L'ELU LOCAL AU COEUR DE LA DECENTRALISATION - colloque à l'initiative de l'Observatoire de la décentralisation



Palais du Luxembourg - jeudi 3 novembre 2005

ALLOCUTION DE CLÔTURE

M. Brice HORTEFEUX, Ministre délégué aux collectivités territoriales.

Mesdames, Messieurs, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Président Jean Puech, Messieurs les Sénateurs, je retrouve au premier rang mon complice de 29 ans, le jeune sénateur Philippe Goujon.

Merci, cher Jean, de m'avoir proposé d'intervenir à cette occasion. Il est assez logique que l'on se retrouve ici, puisque l'article 24 de la Constitution rappelle que le Sénat " assure la représentation des collectivités locales de la République ". C'est donc tout naturellement que, voici un an, a été créé cet Observatoire de la décentralisation.

Depuis que le Premier Ministre m'a confié la responsabilité des collectivités territoriales au Gouvernement, j'ai l'occasion de travailler très régulièrement avec Jean Puech, ce qui n'est pas un vain mot, puisque la dernière fois qu'il m'a auditionné, cela a duré deux heures et demie et nous avons eu le temps de faire un tour d'horizon assez complet.

Cet Observatoire a trois mérites que j'ai pu apprécier depuis quelques mois :

§ Un rôle de surveillance :

Je pense que nous avons besoin de cette surveillance de la mise en oeuvre de cet acte 2 de la décentralisation, car les principes doivent être accompagnés de précisions et de faits et il fallait préciser un certain nombre de faits.

§ Un rôle d'évaluation des politiques publiques et de leur financement.

§ Un rôle de proposition de nouvelles mesures.

Mes collaborateurs m'avaient préparé un texte assez complet, mais je vais essayer de rebondir sur un certain nombre de points que Jean Puech a évoqués.

D'abord, il a évoqué la lisibilité des élus et donc des institutions. Lorsque sont menées des enquêtes d'opinion, on s'aperçoit d'abord qu'il y a en réalité deux niveaux d'administration clairement identifiés : la commune et l'Etat. Pour le reste, un curseur se déplace, mais c'est encore assez incertain.

J'étais député européen jusqu'en 2004 où j'ai conduit une liste. C'est précisément une des préoccupations qu'avait Jean-Pierre Raffarin, lui-même ancien parlementaire européen, qu'il y ait davantage d'identification, de personnalisation de l'élu européen dont on mesure mal le rôle exact dans notre pays, mais on leur confère un rôle et une place très différents dans un certain nombre d'autre pays, que ce soit des pays rentrants ou des pays plus anciens.

C'était précisément l'idée de la réforme électorale : on facilite l'identification et, pour être tout à fait clair, l'idée du Gouvernement était que les parlementaires européens soient encore mieux identifiés, car élus dans le cadre de circonscriptions purement régionales.

Simplement, le poids démographique et la règle voulant que l'on ne dépasse pas grosso modo 700 députés européens pour l'ensemble de la Communauté européenne faisaient que nous avions simplement 78 députés européens répartis dans les 22 régions, soit un siège dans quelques régions, notamment dans la Nièvre, en Auvergne, dans le Limousin, et deux sièges comme en Franche-Comté. Par définition, cela causait une bipolarisation de la vie politique française, ce qui n'aurait pas été un mal insurmontable, mais cela aboutissait à ce qu'il y ait essentiellement des élus UMP et des élus socialistes et que les minorités représentées au Parlement européen seul ne puissent pas avoir de représentation.

Il n'en reste pas moins qu'il y a un effort de personnalisation, et si Jean Puech voulait mener une enquête personnelle sur le terrain, en Auvergne et dans le Puy de Dôme, peut-être pourrait-il me rassurer sur ce point de l'identification.

Deuxièmement, Jean Puech a évoqué l'abondance des textes : 92 lois depuis 1982, sans compter les décrets et les circulaires. Je crois me souvenir que les seules lois de 1982 ont été l'objet de 30 lois et de 130 décrets, soit une masse très importante.

Nous pouvons effectivement nous interroger sur l'utilité de l'ensemble de ces textes, mais soyons quand même assez prudents, car nombre de ces textes sont précisément demandés par les élus locaux eux-mêmes qui ont besoin de précisions, d'orientations et de directions. Sur ce thème, je ne suis pas chargé de défendre l'histoire de l'Etat depuis des décennies, mais reconnaissons au minimum que ces besoins d'interrogation ont nécessité des réponses dont les origines sont partagées.

Troisième réflexion : je vais contribuer à un texte supplémentaire, précisément pour illustrer ce que je viens de dire, car je veux répondre à la demande des élus locaux. On ne peut pas dire qu'il y a trop de textes, mais regretter que l'on n'ait pas évolué sur la fonction publique territoriale. Je propose donc un projet de loi sur la fonction publique territoriale que je vous présente rapidement.

Ce projet a été initié sous le gouvernement Raffarin et a été difficile à préparer. Il l'a été sous la houlette de deux membres du gouvernement de l'époque : un peu Patrick Devedjian et Jean-Paul Delevoye.

Pour des raisons que je ne connais pas bien, ce projet a été présenté en Conseil des Ministres et ces textes ont été plus ou moins enterrés, les forces de l'immobilisme dans ce cas étant terriblement puissantes et une conjonction a dû aboutir à ce que tout cela soit légèrement enseveli.

Etant moi-même issu de l'administration territoriale, avant d'être passé dans celle de l'Etat, j'avais des souvenirs assez précis. Dès que je suis arrivé, j'ai voulu que l'on ressorte cela. Je me suis rendu compte qu'il y avait eu beaucoup de strates successives, puisque, lorsque je suis arrivé, il y avait déjà eu huit projets sur un laps de temps assez court. On a abouti au neuvième et, même si c'est un peu au forceps, il a fallu convaincre un certain nombre d'interlocuteurs - ce qui est assez logique puisqu'ils sont aujourd'hui au cabinet du Premier Ministre - de la nécessité d'adapter cette fonction publique à laquelle vous vous êtes habitués quotidiennement.

Pourquoi fallait-il bouger les choses ? La pyramide des âges, si l'on ne faisait rien, aboutissait à ce que l'on décime la fonction publique de proximité, car, d'ici cinq ans, 38 % de la fonction publique territoriale et 50 % des cadres A, donc la moitié de l'encadrement, partaient à la retraite. Si l'on n'agissait pas, on ne trouvait plus la secrétaire de mairie, la secrétaire-adjointe de mairie, etc. Autant il existe des artifices pour attirer dans les grandes collectivités, les Conseils généraux, les Conseils régionaux, autant il y aurait eu des difficultés pour la petite commune de 2 000 à 10 000 habitants. C'est un vrai sujet susceptible de devenir extrêmement angoissant pour les élus ruraux.

Cette réforme de la fonction publique repose en réalité sur trois objectifs :

§ Un objectif d'attractivité :

Il est indispensable que l'on rende cette fonction publique plus attractive. Cela signifie que l'on donne des perspectives de carrière. Vous ne pouvez pas recruter quelqu'un en lui disant qu'il n'aura aucune perspective de carrière. Les secrétaires de mairie auront des perspectives de carrière : on supprimera un certain nombre de seuils et de quotas, donc l'employeur, le Maire pourra promouvoir plus facilement et recruter plus facilement, notamment dans le secteur privé.

Il faut que ce soit également attractif vis-à-vis de l'Etat.  Cela existait déjà, mais dans un sens unique. Les Présidents de régions, de conseils généraux et les maires de grandes villes pourront offrir des perspectives de carrière à leurs principaux cadres.

§ Recruter plus facilement :

Il existe un dogme sacro-saint, celui du concours. Naturellement, si l'on remet en cause ce principe, on met le feu aux poudres avec les interlocuteurs naturels que sont les représentants syndicaux.

Après pas mal de discussions et de temps, nous avons réussi à faire passer le fait de garder le principe du concours, un facteur d'égalité, mais, en même temps, on va pratiquer la reconnaissance des acquis de l'expérience.

Un exemple très simple que vous avez certainement vécu : dans une commune, vous voulez recruter une puéricultrice et celle qui vous paraît la plus compétente travaille depuis treize ans. Si elle n'est pas issue de la fonction publique, vous la recrutez à l'échelon le plus bas. Avec les acquis de l'expérience, vous avez un critère vous permettant de la recruter de manière plus souple et à un certain niveau de rémunération et de responsabilité.

§ Recentrer sur les missions :

La fonction publique territoriale, c'est aujourd'hui 253 métiers. Il faut se former et des organismes sont chargés de formation. Nous avons également demandé que, à l'occasion de cette réforme, l'on recentre véritablement la formation sur ses véritables enjeux, afin que les agents voulant être promus et progresser bénéficient d'une formation un peu plus pointue.

Les élus que vous êtes auront plus de souplesse pour recruter et promouvoir, mais il faut bien comprendre qu'il y a une contrepartie : on augmente un peu le droit à la formation. Il y a un coût, mais si cette dernière est efficace et utile, je pense que l'employeur local sera gagnant, surtout que l'on rajoute une nouveauté très importante. Il y a parmi vous un grand nombre d'élus de petites communes ou ruraux. Jusqu'à présent, le système était quand même vicié : un agent compétent vous demandait de suivre une formation, il partait la suivre et, au-delà d'un certain délai, il passait dans la collectivité voisine plus importante, car cela lui permettait une promotion plus rapide.

Maintenant, nous offrons deux possibilités :

- La première pour la collectivité : permettre la promotion.

- La deuxième : si l'agent persiste à vouloir partir, ce qui est tout à fait son droit, au-delà des années légales, la collectivité d'accueil sera obligée de rembourser une partie de la formation ou du salaire. Cela garantit quand même pour le maire d'avoir des collaborateurs qu'il peut promouvoir et, s'ils décident de partir, il ne fait pas supporter cette formation aux finances de la commune, donc aux citoyens électeurs contribuables.

Depuis que j'ai été nommé au sein du Gouvernement par le Premier Ministre Dominique de Villepin, j'ai participé, en dehors de mon département, à un certain nombre d'assemblées générales de maires, notamment celle du Vaucluse, présidée par M. Paul Durieu, auquel Jean-Pierre Raffarin avait confié une mission et c'est à chacune de ces étapes que j'ai pu percevoir cette interrogation. J'ai donc demandé que, dans ce projet de loi, figure expressément cette possibilité d'équilibre.

Pardon, mon cher Jean, il y aura donc un texte supplémentaire, un projet de loi supplémentaire ! Ce projet de loi sera déposé sur le bureau du Sénat très vite, puis discuté par la Commission des lois, puis par le Sénat au cours du premier semestre et que tout sera réglé avant la fin de l'année, car, comme le dit Jean-Pierre Raffarin avec sa grande sagesse, pour le reste de l'année 2006 et début 2007, peut-être sera-t-il un peu plus compliqué de faire passer un certain nombre de projets.

Je souhaiterais, enfin, dire un mot de l'intercommunalité.

Un vent mauvais souffle incontestablement sur l'intercommunalité. Quel est ce vent mauvais ?

D'abord, des rapports parlementaires de qualité pointent un certain nombre de dysfonctionnements : le rapport Mariton à l'Assemblée Nationale, le rapport d'un certain nombre de parlementaires essentiellement franciliens, le rapport Philippe Pemezec et Patrick Beaudoin, deux parlementaires des Hauts-de-Seine et du Val de Marne, ainsi qu'un parlementaire de l'Isère et de l'Hérault. Puis, vous allez avoir quelque chose qui sera un véritable bonbon à l'occasion du congrès de l'AMF : la présentation par le très sourcilleux président de la Cour des Comptes, Philippe Seguin, du rapport sur l'intercommunalité, qui a l'intention de le rendre public à l'occasion de la Journée des Maires le 23 novembre.

Je pense que deux attitudes sont possibles : la première consiste à ne rien entendre et ne rien voir, et la deuxième est de ne pas pratiquer la politique de l'autruche, c'est-à-dire lire ce qui est écrit, examiner ce qui est dénoncé et, éventuellement, en tirer un certain nombre de leçons. C'était plutôt ma position et il est vrai que l'intercommunalité, aujourd'hui, souffre d'un certain nombre de difficultés : les périmètres de l'intercommunalité ne sont pas tous pertinents. Il y a quelques jours, j'ai demandé aux préfets d'être très stricts sur ce sujet. Je leur ai dit que je les soutenais s'ils refusaient des demandes de création d'intercommunalité quand les périmètres ne sont pas pertinents. Je souhaite simplement que ce soit le contre-exemple et que ce ne soit pas la règle.

Un autre problème est celui du contenu. Que mettons-nous dans cette intercommunalité ? On a des exemples d'intercommunalités qui sont des coquilles vides, mais heureusement de nombreux exemples où l'intercommunalité permet de fournir des prestations et surtout des équipements à des communes, donc à des populations qui n'auraient pas eu les moyens de se les offrir si c'était demeuré dans la gestion individuelle des communes. Il est vrai que, parfois, on a le sentiment que les élus se sont lancés là-dedans pour bénéficier des effets d'aubaine. Il faut donc faire attention à cela.

Le Gouvernement a accordé un an de plus pour définir l'intérêt communautaire, jusqu'au 18 août 2006. J'ai demandé que les secrétaires généraux des préfectures le précisent bien à l'ensemble de leurs interlocuteurs. Tout ce qui n'aura pas été défini comme intérêt communautaire au 18 août 2006 sera perdu. Il faut donc vraiment réaliser un effort sur ce sujet.

Conclusion de tout cela : si l'on intègre bien ces critiques, en considérant qu'elles ne constituent pas des exemples pour la majorité du genre et que ce sont des exemples néanmoins suffisamment nombreux pour s'y attarder, si on les corrige, si on arrive à démontrer que ce ne sont que des erreurs de jeunesse, cela permettra de répondre à une incompréhension chez beaucoup de nos concitoyens et de nos partenaires.

Lorsque je siégeais au Parlement européen, on disait toujours qu'il y avait autant de communes dans notre pays qu'il n'y en avait dans l'Europe des quinze. C'est vrai et nous savons que toutes les politiques qui ont voulu encourager les fusions de communes ont toutes échoué et l'intercommunalité est un moyen de répondre précisément à cette interrogation ou ces reproches concernant le trop grand nombre de communes.

Concernant le coût sur le plan humain, nous avons tous des exemples de structures redondantes et j'ai des exemples très précis de communautés d'agglomération où l'on a recruté par centaine de personnes pour des travaux en réalité toujours dévolus aux structures communales précédentes. A un moment donné, il faudra mettre tout cela sur la table et je me demande d'ailleurs si le rapport de la Cour des comptes ne va pas le faire.

Je crois beaucoup à l'intercommunalité, à condition qu'elle corrige ses défauts et je suis persuadé que, si elle corrige précisément ses erreurs de jeunesse, elle deviendra l'élément majeur de la structuration de nos territoires, de la France de demain. Ce sera alors un élément déterminant.

Concernant la décentralisation en général, l'acte I s'est déroulé dans des conditions extraordinairement mauvaises. Nous nous souvenons tous que, en 1982, l'estimation par le gouvernement du transfert des collèges et des lycées était de 1 Md€, mais à l'arrivée : 100 % de plus.

Grâce à la constitutionnalisation de tout cela, la compensation à l'euro près, la vérité oblige à dire que, lorsque l'on en discute individuellement avec les présidents de Conseils généraux et régionaux, je suis parfois obligé d'admettre qu'il peut y avoir à la marge quelque chose. Louis de Broissia l'a évoqué ce matin, c'est quand même une protection extraordinaire : 1, 2 ou 3 % de marge d'erreur, ce n'est pas la même chose que 100 % comme lors de la première vague de décentralisation.

Nous en sommes à cet acte II de la décentralisation, initié par le Gouvernement et le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin. Je pense que nous arrivons au terme de cet Acte II de la décentralisation, mais la question est la suivante : y aura-t-il un Acte III ?

Ma conviction est qu'il n'y aura pas d'Acte III, au sens où l'on a entendu les deux premiers actes. En revanche, s'il y a un acte 3, ce sera celui de la lisibilité et de la simplification.

Je crois, très sincèrement, que nos compatriotes sont un peu dubitatifs entre la commune, tous les SIVOM et les SIVU qui continuent à augmenter, l'intercommunalité qui se développe, les départements, les pays, les régions, l'Etat et l'Europe.

Nos concitoyens ont besoin de simplification, ce à quoi ils aspirent aujourd'hui.

Quels signaux pouvons-nous leur donner ?

D'abord, rappeler la mission des uns et des autres, car il y a une interrogation sur le rôle des pays, qui ne doivent pas être une structure de gestion.

Il faut sans doute une réflexion sur les structures de conseils, qui sont souvent d'ailleurs les interlocuteurs des régions, car c'est un moyen pour elles de contourner souvent les départements.

Aux élections municipales de 2001, les questions étaient exclusivement tournées sur la voirie, l'assainissement, les équipements collectifs, etc. Je suis persuadé que, aux élections de 2008, si elles ont lieu à cette date, toutes ces questions seront naturellement posées, mais également des questions très simples, compréhensibles et visibles.

Quelles seront-elles ?

En quoi la décentralisation est-elle un mieux ? En quoi le fait de donner la possibilité de prendre les décisions plus proches est-il plus efficace que lorsqu'elles étaient prises à Paris ?

L'intercommunalité, à une ou deux exceptions près, n'a jamais été un débat lors du précédent scrutin municipal. Là, ce sera l'occasion d'un débat, un des éléments du débat municipal : en quoi est-ce mieux pour nous, citoyens, administrés, contribuables et électeurs ? En quoi a-t-on fait cela moins cher ?

Ne vous y trompez pas ! Il y aura cette interrogation. Il nous reste donc deux ans pour pouvoir y répondre. L'Observatoire de la décentralisation doit permettre de nous y aider, et c'est pourquoi j'ai tenu à être présent cet après-midi.

Merci, Monsieur le Président.

(Applaudissements...)

M. Jean PUECH. - Merci Monsieur le ministre. Nous avons beaucoup parlé de dialogue et vous êtes un homme de dialogue, ce que nous apprécions et nous aurons l'occasion de nous retrouver régulièrement.

Mesdames, Messieurs, merci beaucoup pour votre participation tout au long de cette journée.

Revenez dans vos territoires, dans vos provinces pour dire que la bonne réforme, la mère des réformes consiste à bien réussir ce rapprochement, ce dialogue au niveau local pour être le plus efficace possible.

Merci et bon retour.

(Applaudissements...)

(La séance est levée à 17 h 05.)

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