-dire de bienveillance. Guérissons les blessures, éteignons les animosités ; en supprimant la haine nous supprimons la guerre ; [...] ôtons aux fureurs et aux colères une raison d'être ; ne laissons couver aucun ferment terrible. C'est déjà bien assez d'entrer dans l'inconnu ! Je suis de ceux qui espèrent dans cet inconnu, mais à la condition que nous y mêlerons dès à présent toute la quantité de pacification dont nous disposons. Agissons avec la bonté virile des forts. Songeons à ce qui est fait et à ce qui reste à faire. Tâchons d'arriver en pente douce là où nous devons arriver ; calmons les peuples par la paix, les hommes par la fraternité, les intérêts par l'équilibre ; n'oublions jamais que nous sommes responsables de cette dernière moitié du XIX e siècle, et que nous sommes placés entre ce grand passé, la révolution de France, et ce grand avenir, la révolution d'Europe. « Paris, juillet 1876. » (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. La parole est à M. Bachir Boumaza, ancien président du Conseil de la nation en Algérie, ami exigeant, très exigeant du président Bouteflika.

Vous avez connu, monsieur Boumaza, vingt-sept années de prison et d'exil à cause des Français et des dirigeants algériens. Vous avez été l'un des acteurs de l'indépendance de l'Algérie. Vous étiez, lorsqu'on a jeté des Algériens dans la Seine, un des responsables de la fédération FLN de Paris. Vous avez été ministre d'Ahmed Ben Bella, de Houari Boumediene. Lorsque vous n'étiez pas d'accord avec leur pouvoir personne, vous alliez le leur dire ; ils vous envoyaient alors en prison ou en exil et, comme vous l'avez raconté un jour à M. le président Poncelet et à moi-même, vous aviez toujours Victor Hugo avec vous.

M. Bachir Boumaza. C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai répondu à votre invitation. Avec mon ami le président du Sénat français, nous en avons souvent parlé, garantir l'avenir, c'est déjà préparer la jeunesse à cet avenir. Comme M. Poncelet le sait, j'ai eu le privilège d'être à l'initiative de telles rencontres entre les parlementaires et les jeunes d'Algérie.

Je l'ai fait, peut-être, par expérience. Mes biographes disent que j'ai commencé à lutter pour l'indépendance de l'Algérie à l'âge de quinze ans. Ces jeunes sont les adultes de demain et, travailler pour l'avenir, c'est déjà rallier cette jeunesse à certaines idées.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Pourquoi Victor Hugo ?

M. Bachir Boumaza. Lorsque j'ai connu Victor Hugo, je ne savais pas que je serai un jour ministre ou sénateur, je l'ai connu pendant ma jeunesse, dans les écoles françaises, et je peux dire que je me suis nourri à certaines de ses sources. D'abord, j'ai admiré cet homme qui aimait son pays. Toutefois, il n'aimait pas son pays parce que c'était la France ; il l'aimait à sa façon. Permettez-moi de citer un autre de vos grands hommes, Michelet, qui déclarait, avec un certain excès, que les riches aiment la France comme leur maîtresse et les pauvres comme leur mère. Ce sont deux manières d'aimer la France. Les Misérables, avec ce regard sur les démunis, les déshérités, Notre-Dame de Paris et toute une série d'oeuvres m'ont fait aimer Victor Hugo.

Vous avez parlé de compagnonnage, j'ai été avec Ben Bella - peut-être auriez-vous dû commencer en citant Messali Hadj -, avec Boumediene. Vous avez évoqué mes exigences : je suis un homme très difficile. Je me suis moi-même demandé souvent comment j'étais resté d'accord avec cet homme, ce grand homme, cet homme-océan, alors que, souvent, je n'approuve pas sa manière de voir.

M. Jean-Pierre Elkabbach. Il faut dire qu'il ne vous a pas envoyé en prison, lui !

M. Bachir Boumaza. Non, mais je fais la même réponse que pour le général de Gaulle. Je suis un homme de sensibilité de gauche, mais j'ai un respect immense pour ce dernier, sans doute parce qu'il représente une certaine idée de la France.

J'ai une certaine idée de la France et je n'accepterai jamais que l'on puisse dire que je suis anti-français. Non ! j'ai lutté contre le système colonial français, mais je me suis souvent inspiré des valeurs françaises. Victor Hugo était l'un de ceux qui m'ont donné les armes pour me battre.

Monsieur Elkabbach, vous êtes également un grand ami. J'ai le privilège d'être l'un des derniers orateurs et j'ai pu entendre citer Teilhard de Chardin, qui est un chrétien ; or le musulman que je suis l'admire beaucoup.

J'ai entendu déclamer la belle page du Discours pour Voltaire de Victor Hugo.

Figurez-vous qu'au lendemain de mon retour en Algérie on a censuré certains de mes propos qui faisaient référence à Voltaire, un esprit libre comme Victor Hugo.

Nous sommes actuellement en période de ramadan, vous le savez. Dans cinq jours, nous allons commémorer une grande bataille militaire de l'islam naissant.

Je suis de ceux qui ont une lecture particulière de l'islam. A mes yeux, l'islam a triomphé non par les nombreuses batailles militaires qu'il a livrées, mais par une grande bataille d'idées, celle d'Hudaibiya : c'est elle qui a permis à Mahomet de rentrer à La Mecque et de vaincre les polythéistes. Je crois donc davantage à ce genre de combat.

Voltaire disait que, soixante ans après la mort de Louis XIV, on continuait de parler des grandes batailles qu'il avait remportées, mais que ces grandes batailles nous faisaient oublier ce qu'avaient été le Roi-Soleil et son règne : Versailles, les peintures de Poussin, les fables de La Fontaine, Boileau. C'est cela, le siècle de Louis XIV, et non le règne des destructeurs. Pour conclure, je voudrais dire que j'ai assisté, le mois dernier, dans une capitale arabe, à des débats sur Victor Hugo, qui portaient notamment sur Les Misérables.

Victor Hugo est votre meilleur ambassadeur, et c'est peut-être grâce à Victor Hugo que nous avons été des anticolonialistes, c'est-à-dire des partisans des droits de l'homme, mais jamais des anti-Français.

S'agissant de la tolérance et de l'intolérance, je poserai le problème différemment. Il faut se battre contre l'intolérance, l'intolérance est comme les mauvaises herbes vous pouvez avoir été victime de l'intolérance et devenir à votre tour intolérant. Je ne crois pas du tout que l'exil puisse guérir de l'intolérance.

Je me réjouis, encore une fois, d'avoir été invité à assister à cette rencontre de jeunes qui sont l'avenir de la France. (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. La parole est à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

M. Luc Ferry, ministre de la Jeunesse, de l'Éducation nationale et de la Recherche.

Ce que vient de dire M. Bachir Boumaza rejoint très directement ce qu'a dit tout à l'heure François Cheng sur le fait que la France a émis des idées qui peuvent aussi servir à la critiquer. C'est cela, l'universalité à laquelle vous faisiez très joliment allusion, monsieur Boumaza.

Je voudrais maintenant formuler une remarque à l'adresse des jeunes qui nous

écoutent.

J'ai commencé, un peu par provocation, par vous dire que la tolérance n'est pas forcément une notion merveilleuse ; elle peut aussi avoir des mauvais côtés. Pour être simple, je dirai qu'il faut être très tolérant à l'égard des idées, même quand elles vous déplaisent beaucoup, mais qu'il ne faut pas être tolérant du tout vis-à-vis de la violence. C'est le critère fondamental. Il faut que vous appreniez à être extrêmement vigilants à l'égard de la violence, notamment de la violence physique. Par ailleurs, un poème célèbre de Victor Hugo, Booz endormi, que tout le monde connaît plus ou moins par coeur, montre comment l'âge adulte peut être un âge formidable. Je voudrais que les enfants et les jeunes échappent à ce que les psychanalystes ont appelé le syndrome de Peter Pan, ce petit garçon qui ne veut pas vieillir et pense que devenir adulte est une catastrophe. Ce n'est pas vrai ! Le fait de grandir, de vieillir peut être absolument extraordinaire. Si vous lisez avec attention le très beau poème de Victor Hugo que j'ai évoqué, vous comprendrez pourquoi. (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. Je vous suggère, après avoir lu le poème de Victor Hugo, d'aller voir le film italien Juste un baiser, qui porte à peu près sur le même thème.

La parole est à M. le président du Sénat.

M. Christian Poncelet, président du Sénat. Je crois que nous serons unanimes à penser que ces deux journées auront été particulièrement enrichissantes. Je voudrais tout de suite remercier celles et ceux qui, à différents titres, ont participé à la réussite de cette journée.

Nous pouvons en tirer l'enseignement que la tolérance est un combat qui ne sera jamais achevé, comme le combat que nous devons conduire pour faire le bonheur des hommes et des femmes. Par conséquent, vous, jeunes, qui cherchez parfois à vous engager dans une aventure, au sens noble du terme, engagez-vous dans ce beau combat pour le respect de l'autre, pour le respect de la dignité humaine. C'est le seul combat qui vaille ! Mais n'oubliez jamais d'introduire dans votre démarche une dimension, hélas ! trop rare, que je regrette de ne pas rencontrer assez souvent, à savoir la dimension du coeur. Il faut toujours aller vers l'autre avec un sentiment d'affection, un sentiment d'amour, afin que la fraternité, ce mot qui figure dans la devise de notre beau pays et auquel on se réfère souvent, devienne une réalité. Je vous remercie de votre participation. (Applaudissements.)

M. Jean-Pierre Elkabbach. Monsieur le président, je vous invite maintenant à rejoindre votre fauteuil habituel pour présider le vote de la résolution de la jeunesse. (M. Christian Poncelet s'installe au fauteuil de la présidence.)

M. le président. Je prie Son Excellence Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, Premier ministre de Bulgarie, de bien vouloir venir s'exprimer à la tribune. (Applaudissements.)

M. Siméon de Saxe-Cobourg-Gotha, Premier ministre de Bulgarie. Chers jeunes gens, je suis déjà d'un certain âge et j'ai pu, grâce à une vie très intéressante, voir et connaître de nombreuses circonstances et situations. C'est pour moi un honneur tout particulier de m'adresser aujourd'hui à vous, depuis cette tribune, en raison de ce que la France représente, de ce que cette maison représente.

Vous qui, dans cette France, dans l'Europe, avez l'avenir devant vous, pensez toujours à la démocratie, à sa valeur. Il faut savoir la défendre, et pour cela tous les efforts méritent d'être consentis. Vive la démocratie ! (Vifs applaudissements.)

Résolution sur la tolérance

M. le président. Nous allons maintenant passer à la discussion des propositions de résolution sur la tolérance. Je rappelle que ces propositions sont le résultat du travail que les élèves ont d'abord effectué au sein de leurs établissements, respectifs, puis, ce matin, au sein de sept commissions présidées par un membre du Sénat. Je profite de cette occasion pour saluer mes nombreux collègues sénatrices et sénateurs qui assistent à nos débats cet après-midi.

Deux propositions ont été sélectionnées par les rapporteurs des sept commissions au cours d'une réunion qui s'est tenue avant le déjeuner.

Ces deux propositions de résolution vont être soumises au vote. Elles ont été distribuées.

Je vais donner la parole aux rapporteurs des sept commissions.

Les deux rapporteurs des propositions de résolution sur la tolérance vont d'abord nous présenter leur texte. Ils disposent chacun de quatre minutes pour s'exprimer.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION N° I

M. le président. La parole est à Mlle Coralie Jourdin, du collège Victor-Hugo de Bourges, rapporteur de la commission A, présidée par Mme Monique Papon, sénatrice de la Loire-Atlantique. Elle va nous présenter la proposition de résolution n° 1. (Applaudissements.)

Mlle Coralie Jourdin. Nous avons travaillé ce matin sur une résolution présentée comme un préambule, que je vais maintenant vous lire.

« Nous avons tous un point commun: nous appartenons à la même famille humaine.

Nous ressentons les mêmes joies, les mêmes peines, les mêmes colères, au-delà de nos différences de peau, de sexe, d'âge, d'opinions, de culture, de tradition.

« Nous n'acceptons pas toujours cette diversité. Pensons en particulier aux cinq millions de personnes handicapées en France, qui sont évoquées dans la résolution de la commission B. Les gens s'ignorent, s'insultent, se rejettent, se battent, s'entretuent, sont exclus et même exilés, cela s'appelle l'intolérance.

« Nos divergences sont pourtant enrichissantes. Chaque individu a une histoire différente et unique. Ne faudrait-il pas apprendre à mieux se connaître et à s'écouter les uns les autres pour créer des liens ?

« L'intolérance est punie par la loi.

« Mais la loi ne suffit pas. Dans une démocratie, chacun doit faire preuve de civisme et de civilité.

« La tolérance est une qualité indispensable que chacun doit développer pour vivre en société. L'important est d'accepter les autres tels qu'ils sont.

« En conséquence :

« Article 1er. - Je défendrai le droit de chacun à exprimer ses opinions et à vivre selon sa volonté dans le respect des autres.

« Article 2. - Je m'abstiendrai de tout comportement discriminatoire et de toute action qui entraînerait une exclusion.

« Article 3. - Je m'informerai en toute circonstance pour me faire ma propre opinion et éviter tout préjugé à l'encontre de personnes et de communautés quelles qu'elles soient. » (Applaudissements.)

PROPOSITION DE RESOLUTION N° 2

M. le président. La parole est à Mlle Harmony Lakhdari du lycée Victor-Hugo de Marseille, rapporteur de la commission C, présidée par M. Jean Arthuis, sénateur de la Mayenne, par ailleurs président de l'importante commission des Finances de la Haute Assemblée. Elle va nous présenter la proposition de résolution n° 2. (Applaudissements.)

Mlle Harmony Lakhdari. Au nom de la commission C, je voudrais avant tout remercier le Sénat de nous avoir accueillis aujourd'hui.

La motion retenue par la commission C est le résultat de nombreuses discussions.

Nous sommes partis de deux propositions, la première présentée par Steven, du collège Victor-Hugo de Créteil, et la seconde par Monique, du lycée Victor-Hugo de Marseille. La première proposition traitait de la sécurité routière et la seconde, un peu plus générale, de la notion d'intolérance.

La proposition que nous avons adoptée est ainsi rédigée :

« Les participants à la journée mondiale pour la tolérance organisée au Sénat par l'UNESCO le 16 novembre 2002,

« Considérant la montée de l'intolérance et des préjugés racistes, le non-respect des droits de l'homme et la recrudescence des conflits dans de nombreux pays,

« Constatant les effets croissants de la mondialisation, des moyens de communication et le développement des migrations,

« Déclarent que la tolérance, en tant qu'acceptation positive des différences, doit être considérée comme une valeur fondamentale de notre société,

« Considèrent que le système éducatif est le lieu privilégié de la formation des citoyens solidaires et responsables, Que, comme tel, il doit favoriser la sensibilisation aux dangers résultant des manquements à la loi, notamment les dangers de la vitesse, de l'alcool, des drogues, de l'utilisation des portables et de non-utilisation de la ceinture de sécurité,

« Proposent que soit organisée, dans chaque année scolaire, une semaine de la tolérance. » (Applaudissements.)

EXPLICATIONS DE VOTE

M. le président. Les cinq autres rapporteurs vont à présent nous faire part de leur appréciation sur les deux propositions de résolution. Ils disposent chacun de 4 minutes.

La parole est à Mlle Sofia Nabet, élève du collège Victor-Hugo de Chauny, rapporteur de la commission B, présidée par Mme Hélène Luc, sénatrice du Val-de-Marne. (Applaudissements.)

Mlle Sophie Nabet, rapporteur de la commission B. Monsieur le président du Sénat, je vous remercie de me donner la parole.

La Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen affirme que tous les hommes naissent libres et égaux en droits. Les différences physiques, sociales et religieuses existent et font que chacun a son propre degré de tolérance. Celui-ci peut dépendre de l'éducation transmise par les parents, de la personnalité de chacun et de son histoire personnelle.

Aujourd'hui, on ne tolère pas qu'un autre ait la même chose que nous, on lui fait du mal.

On ne tolère pas qu'il ait plus que nous, on le vole. On ne tolère pas assez les personnes handicapées, on évite leur regard. Il y a cinq millions de personnes handicapées en France. La tolérance nous impose à tous de faire une place digne et pleine aux handicapés dans notre société. Nous demandons que la loi soit systématiquement appliquée, voire améliorée, de façon que chaque handicapé, imité dans son autonomie, soit réellement intégré et recouvre la plus grande liberté possible.

On ne tolère plus les personnes âgées, on les isole. On ne tolère tout simplement plus l'autre.

On, c'est qui ? C'est nous, vous et moi, nous tous. Ouvrons les yeux, acceptons-nous les uns les autres et refusons le vol, le crime, la douleur, la haine, la guerre, toute forme d'intolérance. La tolérance, c'est vous qui la faites. Tolérez-vous que je vous aie interpellés ainsi ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mlle Émilie Cottereau, élève du lycée Victor-Hugo de Château-Gontier, rapporteur de la commission D, présidée par Mme Marie- Claude Beaudeau, sénatrice du Val-d'Oise. (Applaudissements.)

Mlle Émilie Cottereau, rapporteur de la commission D. Monsieur le président du Sénat, je vous remercie de me donner la parole.

Ce matin, dans notre commission, après avoir lu et étudié les propositions de résolution d'un collège et d'un lycée, nous avons retenu la proposition de résolution en faveur de la tolérance envers les gens du voyage. Nous avons donc choisi de militer en faveur de la tolérance pour une minorité. Nous avons un peu modifié le texte initial après en avoir débattu.

Je vous donne lecture du début du texte que nous avons adopté : « Dans notre monde, nous dénonçons les injustices ; des enfants maltraités aux femmes battues, la liste est longue. Mais nous oublions que, dans notre pays, celui des libertés, de l'égalité et de la fraternité, nous retrouvons de nombreuses intolérances. Celle dont je vais vous parler existe depuis longtemps. Les gens du voyage sont en effet mal connus, non reconnus, et sont poursuivis par un cliché qui fait d'eux des voleurs.

« Comment pouvons-nous leur interdire de séjourner sur des terres alors qu'ils n'ont que trop peu d'endroits pour vivre ? Comment pouvons-nous leur demander de se taire alors qu'ils n'ont jamais eu le droit à la parole citoyenne ?

« Aujourd'hui, nous devons les reconnaître même s'ils ont choisi ce mode de vie. »

Nous avons ensuite proposé la mise en place de lieux d'accueil pour les gens du voyage dans toutes les villes. Nous avons aussi essayé de trouver une solution pour leur faciliter l'accès aux urnes. Voici notre proposition :

« Le droit de vote est un droit acquis par la nation française depuis deux siècles, qui n'a jamais pris en compte les gens du voyage, pour la seule raison qu'ils se déplacent de commune en commune.

« Nous proposons l'établissement d'une liste électorale nationale spécifique aux gens du voyage et l'ouverture de bureaux de vote pour leur permettre de voter dans chaque préfecture. »

Cette résolution n'a pas été retenue, mais je pense que la résolution n° 2 se rapproche des valeurs de la nôtre par la mise en place d'une semaine de la tolérance, car elle généralise l'idée de tolérance et englobe les autres victimes de l'intolérance. Cette résolution a aussi particulièrement attiré mon attention car une semaine de la tolérance me semble un bon moyen de sensibiliser tous les élèves. (Applaudissements.)

M. le président. A une certaine époque, de nombreux gens du voyage ont participé à la résistance française et ont lutté pour que nous retrouvions notre intégrité territoriale et nos libertés. Il ne faut pas l'oublier dans notre raisonnement.

La parole est à M. William Le Quéré, élève du collège Victor-Hugo de Nantes, rapporteur de la commission E, présidée par M. Georges Mouly, sénateur de Corrèze. (Applaudissements.)

M. William Le Quéré, rapporteur de la commission E. Monsieur le président du Sénat, je vous remercie de me donner la parole.

Je commencerai par vous donner lecture de notre motion, qui explique les raisons pour lesquelles nous demandons la tolérance :

« Tous les hommes appartiennent à la même espèce, mais nous ne pourrions survivre si nous étions tous semblables.

« La tolérance, c'est accepter la différence, qu'elle soit physique, culturelle ou qu'elle concerne les choix de vie, c'est accepter les divergences d'opinion.

« Mais au-delà des mots, chaque individu doit appliquer concrètement ces principes, à savoir la Liberté, l'Égalité, la Fraternité.

« La tolérance, c'est aussi ne pas accepter l'inacceptable, c'est refuser l'intolérable.

« Car de l'ignorance naît l'intolérance. »

Pour ma part, j'ai préféré la résolution n° 2, notamment parce que ses auteurs proposent d'organiser chaque année une semaine de la tolérance. Mais je rejoins aussi la demande formulée par la commission D en faveur des gens du voyage et celle qui l'a été par la commission B pour aider les handicapés. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mlle Alice Delattre, élève du lycée Victor-Hugo de Château-Gontier, rapporteur de la commission F, présidée par M. Roger Lagorsse, sénateur du Tarn. (Applaudissements.)

Mlle Alice Delattre, rapporteur de la commission F. Monsieur le président du Sénat, je vous remercie de me donner la parole.

Notre motion, qui résulte de deux textes proposés par les groupes de Tulle et de Poitiers, a été réécrite par l'ensemble des élèves de ma commission.

Il s'agit d'un texte très général, que je vous lis :

« Intolérables sont les inégalités et les injustices, les violences et les discriminations de toute nature.

« Tous, aidons-nous à rendre l'intolérance absurde, inique, horrible et détestable.

« Frères et sueurs de sang, enfants des mêmes rêves et espérances, vivons ensemble dans un monde unifié où le seul sang versé est celui du crépuscule d'un jour de fête.

« Nous écrivons ton nom, nous sommes nés pour te connaître, pour te faire vivre, pour te nommer : Tolérance. »

Cette motion n'a pas été retenue. Personnellement, j'ai beaucoup apprécié la motion de la commission A, qui, selon moi, traite le problème de la tolérance d'une façon authentique et émouvante. Elle dénonce toutes les sortes d'intolérance possible, tout en indiquant la marche à suivre pour la combattre et les bienfaits que la société peut tirer de ce combat. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mlle Zalhata Bacari, élève du lycée Victor-Hugo de Marseille, rapporteur de la commission G, présidée par M. Robert Del Picchia, sénateur représentant les Français établis hors de France. (Applaudissements.)

Mlle Zalhata Bacari, rapporteur de la commission G. Ce matin, la commission G, présidée par le sénateur M. Robert Del Picchia, a examiné deux motions. La première, du collège de Tulle, mettait l'accent sur la violence, le racisme, les droits de l'homme, de la femme et de l'enfant. La seconde, du collège de Lugny, était centrée sur les problèmes liés au respect de l'environnement. Nous avons décidé d'ajouter cette dernière idée à la première motion, qui nous paraissait mieux rédigée.

Un amendement a été proposé par le lycée de Marseille afin d'instaurer une semaine sur la tolérance dans les établissements scolaires.

Je vous donne lecture du texte final adopté par la commission :

« Profondément scandalisés par toutes les manifestations de violence, de racisme,

d'atteintes aux droits de l'homme, de la femme et de l'enfant,

« Profondément attachés à la protection de la terre et de l'environnement,

« Conscients et convaincus que les responsables politiques doivent principalement se soucier de préserver la vie, droit premier et inaliénable,

« Nous demandons à ces responsables politiques

« D'accorder une priorité au respect des droits de l'homme et à la promotion de la tolérance, de renforcer les lois sur l'environnement,

« Et d'instituer, chaque année, une semaine consacrée à la tolérance dans tous les établissements scolaires français. »

En ce qui concerne les deux résolutions qui vont être soumises à notre vote, la résolution n° 2 nous paraît plus intéressante. En effet, celle-ci reprend les idées fondamentales de lutte contre le racisme et de respect des droits de l'homme. Elle contient un élément concret de mise en oeuvre avec la semaine d'éducation à la tolérance, que nous souhaitons également. (Applaudissements.)

VOTE SUR LES PROPOSITIONS DE RESOLUTION

M. le président. J'ouvre une parenthèse. Mes chers collègues et amis sénatrices et sénateurs, avez-vous observé que tous les intervenants ont rigoureusement respecté leur temps de parole ? (Sourires.) Veuillez donc vous inspirer de cet excellent exemple ! (Applaudissements.)

Je vous propose de statuer sur les deux propositions qui vous ont été présentées. Les élèves qui souhaitent voter pour la proposition de résolution n° 1 remettront aux huissiers un bulletin bleu. Les élèves qui souhaitent voter pour la proposition de résolution n° 2 remettront aux huissiers un bulletin blanc. Le scrutin est ouvert. Messieurs les huissiers, veuillez recueillir les bulletins. Le scrutin est clos. Il va être procédé au dépouillement du scrutin.

Je demande à Mlle Léa Leynaud, élève du collège Victor-Hugo de Colmar, et à M. Jérémy Soucier, élève du collège Victor-Hugo du Donjon, de bien vouloir gagner la tribune présidentielle pour superviser les opérations de dépouillement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin concernant les deux propositions de résolution sur la tolérance Nombre de votants : 215

Pour la proposition de résolution n° 1 : 104

Pour la proposition de résolution n° 2 : 111

La résolution n° 2 est adoptée. (Applaudissements.)

LECTURE DE LA RÉSOLUTION ADOPTEE

M. le président. J'invite Mlle Anne-Sophie Grandguillotte, élève du lycée Victor Hugo de Poitiers, à nous lire la résolution sur la tolérance qui vient d'être adoptée. J'indique aux élèves composant l'assemblée que cette résolution sera distribuée et mise en ligne sur le site Internet du Sénat.

Mlle Anne-Sophie Grandguillotte. Voilà le texte de la résolution qui a été adoptée :

« Les participants à la journée mondiale pour la tolérance organisée au Sénat par

l'UNESCO le 16 novembre 2002,

« Considérant la montée de l'intolérance et des préjugés racistes, le non-respect des droits de l'homme et la recrudescence des conflits dans de nombreux pays,

« Constatant les effets croissants de la mondialisation, des moyens de communication et le développement des migrations,

« Déclarent que la tolérance, en tant qu'acceptation positive des différences, doit être considérée comme une valeur fondamentale de notre société,

« Considèrent que le système éducatif est le lieu privilégié de la formation des citoyens solidaires et responsables,

« Que, comme tel, il doit favoriser la sensibilisation aux dangers résultant des manquements à la loi, notamment les dangers de la vitesse, de l'alcool, des drogues, de l'utilisation des portables et de la non-utilisation de la ceinture de sécurité,

« Proposent que soit organisée, dans chaque année scolaire, une semaine de la tolérance. »

(Applaudissements.)

M. le président. Au nom du bureau du Sénat, nous allons remettre les prix honorant les établissements spécialement distingués par le jury du concours Victor Hugo. Les établissements distingués sont ceux de Bourges, Le Donjon, Lugny, Nantes, Château-Gontier et Créteil, qui ont obtenu une mention spéciale. (Applaudissements.)

A chacun de ces établissements sont offertes les oeuvres complètes de Victor Hugo.

J'invite Mme Françoise Rivière, directrice générale adjointe de l'UNESCO, à remettre le prix au représentant du collègue de Créteil. (Applaudissements).

(Il est procédé à la remise du prix.)

M. le président. J'invite Mme Hélène Waysbord, inspectrice générale de l'éducation nationale, à remettre le prix au représentant du lycée de Château-Gontier. (Applaudissements.)

(Il est procédé à la remise du prix.)

M. le président. J'invite M. François Cheng à remettre le prix au représentant du collège de Bourges. (Applaudissements.)

(Il est procédé à la remise du prix.)

M. le président. J'invite M. Jorge Semprun, écrivain, membre de l'académie Goncourt, à remettre le prix au collègue du Donjon. (Applaudissements.)

(Il est procédé à la remise du prix.)

M. le président. J'invite M. Bachir Boumaza à remettre le prix au représentant du collège de Lugny. (Applaudissements.)

(Il est procédé à la remise du prix.)

M. le président. J'invite M. Valdas Adamkus à remettre le prix au représentant du collège de Nantes. (Applaudissements.)

(Il est procédé à la remise du prix.)

M. le président. Les quatorze autres établissements lauréats recevront prochainement l'ouvrage, cosigné par Paul Marcus, intitulé Victor Hugo : la voix des libertés. (Applaudissements.)

Je vais avoir le plaisir de remettre ce bouquet de fleurs à la comédienne Mme Nada

Strancar, qui nous a lu excellemment des textes de Victor Hugo, en la remerciant. (Applaudissements.)

Il me reste à vous remercier une nouvelle fois toutes et tous, sans distinction, de votre participation active à cette manifestation honorant Victor Hugo, lui qui nous a tracé la voie de l'avenir et de la tolérance. (Vifs applaudissements.)

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-sept heures quarante.)

Victor Hugo a compté parmi les membres les plus éminents de la Seconde Chambre française, à la fois comme pair de France sous la Monarchie de juillet et comme sénateur élu du département de la Seine dans le Sénat de la III e République de 1876 à sa mort, le 22 mai 1885.

Ce volume rend compte des quatre temps forts de la commémoration du bicentenaire de Victor Hugo par le Sénat :

le 20 février 2002, un hommage solennel a été rendu en séance publique par M. Christian Poncelet, président du Sénat et six sénateurs représentant chacun des groupes politiques. Mlle Rachida Brakni, pensionnaire de la Comédie-Française, a lu ensuite à la tribune un extrait des Misérables. La présence inhabituelle d'une comédien- ne dans l'hémicycle du Sénat a souligné le caractère exceptionnel de cet hommage. La manifestation s'est achevée par l'inauguration de l'exposition Victor Hugo, témoin et acteur de son siècle, réalisée par le service de la Bibliothèque du Sénat.

- le 26 février 2002, jour anniversaire de la naissance de Victor Hugo, une délégation du Bureau du Sénat, conduite par M. le président Christian Poncelet, s'est rendue à Jersey et à Guernesey sur les traces de Victor Hugo en exil : rocher et cimetière des Proscrits à Jersey, maison de Hauteville House à Guernesey.

- le 15 novembre 2002, le Sénat a accueilli un colloque international sur l'exil.

Dans la vie et l'oeuvre de Victor Hugo, l'expérience de l'exil tient une place essentielle. En demeurant en exil pendant près de vingt ans (1851-1870), Victor Hugo s'affirme en tant qu'opposant politique face au pouvoir impérial. C'est pendant cette période qu'il écrit et publie les chefs d'oeuvre de la maturité (Les Châtiments, Les Contemplations, La Légende des Siècles, Les Misérables...). Défenseur de la liberté et de la République, ''ouvrier du progrès", il met sa plume au service des causes pour lesquelles il combat. Avec ce colloque, le Sénat entendait permettre une réflexion sur les rapports entre exil et opposition politique dans l'histoire, sur la diversité des expériences et leurs implications dans la création artistique.

- le 16 novembre, déclarée journée de la tolérance par l'UNESCO, le Sénat a reçu dans son hémicycle les élèves lauréats du concours Victor Hugo qui ont présenté leurs travaux et dialogué avec les personnalités internationales invitées, au cours d'une séance exceptionnelle animée par Jean-Pierre Elkabbach.

Ainsi, tout au long de l'année, le Sénat s'est employé à cheminer aux côtés de l'un de ses plus illustres membres. Il a ranimé ses combats, révélé les différentes faces de son génie, réalisé le lien entre celui qui écrivit L'art d'être grand-père et les jeunes générations. Fidèle à sa vocation, il a ainsi accompli son rôle de lien entre les traditions les plus accomplies et l'espoir nécessaire en l'avenir.

* 1 Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

* 2 Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

* 3 Compte rendu établi à partir de la traduction simultanée.

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